L'Ile de Nantes, un tremplin pour les mutations - Anne Legrand

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L’ILE DE NANTES UN TREMPLIN POUR LES MUTATIONS DE L’URBANISME A LA PRATIQUE ARCHITECTURALE ANNE LEGRAND ENSAP BORDEAUX ENSEIGNANTS ENCADRANTS : JULIE AMBAL ET XAVIER GUILLOT SOUTENANCE janvier 2016


L’ILE DE NANTES

UN TREMPLIN POUR LES MUTATIONS DE L’URBANISME A LA PRATIQUE ARCHITECTURALE

5

avant propos

UN ENGAGEMENT SOCIAL INTRODUCTION

7

01

TOUS EN CRISE – TOUT CHANGE

PLAN VS PROJET, L’INTEGRATION DU TEMPS ET DE L’INCERTITUDE

15

001 LA PLANIFICATION EST-ELLE MORTE ?

16

L’urbanisme des modernes révèle les limites de la planification

19

L’ILE DE NANTES : ENTRE DEVELOPPEMENT ET NECESSITE D’UNE METHODE ALTERNATIVE

23

002 UN URBANISME PARGAMTIQUE : EN QUOI L’ILE DE NANTES EST UNE PROPOSITION ALTERNATIVE ?

25

LE CYCLE DECISIONNEL

26

LE PLAN GUIDE – UNE CONCEPTION DYNAMIQUE ET UNE PLANIFICATION RELATIVE

31

LA PHASE 2 : LA COHERENCE GRACE A DE NOUVEAUX OUTILS

35

003 LA TEMPORALITE JUSQUE DANS L’ACTE ARCHITECTURAL ? CADRAGE SUR LE LIEU UNIQUE DE PATRICK BOUCHAIN

36

FAIRE DU CHANTIER UN ACTE CULTUREL

39

LA MODULARITE : UNE ARCHITECTURE POUR REPONDRE AU CHANGEMENT


02

UNE RECONCILIATION POSSIBLE ENTRE VILLE CONÇUE ET VILLE VECUE ?

45

001 LA CULTURE COMME UN ELEMENT FEDERATEUR ET UN ACCELERATEUR DU PROJET URBAIN ?

46

UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE L’EVENEMENTIEL

48

FAVORISER L’EFFERVESCENCE GRACE A UNE CONCENTRATION DE LIEUX DE CREATION

51

002 LE PARTICIPATIF : UNE AFFAIRE DE POLITIQUE ?

52

LE DEVELOPPEMENT D’UNE PENSEE LOCALE POUR UNE TRANSVERSALITE DES APPROCHES

54

LA LUTTE POPULAIRE POUR SE FAIRE ENTENDRE

56

LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE : DECORATION OU MOYEN D’ACTION ?

59

003 L’ILE DE NANTES, UNE PRODUCTION CITOYENNE ?

60

LE PARCOURS GREEN ISLAND : ENTRE SENSIBILISATION ET CO-CONSTRUCTION

63

LES ATELIERS CITOYENS DE LA SAMOA

64

POUR FAIRE ET VIVRE AUTREMENT ?

03

DE L’IDYLLE A LA REALITE : VERS LES PRATIQUES DE DEMAIN

71

001 L’ILE DE NANTES, QUELS APPORTS, QUEL APPRENTISSAGE ?

73

002 LE PROJET URBAIN, L’AVENIR DE L’URBANISME ?

77

003 EVOLUTION DE L’APPROCHE SPATIALE ET MODELISANTE DE L’URBANISME ET DE L’ARCHITECTURE

82

bibliographie

84

table des illustration



avant propos

UN ENGAGEMENT SOCIAL Alors que le monde me parait de plus en plus ins-

Du 21 mai au 6 octobre 2014, s’est tenue à la Cité de

table, complexe et consumériste, que l’on constate

l’architecture et du patrimoine de Paris, l’exposition

sans cesse plus de violences, d’actions égoïstes, de

« Réenchanter le monde2». Elle présentait des pro-

personnes vindicatives, je suis amenée à me ques-

jets prônant l’éthique et l’esthétique d’un art d’habi-

tionner sur notre société et son devenir. Comment

ter, fondé sur l’échange, l’ouverture aux savoir nou-

s’engager pour participer à une évolution vers un

veaux et ancestraux, et l’engagement, des projets

monde meilleur ? Comment œuvrer pour conduire

comme ceux de Rural Studio, MDW Architecture

vers une nouvelle génération plus ouverte, moins

mais aussi Philippe Samyn et Teddy Cruz. Autant de

repliée sur soi ? Comment agir pour susciter d’avan-

figure qui montre que l’architecte peut également

tage d’échanges et de partages ?

être le concepteur d’un processus politique et éco-

Empreinte d’optimisme, je suis bien décidée à de-

nomique. Il peut inventer de nouvelles pratiques,

venir un acteur bénéfique pour la société. Ou pour

des alternatives pour aider l’homme à transformer

le moins je souhaite me positionner en tant qu’ar-

le cours des choses. L’architecte doit être citoyen. Il

chitecte sur une trajectoire de réflexion et d’action.

doit investir et s’approprier le système.

Peut-on croire que les architectes ont le pouvoir de changer la société ? Des architectes utopistes tels

Loin d’écrire un plaidoyer ou un manifeste, je

que Etienne-Louis Boullée, Archigram, Yona Fried-

conçois mon mémoire principalement pour don-

man, les Situationnistes, Cédric Price, eux y ont cru.

ner un sens à ma pratique future de l’architecture

Pourquoi l’architecte devrait –il perdre son ambi-

et m’ancrer dans la réalité d’une profession en mu-

tion passée ? Peut-être l’architecte doit il descendre

tation. J’ai choisi de me questionner sur le rôle de

de son piédestal pour renouer avec les utopistes et

l’architecte dans la ville et sur les mécanismes de

agir avec efficacité pour prendre en considération

projet afin de comprendre et appréhender les en-

de multiples acteurs et facteurs ?

jeux de la profession, de l’urbanisme, et l’architecte dans l’urbanisme.

Reprenons les propos d’un illustre théoricien du 15e

Le lien architecture/urbanisme est en question et

siècle : Leon Batista Alberti1. Pour lui l’architecture

il me semble que la conjonction des deux phéno-

est une science humaine et globale qui s’occupe de

mènes et leur façon de s’articuler porte l’avenir

l’homme. Elle naît en même temps que l’homme et

même du métier d’architecte.

endosse le rôle de médiateur entre l’individu et la société. L’architecture contribue à organiser, protéger et structurer celle-ci. De par ce positionnement l’architecte contribue au bonheur de l’homme et à son insertion dans le territoire. L’architecture a dèslors un rôle social.

1 : Alberti, Leon Battista, De re ædificatoria, Lineamenta, Florence, N. di Lorenzo, 1485 2 : Donne lieu à un hors-série l’Architecture d’Aujourd’hui, Réenchanter le monde.

5



INTRODUCTION

TOUS EN CRISE – TOUT CHANGE Nous sommes dans un monde en transition,

l’urbain, l’état des savoirs que « La ville en France

transitions écologique, démographique, urbaines,

ne fait pas l’objet d’un savoir spécifique », elle est

et peut être même économique et politique. En

plurielle et complexe. Le terme d’urbain vient alors

2008 la crise systémique ébranle le cours des choses,

se confronter au sens même de la ville et annonce

installe une rupture avec le XXe siècle du progrès,

une nouvelle révolution urbaine. Françoise Choay

de l’exploitation des ressources, de l’individualisme,

parle alors « du règne de l’urbain et de la mort de

et de la consommation exponentielle. Nous voilà

la ville ». La ville, le fait urbain, les territoires où

entrée dans un XXIe siècle qui se questionne,

s’inscrivent notre société contemporaine échappent

qui cherche des alternatives, qui tend à se

à toute circonscription, définition, ou cadre de la

renouveler.

pensée et donnent donc lieu à une foisonnante réflexion avec l’apparition de nouveaux termes

En 1950 il y avait seulement 430 millions de

comme : métropole, ville globale, ville intelligente,

citadins alors qu’aujourd’hui la planète compte

ville créative… La ville n’est plus un concept formel

3.3 milliards de personnes habitant en ville. Avec

avec un nombre d’habitants mais bien un lieu

l’augmentation du nombre d’habitants la notion

d’interactions et d’intérêts complexes, Elle devient

de ville s’est complexifiée au point que la définition

un fait social.

historique de la ville devenue obsolète n’est plus

Une multitude de questions et d’enjeux se révèlent

adaptée. La notion de « ville » a changé et continue

alors : La gouvernance face à des acteurs toujours

de se transformer. La ville actuelle ne se définit–

plus nombreux, l’intégration de la notion de

elle que comme une opposition à la campagne,

développement durable, la création de logements

comme un regroupement de populations de

pour tous, l’aménagement d’espaces de vie

plus de 10 millions d’habitants, ou comme une «

agréable, l’organisation de la mixité sociale, la

agglomération relativement importante et dont

prise en compte de la temporalité, le processus

les habitants ont des activités professionnellement

de conception en lui-même. Un vrai besoin de

diversifiées3». Thierry

changement et de renouveau se fait sentir.

Paquot

explique

dans

l’introduction de l’ouvrage collectif La ville et

7


Si le concept de la ville est effectivement en crise

Koolhass, Frank Gehry, Zaha Hadid, Herzog & De

et le fait urbain en proie à l’évolution, l’urbanisme

Meuron, Santiago Calatrava, Sanaa, Tadao Ando…

lui aussi entre dans une phase de réflexion et de

connus même du grand public. Ils illustrent le «

changement. On cherche à tirer les leçons du

phénomène Bilbao ». L’architecture semble alors

passé, à avoir un retour critique sur la construction

piégée dans les stratégies de marketing de villes

massive de logements de l’après-guerre, sur le

devenues concurrentes et qui cherchent à s’imposer

fonctionnalisme des années 60 et des grands

sur la scène mondiale.

aménageurs. Des études cherchent comprendre les phénomènes d’expansion urbaine et de

Philippe Klein explique quant à lui, en préface

gentrification et ces notions nouvelles de zones

de l’ouvrage Archi citoyen7,

que face aux

sensibles, d’exclusion sociale. Depuis les années 70,

questionnements

prolifiques

le fait urbain est remis en question. Des chercheurs

la multiplicité des langages formels actuels,

mettent en lumière les enjeux politiques et

l’architecte a l’occasion de requestionner son

économiques sous-jacent : la planification urbaine4.

rôle et revenir à ce qui est essentiel, soit qu’avant

Les sciences sociales sont de plus en plus intégrées

d’être forme, l’architecture vise à créer des espaces

dans les réflexions sur l’urbanisme. La ville est

destinés à des êtres humains. Certains architectes

autrement, l’on doit faire la ville autrement. Le

s’engagent alors dans la voie de l’architecture

processus de conception est requestionné. De

citoyenne, ceci notamment à travers des pratiques

nouveaux acteurs s’investissent dans l’avenir de nos

participatives comme celles développées par

villes, l’on tente de théoriser, de comprendre le fait

Philippe Madec à Plourin-lès-Morlaix, Patrick

urbain, la crise urbaine, et les possibles évolutions.

Bouchain à Lille, et Carin Smuts en Afrique du

Les termes de stratégie urbaine et de projet urbain

Sud ou dans des pratiques moins théorisées et

viennent dès-lors comme une réponse et ont pour

organisées comme celle du collectif ETC, pour ne

ambition de s’ajuster à la nouvelle société et d’en

citer qu’eux.

et

débats

sur

cristalliser les enjeux.

8

L’humain semble donc revenir au centre des Dans le même temps, la pratique architecturale

préoccupations, que ce soit celles des urbanistes

connait elle aussi sa remise en question et ses

ou celles des architectes. On cherche avant tout à

débats. Guy Tapie écrit « Crise économique

donner au citadin un lieu de vie qualitatif, un lieu

et crise d’identité se rejoignent alors pour

d’expression, une réflexion individualisée pour

expliquer les difficultés d’une profession à faire

ne pas le noyer dans la masse que représente la

valoir son expertise5» . En effet seulement 5%

ville actuelle. L’architecture et l’urbanisme sont

des constructions sont aujourd’hui conçues et

dès-lors plus que jamais connectés. Il faut sortir

bâties par des architectes. Ce chiffre témoigne de

de l’organisation qui pose l’urbaniste comme

l’existence d’un fossé entre l’architecte et la société.

concepteur du vide et l’architecture comme créateur

Philippe Madec6 parle d’une crise de l’architecture

du plein. L’urbanisme d’aujourd’hui donne un cadre

due au désengagement de la profession face aux

et l’occasion à l’architecte de s’engager, de réfléchir

enjeux sociaux et à la construction de l’habitat

à son rôle et aux nouvelles limites de la profession.

du quotidien. La discipline semble être aux mains

Projet urbain, urbanisme, architecture se mêlent

d’une élite, de stars comme Jean Nouvel, Rem

dans une relation dynamique non hiérarchisée.


Notre réflexion portera donc sur la connexion,

conclurons et tenterons d’adopter une posture

l’échange le dialogue entre urbanisme, pratique

critique, ceci en distinguant trois parties. Une

architecturale, sociologie et la politique.

première visant à dresser un bilan de l’expérience menée sur l’ile de Nantes, une seconde pour

Jean Marc Ayrault évoque l’idée « d’un urbanisme

reconsidérer la notion de projet urbain et

pragmatique8» lorsqu’il décrit le projet de l’île

une troisième pour envisager les possibles

de Nantes. Au tournant des années 1980, 1990, la

évolutions de la discipline architecturale.

ville, victime de la désindustrialisation se retrouve en quête identitaire. L’île de Nantes vaste de 337

Le point de vue de l’architecte tout en restant

hectares se présente comme une plaie béante au

primordial doit être dépassé au travers des

centre de la ville. Elle interroge élus, urbanistes,

interactions avec des réflexions menées par des

sociologues et architectes. Les acteurs urbains

économistes, des urbanistes et des sociologues. La

nantais sont face à un cas inédit, un territoire très

réflexion se constitue grâce à un aller-retour entre

étendu, riche en potentiels et possibilités, situé

l’échelle urbaine et le projet architectural.

au cœur de la ville. L’île apparait comme le miroir des interrogations de la société sur le rôle de la ville, sur le sens de nos modes de vie et va très vite s’installer comme un immense laboratoire, comme un projet où dont le but est bien de dépasser les limites imposées par les disciplines, les lois, les règles et les habitudes. La notion de projet urbain qui nait ici s’ancre dans une volonté de nuances pour une acceptation de tous et une appropriation collective. Le projet urbain se définit dès-lors comme un processus global, d’échange qui impose une évolution des mentalités et qui a pour ambition de proposer un monde habité qualitatif face aux problématiques de l’urbanisation. C’est donc le caractère expérimental et précurseur de ce projet qui interpelle et qui pousse à la réflexion. L’objet de ce mémoire est donc de questionner la relation urbanisme/architecture à travers le prisme des expériences réalisées sur ce territoire particulier de l’ile de Nantes. Nous nous attacherons dans un premier temps à comprendre l’évolution du rôle des décideurs. Puis nous observerons comment la population est elle aussi porteuse de solutions et les enjeux inhérents à son engagement. Pour finir nous

Fig 1 : [page suivante] Parc des chantiers 3 : Définition du dictionnaire Larousse . 4 : Alain Hayot, 2000, Le Projet Urbain, Paris, Editions de la Villette. 5 : Tapie Guy, Les architectes : mutations d’une profession, Paris, L’harmattan, 2000, p 318, Collection « logiques sociales ». 6 : Philippe Madec, Jean-François Pousse. Exit : entretien avec JeanFrançois Pousse, Paris, Jean-Michel Place 2000, p37-38 7 : Union nationale des syndicats français d’architectes, Archi citoyen : dix années de prix du projet citoyen, Paris, Editeur scientifique, 2010, p 95 8 : Masboungi Ariella, Nantes, la Loire dessine le projet, Paris, Edition de la villette, 2003, p 191

9





01

PLAN VS PROJET L’INTEGRATION DU TEMPS ET DE L’INCERTITUDE



01

001 LA PLANIFICATION EST-ELLE MORTE ? la nature et la localisation des développements

qu’est la planification. Nous pouvons nous référer

urbains et des espaces à protéger, puis d’intervenir

aux auteurs Pierre Merlin et Françoise Choay. Ils

dans la mise en œuvre des options retenues. » Le

définissent la planification comme un « processus

terme définit ainsi ne renvoie ni à une doctrine,

qui fixe (pour un individu, une entreprise, une

ni à une possible pratique. Il faut donc inscrire

institution, une collectivité territoriale, ou un Etat)

la notion dans le cadre historique en s’attachant

après études et réflexion prospective, les objectifs

plus particulièrement à comprendre le contexte, le

à atteindre, les moyens nécessaires, les étapes

mode de pensée de l’urbanisme.

de réalisation et les méthodes de suivi de celles-

Le XXe siècle est ancré dans un système à tendance

ci.» Ensuite Ils décrivent plus spécifiquement la

libérales, qui avance la liberté comme principe

planification urbaine et la présente comme un

politique, met au cœur du système la responsabilité

« ensemble d’études, de démarches, voire de

individuelle, et tend à limiter le pouvoir du

procédures juridiques et financières, qui permettent

souverain. Dans un tel contexte il est légitime de se

aux collectivités publiques de connaitre l’évolution

demander si le principe même de la planification

des milieux urbains et de définir des hypothèses

peut perdurer ?

d’aménagement concernant à la fois l’ampleur,

Fig 2 : City of the Future par Harvey Wiley Corbett

001 15

9 et 10 : MERLIN Pierre et CHOAY Françoise, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, Presses universitaires de Frances, 1996, 863p.

La planiciation est-elle mortes ?

Tout d’abord commençons par nous demander ce


01

L’urbanisme des modernes révèle les limites de la planification L’origine de tout est dans l’apparition et la définition

de la ville, l’espace urbain est zoné. La ville de Le

du terme urbanisme qui émerge dans les années

Corbusier est un fait rationnel et géométrique,

1910. Selon le dictionnaire Larousse c’est « la

constitué de « machine à habiter ». « L’urbaniste

science et la théorie de l’établissement humain. ».

détenteur de vérité » organise la ville comme un

Françoise Choay le caractérise par sa réalité nouvelle

peintre cubiste peint sa toile, il planifie la vie, il la

« vers la fin du XIXe siècle, l’expansion de la société

décide.

industrielle donne naissance à une discipline qui

Les propositions de la Charte d’Athènes peuvent

se distingue des arts urbains antérieurs par son

être vues comme un tant soit peu idéaliste et

caractère réflexif et critique, et par sa prétention

utopique et n’aboutiront pas à une réalisation

scientifique. ».Les travaux de Fourrier, Marx,

concrète. Mais les travaux vont laisser une trace

Engels, Ruskin… qui s’interrogent sur la structure et

dans la réflexion sur l’urbanisme. Ainsi lorsqu’au

la signification du rapport social sont qualifiés de «

sortir de la seconde guerre mondiale, un besoin

pré-urbanisme » alors que le terme prend tout son

massif de logements se fait sentir, on décide de

sens avec l’émergence du mouvement moderne.

créer des quartiers résolument nouveaux qui

11

16

001

La planiciation est-elle mortes ?

s’appuient sur les théories des Modernes. Ainsi En 1933, Le Congrès International d’Architecture

l’urbanisme moderne nait ici par une volonté de

Moderne se rassemble à Athènes et débat sur le

théorisation et de réalisation à grande échelle.

thème de « la ville fonctionnelle ». Il aboutit à la

C’est l’époque des grands aménageurs et des

Charte d’Athènes qui établit une liste de 95 points

grands ensembles. Ces derniers se veulent une

pour la planification et la construction de la ville

réponse moderne, technologique et standardisée

nouvelle. Le plus connu des protagonistes étaient Le

pour une transformation de la société et la mise en

Corbusier. Les Modernes ont une vision assurément

place rapide de nombreux logements. On planifie

progressiste du monde, l’urbanisme s’habille ainsi

donc la ville, on dessine un plan, que l’on qualifie

d’une vocation universelle par son caractère

souvent de « directeur ».

scientifique. «Le monde a besoin d’harmonie et de se faire guider par des harmoniseurs ». Le

Durant

Corbusier prône donc une vision très dirigiste de

socialement en cherchant à dessiner un support

l’urbanisme mais aussi une tabula rasa de la ville,

pour la société. Cependant il semble adopter une

les nouveaux quartiers ne doivent pas être liés au

vision trop figée de la ville, trop véridique, et trop

centre historique. Il instaure une rupture avec le

arbitraire. L’homme pour qui il conçoit est placé

passé, avec la ville.

comme un utilisateur universel. L’architecte cultive

La ville de Le Corbusier différencie quatre fonctions:

son plaisir de l’organisation, de la géométrie,

l’habitat, le transport, le travail et le loisir. Chaque

de la forme parfaite établi par les principes de

fonction est séparée du reste dans l’organisation

l’architecture moderne.

cette

période

l’architecte

s’implique


01

Fig 4 [page suivante] Sarcelles-Lochères, dans la banlieue parisiennes 1960. C’est le premier grand ensemble construit en France entre 1955 et 1970

001 17

11 : CHOAY Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités, Paris, Point, 1965, 446p.

La planiciation est-elle mortes ?

Fig 3 : Le Plan Voisin, projet pour Paris par Le Corbusier. Il reprend les principes de la ville nouvelle établit dans la charte d’Athènes. Différenciation des 4 fonctions : habiter, circuler, travailler et cultiver l’esprit et le corps. Abolition de la rue, différenciation de niveau entre la circulation et le bâti. Développent d’espace vert en cohérence avec la pensée hygiéniste. Construire en hauteur pour diminuer la densité, éclatement



01

Très vite une critique de l’urbanisme fonctionnel et

A partir des années 70 apparait a alors une

massif va se construire. En 1960, se forme le groupe

véritable remise en question des principes de

de la Team X. Ces architectes tentent de définir les

l’urbanisme progressiste, de l’aménagement et de

limites de la pensée fonctionnaliste, de la charte

la planification comme composition rationnelle et

d’Athènes et de mettre en lumière les dérives

fonctionnelle. Il est temps de se tourner vers une

dues à l’application de ses principes. La théorie de

dimension sociale, vers une pensée humaniste.

l’advocacy planning voit le jour. Paul Davidoff pose

L’urbanisme s’ouvre alors à des disciplines

l’urbaniste comme devant être aux services des

comme la sociologie, l’économie, la psychologie,

communautés les plus défavorisées et non plus des

l’anthropologie, la géographie et devient dès lors

élites.

une science humaine non codifiable. Pour Martin Heidegger

« habiter c’est le trait fondamental

Les grands ensembles apparaissent comme le siège

de la condition humaine ». La ville est perçue en

de nombreux problèmes sociaux. La différenciation

fonction de séries de liens existentiels pratiques et

des usages crée une sorte d’immobilité des habitants

affectifs qui lui attachent les habitants. Christopher

et donc une ségrégation urbaine accompagnée

Alexander tente lui de créer une sorte de formule

par des sentiments d’enclavement et d’exclusion.

mathématique qui permettrait au peuple de

Charles Sencks écrit alors « L’architecture moderne

faire lui-même sa ville. La création devient un

est morte à Saint Louis Missouri, le 15 juillet 1972

processus issu de l’histoire et de la communauté.

à 15h32 » date et heure du dynamitage d’un

C’est la disparition des grands modèles. Il devient

bâtiment fonctionnaliste. C’est l’émergence du

nécessaire de chercher un autre mode de

Postmodernisme, non pas dans sa recherche

production de la ville. On va chercher à établir

esthétique mais dans sa volonté de remettre en

un autre discours sans pour autant refuser la

question l’hégémonie des modernes et le refus de

nécessité d’un urbanisme.

ce J.F Lyotard appelle les 3 récits : Les faits historiques et l’évolution de la sociéte

scientifique

a quelque peu transformé le sens du terme

- L’amélioration constante de la société grâce à la

« urbanisme » et semble lui avoir donné une

science et à la raison. On va donc toujours trouver

connotation négative. Les questions sur la ville et la

un moyen de régler les problèmes.

création de villes neuves donnent lieu à nombreux

-L’installation de l’état nation avec son mode hyper

débats. L’enjeu est de ne pas une fois de plus entrer

rationnel de fonctionnement.

en rupture avec le passé, mais d’avancer vers une

Lyotard nous explique donc que c’est trois grands

alternative qui tire les leçons établis par l’Histoire.

récits se sont effondrés, à cause notamment de

La planification reste cependant indispensable

grands évènements historiques comme Hiroshima

dans l’imaginaire des faiseurs de la ville. Il y

et les camps de concentration. L’amélioration de la

aura toujours des choses à impulser, mais c’est

science peut être une source de la destruction de

choses varient. Une multitude de théorie sur la

l’humanité. On ne croit plus à la légitimité de l’état

ville contemporaine, sur l’urbain voit donc le jour,

nation et à l’empirisme de la science.

mais la prolifération des critiques et avis ne pose

001 19

pas un cadre à la pratique.

La planiciation est-elle mortes ?

-L’objectivation du monde par la connaissance


01

L’ILE DE NANTES : ENTRE DEVELOPPEMENT ET NECESSITE D’UNE METHODE ALTERNATIVE Nantes. A la fin du XXe siècle, la ville est touchée

ce durant 6 jours. Il investit les friches industrielles,

par le phénomène de désindustrialisation, les

et par conséquent les visiteurs aussi, redonnant vie

chantiers navals installés sur une ile au cœur

à des lieux qui semblent morts. La première édition

de la ville périclitent les uns après les autres. En

a lieu en 1990 et sera réédité pendant 5 ans. Tous

1987 le dernier d’entre eux ferme ses portes, et se

s’accordent à dire qu’il s’agit là d’une réussite, la

pose alors la question de l’avenir d’un territoire

culture apparait comme un élément « fédérateur

de 337 hectares situé entre deux rives et deux

», les responsables de la ville, et particulièrement

quartiers historiques. L’ile apparait comme une

le maire Jean Marc Hérault décide de la placer au

plaie béante dans une ville traumatisée par la

centre de la politique publique. On peut dire que

désindustrialisation et en quête d’identité. La

le ton est donné, la culture s’impose comme toile

reconquête de l’ile se présente dès lors comme un

de fond à la réflexion. Pendant environ 10 ans la

symbole et revêt bien plus d’enjeux qu’il n’apparait

ville investit dans une politique culturelle et invite

au premier abord. Sans doute les pouvoirs publics

aux initiatives, particulièrement si elles peuvent

ont-ils pris conscience de l’enjeu, de la nécessité

prendre place sur l’ile. Dès 1990, la troupe du Royal

de bien agir sur cette ile pour lui donner une

de Luxe s’installe dans un hangar et propose un

impulsion susceptible de rayonner sur l’ensemble

grand choix de représentations théâtrales. Puis en

de la métropole. Le premier projet de centre des

1995 se déroule la première folle journée de Nantes

affaires est rejeté. On décide qu’il faut s’inscrire dans

qui propose une série de concerts pour attirer

le passer et légitimer le futur. Comment connecter

un public pas toujours averti. En 1996 de jeunes

l’espace vécu et l’espace conçu ? Comment faire

architectes et une « bande d’artistes » investissent

une ville durable ? Comment obtenir l’adhésion de

un ancien blockhauss et prennent le nom de «

tous ? Comment changer sans brusquer ? Comment

Blockhauss DY10 ». La culture s’empare des friches

faire la ville autrement ? Comment construire le

industrielles.

territoire sans le normaliser, le figer ? Ce sont autant

La première initiative arrive d’un homme qui n’est

inscrit dans l’Histoire avec un grand H. Les friches

ni un élu, ni un urbaniste, ni un architecte : C’est

industrielles sont les témoins de la mort d’une

un directeur artistique et le fondateur du Centre

époque passée, mais aussi de l’Age d’or d’une

de Recherche pour le Développement Culturel

période qui symbolisait le progrès de l’homme. Il

(CRDC), Jean Blaise. Il crée le Festival des Allumées à

faut garder des traces de l’industrialisation de notre

Nantes et l’installe au cœur de l’ile. Cet évènement

pays au même titre que l’on préserve les châteaux

à caractère éphémère cherche à rassembler des

médiévaux. On doit bien parler d’un patrimoine

20

La planiciation est-elle mortes ?

artistes mais aussi les nantais autour de la culture et

001

C’est dans ce contexte que nait le projet de l’Ile de

de questions qui semblent s’être posées lors de

Jean Blaise par son festival interroge aussi la

projet sur l’ile de Nantes.

question du patrimoine et de l’histoire. Le territoire est chargé d’un récit industriel qui doit être


01

Fig 5 : Dominique Perrault Architecte Fig 6 : Jean Marc Ayrault Maire de Nantes Fig 7 : Jean Blaise Directeur artistique

industriel à préserver, à révéler. Le projet de l’ile

rupture avec les juxtapositions malheureuses de

de Nantes ne doit donc pas faire table de rase du

l’urbanisme moderne12» . C’est à cet instant que le

passé mais l’intégrer et s’en nourrir. (L’on peut voir ici

terme « Ile de Nantes » prend sa légitimité.

le premier des arguments contre le projet du centre

De 1987 à 2000, on assiste à une série d’initiatives qui

des affaires.) En 1994, La maison des Hommes et des

vont nourrir la réflexion sur le devenir de l’ile. Ce qui

Techniques prend ainsi ses quartiers dans un ancien

est étonnant ici c’est la place faite à ces initiatives,

bâtiment industriel de l’ile. Elle se fixe comme

ce contexte d’ouverture et d’opportunité. Aucun

objectif de diffuser et mettre en valeur l’histoire

grand projet d’aménagement n’est encore décidé.

industrielle et sociale de Nantes et se place comme

Les élus, architectes, urbanistes, plus généralement

le principal défenseur des friches industrielles de

les faiseurs de la ville ont déjà choisi sans le savoir

l’ile. Elle enclenche un plan pour la sauvegarde et la

la voie du « temps », ils ont choisi de ne pas se

reconquête des friches industrielles.

précipiter, de prendre le temps de la réflexion. Ils s’ancrent dans un processus. Cette façon de faire n’est pas inédite mais permet ici l’expérimentation

Dominique Perrault et François Grether sur le devenir

et l’ouverture à de nouvelles possibilités.

de l’ile. Ils se lancent alors dans la réalisation d’une étude préliminaire et livrent leur résultat en 1994.

Il est intéressant également de noter que

Ils voient l’avenir de l’ile, mais aussi de la ville

cette expérience revèle que le principe de la

en incluant également la reconquête du fleuve.

planification n’est pas obsolète, la planification

Ce territoire en projet n’est pas un simple territoire.

n’est pas morte, elle tend plutôt à s’inscrire dans

Il est entouré d’eau et cela en fait sa spécificité, voir

un nouveau contexte et prend une nouvelle

même sa force. L’eau « c’est le symbole tout à la fois

forme.

des retrouvailles de la ville avec l’eau, de la quête isolent, le fleuve et l’eau rassemblent) ainsi que la

12 : Violeau Jean-Louis, Nantes l’invention d’une île, Paris, Le Mook Autrement, 2015, 103 p.

001 21

d’un imaginaire partagé (la forêt et la montagne

La planiciation est-elle mortes ?

A partir de 1991, On interroge deux architectes,



01

002 UN URBANISME PARGAMTIQUE EN QUOI L’ILE DE NANTES EST UNE PROPOSITION ALTERNATIVE ? « Comment, à partir de circonstances, mettre en

En 1999, au terme d’un passionnant « marché de

œuvre les transformations et les mutations ? Le

définition » autour de la consultation d’urbanistes et

changement suscite des inquiétudes, tout le monde

architectes, l’équipe constituée autour d’Alexandre

le souhaite et chacun le redoute. On croit savoir ce

Chemetoff est choisie pour conduire le projet

que l’on perd et on a souvent raison de craindre ce qui

de mutation de l’ile de Nantes. La proposition de

va advenir. Comment avancer en partageant avec

l’architecte est innovante et alternative. Elle forme

nos concitoyens l’à venir, non comme une fatalité

ce que l’on peut appeler un urbanisme pragmatique,

mais une réalité que l’on peut voir et comprendre

un urbanisme souple, ouvert au dialogue pour

? Comment le projet de transformation de la ville

favoriser l’adhésion de tous. Alexandre Chemetoff

peut-il devenir un enjeu démocratique, être placé

élabore une stratégie pour le changement.

dans l’espace public ? Comment les changements peuvent-ils être espérés ? » Alexandre Chemetoff.

002 23

13 : Chemetoff Alexandre, Le planguide (suite), Paris, Archibook, 2010, 103p.

Un urbanisme pragmatique ?

Fig 8 : Quai François Mitterrand


24

002

Un urbansime pragmatique ?

01


01

LE CYCLE DECISIONNEL Pour élaborer cette stratégie, Chemetoff va

des conséquences quelques fois difficilement

commencer par poser le temps comme un outil

prévisibles, et souvent inattendues. Il est fréquent

de projet. La notion de projet renvoi à un principe

qu’elle débouche sur une nouvelle décision pour

de processus. Lorsque l’on réalise un projet

s’adapter à la nouvelle situation et ainsi de suite. La

architectural par exemple, le résultat final, la

sérendipité prend alors tout son sens. Pour ce faire,

proposition dépend essentiellement des facteurs

il faut donc un outil qui permette une évolution et

apparus durant la création comme par exemples

un réajustement permanent. Alexandre Chemetoff

les remarques d’un intervenant extérieur, une

sera celui qui apportera la première des innovations

idée subite… Le terme de processus appelle

en inventant le « Plan-guide

aussi la notion de cycle décisionnel. Lorsque une décision est prise, ici souvent conceptuelle ou spatiale elle entraine une incidence sur le monde,

Fig 9 : Parc des chantiers Fig 10 : Schéma du cycle décisionnel

Un urbanisme pragmatique ?

002 25


01

LE PLAN GUIDE – UNE CONCEPTION DYNAMIQUE ET UNE PLANIFICATION RELATIVE « Le Plan Guide est à la fois une somme d’expériences

Déjà l’on voit l’importance de l’interaction des

vivantes et une manière d’inventer le projet chemin

disciplines et des points de vus qui va devenir par

faisant, en le réalisant dans l’espace public.14 » . C’est

la suite un élément clé de la méthode de projet. « Le

un plan qui a la particularité de définir une stratégie

Plan-guide est le contraire d’un instrument coercitif

tout en permettant d’être remodelé en fonction de

; c’est un outil destiné à favoriser chaque intention

l’évolution, des nouvelles données au fil du temps.

pour la placer dans une situation et un contexte

Au premier abord il ressemble à un plan directeur,

favorables ». Bref, c’est un outil itératif.

26

002

Un urbanisme pragmatique ?

sa spécificité réside dans son caractère évolutif, chaque trimestre, avec les nouveaux regards,

« Les expériences de terrain transforme le plan

initiatives, idées le plan évolue.

et le font évoluer. C’est le plan qui donne aux

Une multitude d’experts vont se pencher sur

expériences de terrain leur intérêt en leur confèrent

l’élaboration d’un « contrat » qui permet une

un caractère relatif situé et expérimental

planification relative tout en assurant un suivi et

projet se forme par une alternance de phases

une cohérence. Ariella Masboungni, Pierre Liochon

de réflexion et de phases de construction, ce

(avocat spécialiste du droit de l’urbaniste), Malika

sont des allers-retours entre espace vécu et

Hanaïzi vont croiser leurs connaissances et leur

espace conçu qui rend le projet plus riche, plus

discipline pour donner naissance à ce contrat.

adapté, plus souple, et plus ouvert au dialogue.

». Le

15


01

Le temps, les différents acteurs convoqués

par le biais de propositions à équilibrer les activités,

permettent de porter son attention sur une

à détecter les besoins. Ils s’interrogent sur le type

multitude de détails. Puis toutes les échelles de

d’activités nécessaires à implanter pour donner

projet se rejoignent alors pour créer une unité,

vie à l’île. « La méthode d’intervention consiste

une globalité, la ville est projet. La Samoa (Société

en un dialogue permanent entre l’échelle de l’île,

d’Aménagement de la Métropole Ouest Atlantique)

de la ville, de la métropole et celle du détail, de

est créé pour articuler le travail de l’architecte avec

l’anodin, au point de faire remonter cet « invisible »

les décisions politiques. Le projet de Chemetoff sur

à l’échelle générale pour imaginer un programme,

l’ile va ainsi prendre forme durant 10 ans.

un aménagement : du site au programme et du programme au site.17» On peut parler ici d’urbanisme pragmatique

d’Alexandre Chemetoff et de Patrick Henri dans

car l’urbanisme est devenu un processus de

ce que l’on va appeler l’Atelier de l’Ile de Nantes se

dialogue et d’échange où la planification

concentre avant tout sur la définition l’espace public.

permet de donner une cohérence à l’ensemble,

En effet celui-ci constitue les prémices du projet, il

elle devient une sorte de trame.

devient le support de l’espace, de la ville, de la vie. Il est au centre de tout et l’investigateur du projet en entier. Les concepteurs viennent ensuite travailler dans les interstices pour y construire les logements, les bureaux, les commerces… « Les espaces publics comme signe de l’engagement de la collectivité, de partage de projet.16» L’équipe s’attache ensuite

14, 15, 16 et 17 : Chemetoff Alexandre, Le plan-guide (suite), Paris, Archibook, 2010, 103p.

002 27

comme attention portée à tous et comme mode

Fig 11 : Alexandre Chemetoff Fig 12 : Alexandre Chemetoff et Patrick Henri

Un urbanisme pragmatique ?

Pendant cette période, l’équipe formée autour


28

002

Un urbanisme pragmatique ?

01


01 Un urbanisme pragmatique ?

002 29

Fig 13 le plan guide de Nantes En haut : l’état des lieux de l’ile en janvier 2003 En bas: la proposition de plan guide pour janvier 2003



01

la phase 2 : la cohérence grâce à de nouveaux outils Le projet est aujourd’hui entré dans une seconde

La phase 2 est aussi île dans la ville, de dépasser les

phase de travail de 6 années. Une nouvelle équipe

limites du périmètre associé à l’île. Marcel Smets

s’est formée autour de Marcel Smets et Anne Mie

utilise le terme de « métacentre », « L’Île de Nantes

Depugdt, mais aussi de Johanna Rolland le nouveau

est un nouveau centre de gravité qui bouscule

maire de la ville. La phase 2 cherche surtout à

la géographie urbaine de Nantes ! Notons que

développer la cohérence grâce à de nouveaux outils

ce mouvement s’est amorcé au fil des années.

: la figure paysagère, et le plan des transformations.

Le centre-ville autour du quartier Bouffay s’est

Elle impulse aussi la construction du nouveau CHU

d’abord déplacé vers les places Graslin et Royale.

et de toute la partie sud-ouest de l’ile.

Aujourd’hui, c’est au tour de l’hyper centre. La passerelle Victor Schoelcher le relie au Nord-Ouest

Le plan des transformations peut être vu comme

de l’Île Nantes, et réduit au maximum la distance

le successeur du plan guide. Avec l’utilisation du

entre les deux sites. Ce qui fait de l’Île de Nantes

mot « transformation » et de l’expression « point

un métacentre, c’est-à-dire un centre à côté d’un

opportunité », s’installe un nouveau type de

centre.19», explique-t-il.

vocabulaire urbain qui dégage volontairement un

Cette réflexion apparaît comme particulièrement

caractère moins autoritaire. Ainsi la figure paysagère

intéressante car elle annonce une véritable

a pour objectif de « recoudre et rassembler18 » .

recherche sur les modes de vie urbains.

De même, le développement de la mobilité, des

Comment vit-on dans un métacentre ?

transports en commun jusqu’ au développement du réseau vélo, a pour objectif de connecter les

Fig 14 : Plan des transformations [page suivante] Fig 15 : Trame paysagère [page suivante] Fig 16 : Mail des chantiers

002 31

18 et 19 : SAMOA, « Iles de Nantes phase 2 », catalogue de l’exposition du hangar 32, Nantes, 2015

Un urbanisme pragmatique ?

différents quartiers de l’île entre eux.


01 32

la trame paysagère


01

33



01

003 LA TEMPORALITE JUSQUE DANS L’ACTE ARCHITECTURAL ? CADRAGE SUR LE LIEU UNIQUE DE PATRICK BOUCHAIN Nantes semble cristalliser les même interrogations

pour questionner le projet architectural qui dessine

que celui-ci ceci à une moindre échelle . Dans ce

la ville. La première interrogation étant celle-ci

projet Patrick Bouchain questionne les notions

: Si le temps est à l’œuvre dans la ville, dans les

de processus, de modularité.

projets urbains, doit-il aussi intervenir à l’échelle

« Je crois au provisoire, à la mobilité des choses,

architecturale ? Doit-on avoir des projets qui

à l’échange. Et je travaille à créer en architecture,

s’inscrivent dans un réel processus, qui permettent

une situation dans laquelle la construction pourra

une évolution, qui questionnent la finalité ?

se réaliser d’une façon et produire de l’inattendu,

Le Lieu Unique est construit sur l’ile en 1999, siège du

donc de l’enchantement […] pour atteindre ce but :

CRCD de Jean Blaise qui cherche à se sédentariser.

s’inscrire dans le contexte, connaître la règle, ne pas

Il prend place dans l’ancienne biscuiterie LU. C’est

agir mais transformer, faire le moins possible pour

l’œuvre de l’artiste Patrick Bouchain et de ses

donner le plus possible, entraîner tout le monde,

collaborateurs. Ce projet enclenché quasiment

interpréter, donner du temps, transmettre, ne

en même temps que le projet urbain de l’ile de

jamais faire pareil…20» Patrick Bouchain

Fig 17 : Façade nord du Lieu Unique

003 35

20 : Propos de Patrick Bouchain publié par CATSAROS Christophe, Le lieu unique, le chantier, un acte culturel à Nantes, Arles, Actes Sud, 2006, 95p

la temporalité jusque dans l’acte architecturaL ?

Ici nous dépasserons l’échelle du projet de ville


01

FAIRE DU CHANTIER UN ACTE CULTUREL Le premier acte de réflexion de Bouchain intervient

à présent du site pour le faire visiter, pour annoncer

dès la construction du chantier. Pour lui la mise

le futur, pour l’expliquer aux futurs visiteurs du

en place du projet fait partie intégrante de celui-

Lieu Unique. Le site, avant même la première

ci. Comme pour le projet urbain de Chemetoff,

pierre, est déjà habité par sa vocation culturelle.

il imagine un aller-retour entre le concepteur et

Patrick Bouchain questionne aussi le temps par le

l’ouvrier grâce à l’utilisation du carnet de détail,

positionnement entre le passé et le futur. Il imagine

véritable outil de dialogue ; mais aussi avec

le « Grenier du siècle», pour la façade faisant face

l’usager qui prend déjà sa place au sein du lieu. «

au palais des congrès. Celle-ci va donc accueillir des

L’intervention se construit au fur et à mesure de sa

boites contenant des milliers d’objets du quotidien.

progression, s’efforçant de tirer profit de l’expérience

Peut-être dans plusieurs années quelqu’un choisira

du chantier. Des choix sont faits et défaits en cours

de les ouvrir pour redécouvrir une époque passée.

de route. […] ainsi celui qui est appelé à se servir de l’équipement se trouve directement impliqué dans

Le temps prend donc une place prédominante dans

sa construction. Ses conseils se révèlent précieux,

le projet. L’artiste va encore plus loin en choisissant

et les ajustements qu’il apporte permettent

de laisser l’édifice dans un état d’inachèvement.

l’adéquation quasi idéale de l’aménagement à

L’absence d’un enduit de finition semble annoncer

sa fonction future. » L’expression « processus de

qu’à tout moment l’on pourrait reprendre le

construction » prend ici toute sa résonance, on

chantier. Le processus appelé par Bouchain ne doit

construit un édifice, mais aussi une vie, une envie,

pas s’arrêter avec la fin de l’étape du chantier. Le

un usage.

Lieu Unique doit vivre et continuer à évoluer.

36

003

La temporalité jusque dans l’acte architecturaL ?

21

Cela fait écho à des propos tenus par Toyo Ito et « Ainsi le chantier est tâtonnant, non par

recueillis par Robert Kronenburg : Le concepteur

défaillance, mais parce qu’il est perçu comme un

japonais « recherche une architecture fluide qui

processus voué à s’enrichir en progressant. Les

n’est achevée que lorsque les gens habitent et

corrections deviennent des perfectionnements au

utilisent le bâtiment24 »

lieu de rester, comme la pluparts des cas, les traces flagrantes d’un échec.22» C’est le processus qui fait le projet et non le projet qui est en processus. Patrick Bouchain se réfère alors aux artistes actuels pour qui le « procédé où le faire compte autant que le résultat fini23». Concrètement cela se traduit par l’ouverture du chantier au public et la mise en place d’une médiation. Les commanditaires, les futurs intervenants et médiateurs prennent possession dès

Fig 18 : Façade du Lieu Unique Le grenier du siècle 21, 22 et 23 : Ibid note 20 24 : KRONENBURG Robert, Flexible, une architecture pour répondre au changement, Paris, Norma, 2007, 239p.


01

la temporalitÊ jusque dans l’acte architecturaL ?

003 37



01

LA MODULARITE : UNE ARCHITECTURE POUR REPONDRE AU CHANGEMENT La modularité comme élément du projet voit

seulement une qualité formelle du site, mais bien

le jour avec l’architecture Moderne puis sera

une disposition intellectuelle.25» Il faut permettre

fortement repris par la suite. Cédric Price est l’un

à l’usager de se saisir de cette modularité. Dans

des premiers à s’en saisir et à prolonger plus loin

son projet, la modularité atteint le programme

qu’une simple question de murs qui bougent.

en lui-même, elle fait le sens de l’usage. Elle n’est

Il imagine une architecture flexible qui a pour

pas un simple élément conceptuel. Par exemple

ambition de s’adapter au monde en évolution, de

les gradins télescopiques permettent l’accès à

dépasser les limites établies, de ne pas stagner.

nombre de spectateurs choisi, tandis que le théâtre

L’Inter Action Center à Londres est constitué d’une

peut aussi devenir un lieu d’exposition où les

charpente métallique dans laquelle il intègre des

gradins ne sont pas nécessaires. Le programme,

volumes préfabriqués que l’on peut bouger pour

le fonctionnement du Lieu unique dépend

créer des espaces plus ou moins grands, que l’on

de la modularité et en même temps c’est la

peut aussi carrément enlever. Ce projet est la

modularite qui le permet qui le conditionne.

traduction d’un projet antérieur : le Fun Palace, qui

C’est probablement cette double ambiguïté, ce

lui propose l’installation de grues au sein même du

paradoxe qui fait de l’œuvre de Patrick Bouchain

projet pour mettre en place les murs, les escaliers,

à Nantes un lieu « unique » et possible.

les volumes au grès des besoins des usagers. Cédric Il est vrai que la fonction même du bâtiment, comme

». Il inspirera les travaux de Peter Cook d’Archigram

lieu culturel ouvert à une multitude de propositions

et de Richard Rogers. Dans sa proposition pour

facilite le traitement de la question de la modularité.

les Potteries Thinkbelt il va encore plus loin et re-

La modularité et la flexibilité redeviennent au

questionne le sens du programme en lui-même,

centre des réflexions architecturales, mais aussi

il interroge ce que peut être une université, en

urbanistique.

l’imaginant flexible, en mesure d’évoluer sur des

Nous pouvons donc voir le projet de Patrick

kilomètres de voies ferrées abandonnées.

Bouchain comme une proposition pour une architecture autrement. Une architecture qui

Toutefois l’histoire montre que le principe de

dépasse les limites de l’espace pour interroger

modularité restera souvent de l’ordre de la théorie,

l’usage et le public, pour réconcilier espace vécu

du concept. Il est très peu appliqué et applicable.

et espace conçu.

Patrick Bouchain explique que « la modularité trouble les adeptes des formes architecturales fortes, les puristes en tous genres qui y voient l’écriture. » Effectivement« la modularité n’est pas

25 : Ibid note 20

003 39

l’incertitude, la précarité et l’ambigüité dans

Fig 19 : Le fun palace de Cédric Price [page suivante] Fig 20 : Hall du lieu unique

la temporalité jusque dans l’acte architecturaL ?

Price qualifie son travail « d’architecture réceptive





02

UNE RECONCILIATION POSSIBLE ENTRE VILLE CONÇUE ET VILLE VECUE


44

02


02

001 LA CULTURE COMME UN ELEMENT FEDERATEUR ET UN ACCELERATEUR DU PROJET URBAIN ? Depuis l’arrivée de Jean Blaise sur l’ile, la culture est

Reste que la culture est très difficilement

devenue un élément central de la politique publique

définissable, qu’implique donc la ville quand elle

nantaise. « L’objectif : créer une ville où il fait bon

parle de culture ? Il semblerait que Nantes profite

vivre s’adresse à toutes les populations et veut être

de l’absence de limites pour ce champ. Depuis

exemplaire en matière de développement durable.

peu, la culture est vendue comme un support

Une spécificité : un territoire d’expérimentation et

démocratique qui favorise le rassemblement et la

d’innovation reconnues, où la culture est affirmée

mixité sociale. Pour ce faire, la culture doit quitter

comme un accélérateur du projet urbain26». En effet,

les institutions (musée, galerie…) pour venir à la

quoi de mieux que la culture pour donner à une

rencontre des habitants. La ville se sert donc de la

ville, un projet une image moderne et dynamique.

culture pour se promouvoir, tandis que la culture

La culture appelle aussi à l’ouverture et invite donc

elle se sert de l’espace public, de nouveaux lieux

les habitants à s’approprier la ville, l’espace public,

hybrides pour se démocratiser. Cette rencontre

l’espace culturel.

amène alors à la création d’une véritable

Fig 21 : La troupe Royale de luxe dans les rues de Nantes

001 45

26 : SAMOA, « Iles de Nantes phase 2 », catalogue de l’exposition du hangar 32, Nantes, 2015

la culture élément fédérateur ?

économie urbaine


02

UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE L’EVENEMENTIEL Il semblerait que Jean Blaise soit véritablement un

L’enjeu défini par la ville est « d’inviter à une

précurseur en matière de culture et de politique

appropriation individuelle et collective du territoire

culturelle. Très vite il a compris l’intérêt qu’il y avait

par l’art de l’irruption et à la volonté de déroger à

à dé-institutionnaliser la culture. Avec le festival

l’ordinaire28». Dans la ville le voyage à Nantes prend

des Allumées, puis avec le Lieu unique et enfin

place grâce à une ligne verte peinte au sol qui guide

avec la création du voyage à Nantes il cherche à

le passant vers les différents lieux aménagés.

prendre véritablement le contre-pied du système.

L’ile de Nantes accueille aussi « les machines de

Un musée est une institution ouverte en journée,

l’île » issue du festival des Allumées. Ce concept

et quasiment toute l’année. On peut se dire «

oscille entre investissement dans l’espace public

j’irai une prochaine fois », où « la journée moi je

et exposition. C’est ici un véritable univers qui est

travaille ». La proposition culturelle de Jean Blaise

créé entre mécanique et magie, entre modernité

se tisse un réseau d’évènements. Ces évènements

et histoire. Les nefs furent l’une des premières

sont uniques, temporaires et s’installent sur des

expérimentations de réhabilitation d’un hangar

périodes plus accessibles comme le soir, pendant

industriel. Elles donnent naissance à un lieu

les vacances… Il interpelle, invite, associe la

complétement hybride, un support, avec un espace

population à la culture. Bref, il essaye de briser le

semi intérieur, semi public qui abrite l’éléphant

côté inaccessible, voir même pompeux que l’élite

géant, un musée, une boutique et parfois des

du 20e siècle a égoïstement établi.

évènements. C’est un lieu complétement évolutif. Les machines donnent à l’île une réalité mystérieuse

Le voyage à Nantes est un parcours urbain

comme au temps où des vaisseaux y étaient

culturel, c’est une suite d’évènements culturels

lancés vers tous les voyages du monde. C’est

plus ou moins éphémères qui mettent en scène

une invitation au voyage et à l’histoire. Les jours

des œuvres d’art et qui prennent place dans tout

fériés et les weekends l’éléphant sort du bâtiment

l’espace public nantais. Il connait son apogée

pour se promener sur l’esplanade suscitant ainsi

pendant la période estivale. « Un parcours sensible

l’émerveillement des petits et des grands

46

001

La culture élément fédérateur ?

et poétique : Du lieu unique à la pointe Ouest de l’Île de Nantes, Le Voyage à Nantes invite à se laisser

Ces deux exemples nous montrent là encore

conduire toute l’année d’une œuvre d’art qui surgit

une volonté d’alternative et d’hybridation. Le

au détour d’une rue à un élément remarquable de

développement d’une politique culturelle locale

notre patrimoine, des « incontournables » de la

permet le décloisonnement et l’apparition

destination à des trésors méconnus, d’une ruelle

de nouvelles pratiques plus populaires, plus

historique à une architecture contemporaine, d’un

accessibles. On se place entre institutions

point de vue étonnant sur la ville à un incroyable

codifiées et festival de rue informel. En ce sens,

coucher de soleil sur l’estuaire.27» Le voyage à

elle revêt un rôle résolument fédérateur. C’est

Nantes est un véritable moyen de promotion de la

une sorte de bulle de foisonnement sans limite

ville avec même la création d’un site web. C’est la

pour réjouir le plus de personnes possibles.

mise en avant de la singularité comme élément identitaire de la ville.

27 et 28 : Nantes métropole, « Le voyage à Nantes », Guide institutionel, Nantes, 2014


[Du haut vers le bas, de la gauche à la droite] Fig 22 : la cantine du voyage, voyage à Nantes 2014 Fig 23 : les autres hotes, fichtre, voyage à Nante 2014 Fig 24 : détroit architectes, balapapa, voyage à Nantes 2014 Fig 25 : esplanade des traceurs de coquess Fig 26 : extérieur des nefs - sortie de l’éléphant Fig 27: intérieur des nefs - le musée des machines


02 La culture élément fédérateur ?

001 48

FAVORISER L’EFFERVESCENCE GRACE CONCENTRATION DE LIEUX DE CREATION

A

UNE

Mais Nantes ne s’arrête pas là, elle surfe encore plus

explique cette concentration par une volonté de

sur la vague culturelle en cherchant à concentrer

développer des passerelles entre les différents

les lieux de la création. Elle offre un support au

métiers, décloisonner la pratique, les disciplines.

foisonnement culturel. L’île voit apparaitre le

Peut-être cette effervescence créative va-t-elle

quartier de la création avec le développement d’un

nourrir la ville, l’enrichir au point d’améliorer les

panel d’outils la favorisant : école d’architecture,

conditions de vie, de donner une identité à la ville

des beaux-arts, de la danse, des arts numériques,

et lui donner un rayonnement international.

pépinière des métiers de la création. La Samoa

L’on voit que la culture devient un enjeu


02

programmatique, économique et de markéting

domaines de la création et de l’innovation, tout en

urbain…A travers toutes ses initiatives, ses

donnant une identité à la ville. Dans le cadre du

activités, ces évènements (partie précédente)

projet urbain, elle permet de le donner à voir, de

la ville met en place une sorte de trame de fond

le rendre plus accessible, plus appropriable.

compilant recherche de cohésion et volonté d’associer les gens. La culture dans sa pluralité devient un véritable levier économique. Elle permet de développer des emplois dans les

Fig 28 : Le quartier de la création

la culture élément fédérateur ?

001 49



02

002 LE PARTICIPATIF : UNE AFFAIRE DE POLITIQUE ? l’affaire de tous, et qu’ils remportent l’adhésion

largement révélé ses limites notamment à cause de

du plus grand nombre29. Pour cela comme l’a dit

la figure du « décideur unique » qui a tendance à

Gandhi « tout ce que vous faite pour nous, sans

imposer sa vision des choses et nie la complexité

nous, vous le faite contre nous ». Le participatif

du fait urbain. Alexandre Chemetoff avec son «

apparait comme un moyen de se faire entendre

plan guide » ouvre réellement la porte au dialogue,

différemment. C’est une nouvelle façon de prendre

avec un certain nombre d’acteurs mais aussi avec

les décisions, c’est donc nécessairement une affaire

les habitants. Il invite au développement des

de politique. Elle varie alors entre engouement et

méthodes participatives.

scepticisme, les élus y voient parfois une perte de

Le développement de ces méthodes fait pour moi

légitimité ou jouent la carte du markéting urbain.

écho aux propos de Kévin Lynch sur la question de

Il faut donc chercher à définir réellement ce que

l’appropriation. Les décideurs peuvent faire tous les

qu’est le participatif, et comment il s’applique à

changements que l’on souhaite dans une ville, un

l’urbanisme.

quartier, le plus important c’est qu’ils deviennent

Fig 29 : Rencontre citoyenne au Hangar 32 à Nantes

002 51

29 : LYNCH Kevin, L’image de la cité, Paris, Dunod, 1976, 221p.

Le participatif : une affaire de politique ?

Nous avons vu que l’urbanisme autoritaire avait


02

LE DEVELOPPEMENT D’UNE PENSEE LOCALE POUR UNE TRANSVERSALITE DES APPROCHES Aujourd’hui, la France connait une dépolitisation de

du commerce renforce l’idée que le la nation n’est

la société, un fort taux d’absentéisme aux élections

plus le seul cadre pertinent d’analyse. La ville

et une perte de confiance envers les politiciens

devient une entité de plus en plus indépendante.

qui se traduit par la monté du parti d’extrême

Dans ce contexte certaines villes entrent alors en

droite, Les décisions prisent se référant aux

concurrence. Une véritable course à l’innovation

logique de l’économie globale semblent inutiles

est lancée. Jean Haëtjens développe ainsi l’idée

et obsolètes. Les Français prennent conscience

que : « Le rôle des villes seraient d’aller chercher une

de la nécessité d’une politique du sur-mesure qui

croissance qui se fait rare en inventant des formules

intervient sur les territoires comme une véritable

économiques innovantes combinant ouverture

couturière. Cependant pour le moment l’appareil

internationale, créativité, attractivité résidentielle et

d’administratif de l’Etat n’en n’est pas capable. Il

valorisation des ressources locales.31» La recherche

constitue une sorte de « dinosaure », un organisme

pour la « croissance économique » se traduit par la

tellement vaste et structuré qu’il s’avère incapable

nécessité de créer de nouvelles approches. Certains

de piloter la transition économique, écologique, et

élus locaux voient dans le décloisonnement des

énergétique dont a besoin le pays. La progressive

disciplines, dans l’explosion des institutions un

perte de pouvoir de l’Etat providence et de sa

moyen de lancer une nouvelle économie. Chaque

démocratie représentative est de plus en plus

ville devient alors un laboratoire soigneusement

théorisée par les sociologues et les économistes.

observé par les autres. L’on comprend qu’à

Le problème le plus conséquent semble venir de

l’échelle locale le changement de paradigme est

l’échelle d’intervention des politiques publiques,

plus facile, plus réalisable même.

52

002

Le participatif : une affaire de politique ?

une politique de plus en plus localisée se développe alors. Les villes acquièrent de plus en plus de

En parallèle Mme Najat Vallaud-Belkacem défend

pouvoir, d’indépendance dans leur prise de

l’idée que « Si les habitants ne s’approprient pas

décision.

les projets, l’intervention publique sera contreproductive ». Le développement de la pensée

Le développement du local coïncide avec le réveil

locale permet de requestionner les principes du

des villes. « Les villes de toutes tailles ont désormais

participatif. La notion « d’empowerment » voit le

compris qu’elles n’avaient rien à attendre de la

jour. C’est un processus qui vise à permettre aux

macro-économie et qu’il leur appartenait de prendre

individus, aux communautés, aux organisations

en mains leur destin.31» explique Jean Haëntjens.

d’avoir davantage de pouvoir d’action et de

Les nouveaux réseaux économiques installés grâce

décision, plus d’influence sur leur environnement

à la mondialisation dépassent les limites étatiques.

et leur vie. Il ambitionne de changer la société et

Les villes s’inscrivent dans des réseaux d’échanges

porte le progrès social et la réduction des inégalités.

internationaux propres à chacune. Cette évolution

Les villes ont pris conscience qu’elles dépendaient


02

essentiellement de leurs habitants et de leur implication dans le territoire. Le pouvoir repose sur la capacité à mobiliser autour d’un objectif commun et la démocratie participative permet la construction d’un désir collectif. Ce principe ce traduit notamment par le développent d’une gouvernance dite urbaine. A l’échelle de la ville, politique et forme urbaine, spatialité et socialité sont connectées, l’urbanisme acquièrt un réel rôle sociétal. Des méthodes collaboratives sont tentées comme à Grenoble et Mulhouse, notamment lors de la conception des projets urbains.

Le participatif : une affaire de politique ?

002 53

30 et 31 : HAËNTJENS Jean, « De la gestion municipale au pilotage des mutations », Urbanisme, 2014, n°392, p64-66.


02

LA LUTTE POPULAIRE POUR SE FAIRE ENTENDRE A l’origine de la démocratie, seul ceux qui payaient

L’un des exemples le plus marquant de recherche

le cens l’impôt, pouvaient voter. Pour pouvoir

est sans doute le familistère de Guise. Conscient

s’exprimer, se faire entendre il fallait donc faire

de l’injustice de la condition ouvrière, J.B Godin

partie des classes supérieures. Aujourd’hui on

a mis sa réussite financière au service de ses

parle de démocratie à suffrage universel pourtant

travailleurs. Il conçoit un ensemble de logements

certains révèlent l’existence d’un « cens caché

collectifs qui proposent hygiène et confort pour

». Tout le monde a le droit de s’exprimer mais

tous quels que soient les revenus. Ces logements

chacun est plus ou moins écouté. La démocratie

sont accompagnés de boutiques coopératives,

représentative actuelle fonctionne par l’élection

d’une école, d’une bibliothèque... Le familistère

d’élus, de décideurs estimés plus à même, du fait

était quasiment un microcosme autonome. Cette

de leur éducation à représenter nos intérêts. Le

proposition de vivre ensemble constitue sans

système politique implique donc un caractère

doute le premier exemple de projet urbain qui

élitiste qui induit une profonde difficulté pour

associe spatial et social. Cependant il reste une

les classes populaires à s’exprimer et faire valoir

réalisation guidée par un pouvoir « descendant »,

ses intérêts. Le principe de l’empowerment et la

par une élite.

question de l’implication populaire n’est donc pas nouveau. Depuis longtemps l’on se demande

La ville de Chicago a elle aussi eu son activiste

comment donner une voix à ceux qui en ont besoin.

opposé à la machine politique et aux institutions

54

002

Le participatif : une affaire de politique ?

contraignantes. Saul Alinsky élabore à partir de


02

1939, une méthode d’intervention des travailleurs

qui inclut tous les acteurs de la ville et donc ses

sociaux pour un des quartiers misérables de la ville.

habitants. Une ville ne doit pas être seulement un

Il milite pour l’organisation et la prise en compte

ensemble d’administrations, d’aménagements, et

des droits et de l’autonomie des plus opprimés,

d’économies mais un territoire vécu. Ces exemples

pour que la prise de décisions soit le résultat

nous indiquent que peu à peu émerge l’idée

d’un consensus et d’un compromis. Pour lui la

que l’esprit de la cité résulte avant tout de

résolution des conflits passe par l’écoute des

l’engagement de ses habitants dans les affaires

gens de « l’intérieur ». Il connaitra de nombreux

publiques. L’on comprend que le participatif est

disciples dont Barack Obama et Hilary Clinton.

bien plus qu’un outil de conception, c’est une sorte

En France, l’arsenal participatif s’est largement

nait pas citadin, on le devient32».

diversifié depuis les années 70 qui voient le développement de la sociologie urbaine. En 1972,

Il apparaît que plus qu’une mode, l’approche

on crée des instances de consultation, en 1983,

participative est une nécessité qui s’est

la loi Bouchardeau démocratise les enquêtes

développée peu à peu par la volonté des classes

publiques, le 6 février 1992, une loi définit une

modestes à se faire entendre. Nous sommes

plus grande transparence des institutions, etc…

face à la montée d’une gouvernance locale plus

La loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain)

itérative.

du 13 décembre 2000 renforce la concertation. Une multitude d’associations voient le jour et militent pour le développement d’une démocratie conscience des enjeux d’un processus décisionnel

32 : PAQUOT Thiery, L’urbanisme c’est notre affaire !, Nantes, L’Atalante, 2010, 174p.

002 55

locale participative. Il y a une réelle prise de

Fig 30 : Familistère de Guise Fig 31 : Saul Alinsky à Chicago

Le participatif : une affaire de politique ?

de principe politique, sociale et spatiale. « On ne


02

LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE : DECORATION OU MOYEN D’ACTION ? François Ascher propose une définition très

maillon d’une évolution politique plus vaste. C’est

pertinente de la démocratie participative «

aussi un moyen de dépasser les inégalités (d’action,

La participation des habitants, des usagers

d’écoute…) dans une société très élitiste.

conception des décisions locales, voire de leur

Pour résumer, Marion Carrel

mise en œuvre, est une nécessité pour adapter

de développer le participatif. La première est

la démocratie représentative aux exigences de

l’impossible argument d’autorité. Avec l’explosion

la société contemporaine. Mais elle n’est pas une

du savoir, la bonne décision semble être possible

alternative. Elle est en complément. Toutefois elle

uniquement après la consultation des citoyens. La

porte avec elle un projet de société fonctionnant

seconde raison est qu’une décision prise à plusieurs

plus au compromis et au consensus, et moins au

est forcément meilleure. Le savoir de personnes

conflit.33 » Le participatif serait donc un moyen de

concernées ne peut que contribuer à la définition

construction de l’intérêt général. Il porte un projet

d’une meilleure réponse. La troisième raison est

de société où l’expertise ne serait plus le monopole

celle de la transparence pour permettre « une contre

du pouvoir exécutif. La société tend vers la

démocratie », un contrôle de ceux qui prennent les

dissolution du principe de la « monoculture », que

décisions. Les élites ont des comptes à rendre à la

ce soit pour la politique, l’économie, la conception,

population. La dernière raison est la transformation

et même l’agriculture. La méthode participative

de la violence en conflit démocratique. C’est rendre

semble donc amenée de nouveaux idéaux plus

publique et explicite les sources de la violence.

pragmatiques et plus humains mais n’est qu’un

Si l’apport positif que peut amener le participatif

LA DÉMOCRATION PARTICIPATIVE NSP

8%

42%

48% ASSEZ BONNE CHOSE

56

002

Le participatif : une affaire de politique ?

de la ville et d’acteurs de la société civile à la

A DÉVELOPPER

TRÈS BONNE CHOSE

34

définit 4 raisons


02

semble de plus en plus reconnu, faire de la bonne

les faiseurs de ville vont connaitre des difficultés

participation apparait comme plus compliqué. La

à expliquer aux habitants que l’enjeu n’est pas

participation ne doit pas être un objectif, mais un

de décider où l’on va mettre de la pelouse mais

outil pour atteindre la résolution d’un problème.

concerne des questions plus profondes. Pour

La démocratie participative connait ses limites

certains l’absence d’éducation est un réel obstacle

dans l’acceptation de celle-ci. Les élus ne voient

à l’expression des classes populaires, alors que

pas toujours d’un bon œil ce type d’action car

pour d’autres c’est justement la personne qui porte

pour eux elle signifie une perte de légitimité, de

les chaussures qui peut dire où elles font mal pour

pouvoir. La non-acceptation peut également venir

que le cordonnier les répare.

des personnes mêmes pour qui on tente de la développer. Il demeure un pessimisme ambiant,

Nous voyons donc que les principes participatifs

les idées révélées durant les conseils citoyens, les

sont évidemment plus compliqués à mettre en

place dans la réalité que sur le papier. Il émerge conseils de quartier, etc. ne sont LA pasDÉMOCRATION souvent pris PARTICIPATIVE en compte par les décideurs qui y voient souvent

néanmoins des cas de production collaborative

réussis. Voyons maintenant comment Nantes a une complication de leur travail. Réussir à mobiliser NSP les habitants et intégrer leurs revendications

choisi de s’emparer de cette notion.

peut décourager même les plus convaincus. 8% Le participatif revêt alors davantage un caractère consultatif qu’un réel moyen d’action et d’écoute.

42%

La dernière limite évoquée par les théoriciens du mode collaboratif est la question du langage. 48% ASSEZ Du même ordre qu’un médecin va avoir du mal BONNE

à expliquer à son patient CHOSE de quoi il est atteint,

Fig 32 : Enquête des attentes sur la TRÈS BONNE démocratie participative Source : Les échos CHOSE 33 : ASCHER François, Les nouveaux compromis urbain, lexique de la ville plurielle, La Tour-d’Aigues : Edition de l’Aube, 2008, 141p. 34 : CARREL Marion, Faire participer les habitants, Paris, ENS édition, 2013

NSP

PAS IMPORTANT

TRÈS IMPORTANT

18%

26%

54%

002 57

ASSEZ IMPORTANT

Le participatif : une affaire de politique ?

A DÉVELOPPER



02

003 L’ILE DE NANTES, UNE PRODUCTION CITOYENNE ? Les élus nantais peuvent se vanter d’avoir saisi

L’ile de Nantes cherche bien à développer les

le vent, les avantages de la production citoyenne

actions citoyennes au sein de son territoire. L’ile

en favorisant son émergence à travers plusieurs

se présente comme un véritable terreau pour

impulsions. Leur premier terrain de travail fut donc

l’émergence d’initiatives participatives. Il existe une

celui de la médiation. En premier lieu, la ville ouvre

sorte de consensus entre les associations, les élus

le hangar 32 qui a pour objectif de communiquer

et les habitants. Il faut le développement initiatives

sur le projet urbain mais aussi sur les projets

citoyennes non encadrées, non institutionnalisées

architecturaux en sortant du cadre commerciale

pour permettre aux habitants de « s’emparer » du

que peut induire les promoteurs. L’ile de Nantes

territoire. La démocratie participative nantaise

c’est aussi une série de publications, un journal

oscille donc entre collaboration induite et

mensuel et une chaine Dailymotion qui montrent

participation improvisée qui permette la

les questions posés, les initiatives déjà prisent.

construction de la « maitrise d’usage ». L’ile de nantes, une production citoyenne ?

Les palissades de chantier deviennent elles aussi un moyen de révéler les projets aux passants.

003 59

Fig 33 : Les outils de médiations du projet urbain


02

LE PARCOURS GREEN ISLAND : ENTRE SENSIBILISATION ET CO-CONSTRUCTION En 2013, à l’occasion de la réception du titre “Nantes

Le concept de l’évènement va aussi mettre en avant

Capitale verte de l’Europe 2013”, la ville organise

le partage et l’échange à travers des principes de co-

le « green Island » qui condense tout le savoir de

construction et de collaboration entre l’urbaniste,

la ville : un parcours composé d’évènements, de

le paysagiste et l’usager. Le « faire ensemble »

propositions éphémères initiative d’étudiants,

permet d’accélérer les envies, les besoins du « vivre

d’association, de collectifs… Ces propositions (plus

ensemble ». Il semblerait que l’on est beaucoup

de 70) se retrouvent aussi autour de la question

plus attaché à un projet si l’on y a pris part, même

du développement durable avec par exemple la

de façon minime. Cet attachement favorise ensuite

construction d’un jardin partagé, où d’une place de

l’appropriation du lieu, et du quartier. Le parcours

quartier éphémère. A travers des activités simples,

Green Island permet de sensibiliser les citoyens aux

variées et surtout qui rassemblent. L’ile de Nantes

besoins du collaboratif, leur montrer que l’on peut

permet aux habitants de découvrir des nouveaux

les écouter en dehors d’un processus politique. Ils

modes de sociabilité et de partage de l’espace

peuvent s’engager pour leur quartier, prendre part

public. Ce parcours a aussi pour objectif de nourrir

à la conception de leur futur chez eux, de leur ville.

le projet urbain. Ici on explore de nouveaux usages

Il émerge aussi ici une notion résolument

et insuffle des dynamiques citoyennes au sein

nouvelle

des micro-quartiers qui composent l’île. Ainsi les

interdépendants

installations expérimentales préfigurent la création

réinventer la ville. La culture permet aussi

d’espaces publics pérennes.

d’éduquer l’habitant, de lui montrer de nouvelle

La déambulation des visiteurs est donc une

porte dont il peut se saisir.

:

usage

et et

appropriation indispensable

sont pour

incroyable opportunité pour la Samoa de

60

003

L’ile de nantes, une production citoyenne ?

permettre aux habitants, futurs comme actuels de venir intervenir dans l’espace public, de se saisir des propositions pour se les approprier. Nous sommes face à un nouveau type de programmation événementielle qui au-delà d’un projet culturel permet de sensibiliser, d’interpeler et d’engager les Nantais. Mathieu Picot35 qui a travaillé sur le projet écosphère nous explique par ailleurs que le parcours pousse à sortir de chez soi, à devenir acteurs de son quartier sans passer par l’intermédiaire des pouvoirs publics. Ces nouveaux usages apportent une sorte de liberté à l’habitant, ils créent de nouvelles possibilités.

[Du haut vers le bas] Fig 40 : Construction participative du projet écosphère Fig 41 : Le projet écosphère par Eco campo paysage Fig 42 : Le projet Baril[e]s par Antony Rollier 35 : Membre de l’atelier Campo interviewé à l’occasion d’une vidéo réalisé par la Samoa




02

LES ATELIERS CITOYENS DE LA SAMOA La Samoa a fait le choix d’intégrer les principes

l’habitat, les commerces de proximité, les transports

participatifs à travers la création des ateliers citoyen.

et l’accessibilité. Ces 6 thèmes sont bien plus vastes

Ils prennent la forme de workshops qui invitent une

que le cadre du projet urbain. Les débats amènent à

vingtaine de Nantais à venir s’assoir au tour de la

la création de compromis, de consensus où chacun

table de débat. 1/3 des personnes présentes sont

accepte les besoins des autres. L’atelier citoyen

des habitants de l’ile, un autre tiers est composé

débouche alors à la rédaction d’un texte qui suscite

d’habitants de Nantes, et le dernier tiers est

l’adhésion de tous.

constitué d’habitants venant de la communauté La Samoa explique qu’elle entre ensuite dans

territoire est constitué. L’organisation des ateliers

une nouvelle phase de réflexion du projet pour

suit toujours les mêmes principes. L’on commence

tenter d’intégrer les revendications, les idées

donc par une phase d’information, des chargés

élaborer durant les ateliers.36 Cette phase n’est

de médiation viennent apprendre à ses nouveaux

finalement possible que par le caractère temporel

acteurs le savoir nécessaire à la compréhension du

du projet de l’ile. Les ateliers ont un sens car la ville

projet, de l’urbanisme. C’est une sorte de phase

se fait pas à pas. Les organisateurs des ateliers ont

d’éducation, pour voir la ville autrement. C’est

choisi de parler de maitrise d’usage plutôt que de

la réponse qu’a choisi la Samoa au problème du

processus participatif. Pour eux, en effet, c’est le

langage énoncé précédemment. La seconde étape

caractère « d’habitant » qui les intéresse, celui qui

est celle de l’investigation. On lance la machine de

pratique le territoire se voit confronté à de réelles

la réflexion. Les membres du workshop rencontrent

exigences qu’il faut révéler sans quoi le projet ne

différents acteurs, différents points de vu. Ils

peut pas répondre aux attentes et risque alors de

sillonnent le territoire.

susciter une forte critique et le rejet. Les acteurs

Et finalement arrivent enfin la phase de discussion,

du projet urbain, de l’urbaniste à l’entrepreneur

la dernière étape. Les participants se réunissent

ont bien compris l’intérêt aussi bien économique

autour de tables de 4 ou 5 personnes et débattent

qu’humain que pouvait apporter le dialogue et

autour de 6 thèmes : la mixité sociale, l’emploi,

l’échange.

[Du haut vers le bas] Fig 43 : Etape 1 l’apprentissage Fig 44 : Etape 3 Le débat

003 63

36 : SAMOA, « Iles de Nantes phase 2 », catalogue de l’exposition du hangar 32, Nantes, 2015

L’ile de nantes, une production citoyenne ?

urbaine de la ville. Une sorte de rayonnement du


02 L’ile de nantes, une production citoyenne ?

003 64

POUR FAIRE ET VIVRE AUTREMENT ? Le principal problème auquel sont confrontés tous

L’objectif est d’impliquer, d’attirer, de créer une vie

les entrepreneurs c’est la visibilité de leur projet.

de quartier bien avant le début de la construction

Comment pousser les gens à venir acheter un

du projet. La phase de conception devient un

bien dans ce nouveau quartier qui se construit ?

moment vécu. Scopic elle parle de créer des

Comment amener la vie ? Comment se démarquer

espaces n’ont plus habitable, mais habiter grâce à

? Ce sont finalement les principaux enjeux qui

la préparation en amont d’une vie de quartier et

questionnent élus et constructeur. C’est le but

par le développement de modes de vie innovants.

ultime. Un quartier qui n’a pas d’habitants ni

La phase de débat se fait par l’échange entre les

de travailleurs, ni de micro-économie ne peut

habitants mais aussi avec des ingénieurs, des

fonctionner. Il est vrai que l’on reproche souvent

designers, des urbanistes… L’innovation semble

aux promoteurs de ne s’intéresser qu’à l’apport

ici passer par la rencontre des savoirs faire. «

financer d’un projet, alors que l’architecte lui oublie

L’îlot a pour ambition de connecter les habitants

parfois l’importance de l’économie. Le groupement

entre eux mais aussi à leur quartier » explique

BAVAH (brémond, vinci, admi, et harmonie habitat)

la Samoa. Pour cela il est prévu d’installer une

tente alors d’adopter une posture d’entre-deux

conciergerie, un espace de co-working, une salle

grâce à l’intervention de l’agence SCOPIC et la

modulable (réunions, loisirs et événements privés),

création de l’association ïlink dans le projet de la

un laboratoire Art&D (espace créatif et culturel) et

prairie des Ducs. Pour eux l’usage est la seule porte

des jardins partagés.

pour amener la vie et donc l’économie. C’est en

L’objectif commercial est-il critiquable ? La

proposant une multitude d’usages que l’on attire la

définition d’un business model est-il pertinent ?

population. La question est alors : Quels usages ?

La rentabilité d’un projet doit-il être sa finalité ?

Quelle programmation ? Quelle innovation ? Face à

Les promoteurs ont-ils une réelle volonté sociale

ces interrogations, ils ont eux aussi fait le choix de

? Autant de question auquel nous ne pouvons

développer une stratégie basée sur le collaboratif,

répondre de par sa récente création et par le

sur la maitrise d’usage.

non aboutissement des travaux (mis 2016).


02

Fier de cette première expérience, le groupement

Cela fait écho à l’installation du solilab par les

BAV (sans harmonie habitat) décide ensuite de

Ecossolies. Cette structure temporaire prend place

créer la maison Bergeron. C’est un espace dédié

dans une friche de l’ile et accueille une multitude

à la maitrise d’usage et plus principalement

de nouveaux acteurs qui tentent d’élaborer cette

pour expérimenter de futur mode de vie. La

économie sociale et solidaire. David Beillard37

maison accueille principalement 4 associations :

explique que cette nouvelle économie ne cherche

l’association ïlink qui devient une sorte d’expert en

pas à faire de profit mais vise de répondre aux

maitrise d’usage et fer de lance d’une méthode dite

besoins sociaux. Respecter l’environnement et

inspirer des principes urbanisme participatif. Nous

créer du lien social sont là encore les valeurs de

trouvons aussi l’association studio 11/15 dédié aux

cette économie.

loisirs et à la culture pour les adolescents, ainsi que l’association la Nizanenie. Cette association qui se

Finalement les initiatives citoyennes réunies

définit comme « socio-naturelle » est notamment

autour de la maitrise d’usage semblent relancer,

l’investigatrice d’un poulailler partagé et urbain.

impulser sans cesse l’innovation dans un

La dernière association présente est le collectif

projet qui se fait pas à pas. Le foisonnement et

Emergence qui rassemble des créateurs de mode et

l’effervescence des réflexions et des initiatives

d’accessoire pour mettre en valeur leur savoir-faire

alternatives poussent le développement d’un

à travers une production en circuit court.

véritable climat d’échange et d’écoute qui pourrait bien donner à la ville sa nouvelle

Ces expérimentations ouvrent une réflexion sur

identité et faire de Nantes une véritable

les nouveaux modes d’habiter, mais aussi d’une

métropole d’avant-garde.

nouvelle économie. La question du vivre autrement ne peut pas être liée uniquement à la question de la ville. Comme l’on se demande comment faire la ville pour vivre autrement, l’économie sociale et solidaire propose elle des alternatives pour

37 : BAILLARD David, « Une autre économie est possible », Alternatives économies, novembre 2012, hors-série, p5.

L’ile de nantes, une production citoyenne ?

produire et consommer autrement.

[De gauche à droite] Fig 45 : Résidence I-link, Prairie des Ducs Fig 46 : La maison Bergeron [page suivante] Le business model établit pour le projet i-link

003 65





03

DE L’IDYLLE A LA REALITE : VERS LES PRATIQUES DE DEMAIN


03

001 L’ILE DE NANTES, QUELS APPORTS, QUEL APPRENTISSAGE ? L’ile de Nantes s’est faite dans un contexte de crise et de remise en question de la société, alors qu’apparaît peu à peu une contestation de la

TOP DOWN plan guide stratégie ouverture transversalité prendre le temps

planification autoritaire due à l’évolution des contextes et à de nombreuses études. Face à ce constat et l’état de leur ville en déclin les élus Nantais ont fait le choix du « faire autrement » mais également de « l’alternatif » et « de la continuité », et donc de l’urbanisme pragmatique. L’île se construit désormais grâce à un processus qui allie échanges, dialogues, concertations, consensus, imprévus, et expériences. A travers ce mémoire, nous avons découvert de nouveaux outils avant-gardistes qui

qualité de vie

ile de nantes mixité sociale

appropriation

ont permis de faire du projet de l’île de Nantes, un support foisonnant de l’innovation. Le changement se fait à deux niveaux : le premier est descendant, l’élite prend conscience de son incapacité à diriger seule et à définir une solution

70

001

L’ile de nantes, quel apprentissage ?

unique. L’urbain est un fait temporel et vivant qu’il faut un fait vivant approprié. Plus que d’organiser la ville, l’enjeu est plutôt de prendre en compte. initiatives

Le second niveau est ascendant, les citoyens ont

participatif

besoins d’être écoutés et de s’impliquer pour que

culture maitrise d’usage

bottom up

l’urbain deviennent lui donner un sens. Le développement de nouvelles valeurs se voit possible par la création d’un climat d’ouverture unique. Tous, élus, publics, artistes, urbanistes semblent avoir pris conscience de l’importance d’intégrer une nouvelle approche basée sur l’usage et les modes de vie. Cette volonté de renouvellement, ce cycle a permis de faire éclore


03

une multitude d’impulsions individuelles qui

des classes populaires n’aient pas été délogées, il

nourrissent la communauté, la ville. Le plus grand

s’est créé une sorte « d’entre soi » entre les premiers

apport des faiseurs de l’île a été de leur donner

habitants, les premiers arrivants qui font figure

vie, de les accueillir, de les reconnecter, de les faire

de pionniers. L’île tend à devenir un territoire

prospérer. Ainsi réunies elles ne dépassent le stage

terriblement attractif sans aucune concurrence

de cas anecdotiques et acquièrent un réel statut.

réelle dans la ville. Ainsi beaucoup de nantais vont

Nous pouvons ainsi parler de stratégie plus que de

manifester l’envie de vivre sur l’ile déclenchant une

plan.

envolée des prix de l’immobilier. Dans le cas d’un

Au total l’île de Nantes s’inscrit dans un cadre

quartier gentrifié les pionners sont souvent évincés

bien plus grand que celui du renouvellement

lors d’une seconde phase de gentrification par les

urbain. Des éléments comme la concertation,

promoteurs (sur-gentrification). Le risque est par

la démocratie participative, le consensus,

exemple que le quartier de Beaulieu encore très

l’échange, le dialogue, le temps sont autant

populaire soit détruit au profit de résidences pour

d’idéaux qui semblent pouvoir renouveler, «

des classes plus aisées et donc plus rentables. Nous

ré-enchanter le monde » d’une société balayée

pouvons donc émettre plusieurs interrogations

par l’injustice, le pessimisme et l’individualisme.

: L’arrivée massive de population ne va-t-elle pas

Cette ambiance généralisée à tous les domaines

tuer l’identité de l’ile ? Les pouvoirs publics vont-

tend à conférer à la ville son identité même.

ils réussir à maintenir une réelle mixité sociale face au dictat du capital et des promoteurs ? Le statut expérimental de l’ile ne va-t-il pas disparaître et

plébiscitée, la perfection n’existe pas. Et il faut

le projet perdre de son sens ?

aussi adopter une posture critique, notamment face à des phénomènes de mode et de stratégies de markéting urbain. La ville a en effet tendance à mettre le projet de l’île sous les projecteurs. Elle cherche à la mettre en valeur et en lumière pour promouvoir son image. Un risque apparaît alors : celui que l’ile devienne un lieu « branché » et non plus un réel lieu de mixité et d’échanges. Le cas de assez similaires aux quartiers gentrifiés38. Bien qu’ici

38 : Gentrification : Processus de transformation du profil économique et social d’un quartier urbain ancien au profit d’une classe sociale supérieure. L’augmentation des prix du foncier chasse alors les classes inférieures vers des quartiers périurbains, excentrés et souvent mal desservis par les réseaux de transport.

001 71

l’ile de Nantes fait émerger des problématiques

Fig 48 : Schéma de conclusion

L’ile de nantes, quel apprentissage ?

Même si la réussite du projet semble largement



03

002 LE PROJET URBAIN, L’AVENIR DE L’URBANISME ? des « conduites d’anticipation », caractéristiques

l’ile de Nantes et l’émergence de la notion de projet

de la modernité occidentale et de son obsession

urbain. De nombreux sociologues, urbanistes et

de la maitrise du temps prospectif et de la nature.

architectes ont tenté de comprendre ce qu’abritait

Dès lors, le projet ne serait qu’un nouveau label

cette notion, mais tous s’accordent sur la difficulté à

donnant l’attrait du neuf à des pratiques éprouvées

la théoriser. L’ouvrage de Patrizia Ingallina s’articule

de la planification. Pour d’autres, le projet serait

autour de trois grands thèmes : l’introduction du

au contraire une forme d’action rompant avec

temps, la multidisciplinarité et la participation.

les formes traditionnelles de la planification

Pour elle le projet urbain renvoie à une notion

qu’implique le passage du plan au projet.41» Cela

globale. « C’est une approche qui dépasse

implique donc que pour certains le projet urbain

les oppositions classiques entre l’urbanisme

est un effet de mode qui permet de se dédouaner

entendu comme gestion urbaine et l’architecture

de tout nouvel échec, alors que d’autres y voient

considérée comme une production artistique». «

une réelle manière de renouveler la pratique

C’est un processus itératif où les échelles de la ville

en se tournant vers une nouvelle philosophie

et de l’agglomération s’articule. » Philippe Verdier

d’action.

explique lui que le projet urbain est la réunion de

Il est facile de comprendre le comportement

cinq caractéristiques, éléments indissociables, cinq

pessimiste

thèmes de travail. (cf page suivante) Alain Avitabile

engouement qu’a connu le terme « projet » ces

propose de voir le projet urbain comme « à la

deux dernières décennies. L’image attractive que le

fois comme un courant de pensée et comme une

projet de l’île a conférée à la ville de Nantes a fait

culture de l’action urbaine. »

des envieux et nombreuses sont les villes qui ont

39

40

de

certains

face

au

véritable

suivi l’exemple de Nantes et tenté de développer leur projet urbain. Alain Avitabile fait apparaitre

opposition sur l’apport réel du projet urbain. « Pour

qu’il est très compliqué de donner un sens précis

certains auteurs le projet ne serait qu’un avatar

au terme car chacun a choisi de l’utiliser à sa façon.

002 73

Gilles Pinsons montre dans son ouvrage une

le projet urbain, l’avenir de l’urbanisme ?

Il existe une corrélation très forte entre le projet de


LE PROJET URBAIN EST EVOLUTIF ET PORTE SUR LE TEMPS LONG Le projet urbain est fondamentalement distinct du projet architectural. Il ne vise pas l’achèvement d’une œuvre mais engage un processus Le projet urbain n’est pas posé sur une table rase : il inclut l’héritage du passé Le projet urbain s’inscrit dans la longue durée (plusieurs décennies) Le projet urbain propose un futur souple ouvert aux changements

LE PROJET URBAIN INTEGRE PLUSIEURS ECHELLES Le projet urbain est pensé simultanément à plusieurs échelles : L’échelle des simulations visuelles et des perspectives facile à comprendre par l’homme de la rue, l’échelle des règles d’art et des normes professionnelles. L’échelle du micro-quartier et celle du projet d’ensemble ou de son environnement Le projet urbain peut concerner : la réhabilitation d’un quartier en crise, la création de nouveaux quartiers, la restructuration d’une commune périurbaine et même la planification stratégique.

LE PROJET URBAIN EST UNIQUE ET LOCAL DANS UN MONDE GLOBALISE Le projet urbain porte sur un lieu unique « on habite quelque part et nulle part ailleurs » Le projet urbain se distingue de la ville produit interchangeable Projeter un lieu dans son caractère unique est un acte de création d’un objet architectural Lutter contre la normalisation technocratique nécessite de nouvelles formes de démocratie locale

LE PROJET URBAIN « ABSORBE » ET TRADUIT LES ASPIRATIONS DES HABITANTS Le projet urbain porte sur un lieu unique « on habite quelque part et nulle part ailleurs » Le projet urbain se distingue de la ville produit interchangeable Projeter un lieu dans son caractère unique est un acte de création d’un objet architectural Lutter contre la normalisation technocratique nécessite de nouvelles formes de démocratie locale

LE PROJET URBAIN EST FONCTIONNEL, DURABLE ET FAISABLE Le projet urbain assure les fonctionnalités fondamentales en termes de réseaux (assainissement, fluides, voiries, accès aux centralités…) Le projet urbain ne sacrifie pas le long terme au court terme : il définit des objectifs de faible consommation de ressources et pas seulement une réponse standard aux critères formels du développement durable Le projet urbain est économiquement faisable en termes de bilan d’aménagement. Il intègre les aides publiques pour faire mieux que les opérations d’aménagement répondant aux seuls critères du marché à court terme.


03

Le terme tend ainsi à devenir un « fourre-tout »

aussi un passé industriel. L’agglomération bordelaise

et une notion un peu flou. il est donc légitime

se voit elle aussi confrontée à la question de l’avenir

de s’interroger sur l’apport réel du projet

d’une friche industrielle. L’échelle est cependant

urbain dans le renouvellement et l’évolution de

bien moindre avec une surface de seulement 50

l’urbanisme.

hectares. Les élus Bordelais semblent avoir pris conscience du sens du projet urbain. Ils définissent

Par ailleurs, Jean Paul Blais dénonce dans un article

leur nouveau quartier comme « innovant car il est

la tendance actuelle des « aménageurs » à chercher

issu de l’imprévu », « innovant car il propose une

un modèle, une référence et à l’appliquer sans

multitude d’usages nouveaux », « innovant par

réflexion sur leur territoire. « Comme si l’urbanisme

l’existence des volumes capables ». Ils se félicitent

ne cherchait qu’à reproduire avec des variations,

même de proposer une nouvelle façon de faire

des réalisations menées ailleurs.42» Le problème

la ville. Pourtant avant de leur faire une ovation

lorsque l’on cherche à copier un modèle, une

regardons ce projet un peu plus en profondeur. Les

conception comme le projet urbain est qu’on oublie

étudiants du Master IAT43 constatent un manquant

l’importance de la réflexion portée par la définition

à l’appel : le participatif. Peut-on alors parler de «

même du concept. La notion de projet urbain tend

faux projet urbain », de copie ratée ? Je n’irai pas

vers la perte de sens ? L’un des principaux risques

jusque-là mais cette observation amène à se

est la dissolution de l’identité. Si la ville devient le

questionner sur l’appropriation du terme par les «

produit d’une mode alors elle ressemble à toutes les

aménageurs ». La notion risque-t-elle de tomber

autres, elle devient commune, et n’entre plus dans

dans une falsification ?

le réseau de concurrence entre agglomération.

Il faut donc rester attentif aux possibles dérives

Le second risque énoncé par Jean Paul Blais est

de la notion. Le projet urbain n’est pas un modèle

la perte de sens de l’usage en lui-même. « Notre

à appliquer mais bien une approche, un cadre

crainte est que l’abus des emprunts, auquel

de réflexion, un processus, une méthode (terme

conduit irrémédiablement la culture des modèles,

à prendre avec extrêmement de prudence) pour

amène une indifférence des usages.» Cela se traduit

le renouvellement de l’action urbaine.

tendance observée par les sociologues. Le projet de l’ile de Nantes fonctionne par sa capacité à ne pas s’enfermer dans une façon de faire et à toujours se renouveler par l’apport d’expérimentations et de réflexions. La reproduction de celle-ci comme modèle et/ou dogme entre en paradoxe avec le caractère même du projet. Pour mieux comprendre la notion de projet urbain, les limites et le paradoxe qui apparaissent, il faut s’intéresser à d’autres cas dit de projet urbain. Nous territoire sur la rive droite de Bordeaux possède lui

39 : INGALLINA Patrizia, Le Projet Urbain, Paris, Que sais-je ? 2001, 127p 40 : AVITABILE Alain, Mise en scène du projet urbain : pour une structuration des démarches, Paris, L’harmattan, 2005, 329p 41 : PINSON Gilles, Gouverner la ville par projet : urbanisme et gouvernance des villes européennes. Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009, 420p. 42 : BLAIS Jean-Paul, « L’aménageur, roi du copier-coller ? », Métropolitiques, 26 novembre 2014, 43 : Master intelligence et architecture du territoire, Acteur réseau, Bordeaux, 2015, p79.

002 75

observons donc ici le cas de Bordeaux Brazza. Ce

Fig 49 : Les constituants du projet urbain selon Philippe Verdier

le projet urbain, l’avenir de l’urbanisme ?

ensuite par la désertification des espaces publiques,



03

003 EVOLUTION DE APPROCHE SPATIALE ET MODELISANTE DE L’URBANISME ET DE L’ARCHITECTURE Le changement est un fait difficile et complexe,

métiers qui façonnent l’avenir n’ont pas encore

pourtant il semble indispensable à notre société

été inventés. L’île de Nantes nous a montré

actuelle. Yves Chalas fait alors appel à la notion de

l’apparition de rôles inédits comme l’existence de

« pensée faible » développée par Gianni Vattimo.

médiateurs spécialisés dans le développement

« L’émergence de la pensée faible caractériserait

de la démocratie participative, de paysagistes qui

les périodes de mutations historiques, grandes

expliquent au public et intègre cet élément aux

ou petites, spectaculaires ou discrètes, où la

chantiers. Les disciplines actuelles semblent en

société se situerait dans un entre-deux, un entre

effet avoir de moins en moins de limites. Nous

deux mondes, entre deux cultures, au lieu d’une

assistons à un véritable décloisonnement des

redéfinition de la transcendance et de l’immanence

métiers, des domaines. A Nantes par exemple

qui priverait la pensée de repères impératifs et ne

le service de la culture avance main dans la main

lui permettrait que des orientations relatives.46»

avec celui de l’aménagement. Ces approches

La pensée faible est donc complexe, incertaine,

transversales, cette ouverture apparaissent comme

sans dogme et caractéristique d’une période de

un vecteur d’innovation. Le croisement des

mutation. Elle entre par conséquent en opposition

disciplines, les emprunts inventent de nouvelles

avec les grandes théories modernes. L’auteur définit

pratiques. On observe par ailleurs que le terme de

alors « l’urbanisme pratique ». Il n’obéit à aucun

« projet » qui était avant l’apanage de l’architecte

modèle, dogme ou référence. C’est un urbanisme

tend à se généraliser à toutes les disciplines. « Le

flexible qui s’adapte aux incertitudes. « Il faut des

projet n’est plus une prérogative de l’architecte. »

catégories pratiques et floues de raisonnement

nous dit Patrizia Ingallina Il est donc intéressant de

pour parvenir à penser ou à maîtriser des situations

regarder comment l’architecture peut dépasser ses

devenues incertaines». Il évoque aussi « l’érosion

frontières ? Si l’architecte n’est plus le seul à manier

de l’idéologie spatialisant » et prône un urbanisme

le projet, que devient son rôle ?

non spatialiste dont l’une des manifestations les

45

003 77

plus éclairantes serait la pratique de la concertation

evolution de l’approche spatiale et modélisante

Thomas Frey44 expose la thèse suivante : 60% des


03 et de la participation des habitants. C’est un

appropriable.48 » J’émets donc l’hypothèse suivante

urbanisme « hors projet », « un urbanisme en

: Le renouvellement de l’architecture vers une

liberté ».

pratique plus sociale, attentives aux besoins de la société doit tendre vers une approche moins

Cependant l’urbanisme pensé par les architectes

spatiale et moins modélisante.

semble bloqué dans une logique formelle. Pour eux l’urbanisme passe par une réflexion sur les

On voit à Nantes le développement de cette

formes urbaines (découpage du sol, type de bâti,

réflexion à travers notamment le travail de Patrick

techniques constructives…) comme le propose

Bouchain au Lieu Unique. Pour lui le processus de

l’ouvrage de David Mangin et Philippe Panerai sur le

création dépasse la mise en place du plan et de la

projet urbain . L’architecte semble avoir conscience

forme. C’est un moment ouvert à tous les acteurs,

du besoin d’évolution tout en restant bloqué par la

aux publics. Son architecture semble être dotée

pensée spatialisante. Il cherche à transformer les

de deux dimensions, une formelle bien entendu

règles de l’espace comme avec la réflexion sur les

mais aussi une sociale, une dimension qui raconte

ilots fermés et les ilots ouverts. Mais cette réflexion

une histoire, qui instaure l’usage et l’appropriation.

a-t elle un sens social ? Peut-être que la pratique

Ce qui est important, ce sont les processus qui

architecturale doit aujourd’hui se questionner sur

mènent à un projet, et les opportunités qui

le processus de création en lui-même, sur tout ce

ressortent de ces processus, pour les usagers,

qui la précéde ? Lucien Kroll se positionne comme

pour les instances publiques, pour tous les

un précurseur puisqu’il définit l’architecture comme

partis qui constituent et qui font vivre la ville.

un « catalyseur d’un processus créatif et d’une

Nous avons l’image alors d’un architecte médiateur,

dynamique sociale, qui en ce sens doit traduire

un gestionnaire et un organisateur d’idées.

47

78

003

evolution de l’approche spatiale et modélisante

les relations interpersonnelles dans un espace


03

Le collectif Etc tente lui aussi de développer cette

différents ateliers. L’habitant est le point de départ

stratégie, cette attitude. Le collectif est issu de

des interrogations et un acteur à part entière dans

la rencontre d’architectes, d’urbanistes et de

le projet, aussi bien comme occupant que comme

graphistes. « Notre champ d’action se situe entre

collaborateur. La volonté est celle d’encourager

l’espace et les usages. Nous ne concevons pas

l’usager, l’habitant, à agir en tant que citoyen et

l’aménagement sans l’activation de la population

l’inclure dans la réflexion.

qui lui est liée, et inversement. L’intérêt est de renouveler les temps du projet afin de mettre en

L’architecte comme responsable du design et

mouvement un espace et ses usagers, ce qui peut

de la construction évolue vers une approche

initier des moments de ré-apprentissage du vivre

où il devient un investigateur de problèmes

ensemble et redonner au citoyen un rôle d’acteur

sociaux. Le contexte actuel, caractérisé par les

de son quartier. Les habitants doivent pouvoir agir

différentes « crises » auxquels il est impossible

en transformant et en s’appropriant l’espace public.

d’échapper frappe de plein fouet la jeune

C’est ce pouvoir d’agir que nous tentons de stimuler

génération d’architectes, nombreuse et non

mais aussi de rendre visible et accessible. » Ils ont

pas moins innovante. Ainsi est-ce peut-être

notamment mis en place le « café sur place » du

dans une pratique plus informelle, des actions

quartier Saint-Jean–Belcier à Bordeaux. L’objectif

locales, par des moyens peu couteux et rapides

était de créer une véritable ambiance de quartier

à mettre en place que l’architecte peut affirmer

sur un territoire en pleine mutation. Il a été choisi

son engagement et son rôle social, et toujours

de construire un mobilier modulable en bois

repousser les limites de la profession.

49

pouvant accueillir les riverains. Le chantier prend alors la forme d’un lieu de rencontre. Ce sont les habitants qui construisent le lieu par le biais de

003 79

44 : Emission France Info du 4 juin 2014, 45 : INGALLINA Patrizia, Le Projet Urbain, Paris, Que sais-je ? 2001, 127p. 46 : CHALAS Yves, « L’urbanisme comme pensée pratique » Les annales de la recherche urbain, 1998, n°80-81, p205-214 47 : MANGIN David et PANERAI Philippe, Projet Urbain, Paris, Editions Parenthèses, 1999, 185p. 48: POLETTI Rafaela (2010). Lucien Kroll : utopia interrupted. Domus 937. 49: Collectif Etc, « Expérimenter avec les habitants : vers une conception collective et progressive des espaces publics », Métropolitiques, 26 septembre 2012,

evolution de l’approche spatiale et modélisante

Fig 50 : Promenons-nous dans les bois par le collectif Etc Fig 51 : Le café sur plance à Bordeaux par le collectif Etc [page suivante] Fig 52: tag sur le hangar à Bananes


Fig 1 : Tag sur le hangar Ă banane



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83


table d’illustration FIG 1 : Parc des chantiers Source : Anne Legrand FIG 2 : City of the Future par Harvey Wiley Corbett Source : http://meriadeck.free.fr/Meriadeck/Urbanisme_ sur_dalle-Les_origines.html FIG 3 : Le Plan Voisin du Corbusier Source : http://www.fondationlecorbusier.fr FIG 4 : Sarcelles-Lochères Source : http://www.gazettevaldoise.fr/2013/10/28/ sarcelles-locheres-ville-nouvelle/ FIG 5 : Dominique Perrault Source : http://www.larep.fr/loiret/actualite/pays/ orleans-metropole/2013/12/02/dominique-perraultinvite-exceptionnel-au-frac-dorleans_1785802.html FIG 6 : Jean Marc Ayrault Source : http://www.linternaute.com/actualite/ politique/patrimoine-des-ministres/jean-marc-ayrault. shtml

FIG 16 : Mail des chantiers Source : Anne Legrand FIG 17 : Façade du lieu unique Source : http://www.lelieuunique.com/fond2.jpg FIG 18 : Façade du lieu unique Source : http://m.nantes-tourisme.com/lieu/lieuunique-4126.html FIG 19 : Le fun palace de Cédric Price Source : http://mainprjkt.com/mainprojekt/series-11weeks-baird-1969 FIG 20 : Hall du lieu unique Source : Anne Legrand FIG 21 : La troupe Royale de luxe dans les rues de Nantes Source : http://www.glesker.com/pages/royal.htm

FIG 7 : Jean Blaise Source : http://www.ouest-france.fr/jean-blaise-grandpatron-du-tourisme-nantes-568673

FIG 22 à 24 : Le voyage à Nantes Source : Nantes métropole, « Le voyage à Nantes », Guide institutionel, Nantes, 2014

FIG 8 : Quai François Mitterrand Source : Anne Legrand

FIG 25 : Esplanade des traceurs de coques Source : Anne Legrand

FIG 9 : Parc des chantiers Source : Anne Legrand

FIG 26 et 27 : Les nefs des machines de l’ile Source : Anne Legrand

FIG 10 : Cycle décisionnel Source : Anne Legrand

FIG 28 : Le quartier de la création Source : SAMOA

FIG 11 : Alexandre Chemetoff Source : http://www.nantes.maville.com/actu/actudet_Chemetoff-se-rebiffe-_loc-1198642_actu.Htm

FIG 29 : Rencontre citoyenne au Hangar 32 à Nantes http://www.iledenantes.com/files/documents/pdf/ actualites/webrestitution-de-l-avis-du-groupe-ateliercitoyen1.jpg

FIG 12 : Alexandre Chemetoff et Patrick Henri Source : http://www.nantes.maville.com/actu/actudet_Chemetoff-se-rebiffe-_loc-1198642_actu.Htm FIG 13 : Le plan guide de Nantes Source : http://www.architectureworkroom.eu/en/work/ changing_cultures_of_planning_rotterdam_zuerich_ nantes_randstad_bordeaux/images/406 FIG 14 : Plan des transformations Source : SAMOA, « Iles de Nantes phase 2 », catalogue de l’exposition du hangar 32, Nantes, 2015

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FIG 15 : Trame paysagère Source : SAMOA, « Iles de Nantes phase 2 », catalogue de l’exposition du hangar 32, Nantes, 2015

FIG 30 : Familistère de Guise Source : http://doctauvergne.fr/2015/10/28/faisde-beaux-reves-doc-e02-jean-baptiste-godin-et-lefamilistere/ FIG 31 : Saul Alinsky Source : http://www.nationofchange.org/would-saulalinsky-break-his-own-rules-1396623885 FIG 32 : Enquête des attentes sur la démocratie participative Source : Les échos


FIG 33 : Les outils de médiations du projet urbain Source : SAMOA, Transformation n°5, Le magazine du projet urbain de l’ile de Nantes FIG 40 : Construction participative du projet écosphère Source : Catalogue de l’évènement, Nantes Métropole FIG 41 : Le projet écosphère par Eco campo paysage Source : https://soscheescho.wordpress. com/2014/09/14/le-voyage-a-nantes-en-10-pas-theinspiring-10-step-voyage-to-nantes-die-inspirierendereise-nach-nantes-in-10-stationen/

FIG 42 : Le projet Baril[e]s par Antony Rollier Source : http://www.consommer-responsable.fr/ magazine/article/deambulation-dune-nantaise-greenisland?dept=44 FIG 43 : Etape 1 l’apprentissage Source : SAMOA, Avis Citoyen n°2 FIG 44 : Etape 3 Le débat Source : SAMOA, Avis Citoyen n°2 FIG 45 : Résidence I-link, Prairie des Ducs Source : http://residence.acheterduneuf.com/1__ acheter-du-neuf/14893__i-link FIG 46 : La maison Bergeron Source : http://www.ilink-asso.fr/article/revivez-lasoiree-dinauguration-de-la-maison-bergeron FIG 47 : Le business modèle établit pour le projet i-link Source : ilink association FIG 48 : Schéma de conclusion Source : Anne Legrand FIG 49 : Les constituants du projet urbain Source : VERDIER Philippe, Le projet urbain participatif, apprendre à faire la ville avec ses habitants, Paris, Editions Adels et Yves Michel, 2009, 264p. FIG 50 : Promenons-nous dans les bois par le collectif Etc Source : http://www.collectifetc.com/realisation/ promenons-nous/ FIG 51 : Le café sur plance à Bordeaux par le collectif Etc Source : http://www.collectifetc.com/realisation/cafesur-place/ FIG 52 : Tag sur le hangar à Bananes Source : Anne Legrand

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