« Territoires ruraux. Fabriquer du patrimoine dans l'urbanisme durable » - Élise Madec

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Territoires ruraux Fabriquer du patrimoine dans l’urbanisme durable

Atelier du Rouget Simon Teyssou & Associés, 2016, Abris pour le tri Place de l’église, Chaliers, photographie

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APM urbanisme et associés, 2001, La table d’eau, nouveau patrimoine, Plourin-Lès-Morlaix, photographie

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loppement » durable qui est préoccupant désormais. Nous voulons innover, et peut-être même tout repenser, mais peut-être faut-il trouver une nouvelle façon de vivre avec notre époque et avec notre patrimoine ? L’architecte Jana Revedin nous parle d’une « ville » qui devrait être « la maison de la mémoire et du désir des êtres humains » (Revedin, 2012). L’espace urbain a quelque chose de poétique, de magique. Et l’espace rural ? En tant qu’architectes, nous avons la possibilité de bâtir des scénarios urbains, ruraux, de raconter l’espace public. Nous devons aujourd’hui proposer de nouvelles façons de vivre, et nous demander ce que l’on peut faire vivre aux gens de poétique, afin de réengager la population. Il nous faut trouver les moyens de les engager dans nos histoires, au regard de leur environnement, de leur territoire, de leur culture.

Territoires ruraux

Fabriquer du patrimoine dans l’urbanisme durable Trois quarts des habitants du monde vivront dans des espaces urbains d’ici 2050. Des milliards de personnes devront trouver un toit. Dans le même temps, la question d’un monde soutenable est plus que jamais d’actualité. Nous observons aujourd’hui un rapprochement, une reconnexion entre les gens et leur environnement. Pour en arriver à une réappropriation, « le rapprochement doit être significatif et le plus profond possible », selon Mélissa Mongiat (2012), artiste canadienne, et auteur de projets participatifs. À partir du moment où l’on commence à être près des gens, d’un environnement, nous ressentons davantage le besoin de le protéger, de le redéfinir, de se l’approprier. C’est également le lien avec le « déve-

Nous nous intéresserons aux communes rurales, où la culture et ses expressions urbanistiques, architecturales sont souvent mises à mal, et ont pour conséquence d’uniformiser et de standardiser les milieux de vie. Or, chaque lieu abrite une histoire, une culture, des habitants qui le pratiquent, le transforment, le parcourent, le rêvent... chaque lieu revêt une identité. D’où l’importance de la culture dans la transition écologique actuelle. La culture est un élément essentiel de l’aménagement et du développement des territoires. Elle prend racine dans un territoire, rural ou urbain, et inversement, le territoire lui-même est une construction humaine et culturelle. Comment la qualité de situations rurales, culturelles singulières permet-elle de développer de nouvelles trajectoires prospectives et durables sur un territoire ?

Retisser une solidarité Dans un monde qui s’urbanise de plus en plus vite, les territoires ruraux français demeurent une richesse essentielle en ce Révélateur

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qui concerne non seulement le foncier, mais aussi le patrimoine, la culture, les savoir-faire locaux et l’économie. Beaucoup traversent, travaillent, ou habitent dans ces villages, dans ces communes, de plus en plus délaissés, qui « font rarement l’objet d’une grande attention » comme le soulignent les collectifs OBRAS et AJAP 2014, à l’occasion de la biennale de Venise de 2016. Les territoires ruraux ont des atouts à faire valoir, à condition que les voies de communication existent pour faciliter les échanges. Ces territoires ont surtout besoin de conserver leurs services publics, afin d’éviter de devenir des déserts humains. La majorité d’entre eux sont en expansion démographique grâce à l’arrivée, en particulier, de nouveaux ruraux, les rurbains. Il faut alors retisser un lien entre les anciens habitants et les nouveaux... En effet, de nouvelles populations rurales sont issues d’un transfert en provenance des villes et l’image du rural se modifie.

L’exemple de Plourin-Lès-Morlaix

L’architecte Philippe Madec s’est attaché à travailler avec le contexte de la commune de Plourin-lès-Morlaix, située dans le département du Finistère. La population, les ressources locales ainsi que le climat, ont établi le contexte de son intervention. En effet, ces différents facteurs sur lesquels il s’appuie dans chacun de ses projets, permettent de concevoir une pensée, une architecture singulière. Chacune de ses actions varient d’un endroit à un autre. Pour Philippe Madec, « il n’y a pas d’architecture durable qui soit posée quelque part, comme une abstraction » (Madec, 2015). L’architecture est un art, et cet art est alors soumis à un jugement de valeur. Par la forme, les matériaux, la disposition ou la présentation, l’enjeu de la requalification du centre de Plourin-lès-Morlaix est peut-être d’abord celui 3

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de raconter une histoire à celui qui l’observe, puis qui le parcourt et donc se l’approprie. Faire écho par tous les moyens ? Peut-être que l’architecte, peut-être que celui qui « dispose la matière » (Madec, 2014), doit justement porter attention à la façon dont il souhaite faire accepter, adopter sa réalisation aux futurs usagers. Ceux-ci y seront peut-être beaucoup plus sensibles si celle-ci touche une partie d’eux-même. Ils seraient alors davantage prêts à accueillir d’autres interventions, voire d’y participer ou même de proposer de nouvelles actions dans le sens de la ville durable. Dans ses essais, Philippe Madec nous parle beaucoup d’un retour à la nature, d’un retour à la Terre, à nos racines. A Plourin-lèsMorlaix, l’architecte a recouru à des matériaux locaux afin de limiter l’emprunte écologique au niveau de la question des transports. Le granit a été prélevé dans les carrières voisines tandis que le bois provient du Parc naturel régional d’Armorique, situé aux abords de la commune. Le choix de matériaux locaux peut en partie résoudre la crise environnementale mais, c’est peut-être davantage le fait de rapprocher les gens de leur environnement, le fait de leur rappeler combien la nature peut nous donner, ainsi sublimée par sa disposition (avec « bienveillance »), qui va les inciter à changer radicalement leur mode de vie. Un mode de vie qui respecte la Terre, la nature, les humains. Cette acupuncture urbaine, comme en parle l’architecte allemande Jana Revedin, peut-être synonyme de « catalyseur », d’« une architecture qui en appelle d’autres » (Revedin, 2014), relayée par tout types d’acteurs, et plus précisément par les citoyens eux-mêmes.

“ De petites architectures en vastes territoires “

Le projet comprend la réalisation d’une mairie-médiathèque et de lieux publics associés. La poste est déplacée pour prendre la place de l’ancienne mairie, une longère de-


vient un lieu d’orientation et d’exposition, et d’autres lieux publics sont aménagés : des rues, des venelles, le parvis de l’église et le cimetière fou est réalisé un columbarium et un abri pour cérémonies civiles. À chaque étape, la concertation se fait de personne à personne ou bien en groupe, pour construire ce qui manque au territoire de Plourin-LèsMorlaix, c’est-à-dire un centre. Des parcs, des jardins, des passages, des « portes », viennent se greffer au projet, depuis l’extérieur de la commune jusqu’au centre. L’un des enjeux étant de faire redécouvrir le village à ses habitants et d’apporter une véritable qualité de vie au piéton. Ainsi des accès faciles, variés, sont révélés ou bien créés et différents parcours sont désormais possibles por accéder au bourg par la marche. Une attention particulière est portée au paysage « urbain » de la commune, des perspectives ont été redessinées, mises en valeur par des actions paysagères ou architecturales, si l’on peut les différencier. Un muret, un parterre, un banc, un arbre, un parvis, un abris... une façon de disposer la matière, déjà existante sur ce lieu, qui offre à la commune de Plourin un nouveau souffle, et qui permet

également de densifier et de rouvrir des commerces de proximité. Les voitures ne peuvent plus se garer sur les trottoirs et sont obligées de stationner sur les parkings situés à l’extérieur du bourg. Il faut ensuite emprunter les passages permettant de rallier le centre. Certains étaient peut-être réticents mais ce projet joue dans le même temps un rôle pédagogue et peut probablement aider à changer nos mentalités, nos modes de vie. Les matières et matériaux sont utilisés dans un registre traditionnel ou bien dans une réinterprétation technique. Le lieu de la mairie par exemple, fait parfaitement coexister un ensemble contemporain et une architecture traditionnelle. Ici la massivité et la minéralité se retrouvent dans des éléments forts du bâti et créent la démesure. La massivité donne à à la mairie une notion de repère abstrait, de signal dans le paysage existant. L’ensemble a été pensé comme un tissu urbain et non pas comme un objet architectural : il est impossible de voir le projet en totalité. Il n’y a en aucun cas une perspective dégagée. Couleurs, juxtaposition d’éléments, de murs, de sols, de formes architecturales, de murets...

APM urbanisme et associés, 2001, Mairie et médiathèque, Plourin-Lès-Morlaix, photographie

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Il en résulte une multiplicité de parcours et de perceptions du projet. À l’arrière de la salle du conseil et des mariages, un jardin minéral a été réalisé autour d’une table d’eau. Avec les Plourinois, l’architecte et son équpe ont réussi à « fabriquer » du patrimoine, à patrimonialiser ce nouveau lieu : les habitants ont investi le lieu d’usages et font flotter des fleurs sur la table d’eau les jours des mariages.

Le respect de la pierre Le respect de la pierre dans le travail de restauration et de création a maintenu la confiance avec les habitants, fait accepter l’esthétique différente : « l’architecture sans toit ». Toutes les pierres sont taillées, il n’y a pas de joints, il n’y a pas de pierres verticales et une continuité s’opère. En effet, l’architecte a repris le langage architectural breton : celui du mur simple, sans décor, d’un mur posé là, ancré, en pierre ou en enduit. Pour prolonger le tissu existant le dispositif architectural reprend la série existante des façades intercalées l’une en granit, la suivante en enduit

blanc, et des hauteurs l’une de plain-pied l’autre avec un étage. L’échelle, la matière et la couleur reprennent des éléments de l’historique du territoire.

La transformation de Chaliers Le village de Chaliers lui, situé dans une région différente, le Cantal, a adopté une posture similaire à l’occasion de la mise à jour de son réseau d’eau pluviale en 2006, prise en charge par l’atelier Simon Teyssou. Chaliers se trouve en belvédaire sur la vallée de la Truyère et forme un village-rue positionné sur une crête. Trois lieux symboliques du village ont été remarqués et retenus afin de ponctuer le village de différents temps d’arrêt, qui mettraient en valeur le village et ses vues imprenables sur la vallée, sur la nature... L’atelier a décidé que chacun de ces trois espaces devaient avoir un caractère distinct et être traité de manière distincte. Ce qui a alors plu aux habitants, c’est la simplicité du projet : l’utilisation de matériaux locaux, de l’herbe et des fleurs plutôt que des

Nicolas Lamouroux, 2015, Aménagement d’une place devant l’église, belvédaire sur la vallée de la Truyère, Chaliers, photographie

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Conclusion

Nicolas Lamouroux, 2015, Aménagement d’une place devant la mairie, Chaliers, photographie

trottoirs... qui fabriquent une transition entre la nouvelles voirie et les façades. Tout un travail sur les bords et sur la façon dont on vient se raccorder à l’existant a été mené. En effet, des espaces ont été ménagés aux pieds des façades pour pouvoir planter. Ce potentiel existait certes déjà dans le village mais il a été préservé. Simon Teyssou a tenté de le généraliser sur toute la traverse du bourg. L’architecte espérait alors que cela soit plutôt entretenu par les habitants qui finalement, s’approprient naturellement le pas de leur porte. La première intervention a été celle située devant le presbyter, où un simple dallage en granit a suffit. C’est un espace partagé pour les piétons et non un espace circulé seulement par les voitures. Le deuxième espace, plus complexe, est positionné en contrebas de l’église. Il se trouve à l’articulation entre plusieurs parcours piétons, la topograhie y est plus chahutée et il y a également la question du parking à gérer. Plusieurs usages doivent alors cohabiter ensemble : l’intégration des poubelles pour le tri, l’installation des voitures dans la pente... comment aussi faire en sorte que cette pla-

cette soit autre chose que simplement une place pour la voiture ? L’idée est alors de créer un petit belvédaire avec un ouvrage en pierre situé devant le stationnement. Cela permet aussi d’offrir une promenade qui met en scène une vue privilégiée sur la vallée. La troisième place elle, se trouve devant la mairie. L’atelier de Simon Teyssou y propose encore une autre façon d’appréhender le paysage. L’idée est d’apporter une unité de matière de la façade de la mairie jusqu’à l’extrémité du belvédaire. C’est principalement une architecture de sol qui accueille le stationnement des voitures. Pour ponctuer le belvédaire un long banc est construit et constitue une autre manière d’arrêter les voitures. L’architecture des sols de ces trois placettes est une façon de réinterpréter de façon contemporaine le jeu de terrasses situées en contrebas du village et qui sont aujourd’hui désuètes, en attente d’un nouvel avenir. Les habitants ont le sentiment que l’aménagement du bourg a été fait spécifiquement pour Chaliers, et que cela ne pourrait se voir ailleurs.

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Ces lentes transformations ont aussi été l’occasion de créer un nouveau patrimoine au sein de la commune. Elles installent de nouveaux rapports entre les individus : les savoirfaires sont valorisés, les filières locales se développent de nouveau, un lien est retissé entre les lieux et leurs habitants, le vie quotidienne s’enrichit, les échanges et la solidarité sont favorisés, entre voisins, entre territoires. « Avant tout projet, il s’impose de comprendre dans chaque lieu le rapport singulier qui s’établit entre la terre, le ciel, le climat, le bâti, le paysage et les gens ; tous nous accueillent et nous invitent à œuvrer » (Madec, 2007). Finalement, dans deux contextes géographiques très différents certes, deux postures similaires ont été adoptées afin de revitaliser ces communes, redynamiser leur économie, et redonner l’envie aux gens d’y vivre. Chacun de ces projets vont tenter de tirer profit de leur situation géographique particulière. Il est important de sauver les communes, les bourgs, situés à proximité des sources d’énergie, d’alimentation et de privilégier les circuits courts.

« Ce n’est pas la technique qui va résoudre la crise environnementale mais les changements de nos modes de vie » (Madec, 2012)

« Installer la vie par une matière disposée avec bienveillance » (Madec, 2014)

Ces deux projets, réalisés avec une économie de moyens, mettent en avant la question du traitement de l’espace public en milieu rural qui n’est pas le même qu’en milieu urbain. L’arhitecte a eu le pouvoir, si l’on peut dire, de décaler la perception. On sent une attention particulière dans ces lieux. L’architecture a amélioré la situation, y a apporté quelque chose d’inédit, ainsi que d’autres usages. Le paysage y est altéré de façon positive. Ce changement se fait avec douceur, sans fragiliser l’existant. Ces projets ont cherché à respecter les habitants ainsi que les usages et les lieux. L’appropriation de ces nouveaux espaces est alors beacoup plus aisée.

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« Ici et là, les passages s’ouvrent pour donner le bourg aux piétons » (Madec, 2007)


Bibliographie

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lité culturelle et développement urbain » suivie de « Regards croisés France/Québec ». URL : http:// culture-dd12.org

l’architecte, 11 avril 2012. URL : http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_3056 DUBOURG, Philippe, « La ruralité est-elle archaïque ? », Métropolitiques, 10 octobre 2014. URL :

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Ouvrages : CONTAL,

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Réenchanter

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Colloques : « A la recherche de l’urbanisme durable », Cycle « Villes et développement durable », 22 octobre 2008. URL : http://www.fondapol.org/wp-content/ uploads/pdf/documents/CR_TR221008.pdf « Culture et développement durable », colloque international, 2012, Centre des Congrès de la Cité de Sciences et de l’Industrie, Paris. « Plura-

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Annexes

Source internet, 2016, Situation de Plourin-Lès-Morlaix, carte IGN

https://www.geoportail.gouv.fr/donnees/carte-ign, 2017, Situation de Chaliers, carte IGN

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