Tourisme, projet local et territoires ruraux - Anaïs Turquetil

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Tourisme, «projeT local» eT TerriToires ruraux Les récits territoriaux des Epesses, de Marciac et d’Espelette Anaïs TURQUETIL Mémoire de Master 2 - Parcours IAT sous la direction de Xavier Guillot et Julie Ambal École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux Juin 2016



Tourisme, «projet local» et territoires ruraux Les récits territoriaux des Epesses, de Marciac et d’Espelette

Anaïs TURQUETIL sous la direction de Xavier Guillot et Julie Ambal École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux Juin 2016




Sommaire


Avant propos : Un engagement social

001

Introduction : «Solutions locales pour un désordre global»

007

Partie 1. De l’aménagement du territoire au développement local : l’angle du tourisme

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1.1 Les territoires : supports de politiques économiques et touristiques

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a) Les territoires ruraux : plus qu’un support à l’agriculture ? b) D’une société de masse au tourisme de masse c) La fabrication de lieux touristiques : les littoraux et montagnes

1.2 Un regain d’intêret pour les territoires ruraux

029

a) Des premières politiques volontaristes b) Le retour des citadins : un tourisme rural néfaste ? c) Les Parcs Naturels Régionaux : l’expérimentation d’un nouveau développement ?

1.3. Vers la notion de «développement local»

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a) De nouvelles solidarités locales b) Des politiques d’aménagements et touristiques limitées c) La nécessité d’aller vers un «développement local»

Présentation des études de cas : trois situations territoriales spécifiques

051

Partie 2. La mise en récits de territoires : Les Epesses, Marciac et Espelette

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2.1 Les Epesses : le parc du Puy du Fou comme vecteur d’un projet de territoire

059

a) Des racines et des réseaux b) Une ressource touristique : l’histoire locale du Puy du Fou c) Le parc du Puy du Fou : un moteur d’aménagements du territoire d) Un nouveau territoire sur la carte touristique : le Nord-est Vendéen

2.2 Marciac et le Jazz : le projet artistique des citoyens

081

a) Du volontarisme citoyen b) Pour la fabrication d’un patrimoine commun : le jazz ? c) Le Festival : un outil de développement touristique d) Du temporaire au permanent : du festival à la saison culturelle

2.3 Espelette, une culture de réseaux pour un renouveau agricole

099

a) Un modèle alternatif à la standardisation moderne : l’économie de niche b) Une stratégie de différenciation : la labellisation c) Une vision territoriale : un projet en réseaux

Conclusion : Vers «un projet local» (A.Magnaghi) ?

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Annexes & Bibliographie

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Avant - propos


Un engagement social

Ce mémoire traite de la question des modèles de développement des territoires par le tourisme. Il s’agira ici de parler de territoires ruraux qui se sont développés par l’activité touristique, grâce à des citoyens ayant œuvré à la valorisation des qualités de leurs territoires. Ce mémoire recense les politiques d’aménagements opérées par l’Etat sur les territoires et l’évolution de l’activité touristique depuis les années 1950, afin de saisir le contexte de changements ayant mené des territoires à développer leurs propres modèles d’économies « vertueux ». En mettant bout à bout trois initiatives positives et concrètes qui fonctionnent déjà, nous pouvons alors penser que « développement local » pourrait-être la forme de développement des territoires ruraux à privilégier pour demain.

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A voir : le film « Demain » de Mélanie LAURENT et Cyril DION sorti le 2 Décembre 2015 qui présente une multitude d’initiatives citoyennes hétérogènes explorant de nouvelles manières de fabriquer notre société. Le film donne à voir à travers le monde des initiatives locales qui marchent et qui sont en marche, qui nous montrent qu’il est possible à différents niveaux de s’engager dans des luttes pour le changement du système globalisé dans lequel nous vivons. Touchant à de diverses problématiques, sur les thèmes de l’alimentation, de l’énergie, des circuits économiques locaux, de l’éducation et de la démocratie, leur discours et l’engouement autour de celui-ci depuis sa sortie (Césars 2016, présentation du film à l’ONU….) nous montre une volonté de la société sortir d’un pessimisme ambiant et de rechercher des solutions à un état actuel.

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A voir : le site de « Nuit Debout », URL : https://nuitdebout.fr/

1 AVANT-PROPOS : UN ENGAGEMENT SOCIAL

Ce mémoire est une forme de réponse à de nombreux constats pessimistes qui nous alertent quotidiennement sur la situation économique, sociale, financière, politique, etc. du monde. J’ai souhaité proposer une vision optimiste, par le biais de démarches citoyennes positives actuelles et qui proposent des solutions pour un futur plus raisonné. Je pense que nous sommes dans une période de changements, notamment dans laquelle les citoyens changent leurs rapports à l’économie mondiale et aux modes de gouvernances traditionnels. Ils s’engagent dans d’autres démarches, où ils se mettent à agir par eux même et pour eux même grâce à leurs ressources.1 De nouvelles formes de gouvernances se mettent en place, au biais de la capacité d’action citoyenne et d’une volonté accrue de débattre sur l’état du monde actuel. Par exemple, depuis le 31 Mars 2016, des milliers de personnes se réunissent Place de la République à Paris, et dans toute la France autour du mouvement « Nuit debout », dont le Manifeste nous présente le mouvement tel qu’un rassemblement de personnes qui ne sont ni entendues, ni représentées, venants de tous horizons et qui reprennent possession de « la réflexion sur l’avenir de notre monde ».2 Au sein de l’espace public, les citoyens cherchent


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des solutions traitant de tous les sujets qui composent nos vies : l’écologie, à l’éducation, au logement, de la démocratie…. La politique et nos cadres de vies sont l’affaires de tous, et non seulement celles des politiciens. Ce postulat est une conviction personnelle qui forge également ma vision de la profession d’architecte. D’après moi, l’architecte se doit d’assumer un rôle de médiateur entre les attentes citoyennes et politiques en ce qui concerne notre cadre de vie. Persuadée du rôle social de l’architecte, j’ai voulu réfléchir à des solutions permettant d’améliorer des cadres de vies de territoires aux situations « de crises ». Et au delà de ça, le devoir d’écoute des besoins et demandes issues des territoires et des populations a guidé la volonté de ce mémoire de montrer que les populations pouvaient avoir des initiatives innovantes, sources de solutions à des problématiques nationales. Dans une autre mesure, cela se rapproche de l’expérience de construction d’un établissement en « participatif » que j’élabore à l’école au sein d’une équipe de trois architectes et de quelques étudiants. Ensemble, nous tenons des « permanences architecturales » sur le lieu même où se fera l’intervention, à l’Ecole Nationale d’Architecture de Bordeaux, afin d’élaborer le projet avec les futurs pratiquants du lieu. La dimension d’échange et d’écoute qui se crée entre les « concepteurs » et les « utilisateurs » constitue pour moi une clé importante à la réussite de tout projet sur un lieu, sur un territoire. Egalement, revenue d’une année en Italie lors du programme Erasmus, j’ai voulu élaborer un mémoire issu de cette expérience personnelle et des questionnements qui en étaient nés. J’ai premièrement souhaité élaborer un mémoire questionnant la notion de « patrimoine » et le tourisme de masse que j’avais pu notamment observer. Durant cette expérience faite de nombreux voyages, j’ai réellement découvert ce que la notion de « Patrimoine » pouvait signifier. Au-delà de la richesse architecturale du pays, des 51 monuments historiques classés au Patrimoine de l’Unesco et des magnifiques paysages dont est composé ce pays, j’ai découvert une richesse culturelle bien plus large que celle composée par les éléments « matériels ». En tant qu’habitante temporaire de ce pays, j’ai eu la chance d’être entourée de personnes aimant et souhaitant faire partager leur culture et leurs savoir faires, m’accompagnant dans l’enseignement de la langue, me communiquant les bonnes adresses où aller déguster les plats traditionnels de leurs régions, m’enseignant leurs gastronomies, me conseillant les adresses et villages que les touristes ne peuvent connaitre


Ces constats issus de mon expérience personnelle au cours de voyages ont alors constituée une première base de réflexion pour ce mémoire. En l’extrapolant, j’en suis venue à vouloir étudier le développement des territoires par l’activité touristique de manière vertueuse. La thématique étant large, je l’ai recentrée sur la question du développement des territoires ruraux par l’activité touristique. Le choix de la ruralité m’est paru intéressant pour deux raisons. Ma première réflexion me laisse penser qu’elle est trop souvent inconsidérée que ce soit par les discours de politiciens, ou des urbanistes ou au cours de mon parcours d’étudiante à l’ensapBx, à l’inverse des préoccupations des écoles italiennes. Et ensuite, car ayant peu de connaissances sur les territoires ruraux, je n’en savais que des éléments « négatifs », de « déclins » sur lesquels il m’intéressait de réfléchir à des alternatives. De plus, dans le contexte actuel de la profession, il me parait important de réfléchir à la nécessaire « pluridisciplinarité » de notre profession, nous ne pouvons être seulement architecte ou urbaniste, la profession est plus complexe. Notamment par son interaction grandissante avec les autres domaines de compétences et autres acteurs participant à la conception de

3 AVANT-PROPOS : UN ENGAGEMENT SOCIAL

s’ils ne sont accompagnés d’un habitant local... Cette expérience humaine et culturelle m’a fait prendre conscience de la multitude des richesses que possèdent les territoires, et m’a fait comprendre la dimension plus « humaine et sociale » que recouvre la notion de Patrimoine. L’Unesco le nommerait « Patrimoine culturel ou patrimoine immatériel ». Au vue de leurs qualités et de l’économie touristique qui se développe sur nos territoires, ces patrimoines ont vocation à attirer les touristes. Mais ces patrimoines étant propres aux sociétés qui l’animent, ils sont des éléments culturels alors assez fragiles, et dont il serait déplorable qu’ils subissent des conséquences néfastes telles que perçues lors de certaines pratiques touristiques. A Venise, j’ai pu constater une part des dégâts très important du tourisme sur ce territoire, notamment environnementaux et sociaux (voir figure 1). Venise est une ville indéniablement magnifique, mais qui perd de sa vie locale et de sa qualité de vie à cause du tourisme de masse. De plus, la dégradation des bâtiments et les inondations fréquentes occasionnées par ces flux de voyageurs ne lui présagent pas un avenir radieux. Des travaux colossaux sont en cours afin de la maintenir hors des eaux, mais pour une durée indéterminée. Devenue une vraie industrie, cette forme de tourisme consommatrice et destructrice m’a incité à imaginer d’autres développements touristiques pour les territoires, plus vertueux.


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nos cadres de vie. Tout ceci me laisse penser que le nouveau positionnement que doit avoir l’architecte face à la société et au rôle qu’il doit jouer aujourd’hui, la question de proposer des « processus de projets » et du temps long me parait essentielle. La question du développement des territoires étant une thématique qui aborde à la fois des questions d’économie, de sociologique, d’architecture, de politique, d’aménagement de territoire, d’anthropologie… je cherche au cours de ce mémoire à me questionner sur des processus, des notions de stratégies, de développement, d’acteurs, et de réflexions sur le grand territoire. Intégrer à ce jour, toutes ces notions qui m’étaient inconnues ne s’est pas révélé simple, mais très intéressant. Cela m’oriente à choisir d’élaborer un Projet de Fin d’Etudes en continuité qui s’intégrera à des dynamiques globales, et à envisager de poursuivre ma profession dans des questions relatives au développement des territoires.


5 AVANT-PROPOS : UN ENGAGEMENT SOCIAL

Figure 1 : De la démesure : des conséquences déplorables sur l’environnement et la société locale. Source : Photos personnelles, Venise, 2015


Introduction


«Solutions locales pour un désordre global»

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Le monde est en perpétuelles transitions économiques, démographiques, urbaines, politiques et économiques. Le XXIème siècle subis de nombreuses crises, dont la crise bancaire et financière majeure de l’automne 2008, remettant en question la vision progressiste du XXème siècle, poussant à la consommation exponentielle et l’exploitation illimitée des ressources. Face à cela, nous pouvons nous demander dans quelles mesures les grands changements de notre société impactent-ils les territoires et ainsi chercher des solutions alternatives de renouvellement à des circonstances économiques, démographiques etc. qui ne sont pas toujours vertueuses.

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Film de Coline SERREAU, sorti en Avril 2010. «Les films d’alertes et catastrophistes ont été tournés, ils ont eu leur utilité, mais maintenant il faut montrer qu’il existe des solutions, faire entendre les réflexions des paysans, des philosophes et économistes qui, tout en expliquant pourquoi notre modèle de société s’est embourbé dans la crise écologique, financière et politique que nous connaissons, inventent et expérimentent des alternatives.» Citation d Coline Serreau. URL : www.allocine.fr

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CHAPIUS, Robert, « Espace rural », Hypergeo, consulté le 15 avril 2015. URL : http:// www.hypergeo.eu/spip.php?article481#

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CHAPIUS, Robert, « Espace rural », Hypergeo, consulté le 15 avril 2015. URL : http:// www.hypergeo.eu/spip.php?article481#

7 INTRODUCTION : «SOLUTIONS LOCALES POUR UN DESORDRE GLOBAL»

Alors, le phénomène majeur caractéristique de la fin du XXème siècle que constitue la mondialisation est à considérer puisque les flux mondiaux qui en sont issus impactent les territoires de manières diverses. Ils peuvent être envisagés de façon positive par les territoires qu’il a favorisé, globalement les métropoles, et être envisagés de façon péjorative vis-à-vis des territoires qu’il pourrait poser en marge de cette mutation économique. De là, dans ce cadre de réflexion la question des territoires ruraux se pose alors. Effectivement, depuis cinquante ans, les espaces de faible densité qui étaient ceux de l’après guerre, se sont largement transformés avec les évolutions de la société. Les territoires ruraux français doivent être regardés avec de nouveaux repères, car dans ce modèle mondialisé, ils se sont complexifiés au point de rendre la définition de la ruralité telle que nous l’entendons communément obsolète et inadaptée. Au XXIème siècle, la ruralité ne se définie plus comme en opposition à la ville4 ou comme un regroupement très faible d’habitants (de 2 000 habitants agglomérés)5 ou même définie par une économie agricole prééminente, puisque les évolutions actuelles de la société remettent en cause l’intensité des rôles de chacun de ces éléments dans sa définition. En effet, la ruralité ne parait plus pouvoir être définie par opposition à la ville, puisque la population est très majoritairement urbaine et dans le même temps, car les villes étendent leurs influences sur les campagnes environnantes. Selon l’INSEE, 95% des Français vivent aujourd’hui dans des communes sous influence urbaine,


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parmi lesquels 65% dans un pôle urbain et 30% dans les espaces périurbains, soit, respectivement, plus de 42 et 19 millions de personnes. Les Français ne sont alors plus que 5% à habiter des communes en dehors de l’influence des villes. En 2015, la population rurale représente un quart de la population française sur 65 millions d’habitants et sur près des 2/3 de la surface nationale du Pays6. Sur une grande partie du territoire, villes et campagnes font ainsi système et échangent quotidiennement des ressources - emplois et services d’un côté, travailleurs de l’autre. Les modes de vies, de consommation comme des attentes des citoyens en termes de mobilité, de connectivité, de services et rapports des hommes à leur territoire se sont alors homogénéisés entre les habitants citadins et ruraux. Egalement, la vocation agricole des espaces ruraux ne constitue plus un paramètre essentiel de leurs économies, et est parfois même reléguée au second plan par la montée d’une demande sociale pour d’autres usages du territoire tels que les loisirs ou la conservation de la nature.7 Au vu de ces constats, il semblerait que le terme « d’espace rural » n’a plus de sens et que cela annonce une ruralité contemporaine8 qui s’inscrit au pluriel, comme nous démontre la diversité des espaces ruraux proposés par les auteurs de la DATAR en 2011 qui ont identifié sept types de territoires, correspondants à autant de formes variées de complémentarités ruraleurbaine9. D’après Bernard Vachon, professeur retraité du département de géographie à l’Université du Québec à Montréal, ces types se résument en trois grandes ruralités10 que sont les campagnes des villes (le rural périurbain) ; les campagnes fragiles (le rural agricole engagé dans la dévitalisation faute de conversion vers d’autres fonctions) ; puis les nouvelles campagnes qui 6 7

Le site du sénat : URL : http://www.senat.fr

BONTRON, Jean-Claude, « Le monde rural : un concept en évolution », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 10 | 1996, mis en ligne le 30 juillet 2013, consulté le 18 avril 2016. URL : http://ries.revues.org/3303

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BERTRAND, Alain, « Hyper-ruralité : un pacte national en 6 mesures et 4 recommandations pour ‘restaurer l’égalité républicaine’», Rapport public du Ministère du logement et de l’égalité des territoires, Juillet 2014. URL : www.ladocumentationfrancaise.fr/ rapports-publics/144000475/

9

HILAL Mohamed, SCHAEFFER Yves, DETANG-DESSENDRE Cécile, « Espaces ruraux et ruptures territoriales», Rapport : Vers l’égalité des territoires : dynamiques, mesures, politiques, Février 2013, p62-78. URL : www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/134000131/

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VACHON, Bernard, Tome 2 : La passion du rural : Evolution récente du Québec rural, 1961-2014. De l’exode au puissant désir de campagne, Quebec, Editions Trois-Pistoles, 2014, 652 pages. (paru seulement en version électronique), sur le site de Solidarité rurale du Québec : http://www.ruralite.qc.ca/fr/Enjeux/La-passion-du-rural


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Document de presse issu du comité interministériel aux ruralités, « Nos ruralités, une chance pour la France », 13 mars 2015. URL : www.logement.gouv.fr/dossier-de-presse-nosruralites-une-chance-pour-la-france-un-comite-interministeriel-pour-redonner-confiance-auxterritoires-ruraux

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org/fr

Le site internet de l’Organisation Mondiale du Tourisme : URL : http://www2.unwto.

9 INTRODUCTION : «SOLUTIONS LOCALES POUR UN DESORDRE GLOBAL»

exercent une transition sur le plan de l’attractivité résidentielle ou sur le plan économique grâce aux apports du tourisme. Cette dernière catégorie ouvre de nouvelles perspectives d’évolutions pour les ruralités, dont la cohabitation de plusieurs fonctions (incluant les services) les amène à retrouver une multifonctionnalité économique, qui leur permet d’exister dans la logique de mondialisation. Ces « nouvelles ruralités » multifonctionnelles brouillent les représentations à partir desquelles les politiques d’aménagement des territoires ont souvent été construites.11 Elles sont notamment en rupture avec un passé fonctionnaliste et fordiste des années 1950, vision qui avait conduit les Politiques d’Aménagements des territoires ruraux à sectoriser les fonctions en deux parties sur le territoire Français : une mono-fonctionnalisation d’une partie des espaces ruraux autour de l’économie agricole et une autre partie des territoires ruraux autour de la mono-économie touristique (littoraux et montagnes). L’agriculture et le tourisme sont alors privilégiés par l’Etat comme deux outils guidant les politiques d’aménagements des territoires ruraux. Notamment en pleine période des Trente Glorieuses, le contexte social et économique s’avérait particulièrement favorable à la pratique du tourisme par le plus grand nombre. Compte tenu de la société de consommation qui était en pleine expansion, le développement touristique a suivi fidèlement celui de la société, dont il est en quelque sorte fonction, et a abouti à la forme d’aujourd’hui la plus répandue du tourisme : le tourisme de masse. De grandes politiques d’aménagement avaient accompagné la construction de la plupart des destinations touristiques encore phares de nos jours comme les stations balnéaires de la côte d’Azur et de l’ouest Atlantique. Ces premières mesures d’aménagements ont contribué à dessiner la France actuelle : aujourd’hui, le pays est la première destination touristique d’Europe et dont l’attractivité ne cesse d’augmenter. Cette activité économique mondialisée a connu un essor continu et s’est diversifiée de plus en plus au point de devenir un des secteurs économiques à la croissance la plus rapide du monde, faisant de cette dynamique un moteur essentiel du progrès socioéconomique.12 Néanmoins, l’activité touristique dans sa forme la plus pratiquée, c’est-à-dire « de masse », est remise en question au cours


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de ce XXIème siècle et suscite des débats. Les abus sont clairement explicités par des urbanistes et historiens, comme Françoise Choay13 ou encore JeanPaul Loubès dans son ouvrage « Tourisme : arme de destruction massive » paru en 2015, mettant en avant les conséquences néfastes de la mise en tourisme de villes et villages sur les cultures locales qui sont appauvries de leurs diversités (uniformisées par l’économie touristique de masse), les dérives d’une patrimonialisation excessive remettant en question la notion même de la « culture » et les impacts nocifs sur l’environnement que causent les flux saisonniers et l’urbanisation de lieux naturels par exemples. En effet, comme l’illustrent Venise en Italie ou encore Saint-Emilion près de Bordeaux dans le Sud-ouest de la France, ces villes font aujourd’hui office de « vitrine », de « ville musée », produits de « l’industrie de la culture » dont la commercialisation de leurs patrimoines matériels et immatériels tels que les paysages et savoir-faire locaux en ont exclus les populations locales ne pouvant plus y loger par un accès au foncier devenu impossible et dépourvues de services du quotidien remplacés par des boutiques touristiques. Mais cette forme de tourisme n’est pas unique au monde, et nous ne devons pas rester sur cette vision négative du tourisme mondialisé et déconnecté des spécificités du territoire afin de se questionner et d’imaginer des formes alternatives à ce tourisme qui auraient des conséquences positives pour les populations locales et les territoires concernés. Dans son ouvrage « Le Patrimoine en questions », Françoise Choay emprunte une citation optimiste à Alberto Magnaghi14 : «Sous les coulées de lave de l›urbanisation contemporaine, survit un patrimoine territorial d›une extrême richesse, prêt à une nouvelle fécondation, par de nouveaux acteurs sociaux capables d›en prendre soin. Ce processus est en voie d›émergence, surtout là où l›écart entre la qualité de la vie et la croissance économique est le plus flagrant».15 De laquelle nait le questionnement principal de cette étude : 13

Françoise Choay, historienne et critique d‘art mène une enquête sur l’histoire des notions occidentales de monument et patrimoine historique afin de comprendre le passage du culte des monuments au culte du patrimoine dans son ouvrage : CHOAY, Françoise, L’allégorie du patrimoine, Paris, Editions du Seuil, 1999, 270 pages. Et elle dénonce avec vigueur certaines orientations mercantilistes de la politique patrimoniale actuelle, à travers son ouvrage : CHOAY, Françoise, Le Patrimoine en questions, Lonrai, Editions du Seuil, 2009, 214 pages.

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Architecte, urbaniste et professeur à l’Université de Florence où il dirige le Laboratoire du plan d’habitat écologique. URL : www.architectes-conseils.fr

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pages.

CHOAY, Françoise, Le Patrimoine en questions, Lonrai, Editions du Seuil, 2009, 214


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CONSTANT , Anne-Sophie, LEVY, Aldo, Réussir mémoire, thèse et hdr, Issy les moulineaux, l’extensoéditions, 2015, 187p.

11 INTRODUCTION : «SOLUTIONS LOCALES POUR UN DESORDRE GLOBAL»

Dans un contexte économique en pleines mutations, comment les acteurs du monde rural peuvent-ils revaloriser leurs territoires en reconsidérant la question touristique ? En termes de méthodologie, comme il s’avère compliquer de me saisir de toutes les informations de manières exhaustive, j’ai choisi d’élaborer une méthode déductive.16 Notamment concernant les développements des trois exemples étudiés lors de ce mémoire, j’ai d’abord élaboré des hypothèses de départ, puis rechercher des données à traiter et à interpréter afin d’infléchir ou de confirmer ces premières hypothèses. Cette démarche empirique, a consisté en une première étape d’accumulation de données statistiques, de cartographies, d’expériences sur le terrain et dans la collecte d’informations issues de lectures sur les exemples à étudier. Je les ai ensuite comparé afin de comprendre les particularités du mode de développement de chacun d’entre eux, et dont le résultat s’inscrit notamment dans un débat théorique : celui de des territorialistes. Et j’ai choisi de défendre cette vision du développement territorial, au vue des résultats positifs obtenus en étudiant les exemples, et de les mettre en tension avec la notion de « Projet local » tel que défini par Alberto Magnaghi en partie de conclusion. C’est ainsi en partant de faits concrets et réels issus des exemples que le propos global s’est construit. Au cours de ce mémoire, nous allons dans un premier temps mettre en perspectives les grandes lignes des approches des Politiques d’aménagement du territoire rural, afin de comprendre le passage d’une démarche à dominante ascendante, à une démarche plus ascendante mettant peu à peu le territoire et ses acteurs au sein des propositions et préoccupations. En effet, nous verrons l’évolution d’une vision purement économique de l’aménagement du territoire (notamment par l’utilisation de l’activité touristique comme outil d’aménagement) ; à l’élaboration progressive d’un développement du territoire plus local, où le tourisme permet la valorisation des spécificités du territoire. Cette évolution intègre de nouvelles composantes, dont les acteurs locaux, et esquisse ce qui peut être un véritable projet de développement local en milieu rural. J’entends par acteurs locaux, les citoyens, professionnels et élus locaux. Puis, seront présentés trois « récits » que sont les expériences de milieux ruraux des petites villes des Epesses (en Vendée), de Marciac (dans le Gers)


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et d’Espelette (dans les Pyrénées-Atlantiques). Tous les trois sont en quelques sortes pionniers, fabriquant de « modèles » de développements alternatifs aux formes de ruralités abandonnées et à l’activité touristique néfaste pour les territoires et leurs populations. Nourris par des pensées contestatrices et créatives de leurs acteurs locaux, ces territoires se sont emparés d’objets culturels (histoire locale, art, agriculture) qui leurs sont propres afin de créer des projets en mesure de proposer un tourisme raisonné et adapté à leurs besoins, et apte à faire (re)vivre leurs territoires. Enfin, nous conclurons en mettant en tension les résultats, conclusions issues de ces études avec la notion de projet local tel qu’évoqué par Alberto Magnaghi. Et nous verrons en quoi ces démarches peuvent elles devenir des solutions pour demain.


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INTRODUCTION : «SOLUTIONS LOCALES POUR UN DESORDRE GLOBAL»


Partie 1.


PARTIE 1. De l’aménagement du territoire au développement local : l’angle du tourisme Pour saisir les enjeux à la fois économiques, politiques et sociaux autour de ma recherche sur le « développement local » des territoires ruraux grâce à l’activité touristique, nous devons dans un premier temps comprendre quels ont été les modes de développements de ces territoires.

15 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

A cet effet, nous suivrons les évolutions majeures qui ont touché les orientations des politiques d’aménagement du territoire rural et du tourisme des années 1950 à nos jours. Trois grandes périodes emblématiques sont mises en parallèle, dans le but de montrer qu’en cinquante ans, les Politiques d’aménagement des territoires et leurs outils ont considérablement évolué vers une attention de plus en plus forte pour les spécificités locales des territoires. Ainsi, nous verrons le passage de la vision d’un territoire simple support économique à un territoire « ressource » ; d’une démarche de prises de décisions politiques descendantes à des démarches ascendantes qui laissent plus de place à la voix des acteurs locaux ; et d’une vision du tourisme comme outil économique appliqué sur le territoire au tourisme issu des volontés et des spécificités du territoire.


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1.1. Les territoires : supports de politiques économiques et touristiques ?

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Par définition : « Système touristique fondé sur un nombre faible de touristes et une économie touristique non-standardisée. » KNAFOU, Rémy, Tourismes 2 Moments de lieux, Paris, éditions belin, 2005, 349 pages, Mappemonde collection, n°1.

17 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

En pleine période d’après-guerre, l’Europe est à reconstruire. Ses infrastructures ont beaucoup souffert, et l’appareil productif a été partiellement détruit. Alors, une grande majorité du pays est en reconstruction et de grandes politiques de restructuration du territoire sont en marches. D’après l’ouvrage de 1947, «Paris et le désert français » du géographe français Jean François Gravier, il y a un mauvais équilibre des richesses sur le territoire. Alors afin de rééquilibrer l’économie du pays, de 1950 à 1970, l’Etat se veut très dirigiste, ainsi l’aménagement du territoire équivaut à une planification économique, des schémas et une forte institutionnalisation du système politico-administratif français. La volonté de justice spatiale et économique de l’Etat, introduit l’idée d’une spécialisation fonctionnelle des territoires. Le territoire est placé au cœur d’une vision fordiste : à la division sociale du travail doit correspondre une division spatiale des activités. Elle se concrétise au cours d’une planification économique qui se fera aux bénéfices des villes, laissant de côté les territoires ruraux se vidant de leurs populations par de successives vagues d’exodes rurales. La population est à la recherche d’emplois autres qu’agricoles. En effet, ce modèle productiviste industrialise l’agriculture, augmente les gains de productivité et la concentration des exploitations, ce qui diminue les besoins de mains-d’œuvre. Le monde rural se transforme par une agriculture plus intensive et un dépeuplement des campagnes. Dans ce contexte de modernisation nationale, il y eut de fortes transformations au sein de la société. Ainsi, sur le plan du touristique, le tourisme artisanal17, personnel et aristocratique d’avant les Trente glorieuses laisse place à une forme de tourisme presque industrialisé, collectif et surtout démocratique. Le premier devient presque une exception, et le second devient la règle. Il apparait presque logique qu’à l’âge de la production et de la consommation de masse corresponde la première forme du tourisme de masse, de consommation de loisirs en masse. Alors, après la phase des pionniers, puis celles des précurseurs et des organisateurs, vient le temps de l’industrialisation du tourisme, de la massification de l’accès aux vacances et de l’édification de la mobilité de loisirs comme norme sociale.


a) Les territoires ruraux : plus qu’un support à l’agriculture ?

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Après la seconde guerre mondiale, l’Etat qui a fait le constat d’un territoire non-ordonné, avec un désordre dans la distribution des ressources et une inégalité dans leurs localisations, va chercher à réduire ces inégalités pour assurer un développement équilibré et un aménagement harmonieux du territoire. C’est en quelque sorte l’âge d’or de l’aménagement du territoire car devenue une vraie ambition nationale, d’un Etat organisateur et modernisateur, avec la conviction forte de pouvoir inventer un monde nouveau. Il faut rappeler qu’au début des années 1960 règne une grande confiance en la modernité, en ses progrès techniques, au développement industriel permis, et l’urbanisation est largement promue, les villes sont lieux « d’émancipation ». Fort de ses pleins-pouvoirs et de l’absolue confiance en la modernité se développant à l’époque, l’Etat privilégie les stratégies de grands travaux pour créer des pôles de croissance industriels sur tout le territoire, via les industries lourdes, convaincu de leurs capacités d’attirer le progrès technique contrairement aux secteurs agricoles, ou des commerces et services. Ces grands plans industriels se font selon une vision et des engagements exclusivement envers le territoire urbain : constituer cinq nouvelles villes autours de Paris et renforcer huit métropoles d’équilibres18 (Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille etc.…). Cette logique de distribution de la croissance sur le territoire avant la crise industrielle, dessine un territoire Français fortement sectorisé spatialement, où chacune des fonctions productives, d’exécutions, de travail qualifié/non qualifié etc. correspond à un espace géographique. Cette logique des années 1960 dessine une forte opposition entre la France industrielle, riche et concentrée dans les villes ; et la France agricole, pauvre dans les campagnes. Cette distinction se creuse sous l’effet de réformes nationales privilégiant les secteurs industriels à l’économie agricole, qui occasionnent une mutation profonde des territoires ruraux. Les grandes lois d’orientation agricoles de 1960 et 1962 lancent des phases successives d’exode rural. Les populations jeunes qui peuplaient les milieux ruraux sont parties vers les milieux urbains, renforçant d’un côté l’image des villes alors peuplées de jeunesse et dynamiques, adoptant des innovations telles que l’automobile et le téléphone ; et de l’autre côté une campagne perçue comme un milieu « passéiste », « rétrograde », véhiculant une image de déclin. 18 DELAMARRE, Aliette, LACOUR, Claude, 50 ans d’aménagement du territoire, France, éd. La Documentation Française, 2015, 200 p.


19 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Effectivement laissé de côté des politiques d’Aménagements telles que mises en place dans les villes, le territoire rural reste alors seulement l’affaire des politiques agricoles. D’une part, car le territoire rural avait tendance à se réduire au monde agricole dans l’imaginaire collectif, et d’autre part car comme pour le territoire national, le moteur des politiques d’aménagement passait par la dynamisation de l’économie : soit celle existante, soit par l’importation de nouvelles. Et le choix fut fait pour les territoires ruraux de se cantonner à des Politiques autour de l’activité principale qui était déjà existante : l’agriculture. Alors, les mesures et orientations prises pour l’aménagement du territoire rural ont été principalement guidées par la volonté de rentabilité économique apportée par l’agriculture. Celles-ci diffusent un modèle productiviste, comme dans la tendance générale du pays, et transforment l’agriculture traditionnelle en agriculture intensive. Par exemple, des aides financières ont été crées afin de moderniser les exploitations agricoles et en augmenter leurs productivités dans des zones d’actions rurales, créées en 1960. Cet engagement de l’agriculture dans la voie de la productivité entraine alors des changements majeurs : la concentration progressive des terres sur un plus petit nombre d’exploitations et donc un moindre besoin de main d’œuvre entrainant le départ des jeunes générations vers les villes et le déclin démographique des agriculteurs. Cette modernisation du métier d’agriculteur opère alors un changement civilisationnel que le sociologue Henri Mendras nomme comme étant « la fin des paysans » en 1967. L’évolution des techniques agricoles, et la nécessité croissante d’irriguer en infrastructures de transports le territoire modifient le cadre productif de l’agriculture, qui associés à l’exode rural en cours vont principalement justifier des premières politiques d’aménagement rural globales. Une des premières politiques mises en place consiste en 1967 à transformer les « zones d’actions rurales » en « zones de rénovations rurales ». Elles concernent 30% du territoire dont font partis l’Ouest de la France, l’Auvergne, le Limousin, le Lot et les zones de montagnes. Les objectifs essentiels de ces politiques sont principalement de restructurer les exploitations agricoles mais aussi de développer des activités non agricoles : le tourisme et industrie, et de rompre l’isolement des territoires. Des territoires ruraux auparavant peu aménagés ou peu dynamiques économiquement sont alors les cibles de grandes opérations d’aménagement : remembrement de foncier, réalisation d’infrastructures... Par exemple : les aménagements hydrauliques du Rhône ou de la Provence ; les plans routiers de Bretagne ;


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les aménagements régionaux de la Corse, du Grand Sud-Ouest. Pour mener ces planifications d’aménagement, l’Etat alors véritablement aux commandes de toutes les décisions, se dote d’une machinerie de structures au service de l’opérationnalité.19 Dans les années 1960, un comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) est créé, puis la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) en 1963. La DATAR doit être un levier qui permet de dépasser les contraintes des administrations existantes, et de bousculer les cultures classiques afin de créer de nouvelles politiques et de grands projets. Conséquemment, différents plans ont été élaborés dans ces années, notamment en faveur des littoraux et montagnes afin de permettre à ces territoires ruraux de se développer économiquement par le tourisme. Ces plans vont redessiner des pans entiers de territoires, et sont démonstratifs d’un développement différencié entre les zones de montagnes et littoraux, et le reste des territoires ruraux20. Effectivement, un déséquilibre fort dans la prise en considération et dans les modes d’interventions de la part de l’Etat se manifeste entre, d’un côté des territoires ruraux à vocation purement agricole, tandis que les littoraux et montagnes vont profiter de grandes opérations d’aménagement du territoire pour développer le tourisme. Alors, dans les années 1950 à 1970, le tourisme et l’agriculture sont perçus et utilisés comme deux solutions économiques des politiques d’aménagement du territoire rural. Elles forment le noyau central des Politiques d’aménagement. Elles sont envisagées comme des moyens qui permettent de dynamiser le territoire économiquement et de lutter contre la désertification en créant notamment des emplois (reconversion de la population à activité agricole). Avec l’élaboration de ces différents plans en faveurs des littoraux et des montagnes se sont développées les premières formes emblématiques du tourisme de masse (balnéaire et de montagne) : il représente l’économie en marche. 19 DELAMARRE, Aliette, LACOUR, Claude, 50 ans d’aménagement du territoire, France, éd. La Documentation Française, 2015, 200 p. 20

D’après l’Insee, les professionnels du tourisme utilisent un zonage différenciant les communes selon leur contexte géographique. Partant de celui-ci, et en utilisant le bassin de vie comme « maille » de base, la France métropolitaine a été partagée en cinq grands ensembles : les bassins de vie littoraux (au nombre de 200), les bassins de vie de montagne (177), les bassins de vie ruraux (1399), les bassins de vie de station de montagne (57) et les bassins de vie urbains (83). URL : www.insee.fr


b) D’une société de masse au tourisme de masse

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KNAFOU, Rémy, Tourismes 2 Moments de lieux, Paris, éditions belin, 2005, 349 pages, Mappemonde collection, n°1.

21 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Alors qu’avant les années 1950, le tourisme en montagnes et sur les littoraux était principalement pratiqué par l’aristocratie, il est marqué par un tournant de démocratisation, fruit des évolutions de la société et des volontés politiques. Effectivement, l’Etat se fait créateur d’un cadre social favorable à la pratique touristique de masse, et lance les démarches d’aménagement du territoire. En pleine période des Trente Glorieuses, le contexte social et économique s’avère favorable à la pratique du tourisme par le plus grand nombre. Compte tenu de la société de consommation qui est en pleine expansion, le développement touristique suit fidèlement celui de la société, dont il est en quelque sorte fonction. L’augmentation de la consommation touristique est alors entrainée par la concomitance de la prospérité économique, de la réduction du temps de travail, de l’accès à la voiture individuelle, et un important changement de la notion de « transport » à celle de « mobilité ». Ici, c’est moins la dimension de la distance qui compte que celle du temps de parcours. La mobilité va au-delà de la dimension technique du déplacement, de la logique d’infrastructure qu’induit le terme de « transport ». Désormais des moyens de transport efficaces vont répondre aux désirs des touristes d’atteindre des lieux dimensionnés pour les recevoir. Les transports ne sont plus résiduels, des grands voyages s’organisent, c’est l’avènement du temps libre, l’avènement des loisirs et des territoires vus autrement comme pour les bords de mer et montagnes. La pratique touristique s’affirme comme le pendant de la Révolution industrielle. En contrepoids de l’effort et du travail, le tourisme incarne la détente, la fête et profite des acquis de la modernité : le chemin de fer permet le voyage, l’électricité permet la mise en lumière décorative des villes etc. De nouveaux lieux situés aux marges des grandes villes émergent grâce aux progrès techniques, comme Arcachon, ville touristique crée par et pour le tourisme. C’est la première forme de « tourisme – hors-sol » : la voierie a été créé pour l’accès, les terrains bâti d’immeubles par un promoteur pour les touristes, et la ville habitée seulement par des voyageurs en quête de bien être. Arcachon marque le passage de l’activité touristique à l’âge industriel et du grand nombre : la conjonction de la projection de la ville et de son intégration par le chemin de fer au marché national et international lui garantisse une fréquentation à des niveaux jamais atteints pour des lieux situés aux marges21.


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Puis au-delà de ces changements techniques, pour développer le tourisme dans les territoires, les premières politiques adoptées sont des mesures sociales permettant de démocratiser la pratique du tourisme au plus grand nombre. Il y eut la création de chèques vacances, mais surtout, par la création de congés payés de trois semaines en 1956, passant à quatre en 1969. Associé à la hausse des pouvoirs d’achat et l’extension du salariat, l’Etat atteint son objectif d’augmenter le nombre de vacanciers. Entre 1951 et 1989, le taux de « départ en vacances » des Français passe de 31 % (soit 10 millions de Français) à 60,7 % (soit 33 millions de Français). L’affirmation de la société de masse dans le tourisme constitue la rupture essentielle dans la seconde moitié de ce 19ème siècle. Le contexte social et économique était propice au développement du tourisme, que l’Etat a su provoquer par des mesures sociales mais aussi par des aménagements du territoire.

c) La fabrication de lieux touristiques : les littoraux et montagnes Pour atteindre ce résultat économique et social, l’Etat planificateur et modernisateur de l’époque, lance une démarche volontariste de valorisation des potentiels touristiques des territoires littoraux et de montagnes à travers de grandes politiques d’aménagement global. Ce modèle de développement touristique opère de façon déconnectée des spécificités culturelles, sociales, historiques etc. des territoires, en considérant le territoire comme un support économique, et le tourisme comme un simple outil de développement économique. Afin d’aboutir à cela, dans les années 1960 la DATAR devient le « bras armé » de l’Etat, et transforme des régions par des planifications à vocation de développement touristique : elle planifie le développement de larges portions de territoires par de grands plans d’aménagements du littoral : les premières planifications de l’aménagement côtier, et l’aménagement de la montagne, le tout porté financièrement par l’Etat. Les actions alors menées lors de ces deux décennies ont largement profilé le littoral français dans sa configuration actuelle, ont crée les grands équipements qui structurent ces espaces et font encore aujourd’hui la renommée touristique de ces régions : la Côte d’Azur et le littoral Atlantique. Alors que des formes de tourismes existaient déjà dans


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CASAMAYOR, Myriam, DULUC, Bénédicte, CHERON, Morgane, DABITCH Christophe, La MIACA première politique d’aménagement touristique du littoral aquitain 1967 / 1988, France, ateliers de Pixagram, 2015, 77p. URL : http://www.littoral-aquitain.fr/sites/default/ files/miaca_livre_small.pdf

23 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

ces lieux, elles prennent une toute autre dimension par la multiplication des « stations touristiques » qui y ont été bâties. Les « stations touristiques » constituent un cas emblématique du tourisme de masse de l’époque, car ce sont des lieux touristiques crées par et pour le tourisme. Elles sont issues de projets d’ensemble qui visent à créer toutes les conditions matérielles de l’accueil des touristes et à répondre à l’intégralité de leurs attentes. D’emblée, il s’est agit de créer des lieux touristiques selon des logiques industrielles telles qu’elles s’élaboraient dès le début du XIXème siècle dans d’autres secteurs d’activité. Ainsi, tout est mis en œuvre pour faciliter l’accès (moyens de communication) à ces territoires, assurer le confort du séjour (hébergements variés suivant toutes les évolutions en matière de modernité et d’innovation), et favoriser les pratiques souhaitées (équipement en tout genre). Alors, évidemment ces politiques touristiques volontaristes ont des retombées positives pour les territoires sur lesquels ils sont appliqués. Des territoires dépourvus d’aménagement sont alors enfin équipés. Dans le cas de la région Aquitaine, de 1967 à 1988, la Mission interministérielle pour l’aménagement de la côte aquitaine (MIACA) est chargée de « définir l’aménagement touristique du littoral aquitain, le programme général d’aménagement de la Côte Aquitaine (voir figure 2), d’en déterminer les moyens d’exécution et d’en suivre la réalisation par l’État, les collectivités publiques, les collectivités locales et par tout organisme public ou privé agissant avec l’aide de l’État ou sous son contrôle ».22 Deux secteurs à vocations touristiques se distinguent : une prioritaire, littorale et lacustre, pour des interventions généralisées, et une pour des actions localisées, l’arrièrepays, avec des opérations ponctuelles d’importance limitée (les zones dans les terres ne constituant pas une priorité lors de ces interventions). Le périmètre concerne d’abord 620 000 ha et 114 communes puis il s’élargit à l’ensemble du littoral aquitain, jusqu’à la frontière espagnole. A cette époque, l’Etat joue le rôle d’aménageur global du littoral, à travers un plan d’action d’une ampleur géographique et d’une ambition importante, nécessitant un investissement financier majeur déboursé par différents Ministères : une chance pour ces territoires qui améliorent ainsi considérablement leurs qualités de vie. Entre 1970 et 1974, les crédits engagés par la Mission pour le génie sanitaire (apports


LE PLAN DU PROgRAMME gÉNÉRAL D’AMÉNAgEMENt DE LA CôtE AqUItAINE (gIRONDE-LANDES), 1968 —

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Figure 2 : Le plan du programme général d’aménagement de la côte aquitaine (Gironde-Landes), 1968 Source : www.littoral-aquitain.fr (dont la source originale est : Mikaël Noailles, La construction d’une économie touristique sur la Côte Aquitaine des années 1820 aux années 1980, pratiques sociales, politiques d’aménagement et développement local, Le Plan Saint-Marc en 1968, Méridienne, p.270, 2012)


25 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

de réseaux eaux, d’électricité, de réseau d’assainissement, stabilisation des dunes, assainissement des marécages, stations d’épuration…) et le réseau routier représentent le tiers du montant total des travaux d’équipement. Ces territoires précédemment isolés ne le sont plus grâce à des infrastructures de transports développés : train ou voies routières sont créées comme l’axe Nord/ Sud de la route des lacs (RN 652) ou encore autour du Bassin d’Arcachon, dont la voie rapide entre Facture et Biganos. D’autres routes bénéficient de travaux de réfection et de calibrage (passage en 2 fois 2 voies…). Le tourisme, à travers ces politiques volontaristes, a permis de développer ces territoires et constitue leur ressource économique principale. Effectivement, le tourisme a permis de diversifié l’économie dans des régions dépourvues de dynamisme dont les principales ressources proviennent essentiellement des productions traditionnelles, telles que l’agriculture et la sylviculture en Aquitaine, ou concentrée sur des pôles industriels comme Bordeaux. Se sont construits à cette période les premiers grands équipements structurants des offres de touristiques de ces territoires, source de nombreux nouveaux emplois, à la mesure des ambitions d’accueil : par exemple dans le Languedoc, les stations littorales crées permettent d’accueillir 400 000 visiteurs. En découle toute une économie, que ce soient les hébergements (hôtels, villages vacances, campings, résidences de tourisme etc.), les restaurants, les ports de plaisance ou les équipements récréatifs, toutes ces nouvelles activités apportent une nouvelle économie au territoire. Néanmoins, ces vastes plans d’aménagement et l’économie générée trouvent leurs limites. L’essor du secteur touristique a de multiples rapports à l’espace : consommation, fréquentation, dégradation. Toutes renforcées quand les flux sont concentrés sur des espaces fragiles, que sont les milieux littoraux et montagnards. En prenant l’exemple des stations balnéaires, sur le plan architectural et urbain, ces stations sont conçues sur un plan d’urbanisme critiquable, et qui tend à être toujours le même : un quadrillage orthogonal appuyé sur le front de mer. Effectivement, l’aboutissement des vastes campagnes de stabilisation du littoral français, a pour effet de rendre disponible la consommation de terrains constructibles à proximité des plages, afin que ces « villes nouvelles » s’implantent sur des parcelles où il est permis de faire « table rase » et puissent s’organiser dans le simple but d’optimiser la relation physique et visuelle entre les bâtiments d’habitation, et la plage. Ces villes répètent cette forme urbaine de façon quasi systématique, et excluent toutes relations avec leur territoire d’implantation. Malgré une architecture


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très créative, les stations tendent ainsi à se ressembler entre elles, tant par leur forme que par la manière dont elles répondent à des attentes sociales uniques : la pratique du bain de mer, ou la pratique du ski. Cette démarche « coloniale » trouve ses limites alors si bien sur le plan architectural, urbain, social et environnemental. D’autant plus que cet aménagement à outrance du territoire, cette forte consommation d’espace et cette bétonisation excessive amènent à la dégradation des systèmes naturels qui y étaient installés. Dans les zones littorales, aujourd’hui nous constatons que malgré les ouvrages de protection « durs » (épis, brise-lames) privilégiés dans les années 1980 pour la lutte contre l’érosion, ils n’ont que trop souvent finalement reporté l’érosion sur les secteurs voisins. Ce phénomène naturel associé à la phase de réchauffement global du climat du XXIème siècle, et l’urbanisation très proche de ces villes de la mer, fait craindre des aléas de submersion définitive ou d’érosion d’ici la fin du siècle.23 Puis, sur le plan social et économique, ce système de développement est fragile. Un déséquilibre peu vertueux se fait percevoir faute au fonctionnement de type saisonnier de ce genre de tourisme. Effectivement, la station se veut monofonctionnelle (simplement touristique) et ne fonctionne principalement qu’en été ou hiver, ce qui induit une employabilité non-permanente, faible une moitié de l’année et très élevée dans une seconde partie. Ce déséquilibre amène à une ville fantôme, aux services fermés toute une partie de l’année, désertée par ces travailleurs de passages et par les touristes. Et à l’inverse, une masse de personnes venant fréquenter le lieu durant la saison, profitant d’un maximum de services présents sur le territoire. Cette disproportion ne peut apporter un équilibre économique et social permanent au territoire, et ne constitue pas un modèle de développement raisonné sur le plan environnemental. Aujourd’hui, cette forme de tourisme est la plus pratiquée et touche quasiment toutes les régions du monde, dont les problématiques énoncées en introduction peuvent être généralisées. Finalement, ces mesures ont certes permis de démocratiser la pratique du tourisme, lançant l’économie devenue la plus puissante du monde aujourd’hui, et ont permis de développer des territoires ruraux, mais ce n’est pas sans conséquences négatives sur les pans économiques, sociaux et environnementaux. Ce modèle se base sur des politiques d’aménagement 23

Le site de « Contrat de projet Etat / région Languedoc-Rousillon » : URL : http://littoral. languedocroussillon.fr


déconnectées des acteurs du territoire et de ses spécificités historiques, environnementales, culturelles etc. Ces « nouveaux territoires touristiques » ne sont pensés qu’à partir d’une logique économique venue « d’en haut », et dont la volonté de sectoriser le territoire économiquement les a enfermé dans des logiques de mono-fonctionnalité économique autour du tourisme. Ce mode opératoire ne peut apporter un développement vertueux des territoires, n’associant aucunement les dimensions économiques, sociales et environnementale dans son mode de pensée. Ce modèle connu sa crise, dans les années 1970, face à une société qui veut réfléchir à un autre type de tourisme plus « moral », « entre l’environnement et le tourisme ». 27 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Egalement, nous constatons que toutes ces mesures ne s’appliquent qu’à une partie du territoire rural aux caractéristiques géographiques pouvant être considérées comme « remarquables » à cette époque que sont : les littoraux et les montagnes. Alors que ceux-ci se développent, et que les grandes villes prennent de plus en plus de « pouvoir économique » et d’attractivité, le territoire rural resté en marge des considérations des politiques autres qu’agricoles, va être support à ces nouvelles préoccupations et Politiques engagées autour de préoccupations environnementales ; et de réflexions autour d’un tourisme plus raisonné.


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1.2. Un regain d’intêret pour les territoires ruraux

Après que l’Etat ait longtemps laissé autonome le développement économique des territoires, puis qu’il soit intervenu pour en accélérer la croissance dans les années 1960, le contexte de crise économique et pétrolière des années 1970 remet en question le modèle de développement économique de la période précédente : l’Etat ne peut pas être le moteur de développement de tous les territoires. De plus, cela sonne la fin du modèle fordiste qui oblige alors à une évolution des structures productives, et donc à une évolution de l’organisation et de l’occupation du territoire. L’Etat n’ayant plus les moyens de poursuivre les politiques d’aménagement en cours, il doit donc composer avec de nouvelles partitions administratives et commence la décentralisation24 esquissant un progressif rapprochement vers le territoire et ses spécificités.

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« La décentralisation est un processus d’aménagement de l’Etat unitaire qui consiste à transférer des compétences administratives de l’Etat vers des entités (ou des collectivités) locales distinctes de lui. ». URL : www.vie-publique.fr

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MERLIN, Pierre, Le tourisme en France : enjeux et aménagement, Paris, éditions Ellipses, Coll. Quadrige dicos poche, 2006, 159 p.

1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Dans ce contexte de crises, apparaissent les prémices de préoccupations écologiques qui prendront de l’ampleur les décennies suivantes. Le 1er sommet de la Terre en 1972 est organisé par l’Organisation des Nations Unies (ONU). C’est une rencontre décennale des hauts dirigeants mondiaux qui ont pour but de gérer collectivement les problèmes écologiques. Cette première rencontre pose les bases des préoccupations écologiques internationales et se veut avoir une approche liant développement humain et écologie. A cette période, nous avons commencé à se poser des questions sur les interventions passées. Cette nouvelle prise de conscience va indubitablement influencer les politiques d’aménagement du territoire Français. L’aménagement intensif du territoire ne compromettait-il pas l’environnement ? Le tourisme, n’entrerait t’il pas en rivalité pour l’utilisation de l’espace avec d’autres activités économiques ? Ce renouveau d’intérêt pour l’environnement va de pair avec un nouvel attrait que porte la société pour le territoire rural. Effectivement, depuis les années 1970 le long et fort mouvement d’exode rural, où près de 12 millions de personnes ont quittées les campagnes en près de deux siècles, est inversé. Ce mécanisme constitue le fait le plus marquant de l’occupation de l’espace français depuis 1970: plus de personnes quittent la ville pour la campagne que l’inverse. 25 Cette inversion de tendance a des causes multiples, dont entre

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autres le besoin de nature éprouvé par les sociétés parties en ville depuis l’après guerre. Le grand public reconnait des qualités aux territoires ruraux qu’ils ne trouvent pas dans les territoires citadins et deviennent le nouveau cadre de vie rêvé par beaucoup de citoyens ayant à disposition de grands espaces, la nature, l’absence de pollution et de bruit.

a) Les premières politiques volontaristes

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Malgré un retour progressif des populations, le monde rural a subi un fort déclin démographique et économique. Ce n’est que dans les années 1974 que l’Etat prend officiellement position afin de mettre en œuvre une politique volontariste pour enrayer notamment le processus de fermeture ou de transfert excessif des services publics, qui demeurent indispensables à la vie des villages. A cet effet, le gouvernement crée un groupe interministériel des services publics en milieu rural qui se voit chargé de proposer des mesures afin d’améliorer la qualité des services offerts à la population. Afin de modifier les effets néfastes de cette désertification administrative, plusieurs mesures sont mises en place comme la création de « services polyvalents ». Par exemple, dans des zones de faible densité démographique, les bureaux de poste se doivent alors d’exécuter des opérations pour le compte d’administrations ou d’établissements publics, et être le garant du maintien du service public dans le territoire en offrant des services que d’autres administrations ne sont plus en mesure de fournir. Malheureusement, cela ne compensera pas la fuite des services privés qu’il est difficile de maitriser. De nombreuses aides financières sont mises en place pour favoriser et encourager l’installation de ces services privés comme la rénovation de bourgs afin d’accueillir des commerces, services médicaux etc. Ou encore, dans des communes de moins de 2000 habitants, est crée une opération « point multiservices ». Ces « points » sont installés dans les locaux commerciaux ou artisanaux et ont pour objectifs de faciliter l’installation et l’extension de petites entreprises et de mettre en place des services communs (accueil, comptabilité, secrétariat…). De plus, des incitations financières et fiscales propres aux zones rurales sont dédiées au logement locatif et à l’hébergement de travailleurs saisonniers et de salariés agricoles.


Afin d’accompagner les changements envisagés par ces politiques d’aménagement du territoire rural et de valoriser le monde rural au regard notamment des préoccupations environnementales, divers outils législatifs ou incitatifs sont mis en place. Premièrement, à cette période, le modèle des années 1960 des politiques d’aménagement est renversé, les capacités de financement de l’Etat sont réduites, et la DATAR prend de l’importance pour les espaces « en crise ». La décentralisation continue de s’opérer depuis le début des années 1970, et un désengagement progressif de l’Etat dans l’aménagement des territoires l’amène à déléguer de plus en plus de capacités de décisions aux différents territoires qui composent la France : par exemple, la création de la région comme institution (« régionalisation »). La région devient progressivement la meilleure échelle pour penser et aménager le territoire rural, elle intervient sur le développement économique local et l’aménagement du territoire, et joue un rôle essentiel d’intermédiaire entre les objectifs de l’Etat et les réalités régionales. De plus, une autre vision de l’aménagement territorial se développe

31 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Mais, le développement même massif de ces différents systèmes de services polyvalents ne suffira pas à enrayer la dévitalisation des zones rurales, d’autant que dans la plupart des cas il s’agit avant tout d’un « maintien » des services publics en milieu rural et non d’une mise en place d’un nouveau fonctionnement ou la promotion d’une nouvelle organisation des services. Dans ce contexte de crises et face à ces solutions peu efficaces, pouvons-nous laisser imaginer que l’activité touristique serait en mesure de faire perdurer ces services à la population ? Ces politiques d’aménagement du territoire rural révèlent une prise en considération des territoires ruraux par les politiques, après avoir longtemps été concentrées sur les activités agricoles. Le gouvernement n’établit plus seulement des politiques agricoles, il souhaite lutter contre la désertification mais aussi, dynamiser les territoires. Ces politiques cherchent à maintenir les économies existantes, et tendent aussi à diversifier les économies des territoires ruraux par un développement touristique, avec la grande préoccupation de ne pas nuire au cadre naturel, ce qui fut moins le cas des politiques menées dans les espaces littoraux et de montagnes. Les questions d’écologies qui se développent sont alors le plus souvent associées aux politiques touristiques et à la notion d’un tourisme écologique. Alors, l’écologie et le tourisme coïncident dans de nouvelles politiques d’aménagement du territoire rural.


grâce à des prises en considérations nouvelles comme nous l’avons évoqué, et l’expérimentation de la contractualisation comme mode de relation entre l’Etat et les collectivités. Les collectivités territoriales que sont la région, le département et la commune se voient collaborer ensemble et former des alliances. Commence alors un autre modèle de développement territorial, plus du bas vers le haut : ascendant, qui se renforcera dans la décennie suivante.

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Ce changement de vision de l’aménagement du territoire est traductible dans les Plans d’Aménagement Ruraux (PAR) institués en 1970, qui sont l’un des premiers outils mis en place par le gouvernement. On introduit des méthodes de planification26 inspirées de celles déjà en vigueur en milieu urbain qui visent à déterminer les orientations souhaitables de l’aménagement des territoires ruraux et les moyens de mises en œuvre. Les PAR utiliseront comme « instrument financier » la procédure de « contrats de pays ». Lancés et conduits par la DATAR, « les contrats de pays » dans les années 1975 rassemblent des communes regroupées selon des critères géographiques, économiques, sociaux, culturels ou projets communs, donc animés par un même projet de développement. Les « pays » luttent contre la dévitalisation et le dépeuplement des villages, et associent l’aménagement rural et le développement économique des campagnes et petites villes, en améliorant leurs cadres de vie par le biais de contrats entre l’Etat et les collectivités locales d’un pays. Alors, elle permet de développer des responsabilités locales : « le contrat de pays est avant tout une enveloppe financière proposée à des élus locaux pour apprécier les urgences, dégager et articuler des priorités, faire les choix nécessaires et mettre en œuvre une réelle solidarité intercommunale».27 (Les intercommunalités apparaitront dans la décennie suivante). Ils encouragent et se basent sur la proposition de nouveaux projets de développement qui font références à divers secteurs d’interventions sur le territoire (industriel, social, culturel…) et sont initiés par les acteurs locaux. Ils recentrent l’action et l’intérêt à une échelle plus locale prenant en compte les singularités des territoires et la qualité de l’offre. 26

« La planification : Dispositif politique ayant pour objectif la prédiction du contexte et la mise en cohérence des actions, publiques et privées, dans un domaine et/ou sur un espace, pour une durée et une échéance déterminée. » LEVY, Jacques, LUSSAULT, Michel, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, éditions BELIN, 2013, 1128 p.

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MERLIN, Pierre, CHOAY, Françoise, Dictionnaire de l’urbanisme, Paris, éditions puf, Coll. Quadrige dicos poche, réédition 2010.


33 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Néanmoins, ces politiques appliquées sur le territoire rural n’étaient encore que des « orientations d’aménagement » à simples valeurs indicatives (PAR), et des mesures associant « aménagement et développement économique » (contrats de pays). L’aménagement touristique était un des objectifs de ces politiques d’aménagement rural, mais sans en être une véritable priorité. Même si les contrats de pays pouvaient inclure la réalisation d’équipements destinés au tourisme ou même de simples aménagements d’espaces publics pouvant attirer les touristes, cela ne fut que peu réalisé. Nous pouvons tout de même reconnaitre dans ces démarches les prémices d’un fait qui sera marquant au début des années 1990 : la volonté de la part des politiques de développer des « projets globaux ». Effectivement au delà de préoccupations économiques ou environnementale nous percevons les débuts de politiques de développement de projets qui valorisent les singularités de chaque territoire et qui font appel aux initiatives locales. La population commence à être incluse dans les projets de développement du territoire. Les acteurs publics et privés se rassemblent parfois autour d’un projet commun avec la volonté de coller au mieux à la réalité du territoire, en écartant s’il le faut les frontières administratives traditionnelles. Les parcs naturels régionaux en sont un parfait exemple, regroupant plusieurs communes de départements différents afin de mener une politique et un projet de protection et de développement de leur territoire. Avant que des politiques ne se mettent véritablement en place afin de développer le tourisme en campagne, en marge de ces politiques, une première tendance de fond est apparue par un mouvement de société qui reprenant de l’intérêt pour les espaces naturel, est partie y vivre ou y pratiquer le tourisme. Cette première tendance est-elle déjà une première réponse positive de dynamisation des milieux ruraux par le tourisme ?


b) Le retour des citadins : un tourisme rural néfaste ?

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Avant les années 1970, le développement du tourisme se faisait principalement dans les espaces situés sur les littoraux et montagnes. La campagne apparaissait comme un milieu en déclin, peu attractif pour le tourisme qui s’y développait lentement. Mais dans les années 1970, la société change de vision sur les territoires ruraux et les sociétés rurales sont bouleversées notamment par l’inversion de la tendance d’exode rural devenu exode urbain. De nouveau attractif, le milieu rural séduit les citadins en désir de nature. Les intéressés sont notamment les citadins travaillant en ville et choisissant d’habiter dans la campagne, des populations parties durant l’exode rural et qui reviennent souvent lors de leur retraite ou parfois durant des vacances d’été. Ce retour de population citadine en milieu rural va alors créer de nouveaux déséquilibres. Premièrement, l’exode urbain qui consiste en le retour à la campagne de la part de populations urbaines (surtout celles proches des villes) a largement contribué à l’unification des modes de vie entre villes et campagnes en zone rurale. Cette unification entraine des retombées négatives : les néoruraux conservent leurs habitudes de consommation et sont imités par les populations locales qui partent faire leurs achats dans les grandes surfaces délaissant l’économie locale. De plus, cette nouvelle population permanente contribue à l’augmentation des prix du foncier au point d’entrainer parfois des difficultés d’accession au logement pour les populations d’origine rurale. Egalement, le mouvement de ces populations créé des flux de populations pendulaires aux impacts environnementaux conséquents (l’automobile étant privilégiée). De plus, l’installation de ces populations dans la campagne se fait par étalement urbain, dans des villages où souvent les habitations ne dépassaient pas le bourg du village. Accentué par la création de maisons secondaires pour accueillir les citadins qui a une ampleur géographique sans précédent. Les conséquences sociales de ces nouvelles occupations spatiales (constructions) ne sont pas négligeables. L’écrivain, documentariste et journaliste Rolland de Miller estime que de plus en plus de citadins décident de s’installer à la campagne afin de rendre cohérents leur vie et leur rêves, et justifient ce choix par des motivations économiques, sociales et écologiques. Mais derrière ces prétextes se cacherait souvent « le désir d’y recréer la ville (…), de transposer à la campagne les schémas citadins (piscine, 4x4, sport en salle) (…) la culture urbaine et anthropologique reste bien l’idée dominante. » d’après Pierre Merlin.28 Les néo-ruraux adoptent une attitude distancée vis28

MERLIN, Pierre, L’exode urbain, Paris, la documentation française, 2009, 176 p.


29

URBAIN, Jean-Didier, Paradis verts désirs de campagne et passions résidentielles, Paris, Payot, 2002, 392 p.

30

URBAIN, Jean-Didier, Paradis verts désirs de campagne et passions résidentielles, Paris, Payot, 2002, 392 p.

35 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

à-vis du village, le considérant essentiellement comme un cadre, un décor. Finalement, étant venus dans le village avant tout pour habiter à la campagne, sans véritablement y avoir de racines. La communauté de ces nouveaux habitants est très souvent coupée de la population locale, ce qui créer dans une majorité des cas une forte réaction de défense et d’hostilité chez les anciens habitants. Ces nouveaux habitants du territoire s’attachant à la mémoire et aux pratiques d’une ruralité qui n’est plus et d’autres cherchant à recréer une urbanité villageoise avec une vision très citadine de la campagne, souhaitant vivre à la campagne tout en gardant leur mode de vie urbain. Ces nouveaux habitants sont parfois envisagés comme des prédateurs par les habitants locaux, développant alors des rapports conflictuels entre ces deux populations. Cela ne participe pas à une intégration du tourisme rural dans ces milieux. Tout comme eux, les pratiquants du tourisme rural sont particulièrement à la recherche de racines du passé et de nature retrouvés. Ils cherchent à s’intégrer à la vie locale, aux traditions et se disent en quête d’authenticité. Ces citadins à la recherche du « coin perdu », en quelques sortes bucoliques contemporains, entretiennent une sorte de dictature d’un imaginaire qui enferme le milieu rural dans le passé et qui refuse la réalité présente d’une ruralité plus complexe, et aux modes de vie plus proches de ceux des citadins qu’ils ne le pensent.29 De plus, les politiques d’aménagement que nous avons précédemment cité souhaitaient développer l’activité touristique dans les milieux ruraux. Néanmoins, les politiques d’aménagement touristique étant restés assez timides et les initiatives de l’Etat peu nombreuses, ils ont laissé s’y installer dans un premier temps « un tourisme du pauvre »30. La plus significative des politiques est celle institutionnalisant les gîtes ruraux en 1954 dans le but d’aider à la réhabilitation de l’habitat rural abandonné par des subventions. Effectivement, ce sont plus particulièrement les populations peu aisées qui venaient fréquenter les campagnes, en profitant d’hébergements notamment peu coûteux comme cela est souvent le cas dans cette forme de tourisme tels que les camping-caravanages, voire gratuit, en étant hébergées dans les maisons familiales ou chez des amis ou dans d’anciennes résidences familiales abandonnées lors de l’exode rural. En effet, sur 100 séjours dans le milieu


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rural, 66 se font en famille ou chez des amis, 11 en résidences secondaires, 8 en hôtel, 5 en camping, 3 dans des refuges et gîtes, 2 en location et 1 dans un club. En ce qui concerne l’économie hôtelière, l’occupation des chambres en milieu rural est également plus faible que dans les autres zones touristiques. En effet, tout au long de l’année, en moyenne 50 % des chambres sont occupées, ce qui est inférieur à la moyenne nationale (56 %), au littoral (55 %) et à l’urbain (62 %), mais proche de celui de la montagne (48 %). L’économie locale ne peut donc pas pleinement profiter des ces flux touristiques. 31 Alors, le tourisme peut aider la campagne, à lui redonner un poids économique et une vie sociale en la valorisant par exemple comme espace de nature, de mémoire, de culture et de divertissement. Mais, cela n’attire pas vraiment les touristes, qui préfèrent leurs séjours à la montagne ou à la mer, ou dans des villes étrangères. L’espace rural qui représente 80% du territoire français, n’accueille que 31% de la fréquentation touristique globale en termes de nuitées et que 21% de la consommation touristique intérieure.32 Jean-Didier Urbain parle « d’une économie d’appoint, qui tient à la nature même de l’espace rural, essentiellement : d’étapes et de brefs séjours ». Alors nous pouvons penser que l’activité touristique en campagne est favorable du fait de la disparition d’autres activités depuis les années 1950, mais cela ne constitue pas une recette miracle sur laquelle les territoires ruraux pourraient compter pour développer leurs économies sur le long terme. Ce phénomène reste trop ponctuel et surtout individuel. Certes il participe à une petite économie locale mais ne la développe pas réellement et son ampleur reste assez mineure. En effet, les retombées économiques sont moindres que dans les autres espaces car la clientèle y est souvent moins fortunée, les aménagements touristiques sont peu conséquents n’incitant pas réellement à la consommation de produits touristiques sur le territoire, et les modes d’hébergements s’ancrent avant tout hors des établissements marchands. Cette forme émergente de tourisme rural ne constitue alors peut-être pas la pratique touristique la plus vertueuse pour les territoires. Mais nous lui reconnaissons le mérite d’initier cette nouvelle économie dans ces territoires, qui gérée autrement pourrait peut-être devenir vertueuse pour le territoire. 31

ARMAND, Ludovic, « Tourisme en espace rural, éléments de cadrage », Tourisme Info Stats, 2006. URL : http://www.tourisme-espaces.com/doc/7293.tourisme-espace-ruralelements-cadrage.html

32

URBAIN, Jean-Didier, Paradis verts désirs de campagne et passions résidentielles, Paris, Payot, 2002, 392 p.


c) Les Parcs Naturels Régionaux : l’expérimentation d’un nouveau développement ? Effectivement dans la suite des préoccupations environnementales, durant les années 1980 notamment, le tourisme en milieu rural s’est diversifié. Alors que son prédécesseur, les « Parcs Nationaux », avait vocation à préserver des espaces rares et presque vierges, les Parcs Naturels Régionaux (PNR) ont été conçus comme des outils d’aménagement et de revitalisation rurale. De même que « les pays », les PNR émanent d’une volonté locale ou régionale. La création de ces parcs s’opère par un regroupement de communes voisines qui partagent le souhait de mettre en place un projet commun de conservation de leur patrimoine naturel ou culturel, pouvant aller au-delà des limites administratives classique afin de constituer un « projet de territoire ». Apparu au cours des années 1965-1967, les PNR ont pour objectif de concilier la protection d’espaces de qualités mais « non exceptionnels » et développement économique. Peut-être classé « parc naturel régional » un territoire à dominante rurale dont les patrimoines naturels et culturels sont

37 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

D’ailleurs, à l’inverse de ce développement touristique ponctuel, individuel et non encadré par une mobilisation des Politiques publiques, des décisions politiques vont œuvrer à la mise en tourisme de territoires ruraux que sont les Parcs Naturels Régionaux, en développant certes une économie autour de l’aspect naturel des milieux ruraux, mais surtout en faisant participer les habitants et en préservant / dynamisant l’économie locale, ce qui dessine peut-être de nouvelles perspectives pour le développement des territoires ruraux et du tourisme en milieu rural. C’est au début des années 1980 que les enjeux sont clairement posés : le tourisme est une activité économique qui peut procurer des recettes aux populations locales, qui a des retombées économiques diverses mais dont il faut trouver un juste équilibre afin de ne pas dégrader l’environnement et s’intégrer à une dynamique sociale. Cet équilibre doit se trouver en élaborant des principes d’aménagements selon les conditions locales, et en dialogue avec les acteurs (l’opinion locales, les élus, les professionnels du tourisme, les associations etc.).


des qualités, mais dont l’équilibre économique et social est fragile. Par cette action, l’Etat souhaite développer le tourisme en milieu rural, tout en intégrant des préoccupations écologiques dominantes à cette période. De plus, il se trouve être un outil politique contractuel transversal qui sert un intérêt national (la protection de l’environnement) tout en étant proches de préoccupations locales car géré localement, par un rassemblement de communes. Ainsi, cette démarche initiée par l’Etat se veut à l’écoute des acteurs locaux afin de fabriquer des projets en cohérence avec leurs territoires. Les PNR sont alors moteurs d’attractivités touristiques pour ces territoires.

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Actuellement, les PNR représentent 15% du territoire Français (hors DOM), 51 PNR ont été élaborés en 40 ans, comptant 4 300 communes investies, plus de 8 700 000 hectares et près de 4 millions d’habitants (voir figure 3).33 Les limites géographiques d’un parc sont négociées par tous les partenaires, ainsi les adhérents dessinent ensemble les orientations et principes fondamentaux de protection des paysages. Les PNR sont gérés par un syndicat mixte qui regroupe les collectivités adhérentes et parfois même des acteurs privés, des partenaires qui veillent au développement équilibré des activités économiques sur les PNR. En effet, contrairement aux parcs nationaux et réserves naturelles, les PNR, dont l’ampleur géographique est plus vaste, ne sont pas soumis à une réglementation stricte sur la faune et la flore. Il s’agit d’un espace où est recherché un développement respectueux des équilibres environnementaux, mais aussi sociaux et économiques par exemple en œuvrant au maintien des activités traditionnelles en déclin. Par la valorisation de leurs patrimoines géographiques, historiques, paysagers et architecturaux, ces parcs s’engagent aussi dans des programmes de développement économique dans le domaine du tourisme. Par exemple dans le parc naturel régional du Perché en Normandie, rassemblant 126 communes sur 194 114 ha et 77 000 habitants, sont proposées en permanence des activités touristiques et culturelles : visites de manoirs, expositions, boutiques de produits du terroir, espaces gourmand… La polyculture des loisirs proposés par ces Parcs nous montre les débuts d’un tourisme en milieu rural aux retombées économiques conséquentes pour la population locale. Avec l’exemple des PNR, nous voyons la conciliation possible entre la protection des milieux ruraux et le développement économique, social et 33

URL : http://www.parc-naturel-normandie-maine.fr/


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Figure 3 : Importante emprise gĂŠographique des Parcs Naturels RĂŠgionaux en France Source : www.parc-naturel-ardennes.fr


culturel du territoire. Ils nous montrent une nouvelle forme de complexité du tourisme en milieu rural, qui prend appuie sur des caractéristiques propres au territoire et qui intègre la population locale à sa dynamique. Cette forme de tourisme en milieu rural s’approche alors d’une démarche « éco-touristique » se voulant proche de l’environnement et des communautés locales.

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Ayant véhiculé pendant longtemps l’idée de séjours de repos sans activités spécifiques ou emblématiques à pratiquer (à l’inverse du ski en montagne ou de la baignade à la mer par exemple), le tourisme en milieu rural a pris une toute autre direction en se basant sur ses modes de vie et les cultures locales comme atouts d’attractivité touristique, d’offre touristique. Aujourd’hui, le tourisme en milieu rural peut être considéré comme une forme de tourisme alternatif, car il ne repose pas sur des aménagements importants tout en recouvrant une grande diversité de pratiques : recherche de nature (l’éco-tourisme), d’espace, de patrimoine culturel, de découvertes muséales sur les mémoires et traditions, de tourisme de village, de loisirs en plein air, de vie à la ferme, de chambres d’hôtes, de gîtes panda34, de bistrots de Pays35, de labels comme « Bienvenue à la ferme », guide de Pays, offices de tourisme, villages vacances… etc. Certaines de ces activités spécifiques sont proposées directement par la population habitante. Par exemple, après avoir connu de lourds changements, les moyennes et petites exploitations agricoles ont cherché à diversifier son économie et notamment au profit de nouvelles formes de tourisme dont l’« agritourisme ». Afin de pallier aux aléas économiques de leurs activités agricoles, de nombreux agriculteurs vont ouvrir leurs fermes au public, créer des chambres d’hôtes, des ventes de leurs produits à la ferme… et bénéficier directement des retombées positives du tourisme. Ces nouvelles pratiques touristiques, s’inscrivent dans la démarche de recherche « d’un tourisme responsable », c›est-à-dire qui allie le développement économique des territoires, la valorisation de son patrimoine, la protection de l’environnement et la participation des habitants dans cette économie dont ils sont réellement bénéficiaires. 34

Les “Gîtes Panda” sont des hébergements Gîtes de France auxquels WWF (association mondiale privée et apolitique de protection de la nature et de défense de l’environnement) accorde son label lorsqu’ils répondent à trois conditions : la biodiversité et la protection de la nature, l’Eco habitat et Ecocitoyenneté. URL : http://ecotourisme.gites-de-france.com/

35

« En France, les bistrots ruraux constituent des lieux uniques de rencontre, de lien social, de découverte et d’animation locale. Souvent, ces bistrots sont les seuls points de services de proximité encore présents au sein des villages. » URL : www.bistrotdepays.com


Les Parcs Naturels Régionaux sont issus de politiques de préservation environnementales et esquissent un premier pas vers la notion de développement local des territoires, associant une dynamique économique et la participation de ces habitants au projet des parcs, qui continuent de nos jours à prendre de l’ampleur. Alors, La démarche portée autour des Parcs Naturels Régionaux est révélatrice d’une volonté de l’Etat de porter un regard plus attentif aux spécificités des territoires dans ces politiques, et de laisser aux acteurs locaux la possibilité d’agir pour leurs territoires. Cela esquisse une première étape vers ce qui pourra être nommé « un développement local du territoire ». 41 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME


42


1.2. Vers la notion de «développement local»

A partir des années 1980, des évolutions tant institutionnelles, qu’économiques, idéologiques, politiques et sociales conduisent à une évolution fondamentale de l’approche du territoire. Il s’agira de tenter de passer d’une démarche procédurale descendante à une démarche ascendante mettant les acteurs locaux au cœur de propositions et de préoccupations. Ceci afin de se rapprocher au plus près des attentes du territoire et esquisser ainsi la transition « d’un aménagement du territoire vers un développement local ».

a) De nouvelles solidarités locales

43 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Courant 1980-1990, se fait un « renouveau de l’aménagement du territoire » avec de nouvelles approches de gouvernance. Effectivement, afin d’aller au-delà des préoccupations économiques, le gouvernement s’oriente vers une politique de valorisation des singularités des territoires et fait de plus en plus appel aux initiatives locales. C’est notamment à partir de la loi de décentralisation du 2 Mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions que la voie à un profond bouleversement de la répartition des pouvoirs au profit des acteurs locaux se marque. Considérée comme la loi fondamentale du processus de décentralisation déjà en marche depuis une décennie, elle consacre essentiellement trois évolutions. La suppression de la tutelle administrative et financière a priori exercée par le préfet, le transfert de l’exécutif départemental et régional au profit d’un élu local, et la région qui devient une collectivité territoriale de plein exercice. Ces modifications font prendre une tournure radicalement différente au débat sur l’aménagement du territoire, qui se posera alors en en rupture avec les discours des Politiques d’aménagement des décennies passées. Véritablement, le territoire cesse d’être une simple projection de facteur de production et un lieu d’application des politiques économiques, et devient un cadre créateur d’organisation et de richesse. C’est la notion même de « territoire » qui s’enrichit alors. Par exemple, dorénavant il ne suffit plus d’agir directement sur les entreprises pour obtenir des retombées positives à l’échelon local. A l’implantation d’une entreprise est associée une réflexion sur son rapport avec le territoire ainsi qu’un accompagnement dans son intégration. L’Etat n’est plus seulement « ordonnateur » mais cherche des stratégies afin d’améliorer les infrastructures et services proposées aux


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entreprises. Les priorités et les orientations de l’aménagement du territoire évoluent donc, en choisissant par exemple de porter les efforts sur le niveau des équipements publics afin de satisfaire au mieux les besoins effectifs des populations tout en accompagnant leur évolution. Désormais, le schéma de développement national se penche sur une organisation territoriale fondée sur des notions telles que les « bassins de vie », réseaux de villes, « pays » afin de mener des politiques plus en accord avec les territoires. Comme nous l’avons vu, le pays ne correspond pas forcément au découpage administratif existant, mais regroupe des communes partageantes des facteurs géographiques, économiques, sociaux, culturels communs et donc animées par un projet commun de développement, comme ce fut le cas des PNR précédemment évoqué. Ces nouvelles solidarités locales deviennent constitutives des politiques d’aménagement du territoire. Elles prennent des formes très diversifiées et les acteurs qui les initient sont à toutes échelles de décisions (de l’Europe à la commune). Ainsi apparaissent le contrat d’agglomérations, le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT), la communauté de communes… certaines de ces entités sont administratives, et d’autres sont des coopérations plus ou moins formalisées entre acteurs privés et publics, parfois ayant une vocation à être pérennisé et parfois seulement mesure de circonstance. Certains sont issus de projets comme nous avons vu les « pays » et « parcs », et d’autres en sont des constructeurs, comme les intercommunalités. Par leurs rassemblements au sein d’intercommunalités, les communes créent un nouveau maillage du territoire qui se révèle fort utile face aux défis liés au développement urbain ou à la dévitalisation des espaces ruraux. », Sorte de remède face à l’émiettement communal (en France, 36700 communes, soit 40% de l’ensemble des communes de l’Union européenne) qui permet de rassembler les moyens auparavant dispersés et de structurer les initiatives locales. Dans la continuité des « contrats de pays », elles se dotent de « chartes intercommunales ». Elles souhaitent construire une solidarité intercommunale forte, renforcer et apporter de la vitalité économique au territoire tout en valorisant et préservant un cadre de vie de qualité. Cela concerne si bien l’agroalimentaire, que l’industriel, ou la valorisation du patrimoine culturel et le développement du tourisme (orientations concernant des équipements existants ou futurs, amélioration de signalisation touristique, constitution de réserves foncières etc.). Les nouvelles limites d’actions sont inscrites dans une charte, que les élus locaux définissent et qui leur permettent un contrôle


sur la zone d’action choisie en fonction de leurs objectifs et de leurs moyens. Le dépassement des limites administratives conventionnelles traditionnelles que permettent ces nouveaux outils offre la possibilité aux entités politiques de choisir de se regrouper autour d’un projet commun. Dans ces conditions, leurs actions se veulent et peuvent être plus proches des réalités du territoire.

Reste que ces mesures ont des limites, des capacités d’actions parfois faibles ne permettant pas réellement d’agir sur les problématiques d’aménagement de l’espace, encore contrôlées par des instances traditionnelles.

36

MAGNAGHI, Alberto, La biorégion urbaine, petit traité sur le territoire bien commun, Paris, Eterotopia France / Rhizome, 2014, 174 pages.

45 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Nous pouvons conclure de ces évolutions politiques et administratives un véritable changement dans le processus de conception et de réalisations des aménagements des territoires. Ces évolutions prennent racines dans un contexte de décentralisation et tendent à un processus de « fabrication du territoire » partant des acteurs locaux. Une démarche ascendante à l’inverse de la démarche dominante : descendante. Ainsi, les politiques d’aménagement de l’espace passent progressivement « d’un mouvement descendant » qui s’occupe de l’encadrement des actions locales par des procédures et incitations financières durant les décennies précédentes, à « un mouvement ascendant » issu de territoires précis et pourvus d’une volonté de valorisation de leurs spécificités locales. Ainsi le territoire n’est plus perçu comme un simple outil économique mais comme un cadre créateur de richesses locales issues du territoire et comme un « bien commun »36 à valoriser. En se rassemblant autour d’un projet commun de protection ou de développement du territoire qui souhaite prendre en compte les particularités locales, les démarches politiques énoncées plus haut s’inscrivent dans une idée de développement local autour d’un « projet de territoire ».


b) Des Politiques d’aménagements et touristiques limitées

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Premièrement, nous l’avons remarqué, les politiques d’aménagement du territoire rural restent le plus souvent focalisées sur les problématiques économiques du territoire. Durant les années 1950 à 1970, le moteur économique est prédominant pour les politiques d’aménagements des territoires. Dans les milieux ruraux, les activités autour de la productivité agricole, du tourisme, d’incitation et d’implantations industrielles sont perçues comme seulement des outils de dynamisation économique, créateur de richesses et d’emplois. Trop éloignés des préoccupations du territoire, l’Etat et la région jouent un rôle central dans les prises de décisions et l’élaboration de projets, négligeant de ce fait, les acteurs locaux du territoire et n’esquissant pas réellement un projet global de développement du monde rural. En 1981, Jacques Ellul pensait déjà la décentralisation comme « un bluff » : « cela veut dire que le pouvoir central veut bien accorder tel pouvoir, tel secteur de décision, au groupe, à l’institution qu’il choisit et qu’il désigne. Mais il va de soi que c’est ce pouvoir central qui trace les limites, les compétences, et qui reste toujours maître de tout révoquer.»37 Effectivement, l’Etat joue un rôle central dans la prise des décisions, limitant la capacité d’action des différentes collectivités territoriales. Alors malgré une distribution de nouvelles responsabilités à celles-ci et le développement de nouvelles solidarités locales plus proches du territoire, les démarches restent en majorité centralisées à Paris autour de la DATAR. De plus, le découpage territorial se révèle souvent désuet, ne correspondant pas assez aux attentes du territoire et à ce qui pourrait-être un réel projet de commun de développement. D’où les projets autour de « pays » et la création de solidarités locales, qui souhaitent proposer des projets de développement plus en adéquation avec les territoires. Ces nouvelles structures ont certes permis de donner la parole à des acteurs locaux jusque là ignorés, mais ces avancées sont fragiles. Nous pouvons nous demander si la complexité institutionnelle développée autour de ces projets et le rôle de décision toujours prégnant de l’Etat ne bloqueraient ils pas tout de même les initiatives et volontés locales. En ajoutant à ce fait, les faibles subventions financières dont disposent les collectivités pour développer des projets demandant des dépenses importantes. Aussi, les outils (Les PAR, les PNR, les chartes intercommunales…) mis en place s’avèrent d’une efficacité limitée. Par exemple, la charte des 37

ELLUL, Jacques, « Penser globalement, Agir localement, chroniques journalistiques ». Edition des régionalismes, Cressé, 2007/2009, 260p .


PNR n’a qu’un faible poids face aux Plans d’Occupations des Sols (POS) et ne sont pas réellement intégrés aux Plan Locaux d’Urbanisme (PLU), ce qui limite sa capacité d’action sur l’aménagement et l’organisation du territoire. Globalement nous pouvons constater que les politiques d’aménagement du territoire et du développement rural de cette dernière décennie tentent de valoriser de plus en plus les initiatives locales. Mais la multiplication des acteurs, l’institutionnalisation massive des démarches et une concertation limitée des acteurs constituent des paramètres qui nous conduisent à penser la nécessité de proposer d’autres modèles de développement plus proches des initiatives locales. Penser à un développement plus local, afin de développer des économies raisonnées en accord avec les territoires et les populations, et capables de proposer de nouveaux développements pour les territoires ruraux.

38

FRANCES, P., « le laborieux sillon du tourisme vert », art.Cité. 1989

1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Cette question de la gestion locale des décisions et des actions se retrouve aussi dans le développement des activités touristiques dans les territoires. Car nous l’aurons remarqué, la question touristique a considérablement évolué ces dernières décennies. A une période où le territoire fut envisagé comme simple « support économique », le tourisme fut utilisé comme « outil économique » de développement sans véritable préoccupation pour les spécificités du territoire sur lequel il s’appliquait. Très souvent envisagé comme un moyen de secours, la question posée par P. Francès en 1989 demeure : « Est-ce que finalement le tourisme représente la meilleure des bouées de sauvetage pour le développement des zones rurales ? »38. Peut-être que la réponse à cette question se trouve dans un changement de prise en considération du tourisme : ne faut-il pas considérer le tourisme comme une volonté émanent du territoire, mobilisant l’ensemble des acteurs locaux soucieux du développement de leurs territoires plutôt que comme une solution à appliquer en cas d’urgence ? Tout comme nous avons esquissé la nécessaire prise en compte des spécificités des territoires dans les politiques d’aménagements des territoires ruraux et de la participation des populations dans leurs développements, peutêtre faut-il envisager ces mêmes exigences pour le développement de l’activité touristique. Dans les cas explicités que sont « le tourisme de masse » et « le tourisme rural », nous avons perçu les retombées négatives que pouvaient produire ces formes de tourismes dont la gestion n’était pas maitrisée

47


localement ou dont la réalisation n’était pas pleinement issue des volontés des populations. A l’inverse, par une participation de la population à la création de la « destination touristique », nous pouvons imaginer un tourisme plus vertueux pour les territoires. L’activité touristique développée correspondrait aux besoins de la population locale, qui l’aurait choisie, à la hauteur de ses moyens et de ses ambitions, dont la maitrise pourrait être équilibrée et fédératrice de solidarité, en quelque sorte, un projet de développement local.

c) La nécessité d’aller vers un «développement local 48

Alors que d’après les géographes Jacques Lévy et Michel Lussault39, la notion de « développement » ne concerne que l’accroissement des richesses économiques associé à l’organisation de l’amélioration des conditions de vie de la population sur un territoire, elle se complexifie lorsque nous parlons de « développement local ». Tel que le décrivent Pierre Merlin et Françoise Choay dans le Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement,40 le développement local suppose « une volonté collective de mobiliser les ressources locales, qu’elles soient naturelles, humaines, économiques ou culturelles, pour créer des activités et construire sur un territoire homogène : un projet de développement global ». Dans ce cas, la dimension de « volonté collective » est déterminante, et constitue la base de l’action locale fondatrice du projet de développement global. Egalement, nous comprenons en cette définition que le développement local ne signifie pas s’exclure d’une échelle plus large, mais bien participer localement à la création d’une dynamique globale, d’un développement territorial. Aussi, le concept de « projet », son processus et son élaboration par divers acteurs locaux, ainsi que les initiatives conçues dans une démarche ascendante, bottom-up, nous apparaissent vecteur de dynamisme territorial et soubassement solide pour l’élaboration d’un nouveau développement rural. Cette démarche d’avantage bottom-up (c’est-à-dire qui part du territoire) que top-down (c’est-à-dire initiée ailleurs, au niveau national par exemple dans le but d’être mise en œuvre au niveau régionale ou local) est ce qui semble 39

LEVY, Jacques, LUSSAULT, Michel, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, éditions BELIN, 2013, 1128 p.

40

MERLIN, Pierre, CHOAY, Françoise, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, éditions puf, 2015, 880 p, n°4.


le plus différencier le développement de l’aménagement. Et c’est aussi la prise de conscience du rôle des acteurs dans le développement ainsi que de facteurs de plus en plus immatériels. Mais dans quelles mesures ces projets de développement locaux et territoriaux peuvent ils être mis en place ?

C’est par cette entrée de lecture, l’action des récits, que nous verrons comment le tourisme peut constituer un facteur majeur de développement dans les territoires ruraux.

41

Enseignant-chercheur en géographie, il se propose « d’interroger la fabrique de la ville dans le contexte de la métropole lémanique. Ses recherches portent sur les politiques urbaines, la production des paysages de ville ou les nouvelles modalités de l’urbanisme, singulièrement du point de vue du récit urbanistique et du storytelling urbain ». URL : www.metropolitiques.eu

42 GOUDIN Elisa, « Matthey L., 2014, Building up stories. Sur l’action urbanistique à l’heure de la société du spectacle intégré, Genève, A•Type éditions, 157 p. »,Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Revue de livres, mis en ligne le 21 septembre 2015, consulté le 20 avril 2016. URL : http://cybergeo.revues.org/27232

49 1: DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE AU DEVELOPPEMENT LOCAL : L’ANGLE DU TOURISME

Dans un projet de développement local, une grande importance est vouée à la volonté collective de valoriser des éléments du territoire / les ressources locales. Ces ressources peuvent-être déjà existantes ou importées, le tout étant de construire un nouveau récit autour afin de modifier ou de créer de nouvelles représentations de celui-ci. Le récit n’étant que la structure d’une histoire, il est possible d’inventer plusieurs récits d’une même histoire. Laurent Matthey41, parle principalement de récits métropolitains que nous pouvons élargir à la question des ruralités, comme étant des formes de discours participatifs qui véhiculent un imaginaire et infléchissent les représentations que nous nous faisons. C’est-à-dire que l’activité de raconter des histoires est liée intrinsèquement à celle d’en construire la réception. Le récit fonctionne de façon autoréférentielle et exerce une fascination, comme un instrument de contrôle des opinions. L’activité narrative modélise le lieu et lui donne un sens, dans le but d’en réduire la complexité et d’en susciter l’adhésion. 42


Présentation des études de cas : trois situations territoriales spécifiques

Les Epesses Vendée, Pays de la Loire (CP: 85590)

PARIS

Marciac Gers, Languedoc Rousillon - Midi Pyrénées (CP: 32230)

3 lieux

Espelette Pyrénées-Atlantiques, Aquitaine - Limousin Poitou Charentes (CP: 64250)


Ces trois exemples ont été choisi pour leurs complémentarités : diverses dynamiques touristiques, différentes temporalités des événements, trois types d’attractivités différentes, et une situation géographique en milieu rural caractérisée par un isolement des infrastructures majeures de transport et une faible densité d’habitants.

NANTES

8 0 km

Les Epesses

Aller aux Epesses depuis: Nantes : 1h La Roche-sur-Yon : 45 min Paris : 3h45

La Roche-sur-Yon Niort

Autoroutes Routes départementales BORDEAUX

km

Agen

Marciac TOULOUSE

BAYONNE Pau

Tarbes

Aller à Espelette depuis: Bayonne: 2h15 Toulouse : 3h Saint Sébastien: 1h

80 k m

BAYONNE

TOULOUSE Espelette

SAINT SÉBASTIEN

Pau

Espagne

51 PRESENTATION DES ETUDES DE CAS

15 0

Aller à Marciac depuis: Bordeaux : 2h Toulouse : 2h Pau : 1h15


LES COMMUNES Superficie (km²)

Habitants (nbre) Source : valeurs Insee 2013

Densité de population (hab/km²) Source : valeurs Insee 2013

31,29 km² 2900

87 habitants / km²

1252

61 habitants / km²

LES EPESSES 52

20.60 km²

MARCIAC

26.85 km² 2070

ESPELETTE

73 habitants / km²


L’EVENEMENT / LE FAIT TOURISTIQUE L’activité

Divertissement Le parc à thème du Puy du Fou

Durée / Période

Depuis 1978 Ouvert d’Avril - Octobre et Décembre

Touristes (nbre)

Installations spatiales Ampleur spatiale Cinéscènie :23 Ha. Foncier du Parc : 500 Ha.

2014 :

1 912 000

8 MOIS

Bourg des Epesses

53

Le Festival de Jazz in Marciac

15 JOURS

Gastronomie Le Piment d’Espelette

Valorisé depuis 1970 1997 : AOP Activité à l’année

12 MOIS

2013 :

250 000

2013 :

Le Festival : occupe toute la ville centre

10 communes cultivent le piment

20 000

(lors de la fête du Piment)

Le Piment : 819.3 Ha de terres réservées

PRESENTATION DES ETUDES DE CAS

Art

Depuis 1978 Les 2 premières semaines d’Août


Partie 2.


PARTIE 2. La mise en récits de territoires : Les Epesses, Marciac et Espelette Afin de montrer que des initiatives d’acteurs locaux existent sur le territoire, et qu’elles permettent d’apporter de nouvelles perspectives aux questions du développement local et territorial par le tourisme, cette deuxième partie est consacrée à la présentation de trois récits de territoires en France. A travers l’analyse de ces initiatives, nous verrons en quoi elles fournissent de nouvelles matières et pistes de réflexions sur la question du développement des territoires ruraux, et du rôle des acteurs du territoire dans la création d’un projet .

Dans leurs récits, chacun d’entre eux dans son domaine joue la carte de l’excellence, de la spécificité et de la particularité dans un contexte de forte concurrence territoriale. Ces démarches sur le long terme aboutissent à une renommée internationale leur permettant de revitaliser le territoire par l’activité touristique induite. Les formes développées sont plus que du tourisme en milieu rural, et proposent de nouveaux modèles de développements des territoires. Aux Epesses, commune du département de Vendée accueillant l’incontournable parc de loisirs du « Puy du Fou », s’est développée une activité touristique étonnante, intégrée à toute une économie de territoire dont la synergie, permet une dynamique globale du Nord-Est Vendéen. (A voir annexes 1, pages 125 - 127)

55 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Sont développées ici trois expériences différentes mais complémentaires, qui définissent de nouvelles ruralités contemporaines. Sur chacun de ces territoires, les acteurs de ces initiatives ont porté un regard nouveau sur leurs territoires. Ils ont choisi, chacun à leur manière et avec leurs moyens, de proposer de les (re)découvrir, en les valorisant à travers de nouveaux récits. Ils se questionnent sur les situations dans lesquelles ils se trouvent et expérimentent de nouveaux modes de développements plus en accord avec eux, leurs histoires, leurs habitants et leurs environnements.


56


A Marciac, petite commune du département du Gers, est née l’association culturelle et artistique qui développe le Festival de « Jazz in Marciac », dont le projet artistique, culturel et politique est devenu un moteur de l’économie locale (A voir annexes 2 pages 128 - 134). A Espelette, village des Pyrénées-Atlantiques réputé pour son Piment rouge accrochés aux typiques façades des maisons basques, les agriculteurs ont fait le choix d’une économie agricole de niche, sortant des standards, pour être connectée à son territoire et développer une économie territoriale en cohérence avec la dynamique touristique régionale ( A voir annexes 3 pages 134 - 137). 57 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE


Le Puy du Fou 58

Le bourg des Epesses

Figure 4 : Vue aérienne situant le Parc du Puy du Fou à proximité du coeur de ville des Epesses. Source : www.bing.com


2.1. Les Epesses : Le parc du Puy du Fou comme vecteur d’un projet de territoire En Vendée, la commune des Epesses accueille le renommé parc à thème du Puy du Fou (A voir figure 4), dont la particularité majeure est son ancrage au territoire. Par son intégration et sa participation dynamique à l’économie locale, nous pouvons parler d’un projet de développement collaboratif, qui fut moteur de la création d’une diversité économique et fonctionnelle sur le territoire Vendéen, rare en France. A partir des années 1980, la partie Nord-Est du département organise sa mutation : la Vendée ne se résumera plus au tourisme littoral de l’Ouest et aux industries liées à l’élevage, et souhaite compléter ses atouts par la diversification de ces activités industrielles et proposer une première offre touristique dans cette partie de la région : le parc du Puy du Fou.

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la Vendée présentait un tissu économique essentiellement tourné vers les activités agricoles. Puis, durant la seconde moitié du XXème siècle l’industrie locale s’est développée de façon spectaculaire, dans un contexte pourtant défavorable sur le plan national, avec la crise pétrolière et les mouvements de désindustrialisation. Du début des années 1970 à la fin des années 1980, de nouveaux fondements politiques d’aménagements du territoire apparaissent et convergent vers un développement local et territorial : les nouvelles préoccupations des pouvoirs publics sont désormais orientées sur le tissu économique crée par les PMEPMI (Petites et Moyennes Entreprises / Industries), qui semblent porter les meilleures opportunités de croissance. Ceci traduit un changement de paradigme, qui montre l’attention de plus en plus orientée sur la constitution d’un capital propre, par le financement d’entreprises, et notamment PMEPMI, dont on redécouvre toute l’importance auparavant ignorée. L’urgence de la reconversion industrielle recentre en effet l’intérêt collectif sur ce modèle d’organisation dont on reconnait le dynamisme productif, la flexibilité, la capacité à favoriser la création d’emploi à court terme, et la faculté à se positionner sur des marchés extérieurs. Dans ce contexte, le département de la Vendée se focalise sur la création d’usines avant de penser à l’urbanisation des campagnes.

2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

a) Des racines et des réseaux

59


Communauté de Communes du Pays des Herbiers Principales activités industrielles Mise à jour : mars 2016

Autoroutes 2 x 2 voies Routes principales Routes secondaires

Emplois salariés 1715 634 36 Secteurs d'activités

60

Agroalimentaire Biens d'équipement Construction navale Métallurgie et travail des métaux Caoutchouc et plastiques Textile et habillement Ameublement Travail du bois

Source : Urssaf des Pays de la Loire - Année 2014.

Figure 5 : Les principales activités industrielles en Vendée : forte multifonctionnalité 33 rue de l’Atlantique - CS 80 206 - 85005 LA ROCHE SUR YON CEDEX - Tél. : 02 51 44 90 00 - Fax : 02 51 62 36 73 Sources : www.vendee-expansion.fr E-mail : contact vendee-expansion.fr - Directeur Général : Eric GUILLOUX - www.vendee-expansion.fr

@ Conception et réalisation : Vendée Expansion - Service d'Observation et d'Information Economiques - Contact : François RIOU

Vendéopôles

Les Epesses

Pays Challandais (Bois de Cené)

Vendée Sud Loire (Boufféré) Vendée Sud Loire (Rocheservière)

Pays de St Gilles Croix de Vie (St Révérend/Givrand)

Haut Bocage Vendéen (Chavagnes en Paillers)

Vendéopôles

Vendéopôle Littoral (Château d'Olonne)

Haut Bocage Vendéen (Pays de Mortagne/ La Verrie)

Haut Bocage Vendéen (Les Herbiers)

Actipôle 85 (Le Poiré sur Vie) La Mongie (Essarts en Bocage) Beaupuy (La Roche sur Yon/ Mouilleron le Captif)

Autoroutes 2 x 2 voies Routes principales Routes secondaires

Mise à jour : mars 2016

Vendée Centre (Bournezeau)

Vendée Atlantique (Ste Hermine)

Sud Vendée (Fontenay-le-comte)

Source : Vendée Expansion.

Figure 6 : Les pôles 33économiques en Vendée : Les Epesses intégrés à une dynamique rue de l’Atlantique - CS 80 206 - 85005 LA ROCHE SUR YON CEDEX - Tél. : 02 51 44 90 00 - Fax : 02 51 62 36 73 E-mail : contact@vendee-expansion.fr - Directeur Général : Eric GUILLOUX - www.vendee-expansion.fr locale Conception et réalisation : Vendée Expansion - Service d'Observation et d'Information Economiques - Contact : François RIOU Sources : www.vendee-expansion.fr


Pourtant, rien ne prédestinait ce territoire rural, isolé à l’ouest du continent, à se distinguer. Malgré une histoire récente, l’essor industriel de la Vendée s’est réalisé de manière équilibré. Cette cohérence repose, en premier lieu, sur la présence d’un ensemble d’activités diversifiées (A voir figure 5) parmi lesquelles on peut citer l’agroalimentaire (29,6 % des effectifs salariés de l’industrie vendéenne), la production de biens d’équipement (12,1 %), le travail des métaux (14,2 %), la construction navale (7,2 %), la fabrication d’articles de mode (5,1 %), l’ameublement (5,4 %) et la plasturgie (6,3 %). Avec Fleury Michon, Sodebo, la Mie Câline dans l’agroalimentaire, Bénéteau dans les équipements de loisirs nautique, mais aussi les groupes Liebot ou Concept Alu dans l’industrie du bâtiment, la Vendée s’est développée autour d’un bassin pluridisciplinaire, mêlant les activités secondaires. L’harmonie économique du département tient en second lieu, à l’existence d’une structure de production équilibrée où cohabitent ces grands groupes d’envergure nationale ou internationale et un important réseau de petites et moyennes entreprises particulièrement dynamiques (A voir figure 6). Une 1

RENAULT, Marie-Cécile. « La Vendée, ses PME familiales et ses zones de pleinemploi. » [en ligne]. URL : http://bourse.lefigaro.fr/ [consulté en avril 2016]

61 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Des choix qui lui seront profitables : grâce à un mouvement de croissance forte et quasi ininterrompue, la Vendée se place aujourd’hui dans le premier quart des départements français qui affichent la plus importante proportion de salariés travaillant dans le secteur industriel (31,5 % des emplois dans le département, contre 13,7 % sur l’ensemble de la France). Alors que le nombre de demandeurs d’emplois continue de progresser au niveau national, la Vendée propose une « terre économique », avec une entreprise pour 17 habitants contre un pour 20 en moyenne nationale, et repose ainsi sur un tissu très dense de PME (98.6% des entreprises ont moins de 50 salariés) soutenu majoritairement par un capitalisme familial. 1 Au Bocage, dans le nord du département, le bassin d’emplois voisin des Herbiers présente un taux de chômage de seulement 5.7%, soit « le plus faible de France ». L’attractivité de ce bassin fait de la concurrence à la métropole de Nantes, dont l’influence se fait sentir jusqu’aux Herbiers, sans provoquer les symptômes qui touchent de nombreux milieux ruraux en proximité des zones urbaines comme : les flux pendulaires, les villes dortoirs et les infrastructures de transports saturées. En effet 80% de la population résidente dans la Communauté de Communes du Pays des Herbiers y travaille.


forte densité exceptionnelle : sur 282 communes, seules deux d’entre elles n’ont pas d’entreprise sur le territoire.2 La diversité et la multifonctionnalité des entreprises permettent ainsi de lisser les aléas de la conjoncture et les impacts éventuels sur l’économie locale.

62

La réussite du développement de l’industrie vendéenne réside en outre dans l’équilibre de sa répartition géographique. Dans ce département à dominante rurale, les activités manufacturières ne se concentrent pas sur une seule et même métropole, la plus proche étant la Roche-sur-Yon avec ses 50 000 habitants, mais sur un réseau dense de petits pôles économiques qui maillent l’ensemble du territoire : Challans, Les Sables d’Olonne, Les Herbiers, Fontenay le Comte, Montaigu, Luçon etc.3 Cette organisation spatiale se rapproche du modèle de « l’usine à la campagne » : de grosses entreprises dans un tissu rural.4 Dans ce maillage urbain atypique en France, la Vendée a réussit à conjuguer le dynamisme économique des grandes villes (créations d’emplois, attraction démographiques) et la qualité de vie à la campagne (cadre de vie environnemental, espérance de vie, sécurité…).5 Par ailleurs, le succès d’une telle cohabitation d’entreprises sur ce territoire, trouve également son explication dans la proximité des investisseurs et la similitude de leur financement. Toutes ces affaires sont familiales à l’origine, et elles se distinguent dans leur mode de gouvernance, des organisations basées sur un capitalisme financier ouvert au public6. Créées par les pères ou les grands-pères, aujourd›hui dirigées par la 2ème ou la 3ème génération, ces entreprises patrimoniales, qui s›inscrivent dans la durée, sur des lignées de générations, recherchent moins la rentabilité immédiate et maximale que la gestion mesurée des risques, offrant une vraie résistance face aux crises économiques. Cet esprit d›entreprise subsiste dans la volonté partagée avec 2

Génération Entreprise-entrepreneurs. « Le modèle économique Vendéen : un exemple à suivre par Didier Mandelli » [en ligne]. URL : http://www.generation-entreprise.fr/. [consulté en avril 2016]

3

Site de Vendée Expansion. URL : http://developpement.vendee-expansion.fr/ implanter-en-vendee/pages/industrie.php

4

2016.

Entretien avec Claire BODIN, chargée de mission au CAUE de la Vendée, le 19 Avril

5

FELTIN, Michel. « Vendée : radioscopie d’un miracle ». [en ligne]. URL : www.lexpress. fr/. [consulté en avril 2016]

6

FILIECX, Pierre. « Bienvenue dans la Vendée qui gagne ! ». [en ligne]. URL : www. lefigaro.fr. [consulté en avril 2016]


les salariés de développer le territoire et de préserver les emplois locaux.7 La Vendée constitue donc un territoire particulier, caractérisé par une dynamique entrepreneuriale et une dimension familiale importante. Véritable foyer d’habitants volontaires dans une culture d’entraide, les réussites de la Vendée sont basées sur des histoires d’hommes et de rencontres. Si l’initiative du spectacle du Puy du Fou revient incontestablement à Philippe de Villiers, les conditions qui l’ont rendu possible sont surement à rechercher dans « un groupement social et local » avec des individus à la fois ouvert et patriote, partageant de forts liens sociaux et fiers de leur histoire, dont ils ont compris mutuellement l’intérêt d’une représentation pour le territoire. 63

Le Puy du Fou, auparavant un lieu-dit de la commune des Epesses, pourrait-être considéré aujourd’hui comme un nouveau village dans le village, de part sa dimension, ses services, et le nombre de personnes qui y travaillent. Mais avant d’être un parc à thème, le Puy du Fou était le lieu d’un spectacle nocturne joué par des bénévoles rassemblés au sein d’une association. Le succès de celui-ci est fondé sur une époque de l’Histoire Nationale Française bien connue, la période de la Révolution Française, mais se base initialement plus précisément sur le récit des Guerres de Vendée qui ont animé le territoire deux siècles auparavant. Le spectacle populaire rassemble tous les soirs des weekends d’été, 3000 bénévoles et professionnels mettant en scène le conflit Vendéen, devant un public pouvant aller jusqu’à 14 000 personnes venus de toute la France, voire des quatre coins de la planète. L’histoire commence en 1978, Philippe De Villiers fonde un spectacle nocturne, « La Cinéscénie » (A voir figure 8), joué à l’époque par 600 bénévoles. Amoureux d’Histoire et dans l’idée de la faire partager avec les habitants, son intention était de monter un spectacle sur le site du Château du Puy du Fou, alors en ruine et ignoré de la plupart des habitants des communes environnantes. Initialement, l’idée ne fut pas considérée comme prometteuse. 7

RENAULT, Marie-Cécile. « La Vendée, ses PME familiales et ses zones de pleinemploi. » [en ligne]. URL : http://bourse.lefigaro.fr/ [consulté en avril 2016]

2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

b) Une ressource touristique : l’histoire locale du Puy du Fou


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Figure 8 : La Cinéscénie : des milliers de visiteurs devant l’incroyable spectacle historique mené par les bénévoles. Sources : www.puydufou.com


Avec l’affluence croissante et ininterrompue des visiteurs, le Puy du Fou devient finalement en 1989 une entreprise culturelle nommée « Grand Parc du Puy du Fou », pour lever des fonds supplémentaires et investir dans des décors, construire des hébergements et diversifier ses spectacles. Le Puy du Fou propose du spectacle vivant, là où d’autres rivalisent d’attractions technologiques. Ce concept entre le parc de loisirs, le cirque et le récit historique est unique en France.8 La gestion est aussi assez singulière, car les actionnaires de l’entreprise ne sont autre que l’association de la Cinéscénie et l’association « Puy du Fou Stratégie », avec des statuts qui offrent la possibilité de réinvestir tous les bénéfices dans le parc. Sans actionnaire 8

BAINIER, Corentin. «Le Puy du Fou, de records en records ». [en ligne]. URL : www. capital.fr. [consulté en avril 2016]

65 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Afin d’en connaitre les possibilités de succès, il mit le projet à l’épreuve dans les années 1975, dans la salle communale des Epesses, avec quelques habitants impliqués utilisant, pour l’anecdote, leurs automobiles en guise d’éclairage de spectacle, ou encore des artisans prêts à collaborer gratuitement, convaincus du succès à venir. Le Festival a évolué et le spectacle a peu à peu gagné en notoriété, impliquant de plus en plus de bénévoles, engagés à faire la publicité de ce spectacle, par la distribution de dépliants aux touristes des plages de la Côte d’Azur notamment. Une multiplicité d’associations à vocations culturelles se sont développées, et d’autres se sont associés au projet, allant d’une association de danseurs à des équipes de football, créant une vie sociale intense et permanente autour du projet. Un écomusée dans le château, un club d’archéologie à la recherche de vestiges dans le château, et bien sûr de nombreuses associations destinées au montage du spectacle. Un tel recrutement mettait au service du spectacle du Puy du Fou des compétences diversifiées en matière de mise en scène, et montre l’intérêt que portent des groupes différents à célébrer les couleurs du « pays ». Le succès étant au rendez-vous, s’en sont suivi des négociations politiques, avec les pouvoirs publics qui se sont engagées pour la réalisation du projet, allant jusqu’au rachat du château par le conseil général de Vendée afin d’y installer la scène de spectacles pour la Cinéscènie. A partir de là, le Puy du Fou cherchera en permanence des modes innovants de découvertes de l’histoire locale, comme l’aménageant d’un bus en cinéma déambulant pour faire découvrir l’histoire de la Vendée, ou la remise en exploitation du train à vapeur, sur un tronçon de 25 km entre Mortagne et les Epesses, ville dans laquelle viendra alors s’inscrire un second écomusée.


66

privé et sans dividende à verser, le parc, n’a été développé que par les gains produits par le spectacle, sans aucune subvention publique et c’est au total, 260 millions d’euros qui ont été réinjectés depuis 1977 9 L’origine de cette réussite est donc un alliage original, reposant sur une alliance entre bénévolat et entrepreneuriat., dont le modèle fait la fierté de Nicolas de Villiers, actuel président de l’association du Puy du Fou10. Monté comme une entreprise, Le succès du spectacle lui vaut d’apparaître en février 1984 dans l’émission de télévision de divertissement économique Vive la crise ! comme un exemple de réponse à la crise économique par l’esprit d’entreprise. Ce succès est finalement en grande partie l’œuvre des acteurs de ce spectacle : de 600 bénévoles en 1978, l’association du Puy Du Fou compte aujourd’hui 3000 investis dans un projet pour faire vivre l’histoire de leur région. Le caractère identitaire d’origine du projet, de la mémoire d’un peuple retracée, et familial se perpétue et donne cette image « familiale » au parc, qui attire un public touristique essentiellement familial, et dont l’ambiance continue de fédérer les « Puyfolais » - patronyme de chaque acteur du Puy du Fou. La Cinéscénie a déjà cumulé au cours de ses spectacles plus de 11 millions de spectateurs, devant une scène de 23 hectares. Et pour complètement élargir et pérenniser les représentations de la Cinéscénie, active seulement le weekend, le Parc lié au Château du Puy du Fou est l’infrastructure ouverte tout au long de la semaine qui a servi d’alibi pour garder les touristes sur le territoire, ceux-ci arrivants de plus en plus loin. Chaque spectacle est ainsi joué durant une dizaine d’années et chaque saison présente une ou plusieurs nouveautés, afin d’alimenter un taux de revisite de 65% dans les trois ans.11 Le développement de ce projet devenu un parc à thème de référence mondiale, peut donc être attribué à l’initiative et à la mobilisation de ses acteurs, parmi lesquels les personnalités politiques impliqués dans la gouvernance du territoire ont joué un rôle essentiel. En 1978, quand Philippe De Villiers, alors énarque de 28 ans, a voulu développer ce spectacle, son père (Jacques de Villiers) était président des Affaires culturelles et vice-président du Conseil général. Au début de l’aventure, Jacques de Villiers soutenait efficacement la proposition de faire racheter le château du Puy du Fou par le département afin 9

JACQUIN, Jean-Baptiste. « L’anti-village gaulois au Puy du Fou ». [en ligne]. URL : http://ecobusiness.blog.lemonde.fr/. [consulté en avril 2016]

10

BAINIER, Corentin. «Le Puy du Fou, de records en records ». [en ligne]. URL : www. capital.fr. [consulté en avril 2016]

11

BAINIER, Corentin. «Le Puy du Fou, de records en records ». [en ligne]. URL : www. capital.fr. [consulté en avril 2016]


12

MARTIN Jean-Clément, SUAUD Charles. Le Puy du Fou [L’interminable réinvention du paysan vendéen]. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 93, juin 1992. L’invention du passé national /Le ghetto vu de l’intérieur. pp. 21-37. URL : http://www.persee.fr/ doc/arss_0335-5322_1992_num_93_1_3015

13

ARNAUD, Lionel, LE BART, Christian, PASQUIER, Romain, Idéologies et action publique territoriale, la politique change-t-elle encore les politiques ?, Presses Universitaires de Rennes, Coll. Res Publica, 2007, 256p.

67 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

d’y produire l’histoire des guerres de Vendée.12 Ensuite, d’abord sous-préfet en 1981, Philippe de Villiers occupe les fonctions de secrétaire d’État à la Culture entre mars 1986 et juin 1987 dans le gouvernement Chirac grâce à la notoriété qu’il a acquis avec le parc du Puy du Fou, où il cherchera notamment à prioriser le patrimoine et à accentuer la place de l’éducation artistique dans les formations nationales. Aussi, il préside le conseil général de la Vendée de 1988 à 2010. Nous avons évoqué une croissance des PME-PMI en Vendée depuis les années 1970, dont la construction dépend aussi des volontés d’aménagement et de développement du Conseil Général. Alors, nous pouvons imaginer que le département, à cette époque, a conduit une politique culturelle associée à des politiques territorialisées. C’est-àdire, que l’action culturelle invite à la fabrication d’une vision « puyfolaise » de la communauté territoriale, et que d’un autre côté, elle encourage une gestion départementale des questions industrielles et familiales. Ici, Philippe de Villiers marque le territoire d’une idéologie politique en installant un programme territorial, dont la reconnaissance et le succès l’ont véritablement institutionnalisé.13 Dans les valeurs et l’identité de la région, les réussites du spectacle du Puy du Fou s’expliquent en outre dans l’écho qu’il a su trouver auprès des habitants qui sont ses premiers spectateurs et encore actuellement ses premiers supporters. Ce parc à thème n’est pas sorti ex nihilo des terres Vendéennes et s’est réellement développé grâce à l’approbation et la collaboration de la population, contrairement à de nombreux parcs à thèmes, à l’instar de Disneyland. En effet, il aborde l’histoire propre au territoire à travers des spectacles retraçant les guerres de Vendéennes. Mais, cette histoire n’est pas habituellement enseignée dans les écoles et n’est pas fréquemment raconté dans le territoire. Il fait alors renaitre, appel à l’histoire profonde du territoire et interpelle les habitants sur celle-ci. Ce projet convoque l’identité du territoire et fédère autour de lui des habitants. D’autant plus que le Nord-Est du département Vendéen,


est particulièrement dynamique sur le plan bénévole, attribut qui fait parti de ses valeurs profondes, ancestrales et partagées. Aujourd’hui, le Puy du Fou est considéré comme un élément identitaire de la population, un élément de fierté mais aussi un repère : il est devenu plus simple d’expliquer que l’on vient « des Epesses, où il y a le Puy du Fou », que seulement « des Epesses ».

c) Le parc du Puy du Fou : un moteur d’aménagements du territoire

68

Pendant longtemps, l’aménagement du territoire se faisait essentiellement par des politiques nationales, qui élaboraient des plans d’aménagements, de structuration du territoire et venaient s’appliquer sur le territoire, de manière déconnectée de celui-ci et de ses spécificités ou subtilités de la culture locale. Ici, le Puy du Fou est un équipement qui a joué le rôle de locomotive de développement, de politiques d’aménagement qui ont induit de nouvelles structures nécessaires à sa mise en œuvre, à sa réussite et in fine profitables au territoire, voire à la région. Elles ont été initiées par des acteurs locaux, de façon progressive, et intégrées aux logiques du territoire sur le long terme. Premièrement, afin d’accueillir et de s’adapter à l’évolution du Puy du Fou, la commune des Epesses a revu ses politiques publiques urbaines. Dans un premier temps, en intégrant une classification particulière dans le Plan Local d’Urbanisme communal, qui se nomme « AUpf » et totalement consacrée au Parc (A voir figures 9 et 10). Celle-ci démarque une zone de réservation de 500 hectares de terres vouées au Puy du Fou et dont les règles d’urbanisme et d’esthétique architecturale lui sont propres. Et dans un second temps, en ouvrant de multiples zones à l’urbanisation afin de répondre aux demandes accrues de disponibilité de fonciers. En effet, l’attractivité produite par ce territoire a évidemment des aspects positifs (étudiés par la suite) mais aussi critiquables. Effectivement, afin d’obtenir des terres pour le Puy du Fou et les demandes croissantes de fonciers disponibles pour bâtir des habitations et hébergements touristiques, des terres agricoles ont été ouvertes à l’urbanisation. Même si le Nord-est Vendéen vit en grande partie de ses industries agroalimentaires et de l’agriculture, les pouvoirs politiques se sont appuyés sur l’opportunité offerte par l’attraction du Puy du Fou pour orienter la


Source : Le PLU des Epesses - service urbanisme de la Mairie des Epesses

Figure 10 : 50 hectares de la commune des Epesses sont consacrés pour le Puy du Fou Source : Le PLU des Epesses - service urbanisme de la Mairie des Epesses

69 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Figure 9 : La commune des Epesses s’urbanise sous un système de lotissements : étalement urbain.


70

stratégie de développement du territoire vers une diversification des activités, encouragent ainsi principalement le domaine touristique. Après négociations, des terres en réserves naturelles accueillent aujourd’hui des résidences touristiques. Puis, dans une dimension plus importante, une urbanisation sur le système de « lotissement » s’est particulièrement développée depuis les années 1995, la commune des Epesses étant passé de 2000 habitants dans les années 2000 à plus de 3000 habitants en 201514. Ainsi, toute la zone signalée allant de l’Ouest à l’Est, a été urbanisée. Pour remédier à cette dérive, et sous obligation du gouvernement, les Communes appartenant à la Communauté de Communes du Pays des Herbiers sont en pleine élaboration d’un SCOT visant à une limiter les terres disponibles à l’urbanisation et à concentrer les constructions dans les bourgs anciens. Face à ces observations, nous constatons donc que le Puy du Fou opère explicitement une forme d’autorité sur le développement urbain de la ville des Epesses. Et de manière plus ou moins implicite, il incite à des changements. En effet, l’espace public du bourg du village a été restauré (espaces publics, axes routiers et espace verts restitués) dans les années 2009-2010, ainsi que des monuments du Patrimoine de la ville (églises, moulins réhabilités), afin de mieux accueillir les populations touristiques et de profiter sur le plan économique de leur passage sur le territoire (A voir figure 11). Cette dynamique d’embellissement encourage les commerçants et habitants à rénover et entretenir les façades de leurs établissements afin de retransmettre une image plus valorisante de leur village, constate notamment l’actuel adjoint à l’urbanisme, Monsieur Jozelon. Néanmoins, cette phase de changements locaux n’a d’intérêt que si elle est accompagnée par une évolution marquée des infrastructures permettant la déserte du territoire et son désenclavement. En effet, durant les années 1970 à la fin des années 1980, des régions retrouvent de l’attractivité et bénéficient de l’attention européenne et du soutien de l’Etat, telles que les régions du Sud de la France et la côte Atlantique. Ce qui permettra par exemple à la Bretagne d’obtenir un plan routier important pour son désenclavement et à l’Aquitaine de diversifier ses activités autour de l’aéronautique et de l’automobile en plus du vin. A cette époque, les régions montrent leur capacité à construire un type de développement à partir 14

Entretien avec M. JOZELON, adjoint à l’urbanisme de la mairie des Epesses, le 19 Avril 2016.


Un espace public refait, et aménagé.

Publicité pour la «balade d’Alexis» (une figure locale) dans le village.

Une place active de part ses services.

Figure 11 : Un bourg de village des Epesses : riche diversité d’activités. Source : Photos personnelles - Avril 2016

71 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Des citoyens soucieux de l’esthétique du village : revalements de façades.


Sortie 28

Le Puy du Fou

72

D755B

D27

1 A87 Paris - VendĂŠe 4h - 425km

Figure 12 : De nouvelles infrastructures alimentent le territoire. Source : Google maps et interview avec Damien Soullard (responsable du service urbanimse de la CommunautĂŠ de Communes du Pays des Herbiers).


73 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

d’ambitions locales et d’acteurs régionaux, en complément de l’action de l’Etat et de l’Europe. C’est dans ce contexte que la côte Vendéenne s’est développée, apportant le réseau routier et les équipements touristiques phares que nous connaissons, qui font sa renommée et son attractivité. Des villes comme Saint-Hilaire-de-Riez, Les Sables-d’Olonne ou Saint-Gilles-Croix-de-Vie sont réputées pour leur dynamisme touristique. De même l’île de Noirmoutier et l’île d’Yeu peuvent décupler leur population l’été. Mais l’intérieur du territoire, des terres, n’a pas eu cette chance. A l’initial, la commune des Epesses était contournée par des départementales traversant Les Herbiers, Mauléon et Pouzauges, alors isolée sans autre accès que des routes de campagnes. Les autoroutes les plus proches étant l’A11 reliant Nantes et Paris, et l’A10 reliant Paris et Bordeaux. Mais l’arrivée du Parc du Puy du Fou modifie les pôles d’intérêt économique. Avec le parc à thèmes, le territoire se dote d’un atout majeur qui incite à l’investissement régional, et national, afin de permettre le désenclavement de cette partie Nord-est du territoire (voir figure 12). En effet, au regard d’une fréquentation touristique de forte affluence devenue régulière sur le territoire, et par l’influence politique exercée par Philippe De Villiers, une première autoroute A87 fut construite à proximité du Parc. L’autoroute A87 relie Angers à La Roche-sur-Yon via Cholet, raccordée à l’A11 qui relie directement Paris à la Vendée. Cette autoroute fortement traversée présente non seulement un avantage pour le tourisme mais aussi pour la dynamique économique globale du département, en rapprochant les sièges d’entreprises et les usines agro-alimentaires que la Vendée héberge. Toutefois, cet unique accès au site par la sortie 28 nommée « Pouzauges, Mortagne-sur-Sèvres, La Verrie, Le Puy du Fou » créé une concentration de flux qui surcharge rapidement les infrastructures secondaires du territoire. Afin de le désengorger, la départementale D27 contournant les Epesses a été construite en 1997 et de nombreuses routes de campagnes ont été refaites. Et actuellement, c’est la route D755B qui est en cours de prolongement afin de permettre un nouvel accès par le sud, de l’A83 et A87 directement jusqu’au Parc. Tous ces réseaux supplémentaires dont la création a été motivé par l’attractivité croissante du Puy du Fou et son nécessaire développement, équipe le territoire et profite donc pleinement aux habitants et entreprises locales. Le département étant dépourvu de transports en communs, de voies ferroviaires et d’aéroport, les voies routières leurs sont d’autant plus essentielles. Ainsi, nous pouvons confirmer que le Parc du Puy du Fou joue un rôle de locomotive


dans ce territoire. L’importance de cet équipement incite des politiques publiques à investir et faire évoluer le territoire, ce qui n’aurait surement pas été le cas sans un équipement touristique de cette ampleur. En outre, les nouvelles infrastructures routières déployées profitent aux entreprises locales de tout le bassin des Herbiers, et nous pouvons légitiment admettre que c’est un atout d’attractivité économique. Les PME-PMI familiales sont nées et se sont d’ailleurs développées de manière concomitante à l’évolution au Puy du Fou et finalement au développement de l’aménagement du territoire.

74

Le Puy du Fou s’intègre donc complètement dans la cartographie économique de la Vendée, et participe à sa réussite en ajoutant une fonctionnalité nouvelle, porteuse de projets pour le territoire.


d) Un nouveau territoire sur la carte touristique : le Nord-est Vendéen

75 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Le Puy du Fou développe ainsi une économie locale au sein de laquelle l’activité touristique exerce une influence et une dynamique importante, dans un territoire où cette activité était loin d’en constituer le moteur de développement auparavant. Aujourd’hui, l’attraction du Puy du Fou permet de situer cette partie Nord-est du département sur la carte des destinations touristiques, qui profite de cet effet d’aubaine et montre une réelle capacité à répondre à cette demande touristique en développant et en diversifiant les activités complémentaires. La création d’un parc tel que celui-ci entraine la création d’emplois dans de nombreux domaines, que ce soit interne ou externe au parc. Comme nous l’avons déjà évoqué, le tourisme est un domaine qui génère le développement de tout un écosystème d’activités, allant de l’hôtellerie à la restauration en passant par des organismes de gestions et relais touristiques par exemple. Ainsi, aux Epesses, des hôtels à thèmes se sont construits au sein même du parc, quand les communes de la région ont vu de leur côté une diversification des offres d’hébergements. Les habitants se sont saisis de l’opportunité de l’arrivée touristique afin de développer une offre spécifique et adaptée d’hébergements, tel que des gîtes ruraux et chambres d’hôtes, comme nous le confirme les statistiques tenues par l’Office de Tourisme du Pays des Herbiers (voir figure 13). Cette réaction constitue une voie intéressante correspondante aux demandes des consommateurs actuels, en recherche de proximité avec les locaux, en recherche d’authenticité dans l’idée d’une immersion dans la culture du territoire, mais également pour des raisons budgétaires. Cette nouvelle offre en hébergements permet de capter les touristes sur les territoires limitrophes au Puy du Fou, quand dans le passé, ils devaient séjourner dans les grandes villes voisines que sont Rennes et Niort, à plus de 30 kilomètres du Parc. Ainsi, les villages ont réussi à installer les touristes des métropoles ou les citadins, les amenant in fine à consommer au sein même du territoire. Par ailleurs, est à noter que ces hébergements sont quasiment utilisés à l’année. En effet, la saison d’ouverture du Parc à thèmes s’est étendue, passant d’une ouverture estivale à une accessibilité de près de 8 mois, du 1 Avril au 1 Octobre, et du 15 Novembre au 25 Décembre. Cette ouverture rallongée entraine une double conséquence concernant les flux de touristes et les flux de populations venues pour travailler au Parc (artisans ou professionnels du spectacle). En effet, ces derniers disposent d’un emploi devenu permanent qui les invite à s’installer véritablement sur le territoire,


Figure 13: Une croissance d’offre en hébergements : révélateur d’une nouvelle attractivité touristique Source : Statistiques de l’office de Tourisme du Pays des Herbiers

Total : 2239

Total : 2927

Total : 3725

4000

76

Nombre d’hébergements

346 3000

289 156

265 194 172

224

2000

1803

157 112 1576 1280

1000

51

466

2007

720

2011

Année

hôtels Campings Rédidences hôtelieres Gîtes ruraux Chambres d’hôtes Hébergements insolites

1080

2015


Par conséquent, le tourisme est un véritable atout pour l’attractivité du territoire et constitue désormais une composante économique essentielle, complémentaire aux industries du territoire. Au-delà de la dynamique qu’il entraîne, ce domaine majeur de l’activité territoriale induit des revenus d’impositions non négligeables pour l’Etat, les collectivités territoriales et les communautés de communes. Qu’il s’agisse de taxe sur la consommation via la TVA payée par les touristes, de la taxe locative ou de la taxe foncière pour les nouveaux habitants, de la taxe de séjour pour les résidents occasionnels et la clientèle hôtelière, ou encore de la contribution économique territoriale issue de la loi des finances (ancienne taxe professionnelle), l’ensemble de ces impôts permettent à l’Etat et surtout au Pays des Herbiers de réinvestir des moyens financiers dans la croissance, la promotion et l’équipement du territoire. Un cercle vertueux s’alimente. L’arrivée de ce « nouveau point », le Puy du Fou, sur la carte d’offres touristiques induit alors une économie plus large, territoriale, que la Vendée tente aujourd’hui de développer. Le tourisme est aujourd’hui la première activité économique vendéenne, la Vendée attirant chaque année environ 15

Entretien avec M. JOZELON, adjoint à l’urbanisme de la mairie des Epesses, le 19 Avril 2016.

16

Entretien avec M. JOZELON, adjoint à l’urbanisme de la mairie des Epesses, le 19 Avril 2016.

77 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

en investissant particulièrement les maisons des centre-bourg environnants, créant donc une vie quotidienne de résident dans ces villages, et non plus celle d’usager de passage.15 Une nouvelle population fixe investi ainsi les territoires, apportant avec elle des services nécessaires à son quotidien. M. Jozelon, adjoint à l’urbanisme de la Mairie des Epesses, nous énumère avec fierté la diversité des services présents sur le village, tel « qu’un Intermarché, deux médecins, quatre kinésithérapeutes, trois ostéopathes, une pharmacie, deux boulangeries pâtisseries, un PMU, un hôtel, deux restaurants, et même une Poste »16. Une richesse de services auparavant inespérée pour ce territoire rural. En outre, l’offre touristique devenue permanente permet un flux de touristes constant et régulier. Même si les pics de fréquentation restent estivaux, le territoire est dorénavant fréquenté tout au long de l’année. Ainsi, les restaurants restent ouverts à l’année ; les gîtes, maisons d’hôtes et hôtels affichent presque toujours complets, et les résidences étudiantes auparavant vides l’été sont alors occupées par des saisonniers du Puy du Fou.


78

2,4 millions de touristes, soit quatre fois sa population.17 C’est le premier département touristique de France sur la façade Atlantique18 qui concentrait jusque là toutes les dynamiques économiques du tourisme, de type balnéaire. Mais aujourd’hui les cartes ont été redistribuée, Le « Vendée Globe » et le Puy du Fou sont les deux pôles d’attractions touristiques particulièrement dynamiques pour le département, qui le place en seconde place des destinations françaises. Afin de faire fructifier cette dynamique que le Puy du Fou a lancé, Le Nord-est Vendéen a choisi d’user de ce potentiel comme point de départ du développement de toute cette partie du territoire. Le Pays du Bocage Vendéen a crée une marque du territoire nommée « Vendée Vallée, l’Histoire avec un grand V». Le but étant de construire une nouvelle image de ce territoire, avec le Puy du Fou comme locomotive, afin d’exalter les particularités historiques et culturelles du Bocage (à noter qu’en Vendée, les sous-départements sont nommées par leurs singularités environnementales). La question de l’isolement géographique ne semble plus être un problème pour ces territoires qui ont réussi à tirer parti de cet handicap en le transformant en un atout de diversification touristique : ainsi chaque zone rurale qui gravite autour d’une agglomération va réussir à créer un concept, mettre en valeur sa culture spécifique et intéresser les touristes dans des circuits suggérés. Leur politique suit celle du Puy du Fou, à travers le récit de mise en scène de l’histoire et de l’environnement.

17 18

URL : www.alternance-paysdeloire.com

Introduction de la revue « Destination Vendée », n°3, éd. 2016, par Vendée Tourisme, Vendée Expansion et l’Ours en Plus, à Chasnais.


Toujours dans cette idée de participation des habitants à la création d’un récit pour leur territoire, l’exemple suivant présente aussi un projet artistique portée par une volonté citoyenne bénévole, mais à l’inverse du Puy du Fou qui s’appui sur une histoire propre à son territoire, Jazz in Marciac se construira autour d’une « ressource » importée sur le territoire : le jazz.

79 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

En conclusion, le territoire de la Communauté de Communes du Pays des Herbiers, dont fait parti la commune des Epesses représente un modèle de développement territorial de part plusieurs faits. Par l’intégration d’un équipement touristique permanent, le Parc du Puy du Fou a suscité la création de nouvelles infrastructures de transports et permit un développement plus large des entreprises locales et familiales. Dans un cadre déjà relativement autosuffisant économiquement, le tourisme en était une clef importante, et l’ajout du Puy du Fou comme nouveau moteur et poumon de ce système, permet un nouvel équilibre dans le territoire Nord Vendéen. Si le Puy du Fou continue de renouveler son attractivité dans le temps, nous pouvons imaginer qu’il sera le noyau de futures mises en valeurs touristiques et de nouvelles infrastructures améliorant le lien de la région au territoire national. De plus, le tourisme développé ici se rapprocherait d’une forme de « tourisme de masse » mais dans une dimension pour l’instant positive car choisie par la population et venue progressivement, sur un temps long, de façon maîtrisée et en se diffusant sur plusieurs communes. Les richesses et flux développés semblent pour l’instant être équitablement réparties sur le territoire et gérés par des politiques qui soutiennent cette activité économique et œuvre pour son développement en adaptant les structures du territoire, tout en cherchant à le préserver sur le plan environnemental et social.


80


2.2. Marciac et le jazz : le projet artistique des citoyens Dans le Gers, la commune de Marciac accueille le Festival de « Jazz in Marciac », dont l’excellence de sa programmation artistique lui confère une renommée nationale, voire internationale. Cet événement rassemble toutes les deux premières semaines d’Août près de 250 000 1 visiteurs, et cela ne cesse d’accroître tous les ans. Mais au-delà de proposer une activité touristique ponctuelle sur le territoire, le festival est le fruit d’un projet mené sur le temps long par des citoyens engagés pour défendre une qualité de vie sur un territoire, et dont la réussite a permis de développer une nouvelle économie sur le territoire : maintien d’un établissement scolaire, création d’une offre culturelle toute l’année, construction d’une salle de spectacle etc. 81

Marciac, est un petit village du Sud de la France, dans le département du Gers, où vivent 1250 habitants. Il pourrait être assimilé au cliché populaire de ville rurale : une population vieillissante, des cafés fermés, un collège en danger de fermeture, des champs de céréales à perte de vue etc. cependant la vie sociale de village est toujours active. Une boulangerie, une boucherie, un coiffeur, une supérette… Marciac résiste à la désertion rurale. Isolé, mais pas désespéré, c’est dans ce contexte rural que les habitants ont perçu la nécessité de donner une nouvelle attractivité à leur village. Car en effet, Marciac mais aussi tout le département du Gers est confronté à des soucis économiques et démographiques. Surtout vers la fin des années 1970, correspondant à un fort exode rural en France, faisant du Gers un département ayant une densité de population deux fois inférieure à la moyenne régionale de sa région Midi-Pyrénées. Comme l’évoque lors d’une interview André Daguin en 1997, alors président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Auch et du Gers, le département du Gers « est petit, on a perdu un gersois sur deux depuis 150 ans, et donc si l’on continue comme ça, il n’y aura plus de Gers dans 50 ans. Alors ‘tout ça’, Marciac, Condom et bientôt Auch j’espère avec le festival d’orgue, ‘tout ça’ c’est la manifestation des gens qui se battent, qui

1

Valeurs de 2013 obtenu sur le site du Centre d’Information et de ressources pour les musiques actuelles : URL : www.irma.asso.fr

2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

a) Du volontarisme citoyen


82

1

2

Figure 14 : Le Festival off de Jazz in Marciac : une foule sous le chapiteau. Sources : 1 - www.toutelaculture.com 2 - www.jazzinmarciac.fr


veulent lutter pour que leur pays survive. (…) mais c’est surtout très amusant.»2 Et c’est donc depuis près de trente-huit ans que Jean-Louis Guilhaumon mène avec l’association de Jazz in Marciac ce combat en transmettant l’amour de la musique et son savoir avec plaisir. Par son action, il montre aux yeux de tous que l’art en milieu rural peut exister, et qu’en construisant un projet collectif, il est possible de faire vivre un village et de redynamiser un territoire. C’est là tout l’intérêt de l’attention que je souhaite porter à ce festival.

2

Citation d’André DAGUIN, qui était président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Auch et du Gers, lors de l’édition 1997 du festival, extrait du film de REVELARD, Pascal, Marciac – les Authentiques, 1997 dans le mémoire de : VINCENT Pierre, Le Festival « Jazz in Marciac » et la notion d’engagement : un évènement fédérateur, 77 pages, Mémoire dans le séminaire : « Politique, Culture et Espace Public », Institut d’Etudes Politiques, Lyon, 2005.

83 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Au-delà d’une démarche collective issue d’une initiative locale, c’est même un projet politique et social, en réaction à un sentiment de rejet global de la part des instances politiques nationales, et notamment culturelles. Cette revendication se veut festive afin de montrer au reste du pays, un territoire où il fait bon vivre, dans le but de s’amuser et de se battre avec ses moyens, à sa façon contre l’appauvrissement de la qualité de vie en ruralité poussant les populations à partir vers les métropoles. Dans sa lutte, le renouvellement de Marciac dépend surtout de l’initiateur du Festival de Jazz in Marciac (JIM), et de la volonté des habitants sans qui chaque année un événement d’une ampleur internationale ne verrait certainement pas le jour dans ce territoire (voir figure 14). En effet, afin de proposer une réelle alternative aux politiques culturelles nationales qui se concentrent autour des métropoles, ce groupe de volontaires a monté en 1978 la première édition de cette manifestation culturelle, qui était composée de trois artistes venus jouer le temps d’une soirée. A l’initiative de Monsieur Guilhaumon, passionné de Jazz, à l’origine professeur d’anglais du collège de Marciac et pronateur de valeurs du mouvement d’éducation populaire, cet événement a été porté par d’autres amateurs de Jazz, refusant de voir la vie culturelle du village dépérir. D’une idée née de leur passion pour le jazz, qui semblait les orienter sur un événement de divertissement pour une unique édition, ils ont réussi à construire, grâce à leur esprit de militantisme et la persévérance de leurs intentions, les bases d’un projet culturel qui s’inscrit aujourd’hui sur du long terme, développant des manifestations culturelles tout au long de l’année. En effet, l’action politique est venue en 1978 des membres du Foyer de Jeunes et d’Education Populaire (F.J.E.P) de Marciac qui ont


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souhaité organiser une manifestation culturelle dans le village afin d’offrir la possibilité aux habitants de s’investir pour leur commune, de déclencher une impulsion, mais aussi le temps d’une soirée d’attirer les populations des villages alentours par une animation festive. Les valeurs défendues étaient de permettre à la population d’accéder aux loisirs et à la culture afin de donner à l’individu les moyens de s’intégrer à la société mais aussi de la remettre en cause, d’apprendre à être citoyen. Car pour eux, « l’éducation populaire conduit aussi à l’action collective, en ouvrant des espaces publics de débats, en mettant en jeu concrètement la démocratie ».3 Nous comprenons en cette première action collective, la mise en avant du rôle de citoyen que prennent à cœur les habitants de Marciac, capable de se constituer en groupe à travers une association, afin de mener une initiative dans une commune rurale. Basé sur un intérêt culturel commun et sur la volonté de mettre en avant le rôle du citoyen, l’élan collectif et la volonté d’en faire un événement qui pourrait perdurer ont amené à la création d’une association. A l’instar du parc du Puy du Fou, le projet s’appuie sur une organisation à taille humaine mobilisant de très nombreux bénévoles (871 en 2013) et sur son président fondateur, Jean-Louis Guilhaumon, qui incarne l’esprit du festival pour les volontaires, les artistes et les partenaires.4 C’est l’acteur majeur à l’origine de la création de Jazz in Marciac, et un homme au centre de multiples pouvoirs politiques à l’origine de plusieurs initiatives sur le territoire. Il a accumulé les rôles politiques en étant Maire de Marciac depuis 1995, viceprésident du Conseil régional de Midi-Pyrénées chargé du tourisme depuis 2004 et président du festival de Jazz in Marciac. L’implication du créateur de l’événement musical, le mélange de rôles et d’intérêts a nécessairement contribué au succès de ce dernier. Le réseau politique de cet homme, complété des liens de confiance et de proximité qu’il a instauré avec les habitants à travers son métier d’enseignant et par son engagement citoyen en tant que directeur artistique du festival ont permis de stimuler les membres de l’association et de monter le projet.

3

VINCENT Pierre, Le Festival « Jazz in Marciac » et la notion d’engagement : un évènement fédérateur, 77 pages, Mémoire dans le séminaire : « Politique, Culture et Espace Public », Institut d’Etudes Politiques, Lyon, 2005.

4

Synthèse des observations définitives, publiée par la Cour des Comptes et Chambres régionales & territoriales des comptes : https://www.ccomptes.fr/


b) Pour la fabrication d’un patrimoine commun : le jazz ?

Le jazz dans son essence même est une forme spécifique de culture populaire. Il s’est développé à travers le style de « New Orléans », à l’origine un art collectif très populaire, né dans la rue et pratiqué par des orchestres ambulants, dansants et défilants autour de convictions fortes. Très engagée politiquement, l’une des ambitions principale de la communauté Jazz était notamment de défendre la liberté et les droits civiques américains face à des formes de capitalisme abusifs.7 Ses créateurs étaient souvent autodidactes et de divers horizons, ce qui permettait la rencontre de populations plurielles et de leurs styles musicaux variés, afin de former une culture populaire. Alors même si le Jazz n’était pas originaire de Marciac, il s’est intégré au patrimoine du village et ce courant musical a été adopté par la population grâce à des valeurs autours desquelles les habitants se sont identifiés et se sont fédérées. Une dimension populaire et authentique associée au Jazz fait échos aux valeurs de partage, de générosité et de convivialité de la population. D’après J-L. Guilhaumon, les valeurs du jazz sont surtout présentes dans la façon dont le projet a été élaboré, c’est-à-dire lié aux notions d’engagement

5 Témoignage d’une bénévole, extrait du film de REVELARD, Pascal, Marciac – Les Authentiques, 1997 dans le mémoire de : VINCENT Pierre, Le Festival « Jazz in Marciac » et la notion d’engagement : un évènement fédérateur, 77 pages, Mémoire dans le séminaire : « Politique, Culture et Espace Public », Institut d’Etudes Politiques, Lyon, 2005. 6 7

Ibid.p13

URL : Atzmon-12601.html

http://www.egaliteetreconciliation.fr/Le-jazz-et-la-politique-par-Gilad-

85 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Afin de monter un projet avec les habitants du village autour du jazz, il eut fallu que cette musique fasse échos en la population, afin qu’elle s’y reconnaisse et participe au projet. « Je pense que le jazz, ce n’est pas un hasard s’il est arrivé à Marciac. Je crois qu’il y a des choses qui se ressemblent : la générosité des musiciens, l’esprit, la philosophie du jazz… » 5 Le jazz n’est pas originaire de Marciac bien évidemment, mais a permis d’être un art fédérateur d’un projet culturel. Il a été choisi afin de créer un lien entre la culture et le groupe, comme fabriquant de citoyenneté. Alors même si le jazz est parti d’un prétexte afin de réaliser « quelque chose » à Marciac, l’association a pour but de rendre accessible le jazz au plus grand monde, et plus largement la culture, comme voulu dans les valeurs de l’éducation populaire et précisé dans l’article 2 des « statuts de l’association Jazz in Marciac ». Dans cet article, le rôle de JIM est définit comme une association qui a pour but de promouvoir la musique de jazz et la culture en milieu rural.6


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bénévole et associatif qui permet à Jazz in Marciac d’exister. Il est donc parvenu à rassembler une population autour d’une culture « ressource » importée sur le territoire, grâce à sa propre passion pour celle-ci, et une conviction profonde en la capacité des citoyens à se retrouver dans les valeurs du jazz et à les adopter afin de monter un projet collectivement. En effet, le festival repose presque uniquement sur la bonne volonté citoyenne, qui constitue une vraie clef de voûte de ce système culturel. Car durant les deux semaines de festivals, ce sont près de 750 bénévoles, dont 200 intermittents, qui œuvrent à son bon déroulement. En 2004, l’association de Jazz in Marciac n’employait que 6 salariés annuels chargés de la préparation de la manifestation estivale et de l’organisation de concerts de jazz qui ponctuent l’année. Cet engagement fort et renouvelé tous les ans marque un attachement profond à Jazz in Marciac, que ce soit de la part des bénévoles participants depuis l’origine ou les plus récents, chacun contribue à l’expérience en apportant ses savoirs et sa bonne volonté, animés par la fierté de mener à bien un projet commun. C’est donc dans un partage total des missions que se retrouvent des personnes de divers horizons, « la conseillère d’éducation du collège devient secrétaire générale de l’association, un directeur des Douanes devient trésorier, le boucher s’improvise agent de sécurité, une retraitée gère la billetterie… »8. Le bénévolat implique tout le monde, à commencer par le président de l’association, Monsieur Guilhaumon, également Maire de la commune .A son instar, beaucoup d’habitants de Marciac sont ainsi devenus responsables du festival, y consacrant une grande partie de leur temps sur l’année, assistés par l’aide de bénévoles plus ponctuels venant juste pour la période du festival. Ces volontaires viennent de toute l’Europe, et sont considérés comme des habitués, comme le sont la plupart des spectateurs devenus de véritables adeptes. Leurs motivations sont variées, certains décident d’y passer leurs congés d’été pour assister au festival, parfois sans amour particulier pour le jazz mais animés par l’envie de partager un projet et un moment festif. Cet ensemble constitue probablement l’un des piliers de ce type de projet social et bénévole : chacun des individus, par son engagement au sein d’une structure sociale peut se sentir actif et impliqué en contribuant à l’atteinte d’objectifs communs et au succès moteur d’un développement local. Par ailleurs, nous pouvons nous pencher sur le cadre juridique de Jazz in Marciac qui a favorisé cet engagement collectif. En effet il s’agit d’une 8

VINCENT P. op.cit


L’une des forces de ce modèle consiste alors en l’adhésion de toute une population dans un projet, du montage à son développement : la population a fait preuve d’activisme et d’engagement afin de défendre la qualité de vie et le territoire le divertissement sur leur territoire. Du nouveau regard sur le territoire porté par un homme politiquement engagé, puis partagé par la population locale, la création de cette association a mené à l’organisation d’un événement culturel à part entière dont la nature est propre à favoriser le tourisme. Mais le projet devient véritablement touristique s’il est fréquenté et reconnu dans « la carte des lieux touristiques ». Ce qui fut progressivement le cas : le Festival de Jazz in Marciac s’est créé une place dans celle-ci, grâce à la pérennité acquise par le festival et à la richesse du projet culturel qui a été élaboré autour assurant une fréquentation à l’année.

9

Témoignage du trésorier de l’association Jazz in Marciac, LASSERRE, JeanClaude dans le mémoire de : VINCENT Pierre, Le Festival « Jazz in Marciac » et la notion d’engagement : un évènement fédérateur, 77 pages, Mémoire dans le séminaire : « Politique, Culture et Espace Public », Institut d’Etudes Politiques, Lyon, 2005.

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« association loi 1901 », qui se définit selon « une convention par laquelle deux ou trois personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices». C’est notamment un moyen de développer le rapport social, et l’implication citoyenne dans la vie du village, de la société, dans des domaines où les collectivités ont parfois des difficultés. Les associations sont particulièrement actives en milieu rural, les habitants cherchant à développer leur commune par des actions de rassemblements collectifs. Ce cadre juridique spécifique est un gage de pérennité de l’association car il permet des conditions économiques et financières particulières qui conditionnent son existence. En effet, le budget du festival est de 2.5 millions et, d’après le trésorier de Jazz in Marciac, la valeur du travail bénévole est de plus d’un million d’euros9. Néanmoins, depuis 2002, des formations sont suivies par des bénévoles afin de proposer un accueil plus professionnel.


c) Le Festival : un outil de développement touristique

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Qu’il s’agisse de la culture et de la création artistique, ou qu’il s’agisse des questions d’aménagement du territoire, ni l’une ni l’autre n’ont été épargnées par la forte centralisation qu’a connu notre pays au cours de son histoire. Afin de pallier aux impacts de ce système, le politique de décentralisation et les politiques sociales qui s’en sont suivis sur les trois dernières décennies, ont offert des opportunités intéressantes sur l’ensemble du pays dans le cadre du développement culturel et touristique. Ainsi, de nouveaux outils se sont principalement développés autour des métropoles comme les contrats de ville, cafés musiques, centres culturels ou scènes conventionnés, et des pratiques marginales se sont institutionnalisées, telle que le Street art. Néanmoins, ces outils ne permettent que trop rarement la redynamisation d’un territoire. En effet l’action se focalise trop souvent sur la dimension institutionnelle du lieu avant de se concentrer sur la création d’un projet artistique, social et culturel d’acteurs locaux. Aujourd’hui, trop de grands espaces vides sont créés en espérant que la vie sociale puisse s’y installer par la suite. En témoigne à titre d’exemples les multiples centres culturels conçus afin de redynamiser des banlieues, des quartiers en difficultés, pour apporter de l’animation dans de nouveaux quartiers etc. 10 Dans le contexte de décentralisation culturelle opéré par les pouvoirs politiques dans les années 1980, les collectivités territoriales s’orientent moins dans le soutien aux créateurs que dans le financement de structures culturelles, appui au tourisme, dans la volonté notamment de créer du lien social, d’encourager des espaces à mettre en place des politiques culturelles et des politiques d’aménagements, de réduire les disparités entre régions, entre villes et milieux ruraux, et de défendre des cultures régionales. Alors qu’en parallèle, la multiplication des festivals thématiques illustre le foisonnement des initiatives locales, comme à Avignon, et notamment Marciac qui s’inscrit dans cette mouvance nationale. L’initiative de Jean Louis Guilhaumon tombe donc dans un période où les volontés politiques sont en sa faveur, et les aides financières sont propices au développement de manifestations culturelles. Profitant d’un contexte fertile à leurs créations les premiers festivals en milieux ruraux s’enrichissent de leurs expériences mutuelles et se développent ainsi à cette période, dans des territoires délaissés mais alors opportuns à des expérimentations.11 10

CAMUS Diane, Les politiques d’aménagement du territoire rural : le projet spatial comme ressource à l’action, Mémoire d’Architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage, Bordeaux, 2014.

11

WIKIPEDIA, Politique culturelle française, [en ligne] (consulté en février 2016) URL : https://fr.wikipedia.org/


La réussite du festival est d’autant plus appréciable que le village n’avait en aucun cas les moyens financiers et humains d’investir sur un projet culturel permanent dès le commencement. Cet événement a été imaginé sans financement extérieur ni de savoirs faire particuliers. Il s’agissait là d’un projet de faible envergure, relativement simple pouvant être réalisé par les acteurs locaux eux même, sans l’intervention de professionnels du spectacle et de l’événementiel. Et pour garantir un projet social, il a suffi de s’appuyer sur 12

asso.fr

IRMA, Valeurs de l’année 2013 [en ligne] (consulté en avril 2016) URL : www.irma.

89 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

L’expérience réussie du Festival de Jazz in Marciac peut être identifiée comme la résultante d’une initiative citoyenne dans le cadre d’un projet artistique développé pour le territoire et soutenu par les pouvoirs publics. Et c’est en s’intéressant à la naissance et au développement de ce festival que nous comprenons son lien avec le territoire. Le choix d’élaborer un festival dans cette commune rurale de petite taille n’est pas le fruit du hasard. D’un côté, le festival est un moment festif particulier qui prend place dans l’espace public pendant une période limité et se démarque donc de l’animation sociale quotidienne : il s’agit d’un rendez-vous planifié longtemps à l’avance se tenant sur une durée de deux semaines. Mais répété de façon annuelle, la régularité de cet engouement social en fait une véritable tradition, composante essentielle de sa longévité et probable facteur clé de succès, que ce soit auprès des spectateurs profitant du divertissement, qu’auprès des bénévoles engagés pour la tenue de l’évènement. La reproduction annuelle du festival, depuis des décennies, au même moment au même endroit, a permit de faire du festival de Jazz in Marciac une institution, malgré l’absence initiale d’équipement fixe au long de l’année. C’est l’atmosphère collective particulière, permis par un rassemblement temporaire d’acteurs autour d’une même valeur, qui répété à échéance régulière à l’issue d’un premier succès, fait de cet évènement un élément incontournable de la vie sociale locale. Preuve de son succès sur le long terme, la Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM) recense en 2013 près de 1425 festivals en France, dont seulement la moitié dépasse les 10 ans de vie, 42% ont entre 11 et 25 ans et uniquement 10% ont plus de 26 ans d’existence, comme c’est le cas pour Jazz in Marciac. Dernièrement en France, 28% des festivals sont de Jazz et « Jazz in Marciac » est le festival le plus fréquenté avec près de 250 000 visiteurs, devant les « Vieilles Charrues » en Charente et ses 208 000 spectateurs.12


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un système associatif familial et convivial afin que chacun y trouve sa place et s’implique selon son gré. L’infrastructure de l’événement s’est également résumée à l’installation d’un chapiteau sur la place centrale du village (voir figure 15). Avec la pratique de bénévoles amateurs et les faibles moyens financiers à disposition, Marciac a joué de ses contraintes et de sa simplicité afin d’en faire une sorte de « marque de fabrique du festival » reconnue de tous en s’appuyant sur le caractère authentique et le cachet des premières éditions de la manifestation. Ici nous pouvons dégager l’idée que l’aménagement du territoire se fait dans une double temporalité : d’un côté « l’événementiel » : les prises de décisions politiques particulières, et de l’autre les temporalités longues, plus ou moins visibles, qui préparent à des changements. Ces longues intuitions, sont souvent les réponses apportées par les prises de décisions événementielles. C’est la nécessité à un moment précis, suite à une prise d’ampleurs du sujet, qui attire l’intérêt sur celles-ci. Des solutions existent et sont mises en lumière dans un contexte précis à un moment donné. 13 Le succès du festival de Jazz permis par l’initiative collective des habitants du territoire a ainsi permis de renforcer l’intérêt touristique du village. Car aller à Marciac, c’est y aller dans un but précis, et non par hasard. Par ailleurs, les environs proches de Marciac ne possèdent pas un fort potentiel de public pour le festival, comme pourrait le constituer celui d’une métropole : le public intéressé par l’événement est donc plus principalement originaire des régions limitrophes au territoire, voire de centre urbains lointains. En 2007, 9.2% des visiteurs provenaient du département du Gers, 38.4% de la Région (Midi-Pyrénées) et 56.3 % du Grand Sud-Ouest constitué par la région Aquitaine et Midi-Pyrénées. Un public de 4.6% provenant de la région parisienne et 4.9% provenant de l’étranger venaient également profiter de ce moment. C’est donc la situation géographique de Marciac à l’échelle Nationale qui permet une fréquentation renouvelée des participants et sa situation en fait l’un des facteurs clé de succès de durabilité de l’évènement. Le village peut jouer en effet de ses atouts géographiques en s’inscrivant sur des itinéraires de vacances touristiques : il possède en effet l’avantage de se situer entre la côte d’Azur et la côte Atlantique, à proximité de l’autoroute A65 menant vers l’Espagne, et bénéficie ainsi d’un flux touristique de vacanciers important 13 DELAMARRE, Aliette, LACOUR, Claude, 50 ans d’aménagement du territoire, France, éd. La Documentation Française, 2015, 200 p.


1

91 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

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Figure 15: La place centrale du village a été refaite et acceuille l’événement annuel. Sources : 1- Le Journal SudOuest, 18/04/2014 2- Le Journal SudOuest, 01/02/2013 3- 5sapins, 21/02/2011


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en période estivale. De plus, d’après le Ministère de la Culture, plus du tiers des manifestations estivales ont lieu dans seulement quatre régions, au Sud de la France, et sont touchées par une « festivalomanie ». C’est notamment le cas de la Côte d’Azur, qui accueille la majorité des festivals grâce à son climat chaud, ce qui permet à Marciac de s’inscrire dans un parcours pour les festivaliers, allant d’événements en événements. Positionnée dans un endroit stratégique, le village n’est néanmoins pas desservi par des grands réseaux principaux tels que des aéroports, gares ou autoroutes. Afin de desservir le festival, Marciac s’appuie sur les infrastructures du grand territoire, dont l’aéroport de Toulouse se situant à 150 kilomètres et la Gare la plus proche se situant à 40 kilomètres. Dans la tendance du Jazz de plein air, le choix de conserver cet unique style de musique proposé lors de cet évènement, fait de la nature du festival un propre moteur pour l’attrait de touristes estivaux : il permet d’être en cohésion avec le milieu rural de Marciac. S’échange alors une alchimie particulière entre l’événement de jazz et le territoire, jeu de symbolique et de représentation identitaire. Le territoire apporte une image forte au festival : le Gers, se représente alors comme une région réputée tranquille et ensoleillée, où l’art de vivre et la culture gastronomique s’installent au cœur de la petite bastide et de la place centrale entourée de commerces que forme Marciac. Ceci est visible dans les affiches du festival, élaborées par l’artiste Rosinski, utilisant un style champêtre et coloré. « […] Parce qu’on avait tous les handicaps à Marciac pour faire un festival, tous ! Une musique qui n’est pas du coin, pas une route – vous avez vu les routes ? – pas de gare, pas d’aéroport, pas d’hôtel, pas d’infrastructures pour accueillir les gens, on n’avait rien ! Donc tous les handicaps, et en plus c’était le fin-fond de la France, dans un bled inconnu de partout. Alors on s’est dit qu’il fallait prendre tous les handicaps, les retourner et en faire des avantages. Et l’avantage, c’est quoi ? et bien c’est la convivialité, l’accueil, c’est « le jazz est dans le pré ». Parce qu’il y a eu « Le bonheur est dans le pré », mais nous « le jazz est dans le pré » on l’avait dit avant ! »14 Au travers de la production des affiches publicitaires du festival des 38 dernières années (voir les annexes 2 pages 132 - 133) nous comprenons la progressive reconnaissance de celui-ci à l’international et la diversité musicale proposée par des têtes d’affiches renommées. Le village fait alors parler de lui 14

VINCENT Pierre, Le Festival « Jazz in Marciac » et la notion d’engagement : un évènement fédérateur, 77 pages, Mémoire dans le séminaire : « Politique, Culture et Espace Public », Institut d’Etudes Politiques, Lyon, 2005.


93 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

tout au long de l’année via les médias télévisuels, journalistiques etc., grâce à la reconnaissance de la qualité artistique internationale qu’il a acquis. En cela, se joue également le nouveau récit de Marciac, qui au lieu de renvoyer l’image d’un milieu rural abandonné, se représente comme un village d’excellence musicale sur le thème du Jazz - comme si cet art avait d’ailleurs toujours été présent sur le territoire, et riche d’une collectivité dynamique et ouverte à l’international, tout en préservant son identité locale et assumant sa ruralité comme étant une qualité pour sa programmation culturelle. En 2003, ont été créés notamment les « nouvelles sphères du jazz » qui constituent un tremplin dans le monde musical international. Le territoire est la scène d’un événement culturel, symbole du lieu de représentation du festival : il existe désormais un réel lien entre les valeurs symboliques que portent les habitants, le lieu et le fait culturel (jazz). Ainsi par une production culturelle spécifique, un festival de jazz unique en France, Marciac se différencie des autres communes rurales et trouve sa place dans la carte des Territoires, par l’identification à un événement connu et reconnu, comme cela est souvent le cas aujourd’hui (Angoulême ville de la bande dessinée, Cannes du cinéma …). Alors le jazz devient spontanément associé à Marciac, et vice versa. Comme le montre le nom « Jazz in Marciac» associant étroitement la ville à l’activité. Le festival constitue la première pierre à l’édifice, il est le déclencheur d’une politique culturelle qui continue de se déployer aujourd’hui, constituant un véritable outil de développement, un moteur, initiateur d’un projet de territoire pluridisciplinaire.


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Figure 16 : La salle de spectacles «Astrada» : édifice contemporain et nouvel équipement culturel de la bastide.

Source : www.archilovers.com

Du Festival de Jazz à la Saison culturelle : l’Astrada comme symbole Source : www.jazzinmarciac.fr


d) Du temporaire au permanent : du Festival à la saison culturelle

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INSTITUT FRANCAIS, Les saisons, questions les plus fréquemment posées [en ligne] (consulté en février 206) URL : http://www.institutfrancais.com

95 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Par l’organisation du festival, la population a initialement voulu lutter contre l’exode rural, développer une économie autour pour sauver le village du dépérissement qui le guettait et défendre des qualités de vie. Mais aujourd’hui, le succès et les résultats ont dépassés les espérances et la musique jazz, véritablement intégrée à leur patrimoine, est devenue un héritage culturel et un outil de développement pour la commune. En effet, la politique culturelle de la commune et l’organisation de l’évènement sont particulièrement en synergie depuis 1995, année d’élection de Jean-Louis Guilhaumon comme Maire de Marciac, en complément de son rôle de président de l’association JIM. Aujourd’hui, JIM est devenu plus qu’un Festival de quinze jours et peut être considéré comme une Saison, car le projet culturel de territoire est devenu pluridisciplinaire et se déroule sur près de 8 mois15 – d’Octobre à Mai. Tout au long de cette saison, se développent des projets culturels au service de l’éducation et du vivre ensemble, et qui investit notamment les domaines de la création, de la diffusion, de la formation et de l’enseignement. Au début, la première chose sauvée fut le collège en créant en 1993 une école d’initiation à la musique Jazz, les Ateliers d’Initiation à la Musique Jazz (AIMJ), unique programme du genre en France. Théoriquement, le collège devait fermer en 2002 car il accueillait moins d’une centaine d’élèves, mais suite à l’ouverture des ces classes les effectifs ont fait un bond en avant assurant sa pérennisation - en 2005, il accueillait déjà plus de 200 élèves. Suite à cela, une population citadine est venue s’installer dans le village, créant une progression démographique, des services associés et donc des emplois. Puis pour aller plus loin, la population et la municipalité ont tiré profit de leur spécificité artistique au sein des campagnes Françaises afin de créer un vrai espace culturel dans un milieu rural. La vitalité de l’événement estival et sa renommée ont permis la création de la salle de spectacle l’Astrada (voir figure 16) . Ainsi, le festival sort de sa dimension purement événementielle, exceptionnelle et non quotidienne, pour s’inscrire dans la durée, au-delà de la manifestation en elle-même. Un projet éphémère devient alors durable, par des événements culturels liés au jazz toute l’année comme par exemple les «Territoires du Jazz », un musée sur l’histoire du jazz unique en France, et des stages de jazz attirant une population touristique constante. Symboliquement, Marciac


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associe ainsi de plus en plus le jazz à son identité locale et l’enracine. C’est finalement toute une économie qui s’est développée autour de ce projet culturel afin d’accueillir les touristes. A l’intar du développement des Epesses, l’organisation de ce projet a permit la création d’hébergements, des restaurants typiques ont ouvert leurs portes, des commerces ouverts tout au long de l’année, et plus nombreux durant le Festival. Jazz in Marciac est un réel levier de développement, comme le confirme le chiffrage réalisé par la CCI du Gers en 2014 sur les retombées économiques de celui-ci sur le territoire qui s’élèvent à environ 9,2 millions d’euros, ce qui est colossal pour un territoire rural comme le celui-ci.16 D’un point de vue plus global, la pérennisation du Festival et l’installation de projets culturels de façons durables dans le territoire, confèrent une renommée et une place singulière à Marciac au sein des villages de campagnes Françaises. Le territoire communique grâce à son excellence artistique avec le monde entier, et toute l’année. Il a acquit une renommée lui permettant aujourd’hui de se faire entendre, de s’exprimer et qu’il sait mettre à profit. Par exemple, lors du 38ème festival de JIM, des conférences sur le développement durable ont été organisées à l’Astrada, et un manifeste fut rédigé à l’occasion de la conférence internationale sur le climat (COP21) à l’attention de la Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. C’est également devenu une occasion pour les acteurs du monde rural de s’exprimer sur des problématiques, et de sensibiliser les politiques et le grand public à celles-ci. Depuis une vingtaine d’années durant le festival (en co-production par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers), « Les Controverses Européennes de Marciac » qui s’intitulaient initialement « l’Université d’Eté de l’Innovation Rurale », proposent des débats et moments d’instructions sur des sujets d’actualités touchant les milieux ruraux tels que le futur de l’agriculture, la transformation des territoires ruraux, ou les relations urbain-rural. C’est un moment où se côtoient des agriculteurs, des scientifiques, des enseignants, des élus, des acteurs du monde économique, culturel, associatif etc. 17

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CREATEUR ET EDITEURS-LA SACEM, Jazz in Marciac, bien plus qu’un festival [en ligne] (consulté en février 2016) URL : https://createurs-editeurs.sacem.fr

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AGROBIOSCIENCES, Les controverses de Marciac [en ligne] (consulté en février 2016) URL : http://www.agrobiosciences.org/


97 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

En conclusion, nous comprennons à travers l’exemple de Marciac nous comprenons qu’un territoire rural est en mesure de réagir face aux circonstances d’abandons des Politiques d’aménagement sur celui-ci. En jouant la carte de la spécificité culturelle dans la campagne Française, Marciac réussit à développer un nouveau récit sur son territoire qui fait parler de la commune tout au long de l’année. Les bases du projet se fondent dans la valorisation d’une ressource, certes un élément culturel importé par un citoyen, mais dont les valeurs ont fait échos en la population au point d’en faire un élément de leur identité et de l’intégrer à leur patrimoine local. Cela nous laisse à imaginer que des solutions à des situations de déclins de milieux ruraux pourraient exister sur d’autres territoires, et qu’il suffirait d’un esprit collaboratif tel que dans ce projet pour entamer la redynamisation. Ici, le succès du projet se fait également par l’intégration et la création du projet au territoire sur un temps long, permettant des choix raisonnés sur le développement de l’activité touristique et son intégration totale à la société locale. A l’initial, les habitants ne pensaient surement pas réécrire un récit de leur territoire, agissant dans un premier temps dans un but de plaisir détourné d’intérêts touristiques.


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Figure 17 : Un paysage typique d’Espelette : du piment sur les façades, des collines et des champs de piments à perte de vue. Source : http://www.pimentdespelette.com/


2.3. Espelette, une culture de réseaux pour un renouveau agricole

a) Un modèle alternatif à la standardisation moderne : l’économie de niche Dans les années 1980, l’historien Fernand Braudel observait une France dans laquelle les agriculteurs étaient deux fois et demie plus nombreux qu’aujourd’hui où on ne compte désormais que 3% de la population active totale exerçant le métier d’agriculteurs, et dont les surfaces d’exploitations agricoles ont doublé.1 Loin semble être l’agriculture familiale, face à une tendance agricole très organisée, programmée et peu traditionnelle. Une forme d’agriculture déconnectée de son contexte géographique et historique se développe, avec une production « hors sol », difficilement contrôlable et dont les prix sont détenus par les grosses entreprises industrielles ou encore par la grande distribution. Ce contexte de production mène à des crises économiques, politiques et sociales sans précédent, comme le titre 1

TROTIGNON, Elisabeth, Campagnes anciennes Nouvelles campagnes, Un certain regard sur l’évolution de la campagne française, Paris, Delachaux et Niestlé, 2006, 290 pages.

99 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Espelette est une commune du Sud-Ouest de la France, dans le Gers, particulièrement réputée pour la culture du piment qui l’intègre aujourd’hui complétement à l’identité et à la culture portée par le réseau de villes du Pays Basque (voir figure 17). Espelette est aujourd’hui essentiellement caractérisée par son piment, rendue indissociable de la ville, pourtant le Piment d’Espelette n’est en réalité pas réellement originaire d’Espelette. Son histoire commence lorsque Christophe Colomb revient riche de graines rapportées du nouveau monde, qui seront ensuite cultivées dans la vallée de la Nive, entre Bayonne et Saint-Jean-Pied-de-Port. Ayant trouvé refuge dans un climat entre courants océaniques et collines, le piment d’Espelette se développa et remplaça petit à petit les poivres, qui au XVIème siècle valait une fortune. A usage principalement médicinal, il devient finalement la seule épice labellisée d’Appellation d’Origine Protégée (A.O.P) de France et est désormais cultivé sur 10 communes. Ce produit agricole particulier est devenu un « emblème » du territoire, porté par des agriculteurs qui ont lutté afin de proposer une agriculture autre qu’industrielle, et propre aux spécificités de leur territoire.


le Figaro paru le 2 Février 2016, « Les agriculteurs sont à bout »2 , face à une compétitivité toujours plus accrue et une pérennité de leurs exploitations remise un peu plus en cause chaque jour. Néanmoins, l’agriculture est une activité possédant une certaine diversité permettant aux agriculteurs de choisir leur mode de production, tout en s’intégrant à l’économie mondiale.

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Deux grands modèles sont expliqués par Elisabeth Trotignon, dans son ouvrage intitulé « Campagnes anciennes, Nouvelles campagnes » paru en 2006, que sont le modèle de « spécialisation » et celui de « diversité », qui correspond notamment au cas du Piment d’Espelette. Qu’il s’agisse des années passées ou d’aujourd’hui, les agriculteurs restent attachés à la préservation du terroir. La modernité, malgré sa toute puissance durant les Trente Glorieuses, n’a pour autant pas fait disparaitre la tradition, et les racines profondément ancrées ont pu générer une autre façon de pratiquer et vivre l’agriculture, loin de celle de l’hyperproduction standardisée. Certains paysans n’ont pas choisi d’entrer dans le modèle « tout-productiviste », sans s’enfermer pour autant dans un système archaïque souvent associé au refus d’utiliser l’inondation des champs par pesticides. Une vision de l’agriculture, majoritaire dans notre société actuelle, réduit essentiellement l’agriculture à un outil de travail qui a fait ses preuves jusqu’à offrir des rendements qui dépasse les besoins. D’autres agriculteurs ont pourtant choisi de privilégier la qualité à la quantité, que ce soit de façon contrainte ou choisie, afin de mieux maîtriser leur investissement et d’agir différemment, tout en s’intégrant à l’économie mondiale. C’est notamment le choix du groupe d’agriculteurs du pays Errobi, qui ont choisi une économie de niche, entre production de masse et produits du terroir. Par ailleurs, le territoire Basque est essentiellement agricole. A dominante rurale sur 90% du territoire, c’est l’une des grandes caractéristiques du paysage Basque qui comptabilise 124 200 hectares de surface agricole en 2010, soit 36% de la Surface Agricole Utile (SAU) départementale, et plus de 4 450 exploitations agricoles, soit près de 40% de l’effectif départemental. Alors, l’Agriculture est un élément majeur de l’économie, si ce n’est le premier pôle économique de la région, représentant 6% de l’activité locale contre 3% pour le reste du Pays.3 La production brute standard (PBS) de l’ensemble des 2

LE FIGARO – Economie : crise des éleveurs : les agriculteurs sont à bout [en ligne] (consulté en mars 2016) URL : http://www.lefigaro.fr

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WIKIPEDIA, Le Pays Basque [en ligne] (consulté en mars 2016) URL: https:// fr.wikipedia.org/


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AGRESTE AQUITAINE. Territoires, dynamiques agricoles au Pays Basque [en ligne] (consulté en mars 2016) URL : http://agreste.agriculture.gouv.fr

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JANIN, C., PEYRACHE-GADEAU, V., LANDEL, P-A., PERRON, L., LAPOSTOLLE, D., PECQUEUR B., « L’approche par les ressources : pour une vision renouvelée des rapports entre économie et territoire » in TORRE, A., VALLET, D., Partenariats pour le développement territorial, Versailles, Editions Quae, 2014, pp 125 – 149.

101 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

exploitations agricoles s’élève à 221 millions, soit 36% du PBS départemental.4 A noter que la culture bovine et céréalière représente 99% des productions agricoles, mais la production subissant une concurrence féroce et la baisse du cours de l’agriculture intensive, certains producteurs ont préférés se tourner vers des productions plus rustiques et de qualités. A peine 1% de la culture se compose de produits dits «symboles», car renommés et associés à l’histoire locale ou territoriale, tels que la cerise noire d’Itxassou, le jambon Quintoa ou le Piment d’Espelette. Ceux-ci s’intègrent dans des marchés de niche et dont leurs produits font souvent partie d’une démarche officielle de qualité. Ces produits s’inscrivent dans une économie de qualité permettant un renouveau pour les agriculteurs et le territoire. L’économie de la qualité, véritable modèle alternatif à la production standardisée s’élabore à partir des années 1970 en contrepoint à l’intensification des productions et à une tendance à la saturation des marchés.5 Ainsi, dans son prolongement, les démarches de spécification de productions, liées à la construction de ressources territoriales, visent à l’émancipation des processus de standardisation, de spécialisation et d’intensification tels qu’ils peuvent être décrits dans le modèle industriel fordiste. Elles relèvent d’une sortie progressive de la dimension générique de la ressource en la spécifiant de façon concrète et attesté, voire certifiée. Différenciation et spécification apparaissent alors comme des alternatives à l’économie de production standardisée. Le développement de cette agriculture autre, de niche, est en accord avec notre société qui installe de plus en plus une logique de terroir. Une concordance s’opère entre difficultés de l’agriculteur et les besoins du consommateur. L’agriculteur produit à perte, en surplus. Et, le consommateur cherche un rapprochement avec la campagne afin de connaitre la qualité des aliments qu’il consomme. Un dialogue entre les deux est donc possible, et pousse les agriculteurs à modifier, innover dans leurs modes de production. Alors, afin de mieux vivre, certains ont choisi de quitter « la production de masse », dont le circuit de la production à la grande distribution ne leur permet plus de se dégager un salaire convenable. Alors, ils recherchent « la niche » et trouvent en cela, un plan financier abordable, dont l’intérêt est fort pour


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les jeunes agriculteurs. En effet, les exploitations de polyculture – le fait de cultiver plusieurs espèces de plantes dans une même exploitation agricole, en opposition à la monoculture- sont trop petites pour vivre décemment aux côtés de leurs parents, ce qui oblige les jeunes agriculteurs à investir dans de nouvelles terres. Puis, pour palier aux mauvaises années et diversifier les sources de revenus, la culture du Piment attire à Espelette de nombreux candidats de la région et du département à venir s’installer et à se spécialiser. Cette source de revenus devient un complément pour des populations exerçant une autre profession à temps partiel, tels que les artisans, salariés ou entreprises agrotouristiques. Ainsi, la culture du piment ne demandant que peu de superficie grâce à un travail entièrement manuel, les exploitations sont petites (de 6 hectares en moyenne) et il leur est plus simple pour eux d’investir pour ce type culture, permettant un faible besoin d’investissements de départ dans une région où le prix du foncier est assez élevé à cause de son attractivité touristique forte : le prix d’un terrain constructible est de 158€/m² dans un rayon de 20 kilomètres d’Espelette, contre une moyenne de 94€/m² dans le département des Pyrénées Atlantiques6. Ainsi, la culture du piment contribue à l’équilibre économique des petites structures malgré sa faible production en comparaison avec les autres productions agricoles. Preuve d’une activité agricole ayant du succès, en 2010, seulement 7000 pieds sont cultivés contre près de 20 000 par 66% des producteurs en 2011. La spécialisation des agriculteurs dans la culture du piment s’accentue d’ailleurs, dû aux mauvais cours agricoles des autres secteurs, contrairement au piment qui se maintient. En 2008, une croissance de 56% de l’effectif des producteurs et de la quantité de poudre, et au total, la quantité de poudre a été multipliée par 200 ces 50 dernières années.7 Puis entre 2010 et 2011, 26 producteurs en plus et plus de 20% de progression. 120 agriculteurs cultivent le Piment en 2010, sur 102 hectares, soit la quasi totalité de la production départementale. 80% des exploitations sont dans l’aire d’appellation d’origine protégée (AOP), soit 92% de la surface totale. La force d’une activité telle que celle-ci repose en outre sur sa simplicité, son identité propre et ainsi la faculté à se transmettre au travers des générations, 21% des exploitations du pays basque sont gérés par des 6

TERRAIN CONSTRUCTION, prix moyen des terrains au m² [en ligne] (consulté en avril 2016) URL : http://www.terrain-construction.com

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AGRESTE AQUITAINE. Territoires, dynamiques agricoles au Pays Basque [en ligne] (consulté en mars 2016) URL : http://agreste.agriculture.gouv.fr


103 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

paysans de moins de 35 ans, contre 15% pour la France. Et leurs enfants émettent souvent fièrement le souhait de reprendre les exploitations et suivre des études agricoles. Au-delà de maintenir 650 emplois direct ou saisonniers en milieu rural, cette activité relève d’une agriculture durable, de signe officiel de qualité, et à taille humaine : 77% des producteurs transforment et vendent eux-mêmes les produits. Dans le cas d’une production de poudre, le piment est récolté mi-août, sa couleur rouge commence à apparaitre, puis à maturation, les savoir faire du producteur sont essentiels, ne pouvant être remplacés par une machine. Autrefois, les piments étaient encordés puis séchés sur les façades des maisons exposées au soleil levant puis un bref passage dans un four à pain finissait de les rendre craquants. Aujourd’hui, les mêmes étapes sont suivies mais avec des techniques différentes. D’abord étalés dans des serres et exposés à la lumière, les piments perdent de leur humidité et s’enrichissent de leurs arômes et d’une couleur rouge bordeaux. Les piments sont inspectés un à un à la main, passés au four, transformés en poudre et conditionnés par kilo, sous contrôle des exigences A.O.P. (voir figure 18). Aujourd’hui, les activités agricoles sont très normées et contrôlées, et ces agriculteurs des temps modernes proposent dans ce courant des produits qui allient le territoire, le goût, le terroir, l’hygiène… Ici, la technique se rapproche de la « tradition ». Ce rapprochement de la tradition, des pratiques qui sont finalement ancestrales, transmettent paradoxalement une image alors novatrice de la profession, qui s’oppose à celle de l’agriculteur dans le milieu très industrialisé. De plus, ces néo-agriculteurs n’ont pas besoin de s’agrandir pour survivre, ils tirent des profits en produisant un épice, du semis jusqu’à et la transformation sur place, et la vente directe à des clients. Sans intermédiaire ils bénéficient de meilleures marges financières, et focalise leur croissance sur l’expansion de leur réseau en multipliant les contacts. Au-delà de la fabrication du produit dont la qualité est fondée sur les qualités des terres, uniques, l’agriculteur prend plaisir de voir que le consommateur tisse lui aussi des liens avec le lieu, « un terroir ». Ainsi, il retrouve un rôle social, qu’il avait perdu un certain temps, durant celui de la production de masse. L’économie de niche développée à Espelette, est plus qu’un simple projet économique. Ces agriculteurs se réclament du « terroir », qui autrefois à connotation passéiste, est aujourd’hui à la mode et se vulgarise. Ainsi, ils prouvent, qu’il est possible de cultiver des produits du territoire, en intégrant le système de mondialisation, comme le montre la multitude de produits issus


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Figure 18 : Une agriculture du terroir, aux savoir-faire multiples et manuels au coeur de la production. Source : http://www.pimentdespelette.com/


d’Espelette, ou encore le Piment d’Espelette généralement commercialisés en grande surface, mais aussi à l’export. Puis, au-delà de ces bénéfices économiques, le piment permet également de jouer un rôle de préservation de l’environnement. En effet, la délimitation dans le Plan Local d’Urbanisme d’une surface agrée et spécifique à la culture du piment permet de préserver du sol pour l’agriculture dans une zone soumis à de très fortes pressions foncières. En 2015, une surface de 819,3 hectares est consacrée à la culture du piment, dont 209,7 hectares sont actuellement cultivés.8

b) Une stratégie de différenciation : le labellisation

Ainsi, comme pour de nombreux territoires dès les années 1980, les stratégies de différenciation des produits apparaissent comme une opportunité pour continuer d’exister économiquement. Ces stratégies se mettent en 8

Entretien avec SARRAUDE Maialen – responsable de la communication du Syndicat de l’AOP Piment d’Espelette-Ezpeletako Biperra (mercredi 25 mai 2016)

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BIENVENUE A LA FERME, Bienvenue à la ferme est le premier réseau de vente directe de produits fermiers et de tourisme à la ferme. [en ligne] (consulté en mai 2016) URL : http://www.bienvenue-a-la-ferme.com/

2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Aussi, les exploitations s’ouvrent à d’autres activités qui, il y a 20 ans encore, paraissaient peu envisageables. En effet, de plus en plus, fleurissent les slogans et labels « plus frais, plus près », « ferme de », « produits fermiers », «bienvenue à la ferme »9, autant d’initiatives qui tissent des liens directs entre producteurs et consommateurs et qui amènent les consommateurs des produits et touristes, au cœur des exploitations. Pour des découvertes fermières, dans des gites, pour acheter des produits en direct chez le producteur…. L’agriculture est véritablement devenue un atout touristique, participant à la diversification du tourisme en milieu rural. Afin de se différencier et d’entrer dans cette économie, le Piment use de l’outil du « label ». Ainsi, Espelette crée un monopole autour du produit et des terres, et le piment devient véritablement un produit identifié spécialement et seulement à ce territoire délimité géographiquement (de 10 communes). Leur agriculture, liée à ce produit géographiquement identifié, rend l’activité agricole non localisable et propre au territoire.

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place au travers de la multiplication des Appellations d’Origine Contrôlée (A.O.C) / Appellations d’Origine Protégée (A.O.P) et autres labels. Durant la période de 1985-2000, se développent en France les labels touristiques. Leur multiplication et la complexité des échelles d’intervention, allant du local (label Village de caractère…) au mondial (label Unesco, patrimoine de l’humanité) renseignent sur l’importance accordée à ces démarches de validation de l’ancrage au territoire. En effet, les labels permettent de garantir la spécificité du produit, sur la base de sa qualité mais aussi de son origine géographique. Egalement, alors reconnu par tous et géographiquement défini, le produit devient moteur d’attractivité touristique. Concernant le piment d’Espelette, c’est en 1990 qu’une dynamique de réflexion est engagée sur le produit suite à l’utilisation déloyale du nom «Espelette» par des distributeurs. Tout comme Marciac et Les Epesses, un projet tel que celui-ci nait de la pluralité des acteurs associé dans un projet collectif, qui ont su porté un regard nouveau sur des biens matériels ou immatériels du territoire. Ici les organisations de producteurs ont joué un rôle déterminant en se mobilisant afin de garantir une meilleure valorisation du Piment. Cela abouti en Avril 1993 à la création d’un syndicat des producteurs de piment d’Espelette qui crée une convention afin de développer la filière, protéger le produit local et organiser la production. Est engagée une démarche auprès de l’INAO afin d’obtenir une AOC, obtenu en avril 1997, après un travail collectif de longue haleine, et devenu AOP en 2012 (voir figure 19). Ils ont élaboré un projet d’appellation d’origine contrôlée qui s’est élargit au point d’associer à ce produit phare un ensemble d’objets induits ou complémentaires relatifs au paysage, au cadre bâti, aux savoir-faire culinaire etc…. formant un tout, un ensemble patrimonial construit. Dans le cas d’Espelette, le piment est une culture annuelle et pour pouvoir planter la terre de prairie avec du piment, il doit obtenir l’identification parcellaire par l’Institut National de l’origine et de la qualité (INAO). Chaque mois de Mars de chaque année, l’INAO ajoute de nouvelles parcelles sur les 10 communes identifiées par l’INAO, après demande du propriétaire et examen par des experts. Cet hyper contrôle autour de la protection de l’utilisation du Piment d’Espelette permet aussi de contrôler la commercialisation et les modes d’échanges autour du produit, afin qu’il soit valorisé et spécifique. Organisation de coopératives autour du Piment… association AOC du piment d’Espelette… Syndicat du Piment d’Espelette… tous s’unissent afin de protéger leur monopole sur le Piment, source de leur économie territoriale. Ici, la société locale a su faire


valoir la spécificité territoriale et entame les démarches pour la défendre et la revendiquer. Le label leur permet également de faire reconnaitre leur qualité spécifique sur des marchés externes, hors territoire national.

Figure 19 : Un label fièrement affiché et défendu. Source : http://www.pimentdespelette.com/

107 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Tout comme Marciac, la « ressource » qui a été mise en avant afin de valoriser et dynamiser le territoire n’était pas originelle du territoire, non héritée. La labellisation du produit, est une stratégie de différenciation qui met en avant le caractère local de la production à partir de l’attribut d’origine géographique, mais c’est en réalité plus complexe, incluant des attributs symboliques, identitaires, culturels qui permettent d’identifier le produitressource véritablement lié au Territoire. Ainsi, fut en quelque sorte crée la marque « Piment d’Espelette », qui facilite l’identification du produit, protège des contrefaçons, véhicule un certain niveau de qualité et offre la possibilité d’associer une histoire à un produit. Ainsi, Espelette a réussi à faire du Piment, son patrimoine. Mais, au-delà de cette reconnaissance, comment ce produit est il devenu un symbole de tout un territoire et s’y est-il intégré?


c) Une vision territoriale : un projet en réseaux Le Pays Basque est un territoire qui fonctionne très bien en termes « d’indépendance culturelle » vis-à-vis du territoire français. Nous pouvons expliquer celui en évoquant une superposition de « nœuds » , « lignes » et « surfaces » formant un tout : le territoire culturel basque.

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Les nœuds peuvent être caractérisés par les villes phrases du Pays Basque et les événements culturels qui les caractérisent. En effet, Espelette se situe dans le Pays-Basque français, territoire à l’identité paysagère forte, marquée par son paysage de montagnes, de plaines et sa côte Atlantique. D’une attractivité touristique incontournable, le Pays Basque bénéficie d’un flux touristique si bien hivernal, grâce à ses stations en montagnes et les stations thermales, et estival par le tourisme balnéaire et rural, entre farniente et randonnées. Mais au-delà de ces qualités paysagères et pratiques de découvertes en plein air, le Pays Basque Français est réputé pour sa forte identité culturelle, composée de ses férias biens connues, ses concerts d’été, ses fêtes locales attirant des milliers de touristes, comme les réputées fêtes de Bayonne. Des fêtes autour de produits traditionnels sont progressivement devenues des fêtes locales, tant connues au Pays Basque (jambon, piment, ferias…). Afin de s’intégrer au territoire, et notamment à sa dynamique touristique, Espelette a joué le jeu, et s’est intégré aux réseaux territoriaux (hôtellerie, gastronomie, évènementiels…). Le territoire d’Espelette a diversifié les offres de biens et de services autour du Piment afin de profiter d’une économie touristique, dans une dynamique en concomitance avec des démarches de valorisations régionales. Nous pouvons observer que le territoire Basque est organisé autour de produits différenciés et lisibles pour le consommateur mais qui produisent tous ensemble une offre territoriale cohérente, permettant d’attirer sur tout le territoire, allant de ville en ville. Espelette se saisit alors des acquis culturels et de la richesse culturelle événementielle et touristique du Pays Basque pour elle, en s’intégrant par exemple aux réseaux de fêtes locales. En effet, la fête du Piment (voir figure 20) est venue s’ajouter à la liste des fêtes Basques depuis 1967, et a accueillit près de 20 000 visiteurs en un week-end lors de la fête de 2015. Cette fête locale fut créée par Michel Darraïdou, alors président de l’office du Tourisme d’Espelette et créateur en 1969 de la Confrérie du piment, suite à une discussion avec les membres de la Confrérie du Jambon de Bayonne qui lui ont communiqué tout l’intérêt de créer un projet autour


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Source : http://www.pimentdespelette.com/

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Figure 20 : La fête du Piment : un symbole du Pays Basque et un moment de partage


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d’un produit du terroir.10 La fête du piment, ayant lieu tous les derniers weekends du mois d’Octobre à Espelette, rassemble tous les professionnels de la gastronomie, de l’artisanat, du tourisme et de l’agriculture autour du piment. Elle confère au piment une dimension culturelle, symbolique, appropriés par une diversité d’acteurs. Cela permet également des liens sociaux autour des produits, des moments de rencontres agriculteurs, consommateurs, touristes… lieu de rencontre entre le culturel et le marchand, les agriculteurs et artisans locaux… maintien des liens entre habitants. La fête du piment est issue d’un projet social, et est devenue phénomène social, mais devenant de plus en plus commerciale. Connue à l’international, une chaine d’émission télévisée Québécoise a même réalisé la 3D de la fête du Piment visible sur internet depuis le site de l’office de tourisme d’Espelette.11 Cela souligne la force de ce village, qui réussi par la mise en valeur de leur territoire, de ses savoir-faire, à faire parler de lui-même à des milliers de kilomètres de distance. Le piment s’intègre également aux métiers de la bouche, à la Gastronomie typique, à sa possible consommation chez les restaurateurs locaux. Par exemple, en 2010, l’opération «Toques et Piment» faite par le syndicat de production dans le but de valoriser le rôle d’ambassadeur des chefs locaux à travers leurs plats. En 2011 : 48 établissement relaient la notoriété du piment en le mentionnant dans leurs cartes, et se font relais des producteurs : rapprochement entre ces deux métiers. Puis, le village a su proposer, en cohérence avec la tendance du retour au terroir, des activités spécifiques à son agriculture. Par exemple, en proposant de ses Gîtes et fermes typiques des hébergements insolites où le touriste pourra découvrir les tâches quotidiennes d’une baserriterra (ferme basque), d’une fromagerie etc. Cette forme de tourisme en lien avec les activités agricoles, l’agritourisme, est une nouvelle activité productive pour l’espace rural permettant d’affirmer la capacité de l’agriculture à être multifonctionnelle et à valoriser les milieux ruraux. Dans la même veine, les paysages agricoles de Piments sont devenus immanquables lors de randonnées touristique, et de circuits touristiques. Espelette est devenu une curiosité à voir car lieu de création du « typique Piment » de la région. Espelette joue alors la carte de l’intégration à son territoire. Espelette s’est créée son identité, en accord avec 10

AMIC, Jean Paul, Le piment… La confrérie du piment d’Espelette ! [en ligne] (consulté en février 2016) URL : http://www.lecanardgascon.com/

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SITE OFFICEL DE L’OFFICE DE TOURISME, Visite virtuelle fête du piment [en ligne] (consulté en avril 2016) URL: http://www.espelette.fr/


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LE BARDE DU LABEL, Un pari : s’emparer du Label ‘patrimoine mondial de l’humanité’, le vivre et le faire vivre [en ligne] (consulté en Décembre 2016) URL : http://www.lebardedulabel.fr/

111 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

« la culture basque », qui leur permet de tirer parti l’un de l’autre. Preuve de la force que représente l’identité Basque, le Pays Basque a lancé depuis 2007 une réflexion autour de la possibilité de créer une marque territoriale « Pays Basque » à l’horizon de 2020, afin de préserver son image et ses valeurs, de partager les enjeux économiques pour tous les acteurs du territoire. Alors, par l’utilisation d’outils de marketing urbain et territoriaux de manière raisonnée, Espelette s’est complètement intégrée au développement territorial basque et en est aussi devenue moteur. Contrairement à SaintEmilion, commune proche de Bordeaux dans le Sud-Ouest de la France, où l’activité touristique est produite au détriment de la vie locale, et au profit d’un « village vitrine ». Les rues sont dépourvues de commerces nécessaires à une vie quotidienne locale, et remplacés par des boutiques touristiques et les chais et vignobles sont rachetés par des investisseurs étrangers au détriment des viticulteurs locaux. Le village est « sous-cloche », et son label de Patrimoine mondial à l’Unesco ne profite qu’à son développement, excluant les communes aux alentours qui pourtant son incluse dans le périmètre de l’Unesco. Les mouvements contestataires prennent de plus en plus forme, comme « Le Barde du Label » de la commune de Saint-Christophe-des-Bardes12, souhaitant que l’activité touristique produite autour de l’activité viticole ne cesse de se faire qu’au profit de Saint-Emilion.


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En conclusion, Espelette vit toute l’année avec son territoire autour de la construction de leur capital agricole, devenu forme de patrimoine culturel qu’ils ont constitué. Ici, nous voyons que la dynamisation du village profite à un territoire global en s’intégrant à sa dynamique culturelle existante. Le piment est devenu une ressource phare du territoire, au statut de « bien commun » et réussi par sa renommée à entrainer avec lui d’autres produits moins reconnus ou services (activités en plein air, visites de fermes agritourisme etc.) qui se valorisent réciproquement. Le terroir sert à la valorisation économique d’un espace et d’un produit, et attire une activité touristique bénéfique pour les agriculteurs et tout un réseau de partenaires, d’associations comme Gites de France et création de labels «bienvenue à la ferme» etc. Ce projet de territoire autour de l’agriculture montre que l’agriculture a des potentialités d’avenir. Ici, le projet se concentre sur une économie de niche autour d’un seul produit afin de proposer un modèle alternatif à l’agriculture industrielle. Dans une société où la tendance cherche à consommer et produire de plus en plus local, nous pourrions penser que ce type d’expérience prendra de l’ampleur. Les nouveaux défis de l’Agriculture face aux problèmes d’alimentation actuels sont tout autant de nouvelles opportunités pour proposer de voir l’agriculture et ses territoires autrement.


113 2: LA MISE EN RECITS DE TERRITOIRES : LES EPESSES, MARCIAC, ET ESPELETTE

Pour conclure cette seconde partie, nous pouvons dire que les trois exemples présentés sont des projets qui interrogent les différentes échelles territoriales et la connaissance et la redécouverte des identités du territoire notamment, afin de le revaloriser et amener à l’expérimentation d’un projet sur celui-ci. Ces exemples constituent des réussites car ils ont abouti à la revitalisation de zones rurales en partant des moyens locaux, des solidarités locales, et des ressources du territoire : de choses locales, tout en développant « le global ». Le tourisme peut y être considéré comme un point de départ de réels projets de développements et d’aménagements territoriaux. Ce qui pouvait également paraitre un pari incroyable pour ces territoires ruraux, leurs actions ont aboutis à l’élaboration de projets spatiaux, des éléments de pérennité forts utiles pour le développement d’une ruralité contemporaine multifonctionnelle. A l’échelle des communes, se sont construits des espaces d’accueils pour les touristes, des logements de vacances, des services du quotidien pour la population, des établissements scolaires maintenus sur place et même développés, une salle de spectacles, et à une échelle géographique plus large, cela peut amener à de nouvelles infrastructures de transport… etc. Des concrétisations spatiales portées par les réussites des mises en tourisme de leurs territoires, utiles certes aux touristes mais aussi bénéfiques aux habitants au quotidien, ce sont tant de projets sources d’emplois, de dynamisme économique et social.


Conclusion


Vers un «projet local» (A.Magnaghi) ?

115 CONCLUSION : VERS UN «PROJET LOCAL» (.A. MAGNAGHI)

Un modèle de revalorisation des territoires ruraux par le tourisme : le « projet local » ? A la vue des constats obtenus sur les exemples des Epesses, de Marciac et d’Espelette, nous pouvons les considérer comme des projets emblématiques de projets territoriaux. En effet, ils nous apparaissent comme de véritables catalyseurs de dynamisme territorial et social. De ces projets, nous pouvons déduire l’importance de trois composantes pour la réussite d’un développement de territoire rural grâce au tourisme : la prise en compte du « projet » dans son sens de temporalité longue ; la valorisation du patrimoine du territoire et le rôle majeur des acteurs locaux. C’est dans cette alliance que se crée un « projet local » capable de proposer un nouveau mode de développement pour les territoires ruraux. « Le projet local » est d’après Alberto Magnaghi, « un scénario qui doit permettre aux divers intérêts en présence de participer à la valorisation et à l’appropriation sociale du bien que constitue le patrimoine territorial ». La notion de « projet local » se fonde, comme le développement local, sur la valorisation des patrimoines de chaque lieu et la mise en place de démarches portées par les citoyens, dont émerge une nouvelle représentation du lieu. Alors les citoyens créent ensemble un projet qui s’établit sur le temps long, basé sur les particularités socio-culturelles du territoire et la valorisation d’un patrimoine qu’ils ont choisi de mettre en avant. Cette notion induit que tout territoire peutêtre support à projet, cela dépend des habitants et du regard qu’ils portent sur leur territoire. Alors, tout territoire relégué ou oublié serait en mesure de pouvoir faire résilience de l’imaginaire auquel il renvoie et construire lui-même son projet de développement. Les exemples nous montrent que le développement d’un territoire peut se faire au-delà d’une organisation politique et administrative traditionnelle grâce à des initiatives locales d’habitants qui constituent le point de départ d’un développement et d’une activité touristique réfléchie. A la grande différence des modèles de développement des métropoles par exemple, où ce sont des « récits de politiques » qui influent le devenir et les représentations du territoire, ici ce sont les habitants qui le maitrisent, ce sont des « récits de citoyens ». Leurs démarches consistent en la ré-interpreatation de leur patrimoine territorial par sa revalorisation à travers un nouveau regard porté à un moment M de l’histoire du territoire. Cette capacité d’auto-détermination à influer sur les représentations de leurs territoires afin d’en redéfinir son avenir induit une idée de « gouvernance locale » inhabituelle dans les politiques


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d’aménagement traditionnelles françaises. L’idée est simple : les populations qui habitent les territoires sont en mesure de contribuer à l’élaboration de leur projet de territoire, s’ils engagent une démarche participative citoyenne. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’initiatives citoyennes locales qui permettent l’émergence de projets et d’innovations. Les exemples démontrent cette forte cohésion sociale qui leur permet de construire un projet ensemble, et d’en maitriser par eux même le développement. Alberto Magnaghi caractérise ce type de démarches citoyennes de « globalisation par le bas ». Dans les exemples, nous comprenons que les citoyens ont voulu dépasser la contradiction qui existe entre des sociétés locales se renfermant sur ellesmêmes face à la globalisation ou celles qui entrent dans un système de surexploitation et de dénaturation de leur patrimoine afin d’entrer dans les règles du marché mondial. Afin de s’intégrer à la globalisation tout en n’en subissant pas les sollicitations dévastatrices, la gouvernance locale semble être une solution adaptée pour les territoires ruraux. Alors, à travers les exemples nous comprenons que les acteurs du territoire du monde rural sont en capacité de faire émerger des projets en se basant sur l’invention de nouvelles représentations de leur territoire. Pour cela, nous voyons au biais de l’analyse « par les récits », qu’ils agissent sur le fond (les ressources utilisées) et sur la forme (la concrétisation spatiale et temporelle de l’activité développée) qu’ils veulent apporter au nouveau récit de leurs territoires. Dans les trois cas qui ont été développés, les choix de « fond » et de « forme » sont variés. Premièrement, en ce qui concerne la «mise en forme » des projets, nous percevons par ces exemples de projets un intérêt majeur pour ces territoires de pouvoir contrôler par eux-mêmes les choix en termes de concrétisation spatiale, et ce dans le temps long. Effectivement, à l’inverse d’un tourisme tel que celui « de masse » qui viendra s’appliquer sur le territoire de manière presque « coloniale », ou du tourisme rural qui ne développe pas une activité économique conséquente pour le territoire par manque d’équipements, dans un « projet local », l’importance de la question de la temporalité dans l’aménagement des territoires et la construction de projets est importante. Nous comprenons par les exemples qu’un projet de territoire s’inscrit dans le temps long, et l’implication dans la durée induit des étapes au processus de construction du projet. D’abord, un nouveau regard doit être posé sur les ressources patrimoniales du territoire par les acteurs locaux, puis à partir de celles-ci sont basées le projet de leurs valorisations et l’activité touristique,


117 CONCLUSION : VERS UN «PROJET LOCAL» (.A. MAGNAGHI)

et ensuite le territoire adapte ses structures d’accueil, de transport etc... petit à petit à cette nouvelle activité, selon les retombées qu’elle apporte et les ambitions souhaitées par le territoire. En résulte, d’après les cas étudiés, une nécessaire implication et un investissement profond sur le territoire dans un temps long. Cette notion de temporalité, nous engage à nous pencher sur des problématiques plus vastes que sont l’éducation, la transmission ou encore la notion de responsabilité. Par exemple, à Marciac, le « combat » est mené depuis près de 38 ans, et n’a pu être possible que dans son inscription dans le temps. D’abord l’arrivée du Jazz, le montage d’une première soirée, puis quelques années après d’un weekend, puis d’un festival de deux semaines, et maintenant le projet est devenu une saison culturelle. L’expérimentation et les réflexions menées sur le temps long ont permis de percevoir l’utilité et la hauteur des investissements à engager au fur et à mesure pour aménager le territoire (espace publics, hébergements, salle de spectacle…), et d’intégrer à la fois spatialement et socialement de manière progressive le tourisme au territoire. Alors le temps est une composante nécessaire à un projet de territoire qui s’appuie sur la création d’une activité touristique afin d’être en accord avec le milieu de vie. Contrairement aux plans d’aménagements des côtes littorales par exemple, plans fondés principalement sur la prééminence du tourisme seulement imaginé comme un enrichissement économique, où les critères quantitatifs plus que qualitatifs dominent, sans véritable étude sur les conséquences économiques, physiques et sociales de tels aménagements sur le territoire. Ici, ils ne s’interrogent pas sur la capacité des lieux à supporter cette activité touristique ou sur la capacité de la population locale à supporter l’afflux de touristes sans déstructurer la communauté. C’est une logique de l’immédiateté et du consommable, où le territoire doit s’adapter de manière brutale au tourisme sans réelle prise de conscience des conséquences dans la durée. Ce développement, qui est dicté par les lois économiques qui déterminent les objectifs, lieux et techniques de mise en œuvre de l’activité touristique, engendre des développements d’activités indifférents aux caractéristiques des lieux et de leurs histoires. Des alternatives à ce modèle se trouvent dans la notion de « développement local » qui propose de nouvelles voies pour le développement des territoires par le tourisme, dont la place des acteurs locaux joue un rôle majeur. En effet, dans la reconsidération de la problématique touristique, nous voyons dans ce mémoire que ce ne sont pas toujours les réponses apportées


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par le gouvernement qui ont été les meilleures, mais bien celles données par les habitants eux-mêmes. Ceux-ci semblent être les mieux placés pour parler des territoires et faire valoir leurs spécificités que sont leurs cultures locales. Alors la valorisation des ressources territoriales et les identités locales deviennent des actes fondateurs de modèles de développement alternatifs : le développement local. C’est sur leur patrimoine territorial que peuvent s’appuyer les populations comme « fond » de récit. Alberto Magnaghi parle d’un patrimoine vivant qui existe par « transformation active ». Effectivement nous pouvons voir le patrimoine d’un point de vue dynamique car il est en lien avec les rapports sociaux : un patrimoine n’existe pas en soi mais uniquement à travers l’interprétation de celui qui l’utilise. Alors un patrimoine territorial ne peut être utilisé comme une ressource si le modèle socio culturel dominant ne lui accorde ni intérêt ni valeur. C’est tout à fait ce que nous avons perçu au cours des exemples, dans les actions de redécouverte du patrimoine dont ont fait preuve les acteurs locaux. Les projets nous démontrent que les acteurs peuvent s’appuyer sur les ressources existantes (ici, l’art, l’histoire et l’agriculture) et faire projet avec. L’important étant de porter un regard nouveau sur les ressources du territoire, qui peuvent parfois apparaitre évidentes et d’autres, parfois cachées et qu’il faut redécouvrir. Que ce soit la création d’un récit autour de la revalorisation d’un patrimoine « activé » (par exemple, le Piment) ou « désactivé » (l’Histoire des Guerres de Vendée) ou totalement fabriqué/non originaire du lieu (le Jazz), chacun a puisé dans ses ressources territoriales afin de renouveler la représentation du territoire, en jouant sur l’excellence et la spécificité d’un patrimoine, chacun dans son domaine d’activité. Alors, il n’y a pas de « fond » à privilégier plus qu’un autre, chaque territoire choisissant ses attributs à valoriser et chacune ayant son public de touristes intéressés. Mais il peut être important de capter les tendances : de choisir un fond de récit en accord avec les envies de la société à un instant T. Effectivement, l’activité touristique étant liée intrinsèquement à la société, il existe des tendances qui évoluent dans le temps. Par exemple, le festival de Jazz in Marciac s’est développé dans les années 1980, à un moment opportun, où le ministère de la Culture et de la Communication menait, sous Jack Lang, une forte modernisation et déconcentration de la culture dans le pays, démocratisant ainsi l’accès et les pratiques culturelles des citoyens. Aussi, l’exemple de l’agriculture est assez emblématique comme revirement de situation. Alors que l’agriculture


n’était qu’une activité productive, aujourd’hui elle devient un atout touristique, attractive par sa proximité avec le territoire et le terroir : autour de l’agriculture et de l’immersion dans les fermes locales, la gastronomie… etc.

1 Ministre de l’aménagement en 2001, dans l’article : DRAME, Saliou. « Territoires et projet » [en ligne]. URL : http://echanger.unblog.fr (consulté en mai 2016)

119 CONCLUSION : VERS UN «PROJET LOCAL» (.A. MAGNAGHI)

Alors, comme Georges Benko1, l’a déclaré : « il n’y a pas de territoire en crise, il y’a des territoires sans projet ». Aujourd’hui, dans un contexte actuel où l’Etat cherche à valoriser le développement de solidarités locales par la création de nouveaux outils (intercommunalités, chartes…) et où la société se développe autour de projets collaboratifs pour améliorer son quotidien (le covoiturage Blablacar, les ateliers de fabrication partagés Fablab, locations de logements entre particuliers Airbnb, transports du quotidien Uber), nous pouvons imaginer que ces formes de modèles de développement soient de plus en plus facilement mis en œuvre par les territoires. De plus, nous pourrions imaginer que ces nouveaux modes de développements des territoires par les acteurs, que nous avons étudiés dans les territoires ruraux et par le tourisme, puissent être expérimentés dans des territoires plus urbains en difficultés, que sont par exemple les espaces péri-urbains. C’est peut être dans la prise en compte des ressources territoriales et dans le développement de logiques d’acteurs territoriaux que se prépare une nouvelle économie du XXIème, plus solidaire et raisonnée.


Bibliographie


Ouvrages

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Articles

122

ARMAND, Ludovic, « Tourisme en espace rural, éléments de cadrage », Tourisme Info Stats, 2006. URL : http://www.tourisme-espaces.com/doc/7293. tourisme-espace-rural-elements-cadrage.html BONTRON, Jean-Claude, « Le monde rural : un concept en évolution », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 10 | 1996, mis en ligne le 30 juillet 2013, consulté le 18 avril 2016. URL : http://ries.revues.org/3303 CHAPIUS, Robert, « Espace rural », Hypergeo, consulté le 15 avril 2015. URL : http://www.hypergeo.eu/spip.php?article481# FRANCES, P., « le laborieux sillon du tourisme vert », art.Cité. 1989 GOUDIN Elisa, « Matthey L., 2014, Building up stories. Sur l’action urbanistique à l’heure de la société du spectacle intégré, Genève, A•Type éditions, 157 p. »,Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Revue de livres, mis en ligne le 21 septembre 2015, consulté le 20 avril 2016. URL : http://cybergeo.revues.org/27232 MARTIN Jean-Clément, SUAUD Charles. Le Puy du Fou [L’interminable réinvention du paysan vendéen]. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 93, juin 1992. L’invention du passé national /Le ghetto vu de l’intérieur. pp. 21-37. URL : http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1992_ num_93_1_3015

Rapports et documents de presse BERTRAND, Alain, « Hyper-ruralité : un pacte national en 6 mesures et 4 recommandations pour ‘restaurer l’égalité républicaine’», Rapport public du Ministère du logement et de l’égalité des territoires, Juillet 2014. URL : www. ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000475/ HILAL Mohamed, SCHAEFFER Yves, DETANG-DESSENDRE Cécile, « Espaces ruraux et ruptures territoriales», Rapport : Vers l’égalité des territoires : dynamiques, mesures, politiques, Février 2013, p62-78. URL : www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000131/ Document de presse issu du comité interministériel aux ruralités, « Nos ruralités, une chance pour la France », 13 mars 2015. URL : www.logement. gouv.fr/dossier-de-presse-nos-ruralites-une-chance-pour-la-france-uncomite-interministeriel-pour-redonner-confiance-aux-territoires-ruraux


Mémoires CAMUS Diane, Les politiques d’aménagement du territoire rural : le projet spatial comme ressource à l’action, 81 pages, Mémoire d’Architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage, Bordeaux, 2014. VINCENT Pierre, Le Festival « Jazz in Marciac » et la notion d’engagement : un évènement fédérateur, 77 pages, Mémoire dans le séminaire : « Politique, Culture et Espace Public », Institut d’Etudes Politiques, Lyon, 2005.

Sites internet

Films et vidéos Film de Coline SERREAU : « Solutions locales pour un désordre global », sorti le 7 Avril 2010. Vidéo consultable : Druide Macarven. (2015, 25 novembre). Solutions locales pour un désordre global 2010 [Vidéo en ligne]. URL : https:// www.youtube.com/watch?v=3q_xzQ7pRi4 Film de Mélanie LAURENT et Cyril DION : « Demain », sorti le 2 Décembre 2015. Informations consultables URL : http://www.demain-lefilm.com/

Entretiens Entretien avec BODIN Claire, chargée de mission au CAUE de la Vendée, le 19 Avril 2016. Entretien avec M.JOZELON, adjoint à l’urbanisme de la mairie des Epesses, le 19 Avril 2016. Entretien avec SOULLARD Damien, chef de projet Habitat-Energies chez Communauté de Communes du Pays des Herbiers, le 19 Avril 2016.

123 BIBLIOGRAPHIE

Le site internet de l’Organisation Mondiale du Tourisme : URL : http://www2. unwto.org/fr Le site du sénat : URL : http://www.senat.fr Des architectes Conseils : www.architectes-conseils.fr Institut national de la statistique et des études économiques : www.insee.fr Le site de « Contrat de projet Etat / région Languedoc-Rousillon » : URL : http://littoral.languedocroussillon.fr Le site « Vie publique » : www.vie-publique.fr Sur les Parcs Naturels Régionaux : http://www.parc-naturel-normandie-maine. fr/ Sur les bistrots de pays : www.bistrotdepays.com Sur l’éco-tourisme : http://ecotourisme.gites-de-france.com/


Annexes


Annexes 1 Sur le cas des Epesses PRESENTATION GÉNÉRALE

LES EPESSES (85590) Vendée, Pays de la Loire Le parc à thème du Puy Du Fou sur l’histoire locale

Date création

1978 pour le spectacle ; 1989 pour le Parc

Durée/Période

Ouvert 8 mois sur l’année

Superficie

23 hectares de parc et 500 ha de réservés à ses extensions

Afflux touristique

1979 : 80 000 visiteurs. 2014 : 1 912 000 visiteurs dans le parc du Puy du Fou et 7 000 000 de visiteurs en 2001 pour la Cinéscénie.

Acteurs

Initiative de Philippe de Villiers et d’acteurs locaux, association de 600 «Puyfolais» (patronyme des bénévoles du parc) Aujourd’hui : 3400 bénévoles ; 1380 employés (dont 160 permanents)

Equipements liés (changements urbains)

Aggrandissement croissant du parc Achat par le Puy du Fou des terrains environnants pour d’éventuels aggrandissements Création de l’académie des arts de la scène avec 300 éléves par an

Financements

Porté par une association loi 1901 et une société d’actions simplifiées. L’association de la Cinéscénie est actionnaire à 99% et s’autofinance à 100%. Depuis 1977, Puy du Fou a investi environs 250 millions d’euros pour son développement, réalisé à 80% par des entreprises locales.

Activité

Retrace les moments forts historiques Vendéens. Aujourd’hui : élargi au territoire Francais

La commune : Généralités

A 65 km de La Roche-sur-Yon (ne constitue pas un pole de développement économique pour le département). L’économie Vendéenne repose sur les PME/PMI. Appartient à la Communauté de Communes du Pays des Herbiers.

Accèssibilité services et emplois

A 65km de La Roche-sur-Yon, préfecture de la Vendée. En 2008, la Vendée compte 282 148 actifs essentiellement dans le secteur Tertiaire (62.3%), l’Industrie et la construction (31.8%) et l’Agriculture (5.8%).

Variation densité population entre 2007 et 2012

+ 0.9

Densité population

87 hab/km2

Nombre d’habitants

2900 habitants

Parc immobilier

2007 - 2012 : 806 -> 852 résidences principales 52 -> 132 résidences secondaires 90 -> 58 logements vacants

Types de résidences

80% de maisons de plus de 4 pièces. 30% des ménages sont là depuis moins de 4 ans. 65% des habitants sont propriétaires.

Superficie

31,29 km2

Infrastructures routières

D918 - D20

Hotels et tarifs (en comprenant les communes alentours dans un rayon de 10 km)

6 locations sur Airbnb

125 ANNEXES

Evenement / Produit touristique :


LOGEMENTS / TOURISME / ÉCONOMIE Source : http://www.insee.fr consulté en Février 2015.

Un village attractif sur le plan résidentiel

126

TOURISME Source : http://www.insee.fr consulté en Février 2015.

Des offres en hébergements variées


EMPLOIS / ACTIVITES

(Source INSEE 2012) http://www.insee.fr consulté en Décembre 2015. Nombre d’emplois dans la zone Actifs ayant un emploi résidant dans la zone Lieu de travail des actifs et lieu de résidence Ensemble : Travaillent : dans la commune de résidence dans une autre commune que la commune de résidence : située dans le département de résidence située dans un autre département de la région de résidence située dans une autre région en France métropolitaine située dans une région hors France métropolitaine

Part des moyens de transport utilisés pour se rendre au travail Voiture, camion, fourgonette Transport en commun Pas de transport Marche à pied Deux roues

2012 1153 1290 1290 369 921 739 127 54 0

127 ANNEXES

87.4 % 0.2 % 4.5 % 5% 2.9 %


Annexes 2 Sur le cas des Marciac PRESENTATION GENERALE

128

MARCIAC Gers, Midi-Pyrénées.

Evenement / Produit touristique :

Jazz in Marciac : Festival de Musique

Date création

1978

Durée/Période

2 semaines : de fin Juillet à mi-Août, nuits et jours

Superficie

Le centre ville

Afflux touristique

2010 : 225 000 visiteurs, un des plus importants de France Localisation de Marciac rurale, les environs proches ne proposent pas un fort public telle que le proposerait une métropole, alors le public attiré par l’événement est en 2007 : 9,2% du Département, 38,4 de la Région, 56.3 du Grand Sud-Ouest (Aquitaine + Midi-Pyrénées), 4.6% de la région Parisienne et 4.9% d’étrangers.

Acteurs

Initiative : principal du collège de Marciac Jean Louis Guilhaumon et un habitant du village: initiative citoyenne

Equipements liés (changements urbains)

Chapiteau sur la place principale avec plus de 5000 places pour le festival off (gratuit) : démocratisation de la culture Création de restaurants et taveres pour l’occasion : Renouveau économique et urbain

Financements

Marciac devenu «Grand Site Midi Pyrenées», financé par l’Union Européenne. Un interet local devient territorial.

Actitvité

Musique de Jazz traditionnel à la base, et du monde entier maintenant avec des musiciens connus internationalement.

Ville : Architecture

Petite viille médiévale, bastide royale fondée en 1298

Positionnement

Isolée des grandes villes, entourée de communes rurales éparpillées

Accèssibilité services et emplois

80% des emplois dans la spère présentielle : liés au tourisme Les services publics se trouvent dans les grandes villes du département

Variation densité population

0.69

Densité population

61 hab/km²

Nombre d’habitants

1999 : 1160 hab / 2009 : 1234 hab

Parc immobilier

1990 - 2007 : 748 logements 465 -> 565 résidences principales 70 -> 130 résidences secondaires 75-> 53 logements vacants Résidences secondaires + logements vacants : 1/4 du parc immobilier

Nombre habitants/ logement

1968 -> 2007 : 2.5 -> 1.65 : Plus de logements que d’habitants.

Types de résidences

81% de maisons donc 65% de plus de 4 pièces : maisons familiales 63% propriétaires, 33% locataires, 4% gratuits.

Superficie

20,60 km2

Infrastructures routières

D3 - D255 - D943 - D38

Hotels et tarifs (en comprenant les communes alentours dans un rayon de 10 km)

28 2 noms anglophone 4 noms locaux 1 chaine commerciale 1 de 5 étoiles; 3 de 4 étoiles 60/80€ par nuit


LOGEMENTS / TOURISME / ÉCONOMIE

Source : http://www.insee.fr consulté en Décembre 2015.

LOGEMENTS

129 ANNEXES

TOURISME ET ÉCONOMIE


Source : http://www.insee.fr consulté en Décembre 2015.

EMPLOIS / ACTIVITES

(Source INSEE 2012 http://www.insee.fr/fr/themes/dossier_complet.asp?codgeo=COM-32233) Nombre d’emplois dans la zone Actifs ayant un emploi résidant dans la zone Lieu de travail des actifs et lieu de résidence Ensemble : Travaillent : dans la commune de résidence dans une autre commune que la commune de résidence : située dans le département de résidence située dans un autre département de la région de résidence située dans une autre région en France métropolitaine située dans une région hors France métropolitaine

130

Part des moyens de transport utilisés pour se rendre au travail Voiture, camion, fourgonette Transport en commun Pas de transport Marche à pied Deux roues

2012

2007

632 410

624 422

410

422

237

228

173 104

194 142

53 15 1

44 6 2

75.1% 1.5% 5.9% 14.1% 3.4%


131 ANNEXES


1978 : Le festival n’a pas de nom

1979 : Arrivée du nom officiel et 1980 : Création de 3 dates, le annonce de 2 têtes d’affiche festival prend de l’ampleur.

1982 : Marciac est localisé sur les affiches, elle est connectée aux autres territoires.

1988 : Apparition de partenaires 1994 : Association entre le blason financiers; Marciac est de Marciac et la représentation représenté au centre de l’affiche du Jazz. ; le festival dure 6 jours.

1995 : slogan «Le Jazz est dans le pré» + trompette en forme d’arbre qui pousse avec des fleurs, comme si le jazzman retrouvait ses origines

1996 : «Together again» : «Encore ensemble» en Anglais et notion de partage

132

1997 : Le jazz sort d’un paquet cadeau en pelouse


Analyse des affiches de Jazz in Marciac : En 37 ans c’est devenu symbole du territoire. Source : www.jazzinmarciac.com

1999 : Le Jazz est issu de la terre, du territoire. Les Cuivres sortent des champs.

2004: Arcades de la ville bordant l’affche sont la scène du Festival : l’espace public est support de représentation ; une arène au centre pour rappeler le chapiteau ; le festival dure 15 jours

2006 : lien d’une ruralité et de la musique ; appartiton de la bande à droite avec l’acronyme «JIM» ; nouveau style graphique qui est toujours d’actualité.

2008 : La ville de Marciac revient dans l’image comme en 1988

2015 : toujours la ville en fond d’image ; nouveau logo de «Jazz in Marciac»

133 ANNEXES

1998 : Une fleur nait à Marciac avec des racines de grattes ciels Américains : les origines Jazz d’Amériques viennent de la campagne de Marciac


Annexes 3 Sur le cas d’Espelette LA CAMPAGNE DU PAYS BASQUE FRANCAIS et ESPELETTE (CP : 64250) Pyrénées Atlantique Evenement / Produit touristique L’Agriculture et le Piment d’Espelette comme produit gastronomique symbole Date création Revalorisé depuis 1970 ; AOP depuis 1997 Durée/Période Toute l’année

PRESENTATION GENERALE

Superficie Afflux touristique

Acteurs Equipements liés (changements urbains) Actitvité 134 Ville : Positionnement

Economie Variation densité population entre 2007 et 2012 Densité population Nombre d’habitants Parc immobilier

Nombre habitants/logement Types de résidences

Sur 10 communes : 819.3 Ha de terres sont consacrés à la culture du Piment Dans le Pays basque : estimée à 38 650 touristes par jour à l’année en 2014 (d’après la CCI de Bayonne). 20 000 visiteurs à Espelette lors de la fête du Piment Agriculteurs Festivals Facade de piments PLU préservant les zones agricoles La culture du Piment Arrondissement de Bayonne, canton Baïgura et Mondarrain. Communauté de communes Errobi. Proche de l’Espagne. Economie essentiellement agricole +0.9 73hab/km2 1999 : 1885 hab / 2009 : 1960 hab / 2013 : 2070 hab. 1990 - 2007 : 565 -> 806 résidences principales 60 -> 52 résidences secondaires 82 -> 90 logements vacants 1968 -: 2.83 -> 2007 : 2.05

63% de maisons dont 74% de plus de 4 pièces. 55% des ménages sont là depuis plus de 10 ans. 64% de propriétaires. Superficie 26.85 km2 Infrastructures routières D918 et de plus petites départementales : D20 - D88 - D249 Hotels et tarifs 51 (en comprenant les communes 3 noms anglophone alentours dans un rayon de 10 20 noms basques km) 5 chambres d’hôtes 3 hotels de 4 étoiles, 9 hotels de 3 étoiles, 9 hotels de 2 étoiles Gites de France propose 500 gîtes à Espelette et ses environs. 8 locations sur Airbnb 50/70€ par nuit pour 2 personnes.


LOGEMENTS / TOURISME / ÉCONOMIE

Source : http://www.insee.fr consulté en Décembre 2015.

LOGEMENTS

135 ANNEXES

TOURISME ET ÉCONOMIE

Source : http://www.insee.fr consulté en Février 2015.


EMPLOIS / ACTIVITES

(Source INSEE 2013. URL : http://www.insee.fr consulté en Décembre 2015.) Nombre d’emplois dans la zone Actifs ayant un emploi résidant dans la zone Lieu de travail des actifs et lieu de résidence Ensemble : Travaillent : dans la commune de résidence dans une autre commune que la commune de résidence : située dans le département de résidence située dans un autre département de la région de résidence située dans une autre région en France métropolitaine située dans une région hors France métropolitaine

Part des moyens de transport utilisés pour se rendre au travail Voiture, camion, fourgonette Transport en commun Pas de transport Marche à pied Deux roues 136

2012 891 288 891 288 603 563 21 8 11

83.8 % 0.9 % 5.6 % 7.2 % 2.5 %


137 ANNEXES


Remerciements

138

J’adresse mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé dans la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, je remercie M. Xavier Guillot, professeur à l’Ecole Nationale d’Architecture et de Paysage de Bordeaux, qui en tant que Directeur de mémoire m’a guidé et aidé tout au long de mes recherches. Je remercie aussi Mme. Julie Ambal, doctorante en sociologie urbaine et enseignante en master d’architecture, pour l’aide et le temps qu’elle m’a consacré. Je remercie le M Jozelon et Mme. Pineau du service urbanisme de la Mairie des Epesses, le service urbanisme de la Communauté de Communes du Pays des Herbiers, l’office de Tourisme du Pays des Herbiers, l’office de Tourisme d’Espelette et Claire Bodin, chargée de mission au CAUE de la Vendée, pour leurs contributions, les informations et réponses apportées à mes questions.


139 REMERCIEMENTS


La société et les territoires Français ont très vite et très profondément changé. Le phénomène de mondialisation, caractéristique de la fin du XXème siècle, a produit de nombreuses mutations, particulièrement à la défaveur d’une majorité des territoires ruraux, et au profit de l’industrie touristique de masse. Sans véritable préoccupation environnementale, sociale et culturelle, le territoire rural est utilisé dans un premier temps par l’Etat comme un support économique, et le tourisme en est un de ses outils de développement, comme dans des territoires rares et fragiles que sont les littoraux et les montagnes. Mais bien que le tourisme soit souvent présenté comme un moyen privilégié de développement, ce n’est pas si simple, et il n’abouti pas toujours à des conséquences vertueuses, regroupant des objectifs conflictuels sur les pans sociaux, culturels, économiques et environnementaux. Dans ce contexte, aller vers « un développement local » des territoires ruraux afin de développer une activité touristique en équilibre entre ces enjeux contradictoires, demande de faire grandir « la conscience des lieux », pour construire des relations de co-évolution entre les populations et le développement touristique du territoire ; pour valoriser des formes d’autogestion locale du patrimoine territorial capable alors de fabriquer une économie touristique sur le long terme et raisonnée. A travers les récits de trois territoires : Les Epesses (Vendée), Marciac (Gers) et Espelette (Pyrénées Atlantiques), trois terrains d’initiatives remarquables, nous proposons l’idée, comme le caractérise Alberto Magnaghi, d’un « projet local » pour le développement des territoires. Fondés sur la valorisation des ressources locales que sont les cultures et savoirs locaux, les économies locales et la capacité des citoyens à mener une démarche participative dans le but de monter un projet collectivement, ces projets montrent une dimension territorialisée du tourisme. Ces projets nous indiquent des éventuelles voies à suivre, en opposant aux « récits de politiques » habituels, « des récits de citoyens », qui développent la vision de modèles de développements touristiques des territoires ruraux issus de démarches ascendantes, fondée en chaque lieu sur une gestion sociale du territoire.

Mots clés : [Tourisme] ; [Territoires ruraux] ; [Projet local] ; [Récits] ; [Marciac] ; [Les Epesses] ; [Espelette] ; [Développement local] ; [Ressource territoriale] ; [Patrimoine] ; [Politiques d’Aménagements des territoires] ; [Gouvernance locale]


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