Repenser la métropolisation Les limites territoriales : de la séparation à la frange urbaine Amélie Nérault
Depuis le début du siècle, le terme « métroplisation » introduit la notion d’étalement urbain. La question de l’évolution de la limite territoriale apparait donc comme inévitable. Cet article a pour but de mettre en perspective la notion de limite dans un contexte urbain contemporain, perçue et définie par différents auteurs. La limite, d’un point de vue urbanistique, a toujours été source d’enjeux significatifs mais qui n’ont cessés d’évoluer au cours du temps. Passant d’un opposé à l’autre, la limite urbaine est aujourd’hui un réel espace stratégique, qu’elle soit perçue ou vécue. 1. De la frontière territoriale à la frange urbaine : évolution de la limite De nombreuses villes françaises comme Lyon, Marseille ou Bordeaux sont aujourd’hui inscrites dans des processus de métroplisation. On entend alors que les taches urbaines s’étalent peu à peu au delà de leurs limites connues et définies. Les villes se transforment en emportant avec elles leurs limites dont les formes, les fonctions et les enjeux se retrouvent bouleversés. Comme le rappelle à juste titre Sabine Wolf dans son ouvrage Franges Urbaines (2011), dès la construction des villes, la notion de limite apparait. La ville doit être protégée et on crée alors des remparts qui encerclent la cité et la protègent. Ce qui est considéré comme bon se situe donc à l’intérieur des remparts alors que ce qui ne convient pas est rejeté à l’extérieur. On qualifiait également l’intérieur des remparts comme étant la ville et l’extérieur, la campagne. Les remparts sont donc une limite, une frontière, une entité singulière qui ne semble appartenir à aucun territoire particulier. A cette époque, cette limite n’est d’ailleurs pas considérée comme un espace et apparait seulement comme un élément indépendant. Il existe alors une intériorité et une extériorité au territoire marqués par cet élément appelé limite. Des auteurs comme Christian Bromberger ou Alain Morel (Limites floues, frontières vives, 2001) qualifient cette entité de « limites franches ». De là ils entendent toutes les limites territoriales identifiables c’est-à-dire visibles comme la muraille de Chine ou la chaine montagneuse des Alpes. Mais parfois les limites existent mais sont physiquement impossibles ou difficilement identifiables. Les auteurs parlent alors de « limites floues ». Il est vrai qu’aujourd’hui les villes ne sont plus délimitées par des remparts. Il est donc plus difficile de considérer une limite territoriale. Mais également d’un point de vue politique et notamment avec l’Europe et ses ouvertures des frontières, le passage d’une ville à l’autre ou d’un pays à l’autre se fait sans avoir l’impression de changer de territoire. Ce passage est aujourd’hui invisible. « La limite n’est pas un objet isolé » (François Huart)1 qui sépare deux espaces mais 1
expression utilisée dans Les Carnets Pratiques, « Comment traiter les fronts urbains ? » de mars 2010
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davantage un territoire qui semble avoir pour but de permettre la connexion entre différents espaces. Si on prend l’exemple des villes, le passage d’une ville à l’autre est seulement identifiable par un panneau signifiant qu’on quitte un territoire pour entrer dans un autre mais l’espace ne change pas. La représentation de la limite n’est plus aussi claire qu’autrefois puisque d’une part elle n’est presque pas identifiable et d’autre part elle n’a plus pour but de séparer deux territoires mais davantage d’être un espace de connexion. Corinne Legenne donne a la limite la caractéristique de vouloir contenir l’espace urbain. L’auteur de cet article attribue alors encore à la limite cette volonté de vouloir séparer les espaces, ce qui n’est pourtant plus une vérité. Néanmoins, lorsqu’elle nuance son raisonnement en affirmant que la limite urbaine ne doit pas être considérée uniquement comme une « ligne de front » où l’espace rural et l’espace urbain se confrontent, elle rejoint l’esprit de cet article. La limite doit permettre aujourd’hui à ces espaces de se tourner l’un vers l’autre et de se nourrir de chacun. Corinne Legenne ajoute d’ailleurs que la limite urbaine devient de plus en plus une épaisseur stratégique dans l’aménagement des territoires et c’est dans ce sens que sera poursuivi cette recherche. La représentation de la limite comme un axe séparateur change donc au profil d’un espace de connexion. Mais la ville ne peut pas rester compacter à l’intérieur de son périmètre défini. Comme le rappelle Manola Antonioli (Les limites dans la ville, la ville comme limite, 2015), les villes ne cessent de se développer et le processus de métropolisation entraine des modifications urbaines et territoriales. Ainsi lorsqu’on dit d’une ville qu’elle s’agrandit, on entend que son territoire s’étale davantage et que ses limites doivent être modifiées. De ce point de vue, c’est notamment le fait que les limites urbaines sont aujourd’hui difficilement identifiables qu’il est plus facile d’accepter leurs modifications. Puisqu’elles ne sont plus, ou moins présentes physiquement, les changements ne semblent avoir que peu d’effets sur la manière d’aborder de nouvelles limites de territoire. Annexe 1 : Schéma de l’évolution de la limite territoriale
remparts séparation
ouvertures des frontières connexion
franges interpénétration
étalement urbain identification ?
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Ainsi, la limite n’est pas une frontière nette. Il s’agit d’un territoire permettant la connexion et l’interpénétration de différents territoires contigus. A l’instar de Sabine Wolf, cet article poursuivra son étude en entendant par le terme de limites, la notion de franges urbaines.
2. De la limite perçue à la limite vécue : les nouveaux enjeux des franges urbaines La limite urbaine n’est donc plus une frontière territoriale dans le sens où elle séparerait deux espaces. Dissociée d’une présence physique, elle devient elle-même un réel espace, une épaisseur où la connexion et l’interpénétration des territoires semblent être de mise. A l’origine cet élément identifiable (remparts, chaines montagneuses) marquait clairement l’entrée dans un nouveau territoire. La transition entre deux espaces était donc marquée, nette et rapide. Aujourd’hui cette porte d’entrée n’est plus aussi remarquable. Sabine Wolf parle dans ce cas précis de la limite comme étant une « carte de visite » pour le territoire sur lequel l’individu s’apprête à entrer. Mais puisqu’il n’est plus réellement possible aujourd’hui de l’identifier, comment est perçue cette porte d’entrée de la ville par les individus entrant dans ce nouveau territoire ? Sabine Wolf pose alors la question de l’utilité d’avoir ce système de porte d’entrée pour les territoires. Il est vrai qu’aujourd’hui il semble difficile d’affirmer que ces portes d’entrée soient encore nécessaires puisque d’une part les limites ne sont plus des espaces nettement identifiables et d’autre part leur emplacement ne cesse de bouger. Alors comment sont perçus aujourd’hui ces espaces d’entre deux ? La frange urbaine est un nouveau système territorial qui devient majeur dans le développement des villes. A la lisière entre le territoire urbain et le territoire rural, elle est un espace de rencontres et de connexions nourrit par l’un et l’autre. Ainsi la frange urbaine est un espace riche et détenant des enjeux majeurs. Dans son article « Comment traiter les fronts urbains ? », Corinne Legenne explique en quoi les fronts urbains sont des espaces clés. Rappelant d’abord que ces espaces sont des lieux de connexion, elle ajoute par la suite qu’ils peuvent être définis comme des façades de la ville. Son analyse se focalise sur les espaces reliant « l’espace bâti et l’espace ouvert 2 ». Bien qu’elle les qualifie de « fronts », ce qui appelle à la notion de séparation et d’opposition, on peut néanmoins rattacher son analyse aux franges urbaines étudiées dans cet article. Ces espaces sont une fois de plus jugés comme des espaces d’enjeux majeurs. Favorable à la connexion et à la valorisation des espaces bâtis, ils permettent à l’espace rural d’appréhender une proximité urbaine. Ainsi en croisant les analyses de Sabine Wolf et de Corinne Legenne, il semble possible d’affirmer que les portes d’entrée sur la ville existent encore mais sous de nouvelles formes. L’élément significatif marquant le point d’entrée a disparu au profil d’une façade plus floue. Encore fortement ancrée dans les moeurs, la notion d’entrée dans un territoire se traduit aujourd’hui au travers d’une épaisseur. Ces espaces, dotés de nombreuses possibilités d’aménagements et
Les espaces ouverts sont tous les espaces qui ne sont pas bâtis ou en vue de le devenir, par exemple les espaces agricoles ou les forets. 2
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d’usages deviennent donc des espaces très attractifs. Les lisières des villes sembles être perçues comme détenant de nombreux avantages. Mais lorsque ces territoires sont vécus, comment ses habitants qualifient-ils cette vie en bordure de ville ? A la lisière entre deux espaces, dans quel territoire considèrent-ils vivre ? Les ethnologues Christian Bromberger et Alain Morel s’accordent pour dire que l’interprétation de la frange urbaine diffère selon les statuts des individus. En effet, un territoire ne peut uniquement se définir par la manière dont est perçu. Ainsi, par leurs spécificités, ces espaces doivent être pratiqués, expérimentés et vécus pour en comprendre les mécanismes. Une simple analyse d’un point de vue extérieur 3 , n’est pas suffisante pour déceler les enjeux d’espaces telles que les franges urbaines. Il semble important de rappeler ici que les franges urbaines sont mouvantes et qu’ainsi le territoire qu’elles occupent est complexe. En effet il doit à la fois être en lien avec l’espace urbain et l’espace rural. Leur position d’interface entraine la présence de multiples identités appartenant aux deux territoires (diversité du bâti et du non-bâti). Au cours de leur étude, les auteurs s’attachent particulièrement à analyser une des caractéristiques qui selon eux est essentielle aux limites territoriales : leur dimension culturelle et sociale. Les franges urbaines sont aujourd’hui des espaces vécus où des populations différentes doivent cohabiter. Les auteurs semblent avoir remarqué qu’au sein de ces espaces pluri culturels, la mixité est fortement encouragée. En effet les franges urbaines sont des espaces originaux qui permettent d’observer des comportements sociaux différents de ceux constater à l’intérieur du territoire urbain. L’espace est moins contraints, les délimitations plus floues et le principe d’identification semble alors plus difficile à aborder par les habitants de ces espaces. En effet si on considère que les franges urbaines sont des territoires se nourrissant à la fois des deux territoires qu’elles relient, l’appartenance à un territoire parait alors difficile à déterminer. Hors chaque habitant de chaque territoire a besoin d’identifier son territoire, ses mécanismes et ses possibilités pour y vivre et se l’approprier. Ainsi, à la différence des espaces ruraux et urbains qui possèdent chacun leur identité et leurs mécanismes qui leur sont propres, l’entre deux est un territoire plus complexe qui nécessite donc une attention particulière. Les franges urbaines sont des espaces convoités. D’une part, leur position géographique en lisière de ville leur permet une connexion rapide avec celle-ci, et d’autre part, à l’inverse de l’espace urbain surexploité, les franges urbaines détiennent des espaces propices à l’installation de nouveaux projets. C’est donc au travers de ces nouveaux aménagements que les franges urbaines peuvent trouver leur propre identité.
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les limites perçues
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La limite urbaine n’était à l’origine pas source d’interrogation puisqu’elle déterminait clairement la séparation entre la ville et le territoire rural. Avec l’effacement progressif des figures urbaines (remparts), les limites de la ville sont devenues plus floues. Bouleversées par le processus de métropolisation, les villes ont vu leurs limites s’avancer sur de nouveaux territoires. Autrefois synonymes de séparation, elles s’apparentent aujourd’hui davantage à la notion de connexion. Ainsi on ne parle plus de limites dans le sens d’une division nette des espaces mais de franges urbaines qui ont pour but de connecter les territoires. On trouve alors aux portes des villes un nouveau territoire dont l’identification et l’appropriation semblent complexes. Territoire habité et pratiqué, il semble qu’une analyse de ce point de vue semble indispensable à la compréhension de tels espaces. Propices à l’installation de nouveaux projets, les franges urbaines concentrent des enjeux majeurs pour le développement et l’aménagement des villes mais également pour la gestion de l’environnement.
Mots clés évolution, identité, appropriation 5
Bibliographie Sabine Wolf, « Franges Urbaines », Anthos, 16 septembre 2011 Christian Bromberger et Alain Morel, 2001, Limites floues, frontières vives, Paris : Maison des sciences de l’Homme Corinne Legenne, « Comment traiter les fronts urbains ? », Les Carnets Pratiques, mars 2010 Hala Obeid et Manola Antonioli (dir.), 2015, Les limites dans la ville, la ville comme limite André Schmid, « Aménagements publics périphériques », Anthos, 2011 Luigia Parlati, « Paysages des franges urbaines : décrire, habiter, gouverner », Calenda, novembre 2014 Annexe 1 : Schéma de l’évolution de la limite territoriale, Amélie Nérault, 2018
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