La recomposition des circuits courts - Sergio Ortiz

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La recomposition des circuits courts : un enjeu pour la « re-territorialisation » de l’agriculture à l’heure de la métropolisation. Vers un développement durable des terres agricoles sous l’influence métropolitaine ?

Étude de trois exploitations agricoles aux alentours de la métropole bordelaise : Cudos Tabanac Saint Jean d’Illac

Mémoire de Master - Sergio Ortiz Séminaire : Repenser la Métropolisation Encadré par : Julie Ambal, Delphine Willis et Xavier Guillot Janvier 2018 École Nationale Supérieur d’Architecture et de Paysage de Bordeaux 1 sur 146


image couverture .> L’angelus de Jean François Millet (image retouchée), http://histoire-des-arts.over-blog.com/2015/04/l-angelus-de-jean-francois-millet.html

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Je tiens à remercier mes directeurs de mémoire, Julie Ambal, Delphine Willis et Xavier Guillot pour leur suivi attentionné et rigoureux ; toutes les personnes interrogées (Elsa Payton, Gérald Banniel, François Araujo, Philippe Lacou) pour le temps qu’elles ont bien voulu m’accorder ; mais aussi Youmi et Frédérique pour leurs relectures enrichissantes, ainsi que toute ma famille pour son soutien.

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Table des matières

Dans quelle mesure le rayonnement métropolitain de Bordeaux influence les terres agricoles de proximité au travers de dynamiques socio-économiques diverses et propres à la multiplication des circuits courts ? En quoi cette influence conditionne le degré de « territorialisation » des exploitations ?

5 5sur sur146 146


Introduction.-

p. 9

a) La « déterritorialisation » de l’agriculture

p. 10

b) De nouvelles résiliences au travers de l’alimentaire

p. 13

c) Problématique et Méthodologie

p. 15

1.-

Les enjeux des circuits courts dans le développement d’une pratique

p. 17

multifonctionnelle : vers de nouveaux pactes ville-campagne

1.1 Un développement socio-économique durable

p. 20

A) L’adhésion difficile aux circuits courts dans le monde agricole

p. 20

B) Une croissance économique locale : de l’exploitation agricole au

p. 25

territoire, un effet multiplicateur

1.2 Quand les circuits courts entrent sur la scène environnementale

p. 28

A) Vers une consommation durable : des nouveaux engagements

p. 29

entre producteurs et consommateurs

B) L’adoption des circuits courts, une véritable alternative

p. 31

écologique? Un bilan difficile à établir

1.3 Entre politiques publiques et initiatives locales : des conciliations

pour penser au développement territorial de manière durable

A) Des préoccupations partagées : quand consommer local devient

p.33

p. 34

un enjeu politique de développement durable B) Des nouvelles politiques alimentaires territoriales « conciliantes »

6 sur 146

p. 35


2.- Les circuits courts, un moyen d’inscrire l’agriculture dans une logique de

p. 41

développement territorial durable? : le cas de Saint Jean d’Illac - Tabanac Cudos

2.1 La recomposition des circuits courts : une transition difficile du

p. 43

modèle agricole actuel vers un modèle agricole durable A) Des contextes historiques et géographiques contrastés

p. 46

- Le cas de Saint Jean d’Illac.

p. 46

- Le cas de Tabanac.

p. 49

- Le cas de Cudos.

p. 52

B) Un processus de déterritorialisation continu ?

p. 56

C) Des nouvelles installations paysannes

p. 65

- De nouvelles logiques d’installation.

p. 65

- Le rôle des institutions publiques : entre clivages et réformes idéologiques.

p. 72

2.2 La sur-médiatisation des circuits courts : retour vers une

p. 76

intensification de la petite agriculture ? A) D’un militantisme engagé à une approche pragmatique des

p. 78

circuits courts

- Les limites des circuits courts traditionnels : Le cas des Amap

p. 78

- De nouvelles médiations « intelligentes » dans les circuits courts.

p. 80

B) Les circuits courts une alternative véritablement durable ?

- L’optimisation des échanges un facteur de déviance ? Une question

p. 84 p. 85

d’éthique avant tout.

Conclusion - Les implications des circuits courts dans les territoires ruraux

p. 94

« métropolisés » Vers une « re-territorialisation » du système alimentaire à l’échelle locale A) Des nouvelles dynamiques socio-économiques entre « villes » et

« campagnes ».

B) La gouvernance partagée comme facteur de développement durable à

p. 97

l’échelle locale.

Bibliographie Annexes

p. 95

p. 101

p. 106

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Introduction

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A) La « déterritorialisation » de l’agriculture

Les différents processus de métropolisation ont influencés et influencent encore

aujourd’hui le rapport entre les grandes agglomérations et les territoires agricoles. Aujourd’hui, de tels rapports, qui sont construit globalement sur un modèle « descendant », mettent en péril le devenir des terres agricoles du fait de répercutions économiques, sociales et environnementales importantes. En effet, une partie de ces territoires est confrontée à une perte du savoir faire paysan et à une disparition d’une diversité agricole locale au profit d’une production spécialisée et intensive. D’autre part, l’urbanisation de masse, qui touche une autre partie de ces territoires, affaiblie l’activité agricole de manière locale tout en homogénéisant le paysage et les modes de vie de ses habitants. Par conséquent, une partie de ces territoires est ainsi réduite à de simples supports d’activités économiques1 pour les grandes agglomérations auxquelles ils sont « subordonnés ». L’architecte et urbaniste Alberto Magnanhi nous parle ainsi d’un processus de Déterritorialisation2 qui touche l’ensemble des terres agricoles et qui s’étend aux territoires ruraux par des logiques de déracinement, de décontextualisation et d’homogénéisation des conditions de vie. « Le territoire est de moins en moins un bien commun. Il est toujours plus un espace abstrait de localisation de masses d’individus dont les cycles de vie sont indépendants des caractères identitaires des lieux qui constituent leur patrimoine collectif. »3 Ce processus de déterritorialisation, qui rend par conséquent vulnérable les terres agricoles en compromettant gravement le développement social, économique et environnemental à l’échelle locale, n’est en effet que le reflet du modèle capitaliste qui conditionne le fond et la forme des différents processus de métropolisation qui se mettent en place aujourd’hui. En effet, c’est ce modèle capitaliste qui, au travers des logiques de consommation et de production, hiérarchise et sectorise l’ensemble des territoires agricoles d’une part, et d’autre part, désolidarise les habitants des réalités culturelles et environnementales locales. Le rapport entre production et consommation dans l’alimentaire, définit alors la configuration actuelle des territoires agricoles et leurs rapports à l’échelle locale.

1  MAGNAGHI, Alberto. La Biorégion Urbaine. Petit traité sur le territoire Bien Commun. Paris, », Ed. Eterotopia, 2014, p.13 2  Ibid., p.17 3  Ibid., p.12 10 sur 146


Que ce soit en termes d’augmentation des niveaux de vie, ou plus largement en termes de changements dans les comportements et habitudes de l’ensemble de la société —devenue plus urbaine—, la longue phase de croissance économique, qui a débuté après la seconde guerre mondiale et qui s’est achevée au début des années 1970, apparaît rétrospectivement comme à l’origine de ce processus de déterritorialisation de l’agriculture que nous connaissons aujourd’hui. En effet, les nouveaux modes de vie, propres à la société de cette époque, ont engendré de nouvelles logiques de consommation qui ont vraisemblablement bouleversé les modes de production et donc le rapport au monde agricole. La société, qui est donc devenue plus urbaine suite à l’exode rural, a intégré, par la polarisation des richesses, des systèmes économiques complexes qui ont fragmenté et rythmé le quotidien de ses habitants. Le travail, est alors devenu un élément qui quantifie les modes de vies de manière presque monotone (« métro, boulot, dodo »), et le temps, ou plutôt l’économie du temps, sont devenus par ailleurs un facteur inéluctable de « l’humain moderne ». De ce fait, l’humain a commencé à consacrer de moins en moins de temps à son alimentation4 qui est devenue une activité presque banale dans le quotidien des gens. La société, cherchant à rentabiliser chaque instant présent, adhère donc à de nouveaux modes de consommation qui sont favorisés d’une part, et ce dès la fin du XXème siècle, par la généralisation des hypermarchés et des véhicules particuliers, et d’autre part, par le développement et la généralisation d’électroménagers —dont le congélateur et le four à microondes—. Le temps consacré à l’alimentation se resserre alors davantage grâce à la conjonction entre l’industrie agro-alimentaire et l’industrie de l’électroménager qui, de par leur complémentarité, permettent l’apparition de nouveaux moyens de distribution, de conservation et de préparation —l’exemple notoire étant les plats surgelés qui peuvent être réchauffés en moins de 3 minutes et mangés dans le même laps de temps—. Ce nouveau mouvement de consommation qui, favorise les aliments préemballés, étiquetés et souvent transformés, donne l’impression d’une offre infinie et illimitée. Mais, la réalité est que cette abondance est souvent trompeuse car les matières premières agricoles tendent à se standardiser. La diversité agricole, qui était jadis garantie, se voit désormais réduite à quelques produits agricoles qui semblent s’adapter aux modes de production intensive et de conservation mis en place. Ces formes de consommation entrainent par conséquent la disparition d’innombrables variétés agricoles locales (mais également animales) qui existaient jusqu’à alors. Par ailleurs, la recherche de produits agricoles plus résistants aux conditions 4  PHILIPON, Patrick, Et si on mangez local ? Ce que les circuits courts vont changer dans mon quotidien. Versailles, Ed. Quae, 2017, p. 21 11 sur 146


climatiques et de stockage (afin de rentabiliser la culture et assurer une meilleure durabilité des produits) s’accompagne souvent d’un recours à des organismes génétiquement modifiés (OGM) et à des engrais chimiques, qui ont des répercutions importantes sur la valeur nutritive des produits en question mais aussi sur leur valeur gustative à proprement parler, sans oublier l’impact environnemental qu’ils ont sur la terre. Cette société consommatrice, en s’éloignant davantage des producteurs, a développé une forme de négligence face à la réalité des terres et de leurs cultures. Outre les impacts environnementaux et culturels du système alimentaire sur l’agriculture, nous pouvons noter par ailleurs d’importants impacts sociaux et économiques. En effet, les logiques de marché qui se sont mises en place après la guerre, par l’arrivée de nouveaux acteurs, ont structuré le modèle agricole de façon pyramidale. Ce modèle agricole (dominant aujourd’hui en France), appelé depuis modèle agro-industriel, intègre alors une diversité d’acteurs, dont les agriculteurs, dans une filière économique très complexe et fait prévaloir dans les modes de production la quantité au détriment de la qualité. Toujours est-il, que l’agriculteur en intégrant ce modèle, est devenu dépendant de tous ces autres acteurs qui ont un rôle, vraisemblablement, « supérieur » dans le processus industriel de production et de distribution, ce qui le condamne par conséquent à se retrouver au plus bas de cette pyramide commerciale. Aujourd’hui, seuls les grands producteurs arrivent à prospérer dans ce modèle agro-industriel tandis que les petits et moyens producteurs, sont condamnés à disparaître n’arrivant plus à faire face à la concurrence des grands dans ce système commercial. Il semble alors que le seul moyen de s’épanouir dans ce modèle lorsqu’on est agriculteur est de rentabiliser la production en se spécialisant dans un type de culture, en agrandissant les exploitations, en intensifiant la culture au travers de machineries lourdes, en utilisant des pesticides et des OGM et ainsi de suite. Tout cela bien évidemment au prix d’un surendettement mais surtout, au prix de compromettre et mettre en danger l’écosystème de la terre que l’on cultive. Les territoires agricoles, au travers des producteurs, sont alors les derniers à profiter et à bénéficier de l’essor économique qu’a connu depuis l’agro-industrie. Le territoire, à l’image de l’industrie agro-alimentaire, se hiérarchise et se fragmente. Par ailleurs, la mise en place de nouvelles échelles de production, par l’agrandissement d’une partie des exploitations agricoles et par la disparition d’autres, a crée une bifurcation importante dans la structuration même de l’échelle locale. En effet, les territoires ruraux, en se « détachant » de leurs terres agricoles et du mode de production paysan, semblent avoir 12 sur 146


perdu une partie de leur capacité à gérer leurs propres intérêts de façon indépendante et à se voir écartés, par conséquent, de tout processus de développement dans une perspective durable. La question du développement desdits territoires se trouve, de ce fait, au centre de l’actualité en France. Ainsi aujourd’hui, cette question du développement est devenue une grande priorité pour les politiques publiques mises en place. Cependant, bien que les pouvoirs publics portent de plus en plus d’attention aux territoires dits « excentrés », les stratégies de développement tendent à appréhender cette question que du point de vue démographique et économique. Au final, ces stratégies qui visent au travers de politiques urbaines importantes, à attirer et à maintenir une population sur ces territoires, ne semblent pas toutefois trouver de véritables solutions durables pour leur développement. Au contraire, ces stratégies semblent accentuer davantage la dépendance entre ces territoires excentrés et les grandes agglomérations environnantes. Comme Antoine Brès, Francis Beaucire et Béatrice Mariolle l’affirment dans l’introduction de leur ouvrage TERRITOIRE FRUGAL (2017) « Les principes d’aménagement du territoire rural pensés à partir et pour des milieux urbanisés ne sont pas toujours en phase avec les réalités des espaces de basse densité et sont peu aptes à saisir et à valoriser des initiatives locales innovantes dans des milieux pour l’essentiel ruraux »5. B) De nouvelles résiliences au travers de l’alimentaire

L’affaiblissement de la culture paysanne est aujourd’hui une évidence, mais

l’expression, depuis quelques années, d’un mouvement parallèle « donne quelques espoirs de réversibilité et de résilience »6. En effet, ce mouvement, qui est né à la suite d’une grande crise sanitaire, la vache folle, touchant majoritairement la société urbaine dans les années 1990, a été un élément déclencheur rendant les territoires ruraux et leurs pratiques agricoles au coeur de l’actualité. Aujourd’hui, le nombre de consommateurs qui conteste le modèle agro-industriel et agro-alimentaire s’accroit et les motivations sont nombreuses : la recherche d’une alimentation plus sure et saine, acte militant, hédonisme. Il semblerait en tout cas que la question alimentaire se diversifie, mettant en jeu de nouvelles attentes par l’intermédiaire de nouveaux acteurs venant du monde rural comme du monde urbain. 5  BRES, BEAUCIRE et MARIOLLE, sous la direction de. Territoire frugal, La France des campagnes à l’heure des métropoles. Genève, Ed. MetisPresses, 2017, p.13 6  Ibid. p.14 13 sur 146


C’est ainsi qu’aujourd’hui, encouragés par ces différentes attentes, nous nous retrouvons face à une recomposition des circuits courts —au travers d’une diversité d’initiatives— qui constitue pour le consommateur un moyen de « communiquer » avec le monde agricole afin de veiller à la qualité des produits qu’il achète. Par ailleurs, le consommateur, qui cherche en général des modes de productions plus « naturels » (synonyme de qualité nutritive et gustative), se rapproche, au travers de ces circuits courts, des petits paysans qui seraient, par conséquent, plus en mesure de répondre à leurs attentes spécifiques. Toutefois, le concept de circuit court se trouve des nos jours en pleine évolution. En effet, le rapprochement entre producteur et consommateur, qui se produit par la réduction du nombre d’intervenants, n’est qu’un des critères qui caractérise les circuits courts aujourd’hui. En effet, le modèle de base, un intermédiaire maximum, se voit désormais éclaté et c’est au travers de la multiplication des modèles et des outils mis en oeuvre (plateformes numériques) que l’éventail de l’offre s’est élargi et diversifié répondant ainsi à de nouvelles éthiques et attentes. Quoi qu’il en soit, il semble que le monde rural retrouve peu à peu son territoire agricole en se « re-connectant » avec le mode de production paysan qui valorise et protège l’écosystème de la terre dans une perspective socio-économique durable. En ce sens, la recomposition des circuits courts a tout un autre intérêt pour les territoires ruraux aujourd’hui, car elle permettrait de re définir, les échelles d’aménagement territorial par la reconstitution des terres agricoles dans le tissu rural. La question des circuits courts n’est donc pas anodine, puisque d’une part, elle met à disposition des habitants des circuits alimentaires alternatifs plus sûrs et d’autre part elle garantie le maintien d’un mode de production paysan qui apporte une valeur ajoutée dans le développement durable des territoires ruraux. Il faut tout de même rappeler que ces différents enjeux, se connectent et sont interdépendants. En effet, la réussite d’un circuit court dépend (comme nous pourrons le voir), avant tout, du compromis qui se met en place entre les producteurs et les consommateurs où chacun, à son niveau, s’engage envers l’autre. En ce sens, dans le cadre de ce mémoire, nous nous intéresserons particulièrement aux effets du recours aux circuits courts dans les modes de production agricole —sans pour autant négliger le facteur consommation qui, comme on l’a rappelé, est interdépendant du facteur de production— à l’échelle locale.

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C) Problématique et Méthodologie

Pour répondre aux différents enjeux présentés précédemment, je propose de

développer les problématiques suivantes : de quelle façon la recomposition des circuits courts alimentaires serait un moyen de revaloriser et d’impulser une agriculture multifonctionnelle territorialisée ? En quoi cette agriculture multifonctionnelle peut être, au travers de nouveaux rapports socio-économiques et environnementaux, un facteur de développement durable à l’échelle locale ? Dans quelle mesure le rayonnement métropolitain de Bordeaux influence les terres agricoles de proximité au travers de dynamiques socio-économiques diverses et propres à la multiplication des circuits courts ? En quoi cette influence conditionne le degré de « territorialisation » des exploitations ?

Dans un premier temps, nous nous efforcerons de comprendre ce qu’est l’agriculture

multifonctionnelle, à quoi elle correspond et quel est son intérêt dans le contexte actuel. Par ailleurs, nous étudierons l’intérêt des circuits courts dans l’émergence d’une agriculture multifonctionnelle ainsi que les différents enjeux socio-économiques et environnementaux qu’ils entrainent à l’échelle locale. Pour ce travail, nous allons nous aider de différentes données statistiques qui pourront nous donner une idée concrète des enjeux des circuits courts aujourd’hui en France. D’autre part, nous analyserons, comment ces nouveaux circuits, en contribuant à de nouveaux rapports entre ville et campagne, sont à l’origine de nouvelles politiques alimentaires qui font le lien entre la question de l’alimentaire et le développement territorial. Pour ce fait, nous étudierons les nouveaux Programmes Nationaux d’Alimentation (PNA) qui « déclinent » à l’échelle régionale des Plans Régionaux d’Agriculture Durable, dont l’originalité repose sur leur capacité à concilier leur action avec des initiatives locales.

Comme nous l’aurons vu au préalable, développer une agriculture multifonctionnelle,

consiste à élargir les fonctions de l’agriculteur sur le territoire de façon durable. Aujourd’hui, ce concept, comme nous le verrons par la suite, se développe de manière croissante au travers des circuits courts. En revanche, il est nécessaire de comprendre sa dimension à travers une approche territoriale. En ce sens, nous étudierons dans ce mémoire dans quelle mesure l’agriculture multifonctionnelle peut dépasser l’échelle de l’exploitation pour prendre forme 15 sur 146


plus globalement sur un territoire et s’organiser autour d’acteurs dépassant la simple sphère agricole. Nous nous attacherons à l’étude de trois exploitations agricoles qui se trouvent dans le rayonnement métropolitain de Bordeaux : à 17 km, Saint Jean D’Illac, à 24 km, Tabanac et à 70 km, Cudos. L’intérêt de ce choix est d’évaluer l’influence que peut avoir la métropole de Bordeaux sur les différentes typologies de circuits courts se mettant en place aujourd’hui en Gironde et d’autre part, l’influence que Bordeaux peut avoir sur les exploitations agricoles environnantes et sur leurs mode de production. L’idée est de voir si la proximité entre les exploitations agricoles et la métropole, amène les agriculteurs à avoir une posture plus ou moins multifonctionnelle et donc à avoir un impact plus ou moins territorialisé. Dans le but de décrypter la re-territorialisation de l’agriculture dans un contexte de métropolisation, les trois exploitations agricoles ont été choisies en fonction de leur localisation par rapport à la métropole de Bordeaux, leur contexte local et les différents circuits que ces exploitations agricoles emploient. Pour analyser et comparer ces trois exploitations agricoles, des entretiens ont été menés à l’aide d’une grille de questions pour identifier les modes opératoires de ces exploitations ainsi que les éventuels systèmes et outils utilisés. En ce sens, nous nous sommes efforcés d’étudier les pratiques spatiales des agriculteurs au travers des différents circuits courts qu’ils emploient. A partir de ce travail et de l’analyse du contexte local, nous avons distingué les pratiques relevant de leur fonction de production, celles qui participent à la diversification de leurs activités et enfin celles liées à leur quotidien dans le contexte local. Chaque type de pratique renvoi à une échelle plus ou moins déterminée par une série de lieux fréquentés ou mobilisés. De l’assemblage des trois échelles se définie ainsi le territoire des agriculteurs.

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1.-

Les enjeux des circuits courts dans le dÊveloppement d’une pratique multifonctionnelle : vers de nouveaux pactes ville-campagne

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« L’agriculture multifonctionnelle » est un concept assez récent —apparu en 1992

lors du sommet de la terre à Rio de Janeiro— qui trouve une pertinence certaine dans le contexte agricole actuel. En effet, ce concept de multifonctionnalité « met en avant le fait que l’agriculture n’a pas uniquement une fonction économique mais qu’elle remplit aussi des missions sociales et environnementales »7. En ce sens, le concept de multifonctionnalité « “invite les agriculteurs à définir de nouvelles finalités à leur métier et à inscrire leurs activités agricoles dans une logique de développement territorial en intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales locales et en dépassant les limites du système d’exploitation” (DEVERRE, 2002) »8. De ce fait, en agriculture, le concept de multifonctionnalité qui ne se limite pas à l’échelle d’une exploitation agricole mais qui s’étend de manière plus conséquente et durable à l’échelle territoriale, serait-il un moyen de re-territorialiser l’agriculture ?. De nos jours, l’agriculture paysanne semble être la seule à pouvoir concilier de bons rapports au territoire en alliant de manière durable son caractère productif aux différentes dimensions sociales, économiques et environnementales du contexte local. Néanmoins, les petits et moyens producteurs qui sont les plus aptes à mener ce type de pratique agricole, sont, comme nous l’avons vu au préalable, les plus affectés par le système pyramidal mis en place par l’agro-industrie —qui éloigne de plus en plus les producteurs des consommateurs. « En France métropolitaine, entre 2010 et 2013, le nombre d’exploitations agricoles a baissé de 8 %, passant de 490 000 à 450 000. Cette diminution se poursuit à un rythme annuel moyen proche de celui de la décennie précédente. En revanche, la superficie agricole utilisée par ces exploitations (SAU) ne diminue quasiment pas, et s’étend sur près de 28 000 000 hectares. »9 Cette enquête menée par l’INSEE10 nous laisse supposer le fait que les petits et les moyens producteurs sont les plus affectés par le modèle agricole actuel qui, de son coté, favoriserait davantage le développement d’une agriculture industrielle. L’appauvrissement des agriculteurs qui s’est traduit, par le taux de suicide le plus important de toutes les catégories

7  GAUDICHEAU, Florian, « La multifonctionnalité, un concept pour les agriculteurs ou pour les territoires ? », consulté le 15/11/2017, [en ligne, format PDF] 8  Ibidem. 9  Données INSEE, « exploitations agricoles », consulté le 18/10/2017, [en ligne] 10  Données INSEE, loc. cit. 18 sur 146


socioprofessionnelles selon les derniers rapports faits par le Ministère de la Santé11, nous révèle ainsi la situation socio-économique très délicate, à laquelle font face les petits et moyens producteurs. La disparition progressive des petits et moyens producteurs, qui sont les plus à même de mener une pratique paysanne par leur mode de production moins automatisé et moins chimique, risquerait de mettre à mal d’éventuels processus de re-territorialisation de l’agriculture. Cependant, ces derniers années, comme nous avons pu le voir au préalable, la contestation du modèle agro-industriel par des consommateurs inquiets de la qualité et de l’origine de leurs aliments, a permis de mettre en lumière et de revaloriser l’agriculture paysanne. Ce mouvement qui est donc parti avant tout des consommateurs, semble avoir renoué avec le concept des circuits courts qui re-émerge de nos jours de manière considérable, après une longue période d’absence dans le système alimentaire. La recomposition de ces anciens réseaux de commercialisation fait alors ressurgir, par la valorisation de l’agriculture paysanne, plusieurs enjeux d’ordre social, économique et environnemental. La mise en lumière de tels enjeux est importante, notamment dans le contexte actuel où la question n’est pas encore véritablement appréhendée sous tous ces angles dans la sphère publique dans laquelle, le mouvement est encore un phénomène marginal. De ce fait, afin de mieux illustrer ces enjeux, nous allons nous aider de différentes données statistiques qui pourront mettre en avant les différentes effets que les circuits courts ont de façon tangible dans la pratique agricole en France. Nous allons étudier, plus précisément, les derniers données du Recensement Général Agricole (RGA), pour analyser les modes de production, les types d’exploitation et la création d’emploi que les circuits courts mettent en place aujourd’hui. Par ailleurs, on se penchera sur les études réalisées par le Centre Technique Interprofessionnel de Fruits et Légumes ainsi que sur des rapports européens pour aborder d’autres questions socio-économiques complémentaires. Ensuite, afin d’étudier l’impact environnemental de ces nouveaux circuits, nous analyserons les données de l’Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME). Finalement, afin d’étudier les différentes tendances dans les formes de consommation aujourd’hui, nous étudierons les données du Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation de Meilleures Conditions de Vie (CREDOC).

11  La France Agricole, consulté le 29 décembre 2017, [en ligne] 19 sur 146


1.1 Un développement socio-économique durable

Est-ce que les circuits courts ont un véritable impact sur l’économie agricole et par

ailleurs, ont-ils une véritable influence sur le lien social et la vie collective ? A l’heure actuelle, il existe peu de donnée et d’enquêtes qui puissent déterminer et répondre à ces questions. En effet, la dernière enquête d’envergure réalisée par le Recensement Général Agricole (RGA) date de 2010. De ce fait, il faudrait attendre 2020 pour avoir des chiffres plus conséquents sur l’état actuel des données. Toutefois, les données mises à disposition par le RGA sur la période 2000 - 2010 permettent d’apercevoir quelques évolutions notamment par rapport à la question des circuits courts. En ce sens, même si ces évolutions semblent paraitre, dans certains cas, marginales, il faut garder à l’esprit que cette étude ne prend pas en compte les évolutions qui se sont faites depuis 2010 jusqu’à aujourd’hui, période pendant laquelle on peut noter un afflux important des circuits courts notamment au travers de nouvelles initiatives employant l’outil numérique. De ce fait, l’analyse d’autres études plus récentes, notamment sur les nouveaux comportements en matière de consommation, viendront complémenter l’analyse du RGA. A) L’adhésion difficile aux circuits courts dans le monde agricole

Le nombre d’exploitations vendant leurs produits en circuit court a profondément

évolué depuis les années 1950 [img. 1]. En effet, l’intensification et l’industrialisation de l’agriculture après la Seconde Guerre Mondiale, a favorisé au détriment des circuits courts, des nouvelles formes de distribution par la généralisation des hypermarchés et des véhicules particuliers. Cependant, à partir des années 2010 une légère inversion dans la courbe nous montre de nouvelles orientations dans les modes de commercialisation.

(Production personnelle, source : France culture, «Circuits courts : la lente évolution des producteurs», https://www.franceculture.fr/societe/circuits-courts-la-lente-evolution-des-producteurs)

img 1 .> A gauche, nombre d’exploitations vendant en circuit courts A droite part d’exploitations vendant en circuit courts 20 sur 146


Selon le dernier Recensement Général Agricole12, en 2010, 21 % des exploitants agricoles —soit un producteur sur cinq— vendent en circuit court. Ce nombre est comme nous pouvons le voir [img. 2], d’une part plus important pour les production légumières, avec 46% des exploitations totales qui « sont autant des maraîchers que des exploitants spécialisés en grandes cultures ou en polyculture élevage » et d’autre part, moins importantes pour l’élevage (8 %) certainement à cause des processus de transformation et de conservation qui rendent la commercialisation en circuit court plus difficile. Quoi qu’il en soit, la commercialisation sous forme de circuit court est loin d’être une pratique marginale. Toutefois, nous pouvons nous demander quelles sont les catégories de producteurs les plus concernées par ce mode de commercialisation? ŝƌĐƵŝƚ ĐŽƵƌƚ ƉĂƌ ƉƌŽĚƵŝƚ džƉůŽŝƚĂƚŝŽŶƐ ĂLJĂŶƚ ĚĞƐ͗ ĠůĞǀĂŐĞƐ ůĂŝƚŝĞƌƐ

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(Production personnelle, source : Agreste, Recensement agricole 2010, http://agreste.agriculture.gouv.fr/ ŚĂŵƉ͗ &ƌĂŶĐĞ LJ ĐŽŵƉƌŝƐ ĚĠƉĂƌƚĞŵĞŶƚƐ ĚΖŽƵƚƌĞͲŵĞƌ͗ IMG/pdf_primeur275.pdf)

img 2 .> Un producteur sur cinq vend en circuit court

Le Centre Technique Interprofessionnel de Fruits et Légumes (CTIFL) nous révèle dans une étude13 faite à partir du RGA, qu’environs 69 % des petits producteurs —notamment les jeunes exploitants récemment installés14— sont concernés par la commercialisation des légumes en circuits courts, contre 54 % pour les moyens producteurs et seulement 27 % pour les grands producteurs. Par ailleurs, cette étude nous révèle que le chiffre d’affaires issu de la commercialisation des légumes en circuits courts est plus important lorsque la superficie de 12 AGRESTE, « Commercialisation des produits agricoles », juin 2012, n° 275, Rosenwald Fabienne Directrice de la publication, Toulouse, Ed. SSP 13  AGRESTE, CTIFL, « Structure des exploitations fruitières et légumières : Evolutions entre les recensements agricoles de 2000 et 2010 », juin 2013, n°16, Sédillot Béatrice Directrice de la publication, Beauvais, Ed. SSP 14  AGRESTE, « Commercialisation des produits agricoles », op. cit. 21 sur 146


l’exploitation est plus petite. Par exemple, si nous regardons le tableau [img. 3], nous pouvons noter que la part des exploitations dont la commercialisation des légumes en circuit court représente plus du 75 % de leur chiffre d’affaires, est de 45 % chez les petites exploitations contre 28 % chez les moyennes et seulement 9 % chez les grandes. й ĚΖĞdžƉůŽŝƚĂƚŝŽŶƐ ϭϮϬ ϭϬϬ

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(Production personnelle, source : CTIFL, Agreste, Recensement agricole 2010, http://agreste.agriculture. gouv.fr/IMG/pdf/dossier16.pdf)

img 3 .> Pour 45 % des petites exploitations légumières, la vente en circuit court fournit plus de 75 % du chiffre d’affaires réalisé en légumes

Les circuit courts concernant davantage les exploitations de taille inférieure à la moyenne, c’està-dire celles qui sont le plus menacées par le système agro-industriel dominant, constituentils un moyen de développement économique pour les petites et moyennes exploitations ? Selon un rapport d’Agreste15, les circuits courts représentent un moyen pour les producteurs de maitriser les différents étapes d’un circuit commercial (production, éventuellement la transformation, et finalement la distribution) pouvant les rendre ainsi moins dépendants de la fluctuation des prix agricoles et obtenir par conséquence des marges nettement supérieures (pouvant doubler dans certains cas leur chiffre d’affaires). Toutefois, comme nous avons pu le noter au travers des données étudiées, la différence de fréquence dans le recours aux circuits courts par les petites exploitations par rapport à celle des moyennes exploitations reste tout de même importante. Nous pouvons donc nous demander, pourquoi dans le contexte socio-économique actuel, où les petits et moyens producteurs ont « de plus en plus du mal à répondre aux exigences des centrales d’achats […], en termes de caractéristiques des produits […], de volumes, et de délais de livraison »16,trouve-t-on de tels écarts dans les modes de 15  AGRESTE, « Diversification des activités », juin 2013, n° 302, Sédillot Béatrice Directrice de la publication, Toulouse, Ed. SSP 16  PHILIPON, Patrick, Et si on mangez local ? Ce que les circuits courts vont changer dans mon quotidien. Versailles, Ed. Quae, 2017, p. 32 22 sur 146


commercialisation propres à ses producteurs ? En effet, comme nous l’expliquent Patrik Philipon, Yuna Chiffoleau et Frédéric Wallet dans le livre Et si on mangeait local ? : « Les fermes “moyennes” vivent des temps très difficiles et leur nombre diminue constamment. Elles sont en effet trop petites pour concurrencer les grandes exploitations dans les filières longues, en particulier sur le marché international, et trop grandes pour pratiquer la vente directe aux consommateurs »17 De ce fait, le passage vers une forme de commercialisation en circuit court peut s’avérer dans certains cas difficile pour certains exploitants, notamment lorsque ces derniers ont fortement investi dans l’achat de terres et d’outils (souvent au point de s’endetter) correspondant d’autant plus à une pratique en filière longue, les forçant par conséquent à continuer sur cette voie là. Malgré le fait qu’il y ait un disparition générale et progressive des petites et moyennes exploitations, le pourcentage des exploitations agricoles commercialisant en circuit court semble accroître considérablement. De ce fait, le nombre d’exploitations qui commercialisent leurs produits en circuit courts semble grandir, mais qu’en est-il des consommateurs ? Quelle est la part de la demande sur tout-cela ? S’agit-il d’un mouvement secondaire, ou bien est-ce que ce mouvement constitue une partie importante du marché alimentaire actuel ? Selon une enquête réalisée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC)18, l’étude des comportements et attitudes des consommateurs à l’égard du commerce alimentaire montre qu’il y a eu une forte diversification des parcours d’achat en 2012 par rapport à l’année 2005 [img. 4].

img 4 .>

(Source : CREDOC, http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C301.pdf)

17  Ibid., p. 111 18  CREDOC, « Cahier de Recherche ; Enquête commerce 2012 : Comportements et attitudes des consommateurs à l’égard du commerce alimentaire », décembre 2012, n° 301, sous la direction de Dembo Adeline et Colin Justine, , consulté le 1 janvier 2018 [en ligne sous format PDF] 23 sur 146


Malgré le fait que les hyper et supermarchés soient toujours en tête de référence vis-à-vis du choix de leurs achats fait par une large majorité des consommateurs, nous pouvons observer que le taux du recours à d’autres formes de circuits a augmenté considérablement en ce laps de temps : « Désormais, on ne fait plus ses courses une seule fois par mois en se rendant dans une grande surface alimentaire où l’on trouve tous les produits standards de première nécessité, le consommateur est de plus en plus exigeant. […] En outre, le recul progressif du phénomène de massification des achats serait favorable à la spécialisation des points de vente »19. Par ailleurs, cette étude nous laisse noter aussi, l’importante évolution au regard de l’utilisation d’internet et du recours à l’e-commerce dans les achats alimentaires (6,5% de taux de fréquentation en 2012, multiplié par 2,5 par rapport à 2005) en comparaison à la part des achats en grandes et moyennes surfaces qui, quant à elle, subit une légère stagnation. Ces données, nous révèle ainsi les nouvelles directions prises en matière de consommation, les acheteurs cherchent en effet à diversifier leur lieux d’approvisionnement en matière de produits alimentaires, en favorisant notamment les commerces de proximité, les commerces spécialisés et de plus en plus ces dernières années le e-commerce. Toutefois, on peut se demander si ces nouvelles modalités d’achats représentent pour autant une pratique financièrement accessible pour le consommateur ? Quel est donc le profil de ces consommateurs ? Selon une enquête nationale menée en 2014 par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA)20 sur une base de 1 425 interviews, 42 % des personnes interrogées avaient acheté en produit en circuit court au cours du dernier mois. Parmi ces acheteurs, l’étude met en évidence la diversification croissante des consommateurs en circuits courts [img. 5]. Par ailleurs, cette enquête révèle aussi la part de plus en plus importante de jeunes qui choisissent ce type de circuit [img. 6], qui avec les employés et ouvriers représentent les catégories d’acheteurs ayant adhéré au concept de circuit courts plus récemment que d’autres21. Cette hausse dans la fréquentation à de multiples circuits de distribution mais aussi dans le nombre de nouveaux adhérents (aux profils divers : différentes tranches d’âges, différents parcours socio-professionnels) montre qu’il y a une véritable évolution dans les modes de consommation aujourd’hui. La demande influençant l’offre, nous devrons attendre 2020

19  Ibidem. 20  INRA, « La consommation alimentaire en circuits courts : enquête nationale réalisée dans le cadre du projet Codia», durée du projet : 2001-2015 21  Ibid., p.22 24 sur 146


pour voir dans quelle mesure ces nouveaux modes de consommation ont influencé la partie productive dans le nombre des nouvelles installations, le nombre de petites exploitations etc.

(Production personnelle, source : CREDOC, http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C301.pdf)

img 5 .> Acheteurs et non acheteurs par profession

(Production personnelle, source : CREDOC, http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C301.pdf)

img 6 .> Acheteurs et non acheteurs par âge

B) Une croissance économique locale : de l’exploitation agricole au territoire, un effet multiplicateur

Nous avons vu d’une part, que des changements étaient en train de s’opérer dans les

comportements des consommateurs vis-à-vis des circuits d’approvisionnement alternatifs ces dernières années: ses changements socio-économiques par l’adhérence aux circuits courts de consommateurs plus jeunes et des catégories socio-professionnels moins aisées. D’autre part, nous avons vu, de la même manière, que des changements dans les stratégies de production et de commercialisation chez les producteurs se faisaient sentir depuis peu. Des changements socio-économiques par la revalorisation de la petite agriculture grâce à la reconstitution des circuits courts qui ont permit aux petits producteurs (de plus en plus jeune) de s’affranchir du marché agricole dominant. Toutefois, qu’en est-il de l’impact socio-économique des circuits courts à l’échelle territoriale? Est ce que la recomposition des circuits courts à-t-elle des effets à une échelle locale ? 25 sur 146


La commercialisation en circuit court est gourmande en main-d’oeuvre. En effet, selon

le RGA, les exploitations qui commercialisent en circuit court, quelle que soit leur taille, mobilisent plus de main-d’oeuvre que le reste des autres exploitations : « il faut produire, vendre et dans certains cas transformer ». De ce fait, les exploitations qui commercialisent en circuit court mobilisent en moyenne 2,2 unités de travail annuel contre 1,4 pour le reste. Tout de même cette moyenne peut s’avérer beaucoup plus importante pour les petites exploitations, où le recours à des machineries est pratiquement inexistant, mais aussi pour les exploitations spécialisées dans le maraichage, pratique qui nécessite beaucoup de main-d’oeuvre. Si nous évoquons la main-d’oeuvre, c’est parce qu’il peut s’agir d’un facteur primordial dans le développement social et économique d’un territoire. En effet, comme nous l’avons laissé sous entendre auparavant, les circuits courts qui sont privilégiés principalement par les petites structures agricoles, influencent à deux niveaux différents l’emploi et donc l’économie locale : d’une part, le recours à la main-d’oeuvre dans le travail de produire les aliments, d’autre part le recours à la main-d’oeuvre dans la commercialisation desdits produits. Tout d’abord, pour le premier niveau, le recours à la main-d’oeuvre dans le cadre productif est devenu de plus en plus important pour les petites structures agricoles ces dernières années. Pour les structures qui ont les moyens économiques et qui sont plus ou moins stables financièrement, l’emploi d’assistants (généralement des paysans qui habitent à proximité) se fait à temps plein. Toutefois, pour les très petites structures qui n’ont pas encore les moyens économiques pour employer des assistants à temps plein, de nouvelles mesures se sont plus ou moins généralisées ces derniers temps en France comme des stages de formations au sein des exploitations pour les jeunes étudiants, ou le bénévolat de jeunes étrangers qui souhaitent travailler en échange d’être nourris et logés (c’est typiquement le modèle du « woofing » : World-Wide Opportunities on Organic Farms). Quant au deuxième niveau, c’est-à-dire celui de la commercialisation des produits agricoles, activité qui est d’ailleurs très prenante (distribution, vente), il exige pour les petits producteurs de recourir indéniablement à la main d’oeuvre. Très souvent, notamment pour ce qui est la vente à la ferme, ce travail de commercialisation est confié à un membre de la famille du producteur et dans une grand partie des cas il s’agit du conjoint ou de la conjointe de l’agriculteur qui s’occupe de cette tâche, ce qui lui permet d’accéder à un statut officiel. Cependant, ces dernières années, dans le but de rentabiliser le temps et l’argent consacrés à la commercialisation des produits, nous avons vu surgir des nouvelles initiatives qui renouent avec des démarches plus sociales et 26 sur 146


solidaires. En effet, de plus en plus, nous voyons des producteurs qui s’associent afin de vendre plus facilement leurs produits au travers de formes nouvelles. Une des formes qui a surgie très récemment consiste en des Points de Ventes Collectifs (PVC). Les PVC sont des magasins de vente directe mise en place sous l’initiative d’un groupe de producteurs. L’avantage de ces PVC est d’une part de mutualiser la main-d’oeuvre et donc le temps de travail propre à chaque producteur et d’autre part pour les consommateurs de trouver une palette de produits agricoles plus diversifiée. Aujourd’hui les PVC ont un statut particulier (loi relative à la consommation du 17 mars 2014) et par conséquent ils sont réglementés. En effet, il s’agit d’un statut particulier puisqu’il confère aux producteurs des avantages fiscaux. Toutefois, les réglementations ont été conçues surtout pour éviter d’éventuelles dérives dans la commercialisation des produits alimentaires et afin de garantir une totale transparence visà-vis des consommateurs. Le recours à la main d’oeuvre est comme nous l’avons vu, une chose certaine dans les circuits courts. Que ce soit pour la production ou pour la commercialisation, les nouvelles exigences propres aux circuits courts recréent de l’emploi et favorisent l’économie locale. Par ailleurs, ces nouvelles exigences en main d’oeuvre, font surgir des initiatives locales qui reposent sur la coopération, l’entraide, et la solidarité comme nous l’avons vu avec l’exemple des PVC. De plus en plus, ces initiatives sociales se généralisent aujourd’hui dans le monde agricole en dehors même de ce qu’est la commercialisation (prêt de matériel, partage de parcelles etc…) permettant ainsi de recréer et de renforcer le lien entre les agriculteurs, lien qui avait pourtant disparu au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale avec l’industrialisation de l’agriculture. « il y a 60 ans, tout le monde dépendait de tout le monde, les travaux se faisaient forcément en collectif. Pour travailler un champ, il n’y avait pas de tracteurs, on avait besoin que tout le monde vienne, il y avait cette solidarité, on dépendait les uns des autres. Et puis après les paysans ont commencé à pouvoir faire eux mêmes en achetant un tracteur, à s’individualiser, à travailler tout seul » Elsa Payton maraichère à Cudos22

22  Voir annexe p. 111 27 sur 146


Si bien, à l’heure actuelle il n’existe pas vraiment d’enquêtes qui indiquent de manière

concrète l’impact des circuits courts sur les territoires, les différents données que nous avons étudiées mettent en évidence l’influence que les circuits courts ont à l’égard des citoyens (producteurs comme consommateurs). Toutefois, c’est l’analyse de l’effet collectif des différents comportements qui caractérisent des nos jours ces acteurs là et qui nous donne une idée sur les enjeux socio-économiques qui se jouent à l’échelle locale. Nous pouvons noter tout de même, qu’un récent rapport Européan a déterminé, au travers de l’étude de divers exemples nord américains, que : « les systèmes agricoles locaux et les circuits courts ont un effet multiplicateur plus important sur les économies locales que les circuits longs, avec des répercussions sur le maintien de l’emploi local, en particulier dans les zones rurales »23. Des nos jours, le concept de circuit court séduit également de plus en plus les collectivités locales qui deviennent pour leur part peu à peu conscientes des différents enjeux qui ressortent de l’emploi de ces systèmes alternatifs. En effet, elles voient dans ces systèmes un moyen de contourner le système alimentaire pré-établi tout en renouant le lien social et en favorisant le développement durable à l’échelle locale. 1.2 Quand les circuits courts entrent sur la scène environnementale

Les circuits courts présentent de nombreux éléments qui nous permettent d’esquisser

leurs bénéfices socio-économiques pour les producteurs, les consommateurs mais aussi pour les territoires de manière générale. Toutefois, si nous parlons du développement durable d’un territoire il est nécessaire d’évoquer indéniablement le facteur environnemental. Pour beaucoup de personnes, les circuits courts représentent de manière incontestable une alternative plus écologique à l’égard des circuits longs. Cependant, comme nous pourrons le voir, cette image peut être souvent enjolivée, d’où l’importance de mettre en lumière les limites que ces circuits peuvent avoir au niveau environnemental afin se mettre à l’abris de toute généralisation. Pour cette partie, nous allons analyser de ce fait, au travers de différents études faites à ce sujet, le cycle de vie de l’aliment (sa production, sa transformation, son conditionnement et son transport) afin de mieux comprendre les enjeux environnementaux que présentent les circuits courts. L’ordre de cette analyse permet de diviser cette partie en deux points. D’une

23  Commission Européenne, « Short Food Supply Chains and Local Food Systems in the EU. A State of Play of their SocioEconomic Characteristics. », 2013, Moya Kneafsey directrice de la publication, Luxembourg, Publication Office of the European Union, p. 14 28 sur 146


part, la partie production et transformation, va conduire à nous poser des questions relevant de l’ordre du « local » et par ailleurs, la partie conditionnement et transport, va nous conduira à nous poser des questions plus d’ordre « global ». Il est tout de même nécéssaire de préciser, que l’ensemble des études et des enquêtes réalisées ne permettent d’établir un bilan environnemental concret sur l’utilisation des circuits courts. Cependant, ces études permettent de donner un ordre d’idées sur les bénéfices et les limites des circuits courts face à la question environnementale. A) Vers une consommation durable : des nouveaux engagements entre producteurs et consommateurs

Selon un rapport d’Agreste réalisée à partir des données du RGA24, un sur deux

exploitants agricoles qui ont un mode de production certifié biologique en France, choisissent de commercialiser leurs produits en circuit court. Toutefois, seulement 10 % des exploitants qui commercialisent en circuit court ont un mode de production certifié biologique. Est-ce que cela veut pour autant dire que, les autres 90 % d’exploitants commercialisant en circuit court ont une empreinte écologique plus importante vis-à-vis de ceux qui sont certifiés agriculture biologique ? Tout d’abord, il est nécessaire de stipuler que ce chiffre a sans doute évolué depuis 2010. En effet, un deuxième rapport fait par Agreste25 nous révèle qu’environs 7 % des producteurs commercialisant en circuit court envisageaient une éventuelle reconversion en agriculture biologique dans les 5 ans à venir (rapport fait en 2012 avec les données de 2010). Par ailleurs, le rapport précise aussi qu’il y a de plus en plus de jeunes qui optent, avant de s’installer, pour des formations en agriculture biologique et favorisant, bien entendu, les circuits courts pour une grande partie d’entre eux. Outre le fait que des nos jours les normes qui caractérisent l’agriculture biologique peuvent être contournées assez facilement pour favoriser une agriculture intensive et accroître le rendement (culture hors-sol ; culture sous serre chauffée ; utilisation massive d’engrais biologiques ; etc), l’intérêt des circuits courts en matière d’environnement semble reposer et surtout dépendre avant tout du rapport et de la confiance qui s’établissent entre producteur et consommateur. En effet, ce lien qui normalement est garanti au travers des circuits courts, contribuerait à mieux exposer les réalités, les exigences mais aussi les contraintes propres à 24  AGRESTE, « Exploitations agricoles en production bio », juin 2012, n° 284, Rosenwald Fabienne Directrice de la publication, Toulouse, Ed. SSP 25  AGRESTE « Commercialisation des produits agricoles », op. cit. 29 sur 146


chaque individu. Ainsi, cette proximité permise par les circuits courts, conduirait, producteurs et consommateurs, à adopter de nouveaux comportements et à concilier leurs modes de production et de consommation. Le producteur d’une part, perçoit mieux les inquiétudes et les attentes des consommateurs notamment en matière de qualité et de diversité des produits, ce qui le conduit à devenir plus attentif vis-à-vis des intrants qu’il utilise, leur quantité mais il est également amené à garantir une biodiversité menacée jusqu’à alors par l’industrialisation de l’agriculture. Agreste, dans le rapport mentionné au préalable, évoque en parlant des producteurs commercialisant en circuits court : « Sans être certifiés en agriculture biologique, beaucoup d’autres agriculteurs décrivent leurs pratiques comme proches du bio […]. Dans ce cas, la relation de confiance établie entre producteur et consommateur prime »26. De manière parallèle, le consommateur au travers du contact qu’il établi avec le producteur dans les circuits courts, devient plus conscient des aléas climatiques, de la valeur du travail et surtout de la saisonnalité des produits (aspect très important auquel nous consacrerons quelques lignes par la suite). Par ailleurs, c’est généralement au travers de ces circuits, que le consommateur redécouvre diverses variétés qui avaient jusqu’à présent plus ou moins disparues tout en privilégiant la qualité (gustative et nutritive) sur l’aspect esthétique. Comme nous l’avons compris, le potentiel environnemental des circuits courts à l’échelle locale, dépend avant tout de la conjonction entre producteurs et consommateurs autour d’un même et seul projet collectif. Tout comme les enjeux socio-économiques, l’enjeu environnemental dépend à première vue de cette question de collaboration. Pour aller plus loin sur la question de l’échelle locale, l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME) a établi dans une circulaire parue en 2017 que les circuits courts seraient à l’origine d’un phénomène de re-localisation de l’agriculture qui s’effectuerait par une valorisation de la petite agriculture paysanne capable de mieux s’intégrer au tissu rural et de limiter l’étalement urbain tout en préservant la qualité et la fertilité des sols27. Quoi qu’il en soit, nous nous retrouvons malgré tout face à cette idée de projet collectif, car il s’agit tout simplement du principe de l’offre et la demande mais bien évidemment dans une perspective plus sociale et solidaire. Plus le projet collectif est fort, plus nous serons susceptibles d’en déduire l’apparition de nouvelles installations paysannes dynamiques28 en accord avec le développement du territoire d’un point de vue durable.

26  AGRESTE « Commercialisation des produits agricoles », op. cit. 27  ADEME, « Alimentation - Les circuits courts de proximité », mis en ligne en juin 2017, consulté le 1 janvier 2018, [en ligne sous format PDF], 28  Ibidem. 30 sur 146


B) L’adoption des circuits courts, une véritable alternative écologique ? : Un bilan difficile à établir

Le sytème alimentaire, génère à l’heure actuelle un tiers des émissions de gaz

à effet de serre et représente un quart de la consommation d’énergie globale29. L’impact environnemental du système alimentaire aujourd’hui est énorme mais nous pouvons nous demander si depuis ces derniers années, la recomposition des circuits courts serait-elle à même d’alléger ce rapport ? Selon l’ADEME il est difficile de déterminer de manière concrète si les circuits courts sont réellement une alternative plus écologique vis-à-vis des circuits longs, notamment en matière de gaz à effet de serre et de consommation d’énergie. Selon la circulaire, mentionnée préalablement, l’ADEME considère que malgré le fait que le principe de proximité soit souvent cité dans les circuits courts, les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas pour autant plus faibles que dans un circuit long : « Les émissions par kilomètre parcouru et par tonne transportée sont environs 10 fois plus faibles pour un poids lourd de 32 tonnes et 100 fois plus faibles pour un cargo transocéanique que pour une camionnette de moins de 3,5 tonnes. »30 Par exemple, un étude allemande menée par l’université de Justus Liebig31 en 2006 a montré que la consommation d’énergie finale propre à la fourniture de trois produits alimentaires (jus de pomme, viande d’agneau et vin) de provenance régionale (en Allemagne) avait un impact plus important que les mêmes produits venant d’autres pays (dans l’ordre : Brésil, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud). Cette étude montre ainsi que c’est avant tout les modes de commercialisation et la taille de l’exploitation qui sont déterminants de la quantité d’énergie finale utilisée. « De grandes quantités, transportées sur de grandes distances, de manière optimisée, peuvent avoir un “impact effet de serre” par tonne transportée beaucoup plus faible que de petites quantités, transportées sur des distances faibles dans des camionnettes peu remplies et revenant à vide »32. Le manque d’organisation logistique est certainement le facteur qui a pénalisé le plus ces circuits courts à l’égard de son bilan carbone qui a fait tant de polémique à l’issue de ces données. En effet, le consommateur, afin d’avoir accès à une certaine diversité 29  Territoires énergie positive, consulté le 2 janvier, [en ligne] 30  ADEME, op. cit. 31  SCHILCH, Elmar, pour l’université de Justus Liebig, « La consommation d’énergie finale de différents produits alimentaires : Un essai de comparaison », consulté le 2 janvier, [en ligne sous format PDF] 32  ADEME, op. cit. 31 sur 146


de produits agricoles, devrait en théorie aller rencontrer plusieurs producteurs et donc se déplacer, le plus souvent en voiture, et parcourir plusieurs kilomètres entre différentes exploitations, d’où l’effet négatif sur l’environnement. Il est vrai que la mutualisation des points de vente, comme les PVC dont nous avons parlé au préalable, permettent d’atténuer l’empreinte environnementale des déplacements effectués pour acquérir lesdits produits en circuits courts. Néanmoins, il est nécessaire de noter que ce type d’initiatives n’est, pour le moment, qu’en train d’émerger sur le marché actuel, raison pour laquelle nous ne pouvons pas spéculer sur l’effet qu’il peut avoir sur le plan environnemental. Par ailleurs, si bien l’étude allemande se base sur le facteur de distribution pour caractériser l’impact environnemental que peuvent avoir les circuit courts, elle ne prend pas vraiment en compte la production, le conditionnement et finalement la consommation même des produits. Or il s’avère que cette partie peut dans certaines conditions avoir un impact environnemental du moins égal à celui de la distribution comme nous le fait noter ADEME. D’une part, le conditionnement des produits peut représenter un facteur très important de contamination et être une cause majeur dans l’émission de gaz à effet de serre. Nous pouvons noter par exemple, que les produits en circuit long, font souvent recours à en emballage plus important que les produits en circuit court, où l’emballage est presque n’est pratiquement pas utilisé (les consommateurs viennent chercher leur produit avec des paniers ou des sacs recyclables). Par ailleurs, la conservation, sujet aussi important, des produits en circuit long demande une consommation d’énergie très importante, notamment si les produits doivent être conservés pendant une longue durée afin de donner accès aux consommateurs à des produits en hors saison. Que ça soit à l’échelle locale par la production sous serres chauffées ou par l’importation de produits venant de pays très éloignées, la production ou l’importation de produits hors saison est très souvent sont les plus à même de consommer de l’énergie et de rejeter des gaz à effet de serre comme nous le montre un étude réalisée par BIO Intelligence Service pour le compte de l’ADEME33. Finalement, le gaspillage est un autre facteur qui différencie assez bien les différents processus et principes émanées des circuits courts face à celles émanées des circuits longs. Pour les circuits longs, les différences processus de conservation et de transport, tendent à abimer une partie non négligeable des produits frais, ce qui leur oblige dans la plupart des cas, à s’en débarrasser. D’autre part, les politiques mise en place par les grandes et moyennes surfaces tendent à exclure les produits « hors calibre » ou présentant des défauts esthétiques alors qu’à contrario, les circuits courts chercheront plutôt à valoriser la qualité des produits avant tout. 33  BIO Intelligence Service, « Impact environnemental du transport de fruits et légumes frais importés et consommés en France métropolitaine », consulté le 3 janvier 2018, [en ligne sous format PDF] 32 sur 146


Si les avantages sociaux et économiques des circuits courts semblent se vérifier plus

facilement, leur impact environnemental reste encore mal connu et difficile à évaluer. Si bien à l’échelle local, les circuits courts permettent de renouer avec une petite agriculture qui respecte la biodiversité et protège la qualité des terres, à l’échelle globale le bilan carbone est plus mitigé due notamment à l’organisation logistique qui fait augmenter les déplacements. Toutefois, les principes et les valeurs propres à l’engagement mutuel entre producteurs et consommateurs mise en avant par les circuit courts, semblent compenser les impacts environnementales due notamment au transport. De plus ces dernières années nous pouvons voir de plus en plus la constitution de nouveaux systèmes en circuits courts qu’essayent d’optimiser ces conditions logistiques d’échanges comme nous l’avons vu avec le cas des PVC. « Dès lors qu’ils sont optimisés et sous certaines conditions, les circuits courts de proximité présentent un potentiel important en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre »34 1.3 Entre politiques publiques et initiatives locales : des conciliations pour penser au développement territorial de manière durable

En renforçant le lien entre producteur et consommateur et en redonnant du sens, tant à

l’activité de production qu’à l’acte de consommation, les circuits courts présentent bel et bien un réel potentiel pour la re-territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation. En effet, en s’approvisionnant auprès d’un circuit court, le consommateur est capable d’influencer le fonctionnement du système alimentaire (transport, saisonnalité, équilibre alimentaire, répartition de la valeur économique etc.) et le développement de l’agriculture d’un point de vue durable. De plus, comme nous l’avons pu comprendre, les effets sociaux, économiques et environnementaux qui se mettent en oeuvre par l’emploi des circuits courts ont des conséquences aussi bien sur la production et la consommation que sur le territoire. De ce fait, est ce que les circuits courts peuvent-ils être un levier pour encourager le développement territorial d’un point de vue durable ? La recomposition des circuits courts en ce début de siècle, s’est opérée suite à un mouvement spontané d’initiatives citoyennes. Ainsi, ce mouvement s’est constitué dans un premier 34  ADEME, op. cit. 33 sur 146


temps, en opposition au modèle agro-industrielle et par conséquent, en opposition aussi des structures institutionnelles qui gèrent le secteur agricole en France et en Europe (Ministère, chambres d’Agriculture, syndicats agricoles majoritaires, politique agricole européenne etc.). Cependant, malgré le fait que ces institutions étaient jusqu’à assez récemment, réticentes visà-vis de ces nouvelles formes de consommation et de production, elles semblent avoir capté la complexité que la question des circuit court pose réellement. Les enjeux qui ressortent au travers l’utilisation de ces circuits vont, comme nous l’avons compris, au delà même du facteur alimentaire. Néanmoins, de quelle manière la reconnaissance officielle d’un mouvement qui était fondamentalement citoyen pourrait engendrer des changements à l’échelle territoriale ? A) Des préoccupations partagées : quand consommer local devient un enjeu politique de développement durable

En 2009, Le Ministère en charge de l’Agriculture et de l’Alimentation s’est saisit de

la question des circuit courts —dans le cadre des réflexions des assises de l’agriculture et du Grenelle de l’Environnement— et a présenté un plan d’action avec pour objectif de « contribuer au développement d’une agriculture durable, […] de mieux valoriser les productions, de créer des emplois et de mettre en place une nouvelle “gouvernance alimentaire” à l’échelle des territoires »35. Il s’agit ici, en effet, de la première reconnaissance officielle des circuits courts par une administration publique. Ce plan d’action, appelé aussi « plan Barnier » (nom du ministre à cette époque) répond à la volonté de soutenir l’agriculture locale dans le double intérêt, des consommateurs et des producteurs au travers de la mise en place des circuits courts. Articulé autour de quatre grands axes qui sont menés à l’échelle régionale par les DRAAF (Directions Régionales de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) , le « plan Barnier » vise à :

- Améliorer les connaissances sur les circuits courts et les diffuser - Adapter la formation des agriculteurs aux exigences des circuits courts - Favoriser l’installation d’agriculteurs en circuits courts - Mieux organiser les circuits courts Quatre axes du plan Barnier36

35  Ministère de l’Agriculture, « Renforcer le lien entre agriculteurs et consommateurs ; Plan d’action pour développer les circuits courts », consulté le 3 janvier 2018, [en ligne sous format PDF] 36  Ibidem. 34 sur 146


Ce travail constitue ainsi une première étape qui formalise des méthodes communes de recherches et d’actions sur les circuits courts permettant, pour la première fois, d’appréhender la question au delà d’une démarche purement commerciale. En effet, ce premier travail sur les circuits courts a permit de mettre en lumière tous les facteurs qui leurs sont intrinsèques, comme la diffusion, la formation, l’installation et bien évidemment la commercialisation. L’idée principale de ce plan d’action est donc d’une part, de faciliter la transition des agriculteurs vers des modes de productions cohérents au mouvement (et non pas seulement à la commercialisation) des circuits courts et d’autre part, de sensibiliser les consommateurs sur ce sujet tout en leur facilitant l’accès à ces circuits courts. En raccordant les besoins propres aux consommateurs et aux producteurs le plan Barnier relie les problématiques agricoles et alimentaires. De plus, l’étendue des actions qu’il prône au niveau social, économique et environnemental lui attribue une dimension territoriale conséquente. B) Des nouvelles politiques alimentaires territoriales « conciliantes »

Si bien la problématique du développement territorial d’un point de vue durable est

abordée en 2007 dans le cadre du Grenelle de l’Environnement et en 2009 dans le plan Barnier, celle-ci ne sera codifiée qu’en 2010 avec la loi n° 2010-874 du 27 juillet appelée « de modernisation, de l’agriculture et de la pêche »37. En effet, la particularité de cette loi est d’avoir mis en place deux objectifs inédits : celui de définir et mettre à l’œuvre une politique publique de l’alimentation et celui d’inscrire l’agriculture et la forêt dans un plan de développement durable des territoires. Ces deux objectifs se déclineront par la suite dans la création d’un Programme national de l’alimentation (PNA) et dans la création de Plans régionaux d’agriculture durable (PRAD) qui reprennent clairement des enjeux communs propres à la conjonction des problématiques agricoles, alimentaires et territoriales. De ce fait, cette loi du 27 juillet 2010 marque avant tout un tournant dans l’histoire des politiques agricoles car elles seront désormais abordées en même temps que les problématiques alimentaires et territoriales d’un point de vue durable. L’originalité de ces nouvelles politiques repose aussi sur le fait qu’elles arrivent à concilier différentes échelles d’action. En effet, même si ces politiques sont définies à l’échelle nationale et sont donc impulsées par le pouvoir central, elles invitent les acteurs locaux à 37  Legifrance, texte de loi, « modernisation de l’agriculture et de la pêche », consulté le 3 janvier 2018, [en ligne] 35 sur 146


s’engager —ceux-ci étant les plus à même de répondre de manière concise à leurs propres besoins et objectifs. Il s’agit ainsi là d’une première —par rapport aux politiques anciennes— permettant de faire émerger des actions plus concrètes à l’échelle territoriale. Partant de cette volonté, et dans l’objectif d’engager davantage les collectivités et leurs acteurs, le 13 octobre 2014, une deuxième loi a été promulguée, appelée « d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt », qui institue par son article L. 111-2-238 les Projets alimentaires territoriaux (PAT). « Les projets alimentaires territoriaux […] sont élaborés de manière concertée avec l’ensemble des acteurs d’un territoire et répondent à l’objectif de structuration de l’économie agricole et de mise en œuvre d’un système alimentaire territorial. Ils participent à la consolidation de filières territorialisées et au développement de la consommation de produits issus de circuits courts, en particulier relevant de la production biologique. »39

Les PAT, qui sont par conséquent formulés à l’initiative de différents acteurs émanant du pouvoir central et de l’échelle locale [img. 7], répondent avant tout aux objectifs définis par les PRAD qui visent en priorité l’ancrage territorial de l’alimentation40. Chacune des actions PRAD qui l’ancrage territorial de l’alimentation . Chacune actions41 menées revêtvisent ainsi en unepriorité dimension économique, environnementale et40sociale [voirdes encadré] menées revêt ainsi une dimension économique, environnementale et sociale [voir encadré]41 • Une dimension économique : structuration et consolidation des filières dans les territoires et mise en adéquation de l’offre avec la demande locale ; contribution à l’installation d’agriculteurs et à la préservation des espaces agricoles sans lesquels la production n’est pas possible. • Une dimension environnementale : développement de la consommation de produits issus de circuits de proximité ; valorisation d’un nouveau mode de production agro-écologique, dont la production biologique. • Une dimension sociale : c’est un projet collectif, fondé sur la rencontre d’initiatives, et regroupant tous les acteurs d’un territoire ; il contribue à une identité et une culture du territoire et permet de valoriser les terroirs.

La ville de Bordeaux, face à la disparition en moins de 20 dans son périmètre de la

moitié du nombre d’exploitations agricoles, a lancé en 2012 une réflexion sur la Gouvernance

38  Legifrance, texte de loi, « avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt », consulté le 3 janvier 2018, [en ligne] 39  Ibidem. alimentaire

dans le cadre de son Agenda 21. Ce projet, qui était limité à cette époque à la seule

40  IUFN, commandé par le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine, document rédigé par Faucher Anna, « Dynamiques des empreinte de son agglomération, se verra élargi fois lep.phénomène métropolisation projets alimentaires territoriaux, Nouvelle Aquitaine », consulté le 5une janvier 2018, 4 [en ligne sous de format PDF] 41  Ministère l’Agriculture de l’Agroalimentaire et de la Forêt, « Construire votre projet alimentaire territorial pour rapprocher reconnu42.deAinsi, dans le cadre de son PAT, la métropole de Bordeaux, établie un réseau production locale et consommation locale », consulté le 6 janvier 2018, [document à télécharger en ligne] sur 146 d’approvisionnement alimentaire avec les 36 territoires voisins dans une optique solidaire. Ce

projet qui vise à soutenir les producteurs régionaux se veut d’être, par conséquent, une


img 7 .> (Ministère de l’Agriculture de l’Agroalimentaire et de la Forêt, http://agriculture.gouv.fr/comment-construire-son-projet-alimentaire-territorial)

La ville de Bordeaux, face à la disparition en moins de 20 dans son périmètre

de la moitié du nombre d’exploitations agricoles, a lancé en 2012 une réflexion sur la Gouvernance alimentaire dans le cadre de son Agenda 21. Ce projet, qui était limité à cette époque à la seule empreinte de son agglomération, se verra élargi une fois le phénomène de métropolisation reconnu42. Ainsi, dans le cadre de son PAT, la métropole de Bordeaux, établie un réseau d’approvisionnement alimentaire avec les territoires voisins dans une optique solidaire. Ce projet qui vise à soutenir les producteurs régionaux se veut d’être, par conséquent, une démarche équilibrée - horizontale et non pas hiérarchique. « Reposant sur une mise en transversalité interne et sur une gouvernance territoriale multiacteurs innovante, ouverte et participative, l’Agenda 21 de la Gironde est […] l’instrument de traduction opérationnelle de l’ambition départementale en matière de développement durable. »43

L’objectif principal de la métropole de Bordeaux et plus largement du département de la Gironde, est donc de structurer un maillage territorial d’action autour de l’alimentation de proximité. Pour se faire, les processus d’action se traduisent au travers de la mise en place de différentes démarches impulsant des projets alimentaires dans une optique avant tout durable.

42  IUFN, op. cit., p.24 43  IUFN, op. cit., p.26

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Un des gestes les plus significatifs cette dernière année fut à l’échelle du département et dans le cadre des « trophées Agenda 21 » —qui récompensent les acteurs et les projets de développement durable menés sur le territoire girondin—, l’attribution du premier prix à l’association « Glutamine » qui est une couveuse de maraîchage à Tresses. Appelée aussi « Ferme de la Glutamine », elle a pour objectif de « redynamiser un territoire, souvent considéré comme dortoir, en termes d’emploi, mais aussi de capacité alimentaire »44. Toute l’idée du projet part en effet du constat suivant : de nos jours, il est plus difficile pour un maraîcher de financer et d’acquérir un foncier agricole, que d’acheter un appartement. De ce fait, l’idée poursuivie par la Ferme de la Glutamine est avant tout d’aider et d’accompagner les maraîchers en vue de s’installer pour maximiser leurs chances auprès d’établissements bancaires et ainsi de pouvoir financer leur projet agricole. En ce sens, la Ferme de la Glutamine a formulé une série de stratégies qui répondent clairement à leur objectif préétabli qui se base sur l’insertion professionnelle, la communication, le lien social et le lien intergénérationnel45. Leur but est de créer au cours de l’année 2018 une forme de « co-working » dédié à l’agro-écologie ainsi qu’une « Ferme-lab » ayant pour but de faciliter l’installation maraîchère et de former les futurs agriculteurs à l’aide de techniques « low-tech ». L’originalité du projet repose néanmoins sur les outils fournis par la Ferme de la Glutamine aux futurs agriculteurs à la fin de leurs formations. En effet, une fois le cursus (36 mois) terminé, les agriculteurs auraient la possibilité de repartir avec les outils utilisés au cours de leurs formations à savoir une éolienne, un vélo tracteur, un conteneur aménagé et peut être le plus intéressant et faisant toute la particularité de la Glutamine, une « tiny house » construite entièrement en bois [img. 8] dans laquelle les agriculteurs habiteraient au cours de leur formation. Ces différents outils, conçus dans une économie de moyens, permettent ainsi à ces futurs agriculteurs d’alléger le coût d’installation d’une part et d’autre part d’avoir un premier revenu financier au moment de faire appel au banques pour accéder à la propriété. L’initiative menée par la Glutamine a été reconnue d’utilité publique et d’intérêt général par la Chambre de l’agriculture. La posture qu’elle mène nous montre ainsi une manière de concevoir la problématique agricole d’un point de vue durable à l’échelle du territoire comme elle le dépeint dans ces « objectifs de développement durable » [img. 9].

44  Fiche de présentation pour Agenda 21, « La Glutamine », consulté le 10 janvier 2018, 45  Ibidem.

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img 8 .> «tiny houses» (Département de la Gironde, https://www.gironde.fr/actualites/trophees-agenda-21-une-cuvee-2017-toujours-aussi-prometteuse)

img 9 .> (Fiche de présentation pour Agenda 21, « La Glutamine », http://carto.gironde.fr/agenda21/docs/doc3020.pdf)

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Comme nous avons pu le comprendre dans cette partie, les circuits courts ne se

développent pas « hors sol ». Bien au contraire, il s’agit d’un mouvement d’échanges entre agriculteurs et consommateurs qui se met en place dans un rapport territorial précis. Ces circuits s’inscrivent ainsi dans le rapport complexe aujourd’hui entre les villes et les terres agricoles. En effet, ce sont précisément les crises sanitaires mais aussi sociales qui ont entrainé la recomposition des circuits courts en ce début de siècle et qui ont aussi permis de réorienter le rapport entre les bassins de vie et les terres agricoles de proximité. De ce fait, la mise en lumière des enjeux sociaux, économiques et environnementaux par le recours à ces circuits a permis aux yeux des décideurs de concevoir les problématiques agricoles, alimentaires et territoriales sur un même plan, comme nous l’avons vu avec les différentes politiques mises en place. Au sein des collectivités, nous voyons émerger ces dernières années de plus en plus d’initiatives qui encouragent le développement des circuits courts avec l’objectif d’améliorer le bilan environnemental mais également de favoriser le maintien ou le développement d’emplois sur le territoire dans une posture socio-économique. Ainsi, il semble aujourd’hui, que les territoires veulent faire un effort plus important au regard de leur capacité agricole mais aussi de leur alimentation, toutefois qu’en est-il réellement sur le terrain ?

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2.- Les circuits courts, un moyen d’inscrire l’agriculture dans une logique de développement territorial durable ? Les cas de Saint Jean d’Illac - Tabanac - Cudos

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Comme nous l’avons établi auparavant, la re-territorialisation de l’agriculture au

travers des circuits courts est un facteur qui contribue au développement local du territoire d’un point de vue durable (social, économique et environnemental). Aujourd’hui, les questions de l’agriculture, de l’alimentation et du territoire semblent converger vers un seul débat public. En effet, comme nous avons pu le comprendre dans la partie précédente, la mise en place de nouvelles politiques publiques ces dernières années a favorisé l’apparition d’une multitude d’initiatives qui traitent ces différentes questions de manière conjointe à l’échelle locale. Ainsi, la promotion des circuits courts reste, sans aucun doute, un moyen d’action par lequel ces différentes politiques publiques conçoivent de manière plus durable le territoire et son développement. De nos jours néanmoins, avec la diversification de manière presque intensive des circuits courts ainsi qu’avec l’entrée en jeu d’une multitude d’acteurs aux statuts et objectifs très divers, les enjeux socio-économiques et environnementaux semblent se complexifier d’avantage et cela vraisemblablement au péril d’une éventuelle re-territorialisation de l’agriculture.

Dans le but d’observer et de relever les éventuels effets que la recomposition des

circuits courts engendre dans le territoire, il était nécessaire de mener une enquête directe sur le terrain en se fixant, bien entendu, quelques limites. Tout d’abord, compte tenu de la multiplicité d’acteurs influençant de nos jours le développement des circuits courts, j’ai décidé d’aborder la question au travers des agriculteurs qui sont (de mon point de vue) les mieux à même de témoigner des différentes actions menées par les autres protagonistes de ce mouvement (consommateurs, institutions etc…). Par ailleurs, je me suis intéressé au rayonnement métropolitain de Bordeaux dont la « capitale » est actuellement un grand catalyseur de circuits courts en France. Mon but était de comprendre dans quelle mesure la métropole de Bordeaux influence les exploitations agricoles et leur contexte immédiat. De ce fait, j’ai voulu mener trois enquêtes sur trois exploitations agricoles différentes, —toutes les trois se trouvant bien entendu dans le rayonnement bordelais— la finalité étant de comprendre puis de comparer les différents formes de productions, les différents circuits employés, mais aussi les différents « vécus » qui, comme on pourra le voir par la suite, dépendent du contexte social, politique et culturel.

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Il est tout de même important de souligner d’emblée que l’étude de ces trois cas ne permet pas de caractériser précisément les effets et toute la complexité des circuits courts aujourd’hui sur nos territoires. En effet, comme nous l’avons précisé auparavant, la multiplicité des acteurs, qui influence les différentes manières de mise en place des circuits courts actuellement, ne cesse de s’agrandir. C’est sans aucun doute une des limites et des difficultés rencontrées dans la réalisation de ce mémoire. Néanmoins, l’étude de ces trois cas permet de nous donner une lecture de l’évolution et des implications des circuits courts aujourd’hui dans un contexte de métropolisation, tout en nous donnant un aperçu des différentes directions que ceux-ci prennent. 2.1 La recomposition des circuits courts : une transition difficile du modèle agricole actuel vers un modèle agricole durable

Le choix des exploitations agricoles a été déterminé par leur localisation

territoriale (degré d’influence de la métropole de Bordeaux) et par les différents circuits de commercialisation que les agriculteurs emploient, ayant chacun des implications socioéconomiques et environnementales différentes. Finalement, le choix s’est fait par rapport à l’hétérogénéité des parcours professionnels que ces trois agriculteurs ont suivi.

Intéressons nous tout d’abord au contexte géographique de ces trois exploitation.

Comme nous l’avons dit auparavant les trois exploitations se trouvent dans le rayonnement métropolitain de Bordeaux [img. 1 A&B] : la première à Saint Jean d’Illac à environs 17 km de Bordeaux ; la deuxième à Tabanac à environs 24 km de Bordeaux ; la troisième à Cudos à environs 70 km de Bordeaux. [img. 2] Chacun de ces territoires qui répondent à des processus de métropolisation bien différents, conditionne d’une part le type d’implantation et les différents modes opératoires de ces agriculteurs et d’autre part, les modes de vie des habitants des bassins de populations locales et environnantes. Il est de ce fait nécessaire de se pencher tout d’abord sur l’analyse de ces différents territoires et sur leur évolution vis à vis de la métropole afin de voir comment la recomposition des circuits courts s’établie aujourd’hui.

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Rayonnement métropolitain de Bordeaux

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A) Des contextes historiques et géographiques contrastés Saint Jean d’Illac46

Jusqu’à la fin du XIX ème siècle, Saint Jean d’Illac était considéré comme un village où

cohabitaient des paysans et des bergers. Cependant, les nombreux bois autour du village, et plus particulièrement ce que l’on appelle aujourd’hui la région naturelle des landes de Gascogne, a fait entrer Saint Jean d’Illac dans une nouvelle période d’industrialisation. En effet, c’est à partir de 1925 que le village devint une commune forestière à titre officiel (la récolte de résine étant la principale pratique). Dès les années 1960, la proximité de la commune avec celle de Bordeaux, qui connait une croissance importante, permet à Saint Jean d’Illac de s’accroitre, grâce à une bonne liaison par la route départementale 106 (qui relie Bordeaux - Lège-Cap-Ferret). De ce fait, la population de la commune s’est multipliée par dix de 1960 à nos jours [img. 3], provoquant un processus d’urbanisation intensif qui multiplie l’empreinte urbaine de manière exponentielle [img. 4 A&B]. Actuellement, la commune comprenant une population de 7 747 habitants, s’étend sur 120 km2 dont 75% est occupé par une forêt de pins.

img 3.> Évolution démographique St. Jean d’Illac

(Productions personnelle, sources : Cassini de l’EHESS et base INSEE)

46  Sources : -base de données cassini de l’ehess, « Saint Jean d’Illac », consulté le 22/10/2017, [en ligne] -base de données INSEE, « commune de Saint Jean d’Illac », consulté le 22/10/2017, [en ligne] -mairie de Saint Jean d’illac, « Histoire », consulté le 22/10/2017, [en ligne] 46 sur 146


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img 4 A.> St. Jean d’Illac 1950 500 m

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img 4 B.> St. Jean d’Illac 2015 500 m

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Tabanac47

Située dans la région naturelle de l’Entre-deux-Mers, Tabanac est une ancienne commune

viticole (s’étendant sur 8 km2) qui a su conserver son patrimoine jusqu’à aujourd’hui. En effet, la commune se situant dans l’aire géographique de production48 où le vignoble possède une appellation d’origine contrôlée (AOP), elle protège ses terres et donc le foncier d’éventuelles nouvelles constructions. Malgré la proximité de Tabanac à Bordeaux, l’appellation qui protège l’activité viticole permet de limiter l’urbanisation [img. 5] de ce territoire freinant par ailleurs la croissance démographique de la commune. Même si on peut noter le double de la population entre 1960 et 1990, la démographie reste, comme on peut le voir sur le tableau [img. 6 A&B], plutôt stable ces dernières années avec une population de 1071 habitants. Il est nécessaire de noter tout de même que ces dernières années, la viticulture est devenue une pratique très concurrentielle sur le marché national et mondial et même dans un territoire de renom comme l’Entre-deuxMers, les viticulteurs ont de plus en plus de mal à rentabiliser leurs cultures et sont contraints, soit d’agrandir leur domaine, soit de le vendre. Actuellement, le nombre de terres viticoles à l’abandon augmente, ce qui a poussé d’autres d’investisseurs à s’intéresser au marché du vin, notamment des investisseurs asiatiques et plus particulièrement chinois49 dont la plupart de la production est vouée à l’exportation.

img 5.> Évolution démographique Tabanac

(Productions personnelle, sources : Cassini de l’EHESS et base INSEE)

47  Sources : -base de données cassini de l’ehess, « Tabanac », consulté le 22/10/2017, [en ligne] -base de données INSEE, « commune de Tabanac », consulté le 22/10/2017, [en ligne] -mairie de Tabanac, « Histoire », consulté le 22/10/2017, [en ligne] 48  Du premières cotes-de-Bordeaux, du côtes-de-Bordeaux-Cadillac et du Cadillac 49  Laurence Girard, « Les chinois investissent le vin français », mis en ligne le 9 juin 2015, consulté le 5 décembre 2017, [en ligne] 49 sur 146


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img 6 B.> Tabanac 2015

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Cudos50

La commune de Cudos contrairement aux deux autres territoires, se trouve plus éloignée

de la métropole de Bordeaux. Cet aspect l’entraînera—à cause du système capitaliste qui a favorisé la concentration des richesses et des populations dans les grandes agglomérations à partir de la période industrielle— dans un processus de métropolisation bien distinct de de celui des deux autres territoires. En effet, comme un bon nombre de territoires dits « excentrés », Cudos se voit confronter à une désertification progressive de son territoire à partir du XXème siècle. Tout de même, l’apparition de nouvelles voies de communication —notamment la construction de l’autoroute A65 qui relie Bordeaux à Toulouse— a permis à la commune de Cudos de devenir plus accessible depuis Bordeaux (grand pôle économique) dont elle est sous l’influence aujourd’hui. De ce fait, à partir des années 1990, Cudos connaît un léger renversement démographique mais qui ne compense pas pour autant la perte de sa population qui a débuté dès la fin du XIXème siècle [img. 7]. Ce repeuplement de la commune de Cudos s’est rétabli par une urbanisation croissante [img. 8 A&B] de certains espaces et cela au détriment de la petite activité agricole qui s’est vue dévalorisée au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd’hui, Cudos (commune de 821 habitants) est tout de même une commune agricole mais les échelles de production ont changé au fil des années. En effet, jusqu’à très récemment, plusieurs exploitations de taille moyenne ont été abandonnées ou ont été annexées à des exploitations plus grandes [img. 9].

Néanmoins, comme on le verra par la suite, cette tendance tend à changer ces dernières

années et ceci vraisemblablement grâce à l’essor des circuits courts aujourd’hui [img. 10].

img 7 .> Évolution démographique Cudos

(Productions personnelle, sources : Cassini de l’EHESS et base INSEE)

50  Sources : -base de données cassini de l’ehess, « Cudos », consulté le 22/10/2017, [en ligne] -base de données INSEE, « Cudos », consulté le 22/10/2017, [en ligne] -mairie de Cudos, « Cudos », consulté le 22/10/2017, [en ligne] 52 sur 146


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img 8 A.> Cudos 1950

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Évolution des terres agricoles à Cudos (Productions personnelle, source : Géoportail)

img 10.> 2017

terres agricoles

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B) Un processus de déterritorialisation continu ?

Comme nous avons pu le comprendre, les processus de métropolisation entraînent de nos

jours des mutations importantes dans l’organisation fonctionnelle et morphologique du territoire. Le rayonnement métropolitain de Bordeaux semble de ce fait engendrer différents types de mutations spatiales dans les territoires adjacents, notamment au travers de facteurs comme la distance, le niveau d’accessibilité et les types de ressources locales. En ce sens, depuis les années 1960, comme nous avons pu le constater avec le cas de Saint Jean d’Illac, nous faisons face à la formation de nouvelles « centralités secondaires »51. Ce phénomène, qui est une manifestation de ces dits processus de métropolisation, touche par ailleurs, ces dernières années, des territoires de plus en plus éloignés comme nous avons pu le voir notamment avec le cas de Cudos. Néanmoins, malgré le fait que ces processus permettent de repeupler ces territoires excentrés en leur garantissant un développement économique, ils mènent par ailleurs à une fragmentation socio-spatiale de ces territoires avec une délimitation urbaine franche. Nous pouvons remarquer ce phénomène de façon plus claire avec l’étude du cas de Saint Jean d’Illac dont le PLU est, de mon point de vue, assez révélateur sur ce sujet [img. 11]. En effet, comme nous le voyons sur la carte, les divisions fonctionnelles sont très tranchées, nous apercevons des « zones industrielles », des « zones commerciales », des « zones résidentielles », des « zones agricoles » et ainsi de suite. Chacune de ces « zones » est vraisemblablement assez indépendante et répond à une économie propre. D’une part, les zones résidentielles dépendent d’une économie résidentielle qui se définit comme « l’ensemble des activités économiques majoritairement destinées à satisfaire les besoins des populations résidant sur un territoire »52 et dont le moteur est donc la consommation de ses résidents. D’autre part, les zones agricoles et les zones industrielles dépendent d’une économie productive qui reflète la « composante mondialisée »53 de ces territoires, et dont le capital est très souvent dans les mains d’entreprises privées extérieures. Quoi qu’il en soit, il est évident que les composantes productrices et les composantes résidentielles tendent à s’éloigner de plus en plus sur ces territoires excentrés. Ce processus affecte l’activité paysanne qui, aujourd’hui, a pratiquement disparu de ces territoires dû à la sur-urbanisation mais aussi à la sur-concurrence dans le milieu agricole qui ne permet plus aux petits producteurs de survivre. Si nous regardons par exemple l’évolution de la commune 51  ELISSALDE, Bernard, « Métropolisation », Hypergeo, consulté le 9 décembre 2017, [en ligne] 52  Sénat de France, « Le nouvel espace rural français », Travaux Parlementaires, consulté le 10 novembre 2017, [en ligne], [URL] : https://www.senat.fr/rap/r07-468/r07-46822.html 53  BAUDET, Sylvain, « Economie Résidentielle, du diagnostic à la stratégie », Réseau Rural Français, consulté le 11 novembre 2017, [en ligne, format PDF] 56 sur 146


4. Le développement économique

4.2. Orientations graphiques

Aéroport

Zoom 1

Projet d’Aménagement et de Développement Durable - Ville de Saint-Jean-d’Illac

img 11.> Une conception par zones

Extrait du P.L.U. de la commune de Saint Jean d’Illac p.16 (source : mairie de Saint Jean d’Illac)

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de Saint Jean d’Illac, les petites productions paysannes ont disparu au profit de nouvelles zones industrielles à l’est et au profit de zones résidentielles à l’ouest [img. 12]. De même, si nous observons la commune de Cudos, les petites productions agricoles, qui étaient abondantes et concentrées jusqu’à l’après guerre, ont disparu au profit de nouvelles urbanisations mais aussi dans certains cas, au profit d’exploitations plus grandes où il se pratique une monoculture intensive [img. 13]. Par ailleurs, même si Tabanac est un cas particulier grâce à son statut de commune viticole, cela n’a pas empêché la disparition d’une agriculture vivrière, dont les terres ont été pratiquement les seules à se voir affectées par l’urbanisation de ce territoire [img. 14]. De ce fait, nous pouvons supposer que les trois territoires étudiés font face à une déterritorialisation de l’agriculture qui, comme nous l’avons vu en introduction, se traduit par un détachement entre la pratique agricole et les dimensions sociales, économiques et environnementales du territoire. Le changement d’échelles dans la production agricole et donc la disjonction entre les capacités résidentielles et les capacités productrices du territoire ont mené à cette déterritorialisation de l’agriculture qui, aujourd’hui, s’étend de manière plus vaste à l’échelle locale. Or, comme nous l’avons supposé en première partie, l’agriculture paysanne peut se révéler être une pratique multifonctionnelle et peut donc avoir un impact économique, social et environnemental positif à l’échelle locale. L’agriculture paysanne est de ce fait importante pour le tissu rural des territoires excentrés car elle peut constituer une forme de contrebalancement aux secteurs capitalistes de l’économie mondialisée qui imprègnent et divisent aujourd’hui ces territoires. Nous pouvons le voir d’ailleurs à Saint Jean d’Illac [img. 15-16-17] où les zones industrielles et de consommation tendent à s’agrandir fortement ces dernières années en dénaturalisant par conséquent l’environnement de ces territoires. Il apparait tout de même ces dernières années, comme nous l’avons évoqué en première partie, que l’essor des circuits courts permet de renouveler les pratiques paysannes qui étaient pourtant jusqu’à alors en voie de disparition. Ainsi, comme il l’a été dit auparavant, le renouveau de ces pratiques pousse des personnes, qui sont généralement étrangères au monde agricole mais qui apportent une « conception différente du rapport à la nature »54, à s’installer en tant que nouveaux producteurs.

54  PHILIPON, Patrick, Et si on mangez local ? Ce que les circuits courts vont changer dans mon quotidien. Versailles, Ed. Quae, 2017, p. 23 58 sur 146


1950

2017

img 12.> Évolution des terres agricoles à Saint Jean d’Illac (Productions personnelle, source : Géoportail)

terres agricoles

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1950

2017

img 13 .> Évolution des terres agricoles à Cudos (Productions personnelle, source : GÊoportail)

terres agricoles

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1950

2017

img 14.> Évolution des terres agricoles à Tabanac (Productions personnelle, source : GÊoportail)

terres agricoles

vignobles

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img 15 .> Saint Jean d’Illac

(photo personnelle)

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img 16.> Saint Jean d’Illac (photos personnelles) 63 sur 146


img 17 .> Sud Ouest

(http://www.sudouest.fr/2017/12/13/appel-a-la-justice-pour-sauver-des-espaces-verts-4028532-3229.php)

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C) Des nouvelles installations paysannes

L’installation agricole était jusqu’à lors un processus très compliqué pour tout nouveau

exploitant. Les procédures, les normes, la logistique et le peu d’aides, sont des facteurs qui freinaient très souvent certains exploitants et plus particulièrement les « petits ». En effet, ces facteurs étaient établis de façon à favoriser les « grands » c’est-à-dire ceux qui étaient prêts à investir pour s’installer à une grande échelle et à suivre des modes de production intensifs. Néanmoins, cette forme de production qui, depuis l’après guerre était considérée comme le seul moyen rentable de cultiver et donc de survivre, est remise en cause depuis peu avec le développement des circuits courts. Mais pour autant, est-ce que cette nouvelle tendance influence les institutions qui accompagnent et aident les exploitants qui souhaitent s’installer, notamment pour les petites exploitations?

Les trois exploitations étudiées sont, quant à elles, relativement nouvelles et petites : la

plus ancienne est celle de Cudos implantée en 2005 qui possède une surface d’exploitation de 3 ha, ensuite celle de Tabanac implantée en 2011 avec 2 ha et enfin celle de Cudos implantée en 2016 avec 10 ha dont sept sont voués à l’élevage de brebis, de moutons et de poules ; les trois étant principalement des exploitations maraichères en polyculture. Malgré ces similitudes, les parcours et les démarches qu’ont suivi les agriculteurs s’avèrent très différents. La mise en lumière de ces éléments peut nous éclairer sur la façon dont les circuits courts favorisent, grâce à l’initiative de nouveaux acteurs (des associations et des sociétés), l’apparition de processus d’installations agricoles originaux et favorables à la petite activité agricole. Par ailleurs, nous verrons comment, les institutions « conventionnelles » appréhendent aujourd’hui ce nouveau mouvement constitué autour des circuits courts et réciproquement la façon par laquelle les circuits courts influencent les modes opératoires, voir l’idéologie même de ces institutions. De ce fait, penchons-nous sur l’analyse des différents processus d’installations propres à deux des trois (de part leur pertinence) exploitations étudiées.

Les chambres régionales d’agriculture sont des établissements publics économiques

qui ont été créés —par une loi du 3 janvier 1924— à l’origine pour représenter les intérêts et les besoins du monde agricole auprès des pouvoirs publics. En 1960, ce rôle évolue pour la première fois car le gouvernement confie aux chambres un objectif supplémentaire : celui de

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« contribuer au développement agricole »55. Avec l’attribution de ce nouveau rôle, les chambres d’agricultures se sont alors développées et structurées pour cette nouvelle fonction avec l’aide de dotations de l’Etat et de financements issus de l’imposition du foncier non bâti (TFNB) et des « recettes fiscales assises sur les productions des fermes »56. Ainsi, dans le but d’aider les producteurs à développer leurs activités, les chambres se sont réformées afin d’assister les producteurs dans différentes étapes de leur parcours agricole. Toutefois, malgré ces bonnes intentions, la représentation qu’ont les agriculteurs aujourd’hui des chambres d’agriculture est loin d’être positive [img. 18].

img 18 .>

(Source : CTIFL, Partie Communiste Français, http://oise.pcf.fr/60714)

En effet, les chambres ont favorisés les modèles agricoles établis après guerre, c’est à dire ceux basés sur une production intensive et industrielle ayant recours à de gros investissements. Ceci a contraints les petits et moyens producteurs à agrandir leur exploitation afin de bénéficier d’un support technique et financier. L’agrandissement de l’exploitation et l’intensification de la production étant pour les chambres le seul moyen de développer l’activité agricole, cela a sans doute été la raison du très long blocage idéologique qu’elles ont eu face à d’autres formes de développement agricole. Le réseau des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, plus connu comme « Le réseau Civam » ou tout simplement Civam, propose une autre base pour le développement agricole. Nés à la fin des années 1950, les Civam sont des 55  Chambre d’Agriculture, consulté le 12 décembre 2017, [en ligne] 56  PHILIPON, op. cit., p.47 66 sur 146


groupes d’agriculteurs et de « ruraux » qui développent des initiatives locales et mènent des actions sur le terrain au niveau départemental et régional. En effet, ce rapport au territoire et au métier de producteur, leur a permis de comprendre très rapidement (dès les années 1970) les limites du modèle agricole —établi jusqu’à alors en France— et de tendre vers une agriculture 57 qui soit « proche des hommes, des territoires et de la nature »47 . De ce fait, en se réorientant qui soit « proche des hommes, des territoires et de la nature » . De ce fait, en se réorientant vers d’autres systèmes de productions qui respectent les principes de l’agro-écologie, une large vers d’autres systèmes de productions qui respectent les principes de l’agro-écologie, une large partie des agriculteurs, faisant partie de cette association, s’est tournée assez naturellement vers partie des agriculteurs, faisant partie de cette association, s’est tournée assez naturellement les circuits courts, sans pour autant vouloir proposer ou prôner des systèmes idéaux car « aucune vers les circuits courts, sans pour autant vouloir proposer ou prôner des systèmes idéaux car technique n’est vertueuse en soi »58. Leurs actions cherchent par conséquent à accompagner « aucune technique n’est vertueuse en soi »48 . Leurs actions cherchent par conséquent à tout simplement l’agriculteur, en lui proposant des méthodes pour l’aider à se développer. [voir accompagner tout simplement l’agriculteur, en lui proposant des méthodes pour l’aider à se encadré : spécificités du Réseau Civam] développer. [voir encadré : spécificités du Réseau Civam]

Spécificités du Réseau Civam : • La référence aux valeurs humanistes de l’éducation populaire, l’ouverture d’esprit, • La place essentielle des agriculteurs et des ruraux dans l’évolution des pratiques agricoles et du développement des campagnes, • Le rôle des groupes dans l’innovation au sein du réseau, • L’échange et le partage entre les animateurs du réseau et le travail avec des partenaires multiples et variés qui favorise l’essaimage des nombreuses initiatives au sein et en dehors des CIVAM, • La vision CIVAM du développement agricole et rural s’appuie sur les savoir-faire, les expériences, les énergies des agriculteurs et des habitants des territoires qui complètent et enrichissent les recherches scientifiques et le conseil technique qui en découle.

Le fonctionnement des Civam, qui se fait en réseau, a permis à chaque groupe local, de trouver Le fonctionnement des Civam, qui se fait en réseau, a permis à chaque groupe local, de trouver de manière autonome des nouvelles formes d’innovations pour contribuer au développement de manière autonome des nouvelles formes d’innovations pour contribuer au développement de de l’activité agricole. Le Civam d’Aquitaine par exemple, constitue en 2009 une société par l’activité agricole. Le Civam d’Aquitaine par exemple, constitue en 2009 une société par action action simplifiée (SAS) destinée principalement à l’installation agricole, qui se nomme simplifiée (SAS) destinée principalement à l’installation agricole, qui se nomme Gr.A.I.N.E.S. : Gr.A.I.N.E.S. : Graines d’Agriculteurs, Innovants, Nourriciers, Entreprenants et Soutenus par Graines d’Agriculteurs, Innovants, Nourriciers, Entreprenants et Soutenus par les consommateurs. les consommateurs. François Araujo, agriculteur et chef de l’exploitation de Tabanac que nous François Araujo, agriculteur et chef de l’exploitation de Tabanac que nous avons étudié, nous avons étudié, nous raconte ainsi être passé par cette structure pour se former en tant raconte ainsi être passé par cette structure pour se former en tant qu’agriculteur et pour obtenir qu’agriculteur et pour obtenir un soutien pour son installation. Le parcours de François est un soutien pour son installation. Le parcours de François est particulier puisqu’à 35 ans il décide particulier puisqu’à 35 ans il décide d’arrêter son métier de dépanneur TV et de se reconvertir d’arrêter son métier de dépanneur TV et de se reconvertir dans l’agriculture : « j’avais besoin dans l’agriculture : « j’avais besoin d’un travail au grand air » dit-il, dans un entretien pour le d’un travail au grand air » dit-il, dans un entretien pour le Sud Ouest en 201259. N’ayant donc Sud Ouest en 201249. N’ayant donc aucune expérience dans l’agriculture, François avait besoin 57  d’un accompagnement et surtout Civam, consulté le 14 décembre 2017, [end’une ligne] formation

avant son installation, raison pour laquelle, il

58  Ibidem.

se tourna très rapidement vers la SAS GrAINES. Ainsi, la particularité de cette structure est

59  BOISSON, Christian, pour Sud Ouest, « Graine de paysan » consulté le 15 octobre 2017, [en ligne] 67 sur 146

47 Source Civam, consulté le 14 décembre 2017, [en ligne], [URL] : http://www.civam.org/index.php/les-civam/valeurs-du-

reseau?showall=&start=1


aucune expérience dans l’agriculture, François avait besoin d’un accompagnement et surtout d’une formation avant son installation, raison pour laquelle, il se tourna très rapidement vers la SAS GrAINES. Ainsi, la particularité de cette structure est d’être une « couveuse » pour des futurs agriculteurs, c’est-à-dire un espace d’accueil pour des entrepreneurs qui souhaitent s’essayer en tant qu’agriculteurs pour une durée qui peut aller de un à trois ans, période durant laquelle, les apprentis ou les « couvés », comme la structure les nomment, bénéficient d’un contrat CAPE (Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise). En ce sens, la SAS GrAINES, qui peut être considérée comme une pépinière d’entreprises agricoles, mobilise du foncier agricole auprès de bénévoles qui souhaitent prêter des terres qu’ils ont à disposition ou auprès directement de collectivités territoriales qui souhaitent céder des terrains. Ces terres sont ensuite prêtées gratuitement à ces agriculteurs apprentis afin de les confronter directement à la réalité du métier. De manière parallèle, la « couveuse » met aussi à leur disposition du matériel de production et leur facilite l’accès à des réseaux commerciaux en circuits courts, ainsi qu’un accompagnement technique (notamment des formations courtes en agriculture biologique), comptable et juridique60. Cette forme d’installation progressive fait toute l’originalité de la structure SAS GrAINES qui souhaite prouver aux personnes, non issues du milieu agricole, qu’une petite installation agricole est rentable dans le cadre d’un Système Alimentaire Local61, tout en ayant recours à une agriculture biologique et écologique. François, qui est un des premiers « couvés » de cette structure, a donc bénéficié du prêt d’une parcelle de 7000 m2 dans la commune de Baurech sur laquelle il a pu exercer pendant trois ans en conditions réelles, le métier d’agriculteur. C’est ainsi qu’au bout de trois ans de formation et d’expérience, il a pu passer son Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA) lui permettant de travailler officiellement la terre. A la fin de cette période de formation et dans l’espoir de devenir propriétaire, François a trouvé un terrain de deux hectares en vente sur Tabanac (la commune voisine) sur laquelle il souhaitait s’installer. De ce fait, il enclencha la procédure courante d’installation, remplit tous les dossiers et suivit les formalités avec le conseil de la structure SAS GrAINES. Toutefois, il m’a confié que son projet a très rapidement fait l’objet de réticences notamment de la part de la Chambre de l’agriculture qui voulait lui imposer des modes de production plus intensifs. En effet, lors de la réunion tripartite entre le futur exploitant, la chambre et les banques, la Chambre d’agriculture lui demandait de restructurer son entreprise, de faire des emprunts, d’employer deux personnes et d’acheter de la machinerie lourde afin de réaliser au bout de trois ans 100 000 euros de chiffre d’affaires. Il semblerait donc que la 60  GrAINES, consulté le 17 décembre 2017, [en ligne] 61  Ibidem.

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Chambre d’agriculture pousserait les agriculteurs à faire des emprunts tout en leur promettant de recevoir des aides financières. Suite à ce face à face, François décida de poursuivre son projet initial sans emprunter et sans intensifier sa production. En résumé, la SAS GrAINES semble être une alternative aux modes d’installations conventionnels car elle offre à de nouvelles personnes, la possibilité d’avoir un premier aperçu du métier d’agriculteur. Cependant, cette forme d’installation progressive, prônée par la SAS GrAINES, se voit dans certains cas limitée. En effet, comme la structure ne possède officiellement aucune terre, son action ne lui permet pas d’aller au-delà des trois ans de formation de manière concrète. De ce fait, d’autres initiatives sont apparues afin d’établir des solutions plus durables dans le temps. L’une des plus importantes est sans doute le réseau Terres de Liens. Pour illustrer cet exemple nous allons nous appuyer sur l’expérience d’Elsa Payton et Gérald Banniel, maraichers et chefs de l’exploitation à Cudos que nous avons étudié. Le parcours de ce jeune couple de paysans d’origine dordognaise pour devenir exploitants agricoles à titre officiel fut très long. En effet, n’ayant pas eu spécialement d’héritage agricole, Elsa et Gérald ont fait appel dans un premier temps à divers paysans de leur entourage, proches de leur village d’origine afin de s’auto former : « nous avons vraiment fait avec nos liens directs, autour de chez nous, dans notre village »62 disent-ils. Ainsi, après avoir tenté l’expérience en tant qu’amateurs en élevant des brebis, des poulets et en cultivant quelques légumes, ils décidèrent de franchir le pas en cherchant des formations plus spécialisées. Ils se tournèrent très rapidement vers des associations alternatives et solidaires, telles que la maison des paysans et Agrobio Périgord afin de chercher du soutien et du conseil. Cette dernière proposait notamment des formations au travers de stages de longue durée chez des producteurs bio au terme duquel l’apprenti recevait un Certificat de Pratique Professionnelle en Agriculture Biologique. De ce fait, après être passé par Agrobio Périgord, et après avoir reçu ledit certificat, Elsa et Gérald décidèrent de passer à l’étape suivante, c’est-à-dire celle de l’installation. Assez naturellement, Agrobio Périgord leur conseilla d’avoir recours au réseau associatif et solidaire Terre de Liens qui oeuvre pour aider de nouveaux porteurs de projets aux valeurs agro-écologiques à s’installer. En effet, l’objectif principal de Terre de Liens est avant tout de préserver le foncier agricole afin de lutter d’une part contre la spéculation foncière et d’autre part contre l’artificialisation des terres agricoles qui provoquent, comme nous l’avons vu auparavant, des impacts sociaux, 62  Voir annexe p. 105 69 sur 146


économiques et environnementaux importants. Cette lutte contre la « déterritorialisation » de l’agriculture illustre ainsi toute la philosophie que Terre de Liens prône aujourd’hui en assurant, le plus possible, la protection de l’activité paysanne au travers des facteurs de proximité et de dimension (taille humaine) permettant de reconstruire un maillage d’activités et de liens sociaux63 à l’échelle locale tout en respectant l’environnement et la biodiversité des lieux. Le fonctionnement de cette association, qui est née en 2003, se structure aujourd’hui en trois axes différents [img. 19] oeuvrant pour la préservation du foncier agricole et la promotion des pratiques agricoles éco-responsables.

img 19 .> Terre de Liens, une structuration en trois axes (Source : Arnica,http://www.arnica-aubure.fr/liens/)

Le premier axe est « le réseau associatif » Terre de Liens qui est aujourd’hui subdivisé en 19 associations régionales différentes, chacune de ces associations mettant en oeuvre des projets (mise en réseau de partenaires, sensibilisation du public, aide à l’installation agricole) qui sont en accord avec les valeurs de la charte de Terre de Liens. Le deuxième axe est « la Foncière » de Terre de Liens, une société en commandite par action (SCA) fondée en 2006 qui est reconnue aujourd’hui comme une entreprise d’économie sociale et solidaire —La foncière Terre de liens qui comptait 160 actionnaires en 2007 pour un capital de 800 000 € compte en 2016 11460 actionnaires pour environs 50 millions d’euros de capital—. Cette structure utilise son capital, 63  Terre de Liens, consulté le 17 décembre 2017, [en ligne] 70 sur 146


constitué de l’épargne solidaire qui est collectée auprès de citoyens et d’institutions privées, pour acheter des fermes qui vont être louées par la suite à des agriculteurs ayant du mal à accéder financièrement à des terres. Enfin, le troisième axe est « la Fondation » de Terres de Liens qui collecte des dons —auprès des citoyens, des entreprises et des collectivités— et des dons fonciers —auprès d’éventuels cédants ou de collectivités— sous le statut « d’utilité public ». Ce réseau, qui repose donc sur une forme de mobilisation solidaire des citoyens et de certaines entreprises et collectivités, est une alternative qui intéressa beaucoup Elsa et Gérald. En effet, ce jeune couple, qui ne voulait pas acheter la totalité d’un terrain, a vu en Terre de Liens un bon compromis pout alléger le poids administratif et financier que pouvait représenter l’acquisition foncière. Après avoir repéré un terrain agricole à Cudos qui répondait à leurs différents critères personnels tels que la proximité avec leurs familles, le cadre de vie et les dimensions de l’installation, ils décidèrent de contacter Terre de Liens afin de leur faire part de leur projet. Au départ, l’idée d’Elsa et Gérald était de faire une séparation maison-exploitation, c’est-à-dire qu’ils voulaient acheter la maison et laisser le reste au compte de Terre de Liens. Néanmoins, tout ne s’est pas passé comme prévu. En effet, le terrain qui était mis à disposition par la SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de la gironde était très convoité par d’autres producteurs qui souhaitaient s’installer également. C’est pour cette raison qu’Elsa et Gérald devaient agir très rapidement et c’est justement sur ce point là que Terres de Liens ne répondait pas de manière efficace à leurs attentes, manquant, selon eux, de réactivité. Selon Elsa et Gérald le problème de Terre de Liens réside sur leur mode opératoire et organisationnel qui peut les mener, très souvent, à opérer de mauvais jugements sur certains projets. En effet, malgré le fait qu’il existe des associations régionales qui gèrent les projets de manière locale, ces antennes sont obligées de tout transmettre à l’antenne principale qui se trouve à Paris, ce qui au niveau logistique et administratif complique et prolonge le temps d’accession à la propriété. Par ailleurs, « les diagnostics agro-écologiques » réalisés par Terre de Liens afin d’étudier le potentiel et les risques de l’éventuelle reprise de la ferme se sont avérés dans leur cas très subjectifs. En effet, les experts envoyés par Terre de Liens sont composés généralement de bénévoles qui, selon Elsa, jugeaient l’état du terrain et son prix par rapport à leur propre expérience en tant que producteurs. Dans ce cas par exemple, les deux experts, tous deux agriculteurs de Dordogne, jugeaient d’une part que ces terres étaient surévaluées par la SAFER de façon hypothétique à cause de leur proximité de Bordeaux et d’autre part, que ces terres étaient tout simplement non cultivables car composées majoritairement de sable. Ce manque de recul par rapport aux conditions du terroir a provoqué chez Elsa et Gérald une réserve quant au recours à ces structures 71 sur 146


dites alternatives. Enfin, le point qui a vraiment déterminé leur opposition aux propositions de Terre de Liens, était qu’en devenant locataire ils allaient devoir rendre des comptes à chaque décision qu’ils souhaiteraient prendre, comme l’aménagement du réseau d’eau et d’électricité, la construction de nouveaux bâtiments, etc. Dans ces conditions, ils devraient supporter des consultations de Terre de Liens, se rendre à des rendez-vous pour des diagnostiques qui seraient assurés par plusieurs antennes et constitueraient donc pour eux une plus grande perte de temps et un coût plus important: « Nous allions avoir un papa sur le dos qui nous dirait quoi faire »64 ; « Là où c’est compliqué de travailler avec Terre de liens c’est qu’on dépendrait économiquement d’eux tout d’un coup. Alors qu’on pensait qu’ils allaient être un soutien, on dépendait en fait de tout d’un coup. Alors qu’on pensait qu’ils allaient être un soutien, on dépendait en fait de leur leur avis qui venaient contrarier nos intérêts directs. »65 avis qui venaient contrarier nos intérêts directs. »55

Malgré le nombre important de points d’ententes entre le projet agricole d’Elsa et Gérald Malgré le nombre important de points d’ententes entre le projet agricole d’Elsa et et la ligne directrice menée par Terres de Liens [voir encadré : activités soutenues par Terre Gérald et la ligne directrice menée par Terres de Liens [voir encadré : activités soutenues par de Liens], les modalités d’installation proposées par cette dernière ont beau être innovantes et Terre de Liens], les modalités d’installation proposées par cette dernière ont beau être alternatives, elles peuvent s’avérer, dans certains cas, très restrictives et contraignantes pour innovantes et alternatives, elles peuvent s’avérer, dans certains cas, très restrictives et certains agriculteurs. Ces différents mouvements, qui sont nés dès les années 2000 en réaction contraignantes pour certains agriculteurs. Ces différents mouvements, qui sont nés dès les au désintérêt de certaines institutions vis-à-vis de l’agro-écologie et de ses dimensions sociales, années 2000 en réaction au désintérêt de certaines institutions vis-à-vis de l’agro-écologie et de économiques et environnementales, ont créé une certaine méfiance à l’égard de ces institutions ses dimensions sociales, économiques et environnementales, ont créé une certaine méfiance à dites conventionnelles : « attention la chambre c’est pas bien, la SAFER c’est pas bien, les aides l’égard de ces institutions dites conventionnelles : « attention la chambre c’est pas bien, la c’est pas bien »66. SAFER c’est pas bien, les aides c’est pas bien »56. Activités soutenues par Terre de Liens : • une agriculture bio ou biodynamique, respectueuse de l’environnement, vivifiant les sols et rééquilibrant les écosystèmes • des productions à finalités principalement alimentaires et s’inscrivant dans l’économie solidaire • des fermes paysannes, à taille humaine, favorisant la création d’emploi, économiquement viables et transmissibles • une commercialisation locale qui privilégie circuits courts et liens avec le territoire • des cultures adaptées au terroir local et respectueuses des saisons • une diversité des productions et de la polyculture lorsque c’est possible • des installations multiples lorsqu’une complémentarité émerge entre plusieurs agriculteurs (fourrages, élevage, fumier…)

Cette méfiance à l’égard de l’ensemble des institutions publiques accentue ainsi le clivage existant entre le modèle dit conventionnel et les modèles plus alternatifs qui se créent aujourd’hui. 64  Voir annexe p.Néanmoins 107

l’essor de ces initiatives plus alternatives n’est en effet que le reflet

65  Voir annexe p. 107

d’un mouvement plus généralisé qui se traduit par des changements dans nos modes

66  Voir annexe p. 108

72 sur 146 nos modes de production. L’ampleur de ce d’alimentation, de commercialisation et donc dans

mouvement a provoqué des changements d’esprits au sein même de ces institutions agricoles, dont leurs élus sont les représentants des agriculteurs (c’est-à-dire les principaux acteurs de ce


Cette méfiance à l’égard de l’ensemble des institutions publiques accentue ainsi le clivage existant entre le modèle dit conventionnel et les modèles plus alternatifs qui se créent aujourd’hui. Néanmoins l’essor de ces initiatives plus alternatives n’est en effet que le reflet d’un mouvement plus généralisé qui se traduit par des changements dans nos modes d’alimentation, de commercialisation et donc dans nos modes de production. L’ampleur de ce mouvement a provoqué des changements d’esprits au sein même de ces institutions agricoles, dont leurs élus sont les représentants des agriculteurs (c’est-à-dire les principaux acteurs de ce changement). Il est donc assez probable que des changements dans les modes opératoires de ces institutions se mettent en place dans un contexte où la problématique de l’agriculture et de l’alimentation sont à nouveau au centre du débat public tout en s’associant à la problématique du développement territorial —Grenelle de l’environnement tenu en 2007 accompagné par le plan Barnier—. Par exemple, les Chambres d’Agriculture qui sont les interlocutrices entre les pouvoirs publics et les agriculteurs ont estimé qu’il est « dans leur mission consulaire d’accompagner le développement de l’Agriculture Biologique »67 en véhiculant des nouveaux projets agronomiques, écologiques et sociaux. Nous pouvons relever en particulier la création en 2012, à l’initiative de la chambre d’agriculture de Gironde, du réseau de commercialisation agricole en circuit court appelé « Drive Fermier » qui est maintenant recensé dans toute la France et que nous étudierons par la suite. Les Chambres d’Agricultures qui étaient jusqu’aux années 2010 assez réticentes à ce courant alternatif de développement pour l’activité agricole, semblent faire maintenant une place à de nouvelles réformes et de nouveaux objectifs. En effet, les facteurs sociaux et environnementaux font désormais, avec le facteur économique, partie intégrante des missions qu’elles essayent de mener localement. Parmi les nouvelles orientations il existe un appui à l’installation des jeunes agriculteurs, à travers des aides financières venant de l’Etat, afin de pallier au vieillissement de la profession. De plus, à cette aide financière s’ajoutent des primes sur les 52 premiers hectares « afin de venir davantage en aide aux petites exploitations »68. Par ailleurs, d’autres aides financières à l’installation sont attribuées aux porteurs de projets agro-écologiques et innovants. Finalement, ces dotations financières pour les jeunes agriculteurs s’accompagnent d’une série d’avantages et d’aides à l’installation [voir encadré page suivante] dans le cadre du Plan de Développement Rural Régional (PDRR).

67  LAMINE C., BELLON S., sous la direction de. Transitions vers l’agriculture biologique, Versailles, 2009, p.13 68  Chambres d’Agriculture, consulté le 17 décembre 2017, [en ligne] 73 sur 146


Tout comme les Chambres d’Agriculture, les SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) connaissent actuellement des remaniements importants dans leurs objectifs et dans leurs modes opératoires. Créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960, les SAFER ont été initialement mises en place pour favoriser une agriculture plus productive69. Néanmoins, comme nous l’avons dit auparavant, leurs objectifs semblent avoir changé et ils n’ont aucun problème à l’assumer : « Depuis les origines, la société a évolué, l’appui au développement durable dans l’agriculture et dans les territoires se généralise, l’urbanisation s’étend, les terres agricoles sont utilisées à d’autres fins et la mission des SAFER s’est élargie. Les SAFER développent toujours l’agriculture, mais elles protègent également l’environnement, les paysages, les ressources naturelles telles que l’eau et elles accompagnent les collectivités territoriales dans leurs projets fonciers. »70

Aujourd’hui, les missions menées par les SAFER se divisent ainsi autour de trois grands axes. Leurs missions cherchent d’une part, à dynamiser l’agriculture locale tout en favorisant l’installation des jeunes, d’autre part à protéger l’environnement, les paysages et les ressources naturelles et enfin à accompagner le développement de l’économie locale71. Dans cette optique de protéger les terres agricoles, les SAFER mènent une mission d’intérêt général et, ont donc en contrepartie, un droit de préemption sur les biens immobiliers mis en vente. En effet, en achetant des fermes et des terres agricoles, les SAFER assurent une amélioration foncière de ces biens et la permanence des activités agricoles en les cédant à des producteurs porteurs de projets. Toutefois, dans le but de permettre à des jeunes agriculteurs d’accéder à la propriété, les SAFER ont développé un système « d’acquisition différée de foncier »72 qui permet à un jeune agriculteur de saisir une opportunité d’achat de foncier en signant une promesse d’achat. De plus, cette transition est facilitée par les SAFER qui se chargent de garantir une valeur réelle, une sécurité juridique, et un accompagnement du projet.

69  SAFER, consulté le 22 décembre 2017, [en ligne] 70  Ibidem. 71  Ibidem 72  Point Info International, consulté le 22 décembre 2017, [en ligne] 74 sur 146


réelle, une sécurité juridique, et un accompagnement du projet.

Avantages des aides à l’installation : • majoration et/ou priorité de subvention dans le cadre du Plan pour la compétitivité et l’adaptation de l’exploitation (PCAE) • priorité dans l’attribution des droits à primes (aides PAC) • priorité dans le schéma régional des structures (accès au foncier) • réduction des droits d’enregistrement lors de l’acquisition de terres agricoles • offres spécifiques jeunes installés : coopératives, banques, assurances, formation… • accès à des aides complémentaires par le PIDIL ou autres dispositifs locaux • Exonérations fiscales et des cotisations sociales

La pour Elsa et et Gérald de La SAFER SAFERetetlalachambre chambred’agriculture d’agriculturededeGironde Girondefurent furentdedecette cettemanière manière pour Elsa Gérald bons partenaires dansdans leur leur installation, face face au manque de réactivité de Terre Liens. De ce fait, de bons partenaires installation, au manque de réactivité de de Terre de Liens. De ils de suivredele suivre système différée dudifférée foncierduproposé la SAFER et ce décidèrent fait, ils décidèrent le d’acquisition système d’acquisition foncierpar proposé par la ainsi ils ont pu prétendre aux aides et « primes » mises à disposition par la Chambre d’Agriculture pour toute nouvelle installation de petite envergure agro-écologique. 60 Ibidem. 61 Source SAFER, consulté le 22 décembre 2017, [en ligne], [URL] : http://www.safer.fr/missions-safer.asp En résumé, nous pouvons dire qu’en ce début de XXIème siècle, le mouvement qui se constitue 62 Source Point Info International, consulté le 22 décembre 2017, [en ligne], [URL] : http://www.terresdeurope.net/jeunes-

autour des circuits courts, a permis d’apporter un autre regard sur les terres agricoles, leur agriculteurs-safer-installation.asp ! sur 56 42 protection et le rôle des pratiques paysannes. De! ce fait, ce mouvement a permis l’émergence

de nouvelles initiatives qui s’intéressent à l’aspect primaire de l’agriculture, c’est-à-dire son accession. L’installation agricole qui était jusqu’alors devenue très difficile pour tout nouveau porteur de projets, devient de plus en plus accessible. Nous pouvons d’ailleurs voir avec l’installation de François à Tabanac et l’installation d’Elsa et Gérald à Cudos que des différences existent dans les modes opératoires et dans les objectifs affichés par la Chambre d’Agriculture et la SAFER. Ainsi de nouvelles formes d’accession foncière sont apparues, que ce soit une forme d’installation progressive par couveuse mise en place par le SAS GrAINES, que ce soit par un « bail rural environnemental »73 mis en place par Terre de Liens, ou bien que ce soit par une forme d’acquisition différée du foncier mise en place par la SAFER. Ainsi, de nouvelles initiatives naissent de courants différents, ce qui pourrait réduire le clivage entre les processus d’installation conventionnelle et ceux d’installation alternatifs. Néanmoins, malgré la mise en place de systèmes originaux d’aide à l’installation paysanne —du fait de nouveaux enjeux sociaux, économiques et environnementaux— il existe encore des limites qui freinent l’accomplissement des objectifs de chacun. De ce fait, comme nous l’avons vu avec les réseaux Agrobio Périgord et Terre de Liens, de nouvelles conciliations se forment de plus en plus entre ces différentes associations et institutions afin d’unifier leurs compétences. 73  Terres de Lien, op. cit., [en ligne]

75 sur 146


Comment nous l’avons compris, le développement des circuits courts à fait émerger dans

le débat public diverses interrogations sociales, économiques et environnementales qui sont devenues, au travers des dernières politiques alimentaires mises en place, des sujets d’intérêt national. La question de l’installation qui est très peu évoquée lorsqu’on parle des circuits courts est pourtant innée à ces derniers, elle a fait surgir certaines initiatives avec de nouveaux acteurs qui ont permis de diversifier les modes d’installation agricole. Par ailleurs, la participation de ces nouveaux acteurs, qui font partis du modèle dit alternatif, a également permis aux modèles « classiques » de réorienter leurs objectifs et leurs modes opératoires pour rendre l’installation plus accessible aux petits producteurs. Toutefois, si bien l’apparition de nouveaux acteurs sur la question de l’installation est positive car ces derniers prônent clairement des valeurs sociales, économiques et environnementales, pour ce qui est de la question de la commercialisation des produits agricoles l’histoire peut s’avérer différente, notamment au regard de la proximité de certaines installations avec la métropole de Bordeaux. En effet, avec la diversification des modes de commercialisation par l’entrée en jeu d’une multitude d’acteurs —bien plus nombreux que pour les questions d’installation— ainsi que le contexte métropolitain propre à Bordeaux, le concept de circuit court tend à se complexifier davantage aujourd’hui. Alors qu’initialement il avait pour but d’être un système simple de commercialisation entre producteurs et consommateurs, il est aujourd’hui devenu un système stratifié dont les enjeux, les objectifs et les valeurs sont de plus en plus difficiles à saisir. L’étude des différentes modalités de commercialisation propres aux cas étudiés peut nous donner des indices pour comprendre à quoi tendent ces modes de commercialisation et comment ils influencent les modes de productions actuels. 2.2 La sur-médiatisation des circuits courts : retour vers une intensification de la petite agriculture ?

Les circuits courts connaissent actuellement, comme nous l’avons vu dans la première

partie, une évolution rapide. En effet, la diversification des modes de distribution, ainsi que la médiatisation de sujets tels que « manger sain » et « manger bio », ont rendus les circuits courts plus accessibles spatialement et économiquement et par conséquent, plus « populaires » (répandus parmi le peuple) en les encrant dans le vocabulaire collectif des consommateurs. De nos jours, les circuits courts sont particulièrement populaires dans les milieux urbains notamment dans les grandes agglomérations. La métropole de Bordeaux semble être en effet un catalyseur important de circuits courts [img. 20] contribuant, dans la sphère agricole ces dernières années, 76 sur 146


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basées sur l’utilisation des technologies d’information et de communication a donné une toute autre dimension à ces circuits de distribution. En effet, la mise en place de nouvelles plateformes numériques, cherchant à optimiser les échanges entre producteurs et consommateurs, a changé la donne en modifiant notamment les enjeux initiaux que préconisait la recomposition des circuits courts jusqu’à alors. Par ailleurs, la mise en place de ces nouveaux outils de communication a permis à la métropole de Bordeaux d’être plus influente vis-à-vis de territoires agricoles de plus en plus lointains, mais a surtout aidé à façonner de nouveaux modes de consommation et de production. Néanmoins, nous pouvons nous demander si ces nouveaux outils assurent une agriculture durable ? De quelle manière ses nouveaux outils peuvent affecter de façon économique, sociale et environnementale les territoires agricoles ?

Le circuit court est la commercialisation de produits agricoles, soit en vente directe du producteur au consommateur, soit en vente indirecte avec au maximum un seul intermédiaire. Ce système de distribution garantit une offre variée et de qualité, pour tous et à faible coût. Transport réduit, saisonnalité respectée, emballages limités : ces produits sont conformes aux exigences du développement durable.

L’agriculture sur Bordeaux Métropole > 6 000 hectares de surfaces agricoles > 176 exploitations agricoles recensées* > + de 1 000 emplois générés** > Une diversité de savoir-faire : viticulteurs, maraîchers, éleveurs et producteurs de céréales, quelques apiculteurs, arboriculteurs et horticulteurs... mais aussi de modes de production : conventionnelle, raisonnée, biologique.

Pourquoi consommer des produits de saison ? Une production respectueuse de l’environnement ne peut négliger l’importance de la saisonnalité.

Ambès

13

* source Chambre d’Agriculture de la Gironde, 2012 ** estimation réalisée à partir des données Agreste et comprenant les emplois permanents et saisonniers

En effet, les aliments produits localement mais « hors saison » peuvent s’avérer plus néfastes et rejeter plus de gaz à effet de serre que des produits importés de pays où ils sont cultivés en plein air, même en incluant le transport.

SaintVincentde-Paul

12

Les exploitations, de petites tailles, sont d’ailleurs généralement inscrites dans des logiques peu intensives, permettant de diminuer (voire de supprimer) l’usage d’engrais et autres produits non naturels.

Saint-LouisdeMontferrand

9

Parempuyre

En limitant les intermédiaires, la commercialisation en circuit court favorise de plus le développement local et le lien social dans le respect de tous les acteurs.

5

15

14

6

1

15

Saint-Aubin de Médoc Ambarèset-Lagrave 4

Les modes de vente directe

Blanquefort

5

Le Taillan-Médoc

> la vente sur site ou vente à la ferme se déroule directement chez les producteurs.

1 2

1

Tram-Train du Médoc

3

2 2 11

Saint-Médard-en-Jalles

6

7

10 1

8 5

3

3

Eysines

Bruges

12 13

> les marchés fermiers sont organisés ponctuellement chez un producteur local qui accueille sur son site d’autres producteurs afin de proposer une large gamme de produits :

14

3

4

9

Le Haillan

Lormont

2

8

Le Bouscat

- Chez Pierre Gratadour au Haillan - Couveuse agricole SAS graine de Blanquefort - GAEC Moulon à Ambès

Artigues-prèsBordeaux

Martignas-sur-Jalle

> les Marchés de Producteurs de Pays proposent produits locaux de saison, dégustations ou restauration « maison ». À retrouver en mai et septembre à Bouliac et en juin à Eysines. www.marches-producteurs.com

Cenon Bordeaux Mérignac

> La Ruche qui dit Oui !, union de consommateurs pour acheter directement aux producteurs de votre région : www.laruchequiditoui.fr > le Drive Fermier, porté par la Chambre d’agriculture de Gironde, permet de commander en ligne des paniers à récupérer à Bordeaux, Eysines, Gradignan et Lormont. www.drive-fermier.fr/33 > d’autres modalités de vente directe et locale existent sur la Métropole : - Paysans et Consommateurs Associés, paniers et produits bio distribués chaque mercredi au cinéma Utopia à Bordeaux : pca.nursit.com/pca-mode-d-emploi - La Compagnie Fermière, magasin collectif de producteurs locaux, basé à Gradignan : www.lacompagniefermiere.fr - Le Panier fraîcheur maraîcher à Eysines, coopérative agricole : lepanierfraicheurmaraicher.fr - Coop Paysanne, magasin collectif de producteurs locaux associés, ouvert du mardi au samedi, proposant produits bio aquitains ou label économie sociale et solidaire, basé à Lormont et à Cenon : www.cooppaysanne.fr - Supercoop, association proposant en ligne des produits bio de producteurs locaux, livraison le jeudi soir, tous les 15 jours à Bègles : www.supercoop.fr

CarbonBlanc

Bassens

> plus de trente Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) présentes sur la Métropole proposent de signer un contrat directement avec des agriculteurs et de bénéficier chaque semaine de paniers composés de nombreux produits (légumes, pain, miel, viande…) Retrouvez toutes les adresses et jours de distribution sur : www.amap-aquitaine.org

Floirac 7

Légende

1

8

6 4

Bouliac

zones naturelles zones agricoles

10

7

Talence

Pessac

Bègles

maraîchers apiculteur

11

Gradignan

éleveurs

9 16

horticulteurs

Villenave-d'Ornon

viticulteurs AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne)

- Les P’tits cageots, distribution de paniers bio sur la Métropole : www.lesptitscageots.fr

La Ruche qui dit Oui !

- Tous les marchés communaux ; guide à télécharger sur : www.marchesdegironde.com

Drive fermier

4

Conception graphique / Cartographie : LE BIG, direction de la communication de Bordeaux Métropole - juin 2016 - Informations sous réserve de modifications

e et

au renouveau de l’activité paysanne. Toutefois, l’arrivée depuis peu de nouvelles plateformes

Retrouvez la carte dans sa version interactive sur : www.bordeaux-metropole.fr/manger-local

Autres modalités de vente Tramway

img 20 .> La Métropole de Bordeaux et ses circuits courts

(Source : Bordeaux Métropole, http://www.bordeaux-metropole.fr/Vivrehabiter/Connaitre-son-environnement/Manger-local-manger-durable)

77 sur 146


A) D’un militantisme engagé à une approche pragmatique des circuits courts

Le retour en force des circuits courts s’est fait en France dans les années 2000

principalement par la mise en place, en 2001, du réseau d’Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, mieux connu sous le nom d’Amap. Toutefois, il est nécessaire de rappeler qu’un tel retour en force peut principalement être du à l’émergence, à la même époque, de plusieurs scandales sanitaires qui ont conduit à une forme de méfiance de la part des consommateurs vis-àvis du modèle agro-industriel. En effet, ces différents scandales sanitaires ont permis de mettre en relief toute la complexité et la nébulosité des circuits commerciaux alimentaires ainsi que tous les impacts socio-économiques et environnementaux que ceux derniers ont pu provoqué dans le monde agricole jusqu’à aujourd’hui. Si la contestation du modèle agro-industriel, avec ses répercutions sur la qualité de la nourriture, sur l’environnement et sur la situation sociale des agriculteurs, est restée tout de même marginale en France jusqu’à cette époque74, les Amap restent sans doute le premier mouvement dans ce début de siècle à avoir contesté de façon concrète le fonctionnement de ce modèle. Le concept des Amap s’est fortement inspiré d’un mouvement qui est né dans les années 1960 au Japon : le « teikei » qui se constitue comme un projet alimentaire et social alternatif qui engage de manière réciproque des producteurs et des consommateurs à respecter des principes généraux d’ordre économique, social et environnemental75. Le concept de base est assez simple, les Amap sont des structures commerciales et solidaires indépendantes du modèle agricole dit conventionnel. Elles reposent sur un compromis de vente directe où les consommateurs, adhérant à ce mouvement, s’engagent à acheter à l’avance des paniers hebdomadaires (pouvant contenir une diversité de produits d’origine végétale et animale) auprès d’un producteur qui pour sa part, s’engage à pratiquer une agriculture biologique et respectueuse de l’environnement. La rémunération des producteurs est ici un facteur prédominant car elle conditionne avant tout les modes de productions tout en lui garantissant, une sécurité financière pendant la durée de l’engagement contractuel qu’il a passé avec le consommateur (d’une durée minimum de 6 mois généralement). En effet, l’achat du panier à l’avance permet de couvrir d’éventuels problèmes rencontrés lors de la production liés entre autres aux aléas météorologique ou à des attaques d’insectes ravageurs. De plus, ce critère d’engagement financier peut s’avérer très utile pour les nouvelles installations car il apporte une garantie au moment de passer des contrats avec des banques et permet de financer les outils et les semences nécessaires 74  PHILIPON, op. cit., p.25 75  Charte des Amap, consulté le 25 décembre 2017, [en ligne, format PDF] 78 sur 146


à la production76. Toutefois, il faut noter que l’intérêt d’un tel système est avant tout de garantir une forme d’alliance entre producteurs et consommateurs qui se fonde sur la confiance et la solidarité. Ainsi, le consommateur doit accepter des périodes dites creuses durant lesquelles les paniers qu’il reçoit seront peu fournis, le producteur conscient de cette solidarité, sera plus soucieux et généreux au moment de constituer les panier dans les périodes dites d’abondance. Ce fait est en effet très intéressant puisqu’il montre la subjectivité que peut avoir le prix des denrées alimentaires : « aucun produit ne possède une valeur intrinsèque, un prix d’échange indépendant des circonstances.»77 Le concept des Amap qui se base sur le co-partenariat entre producteurs et consommateurs semble tout de même trouver des limites dans la perspective actuelle. En effet, malgré les différentes valeurs qui se promeuvent au travers de ce réseau, certains des principes caractérisant les Amap sont perçus comme étant trop rigides. Ceci se traduit notamment, ces dernières années, par une diminution du nombre de nouveaux adhérents qu’ils soient producteurs ou consommateurs78. En effet, la principale raison qui fait hésiter de plus en plus ces acteurs est, paradoxalement, le temps qu’ils doivent consacrer de manière obligatoire à la transaction des produits. Ce temps qui est avant tout, dans la charte des Amap, un temps de socialisation et d’éducation populaire, impose en effet à ses adhérant la libération d’un créneau hebdomadaire consacré à un échange entre producteurs et consommateurs. Ainsi, pour l’agriculteur, qui généralement fait partie de plusieurs Amap en même temps (afin d’élargir son débouché), doit consacrer un temps important à la distribution et à la médiation, temps qui ne pourra plus être consacré à la production. Par ailleurs, pour les consommateurs, au delà du facteur temps, s’ajoutent d’autres facteurs qui les rendent réticents à avoir recours à ce type de circuit comme la périodicité, le prix et le contenu du panier qui n’est pas choisi.

« On parle beaucoup des producteurs mais il y a aussi et on peut parfaitement le comprendre le côté consommateurs de cette fameuse lassitude que l’on entend sur le panier, on peut la comprendre. Aussi la contrainte d’avoir un panier toutes les semaines, si tu pars en vacances, qu’est-ce que tu fais de ton panier ? Ou si cette semaine tu n’as pas le temps de cuisiner, qu’est-ce que tu fais avec tes légumes? » Elsa Payton en parlant des Amap79

76  Voir annexe p. 116 77  PHILIPON, op. cit., p.88 78  Ibid., p.66 79  Voir annexe p. 117 79 sur 146


Si bien les Amap représentent aujourd’hui un réseau emblématique de la recomposition des circuits courts en France, elle deviennent de moins en moins prépondérantes dans les choix des personnes achetant en circuits courts dû notamment au manque de flexibilité dans ses démarches. De ce fait, c’est en partie en réponse à ces préoccupations pratiques que sont apparues de nouvelles formes de médiation.

Ces dernières années, avec la démocratisation des technologies d’information et de

communication (TIC) en France, des nouveaux modèles de circuits courts qui répondent à une nouvelle manière de concevoir la vente directe, ont vu le jour. En effet, la multiplication des circuits de commercialisation courts, s’aidant de l’outil numérique comme support de communication et de coordination, est apparue en professant des échanges plus flexibles entre consommateur et producteur. De ce fait, dans le cadre de ce mémoire nous nous sommes intéressé à trois plateformes numériques de circuits courts différentes qui se déploient à l’échelle nationale : « La Ruche qui dit Oui ! », « les Drives Fermiers » et « Monpotager.com ». Toutefois, il est nécessaire de préciser que ces trois cas étudiés, sont loin d’être les seuls dans le marché alimentaire actuel. Il s’agit avant tout d’analyser les réseaux de commercialisation propres aux exploitations auxquelles nous nous sommes intéressés au préalable. - « La Ruche qui dit Oui ! »80 est probablement la plateforme de référence quand on parle de circuits courts et de la vente en ligne. Son succès est sans doute dû au mode opératoire mis en place par la société mère qui a permit à cette enseigne de connaitre une grande expansion sur le territoire national (on compte aujourd’hui environs 1 000 ruches en France, une quarantaine en Gironde dont 22 dans la métropole de Bordeaux) [img. 21]. En effet, fondée en 2010 par la société Equanum, la Ruche est une franchise qui se développe sous la forme d’une entreprise commerciale, c’est-à-dire que la mise en place d’une Ruche dépend de la collaboration entre Equanum et des micro-entrepreneurs81. Le principe de base d’une Ruche est d’être avant tout une structure locale de quartier qui propose à ses adhérents un modèle de circuit court hybride car il s’agit d’un système qui combine la souplesse de la commande en ligne (choix des produits au détail depuis le confort de sa maison) et le lien direct avec le producteur au moment du retrait des marchandises. Le micro-entrepreneur appelé responsable de Ruche est le médiateur entre les consommateurs et les producteurs. En effet, c’est lui qui est responsable d’aller chercher les producteurs et les consommateurs [img. 22] mais aussi et surtout c’est lui qui est responsable 80  La Ruche qui dit Oui !, [site web], consulté le 26 décembre 2017 81  Voir annexe p. 136 80 sur 146


de chercher et de mettre à disposition un espace apte à la distribution. Un des avantages de ce système est pour le consommateur de commander en détail ses produits fermiers à la différence des Amap où il ne peut pas choisir. C’est aussi un système qui ne demande aucun engagement, encore une fois à la différence des Amap qui demandent un engagement minimum de six mois. D’autre part, le système de pré-commande proposé par la Ruche représente aussi un avantage pour le producteur qui peut récolter la quantité exacte de produits demandée au préalable par le consommateur évitant ainsi d’éventuels gaspillages.

img 21 .> La Ruche qui dit Oui ! , Gironde

(Source : La Ruche qui dit Oui !, https://laruchequiditoui.fr/fr)

img 22 .> Organigramme standard, La Ruche qui dit Oui !

(Réalisation Personnelle, source : http://actualutte.com/lembuche-dit/)

81 sur 146


- Les « Drives Fermiers »82 sont apparus comme nous l’avons dit auparavant, à l’initiative de la Chambre d’Agriculture de la Gironde en 2012 [img. 23]. Le principe, qui est plus ou moins similaire à celui de la Ruche, est de donner accès aux citoyens à des produits fermiers qui sont produits localement. Ainsi, le producteur met en ligne ce qu’il a à vendre et le client, en se connectant sur le site, peut remplir son panier et pourra aller le chercher quelques jours plus tard à des points relais. Nous pourrions dire que le système mis en place par les Drives Fermiers est hybride, car il demande d’une part la pré-commande de produits sur internet et d’autre part le déplacement pour aller les chercher. Néanmoins, le rapport producteur / consommateur n’est pas exactement le même que celui avancé par les Ruches, car le système établi par les Drives fait qu’il y ait une mutualisation de la main d’oeuvre (par rotation) dans la distribution afin de rentabiliser et optimiser le temps de chaque producteur.

img 23 .> Drives Fermiers de Gironde

(Source Drive Fermier Gironde : http://www.drive-fermier.fr/33/)

- « Monpotager.com »83, créé en 2013 par Thierry Desfoges (agriculteur), est comme les deux autres plateformes présentées précédemment, un réseau qui facilite la vente de denrées alimentaires (produites localement) en circuit court. Initialement développé pour L’Ile de France et la métropole de Lyon, le système se déploie depuis 2017 sur la métropole de Bordeaux [img. 24].

Le fonctionnement et la démarche mis en place par ce système s’avèrent être tout de même

assez particuliers et originaux. En effet, la plateforme agit comme une forme d’interface ludique qui pourrait être assimilée à celle d’un jeu video contemporain. Le principe est le suivant : le consommateur loue virtuellement une parcelle qui peut aller de 15 m² à 150 m² sur laquelle il peut « cultiver » différents fruits et des légumes de saison [img. 25]. Ces fruits et légumes 82  Les Drives Fermiers, [site web], consulté le 26 décembre 2017 83  Monpotager.com, [site web], consulté le 26 décembre 2017 82 sur 146


sont par la suite cultivés et récoltés de manière réelle par un producteur local qui restitue aux consommateurs les produits une fois arrivés à maturité [img. 26]. Ce système qui fonctionne par un abonnement d’un an minimum, se différencie tout de même des Amap par leur flexibilité. En effet, d’une part le consommateur peut choisir le moment et l’endroit (s’il a opté pour la livraison à domicile) pour récupérer ses produits [img. 27], et d’autre part ce dernier, au travers d’un espace virtuel de troc mis à disposition par la plateforme, peut vendre et échanger les produits qu’il a en trop afin d’optimiser et de ne pas gaspiller ses fruits et légumes.

img 24 .> Monpotager.com en France

(Source : https://www.monpotager.com)

img 25 .> Une plateforme intéractive

(Source : https://www.monpotager.com)

83 sur 146


img 26 .>

(Source : https://www.monpotager.com)

img 27.>

(Source : https://www.monpotager.com)

B) Les circuits courts une alternative véritablement durable ?

Comme il a été dit auparavant, les circuits courts ou tout au moins leur renouveau, ont

ressurgi en France en ce début de siècle par la convergence de différentes inquiétudes concernant le modèle agro-alimentaire réunissant producteurs et consommateurs sur un même plan d’action. Le modèle d’action le plus emblématique est sans doute le réseau des Amap qui a su trouver un équilibre entre les besoins des producteurs et des consommateurs tout en préconisant des valeurs sociales, économiques et environnementales. Néanmoins, l’ensemble des initiatives, se basant sur les plateformes numériques que nous avons présenté, a montré que les attentes des consommateurs et même celles des producteurs ont évoluées. En effet, des questions telles que l’accessibilité, l’emploi du temps, l’information et la rentabilité économique des produits sont désormais des facteurs importants —ce qui explique probablement la multiplication d’initiatives et de démarches autour de la question des circuits courts aujourd’hui—. Par ailleurs, l’objectif principal des circuits courts, à savoir celui de rapprocher les producteurs et consommateurs dans une optique de confiance et de solidarité, semble avoir été repris par ces différentes plateformes numériques mais se voit réinterprété, comme nous avons pu le voir, de différentes manières (par des échanges hybrides, par des échanges purement virtuels). Ces démarches numériques se 84 sur 146


présentent alors comme des alternatives aux circuits courts traditionnels, par la mise en place d’une médiation qui permet d’optimiser et de rentabiliser les échanges entre consommateur et producteur. L’engouement du recours aux circuits courts ces dernières années semble ainsi s’expliquer en partie par le déploiement des plateformes numériques sur le marché qui ont permis d’avoir une meilleure vision des circuits courts ainsi qu’un accès facilité. Néanmoins, malgré l’essor que connaissent aujourd’hui les circuits courts, nous pouvons nous demander si ces nouveaux modèles déploient pour autant des modes opératoires (sociaux, économiques et environnementaux) durables ? C’est en tout cas ce que mettent en avant la plupart des plateformes dans leur démarche [img. 28]. Toutefois, comme nous pourrons le constater au travers des différents cas étudiés, la réalité peut s’avérer dans certains cas, très éloignée de l’image projetée.

img 27.> Page d’accueil La Ruche qui dit Oui !

(Source : https://laruchequiditoui.fr/fr)

Tout d’abord, sur le plan économique, ces plateformes font très souvent l’objet de

réticences vis-à-vis de certains agriculteurs. Les Ruches, structures privées, prélèvent par exemple 16,7 % des ventes réalisées par les producteurs qui sont ensuite réparties à parts égales entre le responsable de la Ruche et Equanum (la maison mère) [img. 29]. Ainsi, ce pourcentage, représentant au final une somme non négligeable, remet en question le statut de circuit court que les Ruches s’auto-attribuent, puisque d’une part, il est reparti entre deux intermédiaires et d’autre part, il n’est pas très éloigné du pourcentage prélevé par certaines grandes surfaces (environ 20 %). « Dans les ruches, il y en a qui font ça pour gagner du pognon. Moi à un moment donné je ne peux pas tout le temps donner de ma marge »84 confie François. La stratégie commerciale mise en place par les Ruches est par ailleurs douteuse, puisqu’elle se rapproche de plus en plus des stratégies marketing mise en place par certaines enseignes qui sont connues pour 84  Voir annexe p. 136 85 sur 146


inciter à la consommation de masse [img. 30], ce qui est contraire à leur discours qui est celui de « rémunérer justement les agriculteurs »85. D’autre part, les Drives Fermiers, qui ont été conçus par une structure publique (La Chambre d’Agriculture), prélèvent eux aussi un pourcentage non négligeable d’environ 15 % sur les ventes réalisées par les producteurs. Cet élément montre qu’au final les initiatives publiques ne sont pas si différentes du modèle économique mis en place par des organismes privés comme les Ruches.

: https://www.egaliteetreconciliation.fr/La-Ruche-qui-dit-Oui-de-la-communication-a-laimg 29.> (Source realite-28574.html)

85  La Ruche qui dit Oui !, op. cit., [site web]

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img 30.> « 5 euros offerts » prospectus de la Ruche des Chartrons 87 sur 146


D’autre part, sur le plan social, le lien consommateur - producteur, souvent mis en avant par ces structures numériques ne fait pas non plus l’unanimité chez ses usagers. Si nous parlons par exemple du moment du retrait des marchandises dans les différents points relais, qui est donc le moment « concret » dans le rapport consommateur - producteur, il peut s’avérer très ambivalent. En effet, comme Elsa et Gérald nous l’ont confié, une grand partie de ce lien dépend du cadre dans lequel s’établi l’échange : « A Langon c’est sur le parking d’une surface commerciale, c’est mal foutu. »86 nous dit Gérald en parlant de la ruche de Langon, et pas très éloigné de ce cadre là, les Drives se rapprochent plus d’un « supermarché low cost »87 comme nous le décrit Elsa. Bien évidemment, l’idée n’est pas de généraliser ces illustrations, par ce qu’il y a bien des exceptions où les responsables s’engagent de manière plus sérieuse à entretenir de tels rapports, en proposant des espaces plus accueillants —certains vont même mettre à disposition leur propre maison— mais ces dérives existent tout de même et de manière significative. Par ailleurs, mise à part le cadre de ces moments d’échange, l’assiduité des adhérents et notamment des producteurs à ces moments là est importante faute de quoi l’échange se résume à une simple transaction des marchandises. Pour le cas des Ruches, le lien producteur - consommateur s’illustre sur leur site internet par l’annonce : « Venez rencontrer les producteurs »88. Toutefois, une grande partie des agriculteurs ne suit pas cette démarche comme le décrivent Elsa et Gérald : « On fait l’effort d’être présents. Il y a des producteurs qui s’en fichent, qui posent leurs paniers et qui s’en vont mais nous on est attaché à ce lien social »89. Dans les Ruches, le lien social comme valeur ajoutée dépend alors majoritairement des gens qui l’entretiennent, mais aussi des producteurs qui s’investissent. Pour le cas des Drives, la présence des agriculteurs est d’emblée incertaine, surtout pour ceux de Gironde qui se trouvent regroupés sous une même et seule plateforme afin d’agrandir l’offre et mutualiser d’avantage les démarches de transaction des marchandises :

« Chaque producteur est amené à participer à une distribution, moi j’essaye de me caler sur une fois par mois. Tu peux faire où tu veux ta distribution, il y a quatre points relais, moi en l’occurrence j’ai participé déjà à une distribution à Eysines où je suis restée toute la journée, le temps que les gens viennent chercher leurs commandes mais du coup pas que les miennes, il doit y avoir un panel de 50 producteurs donc ils viennent chercher leur panier global. »

Elsa Payton en parlant des Drives Fermiers de Gironde90 86  Voir annexe p. 123 87  Voir annexe p. 123 88  La Ruche qui dit Oui !, op. cit., [site web] 89  Voir annexe p. 122 90  Voir annexe p. 122 88 sur 146


Enfin, pour le cas de la plateforme monpotager.com, la rencontre entre producteur et consommateur est complètement inexistante. En effet, le consommateur ne voit jamais le producteur tout simplement parce que celui-ci ne s’occupe pas de la partie distribution comme nous le raconte Philippe Lacou, agriculteur et chef de l’exploitation de Saint Jean d’Illac. Il y a une personne chargée par monpotager.com qui s’occupe de collecter les produits chez les différents producteurs pour ensuite les transmettre à une plateforme de livraison collaborative qui s’occupe d’expédier les marchandises aux acheteurs. Le lien social, qui est un élément important dans les circuits courts —puisqu’il s’agit d’un moyen de responsabiliser le consommateur91 sur la réalité des cultures, des saisons et sur les réalités sociales de la pratique agricole mais également pour l’agriculteur de connaitre le client, ses attentes et ses goûts— ne semble pas, par conséquent, être assuré de manière concrète au travers de ces structures numériques, notamment sur les deux derniers exemples. De ce fait, afin de garantir ce lien social, les deux derniers exemples précités semblent avoir repensé leur outil numérique afin de faciliter, outre le choix et l’achat des produits, une interaction virtuelle entre producteurs et consommateurs. La communication et la mise à disposition d’une base de données est sans aucun doute, le principal avantage de ces plateformes numériques. C’est un bon moyen de transmettre des informations mais aussi de sauvegarder des informations. Par exemple sur les Drives, les producteurs peuvent constituer des fiches pour chaque produit afin d’expliquer les contraintes et les difficultés pour cultiver une espèce en particulier. Ils peuvent aussi transmettre des recettes pour apprendre à cuisiner certaines variétés anciennes de légumes par exemple. Par ailleurs, même si les consommateurs ne peuvent pas communiquer directement avec les producteurs, la plateforme des Drives de Gironde met à disposition une base de données sur les modes de consommation (appelé le panier général des consommateurs) qui donne une idée sur les préférences et les goûts des consommateurs qui sont répertoriés par la commune dans laquelle ils habitent. D’autre part, monpotager.com, tient un discours semblable : la plateforme, qui est très interactive pour le consommateur, indique que le producteur envoi des notifications, des photos entre autres, sur l’état des fruits et des légumes qui sont en cours de production. Toutefois la réalité est, comme le précise Philippe, que les producteurs ne gèrent absolument pas leur site comme c’est le cas pour les ruches ou les drives par exemple, ce sont les responsables qui s’occupent de la gestion de leur réseau. En effet, mise à part la production des fruits et les légumes, Philippe ne gère rien, ne communique pas avec les consommateurs et n’a pas d’accès aux informations des consommateurs ce qui nous montre le manque de transparence que 91  Voir annexe p. 119 89 sur 146


peuvent avoir certaines plateformes. Par ailleurs, la plateforme qui demande au consommateur de s’engager sur un cycle de récolte d’un an minimum avec les producteurs locaux —apparemment afin d’assurer la création de sa parcelle et l’achat de semences et de coccinelles protectrices— n’a pas vraiment d’intérêt puisque, comme nous l’a expliqué Philippe, le producteur ne réserve pas une parcelle de 10 mètres carrés pour faire pousser pour quelqu’un « trois salades et dix radis »92. De plus, les commandes se font de façon hebdomadaire et selon la disponibilité de tel ou tel produit. En effet, Philippe propose chaque semaine les produits qu’il a et les responsables lui envoient une liste des produits dont ils ont besoin. Donc toute l’histoire qui est « vendue » au consommateur, de pouvoir suivre l’évolution et la croissance des légumes et des fruits au travers des photos, des publications ne reflète pas la réalité. C’est peut-être un bon moyen de maintenir les consommateurs au travers d’une interface interactive mais ce n’est pas une mesure transparente basée sur la confiance comme devrait l’être un circuit court. Finalement, sur le plan environnemental, l’essor des plateformes numériques peut parfois créer des déviances. Comme nous l’avons dit auparavant, pour mener à bien leurs enjeux économiques, sociaux et environnementaux, les plateformes dépendent avant tout des personnes qui les animent. Or, il est vrai que dans certains cas, ces personnes ne partagent pas vraiment ces intérêts et animent des circuits pour des intérêts plus personnels. Ainsi, par exemple certains responsables de Ruches vont faire appel à de gros producteurs qui pratiquent une forme d’agriculture conventionnelle afin de vendre un peu moins cher les produits en espérant attirer encore plus d’adhérents et pouvoir faire finalement, plus de profit. « C’est l’appât du gain »93 nous explique Elsa. Cette démarche va donc à l’encontre de toutes les valeurs et principes prônés par les circuits courts car d’une part, elle remet en question la transparence vis-à-vis des consommateurs qui, en passant par des circuits alternatifs pensent acheter des produits plus sains et de meilleure qualité et d’autre part, elle remet en question le mouvement de transition vers un modèle éco-responsable en favorisant, au détriment des petits paysans, les gros « industriels qui au lieu de vendre à 40 centimes à un supermarché, vendent à deux euros à des clients en direct »94. Ces déviances semblent reposer sur le fait qu’il y ait des intervenants sur ce type de circuit. Malgré le fait que dans la définition officielle, établie par le Ministère de l’agriculture, il est écrit que les circuits courts peuvent s’établir de manière indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intervenant, les déviances dans l’emploi des plateformes numériques semblent être le résultat de cette définition. Toutefois, 92  Voir annexe p. 153 93  Voir annexe p. 126 94  Voir annexe p. 125 90 sur 146


nous avons pu constater au travers des différents témoignages, que des déviances peuvent aussi provenir dans certain cas, notamment dans le contexte métropolitain actuel, des agriculteurs eux-mêmes. Afin de comprendre de telles déviances, il est nécessaire de contextualiser le rapport entre les circuits courts et le rayonnement métropolitain de Bordeaux. La métropole de Bordeaux, grand bassin de population à l’échelle nationale, attire de plus en plus ces dernières années des petits producteurs par l’accroissement de la demande dans le marché de produits agricoles cultivés de manière raisonnable. En effet, le rayonnement métropolitain de Bordeaux a influencé le développement de « centralités secondaires »95 à proximité comme c’est le cas de Sain Jean d’Illac mais aussi, et ce depuis quelques années, des centralités de plus en plus lointaines comme Langon ou Cudos. Ce facteur démographique mais aussi économique a incité de nouveaux paysans à s’installer à proximité de Bordeaux comme ce fut le cas pour Elsa et Gérald : « On n’aurait pas pu faire ça en Dordogne car il y a peu de gros bassins de populations et ces gros bassins de populations sont du coup déjà bien pourvus en producteurs »96. Mais, cela a également incité des producteurs déjà installés dans d’autres départements à venir commercialiser leur produits à Bordeaux comme nous l’a confié François « L’autre maraîcher qui habite en Charentes […] le vit très bien, même quand il n’y a pas grand nombre dans le marché à Bordeaux »97. Par ailleurs, le déploiement ces dernières années, de plateformes numériques axées sur les circuits courts, a permit aux producteurs de gagner encore plus de visibilité à l’échelle du département. La concordance entre ces deux facteurs (le rayonnement métropolitain de Bordeaux et le déploiement de divers réseaux numériques de circuits courts) se traduit ainsi par un foisonnement dans la demande comme nous l’indique Philippe : « Avec les ruches j’écoule tout et même je manque de produits »98 et Elsa : « le drive fermier de Bordeaux est le hamac de notre ferme parce que ça couvre un volume de clientèle tellement énorme que vu notre échelle de production on peut tout mettre, tout sera pris »99. L’essor des circuits courts dans le contexte métropolitain de Bordeaux permet en ce sens de faire vivre davantage les petits producteurs aujourd’hui. Cependant, comme nous l’a souligné Elsa, ce grand développement des circuits courts peut s’accompagner parfois de dérives chez les producteurs, l’appât du gain motivant leurs actions. En effet, le producteur en constatant une telle hausse dans la demande serait tenté de diversifier sa pratique afin d’avoir une marge plus grande. Par exemple des producteurs qui font de l’achat revente afin de diversifier leur offre pour fidéliser leurs consommateurs et se 95  ELISSALDE, Bernard, « Métropolisation », Hypergeo, consulté le 9 décembre 2017, [en ligne] 96  Voir annexe p. 132 97  Voir annexe p. 141 98  Voir annexe p. 151 99  Voir annexe p. 118 91 sur 146


faire plus de profit. Elsa nous raconte que même dans les Drives il y a des producteurs qui font plus de l’achat chez des grossistes pour les revendre sur les plateformes. Mise à part la question de la transparence de ces circuits et les questions environnementales qui en découlent du fait de la commercialisation et du soutien aux « grands industriels », cet appât du gain peut mener certains petits producteurs à modifier complètement leurs modes de productions et à s’éloigner par conséquent des pratiques paysannes. C’est en tout cas ce qui a, à un moment donné, traversé l’esprit d’Elsa et de Gérald : « Tu te dis mais c’est vrai que je peux vendre tellement de légumes, donc en fait il faudrait que je produise encore plus. […] Après il faut faire redescendre la cocotte et se dire quels étaient mes objectifs avant? qu’est-ce que ça va impliquer si je veux vendre plus au drive? alors il va falloir que je change complètement mon processus, il va falloir que je me mette à faire du tracteur car pour faire plus je ne peux pas tout faire à la main. Donc là, remise en question, mes objectifs, est-ce que vendre plus je reste dans mes objectifs? Non, donc nous on garde nos objectifs, notre éthique, j’ai re diminué, c’est moi qui décide combien je vends et il me faut juste tant et je n’ai pas cherché à faire plus même si je peux faire plus. »

En parlant des Drives Elsa et Gérald100

Comme nous l’avons vu, l’outil numérique en médiatisant les circuits courts peut mener

très souvent à des déviances. Néanmoins, pouvons-nous dire pour autant que l’outil numérique est mauvais pour le développement durable de la pratique agricole ? Les plateformes numériques donnent avant tout une visibilité des petits producteurs qui ne sont pas vraiment représentés dans la sphère agro-alimentaire aujourd’hui. C’est d’ailleurs cette visibilité qui permet à un bon nombre de petits agriculteurs de survivre et de voir leur travail mis en valeur. Par ailleurs, la vie des agriculteurs est très complexe surtout pour les petits où l’utilisation de machinerie est très rare, les plateformes numériques sont donc un moyen d’aider et de soulager les charges particulièrement chronophages propres aux circuits courts qui sont celles de distribuer et de commercialiser les produits : « La vente directe on dit que c’est bien mais c’est tout un métier »101. Il est certain, que la sur-médiatisation des circuits courts au travers des plateformes numériques peut amener aujourd’hui à des dérives. En effet le poids économique de ces circuits est devenu si important que médiateurs comme producteurs peuvent parfois perdre de vue les objectifs 100  Voir annexe p. 126 101  Voir annexe p. 124 92 sur 146


et les valeurs premières propres à l’idéologie des circuits courts. En ce sens, nous pouvons supposer qu’au final, le média en lui même n’est ni bon, ni mauvais, c’est la façon dont les acteurs l’utilisent qui va faire que les conséquences soient elles bonnes au mauvaises. « C’est pas l’outil qui va faire qu’on va devenir éthique dans nos comportements, c’est l’éthique de nos comportements qui fera que l’outil sera utilisée de façon éthique ou pas. »102

102  Voir annexe p. 126 93 sur 146


Conclusion - Les implications des circuits courts dans les territoires ruraux « métropolisés » Vers une « re-territorialisation » du système alimentaire à l’échelle locale

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A) La gouvernance partagée comme facteur de développement durable à l’échelle locale.

La métropolisation comme processus de transformation généralisée du territoire s’opère

au travers du renforcement de polarités économiques et démographiques d’une part, et de la fluidification des réseaux de circulation d’une autre103. A ce titre, le concept de métropolisation est souvent appréhendé de façon négative dans le débat public actuel car la description qui lui est attribuée sous-entend la domination inéluctable des villes sur les campagnes. Il est sans doute vrai que les grands mouvements démographiques —qui se sont intensifiés dès les années 1970— vers les grandes agglomérations urbaines ont scandé cette image en créant des impacts socio-économiques et environnementaux divers au sein des territoires ruraux. Des impacts qui, comme nous l’avons vu, se sont traduits par une forme de déterritorialisation des pratiques et des activités agricoles locales. Néanmoins, en observant plus en détail, nous avons pu noter que l’origine de tels impacts était avant tout liée aux politiques néolibérales mises en place largement dans le monde occidental depuis la Seconde Guerre Mondiale. Nous avons pu constater en effet, comment ces politiques, en submergeant le territoire dans un modèle concurrentiel à l’échelle mondiale, fragmentaient et hiérarchisaient le modèle agricole tout en attisant le débat qui oppose le monde urbain au monde rural actuellement. Toutefois, nous avons vu de façon parallèle, que la recomposition des circuits courts, propulsée en ce début de siècle par des consommateurs désireux et soucieux de se reapproprier leur alimentation, semble avoir inversé ce rapport conflictuel entre l’urbain et le rural en structurant, au contraire, des nouvelles synergies entre ces deux entités. En effet, les circuits courts, en définissant de nouveaux réseaux civiques solidaires territorialisés104 entre producteurs et consommateurs, construisent de nouveaux rapports de réciprocité entre le monde urbain et le monde rural. La recomposition des circuits courts suppose ainsi la recomposition d’une interdépendance solidaire entre consommateurs et producteurs qui peut se lire à l’échelle territoriale par des rapports socioéconomiques et environnementaux plus équilibrés entre ville et campagne. Dans une perspective équitable, cette cohabitation entre le monde rural et le monde urbain, introduit ainsi la notion « d’équité territoriale »105 qui bien qu’elle ne fasse pas référence, à proprement parler, à la notion d’égalité entre territoires, semble définir des rapports plus justes

103  LEROY, Stéphane. Sémantiques de la métropolisation, Espace géographique, tome 29, n°1. Paris, Ed. Belin, 2000, p.78 104  MAGNAGHI, Alberto. La Biorégion Urbaine. Petit traité sur le territoire Bien Commun. Paris, », Ed. Eterotopia, 2014, p.65

105  SERY, Johanna et SAUNIER, Fréderic sous la direction de. Ruralités et métropolisation, à la recherche d’une équité territoriale, Espace Rural & Projet Spatial, Vol.6, Saint-Just-La-Pendue, université de Saint-Etienne, 2016, p.261 95 sur 146


entre ces deux territoires tout en s’éloignant du rapport hiérarchique que ceux-ci partageaient jusqu’à alors. Le terme d’équité territoriale au travers de la re-territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation, permet ainsi d’aborder autrement le processus de métropolisation, qui semble affecter actuellement les territoires ruraux, en proposant une vision plus soucieuse de l’homme et de son territoire. Nous pourrions parler d’une forme d’ « altermétropolisation »106. En dépit du fait que les circuits courts ont permit d’instaurer une vision plus équilibrée dans le rapport entre villes et campagnes, nous avons pu remarquer que c’est avant tout, grâce au processus de métropolisation « conventionnel » que ceux-ci ont pu se développer aussi bien aujourd’hui. En effet, au travers de l’exemple de Bordeaux et de son influence à l’échelle territoriale, le processus de métropolisation, par la concentration des populations et des richesses, a contribué à la construction d’un espace de forte demande en produits fermiers ces dernières années. Par ailleurs, grâce à cette forte demande ainsi qu’à la constitution d’un maillage spatial mieux adapté et plus accessible aux communautés voisines, des nouvelles installations paysannes, intéressées par les circuits courts, ont vu les jours dans des territoires de plus en plus éloignés de la métropole. Néanmoins, ce n’est qu’avec le développement et la généralisation, cette dernière décennie, de plateformes numériques axées sur les circuits courts que la donne a véritablement changé, les circuits courts ne constituant plus un mouvement marginal. En effet, ces outils numériques, en facilitant le travail de médiation, semblent avoir facilité le rapport entre producteurs et consommateurs : ils ont amélioré la visibilité des producteurs sur le marché alimentaire et ils ont facilité des modes d’approvisionnements alternatifs et plus flexibles pour les consommateurs. Toutefois, malgré les avantages de ces outils numériques nous avons pu remarquer que certains facteurs qui leur sont propres peuvent être très souvent une source de déviances morales et éthiques. Nous avons pu noter particulièrement que les plateformes numériques, en établissant une barrière virtuelle et donc en écartant « physiquement » le producteur et le consommateur, peuvent souvent mener à des défaillances dans la transparence et la probité qu’elles affichent auprès des consommateurs. Ces déviances semblent converger vers « l’appât du gain »107 des médiateurs mais aussi des producteurs qui, face au foisonnement qui existe actuellement autour des circuits courts dans les grandes métropoles, oublient les valeurs prônées initialement, à savoir établir un rapport producteur-consommateur durable, basé sur la confiance et la transparence dans les modes de production, de commercialisation et de consommation. Si bien les circuits courts semblent pouvoir concilier en théorie des rapports plus durables 106  Ibid., p.267 107  Voir annexe p. 126 96 sur 146


entre les villes et les campagnes au travers de la re-territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation, ces dernières semblent être vulnérables à d’éventuelles dérives notamment lorsque les démarches mises en œuvre éloignent les producteurs des consommateurs dans le but d’optimiser les échanges. Le manque de lien et de transparence dans les échanges peut souvent conduire à favoriser et à altérer les modes de productions du à un appât du gain de plus en plus présent : intensification de l’agriculture ; recours à des machineries ; des échelles de productions plus importantes etc. Ainsi, ces divers facteurs peuvent mener à mal le développement d’un territoire d’un point de vue durable et par conséquent, remettre en question l’aptitude des circuits courts à valoriser et à impulser une agriculture multifonctionnelle territorialisée. B) La gouvernance partagée comme facteur de développement durable à l’échelle locale

Le concept de proximité, bien qu’il ne fasse pas parti à proprement parler de la définition

officielle des circuits courts établie par le Ministère de l’Agriculture, est tout de même abordé dans le débat public. « Manger local » est souvent le terme employé. Néanmoins, à quoi correspond vraiment ce circuit de proximité ? A-t-il une limite kilométrique ? Différentes structures ont essayé d’attribuer une limite kilométrique, l’ADEME parle d’une limite de 150 km, La Ruche qui dit Oui ! d’une limite de 250 km et les autres structures d’un autre kilométrage. Ces chiffres semblent refléter une donnée plus symbolique que scientifique puisqu’ils ne prennent pas en compte les différentes réalités géographiques propres à chaque territoire —chacun n’ayant pas accès aux mêmes types de produits. Le « local » peut alors différer selon l’échelon et la géographie du territoire. Toutefois, accorder une importance à la proximité pourrait certainement atténuer les dérives qui peuvent se présenter dans les circuits où la démarche mise en œuvre éloigne les producteurs des consommateurs : « On pense que si l’agriculture redevient locale elle peut participer à cette prise de conscience. Donc, pas besoin de lobbys, de trucs que l’on paye pour donner une image à la ferme, c’est de la communication directe, de la confiance. »108

Elsa Payton

108  Voir annexe p. 115 97 sur 146


Bien qu’il soit certain que toute l’offre alimentaire ne pourra pas être garantie en rendant l’agriculture « Hyper-locale », favoriser une certaine proximité géographique semble participer tout de même à l’établissement de meilleurs rapports de confiance entre le producteur et le consommateur. « Ce lien la c’est quand même mieux que quand on passe directement à la caisse et qu’on ne sait pas trop d’où arrivent nos légumes »109 se confie Philippe par rapport à la vente directe dans sa ferme ; du même avis, Elsa nous dit « le consommateur peut venir à la ferme et se faire sa propre idée » 110 Le rapport de proximité semble par conséquent favoriser une certaine transparence dans les modes de productions et donc garantir des rapport socio-économiques et environnementaux durables à l’échelle locale. Toutefois, favoriser un approvisionnement alimentaire local, suppose aussi des investissements temporels et financiers non négligeables pour le producteur. En effet, le travail de médiation, de logistique et de vente —qui jusqu’alors était garanti par les plateformes numériques ou des intermédiaires— implique des activités supplémentaire qui sont chronophages et dispendieuses (investissements publicitaires et équipements comme par exemple des étals réfrigérés etc.). Malgré le fait qu’aujourd’hui il y ait des initiatives basées sur la solidarité paysanne permettant par exemple de mutualiser le temps consacré à la vente ou bien de partager des outils et du foncier (« le renouveau agricole tend à revenir vers cette ancienne valeur de l’agriculture qui est celle de l’entraide »111 - Elsa), mener à bien un projet alimentaire local demande aussi un investissement des responsables locaux. Nous avons pu voir que les PAT (Projets Alimentaires Territoriaux) étaient un bon moyen pour les territoires de concilier un projet de développement local au travers d’une agriculture et une alimentation territorialisés. Bien qu’aujourd’hui il est encore trop tôt pour esquisser un bilan sur l’impact des PAT en France, j’ai pu comprendre au travers des trois témoignages récoltés, que les problématiques agricoles et alimentaires n’étaient pas vraiment considérées comme un enjeu stratégique dans le développement territorial à l’échelle locale. Nous pouvons le voir avec le cas de Saint Jean d’Illac où l’axe de développement suivi, tend au contraire à remplacer la petite agriculture au profit de grandes exploitations agricoles et d’une urbanisation de plus en plus importante, rendant par conséquent difficile toute future installation paysanne. Très souvent, l’entrée thématique par laquelle les collectivités abordent le sujet de l’alimentation et de l’agriculture locale, est la restauration collective. Elsa et Gérald m’ont raconté par exemple 109  Voir annexe p. 158 110  Voir annexe p. 124 111  Voir annexe p. 111 98 sur 146


qu’ils avaient été contactés par des communes voisines pour fournir les cantines scolaires d’un collège proche de Langon et une école primaire proche de Bernos-Beaulac. Toutefois, la réorientation vers un approvisionnement en produits locaux n’est pas toujours évidente pour certaines collectivités comme nous l’expliqua Philippe. En effet dans certains cas, les collectivités, comme celle de Saint Jean d’Illac, préfèrent se procurer chez des grossistes « bio » au détriment de la petite agriculture locale, seulement parce qu’ils ont ce label. Au final, la collectivité en consommant ainsi, non seulement se désolidarise de l’économie locale, mais elle rentre aussi dans un système dont elle n’est pas responsable et où elle ne peut pas veiller à la qualité des produits : « Les salades, des fois elles sont à moitié abimées parce qu’elles ont trois jours, alors ils en jettent la moitié et donc ça leur revient trois fois plus cher. »112 Le soutien politique local est un élément important pour mener à bien un projet alimentaire territorial. De ce fait, la présence au sein des territoires d’élus convaincus par la pertinence de l’agriculture et de la consommation locale comme moteurs d’un développement global à l’échelle territoriale est impératif. Le fait d’avoir pu entendre les témoignages, les expériences et les vécus des quatre producteurs auxquels je me suis intéressé, m’a permis de mieux cerner les différentes échelles d’actions qui contribuent au développement de la petite agriculture en Gironde aujourd’hui. Certainement, le mouvement des circuits courts et plus clairement la recomposition de ces derniers fut en ce début de siècle, l’élément déclencheur des questionnements autour du foncier, de l’économie, de la santé, de l’environnement, etc. Si bien l’agriculteur est sans doute un élément charnier de tout ce mouvement qui se met en place à l’échelle métropolitaine mais aussi à une échelle locale ou plutôt hyper-locale, j’ai pu constater que les questions théoriques de fond, telles que le développement durable de l’agriculture et du territoire, dépassent le cadre d’action de l’agriculteur. En effet, ceux sont des questions de société, sur le vivre ensemble et donc c’est un sujet très politique. De ce fait, une des limites rencontrée dans la réalisation de ce mémoire, est sans doute le fait de ne pas avoir pu rencontrer des représentants ou des autorités locales afin de comprendre leur point de vue et les actions qu’ils mènent actuellement sur leur territoire. La gouvernance alimentaire est un sujet qui a pris une place considérable dans le débat public ces dernières années. En effet, la mise en place de celle-ci est de plus en plus un attrait pour certaines collectivités qui essayent de coordonner différents politiques publiques sur un même territoire afin de favoriser l’agriculture locale et la consommation locale. L’exemple et la référence en 112  Voir annexe p. 163 99 sur 146


France est aujourd’hui la ville d’Albi dans le Tarn qui cherche à pousser l’idée de Gouvernance à l’extrême afin d’établir une véritable Autonomie Alimentaire d’ici 2020. L’organisation d’une gouvernance alimentaire au travers de nouvelles politiques publiques permettrait-elle de garantir une agriculture territorialisée et des échanges producteursconsommateurs transparents ? Il faudrait peut être s’intéresser au cas d’Albi pour avoir plus de réponses. Il semble en tout cas que le mouvement des circuits courts est loin d’être anodin aujourd’hui. Les enjeux socioéconomiques et environnementaux qui en découlent à l’échelle territoriale se vérifient peu à peu au travers des enquêtes et des témoignages réalisés. Les circuits courts sont devenus en quelques années un sujet d’intérêt national et bien que leurs effets à l’échelle territoriale ne soient pas perceptibles à court terme, ils semblent tout de même valoriser des échanges plus équitables et plus justes entre les différentes territoires.

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Chambres d’Agriculture, URL : http://www.chambres-agriculture.fr Civam, URL : http://www.civam.org GrAINES, URL : http://graines.civam.fr La Ruche qui dit Oui !, URL : https://laruchequiditoui.fr/fr Les Drives Fermiers, URL : http://www.drive-fermier.fr Mairie de Cudos, URL : http://www.cudos.fr/z/index.php Mairie de Saint Jean d’illac, URL : http://www.mairie-stjeandillac.fr/index.php/decouvrir-st-jean-dillac/ histoire

Mairie de Tabanac, URL : http://www.mairie-tabanac.fr/default.asp?iId=GGDFFI Mon Potager, URL : https://www.monpotager.com Terre de Liens, URL : https://terredeliens.org SAFER, URL : http://www.safer.fr

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Annexes

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Entretien avec La Grange Bio (Elsa Payton et Gerald Banniel MaraĂŽchers) : Commune de Cudos

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La Grange Bio - Cudos Selon les informations que j’ai trouvé sur Internet, vous êtes un jeune couple de producteurs récemment installés. Vous avez 10 hectares de terres sur lesquelles vous élevez des poules, des brebis et de agneaux et sur lesquelles vous produisez des légumes et des fruits, tout en agriculture biologique. Est-ce qu’il s’agit de votre première expérience en tant que producteurs? Non, on a un long parcours derrière de formation et d’expérience que l’on a mis en place sur cinq ans à peu près. On n’était pas installés producteurs agriculteurs mais à notre échelle en tant qu’amateurs, on a commencé à faire nos propres expériences avec les brebis, les poules et un peu les légumes, que l’on a du arrêter après parce qu’on n’avait plus de terres. Et en parallèle de cela on a aussi fait de l’auto-formation en côtoyant des paysans, des agriculteurs, en allant se former sur des formations courtes et sur des formations longues et en faisant des emplois saisonniers ou Gerald au travers de son emploi de paysagiste. On a cumulé ce parcours sur cinq ans. Vous êtes passés par des associations ou des organisations paysannes ou syndicats ou pas nécessairement? On est passé par Agrobio Périgord, qui est très structuré, un peu moins structuré en Gironde et on a aussi été accompagnés (c’était la fin de notre parcours) par la maison des paysans Domiane. Et la maison des paysans, en gros c’est quand même une entité de la confédération paysanne qui est un syndicat. On a aussi été accompagnés par les chambres de l’agriculture et la SAFER. Ce sont de longs parcours en agricole. Quand on s’est lancé, on a fait vraiment avec nos liens directs, autour de chez nous, dans notre village, les paysans et quand ça a commencé à devenir de plus en plus concret on a commencé à rentrer en contact avec ces partenariats là: Agrobio Périgord, la maison des paysans, la chambre de l’agriculture, la SAFER, jusqu’à la mise en place de l’acquisition de la propriété. On est aussi passé par Terre de liens. On a un avis sur Terre de liens. On ne voulait pas faire de crédit, on avait un apport personnel mais on ne pouvait pas acheter la totalité donc on voulait faire une séparation maison-exploitation, pour que la maison nous appartienne et le reste à Terre de liens car on n’était pas dans l’optique après de le retransmettre mais on sécurisait l’habitation et ça a été un micmac. En fait, pour synthétiser, la finalité ça a été que ça ne s’est pas fait car Terre de liens est gérée par une grosse antenne à Paris et après par des unités locales, et les unités locales sont animées par un référent et des bénévoles. Ces unités locales elles ont vocation à faire un premier point du projet à retransmettre en haut et il s’est avéré que sur un ensemble de points ça a été compliqué car les bénévoles qui sont venus eux venaient de Dordogne (en Gironde ils ne sont pas très développés) sauf que leur avis de professionnel, ce sont des paysans, ils se basent sur leur expérience en Dordogne et ici ce n’est pas du tout les mêmes terres donc déjà ils n’avaient pas de connaissances sur les terres que l’on a ici donc ils avaient un mauvais jugement de la propriété agricole par rapport à leur point de vue de Dordogne sauf que c’était pas pertinent. Leur avis ne correspondait pas à la réalité des terres d’ici, ils ne la connaissaient pas, ils pensaient que c’était de la terre qui était mauvaise car c’était du sable, mais ce n’était pas aussi vrai. L’autre problème ça a été que pour tout ce qui est avis technique sur l’infrastructure, les bâtiments, les travaux à faire, encore une fois ils renvoyaient sur le pôle à Paris qui était censé nous faire redescendre de Paris quelqu’un qui s’y connaissait en biens immobiliers. Leur postulat étant de dire: ce bien est surévalué par la SAFER qui est idéologiquement un adversaire, un opposé aux intérêts que défend Terre de liens (c’est l’Etat). C’est un peu la même chose que la chambre d’agriculture il me semble non? Non ce n’est pas la même chose, il y a des collusions très fortes donc dans les clivages idéologiques tu as une opposition mais qui sur le terrain ne doit pas être vue comme cela. C’est la génération 60-65 ans. 108 sur 146


Il y a de fortes collusions de générations, d’état d’esprit entre la SAFER et la chambre d’agriculture qui s’opposent avec les collusions et les états d’esprit avec tout ce qui est alternatif: Terre de liens, les associations d’Agro bio, la confédération paysanne. Deux paquets donc qui s’opposent un petit peu. Avec Terres de liens on a été déçus pour cela parce qu’on est tombé sur des types comme cela. Oui on a été déçus car ils ont eu des postures un peu rétrogrades. Ce sont des entreprises privées? Il y a surement des financements publics, ce sont des associations qui défendent les intérêts des petits paysans locaux, ils sont assez loin des réalités du terrain et cela crée des problèmes. Nous cela a créé un problème car ils ont manqué de réactivité, ils ont eu des jugements qui n’étaient pas appropriés et ils ont voulu faire passer cela dans une gestion interne qui est très lourde et qui ne correspondait pas à nos problématiques d’achat qui devaient être rapides parce qu’aujourd’hui il faut avoir conscience qu’on est dans une période d’urbanisation donc les terres agricoles diminuent très fortement, un à cause de l’urbanisation et deux à cause de l’intensification des domaines agricoles qui couvrent des centaines d’hectares parfois et du coup aujourd’hui quand tu veux reprendre une petite ferme c’est très compliqué, ça se trouve très peu sur le marché. Nous on avait besoin d’être réactifs car beaucoup de personnes étaient très intéressées par la propriété et Terre de liens a été peu réactif et s’est mis dans une posture de dire « non il faut revoir le prix parce que la SAFER ils gonflent les prix parce qu’on est près de Bordeaux mais c’est pas justifié ». Donc nous on s’est désolidarisés de Terre de liens car on a jugé que leur avis n’était pas pertinent et manquait de principe de réalité. Ils vous donnent juste leur avis? La où c’est compliqué de travailler avec Terre de liens c’est qu’on dépendait économiquement d’eux tout d’un coup. Alors qu’on pensait que ça allait être un soutien, on dépendait de leur avis qui venaient contrarier nos intérêts directs. Sur nos installations, on savait vraiment ce qu’on voulait faire, on avait assez d’expériences pour savoir comment s’organiser: un bâtiments, deux bâtiments. Les types ont la soixantaine, ils te prennent pour des « fous-fous », un était en agriculture à Bergerac et l’autre était professeur en Lycée agricole et il avait des chevaux mais ils ne voulaient pas prêter leurs terres à un paysan qui était à côté. Et après quand on faisait le tour de la propriété, les types tu avais l’impression que c’était leur pognon. Donc on allait avoir un papa sur le dos qui nous dit quoi faire. Mais ce n’est pas leur pognon, le type est juste administrateur. Ils voulaient vous mener par où parce que j’ai l’impression que c’est parce que vous, vous avez une manière de penser différente d’eux finalement, eux ils voulaient quoi? En fait, le problème quand on travaille avec Terre de liens, le principe c’est que Terre de liens achète les terres et on devient un locataire de Terre de liens. Donc, là on a pressenti des problèmes, on a consulté d’autres personnes qui travaillaient avec Terres de liens et il s’avère que ça peut être compliqué. Quand tu loues des terres ou bâtiments agricoles, tous les investissements que l’on a fait de structures (réseau d’eau, réaménagement de l’électricité dans les bâtiments, remise des choses aux normes), quand ce n’est pas chez toi, tu es bailleur et donc tu dois avoir l’avis du propriétaire. Vu leur façon de voir les choses on s’est dit que ça allait être compliqué si à chaque fois on doit se battre contre leur avis pour justifier notre avis, que ça doit passer dans toute leur usine à gaz alors que les investissements ont besoin d’être rapides, on s’est dit merde, ok on est contre la propriété mais en fait vu ce que l’on veut faire, on doit être chez nous car on ne peut pas rendre des comptes tout le temps. Pour nous, cela a finit à nous décider pour acquérir le bien par nos propres moyens. C’est une très bonne idée, les mecs nous filent du pognon mais on se sentait comme un début d’influence. Après on ne sait pas, peut être ça n’aurait pas été comme cela mais si ça commence comme cela, ça peut être compliqué. On avait déjà vécu en location, on voyait les problèmes que cela engendrait avec les propriétaires. C’est notre avis, notre situation, mais dans d’autres domaines ça peut peut être 109 sur 146


marcher. Nous on a une ferme qui est compliquée, avec 3 ateliers, on a un ferme qui a beaucoup de raccords, beaucoup de choses mais je pense que si tu as un petit modèle agricole, juste du maraichage ou juste un petit truc tu as moins de problèmes pour communiquer et gérer la mise en place avec eux. Nous de fait on a un outil de travail qui est complexe donc là ça venait rajouter de la complexité et ce n’était pas possible s’ils venaient contrarier nos projets, non pas qu’on n’accepte pas la critique mais il faut qu’elle soit constructive. On a eu cet interlocuteur à un moment donné que l’on a laissé de côté puis les autres interlocuteurs, quand on parle des clivages idéologiques, nous on était plutôt sur le versant paysannerie, Agro bio, maison des paysans donc on était bercés par « attention la chambre c’est pas bien, la SAFER c’est pas bien, les aides c’est pas bien ». Nous on a appris que non il y a du bon partout, il faut juste savoir ce que tu vas chercher, savoir ce que tu demandes à qui et au final la SAFER était compliquée mais finalement c’est un bon partenaire. La chambre c’est aussi compliqué mais ça a été un bon partenaire. Notre expérience nous a montré que le clivage, il ne faut pas s’arrêter à lui car sur le terrain ce qui compte c’est la pertinence, la réactivité. Il y a du bon et du mauvais partout, terre de liens pour nous ça a été mauvais alors que pour d’autres c’est très bien. Cela montre que la situation a évolué car la chambre au début n’était pas dans cet esprit là de vouloir aider les petites productions, surtout une production diversifiée comme la votre, c’était plus de l’aide pour une production intensive spécialisée… Cela met du temps, c’est la génération du Baby boom qui prend sa retraite donc cela change les mentalités. En Dordogne ils ont 30 ans de retard sur les circuits courts et la différence de clientèle, etc. La problématique de l’agriculture aujourd’hui est intimement liée aux problématiques sociales et aux développements sociologiques et urbains des territoires. On voit ce lien intime entre notre vie d’agriculteurs aujourd’hui et toutes ces problématiques sociaux-économiques, il y a beaucoup de liens et beaucoup de choses qui se passent aujourd’hui et qui évoluent. Pourquoi vous avez choisi Cudos? Parce que pendant un an on a cherché sur trois départements parce qu’on voulait rester proches de nos familles, parce que c’est important d’être soutenus: la Dordogne, le Lot et Garonne et la Gironde. On voulait se rapprocher de notre famille qui est vers Bordeaux et Mont de Marsan et Marmande. A partir de là, on a visité beaucoup de fermes, peut être une dizaine en plus de ce que j’avais pu voir dans ma formation et c’est difficile aujourd’hui de trouver des petites fermes et en même temps assez grandes car comme il y a beaucoup de maraichages on trouve pas mal des fermes entre un et trois hectares mais cela ne nous allait pas car il nous fallait au moins dix hectares pour les moutons qui ont besoin de cinq ou six hectares minimum. Plus, les poules et plus les légumes, on était vraiment sur un minimum à sept et même ça passait pas, il fallait au moins tirer à dix hectares. En visitant toutes ces fermes, on a eu plusieurs problèmes:

- Un problème de territoire car quand s’était dans le Lot et Garonne c’était beaucoup trop agriculture

conventionnelle donc très pollué donc ce n’était pas possible pour nous. Ce n’était pas cohérent d’avoir une ferme bio entourée de terres polluées, déjà pour la production ce n’est pas cohérent et en plus pour la vie de famille. On se balade dans les champs, on se balade dans les produits qui ont été mis, donc pas logique. - Un autre problème: l’état de délabrement des bâtiments, il y a beaucoup de bâtiments sur une ferme et ils n’ont pas tous été très bien entretenus, donc ce sont des frais importants. Les fermes traditionnellement sont familiales donc on avait peut être 5 générations de bordel entassé. On savait que c’était au minimum un an que à débarrasser la ferme. Il n’y avait pas de déchetterie donc parfois tu tombes sur des trucs. Il y a parfois du matériel qui vaut des sous donc c’est intéressant mais d’autres trucs tu sais que tu dois les virer. - Un autre problème économique: c’est du temps de débarrasser une ferme mais c’est des sous et donc il y avait des fermes qui déjà étaient très chères et en plus il fallait des travaux de réhabilitation. 110 sur 146


Ces problèmes ont fait que l’on a écrémé et cette ferme correspondait à notre ensemble de critères: familial, de production (outil de production de qualité), un environnement (près de Bordeaux, c’était facile de commercialiser, il y a le bourg, une crèche, l’école jusqu’au primaire, le collège à Bazas, Langon, lycées agricoles autour). C’était donc tous nos critères, ça répondait à l’outil de production, outil professionnel réseau de ventes et lieu de vie familiale et d’épanouissement à long terme quand il y a des gamins et qu’on veut se projeter. Par rapport à ce lieu, est-ce qu’il y a une forme de solidarité entre producteurs, voisins, pouvant aller de l’entretien et l’installation des réseaux d’eau et d’électricité, au prêt des parcelles, de la main d’oeuvre, des matériaux? Ca c’est une problématique qui est aussi très importante quand on s’installe en agriculture car on a besoin, surtout nous qui ne sommes pas issus du milieu agricole, l’aide d’agriculture chevronnée autant dans l’expérience que dans le matériel, elle est fondamentale. Donc, il y a de tout, ici on a pas encore assez d’expérience de côtoyer les gens, les voisins. Un peu comme partout l’agriculture se meurt, il y a de moins en moins de paysans. Ceci dit, on est pas encore très très implantés et on a pas encore un réseau de connaissances comme on a pu avoir en Dordogne mais on a quand même eu la chance avec Clément, notre voisin qui était un fils de la ferme, qui connait parfaitement les terres, il les a toujours travaillé et il a encore un petit peu de matériel agricole, donc il nous a beaucoup aidé. Ils étaient sept et donc quatre frères et trois soeurs et les quatre frères sont très contents, c’est ce qu’ils voulaient dans la transmission de vendre la ferme et qu’elle reste une ferme en agriculture biologique alors que les soeurs étaient plus il faut vendre: ça allait peut être devenir une pension pour chevaux. C’est vrai qu’on a eu de la chance que les frères soient un bon soutien et on l’a vu aussi quand on a visité les propriétés, il y en a qui sont dans le plaisir de transmettre leurs savoirs et d’autres veulent faire de l’argent. Le voisin qui avait 65 ans, l’agriculture biologique il ne fallait pas lui en parler il y a dix ans mais maintenant il s’y met, il avait quand même le respect de la terre. Ca dépend donc des gens. En Dordogne c’est un peu hypocrite, ils vont pas s’intéresser à ce que tu fais, au bout de trois ans il y en a qui ne savaient pas toujours ce qu’on faisait. Oui mais c’est la campagne, donc ce n’est pas la même mentalité. La campagne on se fait une image un peu enjolivée, dans laquelle on est beaucoup dans la solidarité, l’entraide, ce n’est pas que vrai. C’est très hypocrite, ce n’est pas forcément que l’on soit en concurrence. Les agriculteurs en Dordogne en parlent ensembles, ils se foutent de la gueule des autres. Exemple car un agriculteur avait produit en trop. L’agriculture il y a beaucoup de jalousie, ce sont les vieilles histoires agricoles. Avant l’arrivée de l’agriculture intensive, il y a 60 ans, tout le monde dépendait de tout le monde, les travaux se faisaient forcément en collectif. Pour travailler un champ, il n’y avait pas de tracteurs, on avait besoin que tout le monde vienne, il y avait cette solidarité, on dépendait les uns des autres. Et puis après les paysans ont commencé à pouvoir faire eux mêmes en achetant un tracteur, à s’individualiser, à travailler tout seul et des côtés sont ressortis plus de la jalousie, de regarder le voisin du mauvais oeil, de commencer à critiquer, de faire croire que avec un super 4x4 alors qu’ils ont 300 000 de crédit derrière. Est-ce que finalement cette petite production que vous faites n’est pas un retour vers cette dépendance solidaire? Oui, c’est de l’entraide. La ferme que l’on avait repris en Dordogne, Marie la fille de la propriétaire avait 55 ans et elle avait grandi là dedans, elle est partie à 16 ans car elle voulait faire du piano et c’était une ferme familiale sur 10-11 hectares et c’était ça la moyenne des exploitations et tu faisais vivre une famille de trois générations (20 personnes). Et maintenant une exploitation fait vivre entre 80 à 100 personnes. Les valeurs d’échelle ont grandi et les personnes qui arrivent à vivre de ces fermes ont augmenté, c’est l’histoire de l’agriculture aujourd’hui. Pour revenir à la question est-ce que notre façon de produire re crée de la solidarité? Oui, c’est une solidarité qui s’était perdue donc l’entraide entre agriculteurs était devenue relative, il y en a qui sont partageurs d’autres non. Les paysans qui 111 sur 146


s’installent comme nous ont cette vocation à re créer du travail collectif, à re créer de l’entraide, à être dans un partage. C’est sur que tous ceux qui s’installent comme nous vont plutôt recréer ces anciennes façons de faire après il ne faut pas enjoliver la chose, des gens vont s’installer dans des projets comme nous et qui seront plus individualistes, moins partageurs. Il y’a de tout dans tout mais c’est vrai que le renouveau agricole tend à revenir vers cette ancienne valeur de l’agriculture qui est de l’entraide. Après il y a une grosse contrainte dans cette problématique de trouver de l’entraide, partage de matériel et de parcelles, tout cela c’est super mais c’est très compliqué à mettre en pratique parce que déjà chaque paysan a la tête dans le guidon. C’est rare de trouver un paysan qui a du temps. Donc, cela veut dire du temps pour venir aider déjà c’est compliqué. Les outils ça peut aider mais ça dépend si tu es juste à côté ça tombe bien mais si tu es plus loin ça devient plus compliqué. Si le tracteur va avec l’outil c’est bien, si le tracteur ne va pas avec l’outil, tu as beau vouloir tu ne peux pas. Tu ne vas pas acheter un nouveau tracteur juste pour te servir de l’outil du voisin. Les parcelles sont toujours dans une économie générale d’une ferme donc si cette économie générale fait qu’effectivement il y a des parcelles dont on se sert pas du tout, jamais, ok on peut les prêter à quelqu’un. Mais si à un moment donné, on a l’intention de s’en servir ou si elles rentrent dans l’économie générale de la ferme, cela va être plus compliqué car les prêter oui mais le problème c’est que quand tu prêtes une terre c’est minimum un engagement d’un an plus si c’est pour des troupeaux. Sur les questions juridiques, si les volontés sont là, elles peuvent être dépassées. Tu as des statuts des façons de faire sur le partage de main d’oeuvres, d’entraide. Il y a des protocoles à suivre qui permettent de faire ça et le normaliser. Quand il y a de la volonté c’est possible. Pour la question des infrastructures de l’eau, de l’électricité, vous allez voir la mairie? Il y a deux choses, selon l’infrastructure que tu veux mettre en place, un réseau d’eau, de nouveaux bâtiments, tu as des normes différentes. Si c’est construire des bâtiments, tu as des normes d’urbanisme ou pas. Nous on a pas eu ce problème là, les seules choses qui étaient considérées comme des bâtiments c’était les serres, en l’occurrence les surfaces couvertes en serre sont en dessous des barèmes qui font qu’on rentre dans les barèmes des protocoles d’urbanisation. Donc on n’a pas eu ce problème là. Sur le réseau d’irrigation, on a mis en place un réseau d’irrigation qui nous est propre donc il n’y avait pas de démarche particulière à faire. Là où on a eu une démarche c’est qu’on se sert d’un puit, là on passe dans la police des eaux qui gère et on a des normes d’utilisation des eaux et donc il a fallu faire des dossiers pour expliquer où est ce qu’on allait puiser et combien d’eau et là encore une fois on était en dessous des barèmes (c’est l’avantage d’être petit) qui mettaient plus de contraintes. Donc à chaque fois ça dépend du type d’infrastructure que l’on va mettre en place et de son échelle, en fonction de cela on doit se référer ou pas aux institutions publiques référantes. La norme vous contraint dans le développement de votre exploitation? Apparemment pas tant que ça car vous êtes une petite exploitation… Oui voila, on arrive, parce qu’on est une petite exploitation, à ne pas être très contrarié par cela. La norme, on a toujours les deux côtés de la face, un côté c’est bien car ce sont des sécurités, heureusement qu’elles sont là car ça permet d’éviter qu’il y ait des abus. Après c’est vrai qu’on ne peut pas dire que ce soit zéro contraintes car à chaque fois même si tu as de la chance de ne pas être dans des barèmes trop élevés, à chaque fois c’est quand même trouver le bon interlocuteur, la bonne case de l’Etat, cela veut dire également faire des dossiers rien que pour avoir une autorisation de ne pas avoir à faire plus. Les normes bien entendu complexifient les démarches. Et pour la production de légumes et la distribution? C’est toujours pareil, par exemple pour les oeufs c’est un tiroir de l’Etat spécifique, c’est la DDPP (Département de la production des populations) qui gère la commercialisation d’oeufs donc il faut leur rendre des comptes sur notre quota de poules, on rempli un papier qui dit que l’on a tant de poules, 112 sur 146


elles sont produites en agriculture biologique donc il faut faire des certifications et eux ils te donnent l’autorisation et ensuite on a le petit numéro pour mettre sur la vente. Pour toutes nos productions on a toujours des normes à prendre en compte auxquelles il faut se référer, on est en bio donc on a le cahier des charges auquel on doit se référer. Ensuite on vend des oeufs donc on doit passer par la DDPP et on est lié par un ensemble de formalités administratives, de normes et comme nous on fait pleins de choses, chaque chose c’est sur qu’elle a une norme. Au delà de ce label bio que vous avez, est-ce que vous soutenez d’autres engagements qui sont en accord avec cette vision écologique? Oui, c’est un peu le lien entre tes deux questions. Les normes pour nous ce sont des contraintes administratives et de gestion parallèle de toutes ces mises en relation qu’il faut faire des dossiers mais après dans notre façon de produire les normes ne sont jamais emmerdantes parce que par rapport au cahier des charges bio par exemple nous notre éthique de production elle est de toute façon au dessus des normes qui nous sont imposées. Dans notre démarche, on va toujours chercher à répondre à l’éthique personnelle qu’on s’est construite et cette éthique dépasse le cahier des charges. C’est une des critiques que l’on entend beaucoup aujourd’hui, le cahier des charges bio est beaucoup remis en question à juste titre parce qu’aujourd’hui il est bradé sur plusieurs points. Nous dans notre soucis d’écologie, de toute façon nos pratiques elles vont de part et c’est nous mêmes qui nous les imposons. C’est du plus que l’on fait. Est-ce que ce plus devrait apparaitre? Je sais qu’il y a beaucoup de productions qui ont le label biologique mais finalement si on voit il y a beaucoup de produits qui viennent d’Espagne et qui sont produits hors sol, donc voila c’est pas la même chose, ils n’ont pas la même valeur nutritive que les produit que vous avez. Ni même le même coût écologique, ni le même coût social parce qu’en termes d’impact écologique c’est pas du tout la même chose et en termes d’impact social ce n’est pas du tout la même chose. Ce sont des problèmes de label. Donc est-ce que cela ça devrait être rendu visible? Est-ce que le consommateur devrait pouvoir avoir une vision simple et juste de la réalité de la production? Oui. Estce que c’est le cas aujourd’hui? Non. Est-ce qu’on a trouvé des solutions pour répondre à ce problème là? Non. Il y’a d’autres labels qui existent qui essayent de se re développer, notamment Nature et Progrès qui est un label de production qui est beaucoup plus écologique que le label Bio aujourd’hui. Donc, ce label permettrait, si on se base sur la lecture consommateur, de savoir le type de production mais le problème aujourd’hui c’est que le consommateur ne connait pas le label Nature et Progrès. Est-ce que le producteur a intérêt à utiliser ce label pour dire au consommateur qu’il a une éthique qui va au delà du cahier des charges bio? Les consommateurs ne le connaissent pas et ce label ne te donne pas le label Bio donc ça sera peut être une solution dans cinq ans s’ils arrivent à se re développer et avoir une visibilité. C’est un problème de l’agro-industrie car s’ils font trop strict, il y en a qui ne seront pas de l’agriculture biologique donc c’est un lien entre l’industrie et les règlementations en France. Aujourd’hui il n’y a pas de solution qui existe. Alors si, quand même je dirai qu’il y a une solution qui existe, c’est celle qu’on maitrise, nous on produit comme ça et on s’y tient donc on produit quelque chose de qualité et ça c’est dans notre propre communication que l’on essaye de le mettre en valeur, d’où la vente directe car elle permet de dire aux gens, de communiquer, cela permet de faire passer des informations pour montrer notre engagement en tant que paysans. C’est donc très bien, c’est l’avantage des circuits courts mais c’est vrai qu’il n’y a pas d’autres solutions aujourd’hui car c’est une grande nébuleuse complexe avec pleins d’enjeux opposés et de lobbys. La bio c’est un lobby aujourd’hui, on refuse de baisser le cahier des charges car les industriels vont perdre. Est-ce que le label Nature et Progrès va réussir à s’imposer alors qu’il met le pied dans cette énorme tas de lobbys? Ce n’est pas dit. Nous on a l’idée de ne plus être labellisés. Oui car cela a un coût pour vous. 113 sur 146


Oui chaque atelier est payant mais comparé aux gens qui disent « je ne mets pas de produits donc c’est biologique », si tu es biologique alors met le label, c’est un moyen de dire que l’on a une culture biologique mais une fois que tes clients te connaissent les gens peuvent venir, ils peuvent venir voir les animaux, c’est transparent, les gens voient que c’est une vraie ferme biologique. Donc la vente directe permet d’aller encore plus loin, c’est vrai que nous c’est la solution que l’on a trouvé à cela c’est pour l’instant garder le label bio car c’est la première information que les gens comprennent et ensuite à notre niveau communiquer le plus possible, passer des messages à nos propres consommateurs pour leur faire prendre conscience pourquoi on fait ces choix là dans notre production. L’exemple flagrant c’est les poules, on s’évertue à faire naitre nos poules pondeuses, ce qui est à contre courant total des pratiques actuelles et donc cela sur notre étiquette d’oeufs on met « poules nées et élevées à la ferme », c’est une amorce qui peut susciter les gens à savoir que c’est différent et qui peut amener à une prise de conscience. A notre niveau, on essaye donc de faire passer des messages comme ça. On pense que si l’agriculture re devient locale elle peut participer à cette prise de conscience, pas besoin de lobbys, de trucs que l’on paye pour donner une image à la ferme, c’est de la communication, de la confiance. Vous faites partis de trois systèmes de circuits courts, la vente directe à la ferme, ensuite les drives fermiers de Gironde et depuis pas longtemps vous faites partis des ruches de Cerons et Lagon. Estce que mis à part ces trois systèmes vous avez d’autres modèles? Oui, il y a aussi faut dire que l’on vend à une école communale pour les enfants, à côté de Langon. Donc on a d’autres projets qui peut être aboutiront à Bernos Beaulac mais pour l’instant ce n’est pas encore sur. Peut être un petit peu de dépôt dans des épiceries voisines. Et les AMAP, vous en pensez quoi? Je pensais au début que c’était une action solidaire mais au final j’ai l’impression que ça contraint beaucoup les producteurs et consommateurs. Les AMAP viennent du Japon, après la guerre les japonais n’avaient plus accès aux produits sains et les mères de familles ont cherché à retrouver des produits sains. Ce principe à la base est extrêmement vertueux pour la santé des populations et vertueux pour la pérennité des paysans car l’AMAP part sur un engagement financier du consommateur qui permet de bénéficier directement au producteur, ça veut dire que ça donne quand même une sécurité financière à des producteurs et aujourd’hui les AMAP ont gardé beaucoup ce principe fondateur et c’est vrai que pour certaines installations cela permet de réaliser l’installation car ça apporte une garantie de vente. Quand on veut faire des contrats avec des banques, ils demandant une garantie de vente, donc on a une garantie de vente. On a une entrée d’argent avant de vendre, donc on a de la trésorerie, pour semer il faut acheter des semences, pour travailler la terre il faut des outils. Une entreprise qui se lance a besoin de matériel. Pour ces deux points là c’est très bien: la solidarité vis-à-vis du producteur et la garantie d’avoir des produits de qualité pour le consommateur. C’est génial mais après les AMAP elles sont à l’image des individus, c’est-à-dire qu’une AMAP c’est infiniment humain, c’est une histoire d’humain entre celui qui anime l’AMAP, le ou les producteurs qui sont dedans et les consommateurs. A partir de là, tu as tous types d’AMAP qui existent. Tu as des AMAP qui sont assez éloignées des premiers principes, tu as des AMAP qui créent des tensions et des enjeux contraignants pour les producteurs, il y a tous types. Tu as des AMAP qui sont vertueuses et qui continuent à avoir cette vision du gagnant-gagnant. Après, en tant que producteur, nous au début on s’était lancé en partenariat avec une AMAP qui est à Nansouty qui est très intéressante, grande réflexion d’économie sociale et solidaire, ils sont très structurés et là contrainte producteur c’est que j’arrive et je débarque dans mon champ avec mes légumes avec déjà deux mois de retard en plein été et je me dis putain mes paniers, on s’engage à satisfaire les clients parce que nécessairement ils nous ont acheté à l’avance. Il ne faut pas de routine en termes de contraintes de légumes. Tout le monde dit on mange du choux tout l’hivers ça fait chier, donc en tant que producteur on essaie de prévoir qu’il n’y ait pas du choux tout le temps dans nos 114 sur 146


paniers. Je n’avais pas de maitrise technique, je m’installais, je ne savais pas où j’allais et je me suis rendue compte que c’était une pression trop dure à gérer parce que je ne savais pas si j’allais pouvoir remplir mon engagement toutes les semaines. On le sait c’est pas grave mais moi dans mon éthique personnelle je ne pouvais pas renoncer à apporter satisfaction à mes clients même s’ils étaient prêts à l’accepter. Ca me mettait trop de pression et j’ai quitté cet engagement là parce que ça m’a mis trop de pression à un moment donné dans mes projets de production. Plus que dans les drives et les ruches? Oui, si tu n’as pas le stock, tu n’as pas le stock alors qu’à l’AMAP c’est un engagement direct avec le producteur. Mais le principe des AMAP c’est que le consommateur devait être prêt à assumer. Oui tout à fait. Il nous faut plus d’expérience là dedans, qu’on se sécurise dans notre production et dans notre relationnel avec les clients. Le principe de l’AMAP c’est que les clients doivent être prêts à gérer cela. Si tu as envi d’aller plus loin, contacte l’AMAP de ma copine, elle a pu s’installer justement parce qu’elle a pu créer une AMAP donc c’est elle en tant que productrice qui a créé l’AMAP pour pouvoir écouler sa production. Elle typiquement c’était le schéma que je t’ai décris, l’AMAP lui a permis de s’installer et de faire son circuit de commercialisation. Elle dit que c’est super mais compliqué car elle fait plein de gestion du relationnel. Tu as l’idée générale mais dans ce lot c’est l’humain donc tu as un panel de trente clients et sur ces trente clients tu en as qui sont plus ou moins bien lunés au fil de cette relation consommateur et producteurs et qui peuvent finir par remettre en question cet engagement là. Il peut y avoir des hauts ou des bas. La ruche et le drive, c’est Elsa qui met le stock de légumes pour la semaine et ils choisissent, ils prennent ce qui veulent. Je fais des paniers, il y a des gens qui prennent des paniers mais je fais aussi du détail. On parle beaucoup des producteurs mais il y a aussi et on peut parfaitement le comprendre le côté consommateurs de cette fameuse lassitude que l’on entend sur le panier, on peut la comprendre. Aussi la contrainte d’avoir un panier toutes les semaines, si tu pars en vacances, qu’est-ce que tu fais de ton panier? Ou si cette semaine tu n’as pas le temps de cuisiner, qu’est-ce que tu fais avec tes légumes? On a trouvé que finalement c’est vrai que c’est un bon compromis de pouvoir proposer du panier mais aussi de pouvoir proposer du détail, ça fait une souplesse pour le consommateur. Donc c’est une souplesse pour le consommateur que l’on ne peut pas trouver dans l’AMAP. L’AMAP c’est un créneau, c’est ce qu’on appelle une niche, c’est un lien très privilégié que tu peux te créer. Si un jour on fait une AMAP ça sera vraiment dans cet engagement producteur militant et consommateur militant. Mais c’est une petite niche et ce groupe de personnes on va le constituer peut être sur un an, deux ans, trois ans, quatre ans et en attendant il faut qu’on ait des distributions sûres, d’où pourquoi pas l’AMAP car il y a toutes ces petites contraintes qui ne compensent pas au début et qui ne sont pas une solution et ce souci du travail bien fait. Ce qui est intéressant avec les AMAP c’est que pour compenser ces périodes de creux, comme on ne fixe pas les prix, des fois vous êtes plus généreux dans la distribution, ça se compense finalement. Oui ça c’est un principe sur le légume, c’est ce qu’on voit beaucoup, l’équilibre dans l’AMAP se fait sur une année et les maraichères en été ont beaucoup de légumes, le panier est plus gourmand. L’hivers il y a un peu moins de légumes et tu as des paniers moins gourmands. Le prix du panier est calculé, listé sur l’année à 15 euros par exemple mais selon le moment de l’année ton panier parfois il vaut 20, parfois il vaut 10. Ca fait parti des souplesses qui sont bien dans l’AMAP quand tu as une bonne communication et une bonne souplesse, tu peux trouver un bon équilibre. Donc c’est un très bon fonctionnement mais qui peut parfois être limité quand on a besoin comme nous, dans une ferme complexe avec trois ateliers, d’un besoin financier stable et conséquent, donc l’AMAP était trop 115 sur 146


restreinte, trop étroite. Dans quel système vous vous sentez le plus protégés, le plus stables? Aucun, c’est tous. Le principe d’une ferme, c’est qu’il faut au moins trois circuits de vente parce que les trois circuits de vente vont toujours s’équilibrer. Le jeu c’est de choisir judicieusement ses circuits que tu vas utiliser pour qu’ils soient chacun fiable et complémentaire. Par exemple, pour vous sur lequel il y a le plus de demandes? Pour nous il est évident et c’est pour cela qu’on a commencé avec eux, que le drive fermier de Bordeaux est le hamac de notre ferme parce que ça couvre un panier client, un volume de clientèle qui est tellement énorme que vu notre échelle de production on peut tout mettre, tout sera pris. Si on avait commencé en Dordogne avec ce système, déjà y’en a pas. La plus proche c’est à Périgueux et c’était à deux heures de route. La localisation de la ferme est très importante par rapport à Bordeaux, Langon, Bazas, c’est un bassin de population. Langon c’est 20 000 l’agglomération, Bazas c’est dans les 10 000, 13000. Les drives c’est que dans la métropole, ils livrent Bordeaux, Gradignan, Lormont et Daignac qui est une petite commune. Vous savez exactement où ça se vend? Oui, moi dans mon fichier de suivi, cela couvre un grand rayon de part leurs quatre points de vente, le drive fermier girondin, ce sont automatiquement les clients de ces quatre points de vente qui consomment tous. Moi dans mes commandes, aujourd’hui j’ai réduit mais au début quand je faisais que du détail je suis montée jusqu’à une centaine de client je savais qu’il y en a quarente à Lormont, quarante à Bordeaux, je sais où mes commandes partent. C’est la logistique du drive mais nous on prépare les commandes sachant où elles vont. Aujourd’hui notre travail c’est de diminuer ce qui part à Bordeaux pour développer nos ventes locales, on freine nos ventes sur Bordeaux pour pouvoir amener de la production sur nos ventes locales, mais c’est sur que Bordeaux c’est notre panier de sécurité mais ceci dit on est très content car les ruches et la vente qu’on commence à faire à la ferme s’installent bien et on retire de la came sur Bordeaux pour la mettre ici donc c’est plutôt positif. On demande d’où les personnes viennent lorsqu’on fait les distributions aux ruches, ce n’est jamais de très loin. A Ceron, ils viennent de pas loin. Justement, par rapport à la question des consommateurs, tout à l’heure vous m’avez dit que pour chaque système vous voyez qu’ils ne consomment pas la même chose? Comment sont les consommateurs, quels sont les types de consommateurs? Qu’est-ce qu’ils cherchent? Pour les ruches parce que je les vois, c’est souvent la femme qui commande et le mari vient chercher. C’est pareil à Bordeaux. Après on ne sait pas dire des pourcentages mais 40% environs ou la moitié qui viennent chercher ne savent pas trop quoi. Cela déresponsabilise un peu, pour l’instant ce sont des gens qui adhèrent aux systèmes des ruches, il y a une recherche du bon produit, du produit local et il y a deux types de consommateurs sur les ruches c’est les ruraux et il y a les néo-ruraux et ça ça porte les campagnes aujourd’hui, les gens qui reviennent à la campagne pour leur retraite ou parce qu’ils choisissent de réorganiser leur vie et d’avoir un autre cadre de vie. Ce sont plus des néo-ruraux sur les ruches. Les néo-ruraux sont plus jeunes, plus vieux? A la campagne, les néo-ruraux ce sont plutôt des gens âgés, 40-50 ans, ce sont plus des retraites qu’autre chose. On commence à voir des changements de vie, des gens qui sont encore en activité professionnelle et qui ont choisi de venir vivre à la campagne mais on est encore sur cette tranche d’âge 40-50 ans. Les jeunes ça commencent un peu à arriver: 20-30% mais sans être bourgeois. Ce 116 sur 146


qu’on voit c’est que cette notion d’argent, de niveau de vie, elle compte beaucoup parce que dans ce choix de produits de qualités nécessairement ce n’est pas le même coût que ce que tu trouves au supermarché. A qualité égale, c’est sur que c’est moins cher, surtout si tu comptes tous les coûts cachés, encore une fois les coûts écologiques et sanitaires en termes de santé, il n’y a pas photo, mais ça on n’en est pas encore là dans la conscience générale. Sur le coût direct de ton achat, quand tu vois les supermarchés qui font 90 centimes la pièce de choux fleur tu ne peux pas concurrencer ça, c’est pas possible. Après sur tous les autres coûts si tu regardes la qualité, c’est moins cher que de passer par une boutique qui fait une marge, c’est l’avantage de la vente directe mais ce sont des nuances que la majorité des gens ne voient pas. La majorité des clients qu’on a ont les revenus pour se payer cette qualité là. Même si le bio ça devient de plus en plus accessible, il ne faut pas se voiler la face, ce sont des foyers fiscaux assez aisés qui achètent. On le voit plus au drive, j’ai accès au panier général et c’est un peu de tout, c’est l’avantage du drive. C’est quoi la différence entre chaque modèle, car vous m’avez dit qu’ils consomment différemment? A Bordeaux, ça c’est vraiment l’avantage de la ville, les gens vont plus vers de l’originalité qu’à la campagne. Je vends des produits qui ne sont pas sous une forme habituelle, à Bordeaux ça part, ici ça part pas, il faut beaucoup plus de temps pour que les gens apprennent et osent essayer. A Bordeaux, parce que le volume de client fait qu’on touche pleins de gens, on touche des gens qui ont plus de curiosité, qui vont oser plus. Mais voilà, les blettes typiquement je les vends à Bordeaux alors qu’aux ruches je vends deux sachets par semaine, alors qu’au drive je vends trente sachets par semaine. Il y a une curiosité qui est plus importante à la ville qu’à la campagne. Quand je me pose la question de savoir si j’arrête le drive car on a les ruches qui se développent ainsi que la vente à la ferme, aujourd’hui ça me fait mal au coeur d’arrêter le drive car il y a des gens qui sont prêts à découvrir des choses, ça m’embête de les empêcher de découvrir cela. Donc ça c’est une différence majeure. Comment cuisiner des blettes? Sur le site du drive, tu as un produit et les producteurs mettent ou pas mais moi je prend le temps de faire des fiches pour savoir comment cuisiner le produit. La vente en ligne c’est bien pour cela pour donner des informations et réapprendre à cuisiner les betteraves, les blettes, tu peux transmettre cela alors que sur un marché ou à la vente à la ferme, impossible de parler avec chaque client comment cuisiner chaque légume. Déjà qu’avec cinq clients je suis débordée, c’est pas possible, la vente en ligne elle permet d’apporter plus d’informations. Maintenant j’imprime ces fiches que j’ai faite et je les distribue. Ca ce sont des choses qu’ont apporté ces nouveaux circuits de vente qui sont intéressantes. Justement, deux de ces systèmes que vous utilisez c’est la vente en ligne, quel est l’intérêt des plateformes numériques aujourd’hui? C’est la mise en lien du producteur et du consommateur, c’est implacable, c’est le gros atout et c’est ce qu’ont su faire ces plateformes. C’est ce qui manque aujourd’hui à l’agriculture locale de proximité comme on cherche à la faire. Ca devient plus accessible pour les gens? Oui, nous voulons développer la vente à la ferme donc on développe notre propre réseau mais maintenant on veut toucher un peu plus, donc on doit faire des flyers, il faut les dispatcher par ci par là et encore cela dépend des gens qui passent dans l’épicerie, qui la voient et cela demande de faire ce travail d’impression de flyers, de cartes de visite, il faut répondre au téléphone pour dire aux gens comment ça se passe alors que ces plateformes elles font ce travail. Elles prennent des pourcentages, il y a des gens qui sont contre ces plateformes car 15-20% c’est beaucoup mais elles font ce travail de visibilité. Les deux prennent des pourcentages? 117 sur 146


Oui, les deux systématiquement. Les prix que vous avez en ruche et en drive sont des prix déjà margés parce que nous on a des frais pour payer ces structures et des frais de préparation de commandes. Ce n’est pas la même chose de faire une vente à la ferme où tu poses tes cagots et préparer une commande pour la ruche ou le drive. Par exemple, pour les drives est-ce que vous vous rendez personnellement sur place et distribuez les paniers? Gerald fait ça pour la ruche, il reste présent tout le temps de la distribution, c’est une heure de distribution. Pour le drive, c’est beaucoup plus gros, le drive fermier de Bordeaux c’est le plus gros des drives aujourd’hui en France, ils sont très fiers, c’est eux qui ont créé le système. C’est hallucinant le poids par rapport aux autres drives, Bordeaux aujourd’hui c’est une grosse machine et donc là il y a pleins de producteurs et donc l’organisation on a des plannings et on fait des rotations. Chaque producteur est amené à participer à une distribution, moi j’essaye de me caler sur une fois par mois. Tu peux faire où tu veux ta distribution, il y a quatre points relais, moi en l’occurrence j’ai participé déjà à une distribution à Eysines où je suis restée toute la journée, le temps que les gens viennent chercher leurs commandes mais du coup pas que les miennes, il doit y avoir un panel de cinquante producteurs donc ils viennent chercher leur panier global. Tu dois quand même les distribuer aux différents drive? Moi je fais mes commandes, je pars livrer le vendredi matin de très bonne heure, je pars à Eysines qui est leur dépôt central. Tous les producteurs amènent tout à Eysines. A Eysines, il y a ce qui reste à Eysines et ensuite tu as des palettes qui sont constituées de ce qui part à Lormont, ce qui part à Gradignan. Chaque producteur complète ses palettes et chaque point de distribution reçoit ses palettes donc c’est pour cela que nos rôles de permanence en tant que producteurs c’est toute la journée et les distributions se font à partir de 13h mais la matinée est consacrée à organiser toutes ces palettes qui arrivent de toute cette consommation, regrouper par client et ensuite recevoir les clients à partir de 13h et leur donner leur panier global. Finalement entre la vente directe et la vente en ligne, la différence c’est justement ce lien social qui varie? Ce lien social est-il important pour vous? Oui, ce lien social que l’on a à la ruche beaucoup plus qu’au drive est très important, c’est un relationnel, c’est de l’humain, c’est du partage, c’est ce qu’on disait tout à l’heure comment faire pour faire valoir nos choix de production c’est en parlant avec les gens. Donc dans les ruches on trouve ce lien social malgré le fait que ce soit une vente en ligne parce qu’on fait l’effort d’être présents. Il y a des producteurs qui s’en fichent, qui posent leurs panier et qui s’en vont mais nous on est attaché à ce lien social et on peut le faire dans la ruche. Par contre dans le drive qui est un peu le même système, là ma propre expérience d’une journée c’est qu’il y a moins de lien social car il y a beaucoup plus de clients et que c’est quand même un peu plus proche d’un supermarché low cost. Les gens viennent tu donnes et ils repartent. Après, je suis persuadée que ça pourrait être autrement mais il n’y a pas la volonté de mettre l’accent sur comment on fait pour valoriser ce lien social. Il y a une ruche qui est comme ça, qui est chez la personne, c’est un peu plus conviviale, c’est une grande cours, un vieux garage et les personnes peuvent venir se garer dans la cours, ils font le tour, ils récupèrent leurs affaires alors qu’à Langon c’est sur le parking d’une surface commerciale à la sortie d’une librairie sur le trottoir. C’est mal foutu. Le lien social c’est une valeur ajoutée et il dépend des gens qui décident d’animer ce lien là. Je reprend l’exemple de l’AMAP à Nansouty elle est très forte 118 sur 146


pour cela car ils ont su créer ce lien là, cela dépend de la personne qui anime le réseau. Il n’y a pas de réponse tranchée. Il y a moins de lien à Bordeaux parce que c’est une infrastructure trop lourde pour avoir ce lien privilégié et dans les ruches on peut l’avoir mais ça dépend qui l’anime. C’est la même chose dans les AMAP, il y a des AMAP qui sont exactement pareil, il n’y a pas de liens parce qu’il n’y a pas la volonté et c’est une forme de supermarché low cost et il y a des AMAP où il y a la recherche de ce lien et ça peut aller très loin et amener de vraies choses intéressantes. A Nansouty, ils se sont évertués à faire re ouvrir un square qui était fermé pour que ce soit un vrai accueil de famille et que les enfants puissent gambader. Ils ont fait des choix, le producteur qui amène des paniers, il n’amène pas des paniers pré-faits, il amène ses bacs comme au marché et donc les personnes les constituent, il y a donc un temps d’échange et de partage. Ils ont fait toute une enquête où ils se sont rendus compte qu’en mettant en place cette façon là de distribuer et de communiquer, ils ont re dynamisé l’économie locale du quartier. Les gens comme ils viennent chercher à l’AMAP, dans leur quartier, en prenant du temps, en reprenant le temps de consommer, ils vont finalement aussi chez le boulanger, chez le boucher. Ils ont créé aussi la mise en place d’un composteur à côté, donc les gens ramènent leurs déchets de légumes, ils arrivent à construire cela. Aussi, fort de leur expérience ils ont réussi à créer AGAPES qui en fait est une structure qui a vocation à mettre les AMAP en lien entre elles, eux ils ont fait un partenariat avec la Sicile sur justement des agrumes qui vont venir en grande quantité et qui permet de re dispatcher dans les différentes AMAP. A force, ils ont aussi renforcé le lien de solidarité entre les AMAP, ils sont passé à la deuxième échelle. Ils arrivent à construire des choses autour du lien social que l’on peut avoir en partant d’une relation de consommateur à producteur. Donc comme quoi selon les personnes qui sont derrière ça peut aller très loin. Qu’est-ce qu’un circuit court pour vous? Là où il y a un minimum d’intermédiaire, un. La vente directe on dit que c’est bien mais c’est un métier, mettre en vente, la publicité et les ruches et le drive nous soulagent de tout cela, nous épaulent là dedans même si on apprend après à le faire nous même. C’est vraiment l’image du champs à l’assiette, le but c’est que le consommateur ait un produit qui soit frais et qu’il puisse le rencontrer. C’est pas tout en serres ou dans des bâtiments. Ils peuvent faire de la vente directe mais si on ne voit pas les produits, c’est problématique. C’est être fière de ton travail, de la manière dont tu produits, de là où tu vis et que les consommateurs puissent venir à la ferme là où ils achètent et se faire leur propre idée. On peut acheter du cochon d’une ferme qui fait de la vente directe mais au moment de la visite de la ferme ce n’est pas l’idée que tu t’aies faite, c’est tout en bâtiment et donc en tant que consommateur tu te dis est-ce que c’est vraiment pour ce type d’agriculture que j’achetais? C’est sur ce que jouent les grandes surfaces? Elles font soit disant des circuits courts, elles mettent des slogans, des publicités, « on achète chez nos producteurs », alors surement il y en a quelques uns pour qui leurs productions est plus biologique mais pour d’autres elle est industrialisée et pourtant ils font de la vente directe. Oui il y a toujours différentes strates et c’est très bien que les supermarchés défendent cela, du circuit court, car c’est la première strate du circuit court c’est que déjà au moins à minima on limite les transports, le passage dans la conservation de légumes (trois chambres froides par exemple) et on participe à l’économie locale, car même si on n’est pas d’accord avec ces modes de production on est quand même d’accord pour dire que c’est mieux que ce soit un paysan local qui puisse vivre et qui du coup puisse se poser un jour la question de remettre en cause sa production plutôt que de faire venir quelque chose de loin. La première strate donc c’est l’intermédiaire et quand tu montes dans les strates, tu peux aller chercher 119 sur 146


une strate supplémentaire qui est celle de la qualité car tu peux avoir un regard. Ca te garantit pas une qualité, c’est toi en tant que consommateur, acteur de tes choix, qui a les moyens du coup grâce aux circuits courts d’aller voir et d’aviser si ton choix était bon ou pas. Le circuit court ne te garanti pas la qualité, il garanti moins de transport, moins d’intermédiaires, moins de stockage et après il permet de faire valoir des éthiques supplémentaires. Dans les ruches, tu vois des produits qui ne correspondent pas à nos éthiques de production. Au drive fermier, tu vois des produits qui ne répondent absolument pas à notre éthique de production, qui ne sont pas même pas des producteurs et c’est dit un circuit court. Plus c’est gros plus tu vois ça. C’est plus il y a d’enjeux financiers, plus il y a de consommateurs, donc plus il y a de demandes, plus ils sont obligés d’aller chercher plus de produits et plus de produits ça n’existe pas dans des petites productions comme on fait aujourd’hui car on est très peu nombreux, on a des petites quantités de produits et donc plus tu as un panel de clientèle fort, plus tu vas chercher à compléter. Est-ce que le fait qu’il y ait une sur-médiatisation autour des circuits courts et le fait qu’il y ait plus de circuits qui se développent notamment au travers du numérique ne risque pas de créer cet effet là? C’est la connerie des gens qui créera cet effet là. Cet effet là il est intrinsèque, c’est l’humain, c’est le choix qu’on fait et le fait qu’on soit acteur de nos choix, c’est le fait de ne pas être un robot de consommation. La consommation aujourd’hui crée des dérives, elle n’est pas une dérive en elle-même, on a tous besoin de consommer mais elle crée des dérives. Donc ces réseaux, oui ils peuvent amener des dérives et ils en amènent déjà aujourd’hui mais simplement parce qu’on est dans une société qui est déviante sur notre mode de consommation. Donc après c’est vraiment au quotidien, l’éthique des producteurs et des consommateurs qui veille à maintenir ou à ramener de la qualité. Le média en luimême il n’est ni bon, ni mauvais, c’est un média, il a du bon et il a du mauvais. Il a du bon parce qu’il permet à tout un tas de producteurs comme nous de vendre leurs produits, de communiquer sur leurs produits, de pérenniser leur activité et il a du mauvais aussi parce qu’il permet à de gros industriels de se remplir les poches car au lieu de les vendre à quarante centimes à un supermarché, ils les vendent à deux euros à des clients en direct et ils font en même temps la vente en supermarché. Le média c’est un outil c’est ni bon ni mauvais, c’est la façon dont on l’utilise qui est bonne ou mauvaise. C’est l’histoire des normes, tu fais des normes pour sécuriser mais la norme ne veillera jamais tout, c’est pas la norme qui va faire qu’on va devenir éthique dans nos comportements, c’est l’éthique de nos comportements qui fera que la norme sera utilisée de façon éthique ou pas. Une norme peut être déviée, elle est ni bonne, ni mauvaise, elle sert à donner un cadre et ce cadre est utilisé après. Est-ce que finalement ce développement des circuits courts peut vous pousser à développer encore plus votre ferme? Ou est-ce que votre éthique est au dessus de tout ça? Oui c’est ça, ça t’irradie, c’est l’appas du gain. A Bordeaux, une fois je suis arrivée j’étais toute seule avec une autre petite maraichère comme moi. Donc on commence à vendre notre came et puis la semaine d’après elle met « local bio » qui est un grossiste donc ils se fournissent chez des producteurs et ils vendent en gros. Donc là je vois local bio arriver, pas du tout les mêmes prix, je me dis « fais chier », conflit d’intérêts entre un producteur qui défend une éthique et puis un grossiste, c’est pas la même chose, ils ont rien à faire ici. On avait une idée sur le drive fermier et au fur et à mesure on s’est demandé ce qu’ils mettaient en vente. On s’est posé des questions, le drive nous au début on ne voulait pas y aller, c’était une émanation de la chambre, idéologique, c’est un gros pouvoir économique donc on sait par expérience que dès qu’il y a un gros pouvoir économique il y a des déviances. Donc, les magasins de producteurs que l’on voit beaucoup en Dordogne fonctionnent pareil, on connaissait les dérives de tout ça, donc on ne voulait pas y aller, on y ait quand même allé et en y allant on s’est quand même confronté à ces dérives là. Ca m’a mit un peu en colère et puis un jour elle a enlevé local bio et là je me suis faite dévaliser et là deux choses viennent en tête (tu as bossé jusqu’à une heure du matin et le lendemain pour répartir à 6h30 à Bordeaux): tu te dis mais c’est vrai 120 sur 146


que je peux vendre tellement de légumes, donc en fait il faudrait que je produise encore plus, que je fasse encore plus d’achat-revente parce que du coup je peux faire un peu d’achat-revente et je peux gagner encore plus, donc on a cette espèce d’appât du gain et de pression qui arrivent. Et après il faut faire redescendre la cocotte et se dire quels étaient mes objectifs avant? Qu’est-ce que ça va impliquer si je veux vendre plus au drive? Alors il va falloir que je change complètement mon processus, il va falloir que je me mette à faire du tracteur car pour faire plus je ne peux pas tout faire à la main. Donc là, remise en question, mes objectifs, est-ce que vendre plus je reste dans mes objectifs? Non, donc nous on garde nos objectifs, notre éthique, j’ai re diminué, c’est moi qui décide combien je vends et il me faut juste tant et je n’ai pas cherché à faire plus même si je peux faire plus. Ce sont des questions d’humain, c’est la responsabilité de chacun de répondre ou pas à la facilité, à l’appât du gain, au tant que producteur, que consommateur. Ca m’a impressionné quand j’ai vu ça et après que tu peux faire l’achat-revente. L’autre maraichère elle fait très très peu, quatre légumes et donc elle pourrait se contenter de faire des légumes simples que de tout acheter et de tout re vendre, de te proposer un panel de vingt-cinq légumes et de tout vendre à des prix un peu plus cher. C’est le commerce, on a une activité qui comprend du commerce et le commerce ça comprend pleins de façons de faire, avec pleins d’éthiques différentes, après c’est à chacun de tenir ses responsabilités, nous c’est vrai que ça c’est des choses sur lesquelles on ne veut pas transiger. Je voulais pour l’alimentation des volailles travailler avec un mec local et donc je commençais à regarder par ici mais d’abord contacter des grossistes en aliments, il y en a un qui était venu puis il t’annonce le prix à la tonne, je trouvais ça plus cher que la moyenne et j’avais tablé mon prix des oeufs et je me suis dis tu gagnes pas énormément même avec 150 poules. Donc après j’ai contacté des producteurs locaux et c’est maintenant moi qui fait mon mélange et j’ai eu un prix beaucoup moins cher, au lieu de 670 euros la tonne je l’ai à 490 avec un producteur local à 40 km qui me l’amène. Nous en tant que producteurs, on fait la même chose que les consommateurs, on recherche de la qualité et du local donc Gerald a pris la peine de référencer les autres producteurs autour qui faisaient des céréales et donc cela prend du temps de prendre contact, essayer les produits, se mettre d’accord sur les quantités, se mettre d’accord sur les modes de livraisons, etc. Donc c’est un petit peu plus compliqué mais à la fin on est gagnant sur notre éthique, l’économie locale est gagnante car on travaille entre agriculteurs locaux donc on se sert les uns les autres. Et finalement, financièrement on est gagnant aussi car ça revient moins cher parce que quand tu passes par une grosse boite qui te livre tout tu retombes dans les frais d’intermédiaires, les frais de stockage, les frais de conditionnement et les frais de temps qu’ils passent à faire ce que nous on fait parce que du coup on prend du temps pour faire ça. Si on voulait pas s’embêter on paierait directement à un gros qui nous amène et on se pose plus de questions. Et le jour où le céréalier il plante une culture, ça va être tout un merdier pour se retourner alors que si on est avec un gros oui on le paye un peu plus cher mais on aura jamais de problèmes car il est toujours approvisionné. Au mois de juin, t’as plus de blé, ni de maïs et le grossiste il en aura toujours. Ce sont aussi les modes de production, ça a beau être certifié bio ce ne sont pas forcément des modes de productions qui sont proches de notre éthique, des sols bourrés d’engrais biologiques. Donc c’est une vaste nébuleuse tout ça, c’est très compliqué, c’est du travail de fourmis d’aller chercher mais c’est ce travail de fourmis là, la vente directe, les circuits courts, permettant de re faire ces démarches là, encouragent à re faire ces démarches. Et le fait que ça encourage c’est très important pour l’économie des territoires parce que nous on arrive et on travaille avec trois producteurs locaux qui au lieu de vendre à des prix dérisoires et de ne pas être payés sur leur travail peuvent nous vendre à des prix qui sont justes pour eux et sont payés sur leur travail. C’est l’économie du territoire qui en est valorisée, parce qu’on a la possibilité de vendre en direct et faire valoir cette éthique, mettre aussi des prix à nos produits qui sont justes pour nous, etc. La pertinence de ta question des circuits courts et de l’économie des territoires ça y participe, il faut qu’il y ait des volontés mais ça y participe. Comme le label bio c’est avec un « Agrocert » et pas « Ecocert », nous on est un peu « jusqu’au boutistes », on a fait tout le temps des choix qui ramènent au territoire, on a choisit un organisme de label qui est dans le sud ouest alors que l’organisme de label dominant c’est pas celui-là. 121 sur 146


Comment vous pensez que cette tendance va évaluer, comment elle va influencer les territoires ruraux aujourd’hui? De façon positive ou tout dépend de la responsabilité de l’humain, de la responsabilité des producteurs et consommateurs? Moi je pense c’est plus comme en politique, le gros est fait par les politiques et c’est à toi de faire changer en détail. Oui le changement vient d’en bas, il faut arrêter la roue elle tourne parce que tu as des pieds par terre qui la font avancer. Il faut être optimistes car sinon on ne le ferait pas. Nous on est très optimistes, je pense que de toute façon il y a un mouvement général qui est porteur, qu’il y a de plus en plus de conscience qui vont vers ça. On pourra pas tous être comme ça mais il faut qu’au maximum les gens ils réfléchissent, c’est tout ce qu’on aimerait, qu’ils mangent moins de viande (tu ne peux pas manger un poulet par semaine), manger des légumes, c’est un tout. En résumé, on pourrait dire qu’on est optimistes mais pas utopistes, on ne changera pas l’humain ou la société dans laquelle on est et puis comme on dit on ne change pas tout d’un coup mais il faut être optimistes car je pense qu’on a les moyens d’être optimistes car on est de plus en plus nombreux à se poser ces questions là. Et de toute façon, on n’a pas le choix, qu’on le veuille ou non, ouvrir les yeux ou pas, plus on avance dans le temps, moins on a le choix. Plus les générations passent, plus on aura des contraintes. Le problème c’est de ne pas le comprendre, quand tu vends à ce prix là, beaucoup de personnes pensent que c’est cher. C’est pour ça qu’il ne faut pas être utopistes, on ne peut pas changer tout ce système et toutes ces réalités d’un coup, par contre on peut être optimistes. Il faut que les gens arrêtent de consommer et qu’ils voient la réalité. C’est infiniment politique sur le comment on fait pour vivre ensembles. La politique au sens large c’est ça, c’est comment une société se gère et vie avec elle. Nous sommes optimistes mais pas utopistes car on ne change pas tout cela, on est dans ce bain mondial mais optimistes car je pense qu’à l’échelle humaine d’individu à individu on est de plus en plus nombreux à chercher autre chose et si on va au bout de cette démarche on peut permettre qu’autre chose soit possible. Optimistes aussi parce que les nouvelles générations font le changement, chaque nouvelle génération est un peu plus éveillée sur tout cela. Alors oui ce n’est pas tout le monde, ce ne sont pas tous les jeunes qui se posent ces questions là et qui ont le souci d’aller au marché. Voila vous avez accès à beaucoup plus d’informations, à la sensibilisation. Avec la diversification des circuits court, ça devient de plus en plus accessible. Extra: Economiquement, sauf qu’en circuit court, on voit des fermes qui fournissent vingt ruches, ça veut dire vingt distributions par semaine donc c’est des logistiques énormes et ça ne te permet pas de respirer. Nous on est deux, on s’y tient, on veut rester à deux et il faut que notre éthique de travail permette cela. Des agriculteurs qui passent par le circuit court parce qu’ils ont cherché à trouver de nouveaux circuits de vente pour re trouver des prix justes c’est bien mais parfois non. Quand leur outil de travail est tellement surdimensionné, les sous qu’ils doivent sortir parce qu’ils ont des emprunts, parce qu’ils ont des amortissements de matériels très conséquent, leurs besoins financiers deviennent énormes et les circuits courts bien sûr que c’est une aide car ils valorisent mieux leurs produits sauf qu’ils ont un tel besoin qu’ils sont obligés d’aller dans pleins de circuits courts et que là ça devient un piège parce que finalement il faut se démultiplier et ils coulent sous la masse de travail que cela représente. Ca c’est très dur, ces anciennes fermes qui cherchent à se transformer aujourd’hui c’est très dur pour eux car il faut retrouver le bon modèle économique et le bon modèle économique il n’existe pas encore sur ces fermes de gros gabarits, pour nous les circuits courts ils correspondent très bien parce qu’on est un petit gabarit, petit circuit de vente, ça va très bien mais une grosse ferme qui a un gros gabarit, qui a besoin de beaucoup de circuits de vente, du coup il leur faudrait une ruche énorme pour faire passer leurs produits donc du coup il leur en faut pleins, du coup ils re tombent dans un problème de temps de travail et d’organisation avec l’obligation de payer des gens pour faire une 122 sur 146


partie de ce travail et donc ce sont des cercles vicieux. Donc l’équilibre économique des fermes est fondamental aujourd’hui, le fait est que l’agriculture est en grande souffrance et donc cela explique en partie les retours que tu as eu. Il y a des gens qui ont de la très bonne volonté mais qui sont croulés sous la détresse du travail. Nous on a eu le temps de prendre conscience de ne pas s’installer de suite, de bien le préparer et de bien déterminer nos objectifs. Les exploitations de trois et cinq ans, beaucoup se cassent la gueule selon les chiffres, un peu comme toutes les entreprises, il faut bien se lancer. Ca compte beaucoup et c’est très compliqué, c’est un métier qui est très difficile et donc c’est pour ça que les gens sont un peu difficiles d’accès, l’agriculteur est difficile d’accès car il est dans une complexité de vie et de travail qui fait qu’il n’a plus de disponibilité pour l’échange et le partage, la socialisation, deux agriculteurs se suicident par jour, on était à un avant. C’est une détresse et ça c’est la vie agricole aujourd’hui. A votre échelle de travail, j’ai vu que c’était plus gérable? Oui c’est plus gérable. Mais ça va avec un mode de vie quand même? Oui, c’est le mode de vie d’un paysan. Ca veut dire que ceux qui ont pour objectif une grande exploitation c’est aussi parce qu’ils veulent un mode de vie différent? Je pense que ces choix là avant tout ont été avant tout subis. Il faut avoir conscience que ces agricultures là, pourquoi on en est là aujourd’hui? C’est parce qu’il y a 50-60 ans l’agriculture s’est intensifiée, ils n’ont pas eu le choix, on leur a imposé cela. Vous voulez vivre de votre travail, on va vous aider, il faut que vous travaillez avec des engrais. Ils n’ont pas eu le choix et après ils se retrouvent à devoir continuer dans ces choix là, dans ces modes là, parce que l’outil qu’ils ont créé est à la dimension de cette production là, donc c’est très difficile de re structurer tout cela. Et puis, techniquement c’est difficile et moralement aussi car ça demande de remettre en question sa pratique. Le poids des ainés n’est pas loin. Le mal de cette agriculture c’est ce que disait Gérald sur les céréaliers, c’est ça. La production de céréales part en concurrence directe sur le marché du céréale dans le monde, donc le producteur se trouve concurrencé directement avec des gens qui ont des outils de production beaucoup plus importants et ils subissent ces coûts là. De fait, il est en concurrence, il n’a même plus le choix de son prix puisque son prix est déterminé par ce marché et ça c’est terrible, c’est pour ça qu’on voit aujourd’hui la fin de l’agriculture. Ils sont complètement dépossédés dans l’agriculture. Ces paysans on dit que ce ne sont plus des paysans mais des salariés parce qu’ils sont complètement démunis de tout cela. Pour sortir de ça, c’est compliqué, il faut du courage, il faut affronter le regard des autres, il faut oser aller dans l’inconnu et il faut trouver comment remanier son outil de production. C’est pour cela que les producteurs sont aujourd’hui très en souffrance. Si tu regardes les chiffres, la plupart des nouveaux installés ne sont pas du monde agricole car les jeunes ne veulent pas reprendre ça, ils voient leurs parents dans la misère donc ceux qui s’installent ne sont pas du monde agricole et c’est pour cela qu’il y a ce renouveau, ce changement d’état d’esprit. Il ne faut pas leur en vouloir mais dans l’ensemble il faut être compréhensifs aussi que c’est une situation extrêmement difficile. A l’échelle de la commune, les habitants consomment plus dans la grande distribution? On sait pas, on ne les connait pas bien. Certainement que oui, il y a un marché à Bazas. Il y a les marchés donc beaucoup de gens doivent aller au marché. Après les ruches typiquement, les autres façons de consommer (ruches ou AMAP) c’est dans les villes ou la vente directe dans les fermes mais quand les fermes vendent sur les grands marchés, ils ne font plus de vente directe ou alors ils en font un petit peu mais ce sont de petites niches, car il y a de moins en moins d’agriculteurs donc 123 sur 146


tu peux moins le faire mais il y en a un petit peu, il y a quand même des gens qui le font. A Langon, la ruche marche moins bien qu’à Cerons, à 10 km de Langon. Langon, tu as quand même beaucoup de supermarchés, il y a une ou deux supérettes bio, il y a deux marchés le vendredi un plus petit et le dimanche un plus gros. Il y en avait une à Bernos-Beaulac de ruche, elle a fermé. Même pour les gens qui sont à la campagne c’est ce fameux lien entre consommateur et producteur qui est difficile à faire, donc s’il n’y a pas des plateformes qui font cet intermédiaire là, c’est difficile car le producteur a la tête dans le guidon et il ne peut pas aller démarcher tout le monde parce que c’est une démarche de vendre à la ferme. On ne connait pas exactement les chiffres mais il faut bien voir qu’à la campagne il n’y a pas forcément plus de consommation directe parce qu’on est à la campagne. Bien sur, il y en a plus qu’à la ville parce que de fait il y’a des producteurs chez qui tu peux aller, en ville y’en a pas, mais ça s’est beaucoup perdu. L’agriculture se meurt, les marchés ont été autres, les producteurs se sont détournés des consommateurs et puis maintenant il y a de moins en moins de producteurs. Aujourd’hui c’est aussi grâce à la proximité que vous avez avec Bordeaux que surement il y a encore des producteurs qui peuvent vivre? Ca permet oui, les gens sont plus attachés à cela. Donc oui l’histoire est en éternel recommencement, quand on parle des villes et de l’urbanisation on déplore le recul des ceintures maraichères. Avant chaque ville était entourée de producteurs, notamment des maraichers mais pas que, qui fournissaient les villes et puis les villes se sont étendues et ont écrasé le reste. Ca s’est perdu. Les gens habitaient à la ville mais continuaient à cultiver. Tout cela ça s’est perdu car on a eu les supermarchés et on a plus eu à se poser ces questions là et puis aujourd’hui on y revient et ça va re être cette histoire de ceinture maraichère, de ceinture de production. Nécessairement ce sont les villes qui apportent ce gros bol de consommateurs qui permettent à des producteurs de s’installer autour et de pouvoir trouver des consommateurs. C’est seulement que les échelles ont changé et on n’est plus aux portes de Bordeaux mais on est à 50 km de Bordeaux. Mais c’est pour ça qu’il ne faut pas être dans des clivages, dire que la ville c’est pas bien, elle s’attaque à la campagne, il faut trouver comment la ville et la campagne travaillent ensembles et comment chacune peut se structurer de façon à ce que les liens soient faits et que le respect de l’un et de l’autre soit garanti. C’est parce qu’il y a de grosses villes qu’il peut y avoir des producteurs. C’est évident parce qu’il faut vendre et tu ne vas pas forcer les trois habitants du village à t’acheter toute ta production donc il faut des bassins de population importants. On n’aurait pas pu faire ça en Dordogne car il y a peu de gros bassins de populations et ces gros bassins de populations sont du coup déjà bien pourvus en producteurs donc voila c’est ça.

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Entretien avec François Araujo MaraÎcher Commune de Tabanac

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François Araujo - Tabanac Selon les informations que j’ai trouvé sur internet, vous avez décidé il y a environs 8 ans de vous réorienter professionnellement vers la production agricole. Vous obtenez ainsi en 2011 votre diplôme agricole BPREA ( Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole) et vous vous installez à Tabanac sur une parcelle de 7000 m2 selon un contrat de prêt avec l’aide d’une pépinière d’entreprises agricoles la SAS Graines. De manière parallèle vous suivez une formation d’herboristerie et vous commencez à produire des plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Aujourd’hui, il me semble que vous travaillez sur trois hectares sur lesquels vous élevez des poules pondeuses, vous produisez des légumes et vous produisez vos plantes, secteur qui s’est d’ailleurs diversifié devenant une partie très importante de votre activité agricole actuelle. Maintenant je fais principalement des légumes et des oeufs, les herbes ce n’est plus rentable, c’est pas vivable. Après tout ce qui est agricole à petite échelle ce sont des modèles qui sont économiquement pas terribles. Je ne gagne pas vraiment, j’ai pas un salaire normal, je gagne moins que quelqu’un qui est au RSA. Pour vivre de la plante, il faut faire 600 kg de plantes par an, on vend des grammes et avant d’arriver à 600 kg c’est très compliqué et il y a un côté commercial où c’est très difficile à vendre et même si c’est de la qualité, personne achète. Donc ça j’ai arrêté, maintenant je fais des légumes et des oeufs en circuits courts car je vends qu’à des gens à côté de moi. J’ai vu que vous fournissez l’AMAP de Quinsac? J’ai arrêté ça, c’est intéressant, le phénomène AMAP c’est assez opportuniste, il y’a quelques noyaux durs de l’AMAP qui est vraiment militant qui croit à l’agriculture locale, paysanne et il est prêt à assumer tout et n’importe quoi. Et dans ce tout et n’importe quoi, il s’est engouffré pleins de gens, sauf que ce n’est pas eux qui nous font vivre mais c’est le reste du groupe, c’est pas les trois ou quatre militants mais les quarante ou cinquante qu’il y a autour qui font vivre et avec le recul j’ai remarqué qu’ils étaient surtout là pour faire une bonne affaire. Donc tout cela c’est un peu hypocrite, c’est un peu faux. Il y a des AMAP qui sont maltraitées par le producteur, d’autres c’est le producteur qui traite mal les « amapiens », tout cela c’est compliqué, moi j’avais tendance à mettre beaucoup de produits pour le prix et il m’arrivait parfois d’arriver le soir, de faire la distribution et de m’entendre dire « encore des navets? », moi j’avais passé la journée à les laver dans la glace, à casser la glace pour pouvoir laver les navets, je lavais dans l’eau à 1° à mains nues et m’entendre dire le soir encore des navets, ce n’était plus supportable. Moi je m’en fous de leur argent parce que je m’en fous de l’argent en général donc ça c’est terminé. Maintenant j’ai que ce marché, il n’y a pas plus direct. La vente directe on va la développer l’année prochaine, on va ouvrir un magasin mais pour l’instant on vend ici en direct et on est les plus proches du marché. Quels sont les avantages et désavantages de ce type de circuits en vente directe au marché par rapport aux plateformes numériques? Il y a un seul prestataire, la mairie qui me fait payer le plaçage, pas très cher mais ce n’est pas rien non plus, ils pourraient nous le faire gratos. Il y a vraiment le moins de frais possibles, on est en direct avec les gens et ils prennent ce qui veulent, les quantités qu’ils veulent. Avantage et inconvénient toujours comparé à l’AMAP où là j’ai beaucoup de courges, je mets un wagon de courge, ils bouffent de la courge pendant 3 mois, ils en ont marre mais moi j’ai bazardé mes courges je ne veux plus en entendre parler. Là ils vont acheter que ce qu’ils veulent sauf qu’ils vont le payer plus cher parce qu’ils vont prendre que ce qu’ils veulent. L’AMAP je faisais 30% de moins que le prix du marché. 126 sur 146


L’avantage du marché c’est vraiment le plus direct mais comme ce matin, c’est les vacances, la plupart des produits qui sont sur le banc vont être jetés ce soir aux poules parce qu’il n’y a pas assez de monde. Bordeaux il y a bientôt 800 000 habitants, jeudi matin, plein centre ville à un endroit où la terre entière nous envie, 50 clients peut être. Dans des systèmes comme le drive fermier ou les ruches ça peut pas compenser? Le drive fermier c’est une initiative de la chambre de l’agriculture, je ne veux rien avoir à faire avec ces gens là, c’est une émanation du ministère. C’est un délire de gros. Je suis passé par la chambre d’agriculture parce que tu es obligé d’y passer, c’est du grand n’importe quoi. Ces gens là ne m’intéressent pas. Il y a tous les délires numériques, j’ai été inondé de tous ces trucs là: green république, la ruche qui dit oui, achetons local, une palanquée de sites comme ça, je sais qu’à chaque fois ils viennent nous voir pour gagner des sous. Je ne suis pas un gamin, si tu viens me voir c’est pour gagner des sous, c’est pour prendre dans ma marge. Ben non, moi à un moment donné je ne peux pas tout le temps donner de ma marge. Dans les ruches, il y en a qui font ça pour gagner du pognon. Le site parisien lui il fait ça que pour gagner du pognon et ça marche tant mieux pour lui, sauf que celui qui organise la ruche localement il a 7-8% qui lui reviennent et il les prend et il en fait ce qu’il veut. La plupart ce sont de auto entrepreneurs donc ils prennent les sous pour eux, ils organisent leur ruche, ils gagent des sous avec ça, chez eux ou pas, peu importe, bah ça non, moi re donner ma marge à des gens comme ça: non stop. Je fournis une seule ruche, la ruche de Marsan et de Chartrons qui est tenue par Maud qui elle reverse les sous à des associations d’aide à des enfants dans les hôpitaux. Là je largue ma marge, mais c’est les seuls. La bio c’est très médiatique, ça intéresse beaucoup de monde, le local, le petit paysan, tout ça c’est du pipo, les clients ne sont pas là, les gens ce qui veulent c’est acheter un téléphone portable. Un cancer dans 30 ans, ils en ont rien à carrer. C’est complètement médiatique et complètement faux. Tous mes clients, leur moyenne d’âge c’est 70 ans, ils mangent là depuis 30 ou 40 ans, ils ont 70 ans c’est pour cela. Ce n’est pas renouvelé du tout. C’est simple, nous c’est les jeunes mamans et les personnes âgées, ce sont les 2 catégories de personnes qui ont peur de mourir. La jeune maman elle ne veut pas perdre son bébé et elle veut surtout faire que son bébé soit super bien. Et le petit vieux il craint tout. Il y a que très peu de jeunes qui viennent sur le marché. C’est par rapport à ce marché? C’est parce que c’est un marché bio, on est le seul marché bio de producteurs. Parce que le marché bio de commerçants, facile il suffit d’aller à un local bio, il y a tout ce qu’il faut. Ici, la plupart on est des producteurs, c’est introuvable en Gironde. Moi par exemple je faisais le marché de Bègles avant avec les tisanes et après en légumes, j’étais moi et un collègue en légumes les deux seuls producteurs du marché. Le marché de Bègles un mercredi matin il fait 500 mètres de long, il n’y a pas un producteur, ce sont tous des revendeurs qui achètent et revendent. Ici, il y’a quasiment que des producteurs. Et par rapport aux différents circuits à travers desquels vous êtes passés, les consommateurs sontils différents? Je sais pas. Par exemple je fournis l’AMAP de Nansouty, c’est une des plus anciennes AMAP de Bordeaux Ulysse Michon, eux je les garde parce que c’est une vrai AMAP, c’est devenu très convivial, là c’est du sérieux mais ils ont souffert parce qu’ils ont accompagné des porteurs de projets à s’installer en légumes.

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Par rapport à l’influence de la métropole, vous la ressentez, par rapport à la commune que vous habitez? Par rapport à Bordeaux et la métropole, la population elle croit à vitesse grand V, le tourisme s’est développé comme jamais mais il n’y a personne, je re pars avec pleins de marchandises, regardes les prix et ceux de n’importe quelle biocoop autour, je suis 40% moins cher et je les ai ramassé hier les légumes à 15 km d’ici et je crée de l’emploi, ça suffit pas? J’en finis avec la conclusion que tout cela c’est complètement médiatique, TF1 qui toutes les semaines fait un reportage sur le petit producteur bio et M6, et France 5 tous les dimanches soirs il y a quelque chose sur vous allez tous mourir parce que vous mangez du sucre, du lait, etc. Ok, quand est-ce que nous producteurs on s’en sort, on est gagnants? Moi à ce rythme là je ne vais pas tenir très longtemps, quelques années de plus et c’est fini parce que pas de vacances et un salaire ridicule, j’arrête. Je le fais en ce moment car je vois grandir mes enfants, c’est le seul intérêt. Mais à l’échelle de votre commune? Le maire de ma commune qui est un gentil fou m’a proposé la semaine dernière de construire un magasin de vente au centre du village et de me le mettre à disposition comme ça. Car j’habite un village qui devient par la croissance de la métropole un dortoir, sauf que mon village dortoir il y’a beaucoup de châteaux prestigieux, de belles demeures, c’est un cadre pas mal, sauf que la vie de village elle se résume à l’école. Personne se rencontre jamais et ça dans les dernières élections, le maire a dit qu’on va créer un lieu de rencontres au centre du village coute que coute. Il a réussi à se faire financer donc là en 2018 on va essayer d’ouvrir un magasin de producteurs au centre du village avec un lieu d’accueil convivial, café, thé, discussions, refaire le monde, militantisme s’ils le veulent, moi je m’en tape, je vais essayer de vendre mes légumes et mes oeufs au centre du village mais je ne fais pas que ça, je ne lâche pas le marché. Le métier de paysan est quand même en danger pour vous? Oui, et franchement tu ne peux pas lutter, les gros ont toujours gagné et ils vont encore gagner. Les petits ce n’est pas viable, à moins d’être sur des gens militants profonds. Moi je n’en suis pas, je ne suis pas militant, je ne suis pas entrain de sauver le monde mais c’est vrai que les tous petits paysans gagnent rien de leur vie et perdent leur vie dans leur boulot. Est-ce qu’il existe une forme de solidarité entre paysans à l’échelle de votre commune? Non pas la commune. Moi j’ai un collègue avec qui on est voisin attenant, on achète du matériel en commun, j’ai d’autres collègues producteurs mais c’est toujours un peu en bio, les chimistes on les connait pas trop, ils ont du mal à répondre à certaines questions. Ils en mettent tellement et nous quand on leur dit qu’on en met pas et que ça marche quand même, ça tousse, mais après ce sont des modèles qui sont très différents. Les chimistes ils font un seul truc c’est pour que ça marche bien, qu’avec des produits chimiques, nous c’est différent. Comment vous pensez que cette tendance va évoluer? Je ne sais pas. Vous n’êtes pas optimiste? Non au contraire, je pense même qu’il ne serait pas négatif que les humains ne souffrent plus au travail, physiquement et moralement. Et donc, que notre alimentation soit produite par des machines, c’est probablement ça qu’il va se produire, tant mieux, tant pis, je ne sais pas. C’est pas grave, il vaut 128 sur 146


mieux avoir un petit boulot pépère, être fonctionnaire à la ville, tranquille. Moi j’ai une hernie discale, je devrais être en arrêt de travail depuis six mois et je ne peux pas car si j’arrête c’est finis. Donc là Macron il va peut être faire le chômage pour les auto entrepreneurs mais ça reste du chômage. Moi ce n’est pas négatif, si le modèle de la petite agriculture locale n’est pas souhaitée par le peuple, moi je fais parti du peuple. Vous les jeune vous êtes lucides mais vous n’avez pas les moyens, vous allez faire des arbitrages. De toute façon, les jeunes sont maintenant des handicapés du goût parce qu’ils n’ont jamais eu le temps de cuisiner, ils n’ont jamais appris à cuisiner, ils n’ont jamais cuisiné. C’est dommage pour un pays comme la France en plus… Oui on est la troisième puissance agricole dans le monde et on bouffe beaucoup de trucs de merde. Ce sont aussi les politiques publiques qui facilitent plus les grands producteurs… Oui après c’est vachement le secteur bancaire qui est là dedans, c’est compliqué, les gros agriculteurs qui ont de grosses surfaces, de grosses machines, tout cela ça coute un pognon fou, la banque elle paye car elle sait que son système il tourne, l’industrie alimente l’industrie parce que l’agriculture intensive sans chimie elle ne marche pas. Moi je le vis au quotidien, si je laisse un bout de terre sans m’en occuper pendant trois semaines, ça pousse de partout, la terre ne s’arrête jamais. Le chimiste il a trouvé un produit qui arrête tout, ça s’appelle le glyphosate. C’est très compliqué, avant le glyphosate, il y avait d’autres molécules beaucoup plus dangereuses, donc Monsanto quand il a mis le glyphosate sur le marché, il dit qu’il a mis une molécule moins dangereuse. Pour moi Monsanto ce n’est pas le grand démon, il a un argument qui se tient. Les petits producteurs vont disparaître. Après on pourrait relier plusieurs choses. Mon père quand il est arrivé en France en 1966, il y avait qu’un seul choix de job pour les étrangers qui débarquaient, c’était l’agriculture et pendant 5 ans.Tu es traité comme un esclave hein, mais tu peux rester, tu auras des papiers, tu seras en règle et tes enfants iront à l’école, etc. Mais pourquoi on fait pas ça aujourd’hui avec les réfugiés? Par exemple moi j’ai besoin de personnel, pour faire un truc très ingrat, désherber à la main, au lieu que les réfugiés on les foute tous à Paris ou dans les grandes métropoles, on leur dit qu’il y a de la place dans les campagnes, c’est moins drôle mais ça pourrait être pire, là d’où ils viennent c’est pire. Tu rentres dans la société, tu as un salaire. Et on réglerait les problèmes comme ça et non, les réfugiés ont leur fait miroiter qu’ils vont habiter à Bordeaux centre. Les premiers immigrés comme mes parents, ils ont été là où il y avait de la place, là où ils pouvaient aller: les campagnes très reculées. Sauf que maintenant tout ça c’est dépeuplé, il y a personne. J’ai un pote anglais qui vient d’acheter une belle maison dans le Limousin avec un terrain de 26 000 euros. Dans le Limousin, au milieu de nulle part, personne ne veut y habiter là bas, il y a que les anglais. Tabanac c’est devenu une citée dortoir, mais avant ce n’était pas forcément le cas… Avant c’était très agricole, viticole. Il y a une vie de campagne? Je suis même pas sûr, parce qu’il n’y a pas de vestiges, il n’y a pas d’anciens commerces. Je crois qu’il y avait un coiffeur à une époque. Mon voisin John Wong vient de racheter le château Renon à côté, 5 millions euros d’achat, 15 millions d’euros de travaux, on est voisins, moi je gagne 300 balles par mois, lui il gagne 3 millions par mois. Même les gouttières elles sont en cuivre. Ca par contre, à la chambre de l’agriculture, ils adorent, le mec il est bourré de pognon, il peut tout acheter. Et le vin, il part 100% en chine, les bouteilles sont édictées Chine, en mandarin, tout part là bas. Il faut faire un placement pour ça, c’est un modèle financier différent. 129 sur 146


Finalement la chambre de l’agriculture… Moi là où j’ai arrêté la relation avec la chambre de l’agriculture c’est le jour où ils ont organisé la réunion tripartite, le futur exploitant, la chambre d’agriculture (ministère public), la banque (crédit agricole) privée. Je peux très bien y aller tout seul moi chez le privé, mais pourquoi elle m’y accompagne la chambre, c’est quoi cette collusion, cette histoire? Et après j’ai compris, c’était pour que j’emprunte beaucoup et l’emprunt ça te tient, tu es coincé, tu ne peux plus t’en aller. T’es pris, tu vas produire, moi je n’ai pas marché, j’ai pas emprunté. C’est eux qui fixent les prix? Oui, ils formatent même ton entreprise, moi quand j’y ait été, il fallait que je fasse en 3 années, 100 000 euros de chiffre d’affaires et que j’emploi deux personnes. Et moi, je peux dire ce que je veux faire moi? Ca marchera pas sinon, moi je fais 40 000 euros de chiffre d’affaires, c’est pas 100 000 comme ils m’ont dit, comme j’ai pas emprunté comme ils me l’ont dit, j’ai pas besoin de faire autant comme ils me l’ont dit. Moi je l’ai trop senti ce plan là, où ils voulaient s’installer, prendre les gros trucs, envoyer du lourd pour continuer le modèle qu’ils ont envi de maintenir. Si on se détourne de l’humain pour faire de la nourriture, c’est une idée. Parce que pour l’instant, ça marche moyen. Après, on ne sait jamais tout, toutes les situations ne sont pas très comparables. L’autre maraîcher qui habite en Charentes, ne voit pas du tout ça pareil, parce que lui de la main d’oeuvre il en a à foison là-bas, les terres elles valent rien là-bas. C’est très différent, nous en étant proches, j’ai acheté des terres très chères, la main d’oeuvre tu ne la trouves pas comme ça, là-bas c’est différent. Lui il le vit très bien, même quand il n’y a pas grand nombre dans le marché à Bordeaux, ça va pas mal, sauf que moi c’est un peu différent. Parfois on se dit on va arrêter, ça marche pas, c’est pas possible on est à 15 bornes de Bordeaux, on parle de nous matin, midi et soir à tous les journaux, il y a personne, on se demande donc si on va pas arrêter. Le voisin aussi il dit que si ses chiffres continuent à descendre, il vient plus. Imaginons, s’il y a plus de demande, vous serez en mesure d’agrandir votre production? Ce n’est pas une histoire de surface dans mon cas mais une histoire de main d’oeuvre. On recourrait plus à la main d’oeuvre, donc création d’emplois, je pense que ce n’est pas négatif. Après c’est très compliqué, on est jeudi, je comprend que les gens le jeudi ont autre chose à faire que aller au marché c’est vrai, il y a ce côté là aussi mais bon franchement le cadre il est royal. Les gens s’arrêtent pas. Après un bon scandal sanitaire et hop. Ce qui a fait explosé le bio c’est la vache folle, sauf que depuis il n’y a pas eu grand chose, les poules, et ça d’ailleurs moi j’ai halluciné, on a vendu beaucoup plus d’oeufs à cette période. les industriels utilisent un insecticide sur l’animal pour tuer les poux, ils vaporisent ce produit sur l’animal, moi des poux j’en ai aussi, moi je les tue avec un insecte. J’introduis un insecte qui va vivre en symbiose avec la poule, qui va manger les poux mais pas embêter les poules, pourquoi moi j’y arrive et eux ils y arrivent pas? Le prix, moi il faut que je surveille si la colonie est en forme, si tout se passe bien, il faut s’en occuper, il faut le payer l’insecte. Hier j’ai vu un couple de producteurs qui était récemment installés à Cudos près de Langon, ils avaient une perspective différente à la votre. Peut être la distance et leur mode de production, leur mode de vie, ont joué dans leur vision des choses. Langon ça fait loin, ils ont du acheter des terres pas très chères. Moi je suis en train d’acheter une serre par là-bas, il y a un maraicher qui arrête, ça dépend de quoi ils ont besoin pour vivre. Mais un couple comme ça, ils ont du s’endetter. Franchement, il y a aussi le prix des légumes, on vend les légumes 3 clous, parce que les gens n’aiment pas légumes, on vend les légumes 3 clous et c’est toujours trop cher et encore plus en bio. Ca c’est aussi super compliqué, on a fait tout pour l’autonomie alimentaire, 130 sur 146


qui est atteinte depuis longtemps, ça fait que pour beaucoup les légumes c’est un truc pas cher et pas bon. Un truc qui me terrorise c’est quand j’entend RMC une heure de débat sur il faut manger bio, local et puis à la coupure pub c’est LIDL qui annonce les 20 kg de patates à 2 euros. Et après on reprend le débat sur c’est formidable, il faut consommer bio et local. Une patate à 10 centimes je sais ce qu’ils ont mis dedans. Il y a un insecte qui est ravageur c’est le dorifor, moi je le ramasse à la main, je tue les adultes comme ça ils n’ont pas d’enfants donc je réduis la colonie petit à petit. Dans les grandes surfaces qui se font en pommes de terres chimiques, l’insecticide il ne tue plus l’adulte donc ils commencent à être un peu plus envahis, ils augmentent les doses, c’est la course. Mais pour vendre de la patate à 10 centimes, effectivement le mec il ne faut jamais qu’il descende du tracteur, il faut tout qu’il fasse au tracteur, pulvériser un produit, ramasser. Lui il t’explique qu’il faut qu’il rembourse le tracteur, les dettes. RMC qui fait des débats super bobo pendant une heure et LIDL derrière qui moi me fait passer pour un voleur avec ma patate à 2 euros. Je suis un voleur, je suis 10 fois plus cher. Ici c’est différent, les clients ils comprennent que c’est le prix juste, c’est le prix normal. Mais le client de base, consommateur normal, il ne sait pas ce qu’il y a derrière, il n’y a pas d’information. Est-ce que les médias n’aident pas finalement à cela? A faire savoir? Oui oui, mais il y a un moment, à force de trop en déverser, tous les dimanches soirs sur France 5, tu satures, tu n’y crois plus, tu n’écoutes plus. Peut-être il y a un moment où ça a été un peu trop, il ne faut pas manger de sucre, de lait, etc. A force, je sais pas si ça dessert pas. Mais moi qui sait un peu comment fonctionne les filières, tu ne manges plus si tu sais. Moi j’habitais dans un village verger, on était 2000 habitants et on fournissait 5% des pommes du pays, donc on vivait dans un verger géant. Les produits chimiques c’était minimum 50 fois par an, tous les producteurs étaient des potes, moi j’ai vécu avec leurs enfants. On se connaissait tous, 50 traitements minimum dans l’année, la plupart sont tous morts, les pères de mes potes qui eux étaient sur le tracteur qui pulvérisaient en claquettes sont tous morts. Personne n’en parle, surtout qu’ils ont eu tous un peu les mêmes cancers, la gorge, l’estomac, toujours un peu au même endroit, « oh ils fumaient, oh ils buvaient », non surtout ils vaporisaient. Et à la fin, ces pommes là sont mises en palettes et vont dans ce qu’on appelle la chambre radioactive pour les désinfecter, donc elles passent à la radioactivité pendant un certain temps, à une certaine dose. Le popeye qui va dans la zone radioactive, il a un badge comme dans les centrales nucléaires et quand le badge il a bouffé toute sa dose, il dégage, il est viré comme il est intérimaire. Ils en reprennent un autre, avec un badge à zéro et le mec rentre les palettes dans la zone radioactive. Alors que le mec aille dans une zone radioactive et que quand il ne peut plus encaisser, il soit viré, c’est dégelasse mais la pomme qui a été dans la zone radioactive quand tu l’achètes, c’est écrit dessus? Non. J’avais mis sur Facebook AB vs AC pour déconner. Agriculture biologique contre agricole chimique, j’ai des potes qui disaient pourquoi tu dis chimique on dit conventionnel. Pourquoi? C’est quoi ce mot conventionnel? Il y en a une qui est basée sur la biologie donc la vie et une autre qui est basée sur la chimie donc la mort. Les produits de la chimie sont extraits de la mort. Nous on est obligé de s’estampiller pour prouver qu’on fait gaffe à tout, et eux ils n’ont pas à s’estampiller, ils font gaffe à rien. Personne n’achèterait une pomme sachant qu’elle a été en zone radioactive. Et à la fin, les frigos de pommes dans le centre de la France sont pleins à craquer, des millions de pommes radioactives stockées et on ne sait pas trop quoi en faire, ça part en Russie souvent, à 3 centimes, 10 centimes le kilo. Moi j’hallucine que tout le monde ne soit pas au courant, je trouve ça étonnant. Moi ce qui m’intéresse c’est d’avoir le choix, garder le choix. Je sais qu’une pomme du conventionnel, j’en achèterai pas. Si jamais j’achète un biscuit industriel à la pomme, ce sont des pommes qui ont été en zone radioactive, forcément, l’industriel achète le moins cher et pas le meilleur. Tous les petits trucs, la ruche, qui ont voulu faire des start up, on ne peut pas faire vivre tout ce monde là en plus. L’agriculteur fait vivre un tas de gens, moi je prend de l’argent ici et j’en distribue à tout le monde: fournisseur, créancier, etc. J’arrête pas de distribuer du pognon, on est des passeurs de pognon. Si en plus, je dois en filer à un mec qui va faire un site internet 131 sur 146


Entretien avec Philippe Lacou MaraÎcher Commune de Saint Jean d’Illac

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Philippe Lacou - Saint Jean d’Illac Merci pour votre temps, je sais que c’est important pour vous le temps. Ca dépend des commandes, des fois on a beaucoup de boulot, des fois moins. Là j’ai livré à Blanquefort, à la ruche qui dit oui de Blanquefort. Là, j’amène à un restaurant carrément et la distribution se fait dans le restaurant. Vous participez à la ruche de Pessac, Gradignan et Caudéran aussi… Oui, Arès aussi et Blanquefort et Carcans le vendredi. Nous en fait on livre Gradignan, Caudéran, Blanquefort et après avec un collègue on se rejoint pour celle d’Arès, c’est lui qui nous fait la distribution. Arès et Carcans c’est lui qui amène donc nous on n’a pas à rester à la distribution. Je ne vous ai pas vu sur leur site… Oui Bordeaux, il y en a d’autres qui m’avaient demandé mais on n’a pas la production et le problème c’est que 2 hectares et demi une fois pleins les légumes, on n’arrive pas à les superposer, c’est pas bon. Il y a des demandes pour différents trucs mais pour l’instant ce n’est pas possible. Il y a que un resto là que je vais renvoyer, ça fait déjà deux fois qu’ils m’appellent mais bon comme c’est vraiment un resto 4 étoiles, il doit ouvrir juin de l’année prochaine sur Lacanau, un chef étoilé, Alain Deluc. Il m’a dit qu’il y aura la photo avec tous les producteurs, vos légumes ça m’intéresse, envoyez moi les tarifs. Ça va se faire, est-ce que ça passera ou pas? On verra. Selon les informations que j’ai trouvé sur internet, vous êtes un ancien ouvrier agricole qui est devenu maraicher à titre exploitant il y a maintenant 12 ans. Qu‘est ce qui vous a poussé à devenir producteur? J’avais déjà un copain qui avait un resto et moi je produisais toujours mes légumes, mon copain me disait fait moi des salades, des machins, honnêtement je lui vendais quelques salades comme ça mais j’avais pas le droit donc après j’ai demandé aux autres resto à côté, mon frère en connaissait un aussi. Et il m’a dit ça les intéresse et tout, donc j’ai vu que les restaurants ça les intéressait (restaurant à Saint-Jean D’Illiac). Donc, on a dit on va faire un essai et les trois resto ont changé de propriétaire, j’ai travaillé avec un d’eux pendant un moment puis j’ai arrêté. Les resto, ça n’est pas vraiment super fidèle, dès que ça change. Mais ça les intéresse tous mais il faut parfois leur livrer trois salades, des patates, et à l’arrivée on n’est pas gagnant. On passe plein de temps pour gagner 10 euros. Le dernier restaurant qui a arrêté, il est arrivé là il voulait 6 salades, il m’appelle il me demande s’il y a des salades. Je lui dis oui, un samedi matin on avait pleins de clients et il manquait une salade, dans le champ d’à côté je suis parti chercher des salades, il est arrivé et ça ne lui a pas plu qu’il n’y ait pas de salades et il a dit non non j’attend pas et il est parti, terminé. Donc c’est bon quoi, on ne peut pas être à disposition de tout le monde, j’avais des clients qui attendaient des salades et de toute façon il n’y en avait plus, il pouvait attendre 5 min et non terminé. Après les restaurants, j’étais parti un peu avec Intermarché à Martignas, donc là ça marchait bien puis j’ai continué avec les ruches puis j’ai arrêté Intermarché, bon en fait pas vraiment je les livre quand je peux pour les dépanner, occasionnellement, deux fois par mois. De toute façon si je leur met la production à eux, j’en ai plus pour ici, j’en ai plus pour les ruches. Ca c’est l’avantage par rapport aux supermarchés de grande distribution… Oui voila quand le Casino s’est monté il y a un petit moment, ils étaient allé voir Intermarché et mes salades, ils étaient donc venu me démarcher et j’ai dit pourquoi pas parce qu’à ce moment là j’avais 133 sur 146


pas les ruches. Donc la personne est venue, elle me dit d’accord on passe, on se met d’accord sur le prix des salades. J’ai dit comment ça se passe, je livre à quelle heure le matin? Ah non c’est un camion qui vient récupérer. D’accord mais après il me dit c’est le camion de la centrale de Limoges, oui vos salades vont aller jusqu’à Limoges et de Limoges elles reviennent le lendemain à Saint-Jean d’Illiac. J’ai dit non mais l’écologie machin, elles vont faire 200 km-300 km alors que j’habite à 1,5 km du magasin. Et ils m’ont dit, oui mais on ne peut pas livrer direct. Carrefour, Leclerc, Casino, Lidl, il faut passer par les centrales. Il faut livrer à la centrale, puis c’est re dispatcher dans les magasins, tant dis que les Intermarchés on peut les livrer en direct. Vous trouvez que les supermarchés aujourd’hui font de plus en plus appel à la production locale ou ça dépend? Il y a des produits que l’on ne trouve pas. De toute façon après les gros gros maraichers, il n’y en a pas tant que ça. La plupart des maraichers ils livrent Brienne (marché d’intérêt général à Bordeaux). Des petits comme moi, on se débrouille quasiment à vendre tous en direct. Après il y a des produits qui arrivent d’à côté mais ce sont de grosses grosses structures. Le maraicher par lui-même, ceux que je connais, il n’y a personne qui livre des magasins en direct, ça se fait plus. Là où je travaillais, on livrait carrefour en direct, c’est fini, ça fait déjà des années, ils livrent la centrale. Donc ça va à la centrale et elle reprend le dessus car elle re distribue, voila ça fait augmenter les tarifs des produits pour rien et puis tout le monde dit l’écologie, ce n’est pas écologique à 100%. Le camion qui va se promener à la centrale, qui revient en magasin alors qu’il n’y a qu’un kilomètre, je ne vois pas où est la logique. Ils vous ont expliqué pourquoi ils font ça? Les centrales regroupent tout le monde car si des personnes ne peuvent pas fournir pour 1000 salades, ils regroupent plusieurs personnes. C’est un peu dommage car je sais qu’au début quand je travaillais chez mon patron là à Saint-Jean d’Illiac, il y avait plusieurs maraichers qui livraient Carrefour Mérignac et il n’y a plus personne maintenant qui les livre. On est deux à Saint-Jean d’Illiac mais ça fait déjà plusieurs années qu’on ne livre plus carrefour. Le patron là où je travaillais il livre que la centrale relais. Moi quand je travaillais ça commençait à grossir parce que le père avait créé ça et puis là maintenant c’est devenu une grosse structure. Ils font des tonnes et des tonnes de pommes de terre, ils travaillent que la pomme de terre. Les gros agriculteurs sont partis. Par ici, il y a deux gros agriculteurs de carottes et après il y a le producteur de pommes de terre qui est pas mal, puis après les autres ils louent leurs terres soit pour faire des carottes, pour justement les grosses agricultures d’à côté qui n’ont pas assez de surface. Justement par rapport à comment le territoire a évolué, j’ai vu que votre père est illacais de naissance et donc qu’il avait d’ailleurs sa ferme, des vaches, mais du coup vous avez habité enfant ici? Oui je suis parti juste une année à Paris pour faire mon service militaire, c’est tout. Vous avez vu comment la commune a évolué par rapport à l’influence de la métropole surtout? Oui on va dire que Saint Jean d’Illiac, il devait y avoir au moins sept ou huit petits exploitants agricoles, c’était beaucoup des vaches mais tout a disparu, tout est devenu industriel ou habitations. Et donc cela a affecté l’activité agricole dans le sens où maintenant il y a de gros exploitants qui produisent un produit et avant c’était des maraichers comme vous qui produisaient une diversité de produits… 134 sur 146


Oui maintenant il n’y a plus que des gros. Avant à côté il y avait deux ou trois petites fermes sur Boulac qui ont disparu les trois, il y en avait un qui faisait des moutons, l’autre avait du lait et il y en a un qui faisait un peu de maïs avec des cochons et ils tous disparus, c’est que des bâtiments à la place, tout a été vendu. Ils ont vendu leurs terres, ce sont que des zones industrielles maintenant à leur place. Il y en avait un à la sortie de Saint Jean d’Illiac qui faisait du lait, ce sont des maisons maintenant à sa place aussi. Sur la route de Martignas, un autre aussi faisait du lait, ce sont maintenant des maisons aussi. Vous pensez qu’ils ont disparu parce qu’il n’y avait pas assez de demande ou parce que les propriétaires des fermes ont profité de la montée des prix du foncier? Il y a de ça oui mais aussi parce que trop petit et donc il y avait les quotas de lait, il fallait produire produire et si on avait pas tant de lait, je pense qu’on ne pouvait pas vendre ou il y avait des soucis. Plus après la demande de la terre qui a changé, Saint Jean d’Illiac ça valait rien il y a 40, 50 ans, personne ne voulait un mètre carré et maintenant ça se vend une fortune. En parlant des petits producteurs pour qui la pratique agricole était jusqu’à alors moins rentable, j’ai vu des articles qui disent qu’aujourd’hui que c’est mieux d’être un petit producteur qu’un producteur moyen, surtout que les circuits courts commencent à resurgir un peu. Oui un peu, après moi j’ai voulu il y a quelques années en arrière, il y a 5 ou 6 ans, grossir parce qu’on avait pleins de demandes de partout et on a fait marche arrière car on faisait un grand chiffre d’affaires mais à la fin quand on a tout sorti, il ne restait plus rien. Donc moi j’ai dit stop, on reste petit et voila vaut mieux. On travaille déjà beaucoup, j’avais deux employés, plus deux apprentis, pour tout gérer, s’il y a une personne qui n’est pas là ou qui est en retard, c’était problématique. Après il fallait courir partout, je livrais des petits magasins, des primeurs, on écoulait tout mais à l’arrivée quand je sortais tout j’ai dit stop car en plus comme j’étais obligé de louer de la terre en plus, à l’arrivée pour moi ce n’était pas rentable, j’ai pas réussi à passer le pallier et j’ai dit une année c’est bon ça suffit et on arrête après. Vous croyez que les circuits courts aujourd’hui ont un intérêt pour le développement durable des territoires un peu excentrés? Oui c’est pas mal, les circuits courts c’est bien parce que au moins déjà ils savent d’où ça arrive, après au niveau du transport et tout il n’y en a pas beaucoup, il y en a pas mal qui viennent chercher ici, donc c’est pas mal pour la personne. Et pour la protection des territoires? Surtout dans ce contexte d’urbanisation? Oui c’est bien quand on fait de la vente en direct car dans un village où il y a 100 habitants, sachant que Saint Jean d’Illiac ça m’apporte peut être un petit plus de la moitié de ma clientèle pas plus car après ce sont des personnes d’un peu partout. Saint Jean d’Illiac je pense pas qu’il y ait plus de 50, 60%. Est-ce qu’il y a une forme d’adhérence aux circuits courts par les institutions publiques comme la chambre de l’agriculture ou par des politiques comme celles menées par l’Union européenne? Ils en font la publicité mais c’est difficile par rapport à la personne. Je pense que beaucoup de gens ne font pas très attention aux circuits courts quand même. Ils ont beau dire, la vente en directe tout ça, nous aussi on a une clientèle après ça évolue plus. On a un nombre de paysans avec quelques nouveaux de temps en temps mais ça ne passe pas au double ou triple. Donc au niveau de la publicité, la chambre de l’agriculture ils en font mais.. 135 sur 146


Ils développent pleins de types de drive fermiers… Oui voila, alors ça peut être que ça à l’air de bien marcher. Mais autrement, au niveau vente en direct, il faut déjà faire une clientèle. L’été ça monte et l’hivers ça redescend. L’hivers on a plus de produits qu’il faut cuisiner, donc déjà une fois qu’on perd les tomates, les courgettes, on perd du monde. Les gens ont un autre mode de vie maintenant? Oui et ils cuisinent moins qu’il y a 30, 40 ans. Une personne qui a 20 ans qui cuisine, à Mc do oui. Ici, à mon avis ça doit être 50 ans la moyenne d’âge, des jeunes il n’y en a quasiment pas. Et les ruches? Les ruches je ne reste plus pour la distribution mais je pense qu’il n’y a pas beaucoup de jeunes non plus dans les ruches. Au début je distribuais mais après je me suis aperçu que le problème c’est que là si j’avais fait la distribution il faut que je parte à 5 heures et je rentre à 7 heures. Donc après moi je fais plus rien, ça me prenait trop de temps. Les ruches, le mardi, le mercredi, le jeudi, je dis stop, on ne travaille plus. Ils ont tous compris, je donne un panier pour les abeilles qui distribuent mais il faut que quelqu’un me distribue mes légumes sinon j’arrête. Je ne peux pas être partout. Quand on passe deux ou trois heures aller retour, c’est pas trois heures à rien faire mais c’est pas du travail au champ. La production on se bat, si on attend, il y a du désherbage qui ne se fait pas, et voila. Il y a cette partie de médiation qui fait le travail pour vous. Oui, tout le monde a compris. J’ai dit c’est ça ou j’arrête les ruches et je trouve d’autres moyens pour revendre mes légumes. Moi je peux pas. Après on me dit vous n’avez pas de produits, bah oui c’est normal j’ai perdu 10h, une journée où je n’ai pas travaillé. C’est bien la ruche mais ils veulent qu’on soit tous présents mais au niveau marché c’est dur, c’est vrai que celui qui vend la viande, il la découpe et il a la viande pour la semaine mais les légumes il faut les ramasser, les mettre en poche, et après il faut les livrer mais il n’y a pas que ça à faire, il faut s’occuper des légumes, malgré qu’il faut aussi s’occuper des bêtes. Mais bon, les bêtes on leur met à boire et à manger et elles se débrouillent toutes seules. Si en plein été il faut arroser, l’arrosage se mettra tout seul. Il faut commencer à être très modernisé pour que tout se mette en marche tout seul. Et les AMAP? Il y en avait une qui m’avait demandé et comme j’avais déjà des ruches je lui ai dit non, deux fois elle m’a demandé. Il y en a une à Saint Jean d’Illiac et la productrice avait du mal à fournir des paniers corrects de légumes donc la responsable que je connais un petit peu m’a re demandé mais je lui ai dit que non car j’avais pas assez de légumes. Donc là je vois qu’il y a toujours du monde, un coup on en a 40, un autre 60, un coup on en a 20. Quand il y en a 40, si je leur propose rien, les gens il faut qu’ils soient alimentés. Et l’avantage de la ruche c’est que par exemple s’il me reste 10 potimarrons je peux leur donner, mais l’AMAP si on s’est engagé à mettre 50 paniers, il faut mettre 50 paniers. Pour l’hiver et les périodes creuses, c’est pas justement pour vous un avantage les AMAP? Non ça va parce qu’avec les ruches j’écoule tout, même je manque de produits. Même en hiver, j’ai que 3200 mètres carré de serres, c’est un peu juste, il faudrait un peu plus pour pouvoir mettre plus d’épinards, de mâche. Donc j’arrive à tout écouler sans problèmes. Après à la limite j’en manque un peu après avec la ruche je mets 50 bottes d’épinards, je sais que je vends les 50. L’AMAP s’il y a 70 paniers, il faut 70 bottes donc c’est 20 bottes qui me manqueraient. Quand on est petit ce n’est pas évident. D’en avoir un petit peu de trop parfois, ça me gêne pas parce qu’avec intermarché, ils me les 136 sur 146


prennent mais j’essaye de ne pas en manquer ici avec la vente en direct. Les ruches c’est tout nouveau mais qui dit que dans 5 ans ça va marcher encore. Avant c’était pareil, dans les ruches, je travaillais avec des paniers avec un peu le même principe que l’AMAP, on rassemblait des paniers de légumes et on les distribuait aux personnes, et ça, ça a marché, au début ça partait hyper fort, ils faisaient un peu le même principe que la ruche, ils amenaient de la volaille, etc. Sauf que eux ils achetaient et ils revendaient, ils prenaient une marge. Ils revendaient à la demande avec un site. J’ai vu que maintenant vous faites parti de mon potager? Oui, il y a un an déjà. C’est le même principe mais ça m’intéresse un petit peu plus car il n’y a pas de distribution. Je met la commande au portail, on prend la commande et elle s’en va. Comment marche ce système car il est assez intéressant car ce qu’ils disent sur leur site c’est que les consommateurs louent une parcelle virtuelle? Oui je n’ai pas compris moi non plus. Ils vous disent, il faut cultiver 100 mètres carrés pour telle personne? En fait quand on me passe une commande, il faut 6 kg d’épinard, 5 kg de pommes de terre, on m’envoie une liste et moi je fais les produits qu’ils me demandent c’est tout. Alors après sur le site, c’est un peu compliqué que la ruche qui dit oui donc on m’a dit que c’est en train de partir assez bien. Ils disent que tu prends une parcelle de 5-10 mètres carré et que tu choisis les légumes que tu fais pousser… Oui mais moi je lui ai fait la proposition de la semaine, je lui dis cette semaine j’ai des épinards, des carottes, des patates, des radis et la semaine prochaine je n’aurai pas de radis donc elle me les prend en ligne. C’est elle qui s’occupe de votre compte? Oui mais pour les ruches c’est nous par contre, la ruche qui dit oui on a notre site avec la liste de nos produits et je met disponible 10 et quand ils sont épuisé, il y a marqué stock épuisé. C’est comme ça pour toutes les ruches dans lesquelles vous êtes? Oui, une fois épuisé, les gens ne peuvent plus commander. Par contre, monpotager.com, on m’a recommandé 10 bottes de radis pour la semaine prochaine, je lui ai dis que j’en avais pas donc sur son site il va pas y avoir de radis, je sais pas comment elle fait pour son offre. Moi je ne cultive pas 10 mètres carré pour quelqu’un. Moi aussi quand elle m’avait parlé de parcelles virtuelles tout ça moi je me suis dit je fais pas 100 mètres carrés avec 3 salades, 10 radis, je vais jamais m’en sortir, moi je fais une planche, je fais une planche. Maintenant vous vendez majoritairement en circuits courts si ce n’est pas totalement… Oui voila, je vends en circuits courts à 90%. Vente directe, plus les ruches après il me reste 2 resto. Après j’amène de temps en temps chez un collègue qui me demande, il fait du maïs et un peu de légumes et donc son magasin des fois il m’appelle pour lui amener des choses. C’est un peu le même principe qu’Intermarché ce n’est pas régulier. Et après vraiment Intermarché de temps en temps aussi. 137 sur 146


Mais est-ce que le fait d’être en circuits courts ça a influencé votre logique et forme de production? Oui parce que quand on a commencé la vente la première année, je n’avais pas fait beaucoup de produits et si on n’a pas assez de produits, plus il y a de produits, plus il y a de personnes. Mais surtout aussi, pour ce qui est d’une certaine qualité? Oui voila on essaye aussi de faire un maximum de qualité et le plus frais possible. Ce qui est là, quasiment on a tout ramassé aujourd’hui. Ca a maximum 2 jours. Le samedi j’essaye toujours de ramasser au dernier moment car après on recommence que le lundi où j’ai parfois un resto ou deux mais c’est des petits trucs et après je recommence le mardi les ruches. Vous pensez quoi de tous ces labels bio? C’est pas assez sérieux et un jour ça va nous retomber sur la figure le bio. C’est du marketing, est-ce que j’ai été contrôlé salades non traitées au goût? Tu as l’impression que des fois ils veulent pas croire que les salades ne sont pas traitées, ils ont pris 40 salades sous scellés, on a passé deux ou trois heures, avec un papier sur l’honneur pour montrer que je n’avais pas traité mes salades, c’était un contrôle parce que j’avais écris salades non traitées. 3 mois après j’ai reçu un courrier disant qu’ils n’avaient rien trouvé. Même si vous n’avez pas le label, vous faites quand même du bio… Oui, quand on parle avec les clients ils disent c’est bien on trouve des escargots. Ca intéresse les clients ça? Oui oui. Je fais souvent des réductions. Il y a une dame qui est toujours cliente depuis quelques années, elle me demande si je suis bio. Je lui dis non, elle me dit moi j’achète que des produits bio, je lui dis faites ce que vous voulez. On commence à discuter, je lui dis je vous donne une salade puis vous la gouterez vous verrez. Et 15 jours après elle est revenue, elle m’a dit c’est vrai que votre salade elle est super bien, c’est super bien gardé et tout. Au début elle venait et prenait que des salades. Et maintenant elle est là toutes les semaines et elle prend tout. Elle se dit que maintenant c’est vrai le bio j’ai l’impression de m’être fait voler. Au final le bio, ça cache beaucoup de choses… Tout à fait. Il y a des producteurs espagnols bio qui produisent hors sol… Oui ils sont bio alors que nous ça fait déjà 10 ans qu’on a plus le droit d’utiliser ces produits. Mais il n’y a pas des règles au niveau européen? La France a le droit d’utiliser tel produit, l’Espagne tel produit. On a chacun nos produits à utiliser et même pour le label bio. En France on a le droit a 5 produits, en Espagne 10. Ils font des trucs pour qu’ils soient bio mais ce n’est pas la même qualité nutritive… Oui tout à fait, sous des serres chauffées, ça pousse plus vite. Et France le bio ce n’est pas assez surveillé, avec tout ce que je connais et j’entend c’est catastrophique. Déjà au niveau des plans, il va 138 sur 146


dire qu’il manque 50% de plans en bio donc on demande des dérogations pour pouvoir planter. Je connais quelqu’un qui est en bio et qui a planté les mêmes pommes de terre que moi, traitées avec des produits qui étaient interdits, il a planté la même chose. Après exemple des poulets bio. Ils font que des dérogations pour avoir du maïs normal mais par contre on achète le poulet et il est facturé bio alors qu’il n’a pas mangé un grain de bio. Tout ça le consommateur il ne le sait pas. Il y en a aussi qui sont bio mais engagés qui préparent eux-mêmes leur nourriture pour les poulets, d’autres achètent chez les grossistes. Moi j’ai dépanné un magasins bio. Je leur dit j’ai pas le label, « non non mais c’est pas grave ». Vendez moi des salades donc je leur ai vendu des salades. Et il les a vendu en bio les salades. Donc bon, quand on arrive à des choses comme ça… Et je connais même quelqu’un qui va chercher ses salades à LIDL et qui les revend en bio. Après j’en dis plus car je pourrais mais je veux pas. A mon avis, dans quelques années le bio ça va éclater à la figure, il y en a qui vont s’en mordre les doigts. Il y a beaucoup de producteurs qui font vraiment du bio et souffrent à cause de ça, car c’est très cher. J’ai rencontré un producteur qui n’était pas optimiste vis-à-vis de l’agriculture. Moi je connais un exemple de cette année, ça fait 30, 40 ans qu’il est agriculteur en conventionnel avec un tas de produits et une exploitation intensive et il passe en bio, en 3 ans la terre est en bio. Cette année il est en reconversion, il vend normal, l’année prochaine il sera en deuxième année de reconversion, il pourra déjà vendre en utilisant un peu le mot bio. La troisième année, il peut vendre bio mais ça fait 30, 40 ans qu’il met des produits à gogo. En 2 ans, les produits n’ont pas disparu. Et quand on voit l’état du saumon bio, c’est il n’y a pas très longtemps qu’ils ont analysé des saumons, c’était le bio le plus pollué, c’est passé à la télé. J’ai des personnes ici, des nouveaux clients, je fais pas bio, ils s’en moquent. Après, il y a des produits qui sont vendus une fortune. Ils ont de la chance d’avoir des gens qui réfléchissent pas trop pour acheter. Moi je suis à 2 euros la butternut, je voyais le prix d’une copine qui est en bio, elle vend 4,50 euros le butternut d’1,2 kg. Les gens sont fous pour acheter à ce prix là. Alors encore au pire la graine elle peut être bio au départ, mais après il y a besoin d’aucun traitement, du moment qu’il y a de l’eau, un peu de fumier c’est bon, c’est la même chose. Moi j’ai un début de patates douces et je discutais avec une personne et elle me demande avec quoi je traite les patates douces, j’ai dis c’est hyper rustique, il n’y a même pas les dorifor qui vont dessus, ça ne sert à rien d’acheter des patates bio, il n’y a besoin d’aucun produit dessus, on met la plante et terminé ça pousse tout seul. Il n’y a rien qui ne la mange, même pas les verres, les verres ne s’attaquent même pas aux patates douces. Le feuillage, il y avait quelques trous, c’est une commerciale qui m’a vendu les plans, et on a eu le même problème avec plusieurs personnes, moi aussi je me suis inquiété j’ai vu pleins de trous sur les plantes petites (40 cm de feuillage), ça pousse comme du lierre, ça fait des pousses de 2m50, c’est énorme. Et quand elles étaient à 40 cm, mes feuilles étaient toutes percées, j’ai soulevé les feuilles, je n’ai rien vu et elle m’a dit que d’autres clients ont eu le même problème. Après, elles sont parties, elles ont continué à pousser et terminé plus de trous dans les feuilles, on ne sait même pas ce qui a fait les trous, moi c’est pas troisième année que j’en fais de la pommes de terre douces, c’est la première fois que j’ai ça et il y a eu un client qui a eu le même problème, mais après elles ont continué et elles ont super bien poussé. Il y a quelques choses qui a percé les feuilles mais on a rien vu, aucun insecte. Justement par rapport aux autres producteurs, est-ce qu’il y a une forme de solidarité entre les producteurs? Ici c’est plus difficile, parce que moi quand j’ai commencé il y a 12 ans, je travaillais dans les grandes cultures mais je ne savais pas où trouver les plans, j’ai voulu aller un peu sur Eysines et voir les maraichers. Houlà on aurait dit que j’allais leur bouffer leur marché, leurs infos. Je suis allé sur Marmande en voir deux au hasard que je connaissais pas du tout, je suis tombé sur deux personnes 139 sur 146


super sympas qui m’ont aidé dans tous les sens, au niveau des fournisseurs, alors que sur Eysines… maintenant on se connait mais quand j’ai commencé, ça a été « non il va me prendre sur mon marché ». C’est pour ça que je suis allé voir sur Marmande car ici c’était dur. J’ai vu que sur Marmande il y a une espèce d’association qui s’appelle Graines pour aider les nouveaux paysans à s’installer. Moi j’ai un jeune que je connaissais un petit peu qui a voulu faire la même chose que moi, donc c’est sa deuxième année, je l’aide je lui prête souvent des matériaux je lui est prêté un petit semant à radis et un semant à carottes. On s’entraide sans problèmes, je lui passe les fournisseurs de graines, de plans. Même s’il avait été là à côté, je l’aurai fait. Il y a de la demande donc il peut venir. J’ai mon employé qui en théorie l’année prochaine va se mettre à son compte sur la sortir de Saint Jean d’Illiac. Elle a fait une formation à Blanquefort, cette année elle a finit, je l’ai eu tout l’été et à partir de novembre elle voulait du temps libre donc je lui ai fait un contrat que lundi, mardi, deux jours par semaine jusqu’au mois de mai de l’année prochaine. Elle aussi en bio elle hésite car vu tout ce qu’elle a vu. L’avantage c’est qu’elle a 39 ans et en bio on a plus d’aide qu’en conventionnel on a rien. Est-ce qu’à partir d’une certaine taille, une exploitation agricole ne peut plus être considérée comme adaptée aux valeurs des circuits courts? Oui je pense que quand c’est trop grand, circuits courts ça marche pas. Je pense que les gros producteurs d’à côté, les circuits courts, ils en font pas. J’ai vu qu’il y a de grands producteurs qui essayent de passer par les circuits courts pour vendre leurs produits? Oui car les cours quand on vend aux grossistes ils sont bas mais c’est l’avantage de la vente directe c’est qu’on vend correctement nos produits. Vous pouvez avoir ce lien avec le consommateur… Voila aussi, ça permet de discuter avec les clients, ça m’est arrivé de manquer de produits et que le client me dise je peux venir? Oui on peut ramasser ensembles, des clients qui passent directement au champ, ce lien là c’est quand même mieux que quand on passe directement à la caisse et qu’on ne sait pas trop d’où arrivent nos légumes, voila, ça peut être marqué France mais la France c’est grand, où il a été produit? C’est l’avantage du circuit court et après c’est clair quand on a des tonnes et des tonnes à écouler, les circuits court, il faut trouver et quand on produit beaucoup après je crois pas qu’on passe du temps avec les clients à faire des petites livraisons. C’est sur que si on amène pour 400 euros, celui qui fait des tonnes et des tonnes c’est pas rentable, il va falloir qu’il ramène combien de fois 400 euros. Donc les gros producteurs d’ici, le patron là où j’ai travaillé, ils livrent que les centrales, et puis après les grossistes, et les trucs comme ça. Après il voulait monter un temps quelque chose pour faire de la vente directe puis il a réfléchi et il a dit que pour vendre 2kg de patates je dois mettre quelqu’un en permanence, donc il ne l’a pas fait. Même nous au début quand on est parti, on ne savait pas, on a fait du mercredi au samedi et puis on a arrêté. Le problème c’est que le mardi il venait 10 personnes, puis 15 le mercredi, etc. Et finalement on a enlevé le mardi et puis après on a enlevé le jeudi. Quand on est ouvert relativement court, tout le monde vient en même temps et nous ça nous laisse du temps de libre aussi car si on est ouverts tous les jours mais qu’on a 5 clients par jour, il faut attendre, il faut regarder s’il y a personne, donc on a tout rétréci. Mercredi après midi, vendredi après midi et samedi matin et ça suffit largement. Vous pensez que ça justement c’est l’intérêt des plateformes numériques aujourd’hui? Faire cette médiation? 140 sur 146


Oui je pense. Et après il y a aussi le temps pour aller livrer. Oui le temps de livrer c’est ça. Après il y a l’autre plateforme Mon potager qui vient les chercher… Ouais voila ça je trouve que c’est pour ça, après je ne sais pas comment ça va se développer, c’est pour ça que j’ai dit oui parce qu’elle venait chercher ici. Cette plateforme, c’est pas le modèle le plus important de vente pour vous? Ah non, pour moi c’est la vente directe et la ruche, on est à peu près pareil. Parce que moi la vente directe, on rapporte des produits en plus, quelques fruits, du citron, de l’échalote, du fromage, parce que les gens ils veulent plus. Si on veut qu’ils s’arrêtent pour chercher des légumes ici, ils ont le fromager à côté, donc les gens nous demandait. C’est pour cela que ma femme elle a monté un truc tout bête, auto-entrepreneur, achat revente, voila quoi. C’est pour ça car les gens nous demande d’autres choses. Celui qui fait de la vente directe avec que ses produits, le copain, le jeune que j’ai aidé là, il a commencé par faire que ses produits puis il a vite compris. Il est venu avec sa femme, et elle a fait pareil auto-entrepreneurs parce que si on rapporte pas des pommes, des poires, des kiwis, du fromage… Ce sont des petits producteurs aussi? Oui j’ai un petit producteur des landes… Mais ceux qui viennent…comme les avocats du Pérou? Ca par contre c’est pris à Metro (grossiste de légumes), parce qu’elle livre Gradignan, c’est juste à côté de Metro, donc ça se sont des produits que les gens en demandent tout le temps. En France, je crois qu’il n’y a pas d’avocats. Après ce sont les clémentines, les oranges, on prend le basique, ce que les gens demandent. Pour vous, la vente directe vous sentez que ça représente pour les habitants une réelle alternative à la grande distribution? Ce sont des gens qui viennent de Saint Jean d’Illiac? Oui mais il n’y a pas que Saint Jean d’Illiac, il y a tous les alentours. Je ne pense pas qu’il y ait plus que 50-60% de Saint Jean d’Illiac. Après il y en a je connais leur tête, je dis bonjour, je connais parfois leur nom mais je ne sais pas s’ils sont de Saint Jean d’Illiac, de Mérignac. Après je sais qu’il y a quelques personnes qui sont du bassin qui s’arrêtent, le vendredi soir il y a une prof de Bordeaux qui s’arrête tous les vendredis soir. Je sais qu’elle, elle est tous les vendredis à l’école à Bordeaux. Est-ce qu’il y a différents types de consommateurs par rapport à ces différents modèles de circuits courts que vous employez? Non, après au niveau de la ruche je met les mêmes produits que ceux que j’ai ici. La demande est la même? Oui c’est la même demande mais j’ai discuté avec une haute responsable qui avait créé la première ruche, je lui ai dis que les ruches il n’y a pas de personnes fidèles, c’est une dizaine de fois et après ils 141 sur 146


abandonnent. Les gens c’est pareil, ils sont obligés d’aller chercher, ils vont chercher leurs légumes, des fois avec des fruits mais je suis sûr, et c’est ce que je lui ai dit, il manque les oranges, des citrons qui se vendent bien. Elle me dit oui c’est vrai qu’on y a déjà pensé. Oui les gens vont bien savoir qu’ils ne viennent pas de France ces produits là. Je lui ai dit que pour garder les gens fidèles c’est ce qu’il faut faire. Parce qu’au départ j’ai eu un copain qui travaillait dans l’agriculture, juste la ferme à côté de là où je travaillais et sa femme avait ouvert un magasin de fruits et légumes. Donc sa femme venait chaque jour de vente et son magasin ne marchait pas très bien donc ils venaient faire de la vente et ils ramenaient ce que j’avais pas. Son magasin a commencé à bien marcher, donc lui, a arrêté son boulot pour travailler à plein temps avec sa femme donc ils ont continué un peu plus à venir, puis ils ont arrêté. Ils m’ont dit qu’ils n’y arrivaient plus, ils n’en pouvaient plus, je lui ai dis il n’y a pas de problème tu arrêtes et on est resté 6 ou 7 mois sans rien: pas de pommes et la clientèle avait chuté vraiment de manière importante. Là on s’est dit il faut faire quelque chose parce qu’on va perdre tout le monde, les gens disaient « ah mais vous n’avez plus de pommes », c’est pour ça qu’on a monté ça, si on avait gardé nos propres légumes, c’est sur qu’on divise par deux la clientèle. Alors il y en a qui viennent chercher que des légumes mais il y a une grosse majorité qui prennent un peu de tout. Par rapport à votre variété de légumes, il y’a par exemple des légumes qui sont très rares… Oui alors moi tous les ans j’essaye de faire une dizaine de nouveaux produits. Chaque année, à la fin de la saison, les gens demandent il y aura quoi comme nouveauté l’année prochaine. Du coup ils sont contents… Oui voila. Mais comme il y a des personnes qui disent on n’aurait jamais gouté ça si vous n’en aviez pas fait. Là cette année j’avais fait de la coeur de boeuf blanche, l’année prochaine je vais en refaire plein car tout le monde a été hyper content. J’en avais fait 15 pieds, pas beaucoup. J’avais fait aussi de la tomate prune, ça c’était un petit peu moins bien par contre j’avais fait aussi de la tomate bicolore que tout le monde a aimé: violet et rouge/rose. Il y’a pleins de clients qui m’ont dit qu’elle est hyper bien cette tomate. J’ai fait du radis, du gros rond rouge, c’est une nouveauté. Je suis aussi allé chercher des plans d’endives, ça sera une des nouveautés de cette année. J’avais fait du haricot bleu. Comme du haricot vert mais bleu, violet. J’avais prévu du crusson, du choux palmier mais le problème c’est que le fournisseur de plans en Charentes au mois d’avril il a coulé, donc j’ai perdu des nouveautés. Les circuits courts sont un bon moyen de redécouvrir la nouveauté qui s’est perdue? Oui voila, c’est comme quand j’ai commencé la première année, au niveau des tomates, les gens me disaient on vient là mais… mon fournisseur de plan je demandais quelle tomate se vend le mieux, quelle variété? Et en fait ce sont des tomates rondes basiques qui sont toutes les mêmes et la première année j’ai entendu: « ah ouais mais c’est les mêmes qu’à Carrefour ». Donc je me suis dis, j’ai pas joué fort, mais je ne savais pas. Maintenant je fais des variétés qui n’ont pas le même goût, la même chair, qui n’ont pas toutes les mêmes formes. On ne la garde pas aussi longtemps c’est sûr, une fois qu’elle est mûre, il faut la manger 4-5 jours après. Mais les gens, je l’ai encore entendu cette année à propos de la tomate ananas jaune et une personne ma dit « ça c’est super bon » et le client d’à côté lui a dit « bah oui quand on vient là on n’a plus envi de manger de tomates qui viennent d’ailleurs ». La différence du goût des tomates, donc je fais des variétés que j’ai sélectionné au fur et à mesure, j’essaye d’en trouver des nouvelles chaque année, il y a tellement de variétés que c’est facile. Donc voila je ne fais plus les tomates que l’on trouve dans la grande surface. C’est ce que j’ai fait la première année mais je me suis fait avoir. Le client ne recherche pas ça. Comment pensez-vous que la tendance des circuits courts va évoluer? J’ai cru comprendre que vous connaissez pleins de nouveaux exploitants qui veulent s’installer. 142 sur 146


Oui voila, c’est vrai qu’on en perd tous les jours des agriculteurs mais il y a des jeunes qui sont motivés et qui veulent le faire. Par rapport à la proximité des villes? Je pense que c’est hyper dur de trouver des terrains. Vous avez eu de la chance car c’était des terrains familiaux. Oui parce que mon papa connaissait le papa de là où je loue. C’était des connaissances, autrement c’est hyper difficile pour trouver des terrains. Mon employé là c’est parce que sa grand mère loue des terrains à Saint Jean d’Illiac. Autrement, l’autre jeune a de la chance qu’il est vraiment en retrait, en haut du lotissement et que ce n’est pas constructible donc c’est une personne âgée qui lui laisse le terrain parce qu’il n’en a pas. Il a que sa maison et 500 m2 autour de la maison, il a donc cette chance là. Mais par contre il a essayé de faire de la vente chez lui, dans le lotissement au fond, il a du mal donc il est parti et il monte un chapiteau et il est aux bordures de la nationale grâce aux connaissances de quelqu’un qui lui passe le terrain pour faire la vente. Moi je serai près de la nationale, ça serait mieux. C’est avantageux pour vous? Il passe beaucoup de monde mais pour arrêter les gens des fois, des nouvelles personnes, il y en a beaucoup c’est du bouche à oreilles et d’autres disent que ça fait deux ans qu’ils voient le panneau mais qu’ils n’osent pas s’arrêter car on ne voit pas ce qu’il y a au bout. Surtout que c’est un panneau pour les vélos… Oui il y a la piste cyclable, on a pas le droit de mettre un panneau plus grand, la mairie ne veut pas. Pourquoi ils ne veulent pas? Par rapport à la publicité, il y a des tailles européennes à respecter. Mais par rapport à toute l’autre publicité qu’il y a: Mc do, manger asiatique, leclerc… Oui toutes ces enseignes ont le droit. En fait moi j’ai le droit à une enseigne d’un mètre par un mètre 50. Déjà j’ai un troisième je devrais même pas l’avoir, celui où je marque producteur de volailles. Donc ça c’est la mairie? Non c’est la loi européenne et comme la mairie veut imposer la loi par rapport aux panneaux publicitaires…parce qu’après les gros panneaux publicitaires, c’est taxé, il faut avoir des autorisations de les mettre et tout les ans. Alors que là c’est un panneau gratuit mais j’ai le droit qu’à deux enseignes, c’est tout. Et la commune de Saint Jean d’Illiac, vous pensez qu’elle essaye de pousser à consommer local? Pas vraiment? J’ai fourni le collège à Saint Jean d’Illiac, c’était très bien. Le cuisinier du collège tenait un ancien restaurant près du leclerc que je fournissais. Quand il a arrêté, il m’a appelé et m’a demandé si ça m’intéressait de fournir le collège. Oui pas de problème, on a travaillé deux ou trois ans. Ca a changé de directrice, la nouvelle voulait que du bio donc terminé, je ne peux plus continuer à livrer, il fallait pour que je continue à livrer passer au bio. Non je vais pas payer 600 euros par an pour avoir le droit 143 sur 146


d’utiliser le mot bio. Je ne travaille plus avec le collège, c’est dommage, il vient toujours, il y a même ses parents cuisiniers qui viennent. Il me dit qu’en plus le bio ils en jettent, il y a des légumes qui sont pas beaux, quand on travaille avec toi, on avait besoin de 6 salades, on te commandait 6 salades. Avec le bio, c’est l’équivalent des centrales, donc c’est la caisse des 12 salades donc des fois elles sont à moitié abimées parce que les salades ont trois jours, j’en jette la moitié, ça fait trois fois plus cher. Avant il me faisait les commandes trois mois à l’avance pour établir ses menus. Donc je savais que dans trois mois il fallait 50 kg de pommes de terre, etc. Ca marchait super bien, il était super content, il jetait rien, maintenant il me dit avec le bio j’en jette la moitié et ça leur coûte beaucoup plus cher. Et puis les produits arrivent de je ne sais pas où, c’est un camion qui arrive mais rien n’est local. Comment vous pensez que cette tendance des circuits courts va évoluer? Moi je pense que c’est un bon concept, ça devrait rester stable, après dire que ça va prendre de l’ampleur je ne suis pas sur. C’est plus un changement de mentalité qu’il faut… Oui voila, après j’ai peur que les jeunes changent de mentalité pour consommer et manger mieux. Quand on a 20 ans, on est souvent très pressé, c’est souvent les pizzas, les machins. Ca dépend, il y en a qui mangent comme il faut, mais les jeunes ont plus de mal à cuisiner, les jeunes il y en a beaucoup qui ne savent pas cuisiner. Même des personnes un peu âgées demandent mais ça se cuisine comment ça? Je pense que les jeunes ont cette tendance…l’information arrive plus facilement maintenant. Surtout on sait qu’on est plus conscient de ce qui est la malbouffe. Avec l’autre maraicher de Saint Jean d’Illiac avec qui on s’entend super bien, il me dit que les marchés ça a chuté, ça a vraiment baissé, des bottes de radis il y’a 5 ans de cela il fallait en amener 5 caisses, maintenant on n’a pas une caisse. Il y’a pleins de revendeurs sur les marchés, on a la concurrence de revendeurs de produits étrangers, et il y en a qui regardent que le prix. C’est comme la grande distribution des supermarchés mais un peu caché. Oui voila et le problème est que ce n’est pas marqué revendeur et beaucoup ils pensent qu’en allant sur la marché que ce sont les producteurs. Il me dit, on est deux producteurs et il y a 5 autres revendeurs au marché de Saint Médard, Caudéran, on est regroupé par des revendeurs. En ce moment, vous cultivez ou? La derrière, j’ai 14 petites serres et 2 autres plus loin et j’en ai monté une troisième derrière le Mc do et j’en fait un petit peu chez le copain qui est à la sortie de Saint Jean d’Illiac, chez l’autre maraicher, parce que lui est à la retraite depuis 2 ans. Votre production est un peu éclatée du coup? Oui c’est vraiment l’inconvénient de pas tout avoir ensembles, chercher d’un côté et de l’autre. Voila justement l’autre maraicher. Il fait la même chose que moi, on travaillait chez le même patron, et il a travaillé lui après moi mais on s’est connu et il est venu voir là et a voulu faire la même chose.

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A partir des circuits courts, ce mémoire interroge comment la reconstruction d’un maillage d’activités et de liens sociaux favorise un changement dans les logiques de régulation propres au développement des territoires. La re-territorialisation de l’agriculture, au travers des circuits courts, est au cœur de cette dynamique : elle repose sur des exploitations à taille humaine et permet de tisser de nouveaux rapports entre consommateurs et producteurs tout en répondant, à l’échelle territoriale, à des enjeux socio-économiques et environnementaux durables. Au travers de l’étude de trois exploitations qui se trouvent dans le rayonnement métropolitain de Bordeaux, ce mémoire cherche à comprendre dans quelle mesure les circuits courts contribuent à modifier le rapport au territoire au travers des nouvelles politiques mises en œuvre pour son développement. Mots clés : circuit court - agriculture alimentation - territoire - territorialisation développement durable - multifonctionnalité - équité - métropolisation

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