La pratique piétonne à Barcelone : de la conception à l'usage de l'espace public - Julie Ruiz

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La pratique piétonne à Barcelone : De la conception à l’usage de l’espace public Julie Ruiz - Mémoire de Master Parcours IAT Xavier Guillot et Julie Ambal - Juin 2016



La pratique piétonne à Barcelone : De la conception à l’usage de l’espace public

Julie Ruiz Mémoire de Master en architecture Parcours IAT Enseignants : Xavier Guillot et Julie Ambal Juin 2016 ENSAPBx


AVANT-PROPOS


«Mes pas dessinent des boucles, des lignes sûres, hésitantes, labyrintiques. Je revenais au même endroit pour solidifer ma perception, déambulais dans le même quartier pour me donner l’impression que je maîtrisais l’espace et m’arrêtais souvent dans le même café pour m’offrir le sentiment d’y habiter depuis toujours.» Carnet personnel d’urbanisme, Avril 2015, Barcelone.

Depuis ma première année d’architecture, j’ai toujours porté de l’intérêt à l’urbanisme, cette discipline qui avant de construire un édifice, aménage la ville, pour lui donner une cohérence. Abordé dès le premier semestre d’architecture par les cours de VTP (ville territoire paysage), j’ai pu comprendre les procédures qui créent la ville. C’est à travers cette notion que j’ai développé ma pensée et notamment avec l’aménagement urbain. Durant mon année Erasmus effectuée à Barcelone en Espagne, cette notion a pris tout son sens. En effet, j’ai trouvé en cette ville, une qualité de vie que je recherche, et où plus tard j’aimerais certainement faire ma vie. Je l’ai parcourue, traversée, empruntée... et j’ai ressenti ce «bon vivre» où l’espace public est un lieu de rassemblement et de convivialité.

Se perdre en était même devenu un plaisir car c’était toujours source de découverte. Cet Erasmus a été pour moi un révélateur de ce que je veux être mais aussi ce que je veux faire à la suite de mes études. Je reste dans l’espoir de retrouver un jour le plaisir de ces errances urbaines.


Introduction :

6

Barcelone, Pas à pas.

1- Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction de l’espace public barcelonais ?

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1.1 La marche porteuse d’urbanité

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L’espace public par la marche La marche comme narration de l’espace public 1.2 L’espace public barcelonais comme parcours piéton

24

Les origines de l’espace public piéton barcelonais Le plan Cerdà : la pratique du mouvement Le plan Jaussely : la culture de la promenade Actualisation des idées novatrices de nos jours

2- En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

42

2.1 Barcelone au rythme du piéton

46

Démarche de la marche par l’enquête Mise en situation de l’enquête par les usagers de l’espace public barcelonais : le cas du quartier du Raval et du quartier de Gràcia

2.2 La pratique touristique par l’espace public Le tourisme urbain en plein essor Structuration des représentations mentales : l’espace public, un repère dans la ville pour le tourisme. Le parcours de la ville par le touriste

TABLE DES MATIÈRES 4

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3- En quoi le changement de la politique sur l’espace public à une conséquence sur les usages piétons barcelonais ?

86

3.1 Le changement de paradigme dans la fabrication de l’espace public piétion à Barcelone

90

La stratégique dangereuse du tourisme à Barcelone L’espace public érigé en fondement de la politique d’image

3.2 Les conséquences du processus de réduction narrative dans l’espace public barcelonais

96

Un évitement entre habitants et touristes D’une ville de culture à une ville de fête ?

Conclusion : La course à la métropole

Annexes

110

Bibliographie

124

104

Tables 130 des Figures

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INTRODUCTION 6


Introduction : Barcelone, pas à pas

Des souvenirs barcelonais, je garde l’image de mes promenades. Le parcours est toujours le même : descendre les ruelles typiques de Gracià, traverser le quadrillage de L’Eixample, contempler les œuvres architecturales sur Passeig de Gracià, puis contourner la plaça Catalunya pour arpenter les rues du quartier del Raval, profiter de la vue imprenable de la colline du Mont Juic, pour terminer par la promenade du bord de mer de la Barceloneta. Pas à pas, je deviens cette silhouette anonyme s’ouvrant aux multiples évènements qui ponctuent mon parcours : je me laisse entraîner au rythme des façades, des allées, des gens, des sons, tout ce qui crée l’espace public pour vivre, observer, ressentir cette ambiance qui mélange une culture, méditerranéenne, espagnole et catalane. Ce parcours reste à chaque fois une expérience différente où la marche devient un subtil mélange d’habitudes et d’inattendu : la rencontre d’un ami à un carrefour, l’observation d’un édifice pourtant invisible jusqu’alors, la demande de direction d’un touriste égaré, une altercation en catalan… Ici je m’émerveille devant les choses les plus ordinaires, m’étonne en permanence des milliers d’existences dont je devine qu’elle est à peu de détails près semblable à la mienne, ou au contraire radicalement étrangère. Toutes ces rencontres qui animent la rue, éveillant nos cinq sens, les stimulent et rendent la ville plus humaine. Elle est par excellence le lieu de l’anonymat, de la diversité, du rapprochement, trois qualités qui s’apprécient idéalement en marchant. Par cet espace public qui la caractérise, Barcelone est une ville de promenade, de parcours où la rue devient un espace que l’on visite : elle est le ciment de la ville, là où s’articulent l’espace et le social. Il me plait de croire tout au long de ma promenade que chacun dans ses parcours, ses chorégraphies, ses déplacements, se révèle dans le déploiement de son corps en mouvement, et parle avec ses gestes. N’avez-vous pas remarqué ce bavard qui gesticule sans gêne ou ce discret qui bouge à peine un sourcil ? Le corps en marche dit à qui il appartient. « La démarche est la physionomie du corps1 » où le passant exprime ses humeurs, sa situation sociale, son milieu culturel, ses intentions. 1

PAQUOT, Thierry, L’espace public, Paris, La découverte, 2009 p 35

7


Gracià

Passeig de Gracià

Plaça Catalunya Mont Juic

El Raval

Barcenoleta

Figure 1 : Parcours de mon itinéraire dans la ville de Barcelone, 2016

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Introduction : Barcelone, pas à pas

Ainsi, marcher est bien plus que se mouvoir dans un paysage, parcourir un lieu d’un point à un autre, c’est le faire advenir. La marche est révélatrice d’espaces, elle énonce les lieux, chaque pas épelle un morceau de territoire, chaque itinéraire épouse le phrasé de la ville. Le marcheur est un révélateur de sens, un diseur d’aventures urbaines qui se suffit à lui-même. Il éprouve la ville à la mesure de son corps. Cette expérience sensorielle intime irremplaçable atteste de sa singularité. Cet espace public au centre de notre réflexion, est ainsi un espace d’usage où on discute, où on mange, où on traite des affaires ; on s’y donne rendez-vous, on y travaille, on y dort, on y lit… bref elle est un territoire, « à la fois personnel et collectif, privé et public, un morceau de chez soi un « monde ». Le télescopage de ce dedans et de dehors, fortuit, provisoire, incertain dans ses issues, façonne un univers réel et mental qui redistribue les places et les temporalités de chaque citadin2. » Le piéton devient l’acteur de cette vie urbaine, où la marche est une activité concertée qui est gorgée d’interactions aussi bien avec d’autres piétons qu’avec l’environnement qui l’entoure. Pour sa part, Barcelone est reconnue par le monde de l’urbanisme comme une référence dans la construction de son espace public. Sa forme urbaine actuelle, qualifiée comme avant-gardiste, est le résultat de plusieurs étapes dans le processus d’urbanisation. L’espace public témoigne d’une reconfiguration de la ville : elle prend appui sur les acquis de l’histoire et sur une politique de grands projets liés à des évènements majeurs, à des manifestations internationales. Cette bonne réputation est tout d’abord due à Ildefons Cerdà, que l’on peut considérer comme le père fondateur d’une vision de l’urbanisme particulièrement expérimentée à Barcelone dans les années 1860. A partir de ces années-là, Barcelone a adopté une politique favorable à l’aménagement d’espaces publics où une place considérable est accordée aux piétons, notamment au moyen de ramblas et de passeig3. La métropole catalane est ainsi souvent citée comme une référence de réussite en matière d’aménagement d’espaces publics. C’est pourquoi de nombreuses villes (telles Rio de Janeiro, mais aussi Lyon et bien d’autres) s’inspirent de Barcelone pour proposer des espaces publics de qualité, respectueux des attentes du citadin. Le piéton devient l’acteur privilégié de l’espace public où tout est mis en œuvre pour le satisfaire. On parle d’une ville « au rythme du piéton4 ».

2 DELBAERE, Denis, La fabrique de l’EP, ville paysage, et démocratie, Paris, Ellypses, 2010 p 98 3 Il s’agit d’une forme particulière d’axe de circulation, dans laquelle la place réservée aux piétons est centrale. Le mot rambla signifie à l’origine un torrent qui vient de la montagne. Au XIIIème siècle il s’agit du chemin extérieur de la muraille. 4 Ibid p 25

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Plus particulièrement, j’ai voulu m’intéresser à l’aspect touristique de cette pratique piétonne de l’espace public, car il constitue un apport économique important pour la métropole catalane. En effet, « la touristification» constitue depuis plus d’un siècle un processus majeur de développement des sociétés occidentales, puis mondiales. Le tourisme est communément défini comme une activité de loisirs qui implique un déplacement temporaire effectué pour le plaisir. Qu’ils soient touristes ou qu’ils regardent passer les touristes, tous les occidentaux connaissent cette pratique devenue en cent cinquante ans un élément primordial de l’économie des métropoles. En annonçant que plus de 1.135 millions de touristes ont traversé les frontières mondiales, l’organisation du tourisme mondial5 confirme l’importance actuelle du tourisme dans les enjeux de la ville, permettant de le présenter comme l’une des premières industries du monde. De par son importance, il se lie étroitement avec le processus d’urbanisation. Il est ainsi à l’œuvre dans de multiples recodages de l’urbain : il a fait émerger de nouvelles formes d’urbanité, notamment dans les stations et les villes touristiques, de même qu’il a contribué à modifier le regard sur les villes, par exemple au travers de la patrimonialisation et, plus récemment, de la « festivalisation » des centres villes. La pratique du touriste piéton change l’image de la ville commanditée par avance par les politiques qui répondent à une demande économique mis en œuvre par les concepteurs et aménageurs. Aujourd’hui, nombre de politiques urbaines visent à donner au visiteur des preuves de l’attractivité de la ville et de sa qualité de vie. Le tourisme devient porteur de dynamisme et est un moteur dans la course à la métropole. Barcelone est représentative de ce tourisme grandissant : elle est devenue dans les dernières années une destination touristique de premier rang. Le nombre de touristes a plus que quadruplé de 1990 à 2010, passant de 1,7 millions à 7 millions par an6. Ils font partie de ces usagers, de ces piétons de l’espace public qui participent à l’ambiance barcelonaise, apportant une contribution dans la manière de faire l’espace public. La vision et le repère d’un touriste se fait par l’appréhension de l’espace public dans cette ville de promenade. Elle correspond à ce nouveau tourisme dit « urbain », où l’espace public devient le musée de la ville. Aux yeux des touristes, elle jouit de l’image de ville méditerranéenne, festive et ouverte à l’autre, propice à la déambulation. Les Jeux olympiques de 1992 marquent le changement de paradigme où l’ouverture de Barcelone sur la scène mondiale se traduit par des interventions d’urbanisme de grande envergure qui peuvent être à l’origine d’une politique de marketing urbain. 5 Rapport annuel de WTO (World Tourism Organization)http://cf.cdn.unwto.org/sites/all/files/ pdf/unwto_annual_report_2015.pdf. 6 Rapport annuel du tourisme à Barcelone : http://professional.barcelonaturisme.com/imgfiles/ estad/Est2014b.pdf

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Introduction : Barcelone, pas à pas

Ainsi j’ai voulu questionner cette notion d’espace public à travers la pratique piétonne et notamment celle des touristes. Je me suis focalisée sur l’espace public barcelonais qui donne une cohérence et une organisation claire des espaces publics urbains, et me suis demandé en quoi les usagers de l’espace public et notamment les pratiques touristiques- induisent-elles un changement dans l’image et l’usage de l’espace public. Le propos s’organise autour d’une enquête réalisée à Barcelone. Il est à la fois une description personnelle de l’espace public mais aussi s’organise autour d’entretiens menés auprès de passants, habitants ou touristes barcelonais. Pour cela, dans un premier temps nous allons nous concentrer sur l’importance de la marche et ce qu’elle produit sur l’espace public, en se basant sur des ouvrages de divers auteurs ainsi que sur des témoignages de passants barcelonais, pour se concentrer par la suite sur le développement de l’espace piétonnier de Barcelone à travers la création spécifique des ramblas et le plan d’aménagement de Cerdà. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons à l’usage et la sensation ressentie dans la traversée de l’espace public au moyen de l’enquête réalisée dans deux quartiers barcelonais : le quartier du raval et le quartier de gràcia. Puis il sera question d’interroger la pratique piétonne touristique à Barcelone à travers l’étude ainsi que la critique de la narration et des parcours de l’espace public évoqués dans les guides touristiques. Pour conclure, nous essaierons de montrer qu’il y a une perte de cohérence et d’appropriation de l’espace public barcelonais dû à de nouvelles pratiques et à de nouvelles politiques de la ville.

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1.

COMMENT LE PIÉTON EST-IL DEVENU ACTEUR PRINCIPAL DANS LA CONSTRUCTION DE L’ESPACE PUBLIC BARCELONAIS ?



« Marcher, c’est forcément naviguer, observer et agir en même temps ; c’est ajuster son allure, sa direction, le contact physique avec l’environnement d’humains et d’objets, à l’occasion, penser aux salutations ou aux adieux, faire un mouvement de tête et, s’il s’agit de « marcher d’un même pas », signaler tout changement de rythme. Bref, c’est produire des indices de son activité au moment même de son effectuation, cadrer et marquer son déplacement avec et pour ceux qui l’observent » JOSEPH, Isaac, Logiques de l’espace, esprits des lieux, Belin, Paris, 2000, Chapitre 3, Décrire l’espace des interactions

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

Cette partie a pour ambition de faire l’introspection de la marche, dans ce qu’elle génère dans l’espace public. Elle n’est pas seulement un fait mais elle est aussi un état qui prend forme par le corps. Pour développer mon propos, j’ai étudié les œuvres d’auteurs qui se sont intéressés à celui qui produit la marche : le piéton. Ces personnes ont réellement changé la vision de la marche pour en faire un fait sociologique créateur d’espace. Pour appuyer ce propos je me suis basée sur l’expérience ressentie par des piétons Barcelonais. En effet j’ai pu interroger des piétons sur différents lieux de Barcelone. Les questions sont basées sur la manière de « passer, « traverser », « emprunter » l’espace public .(Cf p 16 : réponses d’entretiens / Cf annexes : Questions et réponses à l’enquête p 118-125). Cette partie a donc pour ambition de faire un croisement entre la théorie sur la marche et son application dans l’espace public barcelonais par le biais du témoignage des passants. Par la suite nous nous intéresserons à cet espace public barcelonais et à la place qu’il donne au piéton, à travers sa forme créée par le génie de Cerdà mais aussi par la particularité de ses rues plaçant le piéton au centre de l’espace public : la rambla.

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«Pour me promener dans les différents quartiers, j’utilise la marche.»

«L’espace public Barcelonais répond à mes attentes. Il y a beaucoup de rues larges et piétonnes, c’est donc pratique de se promener à pied ou à vélo dans la plupart des lieux.»

«L’espace public Barcelonais est très agréable. On peut se déplacer facilement, il y a beaucoup d’espaces pour se détendre.»

«On y trouve toujours un endroit pour contempler, apprécier et s’imprégner de l’ambiance de cette ville hyper vivante et riche culturellement.»

«Il répond à une échelle à la fois humaine et métropolitaine.»

«L’espace public Barcelonais répond à mes attentes. Il y a beaucoup de rues larges et piétonnes, c’est donc pratique de se promener à pied ou à vélo dans la plupart des lieux.»

«Je pratique l’espace public la plupart du temps à pied»

Figure 2 : Passages dans la carrer Elisabeth à Barcelone, Barcelone, Juin 2015

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

1.1

La marche porteuse d’urbanité

L’espace public par la marche

C’est à partir de l’ouvrage de Pierre Sansot, Poétique de la ville, que j’ai initié ma recherche sur l’expérience de la marche. Celle-ci y est décrite comme une technique du corps. Précisément, elle est un acte corporel acquis, appris, dont les traits essentiels (rythme, gestualité, allure, posture…) varient selon les cultures, les sociétés, les modes et les convenances. Marcher engage le corps… mais aussi et plus encore la pensée, les rythmes du piéton et sa perception. Il part de l’idée selon laquelle « la ville se compose et se recompose, à chaque instant, par les pas de ses habitants7 ». Il démontre que la matérialité de la ville impose des rythmes différents de marche aux citadins et, réciproquement, que ces citadins, du fait de leur différence (d’âge, de statut, de familiarité ou pas avec la ville) adoptent des rythmes de marche et des modes d’appropriation de la ville particuliers. « La marche dans la rue est plus heurtée, plus saccadée, plus sinueuse. Les hommes s’approprient la rue en fonction de leur âge, de leur situation sociale et du rythme que ceux-ci supposent. La cohésion, la nature du groupe qu’ils constituent, se lit à travers leur conduite du trottoir8. ». La marche en ville serait alors de l’ordre du décodage et de l’exploration. Sous l’emprise de la ville, « présente, prenante, puissante9 » le piéton se doit alors de faire face aux événements imprévus et s’arranger du déjà vécu ou du déjà-vu. Il est vrai que Barcelone est composé de quartiers tous différents mais que chacun marque une caractéristique, une identité, un type d’usage. Dans cet investissement et cette appropriation permanentes des lieux, chaque citadin dessinerait alors des parcours qui recomposeraient le visage de la ville : « nous parlerions de trajets chaque fois qu’un être ouvre un sillage ou imprime à son parcours une cadence reconnaissable, modifiant ainsi la face visible de l’espace urbain. […] il s’agit non d’une forme achevée mais d’un tracé à effectuer, non d’une structure impersonnelle mais d’une temporalité qui, à chaque instant, redistribue un fond et une forme10. ».

7 8 9 10

SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Poche Paris, 2004 p 139 Ibid p 145 Ibid p 86 Ibid p 144

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Les trajets deviennent des lignes d’orientation pour autrui, des chemins privilégiés de marche dans la ville. C’est dans cette vision qu’un passant m’a confié : « Quand je marche j’ai mes habitudes. Je marche tous les jours dans cette rue. Elle représente tout ce que j’aime dans cette ville. J’ai l’impression de lui appartenir. ». Ces itinéraires deviennent donc à chaque fois les marques d’un rapport personnel et particulier à la rue, aux quartiers, à la ville… qui s’incarnent dans le corps des piétons et le rythme de leur marche. Ainsi en marchant dans la ville, je fais advenir la ville, je participe à sa co-construction ; je suis un acteur qui contribue à son maintien et à son essor. Toute déambulation urbaine à une composante symbolique forte, comme performance de la culture urbaine. C’est parce que j’y marche que ce rouleau de goudron devient un trottoir et que ces bandes de couleur blanche deviennent un passage piétons. Pas à pas je « donne vie » à l’espace public par l’acte de marcher. La motricité renvoie donc à la capacité de tout organisme vivant à bouger une ou la totalité de ses parties. La motricité « connote la dimension spatiale, technique et fonctionnelle de la mobilité11. ». Dans cette pensée fonctionnaliste, elle renvoie à la nécessité de gérer les flux de personnes, d’information ou de marchandises. Pour certains elle n’est qu’une motricité utilitaire qui permet de se rendre de manière pratique d’un point à un autre en engageant une commodité d’une mobilité temporaire : « Je marche très peu, je préfère privilégier les autres modes de déplacements. Je marche pour aller rejoindre le métro ou ma voiture.». La marche devient « un mode de transport » fonctionnel et machinal permettant de mettre en perspective un espace public avec un rendement économique : marcher pour aller faire ses courses, pour acheter des habits, pour aller au travail, pour faire circuler des marchandises. Pour ma part, elle engage, aussi, de manière plus fondamentale, la manière dont le piéton éprouve l’espace. Au-delà de son trajet et des actions qu’il a à accomplir pour le mener à bien, c’est donc la question de ses sensations et de la façon dont l’environnement l’affecte qui devient prépondérante. Ainsi, outre les conditions physiques et sociales d’un déplacement dans l’espace, c’est à l’emprise de l’environnement sur les rythmes, les postures du piéton ou ses choix de parcours que l’on s’intéresse. La marche devient une activité d’ajustement entre les piétons et l’environnement où l’« expérience de tensions et de vigilance sollicite le corps12. » Elle repose sur une mobilisation permanente des potentialités de la ville et des compétences cognitives, perceptives ou pratiques du piéton. 11 TOUSSAINT, Jean Yves, Projet urbain, Ménager les gens, aménager la ville, Mardaga, 1998 p 117 12 THOMAS, Rachel, Marcher en ville, faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Paris, Des archives contemporaines, 2010 p 54

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

Celui-ci actualise un certain nombre de procédés de circulation qui, tous, font appel à ses compétences physiques (pas glissé, ajustement corporel, extériorisation), à sa culture sociale (nécessité d’une neutralité et d’une déférence en public) et à sa perception visuelle (arrangements de visibilité, balayage visuel, coups d’œil). « Quand je marche je suis toujours vigilant, trop de choses se passent en même temps requérant mon attention permanente : regarder où l’on marche, faire attention en traversant, ne pas se faire bousculer... ». Ces régimes d’attention visuelle à l’environnement ne sont probablement pas sans conséquence sur la praticabilité sociale des espaces publics urbains. En effet, selon leur mode d’investissement et de fréquentation, les lieux permettent (ou à l’inverse rendent problématiques) certains registres d’actions. De par mon expérience je réalise que l’on utilise nos cinq sens. Chacun a un rôle à jouer dans la manière de pratiquer l’espace public : ma vue est un opérateur de la marche, elle me permet de déchiffrer l’espace qui m’entoure, de m’orienter et de détecter la présence d’autrui et d’anticiper à distance ma trajectoire ; mon ouïe m’expose au bruit de la ville, il m’avertit ; le toucher avec le site est une expérience du corps avec par exemple l’expérience de la pluie qui « frappe le visage, mouille les cheveux, les chaussures. Elle fait frissonner ou rafraîchit, glace parfois » et modifie les usages et la sociabilité urbaine ; et enfin les odeurs, quant à elles, en marquant les territoires parcourus d’une empreinte olfactive entête, enivre ou repousse, modifie le rythme et la posture autant qu’elle signe le lieu. Jean-François Augoyard, le premier, a porté attention à ces pas qui, jour après jour, reconfigurent la ville au-delà de la logique du conçu. Interrogeant les habitants du quartier de l’Arlequin à Grenoble sur leurs trajets piétons ordinaires, il montre en quoi et comment la marche constitue la ville en même temps qu’elle la déréalise. « Le référent des cheminements n’est pas la simultanéité d’un ensemble spatial planifié, mais à chaque moment de la déambulation, la coexistence des différentes instances impliquées dans la vie quotidienne. L’explication, le développement en mouvement de cette coexistence ressemblent à une sorte de création par quoi l’espace investi prend telle ou telle qualité selon le moment, mais n’a plus de permanence en soi13. ». Sa démarche, originale, se démarque des recherches anthropologiques et sociologiques précédentes. Si ces dernières se sont focalisées sur la marche comme mise en jeu du corps, le travail de JeanFrançois Augoyard remet à jour une sociologie des sens laissée en friche depuis la fin du xixe siècle.

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AUGOYARD Jean François, Pas à pas, Broché, Paris, 1979 p 116

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Ce qui l’importe, c’est de démontrer qu’au-delà du bâti qui structure non seulement le paysage urbain mais aussi les trajectoires piétonnes, les ambiances de la ville enveloppent le piéton, le malmènent, le retiennent parfois… s’offrant alors comme autant de ressources pour s’approprier l’espace. L’apport premier de ces travaux réside ainsi dans cette « rhétorique cheminatoire 14 » qui rend compte des styles de déplacement propres à chaque habitant et de la manière dont ces styles s’accordent ou s’opposent au bâti bien sûr, aux ambiances architecturales et urbaines surtout. Nous pouvons ainsi dire qu’il y a une adéquation entre espace conçu et espace vécu : la ville, et plus largement le territoire urbain, existe et fonctionne d’abord à travers les usages qu’en font les piétons.

La marche comme narration de l’espace public

Comme le théâtre, l’espace public offre une scène qui peut faire l’objet d’un traitement du décor, un lieu où se déroulent des conflits, rythmé par des temporalités différentes15. L’espace public (la place, la rue, l’espace de la rencontre, de l’événement) invite à la multi-culturalité, au partage. Il fait l’objet d’un traitement dans sa forme, de travaux sur sa composition, la lumière, l’ambiance sonore destinées à mettre en valeur l’architecture de la ville avec, en conséquence, une plus grande attraction pour l’habitant, le passant, le voyageur. Certains passants barcelonais interrogés caractérisent la ville comme « un musée à ciel ouvert le jour » et « une scène de spectacle la nuit ». C’est cette dimension « scénographique » des espaces urbains, tournée vers l’action créative de l’imaginaire, qui en fait des espaces de rencontres d’un type nouveau, socialement organisés, que l’on « raconte » par des mises en exposition ou des cheminements d’évitement, afin de délivrer au monde une empreinte locale flatteuse. Bien entendu, l’espace public est toujours traité dans sa morphologie. C’est d’ailleurs en cela qu’il est directement saisissable par chacun et qu’il constitue un maillon essentiel : on le voit concrètement, on y chemine, on se l’approprie. Il représente et donne à voir l’environnement construit et naturel de la ville. L’universalité d’accès, nécessaire au caractère public, n’est toutefois pas synonyme d’absence de règles régissant les pratiques de cet espace. C’est alors que son aménagement et sa composition prennent tout leur intérêt, aussi bien à l’échelle individuelle et sociale qu’urbaine et spatiale. Sur Passeig de Gràcia un passant 14 15

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AUGOYARD Jean François, Pas à pas, Broché, Paris, 1979 p 116 TOUSSAINT, Jean Yves, Projet urbain, Ménager les gens, aménager la ville, Mardaga, 1998 p 10


Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

m’explique : « Quand je me promène dans ma ville j’ai l’impression que l’espace a été fait pour ma propre promenade. Il me permet de contempler, rencontrer… ». Les urbanistes et les architectes composent l’espace public pour y générer des actions, des sentiments, des comportements et des images. La marche est en effet le moyen de déplacement qui favorise le plus les face-à-face physiques entre inconnus, toutes ces interactions qui s’établissent de manière aléatoire et éphémère dans les espaces publics, entre des citadins qui par ailleurs n’ont aucune raison de se fréquenter. « Or ces interactions ces rencontres non programmées avec d’autres individus qui passent ou séjournent dans les rues, sur les places, dans les gares ou les jardins publics, au marché ou lors des fêtes urbaines, ne sont pas si anodines qu’il y parait. Elles sont « socialement productives », au sens où elles contribuent à l’élaboration de cette « culture impersonnelle » qu’est l’urbanité, cet ensemble de « liens faibles » qui donnent « de l’élasticité », de la souplesse au tissu social des grandes villes16. ». C’est à travers ces échanges improvisés que l’on apprend les relations publiques, bien loin des familiarités, de l’intimité ou du contrôle social qui dominent à l’échelle du quartier ou du lieu de résidence. Il faut considérer le piéton comme acteur majeur de la vie urbaine. Comme le disait Sonia Lavadinho 17 : « Considérer que les espaces publics ne peuvent pas se définir par leurs seules dimensions esthétiques : leur qualité d’usage dépend beaucoup de leur caractère interprétable, autrement dit de leur capacité d’accueil d’une grande diversité de pratiques. Ce qui implique de les penser comme des « hubs de vie », articulant des fonctions diverses favorisant les possibilités d’échanges, de séjour, de contemplation, aptes à conjuguer rapidité, lenteur et temporalités multiples des usages. L’urbanité d’un espace ne se laisse pas saisir facilement. Surtout, elle ne se décrète pas plus qu’elle ne s’impose d’en haut. A travers le pas du marcheur, une urbanité se crée, en recomposition permanente, semblant pouvoir prendre corps. La rue s’affirme alors comme un espace de négociations permanentes entre les individus et des modes, face aux frottements divers voire aux conflits d’usages qu’elle abrite.

16 TERRIN, Jean Jacques, Le piéton dans la ville, L’espace public partagé, Marseille, Parenthèse, 2011, p 85 17 Ecole polytechnique de Lausanne Exemples de métriques pédestres développées dans les métropoles européennes : succès et limites,Lyon, Octobre 2009

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La marche incarne des valeurs liées à la qualité de vie, aux sociabilités. Elle requiert de la perméabilité, de la fluidité, de la transparence. Sur l’espace public où le local et le national se mêlent, la marche crée du lien parce que sa prise en compte dans les aménagements implique de penser la relation entre le séjour et le mouvement et entre les différentes échelles. Un passant vient confirmer cette approche : « Je ne marche pas souvent privilégiant le métro ou le vélo, mais il est vrai que quand je suis accompagné je privilégie la marche car il est un moyen de déplacement qui permet de parler ». De par ces sensations, la marche a une « relation affective » à la ville : les lieux ont une emprise sur le rythme du pas, la posture du piéton et son choix de parcours. Si « flâner nomme l’art de marcher en ville », c’est sans doute parce que « la marche urbaine est […] un pli du corps18. ». Elle est, dans tous les cas, une activité qui sollicite la sensorialité du piéton en même temps qu’elle se nourrit des modalités sensibles de l’espace urbain. La ville « magnétise » le pas, l’attire ou le rejette vers des zones plus ou moins attractives, en fonction de l’humeur ou de l’intuition du piéton, en fonction de sa disponibilité sensorielle également. Elle malmène son corps, lui offre le repos parfois, le heurte ou le pousse à choisir souvent entre la nonchalance des dérives urbaines et le dynamisme de ces allers-retours quotidiens.

Figure 3 : Parcours piéton de la plaça Catalunya à la rambla Maritim, Barcelone, Juin 2015

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AUGOYARD Jean François, Pas à pas, Broché, Paris, 1979 p 125


Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

Si la marche doit retrouver non pas un droit de cité mais une place centrale dans nos villes et dans les métropoles du monde, c’est moins parce qu’elle représente un enjeu de la durabilité ou du renouvellement urbain que parce qu’elle constitue, dans son essence même, une activité d’ancrage du piéton à la ville. Formulé autrement, même dans sa fonctionnalité la plus ordinaire, la marche permet au piéton d’être urbain et de faire la ville. Cette activité d’ancrage se décline sous divers registres19 : - ancrage pratique : sous l’apparente banalité d’une technique commune ancrée dans les corps, la marche met le piéton « en prise » avec la ville. Tirant parti des qualités de son environnement, détournant parfois ses défauts, le piéton adopte ainsi des « types de marche » particuliers qui, en retour, dessinent les visages pluriels de la ville ; - ancrage social : « Une promenade en commun est aussi une unité parce qu’elle réunit, pour quelques heures peut-être, un certain nombre d’individus animés par une intention commune, par exemple se dégourdir les jambes. Les marcheurs ne sont pas simplement juxtaposés dans ce cas, mais entrent dans une action réciproque les uns avec les autres20 ». Il s’agit alors de comprendre ces processus à l’œuvre et la manière dont ils influent sur le cours de la marche ; - ancrage perceptif : marcher, outre se déplacer dans un lieu ou d’un lieu à l’autre, c’est se laisser envelopper par le magma sonore de la foule ou se sentir « retenu » par la granulosité particulière d’un boulevard urbain. Or, cette « emprise » sensible de l’environnement met en forme les points de vue perceptifs du piéton sur la ville ; - ancrage affectif : la ville, enfin, tour à tour, malmène, angoisse, égare, épuise, fascine, attire… mettant en jeu, au gré des pas, la sensorialité du piéton et sa motricité.

19 20

op. cit,p 110 op. cit,p 111

23


Figure 4 : Construction de la Gran Via en 1860 durant le plan d’aménagement de Cerdà, Barcelone, 1862

Figure 5 : Espace public sur Gran Via après l’aménagement de Cerdà, Barcelone, 1880

24


Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

1.2

L’espace public Barcelonais comme

parcours piéton

Les origines de l’espace public piéton barcelonais

Si je choisis de m’intéresser à la promenade urbaine en relation avec l’aménagement de l’espace public dédié aux piétons, c’est tout d’abord parce qu’à Barcelone, il existe une forme originale de promenade : la rambla. Avant de nous intéresser plus spécifiquement au cas barcelonais, nous allons procéder à un rapide historique de la promenade urbaine. Dans les jardins secrets de la Renaissance italienne, la promenade autorisait les jeux de la séduction ; copiée à la Cour française, dans les jardins, elle s’est étendue aux parcs (sous Louis XIV), puis le long des grands boulevards. À Paris, on se promène sur les grands boulevards haussmanniens, et dans la plupart des villes européennes, comme en Italie (à Padoue, Gênes, Venise, Parme, Vérone ou Palerme) au cours du dernier quart du XVIIIe siècle, des promenades, véritables lieux de rendez-vous, avaient été aménagées afin que les habitants s’y retrouvent à la fin de la journée pour échanger. En Italie, la passeggiata prend différentes formes : sous les portiques de Bologne, c’est une promenade de près de six kilomètres qui mène du centre-ville à la proche campagne ; à Milan, c’est la galleria, à Brishingella, les arcades21. La promenade italienne est le lieu des échanges et des rencontres, certains parlent même de rituel tant les comportements sont codés. A Rome la rue est même devenue l’objet de scénographies, processus qui s’est répandu dans de nombreuses villes d’Europe. Petit à petit, des promenades publiques apparaissent, et désormais le terme promenade ne désigne pas la seule action de marcher, de se promener, mais fait également référence à un lieu aménagé pour le faire. En Europe, alors que la promenade urbaine comme lieu de sociabilité faisait son apparition, la figure du flâneur solitaire voyait également le jour. Le flâneur inspirait une nouvelle forme de promenade, il découvre la ville tel un promeneur en forêt, « il herborise sur le bitume 22 ». 21 MIAUX, Sylvie, « Le piéton : un acteur privilégié de l’espace public barcelonais », Cahiers de géographie du Québec, 2008 URL : https://www.erudit.org/revue/cgq/2008/v52/n146/019587ar.pdf 22

SOLNIT, Rebecca, L’art de marcher, Acte Sud, 2002, p 24

25


Toutes ces formes de promenades urbaines reflètent la nécessité pour le piéton de s’inscrire dans la ville à travers la marche solitaire ou partagée, spirituelle ou codifiée, sensuelle ou anonyme. La promenade, comme lieu aménagé et en tant qu’activité, redéfinit les principes de l’espace public comme lieu d’échanges et de pratiques. La promenade nommée rambla à Barcelone s’est créée par tronçons à partir du XVIIIe siècle et a adopté, au XIXe siècle, la forme de promenade publique selon l’exemple italien, suivant les codes précis de scénographie. Elle fait en sorte que le piéton se retrouve au centre physique de la voie de circulation. Cette image de la rambla est très présente dans l’esprit des Barcelonais, dans la mesure où elle constitue une forme urbaine qui leur est propre. Elle renforce les particularismes de la culture barcelonaise, et s’est même ancrée dans le vocabulaire au point que certaines personnes utilisent le mot ramblear plutôt que pasear : le passeig est propre à l’ensemble de l’Espagne, alors que la rambla est caractéristique de la culture barcelonaise à travers la réflexion sur le parcours piétonnier. La reconnaissance de la culture du passeig a fortement influencé la réinscription de la promenade dans les rues de la cité. « Barcelone est une ville de rues. Les rues ont une importance fondamentale qui dépasse leur fonction de connexion et qui les place comme des lieux complexes de relations citadines23.» .Il y a cette émancipation des modèles où l’on considère depuis 150 ans que l’espace public à travers la pratique piétonne peut faire changer la société. Il faudra attendre Cerdà pour que celui-ci soit véritablement pris en considération dans la construction de l’espace public barcelonais.

23

26

BORJA J, MUXI Z, El espacio público : ciudad y ciudadanía. Barcelone : Electa, 2003 p 70


Figure 6: La rambla, une percĂŠe piĂŠtonne dans la ville, vue par la tour de Christophe Colon de la rambla Canaletes, Barcelone, Avril 2015

27


Le plan Cerdà : La pratique du mouvement

Figure 7: Ampleur du plan d’aménagement de Cerdà, exposition au CCCB, 2013

Quand les murailles de Barcelone sont détruites en 1719, il faut réorganiser une ville dont la population augmente. En effet, la ville, en pleine révolution industrielle, doit s’accroitre pour répondre aux nouvelles exigences économiques. Plusieurs projets sont proposés, mais ce n’est qu’en 1858, à l’occasion d’un concours, que le projet d’Eixample 24porté par Ildefonso Cerdà et appuyé par le pouvoir castillan est retenu. Il ne se contente pas de dessiner un plan de Barcelone, il théorise sa démarche : fervent soutien du positivisme, ingénieur des ponts et chaussées, il croit aux apports de la science pour proposer des solutions aux secteurs critiques générés par les villes industrielles. Il agit à Barcelone en 1850 pendant une période de confrontation et d’émeutes populaires et pose les bases de la discipline de l’urbanisme. Ainsi en 1867, le monde découvre les débuts du projet occidental qui consiste à considérer l’urbanisme comme phénomène spécifique accessible au savoir, soumis à des lois et accompagné d’une terminologie propre. Par cette manière, Cerdà crée le néologisme « urbanizacion25 », qui couvre à la fois 24 Eixample en catalan, Ensanche en castillan signifiant « extension », « élargissement », « agrandissement » 25

28

En français : urbanisation.


Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

l’action d’urbaniser, la concentration des populations et des activités, ainsi que l’urbanisme comme discipline. Fondé sur une trame géométrique, le plan proposé par Cerdà dépasse l’approche fonctionnelle classique et aborde les problèmes de la société dans leur ensemble. Influencé par la pensée hygiéniste, l’architecte conçoit « l’espace comme un moyen thérapeutique contre les maux de la société26 » : avenues larges, vastes intersections encadrées par des bâtiments à pans coupés, maintien d’espaces bâtis au sein de chaque îlôt... composent la ville voulue par Cerdà. C’est au centre de cette réflexion que l’espace est aménagé pour créer une ville homogène. Le plan en damier s’est imposé pour garantir l’hygiène publique, l’indépendance du foyer, tout en facilitant les relations sociales, par la mise en place d’un système de communication performant. Cette ville homogène repose sur une vie urbaine qui se compose de deux fonctions essentielles : le mouvement et le séjour. « L’îlot est le domaine de la résidence individuelle et familiale ; la voie est celui des communications avec le monde extérieur, avec la nature et la société 27.». L’idée de mouvement, essentielle ici car elle va induire toutes les formes de passage dans la ville, est abordée comme un élément primordial qui nécessite une approche particulière de la voirie. Effectivement, « la diversité des moyens de locomotion et de traction, la diversité des directions, des vitesses, des destinations, toute cette multitude incalculable de choses si différentes, si hétérogènes, qui circulent sur la voie requiert, dans l’intérêt général, des solutions adéquates au fonctionnement particulier de chacun de ces éléments, selon la nature de chaque mouvement28 ». Il ne limite donc pas son approche de la voirie à la seule logique de mouvement, il tient aussi compte de la diversité des modes de déplacements et de la spécificité de chacun d’entre eux où « la rue n’est pas seulement une route 29». Il lui semblait que la place dévolue au piéton s’amenuisait considérablement : autrefois pratiqués sur la rue entière, les piétons se sont vus avec le temps et la diversité des modes de déplacement relégués sur des trottoirs étroits pendant que la voie centrale était assignée aux montures, ce qui ne respectait pas une certaine équité dans la répartition de l’espace. Il souhaitait redonner une place importante au piéton, sans pour autant empêcher les véhicules de circuler ; vivant à la période de l’industrialisation et du développement du commerce et des finances, il est conscient de l’importance de ce développement automobile. Il essaye donc dans son travail de concilier les multiples formes de transports. 26

CERDÁ Ildefonso, La théorie générale de l’urbanisation. Paris : Seuil, 1979, p 24

28

CERDÁ Ildefonso, p 26

27 Citation de Cerdà dans MARTI , Jusmet, MORENO Ibanez, Barcelona, a donde vas ?, Madrid, Dirosa, p 75 29 Ibid p 30

29


espace du piéton espace pour les transports (automobile et / ou tramway)

Alors que dans le Paris haussmannien 60% minimum de la voie sont réservés aux véhicules, le Barcelone de Cerdà propose maximum 50% des voies aux véhicules. Cerdà tient compte de la culture du passeig, chère aux Barcelonais, en accordant aux piétons une place importante dans l’espace public.

8

20

en mètre

8

Figure 8: Coupe de Cerdà, aménagement pour le piéton composé de trottoir plus grand

Il propose une typologie des voies selon les flux envisagés : les voies les plus réduites font minimum 20 mètres de large. Elles permettent de maintenir une certaine aération des appartements dans une perspective hygiéniste. Leur configuration fait 10 mètres au centre occupés par la chaussée et 10 mètres restant sont répartis en deux trottoirs de 5 mètres chacun. Il y a donc une égalité dans la répartition de la chaussée et du trottoir.

10

10

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10

10

Figure 9: Coupe de Cerdà, aménagement pour le piéton composé de trottoir latéraux et d’une allée centrale

La deuxième typologie les appelle « rues à circulation ordinaire30 », elles ont une section de 35 mètres de large, comme la rambla de Catalunya31 (Figure 10) qui dispose d’un trottoir central de 12m de largeur, plaçant le piéton au cœur de la rue 30 BUSQUETS GRAU, Joan, Barcelona : la construccion urbanistica de una ciudad compacta, Barcelone, Ed. del serbal, 2004, p 356 31 Cf annexes : plan de situation p 111

30

en mètre


Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

mais aussi deux trottoirs latéraux de 8 mètres de largeur. La chaussée quant à elle à une place minime de 5 mètres de chaque côté de la rue. Dans cette typologie le piéton à une vision nouvelle de la rue, des édifices, de l’environnement.

9.5

12

5

5

9.5

en mètre

Figure 10: Emprise de la voie piétonne sur la rambla Catalunya

Enfin les voies à forte fréquentation occupent 50 mètres de large. Le passeig de Gràcia32 (Figure 11) est le plus représentatif de ces passages, long de 1,6 km, il atteint les 60 mètres de largeur et est considéré comme une des plus grosses artères de la ville moderne.

10

5.5

4.5

4.5

5.5

10

en mètre

Figure 11: Emprise de la voie piétonne sur Passeig de Gracià

L’avenue est bordée par de nombreux édifices parmi les plus notables de Barcelone. Elle combine toutes les solutions rencontrées par Cerdà. Deux trottoirs aux bords des édifices sont réservés aux piétons faisant 10 mètres de largeur chacun. Une mise à distance est mise avec la chaussée centrale de 18 m de largeur par un autre trottoir de 5 mètres et une petite desserte de 5 mètres plantés d’arbres disposés en deux rangées parallèles, afin d’agrémenter le parcours des piétons. Sur les larges trottoirs, ceux-ci sont comme protégés. 32 Cf annexes : plan de situation p 111

31


Cette typologie arrive à un équilibre entre la chaussée et le trottoir, permettant à la fois une circulation importante et une qualité d’espace public pour le piéton. Avec des trottoirs de grandes dimensions, Cerdà souhaitait créer un espace plus riche en plantant deux rangées d’arbres encadrant les parcours piétonniers. Il n’aborda pas la question de la promenade urbaine, néanmoins, il tient compte de l’importance de la marche dans les pratiques des Barcelonais, d’où l’aménagement de trottoirs larges et aérés. L’Eixample ne disposait pas que d’un tracé fonctionnel des différentes voies de circulation ; il tenait compte de l’importance de l’environnement dans lequel la personne déambulait. En effet, la présence d’arbres le long des trottoirs créait une sorte de corridor, qui protégeait du soleil tout en délimitant l’espace dévolu aux piétons. Différents aspects du projet de Cerdà révèlent une action et un intérêt anciens pour les problématiques liées au déplacement. En prenant en compte les mouvements des citadins, il a su mettre en évidence l’importance du rapport aux différents modes de déplacement. Cependant, sa vision de l’espace public tend à se réduire à une approche matérielle où le piéton n’est qu’un usager de l’espace de circulation, limitant ainsi la question de l’accessibilité à sa seule dimension physique. Dans son projet, il n’a pas tenu compte de la qualité des lieux de rencontre et d’échange. Par contre, nous allons voir comment Jaussely a dépassé l’idée d’équilibre pour valoriser davantage l’esthétique de la ville en vue d’obtenir un cadre de vie plus agréable axé sur la promenade.

Le plan Jaussely : La culture de la promenade

Le concours est commandé par la ville de Barcelone en 1905, afin de trouver une façon d’englober les villages périphériques. Léon Jaussely, jeune architecte français, hostile au Plan Cerdà, remporte le concours. Bien que reconnaissant certaines qualités au plan précédent (sa monumentalité, son souci hygiéniste, sa capacité d’extension…), il voit en lui une certaine froideur, une uniformité importante suscitant l’ennui : « Il déplore le caractère uniforme de ce plan qui lui interdit de constituer un ensemble structurant33 ».

33 BERDOULAY Vincent et SOUBEYRAN Olivier, L’écologie urbaine et l’urbanisme aux fondements des enjeux actuels. Paris : Editions la Découverte et Syros, 2002, p 151

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

Jaussely accorde lui une grande importance à l’introduction de la culture et de l’art dans l’espace public34 considérant que l’art redonne à l’espace public une dimension attractive et esthétique, tout en possédant une valeur éducative : « plus que le livre, l’art, parce qu’il peut être public, a une valeur éducative pour toute la population35 ». C’est pourquoi, il souhaite que l’art fasse partie intégrante des objectifs et des outils de l’urbanisme. Ainsi l’orientation des rues est pensée en relation à l’ensoleillement et aux vents dominants. Ces différents principes suggérés par Jaussely ont pour objectif de rompre la monotonie en traçant des voies offrant des points de vue agréables et des constructions variées. Il réussit à utiliser l’identité culturelle de la ville, fondée sur la culture du passeig tout en planifiant la création de plusieurs promenades. La marche est considérée non seulement comme moyen de déplacement, mais aussi comme forme de sociabilité et de convivialité. Même si son plan n’a jamais été mis en application, il a grandement inspiré les urbanistes au tournant des années 1980. Par l’importance de la dimension esthétique, de la scénographie des espaces publics, Jaussely intégrait le piéton en tant que promeneur, valorisant ainsi la rencontre, l’échange, sans négliger la découverte des lieux.

Figure 12: Image de Barcelone, montage effectué par Jaussely pour montrer une percée sur la rue, Barcelone, 1890.

34 JAUSSELY L, Memoria, Proyecto de enlaces de la zona de Ensache de Barcelona y de los pueblos agregados. Barcelone, 1907, p. 7. 35

ibid p. 15

33


Actualisation des idées novatrices de nos jours

Tout en assumant la diversité des rues dans la ville : rambla, passeig, et en valorisant la place du piéton dans l’espace public, les urbanistes et les architectes ont lancé un processus de requalification et de consolidation de l’espace urbain. L’objectif est de les moderniser et de les redéfinir. Ainsi, ils ont urbanisé certaines zones et ont créé de nouveaux itinéraires dans l’optique de créer des séquences significatives d’espaces urbains. L’axe piétonnier a été un des premiers projets de parcours reliant plusieurs espaces publics. La ville façonne son espace public à travers le piéton en le caractérisant « d’espace de communauté ». Oriol Bohigas36 a joué un grand rôle dans cette prise en compte de l’importance de ces formes dans le paysage urbain barcelonais. En effet, en plus d’être un architecte reconnu dans la région catalane, il a présidé durant plus de 4 ans le conseil municipal de l’urbanisme de Barcelone. Ainsi, il a urbanisé certaines zones et a créé de nouveaux itinéraires urbains : « une conception visant à créer des séquences significatives d’espaces urbains est élaborée actuellement de manière systématique 37 ». Les espaces piétons ne se limitent pas à une zone, comme c’est le cas dans de nombreuses villes françaises. Au contraire, ils s’organisent en axes faisant lien entre différents nœuds de la ville. L’itinéraire urbain favorise le lien entre les diverses parties de la ville pour en faire un tout consistant et expressif. Ces modifications concernent : La première est classique de la configuration des ramblas : on a modulé les dimensions pour accentuer l’usage piétonnier. Un effort est aussi entrepris en ce qui concerne le revêtement des sols et le mobilier urbain pour respecter une certaine unité et la continuité de surfaces piétonnes : par exemple, à la rambla de Guipuscoa38 (Figure 13), des arbres sont plantés et un mobilier est installé tout au long du passage central pour permettre l’arrêt. Le second type d’intervention concerne le traitement de l’esplanade centrale, qui est parfois surélevée, ce qui accentue l’autonomie de la promenade et en fait une activité de découverte et de rencontre dans un espace protégé. La Rambla del Brasil39 (Figure 14) est le premier aménagement à avoir été entrepris sous cette forme. On parle de voie à caractère « civique 40». Une grande promenade en 36 Architecte catalan née en 1925, il est diplômé en 1951 37 SOKOLOFF Béatrice, Barcelone où comment refaire une ville. Montréal : Presses universitaires de Montréal, 1999 p 47 38 Cf annexes : plan de situation p 111 39 Cf annexes : plan de situation p 111 40 Les voies civiques réinterprètent les typologies classiques de la rambla, de l’avenue, de la promenade ; les projets intègrent non seulement les circulations piétonne et automobile, mais ils permettent aussi une grande diversité d’usages civiques ; leur construction inclut souvent des éléments en sous-sol (stationnements et infrastructures diverses) , voir SOKOLOFF Béatrice p 65

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

Figure 13: Promenade centrale sur la rambla Giusucoa, Barcelone, 2015

Figure 14: Promenade centrale surélevée la rambla del Brésil, Barcelone, 2015

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Figure 15: Un parc dans le coeur d’une rue, rambla Prim , Barcelone, 2015

Figure 16: Promenade au centre de l’avenue Diagonal, aménagement d’un espace piéton, Barcelone, 2015

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

hauteur par rapport à la rue permet de donner une nouvelle vision de l’espace public et des édifices qui l’entourent. Elle est aménagée avec du mobilier urbain mais aussi plantée d’arbres et de palmiers. Les voitures circulent en souterrain : il n’y a donc pas de nuisance sonore. Il y a cette impression d’être en dehors de la ville. Le principe de la rambla reste donc central dans les nouveaux aménagements, comme une tradition que l’on souhaite maintenir. Elle est un lieu de vie et de rencontre quotidien pour les habitants et à la fois un espace de découverte libre pour les visiteurs. Mais l’aménagement de ramblas permet également de réaménager de vieux quartiers industriels laissés en friches, comme par exemple le quartier du Poble nou41. La percée de voies nouvelles, l’aménagement de places sur le site d’anciens bâtiments désaffectés accompagnent les nombreuses opérations de rénovation urbaine, dans une ville soucieuse de consolider son rang de grande destination touristique européenne. La rambla est constitutive de l’image de Barcelone, aussi bien pour les habitants que pour les visiteurs. À tel point que le terme rambla est même utilisé pour désigner des voies qui ne possèdent pas les caractéristiques classiques de cette dernière, ce qui dénote l’importance que lui accordent les Barcelonais. Afin que la voie publique serve de lien entre pratiques traditionnelles et activités contemporaines, l’urgence de requalifier certains quartiers a parfois abouti à la réalisation de formes particulières de ramblas, comme celle de Prim42 (Figure 15). Faisant 60 m de large et 2,5 km de long, elle est devenue une sorte de parc linéaire au cœur d’un quartier d’habitation typiquement moderne, avec ses grands blocs isolés. De façon générale, le type de voie retenu semble dépendre en partie des caractéristiques morphologiques et socioculturelles du quartier. Nous avons remarqué que ce sont des considérations liées aux usages qui ont amené à définir comme rambla le prolongement de l’avenue Diagonal43 (Figure 16) au-delà de Plaça de las Glòries. Récemment, l’avenue Diagonal a été prolongée vers la mer. Il s’agit d’un large espace piétonnier central qui conserve la forme des ramblas. L’avenue Diagonal a été aménagée en tenant compte de la mise en service du tramway qui circule sur les côtés extérieurs de la rambla, dans des zones de végétation. Mais l’organisation de cet espace met en évidence la particularité de l’espace public barcelonais dans lequel le piéton est roi. Les voitures circulent de chaque côté alors qu’une frontière d’arbres ceinture l’espace piétonnier. Il s’agit d’un espace de vie quotidien pour les personnes demeurant dans ce quartier, espace qui permet une revalorisation d’une zone où les friches 41

Cf annexes : plan de répartition des différents quartiers de Barcelone p 111

42

Cf annexes : plan de situation p 111

43

Cf annexes : plan de situation p 111

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industrielles sont omniprésentes dans le paysage. Beaucoup de personnes âgées résident sur les abords de cette rambla. Cet aménagement facilite le déplacement dans un cadre agréable et sécurisé. Il se situe dans la continuité de la culture du paseo, propre à Barcelone. Par exemple, comme nous le rappelle Ignasi de Lecea44 : « Les gens se promenaient beaucoup pour se mettre en scène au XIXe siècle. Les ramblas correspondaient à un lieu de promenade et de mise en scène, où les attitudes étaient codées. De nos jours, la mise en scène est toujours présente, néanmoins le paseo est davantage lié à l’activité commerciale45 ». Aujourd’hui, la rambla est un élément important de l’espace urbain barcelonais, et elle est présente dans plusieurs aménagements récents. Cela se traduit de différentes manières, depuis la construction de la rambla jusqu’à la seule utilisation du nom qui est un symbole de la ville. La Rambla del mar46 (Figure 17) constitue un autre type d’espace de déambulation qui correspond davantage à une promenade qu’à un secteur piétonnier à usage quotidien. Celle-ci fait le lien entre la fin de la rambla centrale et un secteur commercial et de loisirs (aquarium, cinéma 3D, etc.). Dans la construction de cette rambla, l’utilisation du teck et de l’acier symbolise l’industrie navale, et les formes ondulées, la mer. La présence de dénivelés signale les espaces de repos, là où certaines personnes installent leurs serviettes pour prendre un bain de soleil. Ainsi, le paseo prend possession d’un espace autrefois délaissé : le bord de mer est devenu un espace très fréquenté par les touristes qui viennent y trouver un peu de fraîcheur et de calme. Quant à la forme du passeig, il s’agit d’un type de voie qui permet l’articulation d’usages divers. Comme il offre une combinaison complexe de voies de circulations, contre-allées, esplanades et trottoirs latéraux, le passeig « trouve dans les voies de circulation, les vastes trottoirs et différents types d’esplanade comme celui du Moll de la Fusta47, une expression contemporaine très puissante 48». Ce passeig s’étire jusqu’au Passeig Marítim (Figure 18), complétant ainsi l’ensemble des promenades du nouveau front de mer.

44 Ignasi de Lecea est un architecte catalan, il a beaucoup œuvré dans les années 1980 à Barcelone 45 SOKOLOFF Béatrice, Barcelone où comment refaire une ville. Montréal : Presses universitaires de Montréal, 1999, p 70 46 47

Cf annexes : plan de situation p 111 Cf annexes : plan de situation p 111

48 AUDOUIN, Jean ,«Barcelone - difficile d’être un modèle ?», Traits urbains : le mensuel opérationnel des acteurs du développement et du renouvellement urbains, aout/ septembre 2007 n°17 p 12-26

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

Figure 17: Mise en scène du front de mer Barcelonais, Rambla del Mar, Barcelone, Juin 2015

Figure 18: Aménagement des circulations douces du bord de mer barcelonais, rambla Maritim, Barcelone, Juin 2015

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Dans la continuité des aménagements réalisés en bordure de mer, sur le Passeig Marítim 49de la Barceloneta, on peut apercevoir un espace de promenade où l’agencement du mobilier urbain invite à la contemplation du panorama. Les sièges sont disposés de telle façon que les personnes peuvent s’isoler ou bien rechercher le contact avec les autres. Cet espace est aménagé en fonction de la mise en scène du panorama de moments de repos ou de distraction, de réflexions, voire de rencontres. L’expérience du déplacement s’enrichit d’une dimension d’ouverture sur l’environnement parcouru. À travers l’exemple du Passeig Marítim, on peut voir « la formalisation des relations entre des éléments apparemment aussi antithétiques du point de vue des usages qu’une autoroute de ceinture, une grille de voirie urbaine et toute une gamme d’espaces de promenade est résolue de façon audacieuse 50».

49

Cf annexes : plan de situation p 111

50 BOTTURA, Roberto, Rénover, transformer et utiliser l’espace public : la clé de Barcelone, Barcelone, Links, 2010, p 112

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Partie 1 : Comment le piéton est-il devenu acteur principal dans la construction del’espace public barcelonais ?

De par ces recherches urbanistiques, Barcelone confirme qu’elle est une ville piétonne. Depuis le XIXème siècle elle œuvre dans la cohérence de son espace public donnant au piéton une place privilégiée. Elle a montré par les créations des ramblas, les œuvres des pionniers comme Cerdà et les recherches de Jaussely, que l’espace public fait partie des priorités dans la recherche de la cohérence de la ville. Au milieu du XXème siècle, ces modèles sont réutilisés et actualisés pour permettre de nouvelles formes urbaines répondant à une demande sociale. La dimension piétonne est plus que jamais mise en avant et privilégiée.

Ainsi dans cette première partie nous avons montré que l’espace public barcelonais invite le piéton au détour, lui laissant de multiples choix dans son itinéraire. Se déplacer à Barcelone est une invitation à la découverte de l’inattendu. Ces espaces, par leurs innovations se prêtent à la définition que nous avons faite de la pratique piétonne dans l’espace public. Le piéton, qu’il soit habitant ou touriste barcelonais, trouve à sa disposition un espace public aéré, divertissant, surprenant. L’espace public barcelonais est devenu un concept qui s’exporte : le projet urbain a montré ici sa capacité à définir des formes propices à l’association d’usages multiples et parfois contradictoires. Il révèle à toutes les échelles une grande cohérence dans des objectifs urbanistiques qui visent à la fois la mise en scène de la ville et la définition d’un rapport entre les usages, les formes urbaines et leur signification. Le projet a été organisé comme un tout. Mais comment le touriste ou l’habitant vit-il ce récit ?

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2. EN QUOI LA MARCHE EST-ELLE PORTEUSE DE SENS DANS LA VILLE BARCELONAISE ?



Un, plus un, plus un, Et encore un, d’autres encore, Et d’autres, plus. Un chaque fois qui s’additionne À tous ceux qui sont là, Autant de fois rien qu’un. Tous ceux qui vont, qui se rassemblent, Oui ne sont plus une addition, Mais autre chose, Ou la ville prend muscle, Où son souffle prend voix, Tâte son avenir. GUILLEVIC, Ville, Gallimard, 1969.

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Cette partie a pour objectif de prendre conscience du sens de la pratique piétonne dans l’espace public. C’est-à-dire faire ressortir les usages, les pratiques qui font que la rue, la place, la rambla font parties des espaces de la vie urbaine. Quels sont les usages piétons dans la ville ? Mais aussi comment prennent-ils place ? et qu’engendrent-ils ? Pour cela la réflexion s’articule en deux parties que l’on peut croiser, en s’intéressant à deux formes de piétons : l’habitant et le touriste. Dans cette première partie il s’agit de constater et de dégager le sens des formes d’usages piétonnes de l’espace public Barcelonais à l’aide d’entretiens réalisés dans les quartiers del Raval et le quartier de Gràcia. (cf annexes : Questions et réponses à l’enquête p 118-125) La seconde partie a pour ambition d’explorer le parcours touristique à l’aide d’études de guides touristique pour comprendre l’utilisation de l’espace public.

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2.1

Barcelone au rythme du piéton

Démarche de la marche par l’enquête

Il y a différentes entrées possibles pour aborder la marche51, que nous allons appréhender au travers de cette enquête : elle se présente comme un analyseur de l’expérience ordinaire des citadins, et devient un enjeu d’aménagement des espaces publics. L’idée est qu’il existe non pas une marche, unique et générique, mais des marches plurielles et spécifiques. Autrement dit, c’est à un pluralisme méthodologique que nous sommes conviés, croisant les regards et diversifiant les données. S’il s’agit d’employer le mot marche au pluriel, c’est aussi dans la mesure où elle ne cesse de s’acclimater aux lieux traversés. Pour aussi élémentaire qu’elle soit, cette activité n’a de sens que rapportée à ses entours et articulée aux situations qu’elle mobilise. Comme le remarque fortement Jean Luc Lannoy, dans la marche « nous ne traversons pas seulement l’espace linéairement d’un lieu à l’autre mais nous nous mouvons aussi en lui et le découvrons selon la globalité et la multiplicité de sa rythmicité52. » C’est que marcher ne consiste pas tant à se déplacer dans la ville qu’à s’immerger en elle et à s’embarquer avec elle : avec le sol sous les pieds, avec autrui à proximité, avec la rue comme stimulant. Si bien qu’étudier la marche nécessite d’intégrer l’environnement qui l’informe et de spécifier le contexte à partir duquel elle s’actualise. Cela consiste à s’intéresser aux formules d’accompagnement des corps en mouvement ou statiques. Il en va ici de notre capacité à décrire dans un mouvement l’imbrication étroite entre les pratiques de la marche en ville et l’expérience des ambiances urbaines. Non pas la marche pour elle-même, déconnectée des conditions qui la rendent possible, mais la marche selon l’ambiance, en lien étroit avec les qualités et propriétés du monde environnant. 51 L’enquête par la marche inspirée de THOMAS, Rachel, Marcher en ville, faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Paris, Des archives contemporaines, 2010 p 10 52 LANNOY Jean Luc, Langage, perception, mouvement , Milon, Paris, 2008 dans THOMAS, Rachel, Marcher en ville, faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Paris, Des archives contemporaines, 2010 p 15

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Dans la première partie de ce mémoire nous avons réalisé l’enquête sur la pratique piétonne d’un point de vue global dans l’ensemble de Barcelone. Notre étude désormais se concentre sur deux quartiers barcelonais : El Raval, et plus particulièrement la plaça Del angels, et Gràcia avec notamment la plaça del sol. Notre objectif est de faire une analyse de ces deux espaces et d’en tirer des conclusions sur la manière dont les piétons utilisent l’espace public. El Raval est un quartier populaire situé au sud dans l’hyper-centre barcelonais. Le quartier de Gràcia est un ancien village situé au nord de la ville qui a été annexé à la ville de Barcelone durant le plan d’aménagement de Cerdà53. Le choix de ces deux quartiers n’est pas anodin car ils reflètent la diversité de la ville barcelonaise dans ses pratiques et ses usages : Le Raval devient un quartier cosmopolite emporté par la frénésie du tourisme et de l’attraction barcelonaise ; a contrario Gracià a gardé son esprit de village ainsi que ses coutumes et ses traditions. Une méthode expérimentale a été appliquée afin de montrer le caractère multiple, contextuel et dynamique de la marche dans la ville 54. Celle-ci s’appuie sur une marche aux deux personnes, je et tu, et propose dans chaque cas une façon de mettre en perspective les vécus des habitants et/ou touristes tout en constituant un test concernant le terrain d’étude ; voici en quelques mots comment ces deux démarches se concrétisent au niveau des procédés d’enquête55 : En ce qui concerne la marche à la 1ère personne, l’opération principale consiste à décrire le terrain d’étude. Selon leur nature et leur situation, cette observation est plus ou moins facile, en fonction non seulement de la manière dont le quartier est constitué, mais aussi de son degré d’hospitalité ; à titre d’exemple, certains quartiers donnent plus envie que d’autres de s’arrêter ou de se perdre ; d’autres au contraire incitent plutôt à fuir car ils sont peu accueillants voire repoussants. De ce point de vue, l’enquêteur devient ici un témoin du phénomène ambiant. La marche à la 2ème personne revient à s’entretenir avec les passants, en les interrogeant notamment sur leur expérience quotidienne de marche. Ces propos recueillis auprès des habitants ou touristes, sont ensuite comparés et soumis à une étude croisée. (cf annexe : tableau sur la deuxième 1ère et 2ème personne p 117)

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Cf annexes : plan de répartition des quartiers de Barcelone p 111

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Ibid p 17

54 THOMAS, Rachel, Marcher en ville, faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Paris, Des archives contemporaines, 2010 p 14

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Je – La marche à la première personne : se mettre à la disposition du site La marche à la première personne revient à se rendre disponible pour le site en étant attentif à l’atmosphère du quartier, en se laissant entrainer par l’ambiance immédiate. Cela consiste à laisser toute la place à la façon dont l’enquêteur expérimente les lieux par son corps : le chercheur, au lieu d’observer son objet d’étude d’un point de vue externe, expérimente lui-même ce qu’il étudie. Etant lui-même sujet acteur de cette enquête, l’enquêteur comprend d’autant plus facilement les propos tenus par les personnes interrogées et leur conduite. De plus, en commençant par cette expérience à la première personne, on teste l’àpropos, l’intérêt et le caractère réalisable de l’enquête ; on peut ainsi corriger et adapter le protocole si nécessaire. Il s‘agit de concevoir de manière dynamique et variable l’expérimentation méthodologique et de travailler également sur les conditions de possibilité concrètes des perspectives rencontrées. L’expérience consiste donc à déambuler librement et à se montrer réceptif aux sollicitations de la ville. Pendant cette démarche in situ, je prends tout de même des notes, j’enregistre mes sensations et impressions. J’indique où je me trouve et par où je passe pour pouvoir reconstituer après coup mon itinéraire. Je prends parfois des photos quand mon regard est capté par quelque chose. Cette approche à la première personne aide à dégager les affections de la marche, c’est-à-dire les manières d’être en marche en tant qu’elles s’expriment traduisant et mobilisant les emprises de l’environnement sensible. En se rendant tout particulièrement perméables et réactifs aux ambiants, nous révélons par notre conduite et dans notre propositions les diverses formes de mobilité piétonne auxquelles nous sommes confrontés et que nous sommes amenés à adopter. Il ne s’agit donc pas seulement d’identifier ici des espaces les plus propices à la marche. Cela consiste plus fondamentalement à montrer comment des qualités d’ambiance particulières interagissent avec des manières d’être singulière ainsi que les usages. Tout un vocabulaire est alors à inventer pour répertorier des façons de marcher (glisse, fuite, transit, piétinement, évitement, promenade, pause, arrêt, rythme etc.) rapportées à des embrayeurs de marche (attracteur, accélérateur, facilitateur, suspensif, diffuseur, ralentisseur, inhibiteur etc.)

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

On se donne ainsi la possibilité de penser l’efficace sensorimoteur d’un environnement urbain56, de montrer comment les contextes sensibles particuliers participent des ancrages et des embrayages de la marche. Le terme d’« affections de la marche » témoigne des diverses tonalités affectives ressenties au cours du périple attestées par les dérives photographiques. A cet égard les démarches adoptées durant une dérive ne révèlent pas seulement comment l’environnement sensible mobilise le pas du marcheur, elles expriment également dans quelle disposition affective il tend à le placer. Il est question du lien indissociable entre sentir et se mouvoir, soit en termes de mobilité, soit en termes d’affectivité. A Barcelone durant l’étude de ces deux quartiers je me suis livrée à cette expérience. J’ai pu donc analyser par ma pratique piétonne de l’espace public et comparer ces deux quartiers d’un point de vue personnel. Tu- La marche à la deuxième personne : écouter les habitants Si le travail sur l’expérience de l’enquête personnelle est riche d’enseignement, il ne peut se suffire à lui-même. Se mettre à l’écoute des habitants et passer par leur parole reste indispensable car alors, les pratiques de la marche et sensations qu’elles provoquent ne sont plus uniquement exploratoires, elles sont généralement suscitées par une destination souvent programmée, et influencée par la connaissance ordinaire du quartier. Si l’enquête à la 1ère personne appelle à une réceptivité maximale aux atmosphères et aux lieux traversés, l’enquête à la 2ème personne permet plutôt de mettre en évidence divers types et degrés de réceptivité au milieu ambiant. L’esthétique n’est plus posée comme primordiale, elle apparaît éventuellement en situation. Selon ce que l’habitant a à faire, il est plus ou moins sensible aux variations d’ambiances des lieux qu’il parcourt. Il est plutôt guidé la plupart du temps dans son environnement par un but pratique, mais il se laisse parfois aller à une perception plus diffuse et désengagée. On peut alors observer comment un quartier, un territoire ou une séquence se prête plus ou moins a une expérience esthétique. Mais encore, le fait de passer par une parole en situation, qu’elle soit statique ou mobile, permet de rapporter les propos du passant aux endroits que l’on parcourt avec lui. Cette parole à la deuxième personne navigue donc entre le commentaire sur l’environnement présent et le propos plus général sur les pratiques habituelles piétonnes de l’espace public. Contrairement aux dérives photographiques qui offrent des instantanés de l’expérience in situ, les séquences accompagnées permettent d’accéder aux représentations sociales et à l’imaginaire collectif du lieu étudié. Cette méthode d’enquête permet d’alterner divers registres d’énonciation et de changer de focale quand nécessaire. 56

DELBAERE, Denis, La fabrique de l’EP, ville paysage, et démocratie, Paris, Ellypses, 2010 p 40

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L’approche à la deuxième personne est donc axée sur la parole de l’autre. Il suffit d’interroger les piétons rencontrés au hasard des différents points du territoire étudié, qu’ils soient résidents de longue date, usagers réguliers ou visiteurs ponctuels. Grâce à cette méthode, on confronte une grande variété de pratiques : aller chercher ses enfants à l’école, faire ses courses, se rendre au travail, se promener, visiter… Les questions posées aux passants tournent autour de leur expérience dans l’espace public traversé. Les paroles recueillies sont de diverses natures, alternant impressions du moment, descriptions du quotidien, évocation du passé, appréciations et associations personnelles, commentaires sur les relations de voisinage, les problèmes et les habitudes de déplacements. (cf annexes : Questions et réponses à l’enquête p 118-125) Il en va ici non seulement des pratiques piétonnières au sens strict aussi de l’ensemble des conditions susceptibles de les informer. Par leurs propos les passants livrent petit à petit les différentes facettes et images du quartier, tel qu’il se présente en marchant, au fil des pas, immobile, selon le temps, les saisons, les circonstances. Un portrait se dessine alors, qui constitue en quelque sorte la toile de fond à partir de laquelle la marche se dote de qualités distinctives.

Mise en situation de l’enquête par les usagers de l’espace public barcelonais : le cas du quartier du Raval et du quartier de Gràcia

La première question que je me suis posée pour commencer cette enquête est : « Qu’est-ce qu’une ville ? » Je me réfère à Jacob Allan: « Un endroit avec beaucoup de gens, un espace public, ouvert et protégé. Un endroit est un matériau constitué de sens producteur, un point de rencontre, de concentration. L’espace public définit la qualité de la ville, car il indique la qualité de la vie des personnes et la qualité de la citoyenneté de ses habitants57. » C’est à partir de cette définition de la ville que mon parcours dans l’espace public a débuté. Les espaces publics du quartier El Raval, quartier en cours de revitalisation structuré autour de places nouvelles, forment un espace ouvert contrastant avec l’étroitesse des vieilles rues. Le Raval est un quartier populaire considéré comme un des plus marginalisés de Barcelone. Il souffre de son image car il est marqué par de nombreux problèmes sociaux comme la délinquance, la pauvreté, un bâti insalubre. La morphologie urbaine faite de ruelles étroites et sombres accuse encore cette image négative. Vieux quartier d’immigration, il abrite aujourd’hui 57 Jacob Allan, Greats Streets, MIT press, 1993, p 142

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Figure 19: L’enquête par le parcours dans le quartier du Raval (en bas) et le quartier de Gracià (en haut)

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la dernière vague venant d’Amérique latine et d’Asie, population entassée dans des immeubles « taudifiés58 ». Cependant, à la faveur des premières opérations de requalification urbaine entamées dans les années 80, la physionomie du quartier commence à changer. Si la mixité sociale demeure imparfaite, l’implantation de lieux d’art transforme progressivement la vie du Raval. L’insertion du Musée d’Art Contemporain de Barcelone (MACBA) au cœur duRaval contribue à accélérer le renouvellement urbain du quartier. Ce pôle culturel amène ainsi luminosité et espace au quartier relativement enclavé et très dense. Il se situe sur la plaça del Angels, qui devient ainsi un important lieu de passage : majoritairement piétonne, elle est en perpétuel mouvement. Pion avancé de la reconquête urbaine, équipement culturel prestigieux dans un quartier populaire, le MACBA engendre des flux touristiques nouveaux vers une partie du centre de Barcelone longtemps ignorée par les visiteurs. Pôle culturel et architectural contemporain, il contribue à valoriser positivement le quartier et participe au rayonnement de la métropole catalane. De marge répulsive, le Raval peut ainsi prétendre à devenir un nouveau lieu de centralité dédié à l’art et à la culture. Il accueille d’ores et déjà des touristes se rendant au MACBA qui croisent, l’espace d’un instant, les habitants du quartier utilisant la place comme lieu de promenade ou terrain de jeu pour les enfants. But de l’incursion dans le quartier du Raval, ce pôle culturel attire une population plutôt jeune, intéressée par l’art contemporain. De nombreux mouvements associatifs, commerces (boutiques design, cafés, restaurants à la mode…) et galeries liées à l’art contemporain essaiment dans la partie maintenant plus aisée du quartier, apportant ainsi au quartier un dynamisme nouveau et une image de modernité. Les formes d’expressions artistiques spontanées diffusent dans le quartier. L’art est aussi dans la rue : de nombreux graffitis colorés et imposants recouvrent des tôles délimitant une zone de travaux proche du musée. La plaça del Angels est donc devenue, en grande partie grâce aux politiques urbaines et touristiques, un espace propice aux jeux de plein air, rendant ce lieu vivant, animé et jeune et transformant considérablement le quartier du Raval. Pour appréhender cette analyse, je me suis prêtée au jeu de l’enquête afin de consolider les observations avancées ci-dessus. J’accède au quartier du Raval le plus souvent par la rambla de Canaletes, lieu majeur de Barcelone. Ce passage le plus populaire de Barcelone est certainement le lieu le plus touristique. Le passage y est difficile, je rencontre Thibaut, résidant barcelonais, il passe très rarement sur ce lieu : « le bruit, les mouvements, les 58 RICARD, Pie, « Barcelone à l’heure de la systématisation », Paris-projet : aménagement, urbanisme, avenir, juin 1993, no 30-31

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Figure 20 : Traversée du Raval dans la rue étroite de carrer de San Pau, Barcelone, 2014

Figure 21: Terrain de Basket sur une place dans le quartier historique du Raval, plaça Salvador Segui, Barcelone, 2009

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personnes nous entrainent dans un tourbillon angoissant ». Pour lui marcher sur cette rambla, n’est plus un plaisir depuis quelques années, il préfère désormais l’éviter pour passer dans des rues plus calmes. Il appelle cela le phénomène de la « surpopulation barcelonaise ». En effet, il est oppressant de traverser cette rambla : Nous sommes serrés entrainant des bousculements. Je bifurque dans la carrer del Tallers, pour entrer dans le quartier du Raval, la proportion et la typologie des rues changent. Ce critère a été remarqué aussi par les personnes interrogées, dont Anna, résidente barcelonaise de 25 ans : « les rues sont étroites car elles sont vieilles, du coup il n’y pas beaucoup d’espace pour marcher et parce qu’il y a aussi beaucoup de voiture, de taxis et de motos qui passent. Mais le plus facile pour le parcourir reste quand même la marche à pied ». En effet, Anna en marchant se préoccupe beaucoup de l’environnement et des obstacles sur son passage : les trottoirs ne permettent pas deux passages, nous obligeant à passer sur la route... Nous entrons donc dans le Barcelone historique. Cette rue étroite est composée de bâtiments médiévaux donnant un cachet à sa traversée. Mais malgré le soleil, la rue reste sombre. Phillip, étudiant Erasmus, qui apprécie la marche à Barcelone, me l’a fait remarquer : « Le soleil passe trop peu souvent dans les rues du quartier du Raval, donnant un côté plus délabré aux rues ». Je continue de marcher vers la plaça del Angels en compagnie de Phillip qui lui aussi s’y rend, je lui demande son avis au niveau de l’ambiance du quartier : « Je viens assez souvent ici, car j’ai beaucoup d’amis qui y habitent, il y a aussi mon bar préféré le Nevermind, un bar alternatif, on en retrouve beaucoup ici dans ce quartier ». Le quartier est représentatif d’une Barcelone, vivante et jeune. Nous arrivons sur la plaça del Castella, les terrasses sont bondées, il y a de la musique. Les personnes sont majoritairement jeunes. Phillip me raconte que cette place est une de ses favorites à Barcelone ; non pas pour sa situation géographique ou architecturale, mais pour l’animation et le dynamisme avec lesquels les gens la façonne. Thibaut confirme l’occupation très importante de cette place par les habitants et notamment par les jeunes. Au bout de celle-ci j’arrive sur la plaça del Angels. Le lieu est animé, il est 16h. La place est entourée par des touristes qui la prennent en photo. Ils restent sur les abords, ne la traversent pas ; un touriste me dit : « Je ne me sens pas à ma place, je préfère rester sur le côté, la prendre en photo et repartir. » J’ai pu interroger une touriste française, Sylvie, qui vient assez souvent à Barcelone, une fois tous les trois mois, parcourant la ville seulement par la marche. Elle me confie sur le quartier du Raval : « Je n’y flâne pas », son discours vient contraster avec les autres que j’ai pu entendre « Je m’y suis promenée et jamais beaucoup attardée. C’est un quartier qui a souffert et qui souffre d’une mauvaise réputation. Je ne m’y

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

sens pas en sécurité » ; elle rajoute : « Quand j’étais plus jeune et que je venais à Barcelone avec mon père, il était impossible d’aller dans ce quartier, personne ne le conseillait, j’en ai gardé cette image ». Anna a confirmé ce discours en racontant qu’elle ne se promène pas seule de nuit, elle préfère être accompagnée. Les rues étroites, et peu éclairées participent à la mauvaise illustration du quartier. J’entends les skates. Je marche désormais sur la place, le sol est en pierre lisse claire permettant plusieurs types de déplacement doux : marche, vélo, skate... Une impression de vide se dégage. Après les rues très étroites du Raval, j’ai l’impression de respirer, le soleil passe. Le blanc et le vitrage du MACBA dégagent l’espace. Il semble rayonner sur cette place, comme un élément fondateur de l’espace. Barbara, touriste, me raconte que pour elle ce lieu (l’espace public en lui-même), représente un pôle multiculturel contemporain. En effet, on observe sur la place des représentations, des spectacles de rues, des peintres, des artistes du cirque, des skateurs… Le MACBA serait presque comme absorbé, je ne le regarde même plus. Mais quand je me place face à lui, il n’est plus un espace clos, étranger à son environnement immédiat. Le hall d’accueil du musée, composé de photographies des « gens d’ici », est une invitation à l’échange avec la population résidente. L’ensemble du musée est conçu comme un lieu ouvert sur la ville. La façade de verre gomme la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, les escaliers prolongent les dénivelés aménagés sur la place contribuant à accentuer le sentiment de continuité entre l’espace public et le musée. « Ce qui est à voir » appartient aussi bien au dedans qu’au dehors. Les identités sont brouillées par ce jeu de miroir. Le visiteur et le passant sont à la fois et l’un et l’autre. La transparence abolit l’obstacle, réduit les marquages sociaux et introduit une forme de mixité sociale et spatiale. Les skateurs et les visiteurs suivent des chemins proches mais sans heurts apparents, dans une relative tolérance. Il y a peu d’arrêts, tout le monde est en mouvement, pour la traverser ou pour skater. Le bâtiment du musée d’art contemporain devient une scène où se représentent les skateurs, la rampe donnant accès aux musées devient une rampe de skate park. Je décide de m’asseoir non loin sur un rebord. Peu à peu cet espace se remplit, des gens s’assoient, j’entends de l’anglais, de l’espagnol du catalan et même du français.

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1

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Figure 22: Parcours dans le quartier du Raval, Mars 2016

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Plaça Catalunya 1

Rambla de Canaletes 2

Carrer del Tallers 3

Plaça del Castella 4

Plaça del Castella 4’

Plaça del Angels 5

Carrer del Angels 6

Rambla del Raval 7

Figure 23: Relevé photographique du parcours dans le quartier du Raval, Mars 2016

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Thibaut, qui à comme le passion le skate décrit cette place comme le centre de sa vie barcelonaise. Pour lui elle représente un lieu de vie, il y passe le plus clair de son temps, comme la plupart de ses amis skateurs car « La place du MACBA représente un lieu mondial du skate board, certains font des milliers de kilomètres juste pour venir ici skater». L’attrait est les skateurs et non plus le musée lui-même. Alors que pour Sylvie, au contraire cette place n’est pas un attrait, elle y passe car elle est citée dans les guides, elle s’y arrête « juste pour prendre quelques photos », elle lui parait trop froide. Plus de 30 minutes passent, il est maintenant 18 heures, je suis toujours là assise, je discute, regarde les skateurs, l’endroit est agréable. Une voiture de police passe sur la place, elle s’y arrête. Pas d’altercation apparente, mais une surveillance désormais sur la place. La place se vide, nous n’entendons plus le bruit des skates sur le sol. Les personnes assises à côté de moi partent. Plus personne, seulement les gens qui passent, sans s’y arrêter. La place se vide, je me retrouve face à cet immense édifice blanc. Tibaut m’explique avant de partir que « Ca arrive de temps en temps depuis un an, maintenant il y a plus de contrôle sur cette place ». Je commence à m’ennuyer, rien à voir, rien à faire, je décide de continuer ma route. La nuit commence à tomber, les bars s’illuminent. Tandis que la plaça del Angels commence à « s’assoupir », le quartier s’anime. La rambla del Raval, est comme habitée, un concert se prépare au centre que l’on pourrait même catégoriser comme une place. Il n’est plus seulement un lieu de traversée, de promenade comme pourraient l’être d’autres rambla, il est aussi un espace de rassemblement. Je m’assois à la terrasse d’un bar, nombreux sur la place. Il y a peu de monde sur les terrasses, la plupart des gens sont rassemblés au centre pour le concert.

Figure 24: Appropriation par les skatteurs de la façade du MACBA, plaça del Angels, Novembre 2013

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Figure 25: Passage sur la plaça del Angels, Barcelone, Mai 2015

Figure 26: Des rampes comme rue urbaine à l’intérieur de la façade intérieur du MACBA ouverte sur la plaça del Angels, Barcelone, Mars 2013

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J’en profite pour interroger le barman, Rodrigo, habitant depuis des générations dans le quartier. Je lui demande ses impressions sur le quartier et sur ce « renouveau » qui prend forme dans le Raval, il me répond : « Il est vrai que depuis quelques temps la population change dans le quartier, elle se diversifie, de plus en plus de touristes viennent s’assoir à nos terrasses mais aussi de plus en plus d’évènements ont lieu. Le quartier ne semble plus délaissé comme un quartier « à ne pas fréquenter ». La présence policière joue certainement beaucoup, permettant d’avoir plus de sécurité ici. Il ne faut cacher que le tourisme permet de faire plus de chiffre d’affaires, et pour moi c’est très bénéfique, je voudrais qu’il y en ait encore plus ! ». Je lui ai demandé s’il n’avait pas peur que son quartier perde son identité de par le tourisme grandissant : « Ca fait depuis quelques temps qu’il n’y a plus vraiment d’identité dans le Raval, peut-être à cause du tourisme aujourd’hui mais le problème remonte plus au fait que ces habitants l’ont déserté parce qu’il était malfamé. » Il continue : « Ce qui m’embête c’est que tout ce qui est fait en ce moment : les évènements, la réhabilitation, c’est très bien, mais c’est sûrement trop tard pour ramener les habitants ici, je ne suis pas sûr que cette politique soit mis en place pour nous, résidants du Raval, car la plupart ici n’ont rien à apporter à la ville, la plupart vivent dans la misère et la pauvreté. Mais je pense qu’elle sert à autre chose, peut être au tourisme ? ». Il est vrai que l’on peut se poser des questions sur la réelle motivation des politiques à rénover ce quartier. Même si l’intention n’est pas touristique, ce quartier se repeuple de touristes profitant aux commerçants du quartier mais il sert aussi aux habitants, leur permettant d’avoir un quartier « plus propre, moins dangereux et où il se passe des évènements ». J’observe la présence policière, discrète, il n’y a pas de débord. Après le concert la place se vide, reprenant le cours normal de sa vie, les terrasses se vident, le quartier retrouve son calme. Ce parcours dans le Raval m’a montré qu’il s’ouvre de plus en plus à différents évènements et usages. Sa réhabilitation lui permet de montrer une nouvelle image qui ne gomme pas encore tous les mauvais a priori que l’on peut avoir. Durant cette enquête j’ai pu interroger autant de touristes que d’habitants, montrant l’ouverture de ce quartier aux pratiques piétonnes - dont touristiques- longtemps mises de côté. La création du MACBA a permis une impulsion. Le Raval égale peu à peu son voisin le quartier du Gothic, pour former tous les deux le cœur de la ville. La crainte que l’on observe, c’est que cette ouverture à ces pratiques touristiques entraine de la même façon un contrôle et une normalisation de l’espace pouvant entrainer une perte de certains usages des habitants.

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Figure 27: Côtoiement entre skateurs, piétons, enfants, Plaça del Angels, Mars 2014

Figure 28: Lieu d’appropriation : Brocante et usages diverses, Plaça del Angels, Barcelone, Février 2015

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Après cette analyse sur le quartier du Raval, j’ai parcouru celui de Gràcia. Situé audessus de l’hyper centre barcelonais, le quartier de Gràcia est caractérisé comme un quartier typique et traditionnel. Ancien village autonome jusqu’en 1850, il a été rattaché à l’extension de Barcelone lors de l’aménagement du plan Cerdà. Sa forme urbaine composée de petites ruelles et places contraste avec l’imposant damier régulier de l’Eixample. Elle est similaire dans sa forme urbaine à celle des quartiers médiévaux du quartier del Raval ou du quartier Gotic. Moins touristique que les quartiers de l’hyper centre, il a gardé tout son charme et ses traditions. Il est caractérisé par des ruelles, des places, des marchés couverts vivants et traditionnels. Il dispose d’une richesse sociale et civique grâce aux nombreuses associations qui représentent les divers secteurs du quartier créant ainsi une face associative et communautaire. On parle même de « barrio muy barrio59 » c’est-àdire de « quartier très quartier » qui deviendrait presque un village autonome. Les gens sont extrêmement fiers de leurs racines et ne disent pas qu’ils viennent de Barcelone, mais de Gràcia. Le quartier est très prisé par les artistes, la population généralement « Bohême » et multiculturelle. On y trouve la plus grande concentration de restaurants étrangers de Barcelone. Plaça del Sol est l’endroit le plus connu du quartier, jalonnée de cafés avec terrasses. La nuit c’est l’endroit où les gens se donnent rendez-vous pour boire un verre et s’amuser. La plus grande attraction pour les touristes est le parc Güell, œuvre de Gaudi, situé à l’extrémité Nord de Gracià dans les hauteurs de Barcelone. Les touristes, la plupart du temps, traversent ce quartier seulement pour se rendre à cette œuvre. Il est également bien connu pour son festival qui dure 5 jours en août. Les habitants de chaque rue s’investissent dans la décoration de leur territoire. C’est un concours qui donne lieu à de nombreuses festivités de jour comme de nuit : il y a des stands pour boire et manger, des spectacles, des concerts de toutes sortes. Il en reste du moins connu et moins populaire que ces homologues car il n’a pas réellement de point d’attraction fort, il est plutôt un barrio de vie constitué par ses marchés, magasins, bars et restaurants. Pour avoir ma propre vision, j’ai exploré ce quartier par l’enquête.Pour accéder au quartier de Gracià, je m’arrête à l’arrêt de métro : Diagonal, je suis encore sur l’Eixample de Cerdà, avec ces grande rues et promenades. Diagonal, cette immense avenue, marque la limite entre l’Eixample et le début de Gràcia. La typologie des rues change. Je ne me sens pas forcément étriquée ; au contraire je retrouve une forme de rue « humaine », certainement plus à mon échelle.

59 RICARD, Pie, « Barcelone à l’heure de la systématisation », Paris-projet : aménagement, urbanisme, avenir, juin 1993, no 30-31

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Figure 29: Occupation par les passants de la plaça del DIament, quartier de Gracià, Barcelone, Avril 2015

Figure 30: Utilisation de l’espace public comme lieu artistique, fête de Gracià en août 2014

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Figure 31: Parcours de l’enquête dans le quartier de Gràcia

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Passeig de Gracià 1

Avenue Diagonal 2

Terrain de pétanque rasé 4 Torrent de l’Olla

Carrer Diluvi 5

Plaça Vila de Gràcia 6

Carrer Mariana Pineda 7

Traverssera de Gracià 8

Carrer de Xiquets del Valls 9

Carrer de Torrent de l’Olla 3

Figure 32: Relevé photographique du parcours dans le quartier du Gràcia, Mars 2016

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Il fait beau, le soleil tape sur les façades. Je rencontre Julia, résidente de Gracià, priviligiant la marche pour parcourir son quartier et le métro pour se rendre d’un quartier à un autre. Je marche avec elle d’un pas reposant dans le quartier de Gracià, j’observe que des fleurs composent les balcons, mais aussi comme me le fait remarquer Julia : : « des drapeaux nationalistes animent le paysage des façades de gràcia ». Je remonte la carrer de Torrent de l’Olla, la rue est en pente, je ralentis le pas. Les trottoirs d’à peine un mètre, ne permettent pas à deux usagers de se croiser, je slalome donc entre le trottoir et la rue. Cette situation me confirme ce que m’a confié Julia: « Les rues ne sont pas forcément adaptées aux piétons, il y a très peu de trottoirs et un passage de voiture assez fréquent. » Malgré l’étroitesse de la rue, des chaises sont installées, des personnes âgées y sont assises et discutent ; je passe à côté d’un espace vide bétonné, un trou dans la façade. Julia m’a parlé de cet endroit comme d’« un ancien lieu incontournable de la vie de quartier ». Avant il accueillait un terrain de pétanque : « les anciens du quartier s’y retrouvaient, c’était un lieu de partage, mais l’appât du gain immobilier a été plus fort ». Effectivement ce terrain a été rasé en vue d’installer un immeuble de logements. Pourtant pour elle, « c’est en ça que ce quartier « est différent des autres » par toutes « ces petites choses » qui permettent un univers unique, « ce terrain même si il ne représentait aucun apport économique en faisait partie ». Elle continue : « Je vais souvent à Gracià mais j’arrive toujours à trouver quelque chose de nouveau qui me surprend : une petite rue, une façade, un arbre qui ne représente peut-être rien pour quelqu’un d’autre mais qui pour moi a beaucoup d’intérêt ». Pour ma part dans ce quartier de Gràcia je me laisse toujours émerveiller par la façade bleue de l’ancienne mairie de Gràcia, ainsi que par le clocher logé en haut de la tour au milieu de la plaça Vila de Gràcia ou encore par les orangers en fleurs de la carrer de Betlem. Dans la montée je prends à gauche, la rue devient piétonne, donnant un autre caractère à l’espace. J’aperçois la plaça del sol au loin. Elle est un peu surélevée sur trois marches en pierre grise, donnant un caractère de mise en scène de la place, où le centre serait le cœur de la scène. La place est relativement simple dans son dessin. Elle est bordée de bars. Il est 18h, la place est animée. Des jeunes sont assis par terre, des enfants jouent et écrivent à la craie sur le sol, des chiens sont en liberté, des vendeurs à la sauvette vendent des bières, les terrasses des bars sont remplies. Cette place est comme habitée. Malgré sa simplicité, sans réel aménagement, elle devient un lieu complètement approprié. Julia m’explique que cette place est unique, « Elle n’est pas seulement un lieu de passage, j’adore pouvoir m’asseoir par terre, sans jugement, et boire une bière à 1 euro achetée à un vendeur à la sauvette. ». Joan un résidant me déclare : « je ne passe pas par cette place par hasard, c’est un choix. Quand je la traverse je ne peux que m’arrêter, il y a toujours quelqu’un à qui parler »

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Figure 33: Façades colorées sur plaça del Sol, Quartier de Gracià, Barcelone, Février 2015

Figure 34: Multiples appropriations sur la plaça del Sol, quartier de Gracià, Barcelone, Mars 2016

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Figure 35: Occupation de la plaça del Sol de nuit, vue d’un appartement, Barcelone, Juin 2015

Figure 36: Moment de réunion des jeunes Barcelonais, sur la plaça del sol, Barcelone, Février 2015

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Dans ce quartier j’ai pu interroger seulement des habitants, prouvant le caractère communautaire de celui-ci. Je peux le ressentir d’ailleurs sur la place : tout le monde parle catalan, des jeunes jouent de la guitare mettant à l’honneur la musique catalane, et à nouveau nous retrouvons des drapeaux nationalistes sur les façades. Joan, m’avoue : « Ce quartier représente beaucoup de choses pour moi, il est mon lieu de résidence mais aussi celle de ma famille depuis des générations, je ne veux pas la quitter pour un autre quartier de Barcelone. Tout est différent : la culture, la manière de vivre, les traditions. » Il y a donc ce rapport fort au site où l’espace public est considéré « comme l’extérieur de chez soi ». Il est vrai qu’il fait bon vivre sur cette place, je remarque l’union et le partage entre jeunes, personnes plus âgées, mais aussi avec des personnes sans-abris. Tout le monde se côtoie, il semble qu’il n’y ait pas de barrière sociale ni générationnelle : « Cet homme que tu vois là-bas, il vit depuis toujours dans ce quartier, il dort dehors mais quand on le croise quelqu’un est toujours là pour lui donner une pièce ou une cigarette, ailleurs à Barcelone il n’y a pas cette proximité entre les gens ». Certains m’ont même affirmé qu’ils sont heureux que leur quartier leur appartienne encore, « pas emparé par la frénésie du tourisme ». A partir de là une discussion intéressante se créée entre plusieurs personnes, certains sont commerçants dans le quartier et expliquent l’importance pour eux du tourisme : « Aujourd’hui à Barcelone le tourisme est une source importante d’économie, il faut que dans le quartier nous puissions en profiter. ». Certains sont réticents à cette idée : « Je n’ai pas envie que mon quartier devienne le lieu de beuverie que nous observons de plus en plus dans les autres quartiers touristiques ». Joan s’interpose dans la conversation en disant qu’il faut trouver un compromis : « il n’est pas question que nous changions notre quartier et notre vie pour eux mais il est vrai que ce tourisme apporte beaucoup à notre ville économiquement, il faut que le quartier en bénéficie plus. »Je me rends compte du malaise qui existe sur cette question de tourisme parmi les habitants. Toujours sur la place, j’observe les vendeurs à la sauvette en train de courir. Joan m’explique : « La police tous les samedis fait fuir les vendeurs à la sauvette, et par la même occasion fait fuir aussi les personnes assises aux milieux de la place ; c’est dommage, je comprends qu’il ne faut pas enlever l’économie des bars et donner une mauvaise image de la place avec son occupation, mais peut être que ces jeunes assis buvant des bières, chantant et rigolant font l’attrait et l’économie de la place, sans ça elle serait une place comme les autres ». Si je m’imagine cette place sans cet usage, il est vrai qu’elle ressemblerait à n’importe quel autre lieu. Sa spécificité serait donc enlevée, comme par exemple la plaça del angels sans ses skateurs : ce serait une place vide, grise, que l’on ne ferait que traverser.

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L’enquête nous enseigne que ces espaces publics barcelonais étudiés prennent vie avec le sens que donnent les piétons à l’espace. L’architecture ne suffit pas à elle seule, il y a aussi ce qu’apportent les gens à cet espace. Comme nous l’avons dit précédemment les architectes sont les metteurs en scène de la ville, ils montent le décor tandis que les personnes qui parcourent cet espace public sont les acteurs. Dans les deux places que nous venons de voir il n’y a pas vraiment d’aménagement : ce sont les édifices, les bars autour qui l’organisent. Mais le centre, le cœur de la place, est laissé aux habitants, qui se l’approprient, et pas toujours comme il était attendu. Les concepteurs de la plaça del Angels ne s’attendaient pas que cet espace devienne le spot numéro un du skate mondial ; cet espace était une mise en scène d’un vide pour laisser place à l’édifice du musée d’art contemporain. Les habitants en ont fait leur propre centre d’intérêt. Ce sont des imprévus parfois bénéfiques ou au contraire néfastes à l’espace public. Tout dépend des usagers, car chacun a sa vision et sa manière de traverser l’espace public, et c’est en ça que le sujet reste subjectif. Cette enquête m’a permis de me rendre compte de la complexité de la marche. J’ai pu le constater au travers des différentes personnes interrogées : pour eux la pratique piétonne à Barcelone n’est pas seulement un mode de transport, ni un seul bien de santé publique : elle est un phénomène social qui permet d’aller à la rencontre de l’autre et de l’environnement barcelonais. La lenteur relative qui l’anime, le contact qu’elle permet avec la matière et le public, comme ces codes implicites que chacun partage et reproduit, en font plus qu’un mémoire de nos vies urbaines, de ses règles et de leur évolution : c’est une façon d’entrer en contact avec la ville et les ambiances urbaines. Ces différents piétons rencontrés font la ville barcelonaise donnant à voir cette genèse de l’urbanité. Cette observation de ces espaces publics m’a confirmé que le piéton donne vie et chair aux espaces et aux ambiances qu’il traverse : si nous enlevons les skateurs de la plaça angels ou si nous enlevons les jeunes qui s’assoient au centre de la plaça del sol nous pouvons constater que ces espaces perdent tout leur sens. Ils ne sonnent plus, ne vibrent plus, délayant leur circonstance dans une forme de liquidité ou de neutralité, une normalité où tout est contrôlé60. Cette étude m’a aussi mise en alerte sur l’intérêt des personnes pour des portions d’espaces, certes anodines, souvent oubliées. Comme des petites poches urbaines, un angle de rue, le dépassement incongru d’une toiture, une rampe sans réel intérêt… qui deviennent pour certain des points de repères, d’accroches, de rencontres, de parenthèses… Ou même des sonorités, des textures, des odeurs, des jeux d’ombre et de lumière, souvent évanescents, adviennent subitement au sens, confèrent aux lieux, une identité. 60 BOTTURA, Roberto, Rénover, transformer et utiliser l’espace public : la clé de Barcelone, Barcelone, Links, 2010, p 155

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Des liens éphémères s’inventent entre des espaces comme par exemple le skate parc de Mar Bella et la plaça del Angels, quand les skateurs déambulent entre les deux lieux, alors que les aménageurs avaient pourtant différencié catégoriquement ces deux espaces. Ils se laissent donc saisir et modeler, livrant une essence plutôt qu’une apparence. J’ai appris de par cette expérience qu’audelà des tracés formels, des monuments emblématiques et surtout des décors soigneusement entretenus, Barcelone s’offre à voir, à entendre, à toucher, ravivant parfois la mémoire de certaines situations, déstabilisant les habitudes acquises, engendrant l’angoisse ou l’exaltation, donnant finalement chair « à cet ensemble de petits riens qui fait la saveur du monde 61». Mais peu à peu un contrôle se fait sentir sur ces espaces, on essaye de les « sécuriser », de limiter leur occupation. D’avoir une image lissée de la ville. Dans l’enquête ceci est bien ressorti au travers des entretiens avec des skateurs ou des jeunes de la plaça del Sol. Se tournerait-on vers une politique d’image ? Mais pour qui ? Un bon voir de la ville où certaines situations dérangeraient ? Mais pourquoi ? Les habitants semblent pourtant satisfaits de leur espace public. Après cette investigation le tourisme semble prendre de plus en plus de place dans la pratique piétonne de Barcelone mais aussi dans les discours des habitants. Que ces discours soient positifs ou négatifs le touriste est un usager primordial désormais dans la pratique de l’espace public urbain. Il devient le protagoniste des questionnements sur la ville car il génère une nouvelle manière d’appréhender et de créer l’espace public.

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DELBAERE, Denis, La fabrique de l’EP, ville paysage, et démocratie, Paris, Ellypses, 2010 p 89

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Figure 37 : Touriste photographiant l’espace public, passeig de Lluis Campanys, Barcelone, AoÝt 2014

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

2.2 La pratique touristique par l’espace public

Le tourisme urbain en plein essor

En ce début de millénaire, la recherche par les clientèles touristiques d’une confrontation permanente à la nouveauté, à la différence et parfois à « l’authenticité » a provoqué dans la plupart des villes touristiques une course à la mise en récit des lieux patrimoniaux et de culture en même temps que la recherche systématique d’une plus grande participation du citoyen, de l’habitant à leur animation et leur fonctionnement. Dans cette perspective, l’aménagement a pris la place d’une proposition, d’un guide pour ouvrir les formes urbaines à des usages inusités : l’habitant, parfois le touriste, y sont invités à y produire du sens. L’espace public est l’espace de la représentation, dans lequel la société devient visible. Dans l’évolution de la conception de son aménagement, le tourisme participe au glissement d’un urbanisme fonctionnel à un autre, plus ouvert sur la société. La prise en compte de l’espace touristique sensible, permet une nouvelle notion d’ambiance, de paysage sensible, de formes urbaines qui traduit une transformation lente mais radicale des modes d’interprétation de l’espace et de l’habitat par les populations. Cette représentation des lieux par les séjours accompagne l’actuelle mutation de la pensée urbaine et de la pratique architecturale. La notion d’espace sensible (l’ambiance, l’émotif, l’accessible, le perceptible) y est centrale en tant qu’espace de représentation. Elle engage la ville dans son rapport au monde. Cette idée d’espace sensible est fondamentalement transversale et interdisciplinaire ; elle renoue avec une prise en compte simultanée des données techniques, sociales, esthétiques. Elle peut donc s’insérer dans une problématique transversale plus large qui intègre les apports des disciplines les plus différentes. Cette notion est prête à devenir un pur objet de stratégie politique utilisée dans les formes de l’organisation territoriale qui joue désormais fortement sur cette aptitude des citoyens à ressentir les impressions et à y adapter ses modes de vie. On y explore un champ dont les limites sont floues puisqu’elles oscillent entre pratiques sociales, mises en récit de la ville et approches sensibles du territoire ;

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toutefois son développement peut faire évoluer l’urbanisme et de l’aménagement, voire générer une véritable mutation ses modalités de conception, et de programmation. Effectivement, l’espace public touristique urbain constitue une scène sur laquelle se déroule une œuvre de théâtre, celle de la société locale. Comme dans toute pièce théâtrale, quatre éléments en structurent le déroulement : les comédiens représentés par les passants, le décor qui sert aussi bien l’action que l’image, le conflit qui est au cœur de l’intrigue et permet l’interaction, et enfin les règles définies par le temps, le lieu et l’action. Le touriste, comme tout autre passant, se met donc en représentation même s’il ne joue qu’un rôle de spectateur dans un cadre défini par un metteur en scène. Cet espace, composé de rues, de places, de squares… « permet de mettre en valeur certains éléments scéniques. Il conforte certains partis pris en facilitant certaines actions, en soulignant certains événements, en rehaussant même parfois le discours. Par sa conformation, il va empêcher certaines actions, certains déplacements62 ». L’espace public touristique urbain est donc un espace pratiqué par chacun mais aussi par tous, le rendant très difficile à saisir en tant qu’objet. Sa mise en scène relève d’un exercice difficile, orchestré par les professionnels de la ville que sont les urbanistes, les aménageurs et les architectes. Il doit être pensé et aménagé par des scénarios de lecture de l’espace sensible, composés d’arrêts et d’accélérations permettant une découverte touristique dans une déambulation structurée.

Structuration des représentations mentales : l’espace public, un repère dans la ville pour le tourisme.

Le parcours de l’espace public quand on est touriste est différent de celui que l’on suit quand nous sommes habitant. Les repères barcelonais par les touristes se font par l’espace public. Les voies (la construction de l’image), les limites (les frontières entre deux mondes), les quartiers (identifiables et représentables), les nœuds (points stratégiques d’une ville), les points de repère (des références ponctuelles mais extérieures à la pratique spatiale de l’individu), deviennent des notions utilisées par le touriste pour se repérer dans une ville. Certains éléments sont en mouvement comme les habitants, les activités, les flux et d’autres sont statiques comme les immeubles, les ponts ; les rue mais tous composent une image partielle et fragmentaire issue d’une 62 CHAUMARD Davyd, « L’espace public, scène et mise en scène », dans l’ouvrage de TOUSSAINT, Jean Yves, Projet urbain, Ménager les gens, aménager la ville, Mardaga, 1998 p 38

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

perception individuelle. Ainsi, elle permet la création d’une image mentale, qui est une représentation de l’espace proche de la réalité. Cette lisibilité, au-delà d’un repérage aisé dans l’espace, peut également servir de trame de référence en organisant les activités, les croyances ou les connaissances. Ces repères sont aussi utilisés par l’habitant, mais ils sont plus complexes, plus flous et plus symboliques. Ils deviennent, de par la connaissance et la pratique du lieu au fil du temps, le résultat d’un va-et-vient entre l’individu et son milieu. Comme tous les espaces, les espaces publics s’appréhendent individuellement et subjectivement avec les cinq sens. Ils participent à la création d’images différentes de la ville, et donc à des pratiques différentes. Eléments primordiaux d’une ville, ils en sont les lieux d’interface entre les individus en quête de rencontre ou de contact avec la ville, son ambiance, son identité et ses habitants. Une ville se découvre à travers l’expérience individuelle, liée à son environnement, aux événements qui s’y sont déroulés et aux souvenirs des expériences passées63. Elles sont donc saisissables à l’échelle individuelle mais elles présentent souvent un caractère collectif intéressant les urbanistes qui cherchent à modeler un environnement pour un grand nombre d’individus. On peut étudier ces images de la ville sous trois aspects qui se mêlent: il y a tout d’abord l’identité, grâce à laquelle s’opère la distinction ; puis la structure qui relie l’espace, l’objet et l’observateur ; enfin, la signification pratique ou émotive de l’objet pour le piéton. L’environnement de la ville, qui créé des images mentales, présente, par ses formes, ses couleurs ou ses dispositions, une faculté que Lynch appelle « l’imagibilité 64». Ce concept introduit une dimension d’action dans la visibilité ou la lisibilité des objets : ceux-ci peuvent non seulement être vus, mais sont aussi aptes à se présenter aux sens d›une manière aiguë et intense. Cet environnement se partage en cinq éléments à l’origine de la structuration des images et des représentations mentales dans la structuration des repères dans l’espace par le piéton, dans notre cas plus particulièrement par le touriste : •

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Les voies sont les éléments prédominants de la construction de l’image. Rues, allées piétonnes, ramblas, voies de métro, canaux, voies de chemin de fer permettent aux individus d’observer la ville et de les mettre en relation avec l’environnement. Les voies sont particulières à plusieurs égards : le revêtement du sol, les activités qui s’y déroulent ou les façades qui les bordent génèrent une identité. Elles peuvent être continues, ce qui leur confère un rôle d’axe et LYNCH Kevin, L’image de la cité. Dunod : Paris, 1964 p 41 ibid p11

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de direction. Le croisement de deux ou plusieurs voies transforme l’espace public en lieu de choix de cheminement. La découverte touristique d’une ville se fait en tout premier lieu à travers ces espaces. Les touristes arpentent ces lignes, leur permettant à la fois de se déplacer et de saisir les spécificités de la ville.

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Les limites, éléments linéaires que l’observateur n’emploie pas, sont des frontières entre deux mondes, comme une tranchée de voie ferrée, un rivage, un mur. Elles structurent pour beaucoup d’individus l’organisation de l’espace et font office de barrières mais aussi parfois d’interface. Elles jouent un rôle dans le tourisme urbain du fait de leurs qualités directionnelles car elles suggèrent un sens à la visite, la rythment et délimitent les quartiers attractifs.

Les quartiers sont des espaces identifiables et représentables dans la pensée. Ils présentent des caractéristiques physiques différentes permettant de les reconnaître, comme la densité, l’homogénéité des façades, les matériaux utilisés, la modénature, la décoration, les couleurs, la découpe sur le ciel et les percements. Les frontières des quartiers peuvent être floues ou précises, contribuant ainsi plus ou moins à la fragmentation urbaine. La lisibilité de ces espaces offre aux touristes la possibilité de saisir la vie d’une ville.

Les nœuds sont les points stratégiques d’une ville à partir desquels un individu structure son voyage. Points de jonction, espace multimodal, point de rassemblement, foyer d’un quartier, les nœuds sont liés au quartier par la polarisation. Ils peuvent être introvertis en ne donnant aucun repère directionnel ou extraverti en explicitant clairement les directions. Les places jouent souvent ce rôle pour les touristes qui appréhendent une ville. Par exemple la Plaça Catalunya, à la jonction entre vieille ville et Eixample de Cerdà, propose aux visiteurs ces fonctionnalités : la centralité de la place dans la ville, les éléments remarquables comme la sculpture célébrant l’identité catalane réalisée à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1928, et des éléments de déplacements avec une station importante de métro et un carrefour routier majeur à Barcelone.

Les points de repère, enfin, sont des références ponctuelles mais extérieures à la pratique spatiale de l’individu. Ce sont généralement des objets physiques facilement identifiables et significatifs comme un immeuble, une enseigne, une boutique, une montagne. Le tourisme utilise beaucoup ces points pour structurer une visite, en les mélangeant aux images qu’il a a priori.


Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

Une ville doit donc, au regard des urbanistes, offrir quelques qualités afin de fournir une composition clairement représentable : une particularité liée au contraste des formes, des surfaces, des intensités, des tailles, des utilisations ; une forme simple et géométriquement identifiable ; une continuité pour aider à créer une unité ; des liaisons évidentes structurant la perception ; une différenciation directionnelle d’une extrémité de l’autre ; un champ visuel ouvert alliant transparence, chevauchement, échappée et panorama, élément d’articulation, indication ; un mouvement permettant au piéton de se rendre compte de son propre mouvement et de rendre plus visibles les pentes, les courbes et les interpénétrations ; des noms et des significations mettant en évidence l’identité et l’organisation. Dans un premier temps, l’espace public doit donc se lire, puis dans un second se vivre en fonction des perceptions qu’il génère. Chacun des espaces est donc perçu différemment car l’observateur est différent, mais aussi parce que chaque espace est unique et produit lui-même des images et des pratiques. Il est alors possible pour l’urbaniste d’écrire une partition qui permettra de rythmer et de dérouler la vie de la ville dans l’espace. En cela le touriste peut créer un parcours, un cheminement qui a du sens, marqué dans un mouvement réciproque par les impressions que la ville génère en lui, mais aussi par les empreintes qu’il laisse sur la ville.

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Le parcours de la ville par le touriste

Aujourd’hui un bon nombre de guides touristiques sont achetés par les touristes pour découvrir les villes. Ils offrent une « première impression » avant d’arriver sur les lieux de ce qu’il y a à faire, à voir. Ils sont la transition entre l’endroit où résident les touristes et le lieu où ils partent en voyage. Mais reflètentils vraiment la ville ? Ne sont-ils pas orientés ? Tout d’abord c’est en 1993 qu’est créé turisme de Barcelona (Tourisme de Barcelone), organisme mixte issu de la municipalité en collaboration avec la Chambre de commerce et d’industrie et avec la fondation pour la promotion internationale de Barcelone. Il est un moteur clé du développement du tourisme à Barcelone. Il cherche à imposer l’image d’une ville dynamique à tous points de vue. Le thème dominant qui en ressort est celui d’une « ville moderne et cosmopolite, riche de long siècles d’histoire ». Il s’appuie sur le motif de « l’ouverture » : ouverture sur la Méditerranée, sur l’Europe, sur l’international, autant en termes de création culturelle que d’activité économique, surtout commerciale. D’ailleurs, Barcelone se signale par « le caractère ouvert de ses habitants ». C’est ainsi une ville « pleine de charme » où il fait bon se promener … et faire des achats. En réunissant le public et le privé dans un même organisme, en centralisant et accordant les actions de promotion touristique dans une optique commerciale et en diffusant la démarche de gestion entrepreneuriale à tout ce qui relève du tourisme et des activités qui peuvent lui être associées, Turisme de Barcelona a constitué l’instrument clé de la politique touristique. Surtout, cet organisme a inscrit le tourisme comme un des axes fondamentaux du développement de Barcelone, le définissant dans son plan stratégique comme une priorité dès 1993. C’est ainsi que l’urbanisme s’est vu grandement subordonné à cet objectif, avec les conséquences que cela suppose. Certes, les idées qui inspiraient le modèle barcelonais existent toujours, mais elles ne se concrétisent plus que dans la réalisation ou la rénovation de quelques interventions dont le rôle est devenu très secondaire, sinon marginal ; à la limite, elles apparaissent comme des vestiges d’un modèle dépassé qui envisage la ville de manière unitaire. Or ce qui prime aujourd’hui, ce sont les opérations majeures qui laissent le champ libre aux promoteurs du secteur privé, car Barcelone cherche à rentabiliser les investissements colossaux qui ont été programmés pour les jeux olympiques, y compris dans l’extension de l’espace public. Voulant se hisser au rang de première place internationale, Barcelone s’est attachée aux modes en matière d’image urbaine, se voulant « globale » et jouant sur son image pour affronter la concurrence. Pour y parvenir, elle a dû tisser un partenariat étroit avec le secteur privé qui dicte ses propres règles internationales.

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

L’aménagement urbain récent de Barcelone évoque une mise en scène où un décor est planté pour imposer une certaine vision de la ville. Or, comme toute mise en scène qui cherche à traduire un récit, préexistant ou fabriqué de toute pièce, on peut se demander quel récit est rendu possible au travers de l’image projetée de la ville. L’image que cherche à profiler Turisme de Barcelona constitue aujourd’hui une entrée incontournable pour comprendre le processus de réduction narrative dans lequel la ville est entrée. En effet, les récits qui la sous-tendent, et qui orientent l’appréhension de la ville par les touristes, sont diffusés et démultipliés par tous les relais publics et privés de cet organisme d’élaboration et de coordination des politiques touristiques. Comme nous allons le voir, il prend part jusqu’aux guides touristiques qui n’échappent à cette présentation de la ville. La narration de Barcelone s’articule autour de son histoire tout au long de son existence. Turisme de Barcelona en fait son apologie dont nous pouvons résumer le discours : ville ancienne, et notamment romaine, Barcelone a connu de multiples vicissitudes, dont la domination musulmane et la reconquête carolingienne, avant de devenir la résidence habituelle des rois d’Aragon. C’est alors « une époque dorée», « florissante », pendant laquelle, du XIIIe au XVe siècle, la ville va rayonner politiquement et commercialement dans tout le bassin méditerranéen. Cette splendeur est « parfaitement reflétée dans le Quartier gothique », où le visiteur peut admirer le riche patrimoine architectural et artistique (et en même temps ce qui reste de l’époque romaine). Le récit évoque ensuite une longue période de déclin pendant laquelle la Catalogne et Barcelone ont lutté pour conserver, en vain, leur autonomie politique, culturelle et économique. Ayant presque tout perdu, Barcelone connaît ensuite une « renaissance » au courant du XIXe siècle : renaissance culturelle (par la revalorisation littéraire du catalan) mais aussi économique (grâce à la révolution industrielle). C’est alors, surtout à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, que se déploie l’autre époque de splendeur, celle du « modernisme ». Là encore, le patrimoine architectural et urbanistique en porte la marque éclatante : autour du Passeig de Gràcia, une partie de l’Eixample concentre une richesse patrimoniale telle qu’elle en fait un des espaces urbains les plus « extraordinaires dans le contexte européen et mondial ». Dans le récit, vient ensuite la longue nuit franquiste… Quant à la période actuelle, elle semble vouloir faire écho aux splendeurs passées. Ce qui est intéressant, c’est que là encore l’urbanisme est jugé central, car il s’est effectué, depuis la restauration de la démocratie, « selon un processus méticuleux et progressif ». L’urbanisme a su intégrer et utiliser les Jeux olympiques pour accélérer la restructuration de la ville, pour se donner en exemple (le « modèle barcelonais ») et ainsi « situer Barcelone sur la carte du monde ». Avec l’organisation

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du « Forum des cultures » en 2004, l’urbanisme a permis de transformer radicalement les quartiers nord-est et d’aborder le XXIe siècle avec toute l’énergie culturelle et économique que possède Barcelone. Ainsi rapidement résumé, le récit dont Barcelone est le héros met en valeur deux grands moments (trois avec la période qui s’ouvre aujourd’hui) : l’époque médiévale et le modernisme. Tous les autres aspects de la ville sont subordonnés à cette trame narrative fondamentale, soit raccrochés à elle, soit, de fait, minorés dans leur portée. Cette trame narrative promue par Turisme de Barcelona s’est avérée efficace. Elle structure les multiples brochures produites par les acteurs du tourisme, mais elle s’est imposée à bien des égards dans les présentations faites par les guides touristiques. On en prend bien la mesure quand on consulte un guide qui préexiste à cet organisme. Par exemple si nous observons le Guide Bleu Espagne de 1987, on voit qu’il mentionne la période faste du XIIIe-XVe siècle, mais qu’il l’inscrit dans une plus grande continuité : ce n’est qu’un moment, certes remarquable, d’aptitude de Barcelone à accomplir sa vocation maritime (commerciale et bancaire). Le récit est donc plus lissé que celui de Turisme de Barcelona. Ensuite, le déclin économique et culturel du XVIe-XVIIIe siècle est présenté sous l’angle de l’affirmation du nationalisme catalan, mais pour en souligner la continuité jusqu’à nos jours. De même, la mention du modernisme est présentée comme un « nouvel essor économique » au XIXe siècle. Surtout, la présentation des lieux à visiter n’est pas dépendante de la trame narrative qui serait focalisée sur les grands moments retenus par Turisme de Barcelona. Ainsi le touriste est-il invité à visiter le quartier gothique, les Ramblas, le port, la Barceloneta, Montjuic, le Tibidabo, l’Eixample, ainsi que des sites plus périphériques, décrivant ainsi un panel de lieu barcelonais. Le modernisme, par exemple, n’est évoqué qu’au fil de certaines descriptions, jamais comme une entrée privilégiée ni comme un produit d’appel. On sent plus, dans cet ouvrage, une invitation à visiter Barcelone pour la diversité de ses éléments patrimoniaux et pour l’ambiance qu’elle peut procurer à celui qui s’y promène. En revanche, l’édition 2005 (Espagne-Centre et nord) des Guides Bleus, montre une nette évolution de la présentation en direction des thèmes privilégiés par Turisme de Barcelona. Le début de la trame narrative s’effectue à la gloire d’une ville au dynamisme économique et culturel exceptionnel. Elle commence ainsi : « Audacieuse et exubérante, passionnée et fiévreuse, la capitale catalane laisse le sentiment d’une ville en éternel mouvement, cosmopolite et foncièrement européenne, espagnole malgré elle et méditerranéenne avant tout ». En quelques lignes se télescopent ensuite des termes ou noms clés, tels que « moderniste», Gaudi, Miro, Tàpies, et « les Jeux olympiques de 1992 qui lui ont donné une

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

superbe impulsion ». Pour finir : « Autant de signes de l’engagement durable de cette cité dans la modernité et de la détermination des Barcelonais, capables de tout entreprendre ». On constate bien l’influence qu’a eu Turisme de Barcelona sur l’écriture de ce guide touristique, qui après sa création a modifié sa manière de parler de Barcelone. Cependant, comparé à la version précédente des Guides Bleus mentionnée juste avant, il intègre, dans la même ligne que celle souhaitée par Turisme de Barcelona, des références plus nombreuses à la physionomie de la ville à chaque moment de son histoire. Il ajoute également, dans sa liste des sites à visiter, toute une nouvelle partie sur « La route du modernisme », documentée par un encadré de deux pages sur « La conquête du modernisme » (où toutefois l’accent est mis sur l’urbanisme de Cerdà et sur Gaudi). Or cette « route du modernisme » est bien un des produits phares vanté par Turisme de Barcelona. Analysons à présent le Guide Vert Barcelone et Catalogne (2014), réputé pour son classicisme. Son introduction, bien qu’enthousiaste, aborde les mêmes thématiques : Barcelone est « une des villes les plus attrayantes et les plus cosmopolites de l’Etat espagnol. (…) Rares sont les villes pouvant offrir une symbiose aussi parfaite entre tradition et modernité, art et histoire, ou culture et vie ». Le modernisme conquiert une place de choix dans le Guide : expliqué en détail par la rubrique « comprendre », il est repris longuement à l’exclusion de tout autre dans sa rubrique « découvrir » : le produit « Route du modernisme» est chaudement recommandé : c’est bien la clé, avec quelques autres thèmes secondaires, dont principalement la ville au Moyen-âge, de l’image nouvelle de la Barcelone touristique. Il apparait donc clairement que le modernisme, de plus en plus subordonné à la personnalité de Gaudi, dont les œuvres sont bien mises en exergue (La Pedrera, Parc Güell, Sagrada familia etc.), est devenu l’entrée incontournable dans les divers guides parus dernièrement. Même si le quartier gothique et d’autres lieux parviennent encore à trouver leur place, quoique secondairement, la Barcelone d’avenir, qui cherche à s’afficher par ses nouvelles réalisations des quartiers nordest, peine à être représentée. L’axe Diagonal-Mar est même absent des guides Vert et Bleu ci-dessus mentionnés, et ce quelle que soit leur édition. Malgré leur promotion par Turisme de Barcelona, ils semblent n’avoir pas encore convaincu. Leur réalisation n’est pas encore tout à fait achevée ; mais on sent que ces produits urbanistiques ont du mal à convaincre les auteurs des guides. Seule la Vila Olimpica et ses abords, partie déjà finalisée à l’occasion des J.O, est évoqué comme symbole du dynamisme de Barcelone ; et encore, elle ne doit sa mention qu’à l’ouverture sur les nouvelles plages et les nouveaux bars. Barcelone et ses nouveaux quartiers se découvre un nouveau registre, celui de la

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Figure 38: Parcours privilégié par les guides touristiques : Le parcours du modernisme d’après le Guide du Routard 2014

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

fête, essentiellement nocturne. Comme l’écrit le Guide du Routard : Barcelone, « on n’est forcé d’aimer, mais on peut y aller rien que pour le spectacle » (bars et boîtes de nuit) ou encore « Infatigable Barcelone ! Quand le soleil se couche et que les musées ferment, la nuit barcelonaise s’embrase. Destination fétiche de fêtards venus des autres coins de l’Europe, notamment pour enterrer vies de jeunes filles et de jeunes hommes. Ici, les nuits peuvent être plus longues que les jours… ». Ces notions prouvent que Barcelone s’ouvre au-delà de sa culture à de nouveaux objectifs touristiques. Ainsi il existe une abondante production de guides touristiques qui se contentent de reprendre ce qui a déjà été écrit et ce que Turisme de Barcelona propose. On retiendra toutefois quelques observations supplémentaires tirées de deux autres guides, qui permettent d’élargir l’éventail des points de vue analysés. Ce sont des ouvrages « d’auteur », en ce sens que le texte principal est signé d’une seule personne et qu’ils traduisent ainsi une relative cohérence dans leur vision d’ensemble de la ville. Le premier est le Barcelona de Lonely Planet (année 2014), guide par excellence du tourisme à mentalité « mondialisée ». Barcelone y apparaît effectivement comme une intéressante station de la scène mondiale, qui mérite indubitablement une visite de quelques temps. Le ton est souvent élogieux mais pas inconditionnellement admiratif : si l’auteur la juge comme « une des villes les plus passionnantes à visiter sur la côte occidentale de la Méditerranée », il se réfugie immédiatement après derrière le fait que c’est une ville qui « fait assidûment sa propre promotion comme une métropole européenne, un lien entre la péninsule sud-pyrénéenne et le cœur de l’Europe occidentale, qui a révélé un grand appétit pour la vie, du génie artistique et un style avec lesquels peu d’autres villes peuvent rivaliser ». Remis à « leur juste place », les atouts de Barcelone qui sont mentionnés sont à peu près les mêmes que dans les autres guides, avec les mêmes points d’appel (comme le modernisme). Le même scepticisme préside quant aux débuts urbanistiques de la Barcelone du futur : l’architecture face au port olympique est jugée « sans caractère ». Comme dans certains autres guides, les pages ne manquent pas sur les bars, clubs et restaurants… intérêts et activité que les touristes demandent. Le deuxième ouvrage qui apporte un éclairage intéressant sur l’image recherchée par Turisme de Barcelona est le guide Autrement. Publié d’abord en français en 2003, il a l’originalité d’avoir été écrit par un Catalan : c’est l’autochtone qui met en scène sa métropole pour le touriste étranger, français en l’occurrence. Ouvrage riche de la sensibilité culturelle et de la connaissance approfondie de l’auteur à propos des lieux évoqués, ce guide n’en fait pas moins écho à l’image évoquée ci-dessus. Il est certes nuancé et utilise l’ironie, voire l’autocritique modérée du citoyen : par exemple, le lecteur apprend très vite qu’il s’agit d’une « capitale

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frustrée de ne pas l’être » ou encore que « cette capitale autoproclamée semble commandée par des promoteurs bien mis et des hôteliers aristocratiques que soutiennent des banques radieuses, celles-ci à la tête de légions d’architectes, de designers et de publicitaires plus inventifs, mais aussi plus réalistes les uns que les autres, tant la bourgeoisie barcelonaise ne plaisante pas avec les investissements ». Mais la volonté de situer Barcelone dans la ligue des villes-monde n’a de cesse d’affleurer, comme le montrent les références positives au monde anglo-saxon ; ainsi, un secteur pourtant bien typique se retrouve désigné comme le « Soho » barcelonais. En revanche, la volonté de valoriser la Barcelone du XXIe siècle par les transformations urbanistiques récentes a du mal à trouver les phrases qui peuvent transmettre de l’enthousiasme, et l’auteur ne peut s’empêcher de trahir le doute que ces travaux ont pu générer : « Il en surgit un territoire plus Jacques Tati qu’Antoni Gaudi, lisse, lissé, lyophilisé, transparent à la lumière et largement ouvert sur le ciel comme sur la mer. Le « Neuilly nouveau » est-il arrivé en Catalogne ? Fausse modernité pour classes friquées ou surendettées ? » On touche là aux limites de l’adéquation tentée entre l’image valorisée pour et par le tourisme et les réalisations urbanistiques. Les parcours touristiques prônés par les guides mettent en avant une image narrative de la ville et de son espace public, allant même jusqu’à la simplifier. Cette narration mise en avant tout d’abord par la mairie de Barcelone a incité les guides touristiques à suivre le même fil conducteur. On observe donc des discours qui se résument à la période « gothique » et « moderniste » de Barcelone,permettant l’économie de son architecture, mais aussi un récit louant l’attractivité de Barcelone, dans un but qui semble économique pour attirer un tourisme nouveau, moins attaché à l’histoire de la ville. Dans cette continuité, turisme de Barcelona, propose et conseille, la visite de la ville par Bus touristique qui parcourt la ville en s’arrêtant à différents points stratégiques de ce que l’on veut donner à voir de la ville. Le risque que l’on peut observer, est une désertification par les touristes de la découverte des espaces publics par la marche, élément pourtant fondateur de l’urbanisme barcelonais. Il favorise des trajets en bus d’un point à l’autre, sans que le visiteur puisse même choisir ce qu’il veut visiter ou pas. Ici, on perd totalement l’effet de surprise, d’exploration et d’initiative de la part du touriste pour privilégier une standardisation et une banalisation des lieux visités. ( Cf annexe : parcours proposé en bus touristique, p 127) N’est-ce pas le miroir grossissant des défauts d’une politique qui prône une image dont le support narratif a subi une réduction, une simplification aussi considérable ?

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Partie 2 : En quoi la marche est-elle porteuse de sens dans la ville barcelonaise ?

La pratique piétonne est donc un élément fondamental dans l’usage de l’espace public barcelonais. Que ce soient les touristes ou les habitants, tous le parcourent, certes de manière différente, mais tous l’animent, engendrant des usages dans la ville. L’habitant vit l’espace, il le connait, il l’a façonné et s’est approprié différents espaces au fil du temps. Il créé un imaginaire avec ces espaces qui le lient intimement à la ville. Le touriste lui est le spectateur de cet imaginaire. Il se base sur des éléments plus physiques dans sa découverte de la ville. Ce sont d’ailleurs les guides touristiques qui construisent en partie (et surtout avant d’avoir effectué le voyage) l’image de la ville par le discours qu’ils convoquent, mais aussi par les parcours piétons qu’ils proposent. Selon les espaces que les touristes parcourent, ils auront telle ou telle conception de la ville. Il est ainsi logique que le touriste soit « formaté » selon le discours du guide. C’est en cela que le malaise se créé dans les discours proposés par les guides : la ville est réduite à une image simplifiée se résumant à deux périodes marquantes, et mettant en avant le coté commercial de Barcelone. De plus en plus, les pages sur Barcelone « ville de fête, d’achats, de bars » prennent le pas sur le culturel. Or comme nous avons pu le voir dans l’enquête il y a une inadéquation entre le discours des habitants et le discours des guides touristiques reflétant le comportement des touristes dans la ville. Pourtant même si dans nos entretiens effectués, certains habitants semblent de plus en plus hostiles à ce tourisme grandissant, cette image de la ville prônée dans les guides touristiques est promue par Turisme Barcelona comme une politique de la ville de Barcelone. En effet cette politique n’est pas anodine, car les rénovations et créations de l’espace public sont porteuses d’économie, économie que l’on base principalement sur l’apport touristique. Toutes ces rénovations et créations ont donc une portée, entrainant un changement de paradigme dans la manière de structurer l’espace public : c’est une Barcelone qui se tourne vers la mer et son rayonnement de la fête, oubliant parfois son bagage culturel.

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3.

EN QUOI LE CHANGEMENT DE LA POLITIQUE DE L’ESPACE PUBLIC À UNE CONSÉQUENCE SUR LES USAGES PIÉTONS BARCELONAIS ?



L’espai públic és la ciutat, és el carrer . «L’espace public est la ville, c’est la rue» ,

BOHIGAS, Oriol Conférence à l’école d’architecture de Barcelone, 1975

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Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

Cette partie a pour visée d’exposer ce tourisme à le nouveau paradigme de politique d’image de la ville. Il s’agit d’en montrer les stratégies et les fondements. Par la suite il est question d’en extraire les conséquences visibles dans la ville de Barcelone.

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Figures 39 et 40: Barcelone dans la course à la réussite, Jeux Olympiques de Barcelone en 1992 l’épreuve du plongeon, Barcelone, 1992

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Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

3.1

Le changement de paradigme dans la fabrication de l’espace public piéton à Barcelone

La stratégique dangereuse du tourisme à Barcelone

A la fin de la dictature franquiste, l’urbanisme barcelonais a cherché à s’ériger en modèle des dernières tendances contemporaines aidé en cela par la renaissance de la démocratie espagnole et de l’autonomie catalane, et par une habile politique de promotion. Elle a conquis un réel prestige international, comme le prouvent les références qui lui sont faites et les imitations partielles qui sont nombreuses. Barcelone est redevenue une ville vue comme innovante, conciliant histoire, culture et ambitions internationales, grâce à la mise en cohérence de toutes les micro-interventions urbanistiques sur l’espace public, au soin qui y a été apporté, à leur visée démocratique et artistique, et au recours à un design original. Cette vision de Barcelone riche de son patrimoine historique, à la fois dynamique et fascinante, a certes favorisé l’afflux touristique. Mais il faut garder en tête que ce tourisme restait dominé par des motivations culturelles, économiques et sociales, par le désir de se cultiver et de se mettre au contact d’une société dont le dynamisme fascinait. Evidemment, le tourisme faisait écho aux images qui lui étaient offertes ; mais l’urbanisme, notamment sous la houlette d’Oriol Bohigas, résultait de desseins qui étaient autres que prioritairement touristiques. L’activité touristique était clairement secondaire par rapport à ce qui fondait le projet urbain. Or, c’est exactement ce qui va changer dans les années 1990. D’un tourisme culturel et social, ainsi que d’affaires, on passe brutalement à un tourisme de masse. Cette nouvelle donne correspond à une considérable modification des interactions entre la morphologie urbaine et les images de la ville, affectant profondément, en retour, les interactions entre l’habitant et le touriste. Ces flux ont augmenté de façon considérable depuis une douzaine d’années, changeant radicalement la nature et l’importance de l’activité touristique à Barcelone depuis la célébration des Jeux Olympiques de 199265.

65 Rapport annuel du tourisme à Barcelone , 1993 URL : http://professional.barcelonaturisme.com.pdf

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Figure 41: Evolution du tourisme et des nuitées à Barcelone, Rapport du tourisme de 2014

Figure 42 : Impact économique du tourisme à barcelone, Rapport de 2014

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Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

Il faut en effet savoir que le nombre de places dans les hôtels a presque doublé depuis 1990, passant de 19.000 à 36.000 en 2004 puis à 68.000 en 201466. A cela s’ajoutent les appartements en location que la mairie de Barcelone chiffre à plus de 44.000 mille places67 . On compte aujourd’hui environ 7 millions de touristes par an qui passent au moins une nuit dans la ville de Barcelone, sans compter les quelques centaines de milliers qui la visitent en provenance de localités voisines, notamment des stations balnéaires de la côte méditerranéenne. Barcelone est également devenue la première destination de croisières en Méditerranée. De plus, les deux autres aéroports de Catalogne, Gérone et Reus, fonctionnent dorénavant pour desservir Barcelone : cela représente la moitié de ses flux passagers pour l’une, les deux tiers pour l’autre. Barcelone désire à présent concurrencer Paris comme première destination touristique européenne. Cette politique, initiée à l’occasion des Jeux Olympiques, a modifié considérablement le tourisme dans la ville ; le but était de profiter des bénéfices d’une image favorable pour contrer les inquiétudes liées à la désindustrialisation. Il faut aussi noter le développement économique plus rapide d’autres villes et notamment de Madrid, accompagné d’une relative perte d’audience culturelle pour Barcelone. Les activités éditoriales, le théâtre, l’opéra sont les témoins de ce glissement de centralité du foyer de développement économique et culturel au profit de la capitale espagnole. Ces « coulisses » de l’évolution barcelonaise, dissimulées par l’image favorable que diffusent les spécialistes de la communication, est essentiel pour comprendre comment la stratégie du tourisme de masse s’est si rapidement imposée dans les faits. Même s’il est difficile de chiffrer la part des bénéfices économiques liés à ce type de tourisme, le fait qu’il profite, même marginalement, au plus petit commerce permet en partie de le rendre acceptable aux yeux des habitants.

L’espace public érigé en fondement de la politique d’image

Depuis une douzaine d’années la politique touristique a acquis une efficacité remarquable reposant sur un consensus social largement partagé entre le secteur public et le secteur privé. Cette politique veille à articuler l’image touristique avec l’aménagement urbain, la morphologie de l’espace devant faire écho aux grands thèmes structurants du récit de la ville et inversement68.

66 Rapport annuel du tourisme à Barcelone 2014 URL : http://professional.barcelonaturisme.com/imgfiles/estad/Est2014b.pdf 67 68

Cf annexes : cartes des hôtels et des appartements loués dans la ville, p.122 BORJA J, MUXI Z, El espacio público : ciudad y ciudadanía. Barcelone : Electa, 2003, p. 100

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Ce récit est aujourd’hui, très simplifié, réduisant une histoire complexe à quelques moments ne servant que de points d’appel touristiques sur quelques éléments de la ville. Cette relative hégémonie d’une image particulière et réductrice, si elle permet de promouvoir efficacement certains éléments du paysage urbain pour un tourisme de masse, génère aussi des externalités négatives dont l’intensité conduit à réévaluer la politique qui la sous-tend. Plusieurs observations vont effectivement dans ce sens et se manifestent à propos de l’espace public. La stratégie de promouvoir une image simplifiée de la ville a conduit à privilégier le produit touristique constitué par quelques lieux précis, et sur-fréquentés. Cette spécialisation fonctionnelle par secteurs trouve sa distinction dans l’approche partenariale public-privé des grands projets d’urbanisme. Notamment par leur forte composante privée, les considérables investissements qui y ont été faits reposent sur l’attraction de populations aisées et l’exclusion des plus modestes. De nombreux conflits urbains ont actuellement lieu dans les secteurs dont la population est activement chassée. On l’observe notamment à Poble Nou, dans le nord-est, en raison du plan d’aménagement @22, qui a pour ambition de transformer ce quartier industriel en quartier de l’innovation, nouvel objectif de Barcelone dans la course à la métropole. Un des grands inspirateurs du modèle barcelonais, Manuel de Solà Morales, désigne cette ségrégation comme le plus grand danger pour la ville. De plus, l’apparente frénésie pour donner une image de ville-monde conduit, en dépit de quelques immeubles originaux, à produire des imitations de paysages que l’on trouve ailleurs, offrant aux touristes un paysage similaire. Ainsi le projet urbain évolue dans le cadre de la métropolisation et la globalisation qui favorise le marketing urbain. Il s’éloigne de la dimension sociale, pourtant jusqu’alors pris en compte comme nous avons pu le voir avec les transformations et la création de nouvelles ramblas69 mettant à jour les formes du passé. La ville était comme un fait de culture créant des espaces porteurs de sens. Ce sont des projets qui avaient pour objectif de rééquilibrer la ville. Le pari était jusqu’à présent réussi car ces espaces avaient permis d’un point de vue stratégique à contribuer à la transformation de la ville sociale et physique. Aujourd’hui les modèles sont les mêmes, mais au service d’un paradigme complètement différent pour lequel il est construit. Ce glissement entraine une disparition de la charte idéologique du projet urbain. Les aménagements mis en œuvre ont comme objectif d’être un levier économique important, répondant à des enjeux de croissance en utilisant des modèles qui s’adaptent aux nouvelles pratiques. 69

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Voir partie 1.2 p 24


Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

L’économie des territoires est valorisée, ouvrant des questions sur la démarche du projet urbain qui visait jusqu’à présent à produire de la qualité spatiale dans l’aménagement. Cet objectif est mis à l’épreuve. Si nous revenons au projet @22, nous nous rendons compte que les protagonistes jouent la carte de la globalisation, de la qualité urbaine mais il y a un éloignement des proximités : l’intention est d’attirer des investissements plutôt que mettre en exergue les pratiques locales. Avec ce phénomène de métropolisation, des gouvernances complexent génèrent un éloignement entre des instances en recherche de la conduite politique du produit et celle de la production formelle. Avant un projet correspondait à une ville, il y avait donc un portage politique facile ; avec la métropolisation, les projets d’aménagements sont devenus plus vastes et plus complexes, il n’y a donc plus ce rapport direct entre les instances. Ce n’est pas le projet d’intervention qui est mis en compte mais la connexion de ces projets dans l’imaginaire collectif : il n’y a plus de partage culturel. Les aménagements ne sont plus intégrés dans des faits sociaux. Le désintérêt au substrat social au profit de l’économie touristique et de l’économie des fonds a entrainé une perte cohérence dans la ville. Elle devient donc un espace à valeur politico-économique qui se noie dans son reflet comme dans l’image de la ville sur la scène mondiale. Ce nouveau paradigme entraine des effets sur la ville certes appréciés en majorité par les politiques, mais de plus en plus rejeté par les habitants à cause de l’image que l’on donne de leur ville.

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3.2 Les conséquences du processus de réduction narrative dans l’espace public barcelonais

Un évitement entre habitants et touristes

On constate en effet que les habitants adoptent petit à petit, souvent inconsciemment, des stratégies d’évitement : c’est seulement en faisant réfléchir les personnes enquêtées sur leurs propres pratiques qu’elles s’en rendent compte. Leur but est d’adopter des itinéraires évitant la trop grande densité de touristes ou bien le paysage commercial qu’il génère. Prenons deux exemples pour illustrer ce phénomène : tout d’abord, les fameuses ramblas de canaletes du centre-ville, l’un des espaces publics les plus représentatifs de Barcelone. Le flot des touristes y est tel que l’habitant a perdu l’habitude de s’y promener, sauf les samedis et dimanches où il reprend un peu possession de cet espace ; le reste de la semaine, le résidant va emprunter d’autres voies plus ou moins parallèles. Considérons ensuite la rue Ferran, connue depuis longtemps comme axe commercial de qualité : la multiplication des commerces et services visant le tourisme de masse tels que le « fast food », magasins de vêtements, souvenirs et autres articles bas de gamme ont fait tellement chuter l’esthétique de la rue que l’habitant se surprend à ne plus s’y promener, préférant emprunter plutôt les ruelles qui la longent. Le fait que l’on commence à dénoncer la laideur et le ridicule des objets vendus en souvenir aux touristes indique le début d’une certaine prise de conscience de l’image bas de gamme qui est ainsi donnée de la ville. La presse se fait écho de ce que les ramblas deviennent « le pire magasin du monde »70, n’offrant que des souvenirs bon marché et de mauvais goût (du « mannequinpisse » en habit catalan au « sombrero mexicain ») dans des magasins tenus par des asiatiques, alors que l’article de souvenir constitue un élément fondamental de l’image de la ville. Dans ce contexte où, bien souvent, l’employé d’un musée, d’un restaurant ou d’un café s’adresse directement au touriste en anglais de préférence au catalan ou même à l’espagnol, l’interaction culturelle entre la culture locale et celle du visiteur semble le dernier des soucis. L’invitation au dialogue n’est pas au rendezvous. La ségrégation est clairement signifiée, nourrie par les enjeux actuels et par ce tourisme de masse lui-même attiré par ce discours réducteur. Il est 70

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El Periódico, 25/02/2005


Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

Figure 43 : Passage dans la rambla de Canaletes, espace public saturé, Barcelone, 2015

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d’ailleurs intéressant de voir combien celle-ci rebondit encore à propos de l’enjeu urbanistique. Elle concerne d’abord les touristes qui se retrouvent complètement à part. La question communément entendue parmi eux est « où sont les habitants ? ». Il existe certes les stratégies d’évitement utilisées par ces habitants, mais tout semble fait pour maximiser des flux touristiques dans ce grand parc à thème qui n’a bien sûr que faire de s’embarrasser de gérer des relations avec la population résidente. Pour cela, l’espace doit être le plus « transparent » possible pour l’usager touriste, présenter le moins d’épaisseur possible. C’est particulièrement visible dans la signalétique nouvelle qui envahit l’espace public, où l’anglais semble être le moyen d’atteindre le plus grand nombre. Ainsi, de plus en plus d’annonces ou de menus sont affichés exclusivement en anglais. Surtout, c’est devenu une politique volontariste dans les organismes publics ou parapublics. Le Centre de Culture Contemporaine de Barcelone, par exemple, publie ses catalogues en catalan et … en anglais seulement. Les affiches multilingues disparaissent progressivement. Les frémissements d’une prise de conscience de la trop grande densité touristique commencent aussi à se manifester : ils partent de la constatation de la gêne qu’elle procure aux habitants en termes de bruit, de coûts de nettoyage et d’embouteillages. Les habitants se disent « même ulcérés par les excès des jeunes touristes 71». Ces conflits demeurent pour la plupart encore latents, voire larvés. Barceloneta est le quartier qui montre le plus de réticence à ce tourisme. Quartier situé au bord de la plage, il est visé par ces clientèles touristiques : casse, bruit, dégradation… Les habitants se disent persécutés. Les manifestations prennent de plus en plus d’ampleur, les touristes sont mêmes chassés de ce quartier. De nombreux articles dans les journaux relayent les manifestations des habitants contre le tourisme festif : « C’est notre quotidien, La nuit ça se remplit de fêtes illégales, de beuveries, de gens qui crient dans la rue. C’est lamentable et insupportable. (...) La Mairie fait de Barcelone une marchandise ! Le tourisme n’apporte aucune richesse. Quelques-uns seulement en profitent ! En fait on se fait virer par les touristes ! Ma famille est là depuis 5 générations, mais ils ont tellement augmenté le loyer que je ne pourrai plus vivre ici! 72». Les nuisances sont d’autant plus présentes que ce quartier à l’identité très marquée est densément peuplé. Ancien quartier de pêcheurs, la Barceloneta a profité de la transformation spectaculaire de la ville en vue des Jeux Olympique de 1992. Aménagée, nettoyée, sa plage de plus de 5 kilomètres à quelques minutes du centre ville est devenue l’un des lieux le plus touristiques de Barcelone.

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Le figaro 28/08/2014 URL : http://www.lefigaro.fr/international/2014/08/25/01003-

20140825ARTFIG00182-barcelone-les-habitants-ulceres-par-les-exces-des-jeunes-touristes.php 72

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Manel Serrano, 59 ans témoignage de l’express le 05/09/2014


Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

Figure 44 : Les habitants manifestants contr le tourisme de masses, Barcelone, 2014

Figure 45 : Sondage auprès des habitants barcelonais sur le tourisme, 2014

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Figure 46 : Manque d’usage dans un espace public récent, , Plaça Joan Antoni Cordech, @22, Barcelone,2015

Figure 47 : Espace vide d’usage à midi, Parc de Carles, Quartier de Vila Olympica, Barcelone, Juin 2015

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Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

Chaque jour, les services de nettoyage ramassent 2 tonnes et demi de déchets éparpillés sur le sable : des canettes et des bouteilles vides pour l’essentiel, coûtant plus de 1,4 million d’euros par an. Mais ce problème ne se limite pas à la Barceloneta. Dans le centre historique de la ville et les environs de la Sagrada Familia et parc Guell, deux des œuvres les plus célèbres de l’architecte Antoni Gaudi, les habitants se plaignent depuis longtemps du trop-plein de touristes. Dans un sondage municipal organisé en juillet, le tourisme est arrivé à la quatrième place dans les inquiétudes des Barcelonais juste derrière le chômage, l’économie et l’insécurité. Selon la mairie, Barcelone compte 1,6 millions d’habitants, 7 millions de visiteurs passant minimum une nuitée, mais selon la mairie si l’on inclut les autres logements et les visiteurs d’un jour, ce nombre bondit jusqu’à 27 millions de touristes par an. Le président des associations de voisinage de Barcelone, Lluis Rabell a déclaré que « ce modèle touristique basé sur une croissance sans bornes ne peut pas durer car il perturbe gravement la vie des habitants, il transforme la ville en un parc d’attraction ». Pourtant malgré la colère des habitants, le tourisme est une source de dynamisme et de richesse lui rapportant entre 10 à 12% de son PIB73. Saida Palou, docteur en anthropologie, explique que si ce dynamisme entraine « un tel malaise social, c’est que quelque chose ne va pas74 ». Ceci serait-il le fait d’une mauvais politique d’image faisant basculer cette ville de culture à une ville de fête ?

D’une ville de culture à une ville de fête ?

Barcelone est une ville culturelle. Elle regroupe de nombreux édifices classés patrimoine mondial de l’UNESCO75, un espace public reconnu comme un modèle urbanistique, ainsi qu’une culture espagnole et catalane riche en traditions. Mais nous observons, comme expliqué précédemment, de par les changements des intérêts touristiques et la politique mise en place encourageant ce tourisme, une « disneylandisation 76» de ses quartiers. Cette catégorisation commence à rendre compte d’une tournure plus explicite à propos de l’image de Barcelone et de la conception de l’urbanisme qu’elle induit. Et même s’ils sont encore le fait d’une 73 74 75

Saida Palou, docteur en anthropologie PALOU Saida, Barcelona destinacio turistica, barcelona, broché, 2012 P 35 10 édifices sont classés actuellement à l’UNESCO

76 LOPEZ, Aurora, «Un quartier dopé à la digital’innovation - 22@Barcelona», Architecture intérieure, sept/oct/nov 2010

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minorité intellectuelle, l’écho remarquable des questions urbanistiques au sein de la population barcelonaise risque de donner de l’ampleur aux enjeux ainsi soulevés. En effet, on entend de plus en plus dénoncer une politique qui fait de certaines parties de Barcelone un parc d’attraction ou parc à thème (« un parque temático »). Et des voix se font entendre pour s’interroger sur l’intérêt de mobiliser tant de professionnels de la culture et du patrimoine pour endiguer des flots de touristes peu intéressés par l’acquisition d’un nouveau bagage culturel ou artistique ou par son approfondissement. On sait combien ce phénomène de concentration a consisté à sacrifier des quartiers d’autres villes dans le monde, comme par exemple Venise, caractérisée comme le « parc d’attraction du tourisme » d’Europe, privilégiant le tourisme à travers la construction actuelle de complexes hôteliers, d’immenses parkings, submergée de bars restaurants et magasins… mais conduisant ses habitants à déserter les rues. Est-il bien nécessaire que Barcelone suive la même voie ? Son offre patrimoniale se trouve précisément là où battait le cœur de la ville, là où l’ambiance seule suffisait à faire son charme. Or cette ambiance reposait sur l’usage de l’espace par ses habitants, (qui maintenant le désertent) ainsi que sur une appropriation de plus en plus réprimandée et contrôlée. Aujourd’hui sont privilégiés les espaces à facteur touristique centrés sur la culture de la fête. C’est ainsi que les quartiers du front de mer comme : la Barceloneta, Poble nou, ou Vila Olympica sont privilégiés dans leur réhabilitation et leur intérêt économique. Dans le but de les faire devenir, s’ils ne le sont pas déjà, les nouveaux cœurs de Barcelone rythmés par les restaurants, les bars, les boites de nuits, les plages et toute autre activité capable de captiver ces touristes désireux de cette culture de la « fiesta ». Si nous prenons le quartier de Vila Olympica érigé durant les jeux olympiques comme quartier d’habitation des athlètes, on constate qu’il est aujourd’hui converti en un quartier résidentiel. Nous ne pouvons pas parler de réel espace public. Ils sont seulement des lieux de passage pour se rendre à la mer ou dans les magasins, mais ils ne permettent pas des temps de pause, car il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas le ressenti de la ville barcelonaise, il ne dégage pas la culture ni l’âme de cette ville. Ce quartier pourrait se trouver dans n’importe quelle autre métropole. Ce phénomène se reproduit avec le projet à échelle métropolitaine de @22 ou celui du forum. Ce sont des espaces vides de sens, d’appropriation. Ces projets manquent de prendre en compte la notion sociale pour privilégier l’économie. Barcelone perd donc dans ces projets toute la culture autour de l’espace public qu’elle érige depuis 150 ans. Quelle que soit la beauté de la scène aménagée, l’étude du cas barcelonais montre que celle-ci peut demeurer parfois vide, vide de significations et d’expérience humaine. Alors, sa mise en intrigue transforme le cœur de la ville en parc à thème : la muséification, la réification de l’espace public y tuent peu à peu l’ambiance qui avait suffi à faire son charme et qui repose la plupart du temps

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Partie 3: En quoi le changement de la politique de l’espace public à une conséquence sur les usages piétons dans l’espace public barcelonais ?

sur l’usage de l’espace par les habitants. L’analyse du fonctionnement des espaces publics montre que le danger conflictuel lié au tourisme urbain est pour l’instant limité à ce risque de vacuité et de banalisation. Celle-ci apparaît lorsque, dans les récits exprimés, les opérations d’urbanisme sont pauvres de sens, simplifiés à l’extrême et fondés sur la banalité et l’imitation. Les aménagements des espaces publics urbains participent réellement d’un argumentaire associé à l’image de la ville, donc hautement touristique, destiné à capter de nouveaux flux de visiteurs ou, plus simplement, à renouveler l’idée qu’on s’en fait ailleurs, à accroître son rayonnement. Les traitements de la forme de l’espace public urbain, les travaux sur leur composition, leur mise en lumière, leur ambiance sonore transforment ces espaces de rencontre et induisent des conflits, parfois réels mais la plupart du temps latents, entre tourisme et pratique quotidienne des habitants. L’espace public est aménagé pour satisfaire une certaine image touristique, et non pour le citoyen. Est-ce source de conflits à venir ? Très probablement, et certains y voient même une opportunité pour motiver une revendication de citoyenneté, comme l’exprime Jordi Borja : « A Barcelone la dynamique qui peut nous conduire à devenir un parc à thème mondialisé est forte, quoique les résistances des citadins soient aussi capables de renouveler l’urbanisme citoyen 77 ». La crise du modèle urbanistique barcelonais considérée à l’aune de la politique touristique peut conduire à reconsidérer la façon dont on formule des récits à la croisée de l’urbanisme et de l’image.

Cette dernière partie nous confirme le changement de paradigme dans l’aménagement de l’espace public barcelonais. Il répond désormais à des fins économiques et commerciales. L’espace public est affiché comme une politique d’image censée faire rapporter de l’argent à la ville, transformant un tourisme urbain plutôt culturel à un tourisme de masse. L’objectif est d’attirer le plus de touristes, donc de faire des espaces qui plaisent aux plus grands nombres mais surtout qui peuvent être économiquement bénéfiques pour la ville. Mais dans cette promotion de la ville, Barcelone oublie ses habitants. Et ses prises de décisions politiques ne sont pas sans conséquences dans le processus de création de la ville mais aussi dans ces usages. Barcelone perd de plus en plus son identité de par la création de ces nouveaux quartiers à échelle métropolitaine, qui sont « mondialisées spatialement ». C’est en cela que le malaise se fait de plus en plus ressentir, car les habitants sont victimes d’un tourisme qu’ils ne souhaitent pas forcément. Le tourisme à Barcelone est un des premiers de ces apports économiques profitant aussi aux habitants. Il est donc très difficile de s’en passer.

77

BORJA J, MUXI Z, El espacio público : ciudad y ciudadanía. Barcelone : Electa, 2003, p. 90

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CONCLUSION 104


Conclusion : La course à la métropole

« L’urbaniste, quand il veut modifier les murs et les esprits, ne connait pas de relâche à son action. La ville souffre de tant de maux : il y a de lieu de s’occuper de chaque quartier mais aussi de l’image globale de la cité, que le moderne ne soit pas une pâle copie du passé mais qu’il n’en choque point ! Il en faut pour les enfants et pour les personnes âgées, pour les indigènes et les touristes. L’urbaniste met en place des projets puis s’en détourne. La faute en revient à un pouvoir politique versatile, ou bien lui-même a-t-il vu trop grand ou trop modeste… Mais peut-être aurait-il évité bien des mécomptes s’il avait pris le temps de s’ouvrir tintement aux exigences des lieux dont il a la charge, s’il avait accepté d’être humblement un flâneur éclairé de sa ville . » Pierre Sansot, Poétique de la ville, Broché, Paris, 1979 p 45 Si la ville naît de l’imagination des aménageurs et de leur capacité à entrelacer pleins et vides, à modeler des formes nouvelles, à faire coexister ensemble matériaux et végétaux, elle vit et vibre d’abord à travers les pratiques urbaines qu’elle accueille et les ambiances que celles-ci produisent. Car outre ses objectifs construits et aménagés, la marche à pied révèle les qualités sensibles de l’environnement. Comme nous avons pu l’observer tout au long de ce mémoire, les qualités d’ambiance rendent donc le lieu attractif. Ici, une nouvelle place disposant d’un aménagement remarquable sera simplement traversée, sa froideur altérant le confort du piéton, augmentant son sentiment d’étrangeté ou de solitude. Ailleurs et paradoxalement, une place, comme vu précédemment, sans réel aménagement, peu entretenue et constituée de nombreux obstacles, accueillera pourtant nombre de promeneurs. Dans chacune de ces configurations spatiales, la présence ou la rareté de la foule, la massivité des corps ou l’éparpillement, la brièveté des croisements comme la permanence des piétinements, accentuent le caractère de telle place publique, atténuent la qualité d’adhérence d’un sol urbain, compensent la relative fermeture de telle ruelle et déplacent finalement le regard familier que l’on porte ordinairement sur le lieu. Autrement dit, qu’ils soient pressés, perdus, allongés, chancelants, assurés, les multiples pas qui, jour après jour, parcourent la ville, expriment l’ambiance en même temps qu’ils la composent, la neutralisent, l’accentuent, l’incorporent. Or, cette co-construction permanente naît des formes diverses et implicites qui sont rarement explorées. Nous observons de plus en plus que, seule la dimension pratique et physique de la marche en ville est, la plupart du temps, prise en compte et traitée par le monde de la planification et de l’aménagement urbain. Un tel point de vue conduit alors communément à renforcer la connectivité des espaces à chercher des solutions pour diminuer la vulnérabilité des piétons aux obstacles physiques et aux dangers potentiels, à améliorer leur information,

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à accroitre, la qualité et l’attractivité des espaces publics urbains… Car si ces nouvelles opérations d’embellissement et de requalification de la vie piétonne participent bien à une amélioration des conditions pratiques de la marche en ville et par-là même de « l’image de marque » de la cité, elles fabriquent aussi et parfois un monde aseptisé, sans accident certes, sans conflits, mais aussi sans surprises, sans émerveillement, sans enchantement possible. Or, dans ce mémoire, j’ai tenté de montrer que la marche demeure à chaque époque une pratique à part entière, un art polymorphe, dont les corps nourrissent les chocs et les distractions de la ville. Risquer de l’oublier, c’est probablement passer à côté de cette poésie urbaine, si bien décrite par Pierre Sansot, sans laquelle le piéton ne trouverait plus ce plaisir de déambuler. Mais cette recherche urbanistique va de pair avec la temporalité. En effet l’évolution des enjeux, des époques et des sociétés, prend une place considérable dans le processus de conception de l’espace public. L’aménagement urbanistique prend part dans une temporalité pour répondre à des demandes et à des besoins problématiques à ce moment donné. Ainsi les changements de paradigme urbanistiques et architecturaux correspondent à un temps, à une société, à une modification d’un processus. Ces transformations répondent à des intérêts pratiques et productifs qui ont pour objectif de faire évoluer la ville. A Barcelone, Cerdà est intervenu dans une société en plein changement. En 1860, la ville se transforme par l’industrie, le triomphe de la machine, et la préoccupation hygiéniste. Le paradigme change, des nouveaux modèles urbanistiques sont attendus pour répondre à une société en pleine transformation dans ses idéaux. Jusqu’à ce jour, à Barcelone, ces modèles n’ont pas réellement changé, ils se sont adaptés à l’évolution de la société, tout en gardant la référence aux modèles passés. C’est dans cette intention que l’aménagement des espaces propices à la promenade, partie intégrante de la culture barcelonaise, a déterminé, en partie, le processus d’organisation de la ville de Barcelone. La culture de la rambla, existant depuis le XIXème siècle, a confirmé à la fois la dimension symbolique et physique de l’espace public, étant donné que la promenade s’inscrit dans une forme urbaine particulière, moteur de sociabilités qui se tissent dans le mouvement. A Barcelone, les différentes dimensions de l’espace public accordent aux piétons de dépasser le simple statut d’usager pour atteindre celui d’acteur. C’est par la démocratisation des espaces publics barcelonais, à travers leur appropriation, que le piéton est devenu acteur de ses mouvements, de ses rencontres, renforçant sa richesse d’expérience. Ces promenades sont inscrites dans une culture locale en tant que support de la vie publique, présentant Barcelone comme un modèle de processus d’aménagement d’espace public. Ces nouveaux aménagements par ces promenades typiques barcelonaises, que nous avons vues précédemment,

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Conclusion : La course à la métropole

avaient pour objectif de rééquilibrer la ville. Pari réussi, car ils ont permis d’un point de vue stratégique à contribuer à la transformation de la ville sociale et physique, en s’inspirant des formes du passé. Ces aménagements, par leurs inspirations, créent une qualité spatiale et répondent aux besoins du citoyen. Aujourd’hui, avec la mondialisation, les demandes des villes sont modifiées. Le phénomène de métropolisation entraine donc un changement de modèle dans le rapport à la ville. Elles cherchent désormais une reconnaissance mondiale passant par une quête de l’excellence (Cf annexes, Figure 52 : Graphique des métropoles mondiales en compétition, p221) . Une compétition entre les villes mondiales est inévitable, mettant en exergue les qualités attractives d’une métropole. Cette nouvelle donne fait entrer le levier économique et financier, et c’est à partir de là que le processus d’aménagement de la ville se complique. Ce glissement entraine une disparition de la charte idéologique du projet urbain. Le procédé d’organisation de l’espace public va donc évoluer dans le cadre de la métropolisation et la globalisation qui favorise le marketing urbain. Désormais l’économie des territoires, où l’idéologie du projet à produire de la qualité spatiale est mise à l’épreuve. Avec ce phénomène de métropolisation, des gouvernances complexes génèrent un éloignement entre des instances, en recherche d’une conduite politique du produit et d’une production formelle. Avant, un projet correspondait à une ville, il y avait donc un portage politique facile, mais aujourd’hui avec la métropolisation, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas ce rapport direct. A Barcelone l’échelle des territoires d’application est plus vaste, pour s’inscrire dans le phénomène de la métropolisation et de la globalisation (comme vu précédemment avec le Forum ou @22). Les pratiques locales ne sont plus mis en avant, au profil désormais des investissements qui permettent des apports économiques. Les proximités entre politique d’aménagement et usages locaux prennent de l’empleur. En cela le paradigme de la société change, emmenant donc une modification du processus d’aménagement dans les pratiques de l’espace public. Mais il ne faut pas oublier ce que nous avons avancé avant : la ville est un fait de culture, où la création d’espace porteur de sens est primordiale pour l’utilisation de la ville. Les projets qui sont devenus plus vastes sont devenus de ce fait plus complexes dans leur mise en place et dans leur résonnance dans l’esprit des personnes. Comme dit précedemment ce n’est donc pas le projet d’intervention qui est remis en question mais la connexion de ces projets dans l’imaginaire collectif. Dans ces nouveaux projets on perd ce partage culturel, alors que l’espace public barcelonais a toujours été mis en valeur par rapport à sa culture et à ses coutumes. Effectivement, on crée un modèle d’un modèle, dont le sens premier symbolique est supprimé. Ici, ce qui est dénoncé, c’est ce désintérêt du substrat social pour privilégier l’économie touristique et l’économie des fonds. L’important est de trouver des mots d’association pour les intégrer dans les faits sociaux.

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En cela l’habitant perd ses repères dans une ville qui désormais ne le place plus au centre de la réflexion. Les schémas d’espaces jusqu’alors simples, se transforment en espaces complexes où l’habitant ne peut plus et ne sait plus comment laisser son empreinte. Pourtant Barcelone ne peut pas faire marche arrière dans cette course à la métropole. C’est en cela que tout le paradoxe prend corps. La situation est très complexe car chaque partie qui génère la ville est dépendante d’une autre. L’habitant malgré ce rejet de l’envahissement touristique a besoin de ce tourisme qui fait vivre les commerces, les restaurants, la ville ; les politiques se doivent de répondre à ce tourisme de plus en plus important malgré la colère des habitants car il représente les premières sources économiques de la métropole. Barcelone a besoin d ‘un compromis pour répondre au plus près des demandes de chaque partie. Elle ne doit surtout pas oublier que cette ville a pris une cohérence urbaine par la pratique, l’usage et l’appropriation de ses habitants dans l’espace public. Grâce à eux a été créé une ambiance et une vie particulière qui en font sa renommée et son appel touristique. Si ces pratiques n’existent plus, le modèle urbanistique de Barcelone se perdra. Pour cela le tourisme doit être pris en compte dans l’aménagement urbain porteur de sens à la ville dans un processus d’appropriation ou de réappropriation de la ville : il faut donc que l’urbanisme en tienne le plus grand compte dans ses projets. Avec l’enjeu de l’image, le tourisme pose la question de l’urbanité comme celle de l’apprentissage du côtoiement avec l’autre. Au fond, la place du tourisme est un moyen, voire un levier, pour renouveler un aménagement de l’espace public pour tous. Cet aspect du tourisme ne peut toutefois se déployer que s’il ne repose pas sur une image simplifiée de la ville ou sur des récits monothématiques. Pour ce faire, il convient de chercher à promouvoir et commercialiser une mise en scène des espaces publics touristiques urbains qui, ne réduisent pas trop les usages à quelques pratiques, mais qui génèrent un discours multiple, varié, riche de sens. Car à force de répéter des messages simplifiés voire simplistes et des stéréotypes, la narration de la ville finit par contrarier le caractère spontané de la découverte et à en gommer les richesses et les diversités. La standardisation des discours sur la ville efface les singularités du lieu. Danger qui menace peutêtre Barcelone, devenue ville mondiale avec des enseignes banalisées, soumise au marketing international, porteuse de discours réducteurs qui induisent des images bas de gamme, et qui risque donc de perdre de son attrait. On a vu combien la rambla, constitutive de l’image de Barcelone tant pour les habitants que pour les visiteurs, repose sur une forme urbaine spécifique. Ce qui pourrait arriver de pire, si on n’y prend pas garde, serait une imitation de toutes les villes de la capitale catalane : ce serait créer une grande banalité, gommer l’identité et l’originalité. L’effort de différenciation des villes favorisera également

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Conclusion : La course à la métropole

la communication, l’échange et la transmission des cultures entre touristes et habitants. Cette gêne des habitants envers les touristes se retourne contre la ville et, ce faisant, la cité faillit à ses objectifs de citoyenneté. S’ils préservent la liberté de construction narrative des habitants, se déplacer devient une invitation à la découverte et à l’inattendu. Ainsi le touriste et l’habitant trouvent une ville surprenante par l’espace public qu’elle propose. Plus que l’image issue de mises en scènes banalisées, la contingence des situations et des découvertes donne l’occasion de faire intervenir l’imaginaire au cœur de l’ordinaire, permet de s’affranchir du quotidien. Le touriste devient dans cette optique non seulement bénéficiaire du tourisme des espaces publics urbains mais il fait aussi partie de l’ambiance. Ce scénario est celui de la ville qui échappe à la muséification, qui fonctionne bien et contribue à gommer ce qui peut faire conflit entre habitants et touristes, ce qui renforce les satisfactions individuelles. Pour tendre vers cette meilleure intégration de la préoccupation touristique au sein même de la démarche urbanistique, il faut aujourd’hui éviter de réduire la production touristique à des attraits ou des images caricaturales, à des discours simplifiés, et sans doute pour cela, mieux définir le rôle et les missions des acteurs dans la genèse des récits et des problèmes actuels. Aujourd’hui affichée partout, cette volonté de lier étroitement politique d’image et urbanisme, nie le récit réel et complexe de la ville et l’existence même des citoyens. Des pans entiers de villes et de leurs cultures sont laissés de côté par les politiques, renforçant ces processus de pauvreté urbanistique dont on a décrit les conséquences conflictuelles à terme. Les citoyens souhaitent dorénavant contrôler le développement de leur ville par le biais de politiques publiques participatives. Ainsi, mettre au centre la participation citoyenne habitante ne serait-elle pas une alternative dans le bon fonctionnement du processus d’aménagement de l’espace public barcelonais, par les nouveaux objectifs touristiques que les politiques se fixent ? Ce mouvement touche au premier chef les politiques d’urbanismes et de loisirs : c’est à dire la pratique des espaces publics touristiques urbains, revendiqués par les sociétés et également par de plus en plus de touristes, doivent s’insèrer dans l’approfondissement des recherches et usages sociaux par les institutions. Partout en Europe, l’histoire récente des politiques publiques d’aménagement montre que le tourisme doit être soumis à un projet local et maîtrisé dans le temps. La prise en compte des processus participatifs dans les opérations d’aménagement et de développement urbain est un enjeu qu’on ne saurait sousestimer pour le bon fonctionnement futur de la ville.

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ANNEXES 110


Annexes

SARRIA

EL CORTS

GRÀCIA HORTA GUINARDO

EIXAMPLE

POBLE SEC

RAVAL EL EL BORN GOTIC

MONT JUIC

POBLENOU

BARCELONETA

FORUM

VILA OLIMPICA

Figure 48 : Les différents quartiers de Barcelone

4

3 1

2 6

10 5

9 7

8

Figures 49 et 50 : Relevé des Ramblas étudiées

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112

1 - Rambla de Catalunya, 2014,

2- Passeig de GrĂ cia

3- Rambla de Giupuscoa

4- Rambla del Brasil

5- Avenue diagonal del mar

6- Rambla prim

7- Rambla del mar

8- Rambla maritim

9- Moll de la fusta

10- Rambla de Canaletes


Annexes

Tableau de compréhension de l’enquête Mise en Mise en Mise en Mise à mouvement mots de perspective l’épreuve de l’enquête l’expérience des données du terrain 1ère personne

Explorer

Descriptions

Accompagner Entretiens 2 ème personne

Degré de lisibilité et d’hospitalité de l’espace Analyse croisée des entretiens

Degré de qualité de l’espace traversé

Figure 51 : Tableau de l’étude de l’enquête à la 1ère et 2ème personne

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L’enquête concerne des entretiens réalisés à Barcelone dans les quartiers du Raval et le quartier de Gracià. Il y a 9 personnes qui ont été interrogés. Questions de l’enquête Barcelone –ville 1) Quel mode de déplacement avez-vous l’habitude d’utiliser pour parcourir la ville de Barcelone ? 2) Que pouvez-vous dire de l’espace public barcelonais ? Répond-t-il à vos attentes ? 3) Avez-vous un lieu dans l’espace public barcelonais que vous préférez ?

Le quartier Del Raval 1) Quelle relation entretenez-vous avec ce quartier ? 2) Pour quel raison avez-vous l’habitude de vous promener dans ce quartier ? 3) A quelle fréquence ? 4) Quelle est votre expérience en tant que piéton dans ce quartier ? Plaça del Angels 5) Avez-vous l’habitude de passer par cette place ? 6) Comment utilisez-vous cette place ? Est-elle un lieu de passage, d’arrêt ? 7) Que représente-elle pour vous ? Le quartier De Gràcia 8) Quel rapport entretenez-vous avec ce quartier ? 9) Pour quel raison avez-vous l’habitude de vous promener dans ce quartier ? 10) A quelle fréquence ? 11) Quelle est votre expérience en tant que piéton dans ce quartier ? Plaça del sol 12) Avez-vous l’habitude de passer par cette place ? 13) Comment utilisez-vous cette place ? Est-elle un lieu de passage, d’arrêt ? 14) Que représente-elle pour vous ?

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Annexes

Réponses de l’enquête Quartier del Raval Thibaut, 22 ans, étudiant, Résident à Barcelone depuis 2 ans Interrogé dans la carrer del castella

1) Pour traverser la ville de Barcelone j’utilise principalement le métro et le skate. 2) Il répond entièrement à mes attentes sportives. Même si dans certains lieux il est impossible de se déplacer en skate, surtout dans les lieux du centre-ville, il y a trop de monde. Pour moi l’endroit impraticable tant en skate qu’ à pied est la rambla de la Canaletes, j’essaye d’éviter cette rambla le plus possible. Le bruit, les mouvements, les personnes nous entrainent dans un tourbillon angoissant. 3) Le lieu que je préfère à Barcelone est la place du MACBA. Je m’y rends le plus souvent possible. Pour moi, elle représente le centre de ma vie barcelonaise. 4) Ce quartier est le lieu où je réside, il est mon point d’attache à Barcelone. 5) Je m’y rends principalement pour la pratique du skate et pour prendre une bière par exemple sur la place où nous nous trouvons. Il y a une occupation très importante de cette place par les habitants et notamment par les jeunes. 6) Comme je te l’ai dit je réside ici, donc j’y suis quotidiennement. 7) Si tu considères que le skate est un moyen de se déplacer comme un piéton, alors oui c’est un quartier que je parcours beaucoup 8) Oui, quotidiennement. Elle est comme ma seconde maison. 9) C’est un lieu d’arrêt et de pratique du skate. 10) La place du MACBA représente un lieu mondial du skate board, certains font des milliers de kilomètres juste pour venir ici skater. Les voitures de flics se poste souvent aux abords de la place, pour nous surveiller. Ça arrive de temps en temps depuis un an, maintenant il y a plus de contrôle sur cette place.

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Barbara, 20 ans, touriste Belge Interrogée sur les ramblas del Raval 1) Je pratique Barcelone principalement en métro, comme je ne connais pas trop, c’est beaucoup plus simple pour se repérer. Mais pour me promener dans les différents quartiers, j’utilise la marche. 2) L’espace public barcelonais est très agréable. On peut se déplacer facilement, il y a beaucoup d’espaces pour se détendre. 3) Il y en a beaucoup qui me plaisent, parmi tous : j’aime les parcs de Montjuic, la plage de Barceloneta, et le quartier del Born avec ses places et ses bars. 4) Je me suis promené par hasard dans ce quartier après avoir visité le pavillon de l’exposition universelle de Mies Van Der Rohe. 5) C’est un quartier vivant. 6) Je suis à Barcelone depuis 2 semaines, je viens visiter une copine, et ça fait la 4ème fois que nous venons dans le quartier 7) C’est un quartier chaleureux, c’est agréable de s’y promener, même si les rues sont quand même sombres. 8) Non, seulement deux fois. 9) Pour m’asseoir avec mes amis et regarder les skateurs. 10) Cette place représente un pôle multi-culturel contemporain. En effet, on observe sur la place des représentations, des spectacles de rues, des peintres, des artistes du cirque, des skateurs … C’est une place surprenante qui offre un usage informel. C’est censé être un parvis pour un musée lieu de représentation et c’est en réalité un bon spot pour le skate et d’autres usages. Anna, 35 ans, résidente Interrogée dans la carrer del taller 1) Principalement en vélo ou à pied. 2) Oui, l’espace public barcelonais répond à mes attentes. Il y a beaucoup de rues larges et piétonnes, c’est donc pratique de se promener à pied ou à vélo dans la plupart des lieux. 3) Le patio intérieur de la bibliothèque national de Catalunya. 4) Je suis partagée sur ce quartier. Le raval Nord est un quartier très artistique, il y a beaucoup de boutiques originales, d’artistes, de restaurants. Il y a aussi beaucoup d’organisations d’évènements et de concerts. Donc beaucoup de personnes parcourent ses espaces c’est donc plus sûr. Le Raval Sud au contraire est plus dangereux, je ne m’y promènerais pas de

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Annexes

nuit toute seule. Je préfère toujours être accompagnée dans ce quartier. 5) Car il y a beaucoup de vie ! 6) Une à deux fois par semaine avec des amis. 7) Les rues sont étroites car elles sont vieilles, du coup il n’y a pas beaucoup d’espace pour marcher et parce qu’il y a aussi beaucoup de voiture, de taxis et de motos qui passent. Mais le plus facile pour le parcourir reste quand même la marche à pied. 8) Non, je n’y vais pas souvent. 9) C’est un lieu que je traverse, je ne m’y arrête pas. 10) Rien de particulier. Elle est la place des skateurs, mais moi je ne m’y sens pas à l’aise. 11) Plus propre, moins dangereux et il se passe de plus en plus d’évènements. Phillip, étudiant Erasmus, Allemand, 26 ans Interrogé dans la carrer del taller

1) La plupart du temps à pied. 2) Oui, il répond à une échelle à la fois humaine et métropolitaine. 3) Le quartier del Born pour son architecture. Mais aussi la plaça del Castella est une de mes favorites à Barcelone n’ont pas pour sa situation géographique ou architecturale mais pour l’animation et le dynamisme dont les gens la façonne. 4) Je suis assez proche de la culture de ce quartier. 5) Je viens assez souvent ici, car j’ai beaucoup d’amis qui y habitent, il y a aussi mon bar préféré le Nevermind, un bar alternatif, on en retrouve beaucoup ici dans ce quartier. 6) Minimum une fois par semaine. 7) C’est un quartier animé. Mais le soleil passe trop peu souvent dans les rues du quartier du raval, donnant un côté plus délabré aux rues. 8) Oui, j’y viens souvent. 9) C’est un lieu où je m’assois et je bois des bières en regardant les skateurs. 10) La scène du skate Barcelonais, c’est un lieu de rencontre pour les jeunes. Elle représente le dynamisme de Barcelone et l’ouverture de Barcelone à des pratiques que l’on ne voit pas forcément dans d’autres villes.

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Sylvie, touriste, 63 ans Interrogé sur la plaça del angel 1) A pied ou à métro. 2) Dans l’ensemble oui. On y trouve toujours un endroit pour contempler, apprécier et s’imprégner de l’ambiance de cette ville hyper vivante et riche culturellement. 3) La plaça del Reial, et les places de Villa de Gràcia. 4) Je m’y suis promenée et jamais bien attardée. Ne n’y flâne pas. C’est un quartier qui a souffert et qui souffre d’une mauvaise réputation. Je ne m’y sens pas en sécurité. Quand j’étais plus jeune et que je venais à Barcelone avec mon père, il était impossible d’aller dans ce quartier, personne ne le conseillait, j’en ai gardé cette image 5) Pour me promener sur les Ramblas del Raval, voir la statue du chat de Bottero, le MACBA, et le marché de Sant Antoni… Mais ce n’est pas un quartier où je m’arrête. 6) Pas souvent. 7) C’est agréable de se promener dans la Rambla del Raval mais particulièrement dans les autres rues qui ne sont pas adaptés aux piétons. 8) Je passe par cette place quand je vais au MACBA. 9) C’est un lieu de passage. Je ne me sens pas à ma place, je préfère rester sur le côté, la prendre en photo et repartir. 10) Je la trouve froide, et elle ne me renvoie aucune émotion. Elle me semble sans âme. Rodrigo, 45 ans, Barman Intérogé sur la rambla del raval Qu’elle renouveau observé vous dans ce quartier ? 11) Il est vrai que depuis quelques temps la population change dans le quartier, elle se diversifie, de plus en plus de touristes viennent s’assoir à nos terrasses mais aussi de plus en plus d’évènements ont lieux. Le quartier ne semble plus délaissé comme un quartier « à ne pas fréquenter ». La présence policière y joue certainement beaucoup, permettant d’avoir plus de sécurité ici. Il ne faut cacher que le tourisme permet de faire plus de chiffre d’affaires, et pour moi c’est très bénéfique, je voudrais qu’il y en ai encore plus ! Vous ne craignez pas que le quartier du Raval perde son identité ?

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Annexes

12) Ça fait depuis quelques temps qu’il n’y a plus vraiment d’identité dans le Raval, peut-être à cause du tourisme aujourd’hui mais le problème remonte plus au fait que ces habitants l’ont déserté parce qu’il était malfamé. Ce qui m’embête c’est que tous qui est fait en ce moment : les évènements, la réhabilitation, c’est très bien, mais c’est surement trop tard pour ramener les habitants ici, je ne suis pas sûr que cette politique soit mise en place pour nous, résidant du Raval, car la plupart ici n’ont rien à apporter à la ville, la plupart vive dans la misère et la pauvreté. Mais je pense qu’elle sert à autre chose, peut être au tourisme ? Parfait ! J’en ai besoin pour faire tenir mon bar ! Quartier de Gràcia Julia, résidente, 28 ans Interrogé dans torrent del Olla 1) Le plus souvent à pied ou en métro. 2) L’espace public est très adapté, il est propre et jolie. 3) J’adore m’asseoir sur la place Vila de Gràcia. 13) J’y vais très souvent, j’arrive toujours à trouver quelque chose de nouveaux qui me surprend : une petite rue, une façade, un arbre qui ne représente peut-être rien pour quelqu’un d’autre mais qui pour moi a beaucoup d’intérêt 14) Je trouve ce quartier très vivant. Il reflète bien l’esprit catalan. Il y a très peu de touriste alors que le parc Guell est dans le quartier. On y trouve aussi des boutiques avec plein de charme et non pour les touristes. C’est un quartier authentique avec un esprit de tradition. On retrouve sur bon nombre de façades des drapeaux nationalistes qui animent le paysage des façades de gràcia. 15) Aussi souvent que possible. 16) Je vais acheter mes fruits et légumes dans les différents marchés qui composent le quartier. J’adore y flâner. Même si les rues ne sont pas forcément adaptées aux piétons, il y a très peu de trottoirs et un passage de voiture assez fréquent, les places reprennent toute leur qualité piétonne. 17) J’y vais souvent en été, c’est un lieu incontournable de la vie de quartier. 18) C’est un lieu d’arrêt. Elle est très vivante le soir. Tous les âges s’y rassemblent. On s’y sent en sécurité aussi. 19) Une place historique, qui pour moi représente le vrai cœur de Barcelone, loin des touristes et de son agitation. C’est une agitation différente, plus traditionnelle et plus riche d’usages des gens s’asseoient à même le sol,

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d’autre la traversent, certains dessinent dessus et des enfants jouent… J’adore pouvoir m’assoir par terre, sans jugement, et boire une bière à 1 euro acheté à un vendeur à la sauvette. Joan, résidant, 38 ans, Interrogé sur la plaça del sol

1) Vélo et à pied. 2) Dans l’ensemble oui, même si certains espaces sont sur-fréquenté, il devient donc difficile de les parcourir et d’apprécier. 3) La plaça del Sol 12) Je vis dans ce quartier. Ce quartier représente beaucoup de choses pour moi, il est mon lieu de résidence mais aussi celle de ma famille depuis des générations, je ne veux pas la quitter pour un autre quartier de Barcelone. Tout est différent : la culture, la manière de vivre, les traditions. » Il y a donc ce rapport fort au site où l’espace public est considéré « comme l’extérieur de chez soi. 13) Parce que j’y ai toute mes habitudes. J’ai l’impression d’habiter dans un village entouré par une très grande ville. 14) Tous les jours. 15) Pour moi me promener dans ce quartier est fait pour me reposer et parler avec mes amis. 16) J’y suis la plupart du temps. 17) Je m’arrête sur cette place pour manger et boire un verre avec mes amis. je ne passe pas par cette place par hasard, c’est un choix. Quand je la traverse je ne peux que m’arrêter, il y a toujours quelqu’un à qui parler 18) La scène des jeunes barcelonais indépendantiste. Elle est un lieu de vie où il fait bon vivre. Tout le monde est solidaire et la plupart nous nous connaissons tous alors que nous vivons dans une ville de plus de deux millions d’habitants. Par exemple, cet homme que tu vois là-bas, il vit depuis toujours dans ce quartier, il dort dehors mais quand on le croise quelqu’un est toujours là pour lui donner une pièce ou une cigarette, ailleurs à Barcelone il n’y a pas cette proximité entre les gens. Cette place représente l’union entre les habitants. Mais de plus en plus la police tous les samedis fait fuir les vendeurs à la sauvette, et par la même occasion font fuir aussi les personnes assises aux milieux de la place, c’est dommage, je comprends qu’il ne faut pas enlever l’économie des bars et donner une mauvaise image de la place avec son occupation, mais peut être que ces jeunes assis buvant des bières, chantant et rigolant font

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Annexes

l’attrait et l’économie de la place, sans ça elle serait une place comme les autres

Figure 52 : Rang des métropoles mondiales : Barcelone une ville compétitive

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Figures 53 et 54 : RĂŠpartition des hotels et des appartements louĂŠs au touristes Ă Barcelone

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Annexes

Figure 55 : Parcours des lieux les plus connus des bus touristiques de Barcelone

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BIBLIOGRAPHIE 124


Bibliographie

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GUIDES TOURISTIQUES - Le routard : Barcelone, Hachette, 2014 - Lonely Planet, Barcelona, Victoria (Australie), Lonely planet publication, 2015 - Le guide vert : Barcelone, Paris, Broché, 2014 - Guides Bleus : Espagne, Paris, Hachette, 1987 - Guides Bleus : Espagne, Centre et Nord, Paris, Hachette, 2002 - Le Guide Autrement : Barcelone, Paris, Editions Autrement, 2013 SITES INTERNET - Turisme Barcelona : http://www.barcelonaturisme.com/wv3/fr/ - Ayuntamiento Barcelona : http://www.barcelona.cat/es/ - World Tourism Organization : http://www2.unwto.org/ - Le routard : http://www.routard.com/guide/code_dest/barcelone.htm - Lonely planet : https://www.lonelyplanet.com/spain/barcelona

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Bibliographie

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- Figure 1 : Parcours de mon itinéraire dans la ville de Barcelone Photographie aérienne de Barcelone, Google Earth 2016

8

- FIgure 2 : Passages dans la carrer Elisabeth à Barcelone Vidéo Personnelle, Barcelone, Juin 2015

16

- FIgure 3 : Parcours piéton de la plaça Catalunya à la rambla Maritim, Vidéo personelle, Barcelone, Juin 2015

22

- FIgure 4 :Construction de la Gran Via en 1860 durant le plan d’aménagement de Cerdà, Barcelone, 1862 Site internet : anycerdà

24

- Figure 5 : Espace public sur Gran Via après l’aménagement de Cerdà, Barcelone, 1880 Site internet : anycerdà

24

- FIgure 6 : La rambla, une percée piétonne dans la ville, vue par la tour de Christophe Colon de la Rambla Canaletes, Barcelone, Avril 2015 Photographie personelle

27

- FIgure 7 : Ampleur du plan d’aménagement de Cerdà, exposition au CCCB, 2013 SIte internet : CCCB

28

- FIgure 8 : Coupe de Cerdà, aménagement pour le piéton composé de trottoir plus grand, Barcelone, 1855 SIte internet : Erudit, « Le piéton : un acteur privilégié de l’espace public barcelonais »

30

- Figure 9 : Coupe de Cerdà, aménagement pour le piéton composé de trottoir latéraux et d’une allée centrale, Barcelone, 1855 SIte internet : Erudit, « Le piéton : un acteur privilégié de l’espace public barcelonais »

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- FIgure 10 : Emprise de la voie piétonne sur la rambla Catalunya, Barcelone Coupe personelle

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- FIgure 11 : Emprise de la voie piétonne sur passeig de Gracià, Barcelone Coupe personelle

31

- FIgure 12 : Image de Barcelone, montage effectué par Jaussely pour montrer une percée sur la rue, Barcelone, 1890 SIte internet: Wikipédia Jaussely avinguda Gaudi

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TABLE DES FIGURES 130


Table des figures

- Figure 13 : Promenade centrale sur la rambla Giusucoa, Barcelone, Avril 2015 Photographie personelle

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- FIgure 14 : Promenade centrale surélevée sur la rambla del Brésil, Barcelone, 2015 Photographie personelle

35

- FIgure 15 : Un parc au coeur d’une rue, Rambla Prim, Barcelone, Juillet 2015 Photographie personelle

36

- Figure 16 : Promenade piétonne au centre de l’avenue Diagonal, Barcelone, Mai 2015 Photographie personelle

36

- FIgure 17 : Mise en scène du front de mer Barcelonais, Rambla del Mar, Barcelone, Juin 2015

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- FIgure 18 : Aménagement des circulations douces du bord de mer barcelonais, Rambla maritim, Barcelone, Juin 2015 Photographie personelle

39

- Figure 19 : L’enquête par le parcours dans le quartier du Raval et le quartier de gracià Photographie aérienne Google Earth, 2016

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- FIgure 20 : Traversée du Raval dans la rue étroite de carrer de San Pau, Barcelone, 2014 Photographie personelle

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- FIgure 21 : Terrain de Basket sur une place dans le quartier historique du Raval, plaça Salvador Segui, Barcelone, 2009 Photographie personelle

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- FIgure 22 : Parcours dans le quartier du Raval, Mars 2016 Photographie aérienne de Barcelone, google earth, 2016

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- Figure 23 : Relevé photographique du parcours dans le quartier du Raval, Barcelone, Mars 2016 Photos personelles

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- FIgure 24 : Appropriation par les skatteurs de la façade du MACBA, Plaça del Angels, Barcelone, Novembre 2013 Site internet : Fundacion Eric Miralle

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- Figure 25 : Passage sur la plaça del Angels, Barcelone, Mai 2015 Photographie personelle

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- FIgure 26 : Des rampes comme rue urbaine à l’intérieur de la façade intérieur du MACBA ouverte sur la plaça Angels, Barcelone, Mars 2013 Site internet : MACBA

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- Figure 27 : Côtoiement entre skateurs, piétons, enfants, Plaça del Angels, Barcelone, Mars 2014 Site internet : eme3festival

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- FIgure 28 : Lieu d’appropriation : Brocante et usages diverses, Plaça del Angels, Barcelone, Février 2015 site internet : eme3festival

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- FIgure 29 :Occupation par les passants de la plaça del DIament, quartier de Gracià, Barcelone, Avril 2015 Photographie personelle

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- Figure 30 : Utilisation de l’espace public comme lieu artistique, fête de Gracià en août 2014 SIte : Fiesta de Gracià

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- FIgure 31 : Parcours de l’enquête dans le quartier de Gràcia, Mars 2016 Photographie aérienne de Barcelone, Google Earth 2016

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- FIgure 32: Relevé photographique du parcours dans le quartier de Gràcia, Mars 2016 Photos personelles

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-Figure 33 : Façades colorées sur plaça del sol, Quartier de Gracià, Barcelone, Février 2015 SIte : Fiesta de Gracià

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-Figure 34 : Multiples appropriations sur la plaça del sol, quartier de Gracià, Barcelone, Mars 2016 Photo Personelle

67

-Figure 35 : Occupation de la plaça del Sol de nuit, vue d’un appartement, Barcelone, Juin 2015 Photo Personelle

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-Figure 36: Moment de réunion des jeunes Barcelonais, sur la plaça del sol, Barcelone, Février 2015 Photo personelle

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- FIgure 37: Touriste photographiant l’espace public, passeig de Lluis Campanys, Barcelone, Août 2014 Site internet : SMBtravel

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- FIgure 38 : Parcours privilégié par les guides touristiques -Le parcours du modernisme, Barcelone. Source : Guide du routard, 2014

82

- FIgure 39 et 40: Jeux olympiques de Barcelone en 1992 l’épreuve du plongeon - Barcelone dans la course à la réussite, barcelone, 1992 SIte internet: Welcome to Barcelona

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Table des figures

- Figure 41 : Evolution du tourisme et des nuitées à Barcelone, 2014 SIte Internet : Rapport turisme Barcelona

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- FIgure 42: Impact économique du tourisme à barcelone, 2014 Site Internet : Rapport turisme Barcelona

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- Figure 43 : Passage dans la rambla de Canaletes, espace public saturé, 2015, barcelone Site internet : SMBtravel

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-Figure 44 : Les habitants manifestants contre le tourisme de masses, Barcelone, 2014 Site internet : Le Figaro

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- Figure 45: Sondage auprès des habitants Barcelonnais sur le tourisme, 2014 Site internet : Turisme Barcelona

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- Figure 46 : Manque d’usage dans un espace public récent, Plaça Joan Antoni Cordech @22, Barcelone,2015 Photographie personelle

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- Figure 47 : Espace vide d’usage à midi, Parc de Carles, Quartier de Vila Olympica, Barcelone, Juin 2015 Photographie personelle

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- Figure 48 : Les différents quartiers de Barcelone Image google earth, 2016

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- Figure 49 et 50: Relevé des ramblas étudiées Photographie aérienne de Barcelone google earth + Photographie personnelle 2016

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-Figure 51 : Tableau de l’étude de l’enquête à la 1ère et 2ème personne Tableau personnel

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- Figure 52 : Rang des métropoles mondiales : Barcelone une ville compétitive Site internet : Rapport turisme Barcelona, 2014

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- Figures 53 et 54 : Répartition des hotels et des appartements loués au touristes à Barcelone Site internet : Rapport turisme Barcelona, 2014

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-Figure 55 :Figure 55 : Parcours des lieux les plus connus des bus touristiques de Barcelone Site internet : Turisme barcelona

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Remerciments : Ce mémoire de Master est le résultat d’un travail de plusieurs mois. Je tiens tout d’abord à adresser tous mes remerciements aux personnes qui m’ont apporté leur soutien et qui ont ainsi contribué à l’élaboration de ce mémoire. En premier lieu, je remercie mes enseignants, Monsieur Xavier Guillot, pour son aide précieuse qui a su m’aiguiller dans mes choix. Je remercie également, Julie Ambal, pour le temps qu’elle a su me consacrer et qui a participé à chaque étape de l’élaboration de ce mémoire. J’exprime ma gratitude à toute les personnes que j’ai pu interviewées lors de l’enquête effectuée à Barcelone et qui ont accepté de répondre à mes questions avec gentillesse. Un merci affectueux à ma famille : ma maman, Sylvie, mon papa, Manuel, mon frère, Galien, ma sœur, Ambre, mes grands-parents, Alice, Magdalena, Louis, Diego, d’avoir su m’écouter, me conforter dans mes choix et d’avoir participé à ce grand projet de ma vie : être architecte. Merci à mes amis ENSAPiens, avec qui j’ai vécu ses périodes de stress et de doute, qui se sont toujours transformées en moment de rire et de joie. Mais aussi à mes amis d’enfance, Flora, Bruno, Julien, Charlotte, Emmanuelle, pour leur soutien infaillible. Je n’oublie pas mon acolyte, ma colocataire, Alexia, pour tous ces moments de folies, qui ont permis de rendre ces années moins difficiles. Je suis aussi reconnaissante d’avoir pu à travers ce mémoire et mon année d’Erasmus renouer avec mes origines espagnoles paternelles. Et j’ai espoir de pouvoir vivre, un jour, dans ma ville de cœur, Barcelone. Ce mémoire est une étape, il annonce la fin de mes études en architecture mais le commencement de nouvelles aventures...

Impression : papier 100g Reliure : COPY-MEDIA, Mérignac (33) Illustration en couverture : modélisation du plan de Barcelone avec différents parcours piétons

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La pratique piétonne à Barcelone : De la conception à l’usage de l’espace public

De nos jours, les villes sont le spectacle du mouvement perpétuel des citadins dans leur quotidien. Qu’ils soient habitants ou touristes, les piétons participent à la fabrication du processus d’aménagement de la ville de par l’usage qu’ils font de l’espace public. Pourtant dans ce système qui n’a fait que se complexifier, les piétons semblent être de plus en plus oubliés. Des villes, comme Barcelone, ont su garder tout au long de leur développement urbain une place privilégiée pour le piéton. L’espace public barcelonais sera abordé comme exemple en matière d’aménagement favorisant la pratique piétonne. Néanmoins, il sera aussi question de manifester un changement de paradigme dans la conception de l’espace public lié aux phénomènes de métropolisation. Il se signale par de nouvelles pratiques touristiques et par de nouvelles politiques de la ville. Mots clés : Piéton, Barcelone, habitants, tourisme, espace public, aménagement urbain, expérience, usages, appropriations,paradoxe, paradigme.


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