De la « rédemption » des édifices religieux. Entre rupture et continuité - Sara ballesta

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DE LA « RÉDEMPTION » DES ÉDIFICES RELIGIEUX ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ

Sara Ballesta Mémoire de Master - Parcours IAT - Janvier 2017 Encadrement par Mr GUILLOT Xavier et Mme AMBAL Julie Ecole Nationale Supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux


DE LA « RÉDEMPTION » DES ÉDIFICES RELIGIEUX ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ

Sara Ballesta Mémoire de Master - Parcours IAT - Janvier 2017 Encadrement par Mr GUILLOT Xavier et Mme AMBAL Julie Ecole Nationale Supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux


REMERCIEMENTS

J’adresse mes remerciements aux personnes qui m’ont aidée dans la réalisation de ce mémoire.

Je tiens tout d’abord à remercier Mr Xavier Guillot et Mme Julie Ambal, mes directeurs d’étude,

pour m’avoir guidée dans mon travail et pour m’avoir aidée à trouver des solutions pour avancer dans l’élaboration de cet argumentaire.

Je remercie aussi le Père Éric de la paroisse de Talence qui a pris le temps de me recevoir et

de répondre à mes questions en m’apportant des informations complémentaires ainsi que son propre regard sur le sujet de mon mémoire.

Enfin, je souhaite également remercier mes parents pour leur implication dans mes recherches,

pour leurs relectures, leurs suggestions et pour le soutien qu’ils m’ont apporté. A ce titre, je remercie toutes les personnes qui m’ont accompagnée et conseillée tout au long des recherches et de la rédaction de ce mémoire.


SOMMAIRE AVANT-PROPOS : REGARD D’ENFANCE

02

INTRODUCTION : CHANGEMENT DE PARADIGME DU SACRÉ AU PROFANE

04

01

13

LA RECONVERSION DES ÉDIFICES RELIGIEUX : UNE PRATIQUE GLOBALISÉE ?

01. LE CANADA : Quasi-centenaire en la matière a. Histoire de la pratique b. Des reconversions diverses c. Émergence des plateaux sportifs 02. VERS UN PHÉNOMÈNE MONDIAL ? a. Métissage d’usages sacrés et profanes en Angleterre b. L’Espagne entre traditions et innovations

02

TROIS FIGURES MAJEURES DE LA RECONVERSION

01. DU CULTE AU CULTUREL : UNE FORME DE CONTINUITÉ Le théâtre Dijon-Bourgogne 02. D’EMBLÈME RELIGIEUX À EMBLÈME DE LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION :

14 14 16 19 23 24 29

32 36 41

LA RUPTURE

Notre Dame des Grâces à Toulouse

03. VERS UNE VOCATION PLURIELLE : LA POLYFONCTIONNALITÉ

L’archipel à Paris

03 DIMENSION POLITIQUE ET SOCIALE DE LA RECONVERSION

01. L’ÉGLISE FACE À LA RECONVERSION DE SON PATRIMOINE :

45

50 52

Acceptation par la contrainte

a. Alternatives et contrôle de la cession du patrimoine au monde profane b. Orientations multiples quant au devenir du patrimoine sacré 02. UN PHÉNOMÈNE RÉGULÉ PAR LA PRESSION SOCIALE ? a. La reconversion aux mains des acteurs privés b. Sollicitation de l’opinion publique comme moyen d’action

58 59 60

BIBLIOGRAPHIE

66

ANNEXES

74

53 55

|1


Découverte des lieux : le silence, puis l’ampleur que le volume architectural donne au souffle de

l’artisan, le raisonnement du bruit des outils, les chuchotements qui s’intensifient, la lumière colorée… Autant d’éléments qui façonnent l’atmosphère particulière de l’espace dans lequel nous étions. Il paraissait s’être arrêté, hors du temps. De cette visite à l’ancienne église du Magny, naît un profond étonnement. Quelle idée saugrenue a eu ce souffleur de verre de s’installer pour vivre et travailler dans une église ! Comment l’idée d’habiter là lui est-elle venue ? Loge-t-il ici comme dans une maison « normale » ? Est-il le seul à vivre de la sorte ou d’autres personnes partagent-elles ce mode de vie particulier ? Si en effet, ces personnes existent, sont-elles nombreuses en France ? Et dans d’autres

AVANT-PROPOS REGARD D’ENFANCE

pays, y a-t-il des gens qui vivent dans des églises ? Est-ce courant là-bas ?

C’est dans cette expérience que prend racine mon intérêt pour la reconversion des édifices

religieux. Par la suite, ces interrogations ont perduré par l’observation de la petite ville dans laquelle j’ai grandi. Son centre-bourg est constitué de façon assez classique autour de la mairie, de l’église et de quelques commerces. Or, l’église ne semble être animée et vécue qu’à l’occasion de mariages ou d’autres cérémonies religieuses ponctuelles telles que les baptêmes ou les enterrements. Mais alors, à quoi sert cet édifice le reste du temps ? Y a-t-il un public qui s’y rend de façon plus régulière ? Ce bâtiment occupe-t-il encore sa fonction de référence pour la population au-delà du repère urbain qu’il constitue dans la ville ? Est-il aujourd’hui indispensable ? Un autre bâtiment qui proposerait des commerces ou des services ne serait-il pas davantage utile et bénéfique à tous au quotidien ?

Ce sont autant de questionnements qui m’amènent aujourd’hui, à traiter de la reconversion

des édifices religieux dans ce mémoire. Ce travail représente pour moi l’opportunité de comprendre plus précisément le phénomène de réemploi des lieux de culte qui vise à les réhabiliter en y intégrant de nouveaux usages ainsi que les enjeux et débats qui lui sont inhérents.

|3


Les édifices religieux tels que les églises, les chapelles, les abbayes et autres couvents sont

présents sur l’ensemble du territoire français. En effet, le patrimoine sacré, principalement catholique jalonne le pays. Il scande nos paysages tant urbains que ruraux, aussi hétérogènes soient-ils. De fait, les bâtiments voués au culte catholique se révèlent comme étant caractéristiques de notre pays, tant en terme identitaire qu’en terme de représentation et de rayonnement à l’échelle internationale. En effet, le maillage sacré constitue un véritable atout touristique pour la France qui est connue comme « le pays aux 36 000 clochers ».

Toutefois, ce patrimoine religieux est aujourd’hui confronté à de nombreuses problématiques,

notamment celles de la sous utilisation, de la désertification allant même jusqu’à l’abandon total dans les cas les plus extrêmes. Ce phénomène est induit par la diminution significative de la pratique religieuse catholique au quotidien. En effet, la population française est aujourd’hui marquée par une déchristianisation importante. L’image de la France catholique mérite en ce sens d’être nuancée puisque l’Église ne suscite plus le même engouement et n’est plus aussi fédératrice que par le passé. Elle ne constitue plus l’unique fondement théologique sur lequel s’appuie la société française d’aujourd’hui, bien qu’elle demeure caractérisée par une adhésion massive à la religion catholique, 2/3 des Français

INTRODUCTION

CHANGEMENT DE PARADIGME DU SACRÉ AU PROFANE

s’en déclarent proches1. Toutefois, cette proportion est à relativiser puisqu’on compte de nombreux catholiques sociologiques, c’est-à-dire des personnes nées dans des familles catholiques mais n’étant pas pratiquantes pour autant. La société française actuelle compte également un nombre important de personnes revendiquant leur absence totale d’adhésion à quelconque religion. Plus précisément, cette part s’élève à 27.6% de la population. Notons tout de même que ces statistiques ne sont pas révélatrices de l’hétérogénéité du territoire français puisqu’elles résultent d’une moyenne nationale. Par exemple, on relève une amplitude allant de 75 à 47% de la population se déclarant catholique au sein du pays et de même, une amplitude allant de 34 à 20% pour les Français athées. En effet, on observe d’importantes variations du nombre de personnes adhérents à chaque religion selon les régions. On constate également une plus grande diversité des religions dans le monde urbain que dans le monde rural.

Catholicisme Protestantisme Islam Judaïsme Autres Sans religion

Moyenne nationale de la proportion de chaque religion au sein de la population française en 2006 (Source IFOP)

Auteur inconnu, pdf en ligne d’un sondage de l’IFOP pour le site d’actualité chrétienne La Vie, Éléments d’analyse géographique de l’implantation des religions en France, Décembre 2006 URL : http://www.ifop.com/media/poll/religions_geo.pdf 1

Introduction : Changement de paradigme du sacré au profane

|5


Cette problématique se pose à la société dans son ensemble, au sens profane. Il serait trop

Plus précisément, la société française fait face à de profondes mutations depuis le siècle

réducteur de considérer les lieux de culte uniquement pour leur fonction sacrée. En effet, au-delà de

dernier. Comme annoncé précédemment, nous assistons depuis cinquante ans à sa déchristianisation

cette intériorité spirituelle, ils prennent place dans des villes et villages. Ils jouent sans conteste un

massive, avec une forte accélération du phénomène depuis les années 1970. En effet, en 2006, 64 %

rôle structurant dans notre territoire. Historiquement, les édifices religieux étaient partie prenante

de la population française se revendique comme étant de confession chrétienne alors que cette

du centre de toute agglomération, sorte de noyau dur identifiable dans lequel on retrouvait le plus

part s’élève à 81 % dans les années 19502. C’est donc près d’une personne sur cinq que l’Église perd 87 81 81

80 80

fréquemment l’église, la mairie et quelques commerces. En d’autres termes, ils constituent une

87

parmi ses fidèles en l’espace de 50 ans. Mais le changement le plus radical est constitué par la part

76 76

de catholiques messalisants, c’est-à dire les personnes déclarant aller à la messe tous les dimanches.

69 69

65 65

richesse patrimoniale autour de laquelle se sont développés la grande majorité de nos villes et villages. 64 64

Mais les bâtiments de culte supportent une fonction supplémentaire, au-delà du sacré et de leur rôle

Leur nombre a été divisé par six en l’espace d’un demi siècle. Ils représentaient un peu plus du quart

de repère dans l’ensemble urbain. En effet, ils sont ouverts à tous. Les populations aussi bien croyantes

de la population au milieu du XXème siècle pour n’être aujourd’hui qu’à peine 4,5%. Cette diminution 27

catholiques, qu’appartenant à d’autres confessions religieuses, ou encore, les personnes non croyantes

27

20 20

20 20

radicale de la proportion de personnes catholiques au sein de la population française semble tendre

14 14

à se stabiliser. Depuis les années 2000, il y a près de 60% de personnes catholiques dont 4 à 5% de messalisants.

1952 1952

80

1972 1972

1977 1977

Proportion Proportion de de catholiques catholiques Proportion catholiques dans lade population dans la population

la population dontdans catholiques messalisants dontmessalisants catholiques messalisants dont

87 81

1966 1966

76

69

65

64

peuvent entrer dans ces espaces et les parcourir à loisir. En ce sens, ces biens appartenant à l’Église

6 6

5 5

4,5 4,5

ont un usage qui s’apparente à celui des bâtiments publics. En d’autres termes, ils constituent des

1987 1987

2001 2001

2006 2006

lieux de rassemblement qui transcendent la question religieuse et communautaire puisqu’ils offrent la possibilité à tous de venir se recueillir, réfléchir, déambuler... Enfin, les édifices religieux sont, comme sous-tendu précédemment, les reliques témoins d’un passé et d’une histoire. Ils catalysent en effet les savoirs-faire architecturaux et techniques d’une époque. De fait, ce patrimoine bâti est également révélateur d’une société, de ses croyances et de son mode de vie , sorte de relique rendant compte d’un temps révolu, qu’il est nécessaire de pouvoir transmettre à tous. En somme, les édifices sacrés sont les marqueurs polysémiques d’une société et de ses valeurs, d’une époque et d’un savoir-faire. La question de leur devenir transcende alors la question de l’idéologie religieuse, puisque ces bâtiments

27 20

1952

1966

20

1972

s’imposent comme un bien commun à la société profane. 14

1977

6

5

4,5

1987

2001

2006

Évolution du nombre de personnes catholiques au sein de la population au cours des 50 dernières années Proportion de catholiques (Source IFOP) dans la population

dont catholiques messalisants

La désertion des lieux de culte et le caractère universel qu’ils occupent pose avec acuité la

question de leur devenir. On se heurte alors à une question cruciale : Que faire de ces édifices en déclin ? Doit-on détruire ou conserver ce patrimoine ? Cette décision ne peut être traitée à la légère. La destruction de tels édifices est une véritable erreur de par le caractère polysémique qu’ils revêtent. Mais alors comment permettre à ces témoins du passé de perdurer encore à travers l’Histoire ?

Comme le montre le recul de la proportion de catholiques messalisants, ce bouleversement

en profondeur de la société engendre un rapport différent à la religion qui occupe une place moins

prégnante dans le quotidien. Dès lors, les édifices religieux catholiques voient également leur rôle

ce type d’intervention permet de ré-insuffler de la vie dans ces lieux qui n’en accueillent plus ou que

changer. En effet, ces bâtiments sont aujourd’hui davantage destinés à des usages profanes que sacrés.

très peu. D’autant plus qu’elle constitue aussi un moyen de préserver le patrimoine de façon active et

Assurément, les populations qui les parcourent sont majoritairement des touristes et des curieux attirés

d’échapper à une forme de sanctuarisation qui passe par la muséification du patrimoine. Par ailleurs,

par le caractère patrimonial pluri-centenaire, voire millénaire, de ces lieux. Il reste uniquement une

ces réflexions sur le devenir d’édifices symboles d’un temps passé ne se cantonnent pas au patrimoine

moindre proportion de fidèles qui viennent fréquenter ces édifices pour leur usage sacré initial. Face

religieux. De nos jours les gares, les sites industriels, les hôpitaux et les casernes sont également des

à cette baisse de fréquentation significative, voire à la désertion totale par les fidèles, de nombreuses

objets architecturaux qui posent des problématiques liées à leur sort dans le futur. En effet, ces édifices

collectivités et paroisses se retrouvent incapables d’assumer les dépenses engendrées par l’ouverture

ont été conçus pour perdurer au fil des siècles, dans une sorte de conception totale et hors du temps,

et l’entretien de tels bâtiments. Le patrimoine religieux se heurte alors à la fermeture, aux dégradations

avec la conviction de produire des bâtiments durables. Ces différents programmes, aussi variés soient-ils,

infligées par le temps et l’abandon ainsi qu’à la désacralisation, et dans des cas extrêmes, à la disparition

ont un point commun. Ils sont tous abrités par des édifices massifs qui prédominent dans le paysage, ils

totale.

le structurent et s’imposent dans leur contexte. Mais, malgré leurs dimensions, leur structure pérenne et

FOURQUET Jérôme, pdf en ligne d’un sondage de l’IFOP, Analyse : le catholicisme en France en 2010, Août 2010. URL : http://www.ifop.fr/media/pressdocument/238-1-document_file.pdf 2

6 | Introduction : Changement de paradigme du sacré au profane

La reconversion semble être un élément de réponse plausible vis-à-vis de ces questions puisque

leur fonction de repère dans la ville, ces édifices ne répondent plus aux usages actuels.

Introduction : Changement de paradigme du sacré au profane | 7


Autrement dit, de par les évolutions technologiques et les nouvelles réglementations, on observe

aujourd’hui un décalage entre la réalité physique de ces bâtiments et les pratiques contemporaines.

et des idéaux portés par la société actuelle. En effet, celle-ci est marquée par une importante crise

On se heurte alors à l’obsolescence de ces équipements conçus au XIX

économique et environnementale qui la conduit à promouvoir des logiques vertueuses de recyclage et

ème

siècle. Comment les adapter

à nos besoins présents ?

Cette pratique du réemploi et de la reconversion de bâtiments est révélatrice des considérations

de développement durable. Elle incite à penser une ville en mouvement, qui se refait sur elle‑même, révélatrice d’une forme de culture de la pérennité. Il ne s’agit pas de chercher à conserver notre

Néanmoins la réhabilitation avec d’autres usages, lorsqu’elle touche au patrimoine sacré,

environnement tel qu’il est, de façon figée, mais plutôt de le réinventer en l’adaptant à nos pratiques

soulève bien davantage de polémiques que celle des autres équipements cités précédemment, qui

et mœurs actuelles, comme le prône l’ancien ministre de la Culture, Jack Lang : « Réinsufflons la

eux, sont profanes. En effet, les édifices religieux occupent une place assez complexe à définir entre le

vie dans ces lieux. Les reconvertir me parait le moyen le plus adéquat pour les préserver, mais aussi

bien immobilier doté d’une certaine valeur patrimoniale, le caractère spirituel qu’on leur accorde en

pour les intégrer à notre vie6. ». Mais cette pratique n’est pas sans poser des problèmes d’éthique

lien avec le mystère divin mais aussi l’œuvre totale qu’ils constituent par le savant mélange de l’art et

de par la symbolique intrinsèque aux lieux de culte. L’enjeu tient alors à porter un regard neuf sur le

de l’architecture . Ces bâtiments même dénués de leurs usages initiaux ne perdent pas pour autant la

patrimoine sacré en cherchant à dépasser la question de sa valeur spirituelle. Il est pourtant primordial

symbolique et la valeur spirituelle que l’on prête à ces formes identifiées. Cette ambiguïté à déterminer

de requestionner ce patrimoine par le biais de nouveaux usages. Ce changement de posture se révèle

la place qu’occupent les édifices religieux « entre le divin et le terrestre », rend d’autant plus délicat le

toutefois particulièrement délicat à opérer puisque la persistance de ces bâtiments dans la majorité

choix du nouveau programme qu’on leur alloue lors de la reconversion. Cet enjeu de la programmation

des paysages au fil des siècles a fini par les banaliser. Ils sont ancrés dans l’imaginaire collectif comme

est majeur lors du recyclage architectural afin d’offrir une renouveau réel et durable aux bâtiments.

des programmes immuables. En effet, les édifices religieux nous semblent immortels7 et pourtant, ils

Cette pratique représente une opportunité de leur redonner vie de façon pérenne. Cette vision à long

sont aujourd’hui en train de s’éteindre par l’absence de vie et d’occupation.

3

4

terme est essentielle. En effet, rien ne pourrait justifier la disparition d’un tel patrimoine, véritable caractéristique identitaire du pays, tel que le prône assez justement Jack Lang.

« Je ne comprends pas au nom de quoi l’on prive des générations futures de bâtiments insigne, preuves

Dans notre société de l’immédiateté, la question de la pérennité de ces témoins du passé est plus que

du génie humain (…) anéantir les beautés du passé, ce n’est pas honorer son époque, c’est dépouiller

jamais d’actualité. « C’est pire que le problème des retraites. En France, c’est 40 000 églises dont il

l’avenir. »

va falloir s’occuper dans les décennies à venir »8 . En ce sens, cette question se révèle être une réelle

5

La reconversion des édifices religieux est, de fait, un phénomène d’une ampleur remarquable.

problématique sociétale. Il est alors important d’essayer d’établir de nouveaux programmes viables qui

Le succès d’une reconversion semble alors être intimement lié au choix du programme que l’on

pourraient être accueillis dans ces édifices qui font partie, voire qui façonnent, l’identité de la France.

propose dans le bâtiment. Autrement dit, quel programme permet une véritable seconde vie durable

Quelle nouvelle image allons-nous pouvoir créer pour ce nouveau cycle de vie des églises et des autres

et réelle ? Se doit-on de trouver une forme de continuité avec les valeurs véhiculées initialement

édifices religieux ? Celle-ci ne va-t-elle pas se diversifier ? Peut-on réellement trouver un unique emblème

par l’Église ? Ou alors, doit-on affirmer la nouvelle ère qui s’annonce pour l’édifice en proposant un

qui puisse représenter la société actuelle ? Finalement quelle image voulons-nous promouvoir ?

changement de destination radical ? Ces deux types de postures font débat. En d’autres termes, la

Effectivement, bien que la reconversion en lieux culturels soit la plus répandue, cette réponse ne peut

réhabilitation avec de nouveaux usages d’un édifice passe-t-elle nécessairement par la prise en compte

pas être appliquée de façon systématique en raison de la multiplicité des cas de figure auxquels nous

de sa vocation initiale pour être viable ou doit-elle au contraire la nier profondément pour être crédible ?

faisons face en France. D’autant plus qu’elle ne répondrait pas nécessairement à un besoin propre

Finalement, quel programme est admissible dans ces espaces ? Qu’est-ce qui rend une opération plus

au territoire dans lequel elle prend place. Nous sommes face à une extrême diversité des dispositifs

acceptable et légitime qu’une autre ? En outre, on peut également se demander comment intervenir

architecturaux, urbains mais aussi économiques. À qui destine-t-on ces édifices après reconversion ?

sur ce patrimoine sans renoncer à notre identité ? Quels repères créons-nous pour remplacer ceux d’un

Quel secteur économique encourage-t-on par cette action ? Le tourisme est une réponse partielle qui

temps révolu ? La reconversion d’un édifice religieux altère-t-elle la place qu’il occupe dans la ville tant

n’est pas adaptée à tous les milieux. Les entités urbaines et rurales, par exemple, ont d’autres besoins

en termes urbanistiques que dans l’imaginaire collectif ? En d’autres termes, la question sous‑jacente à

notamment en termes d’équipements pour améliorer les conditions de vie quotidiennes. Il faut alors

la reconversion du patrimoine religieux est celle de l’identité de la société actuelle. Existe‑t‑il encore un

se questionner sur les nouveaux programmes que l’on peut proposer pour imaginer la nouvelle vie qui

unique emblème auquel la majorité de la population s’identifie et autour duquel tout le monde puisse

s’offre au patrimoine religieux.

se fédérer ?

6

LANG Jack, Ibid p.08 Par opposition à la notion de bâtiment « mortel » introduite par John Ruskin (p. 12) BOITO Camillo // traduction CHOAY Françoise, Conserver ou restaurer : les dilemmes du patrimoine, Paris, Editions de l’Imprimeur, 2000 8 NOPPEN Luc, propos rapportés par BAUDET Clément, Slate France, « La reconversion des églises québécoises, un modèle pour la France ? », le 01/10/13 URL : http://www.slate.fr/story/77872/quebec-eglises-reconversion 7

LEVY Albert, Les machines à faire croire : I. Formes et fonctionnements de la spatialité religieuse, Paris, Editions Anthropos, 2003 4 LERUDE Olivier, « Recyclage des lieux de culte » [Dossier], La pierre d’angle, n° 65, p. 20-55 5 LANG Jack, Ouvrons les yeux ! : la nouvelle bataille du patrimoine, Paris, Editions HC, 2014 (p.08) 3

8 | Introduction : Changement de paradigme du sacré au profane

Introduction : Changement de paradigme du sacré au profane | 9


Pour ce faire, nous commencerons par nous intéresser à la reconversion des édifices religieux

à l’échelle internationale afin de déterminer s’il s’agit d’une pratique globalisée ou si ce phénomène revêt des formes différentes en fonction du pays dans lequel il se situe. Autrement dit, la pratique estelle toujours la même ou s’adapte-elle aux coutumes locales ? Ce questionnement prendra appui, en premier lieu, sur le Canada puisque ce pays se positionne comme pionnier en matière de reconversion du patrimoine religieux. En effet, cette pratique existe outre-Atlantique depuis près d’un siècle. En ce sens, le pays s’impose comme une référence en matière de réemploi du patrimoine sacré en y instaurant de nouveaux usages. Puis, nous élargirons ce cadre en analysant la reconversion des édifices religieux dans d’autres pays anglo-saxons, comme l’Angleterre de tradition protestante. Mais nous questionnerons également les formes que prend cette pratique dans des pays aux traditions catholiques très ancrées comme l’Espagne.

Nous recentrerons ensuite la réflexion sur le territoire français et plus précisément sur les

trois figures majeures que peuvent prendre les reconversions d’anciens lieux de culte. En effet, suite à un classement typologique des programmes instaurés dans les édifices désacralisés, trois postures se dégagent. Tout d’abord, la transformation d’un lieu de culte en lieu culturel ou en centre humanitaire et social qui apporte une forme de prolongation des valeurs initialement véhiculées par l’Église, appelée posture de continuité. Celle-ci sera développée à travers l’étude du théâtre Dijon-Bourgogne. A l’opposé, se trouve la posture de rupture qui vise à affirmer le changement de destination du bâtiment de façon assez radicale comme l’illustre l’ancienne église Notre Dame des Grâces à Toulouse. Elle accueille désormais des bureaux d’entreprises ainsi qu’une banque. Enfin, une posture plus flexible se dégage avec la polyfonctionnalité, qui permet une mixité d’usages. Cette attitude se retrouve notamment dans l’Archipel à Paris, ancien couvent abritant des activités nombreuses et variées qui convergent toutes vers un unique but : l’innovation sociale.

Pour finir, la reconversion des édifices religieux, ne peut être pensée en dehors de son contexte

physique, géographique et sociétal. C’est pourquoi nous nous intéresserons plus particulièrement à la dimension politique et sociale du phénomène, c’est-à-dire aux principaux acteurs qui mettent en oeuvre et façonnent cette pratique. Le réemploi du patrimoine sacré à des fins profanes induit indubitablement un questionnement sur la posture qu’adopte l’Église vis-à-vis du devenir du patrimoine qu’elle se voit contrainte de céder. Mais également, par le caractère universel et la valeur spirituelle de ces bâtiments, des débats sociétaux se posent et suscitent nombre de réactions au sein de la population. Ces controverses entraînent une forme de pression sociale qui semble réguler l’offre programmatique, et de fait, cette nouvelle ère qui s’offre au patrimoine religieux.

10 | Introduction : Changement de paradigme du sacré au profane


Nous commencerons par nous intéresser à l’état actuel de la question de la reconversion des

édifices religieux à l’échelle internationale. En effet, le réemploi des bâtiments ayant des vocations diverses, aussi bien profanes que sacrées, existe de longue date et a notamment été identifié dès l’Antiquité9. Toutefois, il ne s’agit pas dans ce mémoire de retracer l’entièreté des phénomènes historiques concernant la reconversion des édifices religieux depuis leur genèse, mais davantage de re-situer les évènements relativement récents ayant conduit à la forme contemporaine de cette pratique, et l’accélération du phénomène au cours de ces vingt dernières années.

01.

LA RECONVERSION DES ÉDIFICES RELIGIEUX : UNE PRATIQUE GLOBALISÉE ?

Dans un premier temps, nous appliquerons notre réflexion aux formes que revêt ce type

d’interventions au Canada. Bien que le phénomène se soit développé rapidement en France au cours des vingt dernières années, il prend racine outre-Atlantique. Nous interrogerons alors les programmes profanes qui prennent place dans les édifices anciennement voués au culte. En effet, puisque le Canada est précurseur en la matière, il constitue un laboratoire d’expérimentations et se positionne donc comme une référence majeure. Peut-on alors déterminer sur ce territoire des initiatives, en place ou émergentes, qui sont en proie à se développer davantage ? En ce sens, des situations exemplaires pour la France sont-elles identifiables ?

Nous élargirons ensuite notre vision à d’autres pays à travers le monde afin de questionner

la pratique de reconversion des anciens lieux de culte. Doit-on parler d’une pratique ou distinguer des pratiques qui divergent ? En d’autres termes, ce phénomène est-il globalisé ? C’est-à-dire est-ce que les pays qui pratiquent la reconversion adoptent des attitudes diverses face à cette question ? Ou alors, ce type d’intervention est-il caractérisé par une forme d’hétérogénéité ? On se demandera si la reconversion des édifices religieux se retrouve réellement de façon générale à l’échelle mondiale ou s’il est circonscrit dans certaines régions du monde ?

Référence ici à la cathédrale de Syracuse en Sicile COURBON Dora, PLOYE François, « Reconversion du bâti ancien » [Dossier] , Les cahiers techniques du bâtiment, n° 336, octobre 2014 9

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 13


01.

On observe cependant une nette accentuation du nombre de fermetures et de ventes d’édifices religieux depuis le début du XXIème siècle. En effet, d’après le Conseil du patrimoine religieux du Québec, 10 % des bâtiments cultuels étaient en 2012 « visés par une fermeture, une vente ou une transformation physique »12.

LE CANADA : Quasi-centenaire en la matière

On estimait par ailleurs, à cette même date, à 700 le nombre de bâtiments anciennement sacrés abritant alors des usages profanes13. Ce chiffre représente tout de même un peu plus du quart des édifices religieux canadiens. On observe en ce sens un véritable bouleversement en profondeur de l’image et de la fonction

Nous débuterons par nous intéresser au phénomène de réemploi des édifices religieux.

Comme annoncé précédemment de façon brève, la pratique contemporaine de reconversion des lieux de culte prend racine outre Atlantique, au Canada et plus précisément dans la province de Québec. Notons que la majeure part du patrimoine religieux canadien relève de l’Église protestante et non catholique comme nous sommes accoutumés à la vivre en France, et plus largement en Europe. Cette subtilité théologique induit un rapport différent au patrimoine sacré dès ses usages initiaux, tant en terme de rites, que de croyances mais aussi dans la conception de l’architecture elle-même.

allouée au patrimoine religieux.

C’est le patrimoine relativement récent, bâti entre 1950 et aujourd’hui, qui est principalement touché

par ce phénomène. Ceci s’explique notamment par l’échelle plus modeste de ces constructions. L’architecture étant moins ostentatoire, les volumes étant conçus à une échelle moins monumentale et les signes spirituels étant moins abondants, les interventions sur ce type de bâtiments se révèlent plus simples à rentabiliser économiquement. Il parait en effet plus aisé de changer la fonction d’une église en béton dépouillée de tout élément superflu plutôt que de trouver une nouvelle vocation à une cathédrale gothique dans laquelle les éléments de décor surabondent. Par ailleurs, la plupart du temps ces bâtiments sont implantés dans des sites assez vastes qui laissent la possibilité de bâtir des extensions, voire même d’ajouter des constructions neuves induites par le nouvel usage profane apporté dans l’édifice.

a. Histoire de la pratique

1925

1960

1970

2000

Nous allons nous intéresser de façon plus précise à l’histoire ayant conduit aux formes actuelles de

reconversion des édifices religieux canadiens. Ce phénomène est initié au début du XXème siècle au Québec.

Création de l’Église Unie du Canada

Dès 1925, un premier mouvement de ventes des bâtiments à usages cultuels s’opère. Il est motivé par la

Destruction de nombreux bâtiments religieux par des opérations de rénovation urbaine

création de l’Église Unie du Canada qui regroupe sous sa houlette plusieurs congrégations protestantes. Ce rassemblement entraîne une mutualisation du patrimoine immobilier sacré et de fait, il engendre l’abandon

Politique d’État de réappropriation des chapelles à des fins culturelles

d’une certaine proportion de celui-ci, vraisemblablement les édifices les plus modestes. Mais, l’intensification

Démocratisation du phénomène de reconversion des édifices religieux

du phénomène est véritablement lancée par une politique étatique des années 1960. Cette dernière vise à se réapproprier de nombreuses chapelles qui étaient sous-utilisées, voire totalement inexploitées. Elles sont alors

Rappel des principaux jalons historiques qui ont conduit à la forme actuelle de reconversion des édifices religieux au Canada

destinées au secteur de la culture, et plus exactement, à celui de l’éducation. Ces anciennes chapelles sont alors transformées en bibliothèques d’écoles primaires et de collèges. Lors de la décennie suivante, le Canada est confronté à la destruction d’une grande partie de son patrimoine religieux. Cette perte est notamment occasionnée par des opérations urbaines de rénovation qui sont appliquées à l’échelle de quartiers entiers. Elle touche dans des cas extrêmes, comme à Montréal, jusqu’à 1/3 des édifices religieux présents sur le territoire altérant alors le paysage de la ville de façon irréversible en 10

faisant disparaître une partie de son histoire. Fort heureusement, ces destructions traumatisantes ne sont 11

pas révélatrices d’une tendance dominante et aucune démolition n’a été recensée au cours des dernières années sur le territoire canadien.

Toutefois, avant d’observer plus en profondeur les formes que prennent les reconversions

d’édifices religieux au Canada, il nous faut préciser que ce phénomène n’est pas uniforme sur le 1925 1960 1970 2000 territoire. On peut notamment souligner les spécificités de la métropole québécoise qu’est Montréal. En effet, elle est caractérisée par la multiplicité des religions présentes au sein de sa population, et de fait, par le nombre accru d’édifices sacrés qu’elle accueille. Montréal se positionne en ce sens comme un réel catalyseur des réflexions sur le devenir du patrimoine cultuel. Pourtant, puisqu’elle constitue une forme de microcosme, la Métropole n’est pas forcément représentative de l’état de la question sur le territoire québécois, et plus largement, canadien. Dans cette mesure, bien que Montréal s’impose comme chef de fil en la matière, les données, notamment statistiques, qui la concerne sont à nuancer. Elles ne sont pas nécessairement révélatrices de l’état du phénomène au Canada.

BERNIER Lyne, pdf en ligne de son analyse, La conversion des églises à Montréal, Etat de la question, 2011 URL : https://patrimoine.uqam.ca/upload/files/membres/JSEAC_int_V36_N1_Bernier.pdf 11 « Le détruire, c’est dépasser son droit. » Victor Hugo, Note sur la destruction des monuments, 1825 cité par LANG Jack, Ouvrons les yeux ! : la nouvelle bataille du patrimoine, Paris, Editions HC, 2014 (p. 07) 10

14 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

LEROUX Rémi, site officiel de l’ordre des architectes du Québec, « Conversion d’églises, Il était une foi », date de parution inconnue URL : https://www.oaq.com/esquisses/archives_en_html/patrimoine_architectural/dossier/conversion_deglises.html 13 Ibid. 12

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 15


Afin de comprendre le paysage actuel de la question du réemploi des bâtiments anciennement destinés

Ce qui est sous-tendu par le terme de continuité est une manière de faire perdurer certains

à accueillir des usages sacrés et cultuels, l’argumentaire qui suit s’appuie au maximum sur des données

idéaux portés initialement par le bâtiment lorsqu’il occupait encore sa fonction sacrée. De façon

collectées sur l’ensemble des régions qui composent le Québec.

évidente, il recouvrait à l’origine des valeurs de rassemblement. En effet, la population se regroupait autour de mêmes croyances, sans aucune distinction en fonction du niveau de vie et du statut socio‑professionnel. L’unique but était alors de communier ensemble avec Dieu. Mais, l’Église milite

b. Des reconversions diverses

également pour diffuser la culture et l’éducation au plus grand nombre. En effet, le premier rôle de l’art sacré était d’être un média permettant d’enseigner à chacun l’idéologie chrétienne, y compris aux publics les plus pauvres et les moins instruits. L’institution prône également l’art et la culture qui sont omniprésents, notamment par le biais de l’architecture, des sculptures, des chants ou encore

Nous allons à présent nous intéresser de façon plus précise, aux différents types de reconversions

opérées sur le territoire canadien. Il ne s’agit pas d’étudier les procédés architecturaux mis en œuvre lors de ce type d’intervention, mais davantage de questionner les nouveaux programmes appliqués à ces bâtiments. Nous allons plus précisément nous rapporter aux usages profanes qu’accueillent aujourd’hui ces anciens édifices religieux. En effet, nous ne traiterons pas ici des cas d’églises et autres chapelles ayant été vendues à d’autres traditions religieuses que celles qui relèvent de la chrétienté. Rappelons que les bâtiments protestants et catholiques représentent la majeure part du patrimoine sacré canadien. Nous pouvons toutefois mentionner le fait que ce type de reconversions touchait en 2012, 12,6% des bâtiments religieux reconvertis au Québec. Nous mettons également à l’écart la proportion de bâtiments à vendre à cette même période (10,5%), ceux dont l’usage après reconversion est inconnu (6,7%) ainsi que ceux n’ayant pas encore trouvé de nouvelle fonction (5,2%)14.

initialement une grande valeur spirituelle et un rôle symbolique intrinsèque. On observe une importante diversité des programmes architecturaux insufflés dans ces lieux. On peut alors tenter d’établir deux typologies de postures vis-à-vis de la reconversion : la rupture et la continuité.

Bibliothèque Bureaux Commercial Communautaire Culturel Ins�tu�onnel Mul�fonc�onnel Plateau spor�f Résiden�el

Condo Logements mul�ples Logements personnes âgées Individuel

communautaires et culturels, ainsi que des usages institutionnels. L’Église est l’une des plus vieilles institutions du monde.

Ce type d’intervention qui ne contraste pas excessivement avec la fonction initiale semble le

plus simple à mettre en place. En effet, ce genre de posture ne suscite pas de vives réactions et se trouve particulièrement bien reçue par le public, aussi bien croyant que non croyant. Passer «d’un lieu de culte à un lieu de culture»15 semble admis et inscrit dans l’imaginaire collectif comme une solution tout à fait acceptable de renouveau. Il faut toutefois se méfier de ces idées reçues.

Notons par exemple que bien qu’historiquement les premières reconversions de masse aient

concerné la transformation des bâtiments religieux en bibliothèques, ce type de programme représente signifie pas pour autant que ces opérations soient des plus rationnelles.

Même si elles n’engendrent pas des modifications radicales du volume initial la plupart du

temps, ces interventions ne se révèlent pas toujours rentables au vu des coûts engendrés par les travaux mais aussi par le fonctionnement des structures dans de tels volumes. Par ailleurs, la réalisation de ce type de reconversion se révèle souvent être faite au détriment de la fonctionnalité. Cette problématique s’illustre notamment à travers le cas de l’ancienne église anglicane St Matthew au Québec qui se révèle

Quan�té d’édifices concernés 8 3 29 63 66 9 36 9

%

inadaptée à la fois au travail des bibliothécaires mais aussi inconfortable pour les usagers16. On est

1,7 0,6 6,1 13,2 13,8 1,9 7,5 1,9

alors en droit de se questionner sur le bien-fondé de telles opérations : si la reconversion entrave les

86

18,1

Ce terme, par opposition à la continuité évoquée précédemment, qualifie une attitude qui consiste à

09 10 08 59

Autres (à vendre, inconnu, autres religions…)

BERNIER Lyne, Op. Cit

16 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

usages actuels, est-elle réellement pertinente ? Ne serait-il pas préférable d’adopter une posture de changement radical qui engendrerait certes des travaux plus conséquents, mais ne permettrait-elle pas davantage de ré-actualiser l’usage de ces bâtiments ?

On en arrive ainsi à se questionner sur la posture de rupture vis-à-vis de la fonction initiale.

affirmer de façon assez radicale le changement de destination de l’édifice en proposant des programmes 167

35,2

Nouveaux usages accueillis dans les églises reconverties au Québec en 2011 (Source Lyne Bernier)

14

religieux. On peut alors réunir sous l’intitulé de continuité les programmes de bibliothèques, de centres

seulement 1,7 % des opérations. Bien que cette posture de continuité soit largement admise, ceci ne

On peut alors se concentrer sur les nouveaux usages instaurés dans ces édifices qui avaient

Catégorie d’usage

des reliques... Ces éléments participent d’ailleurs aujourd’hui à l’attractivité touristique des édifices

totalement différents de la fonction et des valeurs initiales.

Luc NOPPEN, propos rapportés par LEROUX Rémi Op. Cit. 16 Ibid. 15

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 17


On peut compter parmi cette catégorie les reconversions en logements, en structures commerciales,

On constate qu’à priori aucune de ces deux postures ne se démarque. On a une répartition quasi

ou encore en bureaux s’éloignant clairement des idéaux spirituels portés par l’Église pour s’orienter

égale du nombre de reconversion en rupture et en continuité avec la fonction et les idéaux initiaux.

au contraire vers une quête matérielle et la recherche de profit. On comprend également dans cette

Notons que le type de programme qui domine reste bel et bien celui du logement, comme annoncé

posture les autres équipements sportifs dans lesquels la culture du corps est bien loin des mœurs

précédemment. Mais, face à l’échec constaté de ce type d’intervention, un autre programme émerge.

religieuses.

Les plateaux sportifs se développent et se multiplient dans les anciens lieux de culte. On peut alors se questionner sur le fait qu’ils tendent à devenir une solution dominante lors de la reconversion du

On constate dès lors une très large proportion de reconversions en logements, elles représentent

patrimoine religieux ?

d’ailleurs le plus grand nombre d’opérations puisqu’elles sont appliquées à 18.1% des anciens édifices sacrés du Québec. De ce fait, cette pratique est également bien admise dans l’imaginaire collectif17. Elle

ne semble pourtant pas être amenée à perdurer puisqu’elle se révèle la plupart du temps être un échec18.

programmes sportifs : « [...] il était difficile d’imaginer, il y a à peine quelques années encore, que ces

bâtiments accueilleraient des activités sportives et récréatives mixtes [...]19 ».

Premièrement, car ce type de reconversion engendre de lourds travaux afin de fractionner le

Selon Lyne Bernier depuis quelques années, un tabou est tombé avec le développement des

volume initial en surfaces et donc rentabiliser le projet. Il est d’autant plus difficile de réaliser ce type d’opération puisque la production de logement est tenue par une réglementation assez précise et

c.

relativement contraignante dans le cas de réemploi d’un bâti existant. On est dès lors confronté aux questions structurelles et thermiques qui ne sont pas rentables à régler pour les promoteurs qui mettent

Émergence des plateaux sportifs

en œuvre ces projets. Aux yeux de ces investisseurs, la dimension patrimoniale est reléguée au second plan dans les projets, c’est bien le profit qui prime.

C’est donc à ce type de programme émergent que nous allons nous intéresser plus précisément

Ayant désormais en tête les limites fréquentes de chaque type d’intervention, on peut se

et ce, à travers l’exemple de l’ancienne église Christ-Roi à Sherbrooke, aujourd’hui reconvertie en centre

questionner sur ces deux postures : la pratique canadienne se tourne-t-elle davantage vers une posture

d’escalade. Le centre Vertige Escalade prend place dans cette église bâtie au début des années 1940. Ce

de rupture ou de continuité vis-à-vis de son patrimoine religieux ?

patrimoine est relativement récent, ce qui corrèle les premières observations sur la date de construction des bâtiments majoritairement touchés par les reconversions. Le plateau sportif a été ouvert en avril 2009 alors que le lieu de culte était fermé depuis mai 2006. Le programme ne se limite pas à l’escalade, on trouve également des locaux sportifs en sous-sol qui sont destinés à accueillir une école de danse et

1 A A1 1

A

une école de de karaté. Le presbytère adjacent abrite désormais un centre d’éducation spécialisée. 2

RUPTURE RUPTURE RUPTURE

B

B

2 2

B

CONTINUITE CONTINUITE CONTINUITE 1. Bibliothèque 1.1.Bibliothèque Bibliothèque 2. Communautaire 2.2.Communautaire Communautaire 3. Culturel3.3.Culturel Culturel 4. Ins�tu�onnel Ins�tu�onnel 4.4.Ins�tu�onnel

A. Plateau spor�f A. Plateau spor�fspor�f A. Plateau B. Logement B. Logement B. Logement C. Bureau C. Bureau C. Bureau D. Commerce D. Commerce D. Commerce C

C D

C

D

4

3

D

4

3 3

4

Répartition des reconversions entre la posture de rupture et de continuité au Québec (Source Lyne Bernier)

17 18

LEROUX Rémi Op. Cit. BERNIER Lyne Op. Cit.

18 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

Commençons par mentionner le fait que la société « Vertige Escalade » est à l’origine de

ce projet. L’occupation de ce volume particulier émane donc d’une attitude réfléchie et non d’une contrainte ou d’une opportunité offerte par un promoteur extérieur. D’autant plus que cette société n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle avait déjà auparavant reconverti une autre église en centre d’escalade. Lors de la vente du bâtiment destiné à cette reconversion, une clause obligeant l’entreprise à retirer tous les signes religieux a été incluse dans l’acte de vente. En théorie, dès la cérémonie de désacralisation du bâtiment, tous les signes religieux sont retirés mais ceux-ci persistent parfois jusqu’à la vente comme dans l’église Christ-Roi. Ce retrait est nécessaire car il ne s’agit pas de détourner les objets de culte, ni de blasphémer mais simplement de se réapproprier le volume différemment.

Du point de vue extérieur, l’architecture initiale a été très peu altérée (Fig. 1, p.21). Ce respect

du patrimoine s’est imposé comme une contrainte primordiale au projet puisque sa valeur a été qualifiée d’ « exceptionnelle » par le Conseil du Patrimoine religieux du Québec. D’ailleurs, au premier regard, on ne décèle pas nécessairement le changement de vocation auquel l’édifice a été sujet.

19

BERNIER Lyne Op. Cit. 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 19


Les retables en croix de la façade ont été conservés avec leurs vitraux, en dépit de l’obligation d’ôter les signes religieux (Fig. 2). En effet, leurs retraits se seraient révélés bien trop complexes à réaliser. En ce qui concerne les autres ouvertures, les vitraux ont été troqués contre des vitrages classiques en verre. Un seul indice, situé au dessus de la porte d’entrée trahit la présence du plateau sportif. On a effectivement convoqué le vocabulaire de l’art religieux pour réaliser l’imposte en vitrail sur lequel figure le logo du centre d’escalade (Fig. 3).

A l’intérieur, les traces de la pratique cultuelle sont réduites au minimum. En effet, les vitraux

qui ont du être conservés sur les retables sont en partie masqués par les structures d’escalades qui sont réparties le long des quatre murs pignons (Fig. 4). Le chemin de croix a quant à lui été remplacé par des photos de sport en plein air.

On retrouve dans cette opération la posture de rupture vis-à-vis des idéaux initialement

véhiculés par l’institution religieuse. Celle-ci ne s’opère pas du point de vue architectural puisque le

Figure 1.

Vue générale du centre d’escalade

centre d’escalade apparaît comme une véritable opportunité de pouvoir exploiter le volume offert par le bâtiment dans sa configuration initiale, sans l’altérer grandement. Aucun élément d’origine n’a été détruit, des structures ont été ajoutées (Fig. 5). Toutefois, on observe que l’activité sportive contraste assez nettement avec les valeurs de l’Église. En effet, la pratique sportive induit une mixité des publics reçus. Ils se réunissent autour de la culture du corps, là où l’Église prône davantage un effacement des corps afin d’établir des liens pondérés entre les individus. « Le corps humain est le support par lequel une personne se fait connaître.20 » Il constitue en ce sens un média d’interaction mais ne constitue pas un élément remarquable en soi qui mérite d’être promu ouvertement.

Figure 2. Retable de la façade principale

Figure 3. Réinterprétation de l’imposte en vitrail

Au-delà de la question programmatique, le projet semble avoir eu un impact véritablement

positif sur le quartier. Il a été relativement bien accueilli par les riverains. Selon le Conseil du Patrimoine Religieux21, ce succès tient à l’ouverture de l’édifice reconverti au public bien qu’il accueille des activités gérées de façon privée. Ce facteur ne paraît pas être l’unique raison de ce succès. En effet, on peut supposer que l’acceptation du projet par le public se fasse plus facilement, lorsque, comme ici, l’Église soutient la démarche de reconversion. Pour l’anecdote, « Le curé de l’époque est soulagé lorsqu’il apprend que des acheteurs souhaitent donner une seconde vie à l’église.22»

A une échelle plus large que celle de l’ancienne église Christ-Roi, l’Église du Canada semble

se montrer assez ouverte au phénomène de reconversion de son patrimoine. On peut notamment

Figure 4.

Mur d’escalade construit devant le vitrail conservé sur le retable

mentionner la pratique assez inédite qui se déroule chaque week-end à l’église Très-Saint-Rédempteur de Montréal. Elle est toujours en fonction mais la paroisse se retrouve dans l’incapacité d’assurer les dépenses liées à l’entretien de l’édifice. Elle accueille des activités profanes dans son sous-sol. BOULAGNON André, site officiel de l’église Paris Métropole, « Série Le corps humain : image de l’Église », le 22/06/2008 URL : http://www.monegliseaparis.fr/sermon/s%C3%A9rie-le-corps-humain-image-de-leglise-1/ 21 Auteur inconnu, site officiel du conseil du patrimoine religieux du Québec, « Les églises réinventées », date de parution inconnue URL : http://www.patrimoine-religieux.qc.ca/fr/publications/eglises-reinventees 22 Ibid. 20

20 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

Figure 5. Ajout de structures d’escalade à l’intérieur du volume initial de l’église 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 21


Plus précisément, elle héberge des matchs de catch gratuits, après lesquels une quête est organisée23. La liberté qui marque toutes les interventions sur les bâtiments anciennement sacrés est certainement motivée en partie par l’acceptation de cette pratique par l’Église elle-même. Plus que l’acceptation, on peut même affirmer qu’elle encourage la reconversion.

Pour conclure, les intérêts patrimoniaux semblent pouvoir transcender la notion de symbolique

dans le contexte canadien mais jusqu’à quel point ? Tous les programmes de reconversion peuvent-ils être acceptés par l’opinion publique et par Église canadienne ? Cette posture est-elle propre à ce pays ou la notion de patrimoine prévaut-elle également ailleurs dans le monde ?

02.

VERS UN PHÉNOMÈNE MONDIAL ?

Il est alors légitime de se demander si l’attitude canadienne dans laquelle la reconversion des édifices

religieux est totalement admise et courante fait figure d’exception à l’échelle mondiale ou si cette posture se retrouve dans d’autres pays ? D’ailleurs, dans quels pays ce type d’opérations s’observe-t-il ? En d’autres termes, le réemploi du patrimoine sacré pour des usages profanes est-il révélateur d’une pratique mondiale ou est-il localisé de façon très définie dans certaines régions du monde ? Les pays qui procèdent à la reconversion de leur patrimoine religieux partagent-ils les mêmes caractéristiques culturelles et un rapport semblable à la religion ? Peut-on alors discerner une seule et même pratique ou observe-t-on des postures qui se modulent et s’adaptent à la culture et aux mœurs de chaque pays ? En d’autres termes, peut-on qualifier ce phénomène de globalisé ou relève-t-on des subtilités dans les formes qu’il revêt en fonction du contexte ? En somme, ce terme qualifie-t-il réellement une attitude unique et générique ou celui-ci mériterait-il davantage de nuances ?

Premièrement, la reconversion des bâtiments religieux semble en marche à l’échelle internationale. En

effet, dans un article non exhaustif, Benoit Sagazan recense des initiatives présentes dans de nombreux pays d’Europe comme en Allemagne, en Belgique, en Irlande, en Italie, aux Pays‑Bas, etc., mais également sur d’autres continents notamment au Canada, à Singapour ou encore aux États‑Unis24…De façon assez évidente, tous ces pays n’ont pas les mêmes traditions religieuses. De fait, ils n’entretiennent pas le même rapport à leurs lieux de culte dès leur vocation initiale. Ceci invite à penser que cette diversité se retrouve dans l’attitude adoptée lorsque ces biens immobiliers intègrent la société profane. Effectivement, tous ces pays ne pratiquent pas la reconversion de leurs bâtiments sacrés avec la même intensité.

On peut notamment établir rapidement une distinction d’attitude entre les pays anglo-saxons et les

pays de tradition latine25 comme la France, l’Espagne ou l’Italie. Ces derniers semblent plus frileux à l’égard du devenir profane de leurs bâtiments voués au culte. Bien que des opérations de réaffectation à d’autres usages des biens religieux voient le jour et tendent à se développer depuis quelques années, cette pratique n’est pas encore totalement adoptée et d’autres orientations sont privilégiées avant d’envisager des postures aussi audacieuses que la reconversion. Ces initiatives demeurent marginales dans les pays latins bien qu’ils soient confrontés aux problématiques génériques que posent les édifices religieux au XXIème siècle, à savoir l’entretien, la sauvegarde, la baisse de fréquentation par les fidèles, etc. A l’inverse, les pays anglo-saxons et nord européens semblent davantage ouverts à ce genre de pratiques. Comme nous avons pu le voir au Canada, ce processus est pour eux un moyen de sauvegarder leur patrimoine qui transcende la valeur spirituelle. Cette ouverture d’esprit s’explique en partie par le fait que ce type de pratique soit instauré dans ces pays depuis davantage d’années. SAGAZAN Benoît, Patrimoine en blog, Blog sur l’actualité du patrimoine historique depuis 2006, « Des églises qui n’en sont plus », date de parution inconnue URL : http://patrimoine.blog.pelerin.info/2010/10/20/des-eglises-qui-nen-sont-plus/ 25 DUMOULIN Laurent, pdf en ligne, Quelle avenir pour les églises françaises ?, Mémoire de master, École Nationale d’Architecture de Paris Val de Seine, 2008-2009 URL : http://fr.calameo.com/read/0000377319f43bfa0113f 24

BAUDET Clément, Slate France, « La reconversion des églises québécoises, un modèle pour la France ? », le 01/10/13 URL : http://www.slate.fr/story/77872/quebec-eglises-reconversion 23

22 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 23


a. Métissage d’usages sacrés et profanes en Angleterre Nous commencerons par nous intéresser à un pays anglo-saxon, qui peut à priori sembler présenter

des similitudes avec le Canada, l’Angleterre. Tout d’abord, ces deux pays sont de tradition protestante et n’entretiennent donc pas exactement le même rapport à leur patrimoine religieux que les communautés de confession catholique. On observe également dans ces deux pays que le phénomène du réemploi des édifices religieux se développe depuis bon nombre d’années. Comme vu précédemment, le Canada le met en place depuis presque un siècle et l’Angleterre le pratique depuis plusieurs décennies. La reconversion est de fait mieux ancrée dans l’imaginaire collectif, ce qui facilite la mise en œuvre de ce type d’initiatives qui tendent à se banaliser. Par ailleurs, on retrouve également dans ces deux pays anglo-saxons un rapport historique au lieu de culte assez libre et décomplexé. En effet, sans parler de reconversion et susciter de polémiques, les bâtiments ont eu des usages flexibles au cours de l’Histoire qui répondaient aux besoins immédiats de l’époque au même titre que les autres édifices de la ville. La question de l’utilité pour la population au moment présent prime sur les considérations théologiques, au point de les éclipser lors de la prise de décision d’affectation de nouveaux usages à l’intérieur d’un édifice. Ainsi, les bâtiments religieux ont pu être, au fil du temps, aussi bien des casernes de pompiers que des écoles de village par exemple. Aujourd’hui, les problématiques auxquelles est confronté le patrimoine religieux anglais sont semblables à celles qui se posent en France. En effet, les personnes chrétiennes représentent une part décroissante, et de surcroît vieillissante, de la population. Ce déclin de l’adhésion à la foi chrétienne est accompagné d’une augmentation du nombre de personnes se déclarant athées. On relève également une diversification des religions présentes sur le territoire qui se traduit par l’augmentation du nombre de groupes religieux représentés. Une fois le cadre général posé et ces similitudes en tête, nous allons maintenant nous intéresser aux spécificités de la posture adoptée en Angleterre.

On relève ici une réflexion de l’Église anglaise sur sa fonction et son rôle au XXIème

siècle avec une remise en question profonde de son mode de fonctionnement. Celle-ci aboutit à une volonté pour l’institution de vouloir actualiser son image et de s’ancrer dans la société contemporaine.

De façon concomitante à la pratique qui vise à une reconversion totale du patrimoine religieux

telle qu’elle existe au Canada, le pays adopte une posture qui lui est propre. L’ Angleterre tend à développer également une attitude de reconversion partielle qui se matérialise par une co-utilisation des locaux. C’està-dire que les bâtiments sacrés conservent leur fonction initiale mais enrichissent et diversifient leur offre programmatique. En d’autres termes, un édifice accueille dans le même temps, aussi bien des usages sacrés que profanes. Cette pratique n’est pas ancrée dans les mœurs au même titre que peut l’être une reconversion totale puisque c’est une innovation récente, apparue au cours de la dernière décennie. Elle n’est pas pour autant anecdotique et s’impose comme une solution alternative à promouvoir. Ce type d’initiatives relève du programme « Open and Sustainable » lancé par l’Église d’Angleterre. Le but de cette démarche est d’encourager une « utilisation plus large, plus imaginative et plus stratégique » des bâtiments. L’objectif du programme est alors de redonner une réelle quotidienneté d’usages aux espaces sacrés en les démystifiant d’une certaine manière. « [...] cette approche créative et tournée vers l’extérieur a le mérite de maintenir les bâtiments historiques non seulement dans leur usage, mais aussi dans la vie des gens.26 ». Site officiel de l’Église d’Angleterre, « St Michael & All Angels, Witton Gilbert », date de parution inconnue URL : https://www.achurchnearyou.com/witton-gilbert-st-michael-all-angels/ 26

24 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

Ce programme d’ouverture des bâtiments et de l’Église vers l’extérieur concerne une

partie conséquente du patrimoine puisque l’opération vise à être appliquée à environ 16 000 bâtiments sacrés anglais. La mise en place de telles initiatives se révèle être un enjeu de taille dans les parties rurales du pays. En effet, dans ces zones les églises sont, la plupart du temps, les seuls espaces communautaires27. Ces bâtiments recèlent en ce sens d’un potentiel d’innovation sociale mais également se positionnent comme support d’amélioration des conditions de vie quotidienne dans ces espaces les plus reculés. En d’autres termes, le programme s’impose comme un moyen de combler certains besoins caractéristiques de ce type de situation et des modes de vie ruraux.

La formule « Open and Sustainable » ne doit pas être uniquement entendue dans son

sens le plus littéral. En effet, le terme « open » induit en premier lieu une ouverture aux publics divers. Tous les individus sont les bienvenus, aussi bien les croyants appartenant à la paroisse, que ceux de toutes autres confessions religieuses et encore les visiteurs curieux de passage. On retrouve en ce sens un renouvellement du désir d’ouverture au public, fondamental dans les édifices religieux depuis toujours. Les églises anglaises se tournent alors non seulement vers la population vivant à proximité immédiate mais souhaitent aussi rayonner à une échelle plus large que celle de la commune et pourquoi pas, aller jusqu’à attirer davantage de touristes par la même occasion. De plus, cette notion d’ouverture implique également un désir d’établir des partenariats avec la communauté alentour et certaines structures profanes notamment à des fins d’usages culturels pour encourager par exemple le tourisme ou l’éducation, par le biais d’activités fixes ou par l’organisation d’événements ponctuels.

Le terme « sustainable » quant à lui sous-tend, de façon assez pragmatique, la prise

en compte des considérations environnementales, avec une attention particulière portée à la réduction de l’empreinte écologique du bâtiment notamment lors de la réhabilitation. Cette notion de durabilité induit également la conservation du patrimoine de façon active, en l’habitant, en le pratiquant et en le réactualisant par les usages. On observe également un souci de viabilité et de pérennité économique, avec la mise en place d’un accompagnement des modèles juridiques et des financements convoqués lors de la mise en œuvre des nouveaux programmes complémentaires de la fonction cultuelle. Mais les considérations vis-à-vis de la pérennité ne se limitent pas aux contingences matérielles puisque les projets portés par le programme « Open and Sustainable » se veulent également socialement durables, c’est-à-dire mettre en place des liens solides et persistants entre les différents individus de la communauté. Site officiel du programme ChurchCare de l’Église Nationale d’Angleterre, date de parution inconnue URL : http://www.churchcare.co.uk/ 27

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 25


De façon plus factuelle, ce programme vise à diversifier l’offre programmatique supportée

USAGES SACRÉS

USAGES PROFANES

par les édifices religieux. De façon assez redondante, on retrouve par exemple dans le même temps, au sein d’un unique édifice, la pratique cultuelle et des espaces culturels comme des bibliothèques. Mais la mixité d’usages n’est pas toujours tournée vers des programmes culturels ou silencieux puisqu’on trouve également des lieux de culte auxquels sont adjoints des programmes commerciaux ou communautaires tels que des cafés, des salles de jeux pour enfants, et des commerces de proximité. Ce dernier programme est d’ailleurs assez répandu puisqu’on recense actuellement 245 magasins intégrés dans des églises et on estime qu’une vingtaine sera ouverte chaque année en Grande-Bretagne28. Or, le croisement de ces usages qui sont parfois aux antipodes donnent lieu à un empiétement des activités les unes sur les autres et génèrent des conflits d’intérêts. En effet, on se retrouve face à des situations dans lesquelles les usages profanes viennent perturber les cérémonies religieuses notamment lorsque les activités récréatives destinées aux enfants viennent interrompre le silence de la messe ou encore lorsqu’une conférence se tient en même temps qu’un moment de recueillement. Aucune disposition architecturale ou réglementaire n’a été prévue pour parer à ces désagréments. La

Figure 6.

Vue générale de l’église St Anges Michael & All

Figure 9. Organisation d’un jeu en plein air dans le jardin de l’église

Figure 7.

Intérieur de l’église vide

Figure 10. Organisation d’activités manuelles multi-générationnelles

Figure 8.

Messe à l’église St Anges Michael & All

solution de régulation afin d’alléger voire de résoudre totalement ces problématiques tient à la capacité de conciliation et d’écoute des différents publics pour alléger ces problématiques. La communauté religieuse a appris à composer avec ces tensions dans le but de « rendre leurs bâtiments plus vivants, en phase avec leur temps.29 »

Mais ces tensions ne se retrouvent pas nécessairement dans tous les programmes adjoints

à l’activité religieuse depuis 2011. Par exemple, l’église de Saint Anges Michael & All appartenant au diocèse du Durham accueille en plus de l’activité religieuse, un centre de santé et de bien-être nommé « Breathing Space ». Il prend place deux jours par semaine dans cet édifice religieux construit il y a 800 ans. Il bénéficie de surcroît d’un environnement privilégié, au delà du cadre rural, le bâtiment est adjacent à la réserve naturelle de Witton Dene. La mise en place du centre « Breathing Space » s’est accompagnée d’une rénovation de l’édifice religieux, l’actualisation des usages permet ainsi la sauvegarde du patrimoine pluri-centenaire. Le centre bénéficie du statut d’organisme de bienfaisance. Cette église se positionne comme un espace communautaire flexible tant lorsqu’elle accueille le centre de santé et de bien-être que dans sa vocation première. Elle met à disposition des espaces de bureaux, une cuisine mais aussi des espaces de réunion. Le budget de cette opération s’est constitué grâce à des dons directs, des subventions diverses et également grâce à l’appui du gouvernement local qui a participé au financement.

Le centre « Breathing Space » a pour but de permettre à des personnes de tout âge, y compris

aux enfants, de s’isoler de leur environnement quotidien en leur offrant alors une parenthèse propice à se recentrer sur soi et ainsi améliorer le bien-être émotionnel et mental. Pour ce faire, des activités de plein air sont organisées (Fig. 9). On compte notamment parmi elles des activités physiques, des promenades guidées à travers la réserve naturelle qui se déroulent aussi bien à pieds, qu’à vélo ou encore des parcours de sensibilisation à la nature avec des cours de découverte de la faune et de la flore. 28 29

Site officiel de l’Église d’Angleterre, Op. Cit. Ibid.

26 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

Figure 11.

Atelier créatif de couronnes de Noël

(Source : page Facebook l’église de Saint Anges Michael & All) 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 27


b. L’Espagne entre traditions et innovations

Ces temps d’exercices en plein air sont accompagnés de réflexions plus théoriques qui prennent

place dans l’église. Des cours de cuisine avec les plantes présentes dans la réserve naturelle, des ateliers créatifs (Fig. 10 et 11 p.27) et également des ateliers de méditation sont notamment proposés. L’église est employée comme support de base pour les dispositifs mis en place puisqu’elle est convoquée aussi bien en tant que point de départ pour les activités de plein air que comme enceinte pour les ateliers d’intérieur. Des activités plus ponctuelles sont également organisées et attirent d’autres populations à l’occasion d’événements multi-générationnels comme des concerts ou des jeux de pistes. Cet espace permet, par la flexibilité des usages, d’attirer des populations diverses et leur offre ainsi l’opportunité de se rencontrer et d’échanger. L’ouverture en alternance du bâtiment tantôt pour les usages sacrés, tantôt pour les usages profanes permet d’éviter au maximum les conflits d’usages (Fig. 6 à 11 p.27). De plus, comme les activités profanes se déroulent principalement à l’extérieur, elles n’entravent pas les rites religieux. Cette initiative encourage des personnes qui n’y allaient plus ou qui n’y étaient jamais allées, à fréquenter les églises. Elle aboutit, dans certains cas, à une adhésion et à une implication de ces personnes dans la paroisse. Le programme « Open and Sustainable » constitue en ce sens un moyen de rallier des fidèles à la foi chrétienne. Outre ces aspects favorables du point de vue théologique, le centre communautaire a permis de venir en aide a plus de 400 personnes issues de tous horizons. Ceci prouve un réel engouement de la population envers le programme lancé par l’Église d’Angleterre et montre un rayonnement de l’activité au-delà de la commune de Witton Gilbert.

En Angleterre, la question de la rupture ou de la continuité trouve donc une autre réalité que

celle qui se pose au Canada. Ici, puisque la vocation cultuelle perdure en parallèle des nouveaux usages, une forme de lien entre les programmes, aussi différents soient-ils, s’observe. Une sorte de continuité s’opère obligatoirement de fait par la co-utilisation. L’enjeu repose principalement, en Angleterre, sur la fluidité entre les différentes activités accueillies au sein d’un même bâtiment.

On pourrait penser, au vu des choix précédents de présenter des reconversions canadiennes et anglaises,

que cette liberté prise face à l’adaptation et la transformation d’édifices religieux est caractéristique des pays anglo-saxons. Mais les pays aux traditions catholiques très ancrées, voient également naître des reconversions assez audacieuses. Même si la reconversion de leurs édifices religieux est moins développée que dans les pays anglo‑saxons et que le phénomène ait actuellement moins d’ampleur dans ces pays, les opérations qui y sont réalisées n’adoptent pas nécessairement une posture de continuité, bien qu’elle soit jugée plus respectueuse de l’histoire du bâtiment et moins contestée par l’opinion publique, lors du changement d’usages. On observe également dans ces pays des postures innovantes qui s’affranchissent de la valeur spirituelle de ces biens immobiliers pour proposer des programmes résolument actuels contrastant grandement avec la vocation d’origine et en proie avec la société et les pratiques contemporaines.

Ce changement radical s’illustre parfaitement à travers la reconversion de l’ancienne église Santa Barbara

à Llanera dans la région des Asturies. C’est un patrimoine relativement moderne car l’édifice a été bâti en 1912. L’église a été abandonnée à partir des années 1930, suite à la guerre civile qui a ravagé l’Espagne. Elle a alors été confrontée à l’usure du temps et l’absence d’entretien durant plus d’un demi-siècle, le conduisant à menacer de s’effondrer. Ce bâtiment à l’abandon était alors dépourvu de toute utilité, demeurant une enceinte vide au sein de la ville. Il ne subsistait plus qu’en tant que repère urbain, sorte de décor vide constituant le fond de scène de l’environnement urbain ne proposant aucune intériorité. Suite à la prise de conscience de l’état physique critique dans lequel le bâtiment se trouvait, il a été mis en vente dans les années 2000, afin de tenter de trouver un moyen de le faire subsister. Il a alors été acheté par un collectif nommé « Church Brigade » qui n’a pourtant rien de catholique (Fig. 13 p. 32). En effet, ce collectif est composé d’amateurs de la culture urbaine contemporaine, à savoir des artistes de street art et des amateurs de sport de glisse et notamment de skateboard. Ils ont rénové le bâtiment grâce à une campagne de financement participatif lancée sur internet. Elle leur a permis de récolter 24 000€ et d’attirer l’attention de la firme Red Bull qui s’est jointe à ce projet unique au monde.

L’ancienne église accueille un programme en rupture totale avec les idéaux portés par

l’Église puisqu’elle abrite un skatepark depuis 2012 qui contraste grandement avec la vocation initiale. Du point de vue architectural, l’image extérieure du bâtiment reste intacte. L’enveloppe a été entièrement conservée dans son état d’origine (Fig. 12 p. 32). La seule modification réside dans le remplacement des vitraux initiaux par des fenêtres en verre transparent. Cette modification minimale est presque inévitable puisque les vitraux constituent des médias de la foi et doivent alors être ôtés au même titre que les autres reliques et objets de culte lors de la désacralisation ou de la transformation. L’image du bâtiment au sein de la ville reste alors inchangée et le changement de destination n’est pas visible de prime abord. Ceci ne signifie pas pour autant que ce projet de skatepark soit totalement intériorisé. En effet, bien que développé en partenariat avec la firme Red

28 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

Bull, ce lieu n’est pas privatisé et reste ouvert à tous. Par contre, la façade extérieure totalement conservée et faisant en ce sens toujours référence à la pratique cultuelle, contraste grandement avec l’intérieur du bâtiment.

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 29


En effet, le volume n’a pas été transformé puisque les structures des rampes de glisse ont

simplement été construites à l’intérieur du volume. Le changement majeur est constitué par les immenses fresques aux couleurs vives qui recouvrent aujourd’hui aussi bien le plafond que les murs du bâtiment (Fig. 14). Elles ont été réalisées par le graffeur Okuda San Miguel en l’espace de deux mois en 2015, quelques années après l’ouverture de ce spot. Les couleurs convoquées ainsi que la composition des fresques par fragments géométriques, marque de fabrique de l’artiste, ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les vitraux qui ornaient auparavant les fenêtres. On a ici une sorte d’inversion du rapport qui s’établit dans l’architecture sacrée d’origine, dans laquelle les murs sont dépouillés et les fenêtres sont le support d’expression et constituent le décor principal. Dans la reconversion, les murs sont prégnants et estompent la présence d’autres éléments.

Cette reconversion a permis d’éviter la destruction qui avait été entamée par les effets du

temps et par l’absence d’entretien. Elle a en somme permis la sauvegarde patrimoniale. Plus que cela, ce changement de vocation et le sponsoring constituent un nouvel essor non seulement à l’échelle de

Figure 12. Façade de l’église après sa transformation en skatepark

la ville mais aussi à une échelle plus large puisque le groupe Red Bull est connu pour l’organisation de compétitions liées aux sports extrêmes à l’international. La firme communique énormément sur ses actions notamment via les réseaux sociaux. L’opération constitue alors une sorte de vitrine attractive pour la ville, tant aux yeux des sportifs que pour les amateurs de street art.

Le changement de vocation radical est affirmé et assumé jusqu’au nom donné à cet espace sportif

qui a été nommé « Kaos Temple » dans une sorte de provocation vis-à-vis des polémiques que pourraient susciter une telle initiative dans le contexte d’une Espagne plutôt conservatrice. Ce projet, bien qu’il se place en rupture totale avec la vocation initiale de l’édifice ne semble pas avoir suscité de vives réactions. D’une part parce que l’église n’était plus occupée depuis bien longtemps, et que cette opération a permis de restaurer et donc de sauvegarder le patrimoine qui périclitait. La reconversion n’est pas révélatrice d’une pensée dominante mais que l’on observe tout de même des expérimentations et une certaine liberté avec un désir de bousculer les habitudes et de réinventer le patrimoine.

Figure 13. Intérieur de l’église lors de l’achat par la Church Brigade

Pour finir, à l’image du Canada, de l’Angleterre et de l’Espagne, de nombreux pays pratiquent la

reconversion de leur patrimoine religieux. Mais on observe tout de même des attitudes variées allant de la co-utilisation à un changement de vocation total et contrastant plus ou moins nettement avec les usages cultuels initiaux. La reconversion du patrimoine sacré peut alors s’apparenter à un phénomène global, marqueur de notre société contemporaine et d’un changement en profondeur de la pratique religieuse. Toutefois, le qualificatif « global » n’induit pas pour autant, dans ce cas, une pratique globalisée. En effet, celui-ci se retrouve dans des pays aux traditions et croyances différentes et n’est pas homogène. La reconversion du patrimoine religieux revêt des formes différentes en s’adaptant aux territoires et aux sociétés dans lesquels il prend place. Ce phénomène nommé par une seule formule englobe donc en réalité une pléiade de postures plus ou moins différentes les unes des autres. En ce sens, des nuances méritent d’être apportées lors de son emploi afin d’exacerber les particularités de chaque cas. Mais alors, quelle forme prend ce phénomène polymorphe en France ? L’hexagone est-il marqué par un seul type de reconversion ou observe-t-on une pluralité des postures adoptées au sein d’un même pays ?

Figure 14. Intérieur de l’église après reconversion en skatepark (Source : page officielle du projet Ink and Movement Iam, « Kaos Temple by Okuda San Miguel »)

30 | 01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ?

01. La reconversion des édifices religieux : une pratique globalisée ? | 31


Les initiatives analysées précédemment sont fortement intéressantes car porteuses d’innovations plurielles, tant en termes architecturaux, que sociaux et sont révélatrices d’une évolution du regard que nous pouvons porter sur les édifices anciennement sacrés. Mais, après avoir établi ce panorama de la situation internationale et distingué des reconversions qui s’adaptent et se modulent en fonction des pays dans lequel elles prennent place, nous allons nous intéresser plus particulièrement aux formes que revêt ce phénomène en France. Quels programmes pourraient permettre aux bâtiments sacrés de trouver le caractère, non pas immuable et immortel qu’ils avaient par le passé, mais du moins, viable et durable pour les décennies à venir ? Quelles sont les postures adoptées dans notre pays vis à vis du patrimoine sacré lorsqu’ils intègre le référentiel profane ? Quels programmes peuvent être accueillis dans ces bâtiments emblématiques du territoire, et ainsi, quelle identité la France du XXIème siècle se crée-t-elle ?

02.

TROIS FIGURES MAJEURES DE LA RECONVERSION

En recentrant la réflexion sur la France, il ne s’agit pas d’établir un panorama exhaustif de tous

les programmes de reconversion qui peuvent être mis en œuvre, mais davantage de nous intéresser à la matérialisation de trois postures de reconversion adoptées sur le territoire hexagonal. L’enjeu est de comprendre les problématiques inhérentes à chaque type de reconversion à travers un cas représentatif de chaque posture. Chacun d’entre eux catalyse les réflexions et problématiques inhérentes à chaque type de reconversion. Le premier exemple développé illustre la posture de continuité, la moins sujette aux polémiques. Celle-ci est la mieux admise par l’imaginaire collectif. Elle sera analysée à travers le cas du théâtre Dijon-Bourgogne, lieu culturel abrité par un édifice anciennement cultuel. Nous étudierons ensuite la posture de rupture qui soulève davantage de débats, comme annoncé préalablement. Ce développement s’appuiera sur l’étude de l’ancienne église Notre Dame des Grâces à Toulouse qui accueille désormais des emblèmes de la société de consommation. On y trouve en effet des bureaux ainsi qu’une banque. Enfin nous nous intéresserons à une autre posture plus conciliante. La polyfonctionnalité vise en effet à allier les deux attitudes présentées précédemment à travers une mixité d’usages. Celle-ci trouve une réalité à travers l’Archipel à Paris, un centre d’innovation sociale30.

Bien que ces opérations relèvent de postures différentes, les trois se situent toutes dans des

tissus urbains, elles occupent toutes également une localisation centrale à l’échelle de la commune, voire au-delà. En effet, ces opérations bien qu’audacieuses et se plaçant comme des expérimentations puisque le phénomène n’est pas très développé en France, ne sont pas reléguées en périphérie. Elles ne relèvent pas en ce sens d’un caractère anecdotique. Ces reconversions affirment dans le maillage le plus dense, allant de 0,53 édifices religieux par km² pour la ville de Dijon à 1,7 édifices religieux par km² pour la ville de Paris, le changement de regard et de posture vis-à-vis du patrimoine religieux au XXIème siècle. Ceci permet aux villes concernées de promouvoir leur image innovante, de précurseur en lien avec leurs temps, la société actuelle et les problématiques qui se posent à elle.

Site officiel de l’Archipel, date de parution inconnue URL : http://www.larchipel.paris/ 30

02. Trois figures majeures de la reconversion | 33


RAPPORT DES ÉDIFICES RELIGIEUX RECONVERTIS AVEC LE MAILLAGE SACRÉ DE LA COMMUNE

C O N T I N U I T É

Dijon

Superficie de la commune : 40.4 km² Nombre d’édifices religieux recensés : 33 Densité du maillage religieux : 0.82 bâtiment/km²

Localisation des trois cas d’étude sur le territoire français

R U P T U R E

Toulouse

POLYFONC TIONNALIT É

Paris

Superficie de la commune : 118.3 km² Nombre d’édifices religieux recensés : 63

Superficie de la commune : 105.4 km² Nombre d’édifices religieux recensés : 181

Densité du maillage religieux : 0.53 bâtiment/km²

Densité du maillage religieux : 1.7 bâtiment/km²

Église reconvertie étudiée Autres édifices religieux de la ville

34 | 02. Trois figures majeures de la reconversion

02. Trois figures majeures de la reconversion | 35


01.

DU CULTE AU CULTUREL : UNE FORME DE CONTINUITÉ Le théâtre Dijon-Bourgogne

Nous commencerons par nous intéresser à une reconversion qui illustre la posture de continuité

vis-à-vis des idéaux véhiculés initialement par les édifices sacrés. Premièrement, les bâtiments cultuels sont à la base ouverts à tous. Or, cette composante n’est pas suffisante pour parler de continuité étant donné que cette caractéristique se retrouve dans tous les bâtiments publics. Par exemple, les

Figure 17.

Volume intérieur de la salle de spectacle

Hall d’entrée accueillant des usages divers

commerces, bien qu’ouverts à tous, ne relèvent pas de la posture de continuité puisqu’on ne retrouve pas de parallèle avec la fonction sacrée. De plus, ce type de programme est représentatif de la société de consommation dont les valeurs sont aux antipodes de celles portées par l’Église. On compte davantage parmi la posture de continuité des programmes qui prolongent la vocation communautaire et de rassemblement des bâtiments cultuels. Cette continuité n’est pas nécessairement littérale et comprend par exemple des programmes de centres sociaux ou d’hébergement qui s’adressent aux populations les plus démunies et en difficulté. La posture de continuité englobe également les programmes prolongeant les idéaux d’éducation et de culture intrinsèques aux lieux de culte. En effet, ces bâtiments résultants d’une pensée globale dans laquelle se conjuguent l’art et l’architecture, promeuvent par ces médias une histoire, des croyances ainsi qu’un savoir-faire. Ainsi, cette continuité comprend des programmes d’équipements culturels qui prolongent cette vocation, comme les musées ou les bibliothèques dans lesquels règne de surcroît une atmosphère calme, semblable à celle des lieux de culte. Mais également,

Figure 15.

Façade du théâtre Dijon-Bourgogne

Figure 18.

Figure 16.

Ajout d’une signalétique discrète en façade

Figure 19. Espace de café prévu pour les entractes notamment

ce type de reconversion comprend des initiatives comme des salles de spectacle ou des cinémas qui exploitent les qualités, notamment acoustiques, d’un tel volume.

Ce dernier programme est d’ailleurs celui auquel nous allons nous intéresser plus spécifiquement

par l’étude de la transformation de l’église St-Jean en sa forme actuelle, la théâtre Dijon-Bourgogne. Le bâtiment a été édifié au XVème siècle et a été classé Monument Historique dès 1862. Or, déjà à cette date, il n’abritait plus des usages cultuels. Le bâtiment a en effet connu une histoire mouvementée puisqu’il a été dépourvu de sa fonction sacrée dès la révolution française. Depuis cette période, l’édifice a été utilisé tour à tour comme dépôt de fourrage, comme marché, comme bureau de pesage pour les porcs mais aussi comme entrepôt de farine. Suite à la reconnaissance de sa valeur patrimoniale par sa classification au titre des Monuments Historiques, l’église a retrouvé son usage cultuel jusqu’à sa désacralisation en 1973. Elle a alors constitué la réserve du musée des Beaux-Arts de la ville. Cet emploi à des fins purement utilitaires ne semblait pas être remis en cause jusqu’à l’endommagement du bâtiment par un orage dans les années 1970. La question de la réparation s’impose alors de façon assez nette. Celle-ci conduit à reconsidérer le rôle de l’édifice dans la ville dont il ne fait plus partie que par sa façade. Il n’est plus à disposition de la population puisqu’il est totalement privatisé et que les archives sont totalement intériorisées. Il n’est alors plus exploité que par la surface à disposition, dans une logique purement fonctionnelle. 36 | 02. Trois figures majeures de la reconversion

(Source : Site officiel du théâtre Dijon-Bourgogne) 02. Trois figures majeures de la reconversion | 37


Même sa valeur patrimoniale n’est pas exploitée, ne serait-ce que par l’organisation de visites. La Ville

Cette utilisation relève également d’une forme de continuité avec la pratique cultuelle initiale qui

se pose alors la question du devenir de cet édifice. Ne mérite-t-il pas que l’on y instaure un programme

débordait sur l’espace public et se saisissait de ce parvis. En effet, comme le relate Sophie Bogillot,

différent du stockage, qui permettrait de sauvegarder le patrimoine de façon active et en exploitant à

responsable des relations publiques du parvis St Jean, dès le Moyen-Âge des scènes de la Bible y étaient

meilleur escient cette ressource patrimoniale ? Tous ces questionnements amènent la municipalité à

jouées31.

envisager la reconversion de cette église dès 1974.

La spécificité de ce théâtre ne tient pas uniquement au bâtiment sacré par lequel il est abrité.

Suite à cette prise de conscience, le projet de reconversion a été lancé. L’ancienne église St

En effet, il bénéficie également du label de Centre Dramatique National (CDN). Celui-ci est garant d’une

Jean accueille aujourd’hui une salle de spectacle de 300 places. Ce programme est le plus important

qualité de la programmation qui est encadrée et contrôlée de près par le Ministère de la Culture. Plus

mais n’est pas le seul développé dans l’enceinte de l’ancien lieu de culte. En effet, un hall d’entrée est

précisément, le directeur d’un tel espace culturel se doit de «faire de son centre un lieu de référence

aménagé avec une partie bar qui permet de servir des collations pendant l’entracte ainsi qu’un espace

nationale et régionale pour la création et l’exploitation des spectacles créés par son équipe ; il s’efforcera

d’attente avec une bibliothèque fonctionnant selon un principe de troc (Fig. 18 et 19 p. 37). La valeur

également de diffuser des œuvres théâtrales de haut niveau. Il recherchera l’audience d’un vaste public

patrimoniale du bien immobilier est également exploitée en parallèle avec l’organisation de visites

et la conquête de nouveaux spectateurs. 32». Ce label assoit donc d’autant plus l’attractivité du théâtre

guidées une fois par semaine à des horaires différents de ceux des représentations afin de ne pas venir

Dijon-Bourgogne au-delà de l’échelle communale et assure un rayonnement à l’échelle régionale pour le

perturber l’activité principale. La posture de continuité qui régit le programme de la salle de spectacle,

public averti, voire même à l’échelle nationale.

se retrouve également d’une certaine façon dans le projet architectural. En effet, l’insertion de la salle de spectacle n’altère pas le volume originel. Du point de vue extérieur tout d’abord, l’intervention

Ce type de reconversion ne contraste pas énormément avec la vocation et l’atmosphère initiale

est minimale (Fig. 15 p. 37). Elle n’engendre aucune modification de la façade, hormis l’ajout d’une

de l’espace. De fait, il est celui qui soulève le moins de critiques. Cette posture de continuité semble

signalétique discrète au-dessus de la porte d’entrée (Fig. 16 p. 37). De même, le volume intérieur n’a pas

être la plus répandue en France. Toutefois cette idée reçue se doit d’être nuancée comme le précise

subi de modification radicale puisque la salle de spectacle est contenue dans un volume indépendant

Maxime Cumunel, le délégué général de l’Observatoire du patrimoine religieux, « les exemples [...] de

qui a été ajouté à l’intérieur du bâtiment selon un principe de boîte dans la boîte (Fig. 17 p. 37). Un

reconversion culturelle sont largement minoritaires. Sur 10 à 20 ventes chaque année, il y a une majorité

tel dispositif permet le respect le plus total du patrimoine mais laisse également la possibilité d’une

de rachat par des promoteurs 33». Toutefois les programmes culturels et communautaires demeurent

réversibilité de l’intervention. En effet, la configuration d’origine peut être rétablie à l’identique ou

les mieux reçus par le public. Ils semblent acceptables à la fois du point de vue historique, puisqu’ils ne

presque, ce qui offre de multiples possibilités d’aménagements et de programmes à mettre en place si

dénaturent pas l’essence même du bâtiment et sa conception, mais aussi, du point de vue théorique,

jamais le théâtre était amené à disparaître. La continuité trouvée par cette transformation de l’église

dans une sorte de rapprochement entre ces programmes sollicitant l’intellect et la générosité au même

en théâtre est tout de même à nuancer. En effet, cette activité, bien qu’ouverte à tous, est payante, ce

titre que cela pouvait être le cas lorsque les bien religieux occupaient encore leur fonction initiale. Ne

qui peut mettre à l’écart les strates les moins aisées de la population. On perd alors, dans une certaine

peut-on pas, dans une certaine mesure, rapprocher l’élévation intellectuelle de l’élévation spirituelle ?

mesure, le caractère universel que ces édifices ont pu avoir par le passé. Il est par ailleurs extrêmement compliqué de retrouver cette ouverture totale lors de la réaffectation d’usages. En effet, une sorte de

Ces programmes sont d’autant mieux reçus lorsque la posture théorique de continuité appliquée

privatisation par les usages, par la population à qui le nouveau programme s’adresse, ou encore par la

lors de l’élaboration programmatique se prolonge également aux dispositifs architecturaux convoqués.

tarification du droit d’accès, même minime, se met en place de façon quasi systématique.

Du point de vue architectural, la continuité se matérialise par des interventions respectueuses du patrimoine qui cherchent à le valoriser, aussi bien du point de vue extérieur qu’intérieur. L’enjeu

Comme vu précédemment, le bâtiment se situe en plein centre-ville de Dijon. Il est donc

n’est pas d’effacer sa présence au profit de la production d’espaces standardisés mais de composer

inclus dans le maillage sacré le plus dense de la ville et ne constitue pas une opération anecdotique

avec ses spécificités pour proposer des espaces atypiques. Cette réalité se retrouve, dans le cas du

ou expérimentale reléguée à la périphérie, bien que cette reconversion soit ultérieure au phénomène

théâtre Dijon‑Bourgogne, par l’ajout de structures démontables au sein du volume originel. Toutefois,

dans sa forme actuelle puisqu’elle a été réalisée au cours des années 1970. De par sa situation urbaine

l’architecture ne s’accorde par nécessairement avec la posture intellectuelle et on observe parfois une

centrale, la symbolique de cette reconversion est d’autant plus forte puisqu’elle affirme le changement

distorsion entre ces deux composantes du programme.

au cœur de la ville en réactualisant les usages du bâtiment. Cette intervention permet également de

31

redonner une forme d’attractivité au bâtiment non seulement à l’échelle du quartier mais également de la ville voire même au-delà. En effet, le théâtre n’est pas entièrement intériorisé et utilise pour certains évènements le parvis St Jean auquel il fait front.

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CAVACHE Sonia, Une seconde vie pour les églises : la reconversion contemporaine des églises et chapelles anciennes en France, Mémoire de master, École Nationale d’Architecture de Paris La Villette, 2014 32 ATOM, référentiel en ligne pour l’administration locale, page de définition du statut de Centre Dramatique National, date de parution inconnue URL : https://aaf.ica-atom.org/centre-dramatique-national-2# 33 VERDUZIER Pauline, version en ligne du journal Le Figaro, « Querelle de chapelle à Étretat », le 08/08/14 URL : http://www.lefigaro.fr/culture/2014/08/08/03004-20140808ARTFIG00241-etretat-l-esprit-de-chapelle-a-un-prix.php 02. Trois figures majeures de la reconversion | 39


Ainsi une réhabilitation en espace culturel peut parfois engendrer de lourds travaux de mise aux normes, notamment dans le cas de reconversion avec des programmes d’établissements recevant du public (ERP). Celle-ci tend alors à altérer de façon plus importante le volume et la spatialité initiale, au détriment des spécificités architecturales des biens religieux réhabilités.

02.

D’EMBLÈME RELIGIEUX À EMBLÈME DE LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION : LA RUPTURE Notre Dame des Grâces à Toulouse

Ce type d’opération qui adopte la posture de continuité semble être un élément de réponse

viable quant au devenir des édifices religieux désacralisés. Il parait tout à fait légitime et particulièrement bien admis par la majorité de la population. Toutefois, les programmes culturels et humanitaires ne semblent pas receler du potentiel nécessaire afin de constituer une réponse générique. Le maillage sacré du territoire français est en effet marqué par une extrême diversité tant architecturale que géographique à laquelle aucune réponse systématique ne serait adaptée. L’enjeu d’une reconversion est de permettre une réelle pérennité à l’édifice tout en réactualisant ses usages et en étant bénéfique, au minimum, pour la population à proximité immédiate. Or, les équipements compris dans la posture de continuité ne correspondent pas nécessairement à des besoins rencontrés dans l’ensemble des communes du territoire. En effet, les villes sont déjà dotées, pour la plupart, d’une offre culturelle relativement complète, qui ne compte pas forcément de réelles carences à combler, bien que celle-ci puisse tout de même toujours être enrichie. Or, si les édifices religieux doivent profiter à la population contemporaine et en améliorer autant que possible les conditions de vie, la pertinence de ce type de programme en milieu rural est d’autant plus délicate à établir. En effet, les communes les plus reculées ont des besoins en services de proximités et en commerces qui manquent de façon assez problématique. Mais alors, les édifices religieux sont-ils en mesure d’offrir une opportunité de mettre en place de tels programmes ? Quelles autres attitudes de reconversion que la continuité peuvent alors être envisagées ? Permettent-elles réellement des reconversions durables ou l’implantation de ce type de programmes est-il moins stable sur le long terme ?

Nous allons ainsi nous intéresser à présent à la posture qui s’oppose radicalement à celle de

continuité présentée précédemment, celle de rupture. Elle consiste à assumer pleinement le changement de vocation assez radical, parfois en contrastant de façon brutale avec les idéaux portés par les édifices religieux et promus par l’Église. Lors de la mise en place de tels programmes, l’enjeu ne tient pas à trouver un lien quelconque avec la fonction cultuelle mais cherche au contraire à s’en affranchir de façon assez nette. Autrement dit, il s’agit de faire au maximum abstraction de la fonction originelle du bâtiment ainsi que de sa valeur spirituelle afin de proposer des programmes en prise avec les besoins de la société actuelle, tant en termes de services, que de commerces ou de loisirs. L’enjeu est en somme de tendre vers une vision profane du bâtiment en le considérant en temps que bien immobilier dépourvu de toute signification supplémentaire. Les programmes qui résultent de telles réflexions sont notamment liés à la société de consommation. On trouve ainsi dans des lieux de culte désacralisés aussi bien des bureaux, révélateurs de l’économie actuelle principalement basée sur l’activité tertiaire, que des restaurants, ou encore, des centres commerciaux. Ces derniers sont d’ailleurs considérés comme les cathédrales du XXIème siècle, temples de la consommation dans lesquels la population se réunit de façon indifférenciée en fonction de son niveau de vie et de son statut socio-professionnel, bien que, dans ce cas, les idéaux qui fédèrent les individus soient davantage la quête matérielle que spirituelle. De plus, bien que ces personnes soient réunies dans un même espace, celles-ci n’interagissent pas pour autant et se sont les logiques individualistes qui priment. On recense également dans la posture de rupture, des activités contrastant assez nettement avec la vocation d’ouverture des lieux. Certaines opérations aboutissent même parfois à une privatisation extrême des biens immobiliers anciennement sacrés, notamment lors de la reconversion en logements. Comme vu à travers le cas canadien, cette posture comprend aussi la transformation des bâtiments cultuels en espaces sportifs. Toutefois ceux-ci ne sont actuellement pas grandement développés en France.

Nous allons nous appuyer sur la reconversion de l’ancienne église Notre Dame des Grâces à

Toulouse qui accueille aujourd’hui des bureaux et une banque, emblèmes de la société de consommation, pour comprendre davantage ce type d’initiatives. Le bâtiment a été construit dans les années 1870, pour ses parties les plus récentes. Le RDC de l’édifice est quant à lui bien antérieur puisqu’il date du XVIIème siècle. Celui-ci était déjà un bâtiment à vocation religieuse, mais, celle-ci n’a pas perduré. Cet édifice, comme celui qui abrite le théâtre Dijon-Bourgogne, a connu une histoire mouvementée. Le bâtiment a en effet été employé par la suite comme salle de bal. Il a ensuite retrouvé sa vocation cultuelle en accueillant les religieux des Carmes à partir de 1875. Toutefois, on observe dès lors une mixité d’usages puisque les religieux n’occupaient alors que l’étage de l’édifice, le RDC étant destiné au commerce.

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Ce métissage d’usages sacrés et profanes n’est pas sans rappeler les initiatives qui voient le jour en Angleterre exposées précédemment. Mais, ce type de pratique apparaît difficile à mettre en place en France, dans le contexte actuel. Or, cette donnée factuelle historique montre que celui-ci est tout de même possible, peut-être pas au sein d’un même espace, mais au moins à l’intérieur d’un même édifice. Le rez-de-chaussée (RDC) a eu des vocations diverses puisqu’il a accueilli tour à tour un garage automobile, une banque et même la rédaction du journal « La Dépêche du Midi » avant la désacralisation du bâtiment en 2011. Le bâtiment ne fait pas directement l’objet d’une mesure de classement particulière mais se situe tout de même dans un périmètre soumis aux architectes des bâtiments de France (ABF). Le projet de reconversion a donc du être encadré et approuvé par cette structure d’État. La reconversion s’est faite entre 2013 à 2014 à l’issue de 17 mois de travaux. L’ancienne église accueille depuis les bureaux de l’entreprise Valtech, une agence de la Caisse d’Épargne mais surtout le siège régional du promoteur immobilier Kaufman & Broad, à l’origine du projet.

Du point de vue urbain, l’église Notre Dame des Grâces est située dans le périmètre central dans la ville

de Toulouse. Elle est ainsi localisée à proximité immédiate du maillage sacré le plus dense. Cette position est

Figure 20. Façade principale avec ajout d’un ascenceur panoramique

d’autant plus stratégique qu’elle offre l’opportunité au promoteur Kaufman & Broad d’affirmer de façon assez ostentatoire sa politique de diversification dans l’offre immobilière et les programmes qu’il soutient. En effet, l’enseigne souhaite élargir son activité et l’offre immobilière qu’elle propose en soutenant non seulement des opérations de construction totalement neuves, mais aussi des réhabilitations. En somme, il souhaite intégrer dans ses réflexions et ses projets, des interventions qui visent le réemploi du patrimoine plus ou moins ancien. Cette diversification ne s’opère pas seulement sur les biens immobiliers et leur réalité physique, mais concerne également les programmes mis en œuvre. Kaufman & Broad cherche à élargir son offre à des programmes tertiaires, notamment de bureaux, et ne plus uniquement se cantonner à la production de logements.

Cette attitude de rupture du point de vue idéologique et intellectuelle s’accompagne d’une rupture

franche au point de vue architectural. En effet, d’importantes modifications ont été apportées aussi bien en façade qu’à l’intérieur de l’édifice. La partie la plus récente de l’édifice a été détruite afin de ménager la place suffisante pour ajouter un ascenseur panoramique en façade (Fig. 20). Celui-ci permet de mettre en accessibilité tous les étages de bureaux pour les personnes à mobilité réduites (PMR), conformément aux normes actuelles. La

Figure 21. Surélévation de la toiture

toiture a également été surélevée afin d’apporter de la lumière naturelle aux espaces de travail situés au dernier niveau (Fig. 21). La façade sud, située à l’arrière du bâtiment, donne sur une cour intérieure à l’îlot urbain. Elle a été totalement évidée puisque seuls les éléments d’architecture verticaux ont été conservés pour leur intérêt structurel. L’enjeu était ici de pouvoir apporter le maximum de clair de jour pour les espaces de travail. La luminosité n’est pas un enjeu primordial lors de la conception des bâtiments religieux et pose d’autant plus problème lors de la fragmentation du volume. En effet, l’enjeu à la base est de limiter l’arrivée de lumière directe dans le volume. Celle-ci n’est mobilisée que pour donner vie aux vitraux qui occultent les ouvertures. L’atmosphère tamisée et intime régit la conception des ouvertures. Leurs dimensions peuvent ainsi se révéler inadaptées dans le cas de reconversion qui nécessitent un important apport de lumière naturelle. L’aménagement intérieur a également suscité des travaux conséquents avec la construction de planchers afin de rentabiliser le volume en le fragmentant pour proposer davantage de surfaces. Ainsi la superficie du bâtiment a été doublée, atteignant 3000 m² répartis sur 6 niveaux. Le RDC a également constitué un grand enjeu lors de cette reconversion puisque son niveau a été égalisé avec celui de la place d’Arménie qui lui fait front.

Figure 22. Hall d’entrée ne conservant auncune trace du volume initial (Source : Site officiel de l’agence Taillandier Architectes Associés)

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Cette lourde intervention au RDC permet un accès simplifié pour les personnes à mobilité réduite depuis la rue. Les travaux conséquents imposés par cette reconversion, leur coût ainsi que l’altération irréversible du volume initial, posent avec acuité la question de la pertinence de ce type d’interventions. En effet, lors de la conception architecturale, aucune réflexion n’a été menée sur une éventuelle flexibilité du volume pour accueillir d’autres

03.

VERS UNE VOCATION PLURIELLE : LA POLYFONCTIONNALITÉ L’Archipel à Paris

usages, puisque leur construction a été faite dans une logique d’édifice immuable, presque éternel. On est confronté lors de la reconversion à l’inadaptabilité de tels espaces pour des programmes qui privilégient des logiques de surface au volume à disposition. Suite à ces lourds travaux, les traces du patrimoine ancien sont très peu perceptibles et tendent à s’effacer au sein des espaces intérieurs (Fig. 22 p. 43). La seule trace de l’architecture d’origine qui subsiste se trouve dans la trame de bureaux qui reprend celle des contreforts. Or, il peut paraître dommageable de proposer des espaces standardisés semblables à ceux construits à l’occasion d’opérations neuves dans des espaces aussi atypiques que peuvent l’être d’anciens édifices religieux. Ce type d’intervention adopte donc un rapport très libre vis-à-vis du patrimoine, à l’exact opposé de la sanctuarisation de laquelle il peut être sujet dans certains cas. La rupture passe également, dans le cas de l’église Notre Dame des Grâces à Toulouse, par une privatisation des usages. Celle-ci accompagnée du fait que les enseignes qui occupent le bâtiment reconverti soient propriétaires et à l’initiative de l’intervention, constitue un élément pouvant expliquer la liberté prise vis-à-vis de la vision patrimoniale de l’édifice. En effet, la reconversion étant entièrement financée par les promoteurs Kaufman & Broad, sa réalisation aussi audacieuse soit-elle, a été simplifiée car l’enseigne a été le seul décisionnaire dans le projet, à l’exception de l’avis constitué par l’architecte des bâtiments de France lors du dépôt du permis de construire.

Ce type de reconversion suscite énormément de débats au sein de la communauté aussi bien

croyante, que celle appartenant à d’autres confessions religieuses ou celle sans attachement théologique. En effet, ce type de reconversion pose des questions d’éthique liées à la symbolique intrinsèque aux lieux de culte. Quelle est la légitimité au regard de l’histoire, pour des activités à but lucratif, à être accueillies par des édifices empreints d’une grande valeur spirituelle ?

On réalise, par l’analyse du projet de rupture et de celui de continuité à Dijon, qu’aucune solution

de reconversion ne se dégage comme étant totalement idéale. En effet, chacune d’entre elles soulève des problématiques qui lui sont propres et se révèle de fait être limitée. Mais pour autant, un choix net doit-il nécessairement être fait entre ces deux postures aux antipodes l’une de l’autre ? Une sorte de conciliation entre des usages divers ne pourrait-elle pas être également développée ? En d’autres termes, pourquoi devoir faire un choix entre la rupture et la continuité, une mixité programmatique ne serait-elle pas également porteuse de la promesse d’une certaine pérennité ? En effet, aujourd’hui il est rare de construire un bâtiment avec une fonction unique, les usages se mêlent à des degrés plus ou moins importants. Ce type de dispositif offre d’ailleurs bon nombre d’avantages. On compte notamment parmi eux celui de la multiplication du nombre d’acteurs, ce qui facilite la communication sur le projet, la mobilisation de différents publics mais aussi celle

Les bâtiments accueillant plusieurs programmes sont très répandus au XXIème siècle dans tous

les secteurs. On retrouve notamment de façon assez fréquente, des espaces commerciaux adjoints à du logement. La mixité programmatique, même tournée autour d’une activité principale articulée avec quelques activités secondaires de moindre importance est d’ailleurs déjà présente dans les deux reconversions étudiées précédemment. En effet, dans la posture de continuité illustrée par le cas de Dijon, un espace de bar et une bibliothèque participative sont adjoints à l’espace de représentation scénique. De même, la posture de rupture étudiée à travers la reconversion de l’ancienne église Notre Dame des Grâces à Toulouse, conjugue un programme de bureaux avec celui d’une banque. Mais la mixité d’usages peut se retrouver à travers une plus grande diversité des programmes accueillis au sein d’un même bâtiment. Ce type de dispositif facilite d’autant plus le rayonnement des opérations qui sont alors destinées à un éventail de publics plus large. La mixité d’usages permet non seulement d’attirer des populations variées mais facilite également les financements de plusieurs types qui peuvent être combinés.

Ce type de projet sera étudié à travers la mise en œuvre de l’Archipel dans le 8ème arrondissement

de Paris. Notons qu’elle n’est pas abritée par une église mais par un autre type d’édifices religieux puisqu’elle prend place dans un ancien couvent. La surface à disposition pour la reconversion est ainsi plus conséquente. Le projet est réalisé en ce sens à une autre échelle que les deux opérations présentées en amont. Ce couvent a été construit au XIXème siècle. Il a lui aussi connu une histoire mouvementée et a notamment accueilli un hôtel colonial et l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) de 1945 à 2012. Or ce bâtiment, bien que construit pour une vocation religieuse semble pourtant n’avoir jamais été sacralisé34. Il est compris dans un périmètre sauvegardé puisqu’il se situe dans l’hypercentre parisien au patrimoine sauvegardé très riche. Sa situation géographique peut paraître périphérique à l’échelle de la commune. Toutefois, Paris ne peut être considérée de façon indépendante des communes alentours. Les réflexions appliquées à la capitale ne sont pas circonscrites à la limite communale. En effet, il convient de penser la position de l’édifice à l’échelle de l’aire métropolitaine. En ce sens, sa localisation à proximité immédiate de la place de Clichy est bel et bien centrale.

de financements variés. Pourquoi ces logiques qui régissent les constructions neuves, ne seraient-elles pas transposables dans le cas de reconversion des édifices religieux ? De plus, cette vocation multiple, n’est-elle pas un moyen de réinterpréter de façon contemporaine la pluralité des rôles que pouvaient revêtir les édifices religieux par le passé ?

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« Le lieu qui date du XIXe n’a probablement jamais été sacralisé » Audrey Decrock Propos rapportés par MISTRI Rémi, site du magazine urbain à Nous Paris, « L’Archipel, un centre culturel solidaire dans un ancien couvent », le 31/08/15 URL : http://www.anousparis.fr/city-guide/larchipel-un-centre-culturel-solidaire-dans-un-ancien-couvent 34

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Du point de vue programmatique, l’Archipel a été mis en place en 2012 dans le cadre de la

campagne hivernale. L’État a alors mis à disposition de l’association Aurore le bâtiment pour une durée de cinq ans. L’Archipel constitue donc une expérimentation éphémère et le programme a été conçu comme tel dès le départ. La pérennité permise par cette intervention est donc toute relative mais cette reconversion n’en est pas pour autant moins intéressante. En effet, le bâtiment principal, l’ancien couvent, accueille un centre d’hébergement d’urgence destiné à des familles, ou encore à des femmes enceintes ou isolées. Celui-ci accueille en moyenne 120 adultes et 50 enfants venus de 37 pays différents. Cette vocation humanitaire et sociale n’est pas sans faire référence au droit d’asile intrinsèque aux édifices religieux. En effet, ce droit au couvert afin de se protéger de toute menace extérieure directe a toujours été assurée par l’Église, en s’abstrayant de la question de l’appartenance religieuse et de l’adhésion théologique. Ce programme peut en ce sens être jugé comme relevant de la posture de continuité au même titre que d’autres activités initiées par cette reconversion. Des programmes relevant d’une nature culturelle et éducative prennent également place dans cet ancien couvent. On peut notamment relever l’aménagement d’une bibliothèque participative dans une partie de l’ancienne chapelle. En effet, cet usage n’est pas le seul instauré dans cet espace dont l’utilisation est flexible. La particularité de cette bibliothèque réside dans son fonctionnement selon un principe de

LE CAFÉ

troc qui permet un renouvellement perpétuel de l’offre littéraire et des références à disposition.

A l’inverse, d’autres éléments de programme relèvent davantage de la posture de rupture.

Insolite et aménagé avec des tables conçues à partir de matériaux de récupération, le Café de L’Archipel peut être privatisé à partir de 16h pour des goûters, des cocktails, des réunions, des ateliers, des workshops, etc…

En effet, le volume de la chapelle est en grande partie utilisé comme un espace vide flexible, capable

Baluchon est notre partenaire restauration, aussi bien comme Traiteur qu’au Café.

d’accueillir aussi bien des cours de yoga, que des conférences ou encore des brunchs le dimanche

Entreprise solidaire d’utilité sociale, elle emploie 25 salariés, dont deux tiers sont en parcours de formation. Tous les plats sont cuisinés exclusivement à partir de produits frais, locaux et de saison.

Figure 25. Café de l’Archipel ORGANISER SON ÉVÉNEMENT À L’ARCHIPEL VOUS DONNE LA POSSIBILITÉ DE : • Commander des plateaux, un buffet ou un cocktail à un traiteur de qualité et engagé. • Déjeuner au café (formules entre 7 et 10 ¤). • Choisir votre propre traiteur contre un dédommagement de 300 ¤.

matin (Fig. 26). Par ailleurs, cette vocation événementielle donnée à l’espace dont l’architecture est la plus identifiée comme religieuse, permet à l’opération un rayonnement non seulement à l’échelle du quartier, mais également à celle de l’arrondissement, voire à l’échelle de la Métropole. En effet, les

Surface : 95 m2 Capacité d’accueil : 90 debout // 60 assis Contact Baluchon : www.baluchon.fr // contact@baluchon.fr

brunchs attirent bon nombre de Parisiens. De plus, cet espace atypique constitue un lieu privilégié lors de l’organisation d’événements, notamment pour des entreprises, le cadre apportant une plusvalue à l’activité mise en place. A l’étage de la chapelle, des salles dont la destination est fixe relèvent également de la posture de rupture puisqu’elles accueillent des espaces de coworking louées par des

Figure 23. Bibliothèque aménagée dans les bas-côtés de la nef

travailleurs à l’année. On compte également parmi cette posture l’atelier de couture intégré dans une extension construite à l’occasion de cette reconversion.

SALLE DU CONSEIL

Ce tiraillement entre rupture et continuité ne se répercute pas du point de vue architectural.

En effet, l’intervention architecturale est moindre. Ce respect extrême est notamment expliqué par le fait que l’opération soit réfléchie comme éphémère dès le départ et se doive en ce sens d’être

Très lumineuse et calme, cette salle haut de gamme est située au 1er étage et peut accueillir des réunions de 30 à 40 personnes. Elle est équipée de micros et d’un vidéoprojecteur.

réversible afin de laisser le maximum de liberté pour la mise en place des usages à venir par la suite. Il s’agit de permettre les usages prévus à l’occasion du projet de l’Archipel sans contraindre les utilisations futures avec l’aménagement d’espaces normés et rigides (Fig. 24 et 25). Ainsi, les différents éléments

Surface : 60 m2 Capacité d’accueil : 60 debout // 40 assis

programmatiques ont été mis en place par le biais d’aménagements minimum, se résumant au strict nécessaire. Par exemple, pour constituer la bibliothèque participative, de simples rayonnages ont été

Figure 24. Salle polyvalente du coworking

Figure 26. Volume de la nef exploité pour divers évènements, ici le yoga

ajoutés en périphérie de la chapelle (Fig. 23). (Source : Site officiel de l’Archipel)

46 | 02. Trois figures majeures de la reconversion

02. Trois figures majeures de la reconversion | 47


Les espaces de coworking sont, quant à eux, abrités par les alcôves qui ont simplement été fermées par des vitrages pour respecter un minimum de calme et d’intimité pour le travail, et ainsi éviter les conflits d’intérêts entre les travailleurs et le public attiré par les évènements occasionnels. Cette humilité de l’intervention peut également s’expliquer par le fait que l’association Aurore soit uniquement l’affectataire des lieux et non la propriétaire, qui demeure être l’État. De fait, l’association n’a pas la légitimité, ni les ressources suffisantes pour pouvoir décréter et réaliser des opérations plus lourdes sur le patrimoine.

Bien que les diverses activités accueillies au sein de l’ancien couvent puissent paraître

radicalement opposées et que le lien entre celles-ci ne soit pas évident à établir, il existe. En effet, toutes les activités, qu’elles relèvent davantage de la posture de rupture ou de celle de continuité, convergent et nourrissent un idéal d’innovation sociale35. C’est-à-dire que le fonctionnement est pensé dans un système global. Plus précisément, les entreprises accueillies au sein du pôle de coworking sont sélectionnées et seules celles tournées vers l’innovation sociale sont admises dans l’ancien couvent. On retrouve parmi les acteurs de l’Archipel, par exemple, l’entreprise Baluchon qui œuvre pour la réinsertion sociale ou encore My Little Paris qui fédère une communauté de plus d’un million de Parisiens autour de bons plans et d’idées de sortie. De plus, les évènements plus ou moins ponctuels organisés dans la chapelle permettent de financer en partie le coût de fonctionnement du CHU. Au‑delà de ce système économique, le désir d’innovation sociale est également promu par la politique de l’association Aurore qui cherche par la mixité des programmes à accueillir des publics venant d’horizons variés. Elle milite en ce sens pour la mixité sociale. Finalement cet objectif qui fédère tous les programmes peut être assimilé à la vocation initiale des édifices religieux dans lesquels toutes les catégories sociales se retrouvaient de façon indifférenciée autour d’une même activité et de mêmes croyances.

La pérennité de cette initiative est contestable puisqu’elle n’a été mise en place que pour une

durée de quatre ans. Toutefois, des contestations ont émergé face à sa fermeture en juillet dernier de par l’engouement que l’Archipel a pu susciter au sein de la population au sens profane.

Aucune des trois postures que nous venons d’analyser ne semble pouvoir garantir une réelle

pérennité aux édifices reconvertis puisque chacune d’entre elles se heurte à des limites qui peuvent être aussi bien financières, qu’éthiques ou physiques, en termes architecturaux ou urbains. En effet, la question programmatique, bien que centrale, n’est pas la seule qui se pose lors de la reconversion d’un bâtiment religieux et qui en conditionne le changement d’usages. Ces édifices sont partie prenante d’un territoire avec des besoins et des traditions, qui induisent souvent le programme mis en place. Mais, les interventions architecturales prennent plus largement place dans un contexte social, économique et politique qui influe aussi sur les nouvelles activités allouées dans les biens désacralisés. Par ailleurs, la reconversion est menée et façonnée par des acteurs politiques et sociaux. Ce phénomène, puisqu’il est caractéristique de notre société contemporaine, ne peut pas être pensé de façon autonome et détaché des nombreux débats qu’il anime au sein de celle-ci. Site officiel de l’Archipel, date de parution inconnue URL : http://www.larchipel.paris/

35

48 | 02. Trois figures majeures de la reconversion


La pratique de reconversion des édifices religieux en y instaurant des programmes profanes

n’est pas encore développée en France. Ce n’est pas pour autant qu’aucune expérimentation n’est menée et qu’aucun projet ne voit le jour. Comme nous avons pu le voir précédemment, des initiatives émergent. La reconversion des bâtiments cultuels est d’autant plus délicate qu’elle induit directement la notion d’identité nationale dans l’hexagone. Bien que l’image du pays soit façonnée par le patrimoine catholique et que celui-ci lui confère un certain attrait touristique, le devenir de ces biens ne semble pas tendre vers une unique vocation. En effet, on relève des attitudes hétéroclites à

03.

DIMENSION POLITIQUE ET SOCIALE DE LA RECONVERSION

l’occasion de reconversions du patrimoine sacré. Cet emblème tend-il à être fragilisé par la diversité des propositions ? Les reconversions vont-elles se démocratiser au point de devenir courantes et d’inventer une nouvelle image pour la France ?

Dans l’immédiat, on relève un important développement de cette pratique motivée par

l’accroissement du nombre de biens religieux mis en vente dans l’hexagone. En effet, Patrice Besse, agent immobilier spécialisé dans la vente de ce type de bien à forte valeur patrimoniale révèle en vendre en moyenne une ou deux par mois36. Notons d’ailleurs qu’en décembre 2016, son site internet proposait 21 édifices religieux à la vente. Le patrimoine concerné est très varié puisqu’il comprend aussi bien des presbytères, que des chapelles, des couvents ou encore des prieurés. Pour autant, la reconversion ne semble pas, actuellement en France, tendre à prendre une ampleur semblable à celle qu’elle peut avoir dans d’autres pays comme le Canada.

En effet, ce type d’intervention se heurte actuellement à de nombreux opposants. Tout

d’abord, l’Église et ses fidèles qui se montrent assez réticents à l’idée de se voir contraints à renoncer à leur patrimoine et de l’abandonner ainsi au référentiel profane. Cette perte est d’autant plus délicate que ces populations font face de façon assez brutale à l’obsolescence de leur patrimoine. Celui-ci est causé par des facteurs assez pénibles à accepter que sont la perte de suffrage des idéaux véhiculés par l’institution au sein de la société contemporaine et l’incapacité qu’elle a à mobiliser davantage d’individus autour de la théologie qu’elle défend. Enfin, notons que le phénomène de reconversion n’est pas non plus totalement admis au sein de la société profane qui est parfois hostile face à la modification de ces témoins du passé qui façonnent son identité

36

BAUDET Clément,Op. Cit. 03. Dimension politique et sociale de la reconversion | 51


01.

a. Alternatives et contrôle de la cession du patrimoine au

L’ÉGLISE FACE À LA RECONVERSION DE SON PATRIMOINE : Acceptation par la contrainte

Commençons par souligner que la reconversion de son patrimoine est d’autant plus pénible à

accepter par l’Église que celle-ci n’en est pas l’initiatrice. En effet, deux facteurs principaux conduisent l’institution à devoir renoncer à son utilisation et à son occupation. Le premier cas de figure est celui de la désertion par les fidèles rendant l’édifice sous-utilisé, celui-ci n’est alors plus adapté et le coût engendré par son fonctionnement et son ouverture devient disproportionné en comparaison du nombre d’utilisateurs. L’Église se voit alors forcée de renoncer à l’édifice qui la rend déficitaire en mobilisant davantage de personnes pour son fonctionnement que de croyants. Il est alors plus raisonnable de fermer l’édifice afin d’utiliser les fonds à disposition pour valoriser d’autres bâtiments appartenant à la paroisse qui accueillent davantage de population. La seconde raison qui amène l’Église à renoncer à son patrimoine est le manque de financement pour assumer l’entretien du bâtiment. Il est alors plus raisonnable de vendre l’édifice plutôt que de le laisser se dégrader et l’abandonner à son sort, aux effets du temps pouvant conduire à sa destruction. Ce type de réflexion résulte parfois d’une stratégie immobilière plus globale. Celle-ci vise à estimer la pertinence de l’ouverture de chaque bien qui appartient à la paroisse, notamment en quantifiant les populations accueillies au sein de chacun d’entre eux. Cette réflexion à plus grande échelle conduit dans certains cas à vendre le bien le moins utilisé afin de pouvoir disposer de davantage de fonds. Le bénéfice ainsi réalisé est réinvesti dans les bâtiments conservés. Par exemple, ils sont mobilisés pour entretenir les biens bénéficiant d’un plus grand rayonnement que ce soit en termes de visibilité, en termes touristiques et aussi dans le nombre de fidèles accueillis chaque semaine. Notons en effet qu’à l’heure actuelle, les populations croyantes tendent à se réunir dans les édifices les plus grands et ne se rendent plus nécessairement à l’église la plus proche37. Cette évolution vers le regroupement est un élément conduisant à l’inadaptation des biens religieux pour les pratiques actuelles. En effet, les bâtiments sont centenaires voire millénaires. La majorité d’entre eux sont restés figés dans leur époque de construction. Cette inadaptation aux pratiques cultuelles contemporaines est multiple puisqu’elle relève aussi bien du nombre de fidèles accueillis, que de la pratique physique de la messe et de son organisation spatiale. En effet, l’autel n’est plus nécessairement placé au centre de l’édifice, ce qui conduit à repenser l’espace, la gestuelle ainsi que la place de chacun. Toutefois, les plans en croix initiaux entravent parfois ces évolutions. L’Église se retrouve en un sens prisonnière de son propre patrimoine. Cette obsolescence totale du bâtiment, même si l’on entend y faire perdurer son usage cultuel, pose avec d’autant plus d’acuité la question de son devenir et de son adaptabilité à d’autres usages, sacrés ou profanes.

monde profane

Bien que confrontée à ces problématiques, l’Église tente tout de même de trouver des

alternatives avant de se résoudre à céder complètement ses biens à la société profane. A Talence par exemple, le Père Éric avoue avoir bloqué la vente de l’église du Christ-Rédempteur afin de faire réaliser une étude pour évaluer s’il pouvait opérer la reconversion en logements lui-même et ainsi garder le contrôle total de ce patrimoine et de son devenir. Mais face à la complexité de l’opération et aux contraintes aussi bien techniques que juridiques, il lui a fallu se rendre à l’évidence et accepter de céder le projet à des promoteurs immobiliers. N’étant alors plus directement actrice de la reconversion, l’Église se voit contrainte de laisser la gestion du devenir de son patrimoine à une structure profane. Toutefois, celle-ci ne s’exclut pas pour autant du débat et du projet. Elle veille tout de même au devenir de son patrimoine.

On retrouve également ce désir de conserver la propriété du patrimoine dans le Diocèse de

Paris, y compris pour les biens lui appartenant et n’étant pas sacrés. En effet, l’Église est l’un des plus grands propriétaires immobiliers de la région parisienne. Elle possède de nombreux appartements dont la plupart sont inoccupés. Afin de les conserver de façon active, ces logements sont mis en location. Les baux qui donnent accès à ce type d’habitat dont le loyer est bien en dessous des prix du marché parisien comporte des clauses bien particulières. En effet, cette location à tarif préférentiel est accompagnée d’un engagement chrétien. Cette implication engage la nécessité pour les individus désireux de louer les biens de l’Église, d’être au minimum baptisé38. Cet engagement est réel puisqu’il est acté du point de vue juridique par une lettre de mission signée par l’Église39. Ce type d’initiative permet à l’institution de sauvegarder son patrimoine de façon active tout en aidant certaines populations sans pour autant le dédier à la société profane. Bien qu’il ne soit pas sacré et ne concerne pas des bâtiments cultuels, un contrôle de son devenir est exercé puisqu’il est uniquement habité par des personnes catholiques croyantes et pratiquantes conformément à la clause d’engagement religieux. Ce contrôle de l’Église visà-vis de son patrimoine et de son devenir se retrouve également dans les opérations de reconversion.

En effet, l’institution est en mesure d’induire dans une certaine mesure les programmes

profanes instaurés dans les biens désacralisés. Premièrement, l’État est propriétaire de la majorité des biens mais l’Église en est l’affectataire légal depuis la loi de 1907 sur l’affectation, qui suit celle de 1905 sur la laïcité. C’est-à-dire que les édifices religieux sont mis à la disposition des populations de façon gratuite et perpétuelle. L’État ne peut prendre aucune décision concernant ce patrimoine sans accord de l’Église. En effet, étant l’affectataire légal, avant de pouvoir vendre un bien, elle doit renoncer à ses droits pour permettre la vente. BUZAUD Elodie, site officiel de Explorimmo, le meilleure de l’immobilier, «Bon plan location : l’Église brade ses logements », le 28/05/14 URL : http://www.explorimmo.com/edito/actualite-immobiliere/detail/article/bon-plan-location-l-glise-brade-ses-logements.html 39 Ibid. 38

« Dans mon village natal, il faut entretenir l’église si on veut continuer à s’en servir mais est-ce pertinent de vouloir l’utiliser alors que les gens font 30 km pour aller à la grande surface ? » Entretien avec le Père Éric au presbytère de la paroisse de Notre Dame de Talence, le 16 décembre 2016 37

52 | 03. Dimension politique et sociale de la reconversion

03. Dimension politique et sociale de la reconversion | 53


b. Orientations multiples quant au devenir du patrimoine sacré

Ainsi, l’État est tributaire de l’accord de l’institution pour toute opération. La bénédiction de l’Église est en quelques sortes nécessaire pour tout projet, dans la limite du raisonnable au vu des contraintes patrimoniales et financières. Elle est en ce sens en mesure de bloquer toute décision qui irait à l’encontre de ses souhaits tant que sa renonciation à l’occupation des biens n’a pas été prononcée. Suite à celle-ci, l’édifice est désacralisé et peut-être mis à la vente. Mais l’Église dispose d’un outil supplémentaire pour contrôler le devenir du bien. En effet, des clauses régissant la destination future de l’édifice et influant ainsi sur les modalités de reconversion peuvent être incluses dans l’acte de vente, par exemple en interdisant la vente pour un autre culte comme cela a été le cas à Talence40. Celle-ci ne permet pas un contrôle total mais offre tout de même des possibilités d’éluder les programmes profanes ou non n’étant pas jugés dignes d’être accueillis dans d’anciens lieux saints. Or ce type de disposition peut dans certains cas entraver fortement le devenir des biens en rendant particulièrement compliquée la vente du bâtiment. En effet, les contraintes patrimoniales adjointes à un encadrement restrictif complexifie les modalités de reconversion. La mise en conformité du nouveau programme avec les attentes dictées dans l’acte notarié peut en ce sens se révéler particulièrement contraignantes.

Ce désir de contrôle est révélateur d’un attachement profond de l’Église à son patrimoine et à ce

qu’il représente, puisqu’il constitue une manifestation physique dans la ville d’une théologie mais aussi pour l’histoire de laquelle il se révèle être le témoin. Toutefois cet attachement est à nuancer. En effet, l’Église n’a pas le même attachement à la globalité de son patrimoine religieux. Le patrimoine récent qui n’est pas aussi fortement marqué par les codes religieux, tout du moins de l’extérieur, n’a pas la même valeur aux yeux de l’institution. De façon paradoxale, ce patrimoine conçu à partir de codes plus actuels pourrait être davantage en accord avec les pratiques contemporaines. Il est toutefois moins approprié par l’Église qui ne semblerait pas particulièrement déplorer sa perte éventuelle, si elle advenait, contrairement à celle du patrimoine plus ancien dont elle est parfois prisonnière. Vraisemblablement, ce paradoxe peut s’expliquer par le fait que l’Église s’identifie davantage au patrimoine plus ancien ayant une présence plus affirmée et étant reconnu de tous dans la ville. La date de construction des bâtiments influe sur leur architecture et leur spatialité mais est aussi sur l’histoire dont ils sont révélateurs. Ces composantes sont à priori des éléments de justification de l’attachement plus particulier aux édifices largement antérieures qui témoignent de plus nombreux évènements et bouleversements au cours du temps et au sein de la société. Bien que l’Église ne soit pas particulièrement favorable à la reconversion de son patrimoine, celle-ci conçoit que ce type d’intervention constitue tout de même un moyen de le préserver et permet justement une suite dans l’histoire pour ces biens. C’est un moyen malgré tout de conserver une « trace que des hommes et des femmes ont prié là 41». Ainsi, l’acceptation d’une reconversion est facilitée si le bâtiment concerné a été construit récemment ou si il est marqué par une architecture dépouillée et peu ostentatoire.

41

Mais la date de construction du bâtiment n’est pas le seul facteur qui conditionne l’acceptation

du changement de destination du bâtiment par l’Église. Comme le constate Patrice Besse, un agent immobilier spécialisé dans le patrimoine historique et notamment religieux, de nombreux obstacles rendent ces projets parfois difficiles. En effet, le glissement qui s’opère entre usages sacrés et usages profanes donne lieu, de façon assez redondante, à de vives réactions. Le programme qui est proposé pour offrir une nouvelle ère à l’édifice en lui permettant d’accueillir à nouveau de la vie en son sein, entre alors en jeu dans l’acceptation du projet, et plus largement, du phénomène de reconversion.

Ainsi, de façon assez évidente, la posture de continuité est davantage privilégiée et promue lors

de telles opérations. « Les évêchés souhaitent souvent que la reconversion se tourne vers des activités culturelles pour que le lieu reste ouvert au public 42». Cette notion d’ouverture au maximum de personnes et d’accueil de la majorité de la population est majeure mais n’est pas centrale pour autant. En effet, la réflexion se tourne principalement vers une vision historique. Quel avenir constituerait un jalon dans l’histoire à la hauteur de la vocation passée ? Quelle légitimité trouve-t-on à travers l’Histoire pour tel ou tel programme à être accueilli dans un bâtiment d’une telle valeur spirituelle pour la population croyante et symbolique dans la ville ? Cette réflexion explique d’autant plus la promotion des activités culturelles qui semblent pouvoir être un moyen de se rapprocher de l’essence même des activités religieuses selon Benoît XVI lui-même : « Qu’ont fait les moines ? [...] Ils ont beaucoup travaillé la musique, l’art et l’architecture. Et donc, la culture que nous connaissons doit beaucoup à ces moines.43 »

En ce sens, la problématique principale que pose la posture de rupture est celle du déni de l’histoire

et de la légitimité de la figure que l’on crée pour le futur. La reconversion du patrimoine religieux se révèle particulièrement délicate et polémique puisqu’elle est étroitement liée à la notion de blasphème. En effet, cette question de l’irrespect de la vocation initiale est centrale. Le réemploi d’un vocabulaire tiré du lexique religieux n’est pas nécessairement vécu comme une référence au passé digne. Ce type d’initiative est davantage vécu comme une façon de démystifier la fonction originelle en la tournant en dérision et de fait, constitue une atteinte directe à l’institution. Cette problématique se pose avec une acuité d’autant plus forte à l’occasion de programmes adoptant une posture de rupture jugée comme illégitime à prolonger l’histoire de ces témoins du passé rien qu’en termes intellectuels. Or, bien que ces initiatives se veuillent parfois volontairement polémiques, l’enjeu n’est pas de salir le passé mais bien d’affirmer une pérennité à l’édifice pour l’avenir et de faire subsister ce symbole dans la ville tout en affirmant le changement de destination, aussi incongru puisse-t-il paraître.

Auteur inconnu, version en ligne de Valeurs actuelles, « 71 % des catholiques prêts à convertir les églises désaffectées en bâtiments civils », 14/03/16 URL : http://www.valeursactuelles.com/societe/71-des-catholiques-prets-a-convertir-les-eglises-desaffectees-en-batiments-civils-60087 43 Entretien avec le Père Éric au presbytère de la paroisse de Notre Dame de Talence, le 16 décembre 2016 42

40

Entretien avec le Père Éric au presbytère de la paroisse de Notre Dame de Talence, le 16 décembre 2016 Ibid.

54 | 03. Dimension politique et sociale de la reconversion

03. Dimension politique et sociale de la reconversion | 55


Toutefois, la reconversion des édifices ne semble pas être le seul avenir qui se profile pour les

Il n’est pas certain que la vente de bâtiments en bon état physique recueille autant de suffrages. On

édifices religieux français. En effet, l’Église bien qu’hostile à ce type d’intervention dès qu’elle déroge trop

observe une majorité de personnes « assez favorables » puisque cette option constitue plus de la moitié

vivement à la posture de continuité, n’est pas pour autant hyper conservatrice. En effet, celle-ci s’interroge

des opinions recueillies. De plus, on ne relève qu’une très faible minorité des catholiques s’opposant

sur la place qu’elle occupe et l’organisation qu’elle se doit d’adopter afin d’avoir un fonctionnement

clairement à la reconversion des biens religieux puisque les individus n’y étant « pas du tout favorable

approprié à la société actuelle. Elle semble alors tendre à la décentralisation qui pourrait lui permettre

» ne représentent que 7% du panel interrogé46.

d’exploiter et d’habiter davantage de ses biens. Consciente du décalage entre son image et les aspirations de la société contemporaine, celle-ci opère introspection afin de se ré‑ancrer plus nettement dans le

quotidien et tenter de préserver au maximum son patrimoine pour des usages sacrés . Elle est toutefois

révélatrice d’une évolution des mentalités qui présage peut-être de celle qui s’opérera dans quelques

consciente que la reconversion est un phénomène qui prend de l’ampleur et auquel elle devra faire

années au sein de l’Église elle-même. Les civils catholiques semblent ainsi avoir su intégrer le fait que

face pour une certaine proportion de son patrimoine dans les années à venir. En somme, elle l’accepte

la valeur patrimoniale puisse primer sur la valeur spirituelle et que la reconversion puisse permettre

progressivement, bon gré, mal gré mais tente tout de même d’y parer par des initiatives telles que sa

aux édifices religieux de subsister dans nos paysages, voire même leur permettre de se réinventer en

restructuration.

réintégrant la vie quotidienne d’une majorité de Français.

Notons que bien que l’Église soit frileuse face à des reconversions relevant de la posture de rupture

qui peuvent sembler audacieuses, les catholiques, eux, n’ont pas le même regard et se montrent plus

cafés et des habitations, que de la posture de continuité, avec la mise en place de librairies et de

ouverts à cette éventualité. En effet, d’après un sondage réalisé par Le Point « 71 % des Français

salles de concert. Cependant, il n’est pas précisé si les personnes interrogées sont favorables à ces

se déclarant catholiques sont prêts à voir leurs églises désaffectées transformées en librairies, cafés,

programmes d’intervention dans une même proportion ou si les avis divergent à ce sujet et que la

habitations, salles de concert...45 ».

continuité soit également privilégiée par les personnes catholiques.

44

Malgré cela, la proportion de 71% de catholiques favorables à la reconversion du patrimoine est

Ce sondage induit aussi bien des reconversions relevant de la posture de rupture, avec des

Maintenant que nous avons en tête la vision et l’opinion de l’Église et des catholiques à l’égard

du phénomène de conversion, on peut se questionner sur la réception de ce type de projets pour la société profane. En effet, celle-ci ne se situe pas en retrait du débat éthique, symbolique et sociétal Très favorable

que pose le phénomène, mais au contraire, joue un rôle prépondérant. En ce sens, quelle attitude

Assez favorable

adopte la société française vis-à-vis de la redéfinition d’une part de son identité ? Est-elle plus favorable

Peu favorable

à promouvoir une image en particulier ? Est-elle uniquement spectatrice des évènements ou s’y

Pas du tout favorable

implique-t-elle de façon active ?

Non réponse

On aurait tort de penser que celle-ci est absente du débat lors de la mise en place de telles opérations, au contraire celle-ci joue un rôle prépondérant. En effet, comme développé précédemment, la valeur et le rôle qu’occupent ces édifices transcendent la question religieuse, de par leur caractère polysémique. Rappelons qu’ils constituent à la fois des repères urbains caractéristiques de notre identité nationale,

Opinion des personnes se déclarant catholiques à l’égard de la réhabilitation des églises non entretenues en bâtiments civils (Source NTC)

des lieux ouverts à tous et qu’ils sont également les témoins de l’Histoire de la société française, tant en termes théologiques, qu’architecturaux et artistiques.

Il est nécessaire de préciser le cadre de cette étude qui concernait la réhabilitation des bâtiments non entretenus. En ce sens, c’est la sauvegarde patrimoniale qui motive cette proportion conséquente de personnes favorables.

Ibid. Auteur inconnu, version en ligne de Valeurs actuelles, « 71 % des catholiques prêts à convertir les églises désaffectées en bâtiments civils », 14/03/16 URL : http://www.valeursactuelles.com/societe/71-des-catholiques-prets-a-convertir-les-eglises-desaffectees-en-batiments civils-60087 44 45

56 | 03. Dimension politique et sociale de la reconversion

LEHALLE Évelyne, Site de l’organisation pour le Nouveau Tourisme Culturel (NTC), « L’amour des français pour leur patrimoine », le 25/02/16 URL : http://www.nouveautourismeculturel.com/blog/2016/02/25/lamour-des-francais-pour-leur-patrimoine/ 46

03. Dimension politique et sociale de la reconversion | 57


02.

UN PHÉNOMÈNE RÉGULÉ PAR LA PRESSION SOCIALE ?

a. La reconversion aux mains des acteurs privés

Au-delà de ces acteurs qui mènent les reconversions, celles-ci prennent place dans des

contextes géographiques, sociétaux et culturels. En France, cette pratique est émergente et en plein

Commençons par établir une distinction importante au sein du débat sur la reconversion des

édifices religieux. Celui-ci se joue davantage du côté des acteurs privés que publics. En effet, le secteur public n’a aucune capacité de contrôle et d’encadrement du phénomène. Le ministère de la Culture ne semble pas encore s’être pleinement saisi de cet enjeu puisqu’il n’a actuellement pris aucune mesure pour veiller au devenir du patrimoine. Celui-ci n’est sollicité que dans des cas extrêmes47. De plus, l’enjeu de la reconversion d’un tel patrimoine se pose également à l’échelle locale. Bien que désireuses de conserver et de valoriser leur patrimoine, les municipalités ne sont pas nécessairement en mesure d’assumer directement ce type d’intervention en raison du manque de ressources financières. Elles n’ont pas forcément les moyens de les racheter elles-mêmes. Elles se montrent assez ouvertes, dans certains cas, à des interventions plutôt radicales et audacieuses, tant du niveau programmatique qu’architectural. En effet, que les reconversions relèvent de la posture de rupture ou de celle de continuité, qu’elles suscitent de vives réactions ou soient aisément acceptées par la majorité de la population, la mise en œuvre de tels projets peut se révéler être un véritable outil de marketing territorial. Cela permet de ré-exploiter le patrimoine en actualisant ses usages et ainsi son image, et par répercussion, celle de la commune.

Les autorités publiques n’ont aucun levier d’action à disposition pour encadrer ce type d’interventions,

hormis dans les projets appliqués à des bâtiments inscrits ou classés aux Monuments Historiques qui doivent alors obtenir l’approbation de l’architecte des bâtiments de France. La validation du permis de construire constitue donc le seul outil à disposition de la collectivité pour intervenir, ne serait-ce que partiellement, sur la gestion du devenir du patrimoine sacré. Son pouvoir d’action est donc minime face à ce phénomène. L’encadrement du mécanisme par les collectivités et services publics est réduit par le manque de ressources financières à mobiliser. Cette problématique ne se pose pas nécessairement vis-à-vis de l’achat du bien mais davantage sur la durée et l’incapacité à assumer ne serait-ce que les charges inhérentes à l’entretien d’un tel édifice. La reconversion est, de fait, aux mains des acteurs privés ayant davantage de capacité de financement à mobiliser comme les promoteurs immobiliers ou qui ont l’opportunité de recourir à des aides multiples et qui peuvent impliquer des personnes de façon directe, comme les associations. Cette absence d’encadrement et de codification de la pratique peut s’expliquer par le fait qu’elle soit émergente et non instaurée de longue date. Or, celle-ci laisse malheureusement la possibilité de réaliser certaines opérations au détriment du patrimoine et de la finalité, avec une privatisation extrême, dans un but de rentabilité absolue. La motivation de ces interventions n’est pas toujours la valeur patrimoniale mais bien l’objet marketing de vente que constituent les opérations sur des volumes atypiques, et de surcroît symbolique, comme le sont les édifices religieux. LERUDE Olivier, CUMUNEL Maxime, CIEREN Philippe, « Recyclage des lieux de culte » [Dossier], La pierre d’angle, n° 65, p. 20-55 47

58 | 03. Dimension politique et sociale de la reconversion

essor. Elle suscite de nombreuses réactions au sein de la population. Les débats sociétaux qu’elle pose semblent être révélateurs des limites de la vision française. Il paraît délicat de se libérer de la vision sacrée pour tendre réellement vers une vision profane des édifices anciennement sacrés et se libérer ainsi de leur poids symbolique. En effet, cette problématique s’illustre notamment à travers le cas de l’église St François d’Assise à Vandœuvre-lès-Nancy.

Bien que cette église soit une construction relativement récente, des années 1960, patrimoine

auquel l’Église semble être moins attachée rappelons-le, sa vente en 2012 a donné lieu à de vives réactions. Pourtant le bâtiment était en vente depuis 2007 et ne trouvait pas d’acquéreur. Cette problématique s’est d’autant plus accentuée par le classement de l’édifice au titre des monuments historiques. Cette mesure de protection comprend l’entièreté du site dans le périmètre de sauvegarde de 500m autour de l’édifice y compris le parking et le presbytère. Cette reconnaissance de la valeur patrimoniale du bâtiment peut démotiver les acheteurs potentiels par les contraintes de réalisation et l’encadrement de toute intervention menée par l’architecte des bâtiments de France. Elles sont vécues comme des éléments bridant l’intervention et limitant les possibilités pour le projet de reconversion. Des contraintes supplémentaires sur la mise en œuvre de celui-ci s’ajoutent aux précédentes à Vandoeuvre-Lès-Nancy puisque le Diocèse a rédigé une clause dans l’acte de vente assez contraignante afin d’empêcher le développement de certaines activités jugées indignes d’êtres accueillies dans un tel lieu : « pas de débit de boissons, de salle de jeux, de boutiques qui pourraient choquer dans un ancien lieu saint48 ». Par cette formulation, c’est bien la posture de rupture qui est rejetée, dans ses formes les plus extrêmes, pour encourager celle de continuité. La posture de rupture n’est pas complètement fortuite puisque le diocèse a envisagé de vendre l’église pour qu’elle soit transformée en centre commercial, puis de la céder à la firme internationale de poulet frit KFC.

Bien que cette possibilité soit envisagée par le Diocèse lui-même, cette éventualité suscite de

vives réactions au sein de la population locale et notamment provenant du maire lui-même. Même s’il ne conçoit pas s’opposer à la vente dans le cas où l’acheteur remplit le cahier des charges, il n’est pas favorable pour autant à voir la chaîne de fast-food s’installer dans l’ancien lieu de culte. « […] même si je préférerais qu’on installe une FNAC dans cette église. Cela dit, à titre personnel, je trouve curieux de voir des vendeurs de poulets tenir boutique dans une église, et encore plus étrange que ce soit l’Église qui le permette.49 ». Auteur inconnu, version en ligne du journal Le Républicain Lorrain, « L’église devient centre commercial », le 08/04/2011 URL : http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2011/04/08/l-eglise-devient-centre-commercial 49 MAZEAUD Guillaume, version en ligne de l’Est Républicain, « Patrimoine - Restauration rapide : Saint-François parle aux poulets », le 04/05/12 URL : http://www.estrepublicain.fr/religion-et-croyance/2012/05/03/saint-francois-parle-aux-poulets 48

03. Dimension politique et sociale de la reconversion | 59


En effet, ici aussi, la posture de continuité est valorisée, avec une certaine vocation culturelle d’une

Il paraît relativement difficile de réaliser ce type d’intervention en France car les contestations émanent

enseigne comme la FNAC. Bien que le projet soit accepté, de manière contrainte, par l’Église, le projet

de toute part. Elles conduisent notamment dans le cas présent à se questionner sur la pertinence

se heurte à d’importantes réticences au sein de la société profane. En effet, les habitants et riverains

d’une telle initiative dans le sens où le quartier autour de l’église est en cours de développement. Cet

sont offusqués par une telle proposition. La firme KFC n’est pas jugée comme légitime à occuper un

accroissement de la population peut alors amener de nouveaux utilisateurs à l’édifice dans sa fonction

bâtiment avec une aussi forte valeur patrimoniale et symbolique.

sacrée d’origine.

La position du maire est d’autant plus délicate qu’il est tenu pour responsable par la population

lorsque ce genre d’initiative qui contraste grandement avec la vocation initiale est permise par la

Les réactions de la population lors d’un projet de reconversion ont conduit, à Étretat, à retirer

commune et réalisée. Ce paradoxe entre l’acceptation du projet et les réticences personnelles du maire

la chapelle de la vente. En effet, celle-ci constitue un des principaux sites touristiques de Normandie et

donne lieu à une incompréhension des habitants, attisée notamment par les opposants politiques de

enregistre en ce sens un fort taux de fréquentation par les touristes et curieux, davantage que par les

ce dernier. Pourquoi la commune ne rachèterait pas elle-même l’édifice afin d’en contrôler pleinement

fidèles. Lors de la mise en vente du bien, Patrice Besse, l’agent immobilier spécialisé dans la vente du

le devenir, d’autant plus qu’elle dispose du mandat du conseil municipal pour le faire ? On se retrouve

patrimoine notamment religieux, a reçu de nombreuses propositions de reconversion.

ici confronté au manque de moyens financiers sûrs à mobiliser sur le long terme dans le secteur public.

Celles-ci étaient diverses et comprenaient aussi bien des vocations commerciales que de loisirs. Elles

En effet, la Mairie dispose de la somme nécessaire à l’acquisition du bien dans l’immédiat mais pas

relevaient aussi bien de la posture de continuité, que de celle de rupture avec notamment un projet

de celle engendrée par les travaux qui suivront pour adapter le bâtiment à de nouveaux usages et

de friterie ou un projet de boîte de nuit. Mais l’agence immobilière en charge de la vente est réputée

l’entretenir. L’achat résulterait alors d’une vision trop court-termiste qui ne serait pas adéquate alors

pour son exigence et veille notamment à la protection du patrimoine ainsi qu’au respect des souhaits

que l’enjeu d’une reconversion est d’apporter une nouvelle vie pérenne, réelle rédemption à l’édifice.

du vendeur. Il avait dans le cas présent recommandé de privilégier la vocation culturelle, comme on

Or celle-ci, bien que motivée à conserver son patrimoine elle-même, n’arrive pas à obtenir les aides

l’observe la plupart du temps. Le projet de friterie a été avorté dès sa présentation à l’agent immobilier

du département et de la communauté urbaine pour l’appuyer dans sa démarche. La commune se voit

qui a lui-même pris la décision de bloquer la vente. En effet, au-delà du souhait du vendeur, cet édifice

donc contrainte de laisser le marché aux promoteurs, même si elle n’est pas forcément favorable aux

est un véritable outil de marketing territorial pour la commune à minima à l’échelle de la France si ce

projets proposés.

n’est plus. Elle est d’ailleurs représentée sur la majorité des produits dérivés du tourisme régional. Or, il ne serait pas judicieux pour la ville de promouvoir une friterie comme image touristique d’autant

b.

plus qu’elle ne serait aucunement représentative de coutumes de la région mais relève davantage d’un

Sollicitation de l’opinion publique comme moyen d’action

mode d’alimentation globalisé. La prise de conscience enclenchée par ce projet extrême a conduit la mairie à considérer l’éventualité du rachat de la chapelle, avec l’aide du Conservatoire du Littoral. En effet, celui‑ci a fait l’acquisition du bâtiment et en a transféré la gestion à la Ville afin de « garantir l’inaliénabilité du bien 51». Cet achat constitue selon les pouvoirs publics la « meilleure façon de protéger

C’est pourquoi une importante communication autour du projet est prévue et rien ne garantit

sa réalisation. En effet, le maire revendique « si le projet passe les obstacles du cahier des charges, je

la chapelle sur le long terme52 » et donc de permettre une rédemption pérenne et un contrôle total de l’image de la commune, et plus largement de la région.

provoquerais une réunion pour connaître le sentiment profond de la population vandopérienne. S’il est hostile, nous verrons.50 ». L’opinion publique semble en ce sens avoir un réel pouvoir décisionnaire

Bien qu’il soit rejeté avec ferveur, ce type de programme n’est-il pas révélateur de notre société

sur ce type d’intervention. Elle est en effet sollicitée pour s’exprimer au sujet de la reconversion, tout

actuelle ? Certes, cette image ne serait pas vendeuse pour l’image du pays. L’attrait touristique d’un

du moins lorsqu’elle soulève de vifs débats et émet des contestations notamment du point de vue

mode d’alimentation globalisé est très limité et ne relève pas d’une caractéristique particulière puisqu’il

éthique, comme ici. La population constitue en ce sens une ressource mobilisable pour les politiques

se retrouve en tous points du globe. Mais ce mode d’alimentation ne se place-t-il pas comme une icône

afin de légitimer leur opposition à de tels projets. D’autant plus que les édifices religieux sont une

de la société de consommation ? N’est-il pas également représentatif de la globalisation qui est portée

caractéristique identitaire de la France et qu’en ce sens, tous les Français sont concernés par ces

par des multinationales ?

interventions qui visent à réinventer et actualiser l’image du pays et de sa population. Il convient en effet de déterminer les emblèmes de la société française actuelle, dignes d’être abrités dans ces emblèmes passés. En effet, la posture de continuité étant davantage admise, elle ne génère pas de débats agités et ne nécessite pas une consultation de l’ensemble de la population. VERDUZIER Pauline, version en ligne du journal Le Figaro, « Querelle de chapelle à Étretat », le 08/08/14 URL : http://www.lefigaro.fr/culture/2014/08/08/03004-20140808ARTFIG00241-etretat-l-esprit-de-chapelle-a-un-prix.php 52 Ibid. 51

50

MAZEAUD Guillaume, Ibid. p. 59

60 | 03. Dimension politique et sociale de la reconversion

03. Dimension politique et sociale de la reconversion | 61


Pour conclure, on peut retenir le fait que la reconversion des édifices religieux soit pratiquée

à l’échelle internationale. Celle-ci est en plein essor à travers le monde et s’observe dans de nombreux pays européens mais également en Amérique du Nord et en Asie. Elle s’impose en ce sens comme une pratique généralisée. La reconversion apporte un élément de réponse aux problématiques auxquelles est confronté le patrimoine religieux chrétien au XXIème siècle. En effet, son obsolescence causée par la désertion des bâtiments par les fidèles ainsi que le coût lié à l’entretien de tels volumes fragilise leur persistance à l’avenir. Finalement, par quel biais peut-on le sauvegarder et lui permettre de retrouver une certaine utilité et présence au quotidien en accueillant davantage de vie en son sein ? Or, la réponse à ce questionnement n’est pas unique, la reconversion ne constitue pas la seule issue offrant l’opportunité de prolonger la pérennité des bâtiments concernés par une potentielle désacralisation. D’autant plus que ce terme ne définit pas une pratique précise mais se module et désigne une multiplicité de réalités. En effet, les reconversions d’édifices religieux prennent des formes différentes en fonction du contexte et des coutumes de chaque pays. Mais on observe également une multiplicité de postures adoptées au sein d’un même pays.

CONCLUSION FOISONNEMENT RELIGIEUX : EMBLÈME DU MONDE CONTEMPORAIN ?

C’est pourquoi nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux formes que revêtent

ce type d’interventions en France. La définition des postures tenues vis-à-vis du patrimoine désacralisé pour y instaurer des usages profanes s’est établie par un classement typologique. Celui-ci est déterminé par le programme de reconversion dont il ressort trois postures majeures. Tout d’abord, la plus promue et la mieux acceptée, la posture de continuité qui offre une forme de prolongation des valeurs véhiculées par l’Église. Elle se retrouve principalement dans des programmes d’équipements culturels ou de centre social et humanitaire. Ensuite, à l’opposé, la posture de rupture qui affirme de façon assez radicale le changement de destination et suscite, de fait, bon nombre de réactions et d’oppositions. Elle se matérialise par des programmes à vocation commerciale, de loisirs ou de logement. Enfin, une dernière posture plus conciliante se démarque, celle de la polyfonctionnalité admettant une mixité d’usages et de programmes. Ainsi, celle-ci ne tranche pas entre rupture et continuité mais allie les deux attitudes et affiche ainsi une offre programmatique d’autant plus complète pour la nouvelle vie qui s’offre au patrimoine en lui permettant d’attirer plus aisément des publics variés.

Or, ces différentes postures intellectuelles vis-à-vis de l’Histoire et de la valeur symbolique de

ces formes architecturales identifiées engendre de multiples débats sociétaux en France. En effet, le phénomène de reconversion des édifices religieux étant émergent, celui-ci interroge tous les publics. Un positionnement doit s’opérer vis-à-vis de ces pratiques pour de nombreux acteurs comprenant aussi bien l’Église que ses fidèles, les institutions politiques et les services publics mais également la société profane. En effet, plus que d’assurer une certaine pérennité, la reconversion constitue une réelle rédemption pour l’édifice en apportant une valeur neuve au patrimoine, que ce soit du point de vue programmatique, architectural, urbain et également de celui des usages. C’est donc ce changement de regard et ce renouveau pour le patrimoine pluri-centenaire, voire millénaire, qui est sujet à controverses.

Conclusion : Foisonnement religieux : emblème du monde contemporain ? | 63


De plus, cette pratique est intimement liée à la question de la définition de l’identité nationale

Celle-ci vise à s’opposer à la transformation d’églises en mosquées. Cette pétition a

en France. Elle relève en ce sens d’un caractère assez général, au-delà de la notion d’appartenance

comptabilisé de nombreuses signatures et notamment celles d’Éric Zemmour et de l’ancien Président

théologique. En effet, ces formes architecturales identifiables sont caractéristiques du pays et

de la République, Nicolas Sarkozy. Ce type de réaction pose question dans le contexte d’un pays

reconnues comme telles non seulement par les Français eux-mêmes, mais sont également associées à

laïc, dans lequel la politique se doit d’être gérée et menée de façon indépendante vis-à-vis de toute

l’image du pays à l’international. Les bâtiments dédiés au culte catholique sont répartis sur l’entièreté

confession religieuse. En quoi, un pays qui ne reconnait aucune religion, ne peut-il pas s’adapter aux

du pays selon un maillage sacré appliqué aussi bien aux situations géographiques urbaines que rurales.

évolutions théologiques de sa population ? La pétition convoque alors les termes de « patriotisme »,

Ils s’imposent alors comme une constance des paysages de l’hexagone et témoignent d’un ancrage

« héritage », va jusqu’à implorer « la piété de nos ancêtres » ou encore « la haute mémoire de notre

catholique extrêmement fort dans la société française, qui tend à s’affaisser depuis quelques années,

pays »55. Certes, la France est un pays de tradition catholique mais est-ce vraiment nier le passé que

comme vu précédemment. Leur désertion par les fidèles et la remise en question de leur fonction induit

de s’adapter aux changements sociétaux ? Cette pensée n’est-elle pas une forme de conservatisme

donc directement un questionnement sur un des emblèmes du pays. Quelle image veut se donner la

poussant à la muséification du patrimoine ? Certes, des contraintes juridiques et spatiales s’imposent

France du XXI

siècle ? Une posture est-elle en mesure de catalyser et de représenter des valeurs

rapidement comme limites à ce type d’intervention puisque les pratiques religieuses catholiques et

portées par tous, comme l’étaient les lieux de culte par le passé ? Plus que la question patrimoniale,

musulmanes sont bien différentes. Mais, au-delà de cette question physique et factuelle, ce genre

c’est donc la réinvention d’une part de l’identité du pays qui est en jeu dans la reconversion des édifices

de reconversion ne serait-il pas un emblème de la société actuelle du point de vue symbolique ? En

religieux. Celle-ci est d’autant plus importante qu’elle participe à l’attrait touristique du pays. Mais,

effet, si le foisonnement de religions est un signe majeur du monde contemporain56, la transformation

aucune des postures de reconversions que nous avons pu étudier ne semble tendre à se dégager

d’églises en mosquées ou en temples bouddhistes ne pourrait-elle pas en être un emblème traduisant

nettement comme issue principale quant au devenir des édifices religieux désacralisés. On se heurte

une véritable laïcité à promouvoir pour la France ?

ème

alors à l’incapacité de définir un programme unique représentatif de la société actuelle pour remplacer l’icône d’un temps révolu.

Or, dans ce mémoire, la réflexion est centrée sur les usages profanes instaurés dans les bâtiments

religieux. L’enjeu était tourné vers la compréhension du glissement du référentiel sacré au référentiel profane. Or, les reconversions perdurant dans le référentiel sacré, c’est-à-dire la transformation de bâtiments voués au culte catholique en lieux de culte dédiés à d’autres religions, constituent une autre possibilité quant au devenir des édifices désacralisés. Ce type de programme se développe non seulement au Canada, mais aussi en France. Ils suscitent tout autant, sinon plus de réactions que les reconversions à des fins profanes. On observe, notamment en France, des initiatives de reconversion du patrimoine catholique en lieux de culte musulman qui sont particulièrement sujettes à polémiques. En 2015 par exemple, suite à un entretien lors d’une émission de radio, le recteur de la Grande mosquée de Paris a établi un lien assez rapide entre le nombre conséquent d’églises désaffectées et le manque de lieux de cultes musulmans. Ils jugeait la reconversion d’églises en mosquées « délicat, mais pourquoi pas53 ». La polémique a alors pris très rapidement de l’ampleur. Celle-ci n’émane pas de l’Église catholique, bien qu’elle émette quelques réticences à ce sujet. Elle reconnaît tout de même volontiers que cette destination demeure préférable comme devenir pour les bâtiments de culte à certains programmes de rupture comme le revendique le Père Éric54. C’est le journal Valeurs Actuelles, soutenu par l’écrivain et journaliste Denis Tillinac, qui a lancé une pétition appelée « Touche pas à mon église ! » en réaction à la déclaration du recteur de la Grande mosquée de Paris.

53

ROUX Caroline, site de la radio Europe 1, « Sarkozy signe un appel pour défendre les églises... avec Zemmour et

Finkelkraut », le 09/07/15 URL : http://www.europe1.fr/politique/sarkozy-signe-un-appel-pour-defendre-les-eglises-avec-zemmour-et-finkelraut-1365812 54 « Si on y prie, tant mieux, je préfère évidemment ça à une boîte de nuit » Entretien avec le Père Eric à la paroisse Notre Dame de Talence, le 16 décembre 2016 64 | Conclusion : Foisonnement

religieux : emblème du monde contemporain ?

MUNIER François, site d’information indépendant Mediapart, « Pétition de Valeurs actuelles : stupide et dangereux », le 10/07/15 URL : https://blogs.mediapart.fr/francois-munier/blog/100715/petition-de-valeurs-actuelles-stupide-et-dangereux 56 BERNIER Lyne, Op. Cit. 55

Conclusion : Foisonnement religieux : emblème du monde contemporain ? | 65


SOURCES IMPRIMÉES OUVRAGES BOITO Camillo // traduction CHOAY Françoise, Conserver ou restaurer : les dilemmes du patrimoine, Paris, Éditions de l’Imprimeur, 2000 CAVACHE Sonia, Une seconde vie pour les églises : la reconversion contemporaine des églises et chapelles anciennes en France, Mémoire de master, École Nationale d’Architecture de Paris La Villette, 2014 DUBOSCQ Bernadette, MOULINIER Pierre, Églises, chapelles et temples de France : un bien commun familier et menacé, Paris, Éditions de La documentation française, 1987 HEINICH Nathalie, La fabrique du patrimoine : de la cathédrale à la petite cuillère, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009 LANG Jack, Ouvrons les yeux ! : la nouvelle bataille du patrimoine, Paris, Éditions HC, 2014

BIBLIOGRAPHIE

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dame-des-grace-en-bureaux-toulouse-32.html

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Auteur inconnu, Démocratie royale, « 13 églises à vendre », le 28/11/11

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URL : http://www.lemoniteur.fr/article/a-toulouse-l-ancienne-eglise-de-notre-dame-des-graces-renait-avec-une-nouvelle-vocation-27263056 70 |

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Auteur inconnu, page officielle du projet Ink and Movement Iam, « Kaos Temple by Okuda San Miguel », date de parution inconnue [consulté le 03/12/16] URL : http://iamgallerymadrid.com/portfolio-item/kaos-temple-by-okuda-san-miguel/

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72 |

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01.

DU CULTE AU CULTUREL : UNE FORME DE CONTINUITÉ Le théâtre Dijon-Bourgogne

ADRESSE Eglise St Jean Rue Danton 21 000 DIJON RAPPORT À LA VILLE ET À SES AUTRES ÉDIFICES RELIGIEUX Superficie de la commune : 40.4 km² Nombre d’édifices religieux recensés : 33 Densité du maillage religieux : 0.82 bâtiment/km²

ANNEXES Église reconvertie étudiée Autres édifices religieux de la ville

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Données historiques

DISPOSITIFS ARCHITECTURAUX MIS EN ŒUVRE

DATE DE CONSTRUCTION

DATE DE DÉSACRALISATION

DATE DE RECONVERSION

Entre 1447 et 1470

1973

Entre 1986 et 1991

MESURE DE SAUVEGARDE PATRIMONIALE 1862 : Eglise classée Monument Historique

HISTOIRE DE L’ÉDIFICE Récupérée à la Révolution Française : utilisée alors comme dépôt de fourrage, puis comme marché et ensuite de bureau de pesage pour les porcs. Ensuite, elle a servi d’entrepôt de farine pour les boulangers de la ville. Suite à sa classification au titre des Monuments Historiques, elle retrouva son usage cultuel. Après désacralisation, elle fut employée en tant que réserve du musée des Beaux-Arts. 1974 : idée de reconversion : théâtre, mise en place d’une structure démontable ; représentation sur le parvis puis travaux de modernisation entre 1986 et 1991.

Reconversion

Intervention moindre sur le volume existant ; ajout de simples structures

PROGRAMME ARCHITECTURAL Salle de spectacle de 300 places : _Accueil _Régie _Gradins _Scène Sanitaires en-sous sol Espace de librairie/bibliothèque Bar pour proposer des boissons à l’entracte

76 |

ACTEURS DE LA RECONVERSION Statut de Centre dramatique National qui confère une certaine attractivité à cette reconversion puisque ce label est un gage de qualité de la production. Prise de conscience par la Ville que l’édifice ne pouvait pas demeurer comme réserve suite à l’endommagement du bâtiment par un orage : question de la réparation et de l’entretien a engendré l’idée de reconversion

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02.

Données historiques

D’EMBLÈME RELIGIEUX À EMBLÈME DE LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION : LA RUPTURE Notre Dame des Grâces à Toulouse

DATE DE CONSTRUCTION

DATE DE DÉSACRALISATION

DATE DE RECONVERSION

1871-1878

2011

2013-2014 (17 mois de travaux)

ADRESSE

MESURE DE SAUVEGARDE PATRIMONIALE

Eglise Notre Dame des Grâces 27 bis allées Jean Jaurès 31 000 TOULOUSE

Pas de mesure de sauvegarde du patrimoine à proprement parler mais il est inclus dans un périmètre sauvegardé de 500m autour d’un édifice classé puisqu’il est situé en plein centre-ville. Chantier soumis au contrôle d’un ABF

RAPPORT À LA VILLE ET À SES AUTRES ÉDIFICES RELIGIEUX Superficie de la commune : 118.3 km² Nombre d’édifices religieux recensés : 63

HISTOIRE DE L’ÉDIFICE XVIIème siècle : Construction du RDC

Densité du maillage religieux : 0.53 bâtiment/km²

1875 : Les religieux des Carmes trouvent refuge (suite à inondation de l’église qu’ils occupaient initialement) dans ce qui est à cette époque une salle de bal. Construction à la suite de ça de la partie supérieure du bâtiment qui devient une l’église Les religieux occupent les parties supérieures de l’édifice alors que le RDC reste à vocation commerciale. Il accueille un garage automobile, une banque et pendant un temps la rédaction toulousaine de « La Dépêche du Midi »

Reconversion PROGRAMME ARCHITECTURAL Direction régionale du groupe Kaufman & Broad _Show-room en RDC _3, 4 et 5ème étages : 100 collaborateurs du groupe Siège régional de l’entreprise Valtech Agence bancaire de la Caisse d’Épargne Multiplication par 2 de la surface du bâtiment : surface totale d’environ 3000m² répartis sur 6 niveaux

Église reconvertie étudiée Autres édifices religieux de la ville

78 |

| 79


DISPOSITIFS ARCHITECTURAUX MIS EN ŒUVRE Niveau RDC abaissé à celui de la place d’Arménie pour faciliter accès PMR Destruction d’une partie plus actuelle de la façade afin de pouvoir la remplacer par l’ascenseur panoramique Élévation de la toiture afin de laisser pénétrer la lumière au R+5

03.

VERS UNE VOCATION PLURIELLE : LA POLYFONCTIONNALITÉ L’Archipel à Paris

Creusement de la toiture pour offrir une terrasse au R+3 Façade Sud entièrement évidée (conservation uniquement des éléments verticaux) : façade largement vitrée et protégée par des brises-soleil Conservation des piliers et contreforts pour rythmer la trame de bureaux. Les circulations intérieures ont totalement été repensées : cf plan et coupe ci-dessous : noyau central de distribution ajouté

ADRESSE Couvent des Oblats de Marie-Immaculée (O.M.I.) 26 bis rue St Pétersbourg 75 008 PARIS (8eme arrondissement)

RAPPORT À LA VILLE ET À SES AUTRES ÉDIFICES RELIGIEUX Superficie de la commune : 105.4 km² Nombre d’édifices religieux recensés : 181 Densité du maillage religieux : 1.7 bâtiment/km²

ACTEURS DE LA RECONVERSION Achat de l’édifice par Kaufman & Broad en juillet 2013 Cette opération illustre la politique de diversification de Kaufman & Broad qui se lance également dans la construction de bureaux

Église reconvertie étudiée Autres édifices religieux de la ville

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Données historiques

L’ L’ ARCHIPEL ARCHIPEL

DATE DE CONSTRUCTION XIXème

DATE DE DÉSACRALISATION

DATE DE RECONVERSION

Probablement jamais sacralisé

//

MESURE DE SAUVEGARDE PATRIMONIALE

L’

Pas de mesure de sauvegarde du patrimoine à proprement parler mais il est inclus dans un périmètre sauvegardé de 500m autour d’un édifice classé puisqu’il est situé en plein centre-ville.

Chantier soumis au contrôle d’un ABF DES ESPACES PRIVATISABLES HORS DU COMMUN EN PLEIN PARIS

SALLE DU CONSEIL

POLYVALENTE Coworking et espaces de séminaires : bureauxSALLE et salles de réunion : entrepreneurs sociaux CAFÉ DE L’ARCHIPEL TOUS PUBLICS Centre d’hébergement d’urgence (CHU) :ACTIVITÉS accueille des familles et des femmes enceintes ou isolées en

situation de grande précarité. Aujourd’hui le CHU en moyenne NEFaccueille / yoga, brunchs, troc 120 livrespersonnes et 50 enfants venus de 37 pays différents

ATELIER / couture, DIY ACTIVITÉS TOUS PUBLICS COWORKING / pour des projets à impact social positif

La surface totale de l’édifice est de 15 000 m², les programmes mis œuvre convergent CAFÉ ouverture duen lundi au vendredi de vers 11h30un à idéal 14h30 NEF / /yoga, brunchs, troc livres de mixité sociale : évènements et activités culturelles solidaires qui suscitent des nouvelles dynamiques TROCSHOP / espace d’échanges de services ATELIER / couture, DIY à l’échelle du quartier

Accès aux espaces COWORKING / pour des projets à impact social positif

Accès aux espaces

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Les bénéfices de la privatisation sont réinvestis dans les projets SALLE de L’Archipel et POLYVALENTE viennent en priorité soutenir les activités à destination des résidents du Centre d’HéCAFÉ DE L’ARCHIPEL bergement d’Urgence.

.. .. .

.. .. .

SERVICES : TOUS PUBLICS ACTIVITÉS

ESPACES PRIVATISABLES NEF SALLE BAU BÔ SALLE DU CONSEIL SALLE POLYVALENTE CAFÉ DE L’ARCHIPEL

CAFÉ / ouverture du lundi au vendredi de 11h30 à 14h30 TROCSHOP / espace d’échanges de services

St P

couture ouvert à tous le dimanche

de

DE L’ARCHIPEL SALLE BAU BÔ lieu de travail qui en échange donne 1 journéeCAFÉ par jour au centre d’hébergement d’urgence ; cours de

.. .. .

rue

POLYVALENTE NEF Atelier de couture sous verrière : 12 machinesSALLE à coudre ; mis à disposition d’une couturière comme

viennent en priorité soutenir les activités à destination des résidents du Centre d’Hébergement d’Urgence. RDCsur-mesure. Chemin street art La plupart des espaces de L’Archipel peuvent accueillir des événements Au total, ce sont environ 600 m2 privatisables par des agences, des entreprises, des associations et des particuliers. ESPACES PRIVATISABLES Chapelle, alcôves en balcon et salles de réunion peuvent être aménagées selon vos RDC réunions NEF besoins : séminaires, conférences, workshops, concerts, défilés, expositions, créatives dans des hamacs, déjeuners d’équipe, cocktails, spectacle vivant, projecSALLE BAU BÔ tions,… SALLE DU CONSEIL

bis

SALLE BAU BÔ ESPACES PRIVATISABLES Salon de thé construit en matériaux de récupération SALLE DU CONSEIL

Les bénéfices de la PARIS privatisation sont réinvestis dans les projets de L’Archipel et DES ESPACES PRIVATISABLES HORS DU COMMUN EN PLEIN

26

aménagés dans les alcôves

Chapelle, alcôves en balcon et salles de réunion peuvent être aménagées selon vos besoins : séminaires, conférences, workshops, concerts, défilés, expositions, réunions créatives dans des hamacs, déjeuners d’équipe, cocktails, spectacle vivant, projections,…

bis

.. .. .. .. .. .. .. ..

samedi) et salle d’activités (ex : cours de yogaNEF ou d’art floral) + espaces de sieste dans des hamacs

La plupart des espaces de L’Archipel peuvent accueillir des événements sur-mesure. Au total, ce sont environ 600 m2 privatisables par des agences, des entreprises, des associations et des particuliers.

26

Ancienne chapelle de 600m² :

Les bénéfices de la privatisation sont réinvestis dans les projets de L’Archipel et viennent en priorité soutenir les activités à destination des résidents du Centre d’HéESPACES PRIVATISABLES Immense bibliothèque de 8000 livres (troque de bouquins chaque bergement d’Urgence.

DES ESPACES PRIVATISABLES HORS DU COMMUN EN PLEIN PARIS

ARCHIPEL 26

PROGRAMME ARCHITECTURAL

Chapelle, alcôves en balcon et salles de réunion peuvent être aménagées selon vos Les bénéfices de la conférences, privatisation workshops, sont réinvestis dans défilés, les projets de L’Archipel et besoins : séminaires, concerts, expositions, réunions viennent en priorité soutenir les activités à destination des résidents du Centre d’Hécréatives dans des hamacs, déjeuners d’équipe, cocktails, spectacle vivant, projecbergement d’Urgence. tions,…

rue

Reconversion

L’

Chemin street art

St P

Chapelle, en balcon et salles de réunion peuvent être aménagées selon vos La plupartalcôves des espaces de L’Archipel peuvent accueillir des événements sur-mesure. besoins séminaires, conférences, workshops, concerts, défilés, expositions, réunions Au total,: ce sont environ 600 m2 privatisables par des agences, des entreprises, des créatives dans des particuliers. hamacs, déjeuners d’équipe, cocktails, spectacle vivant, projecassociations et des tions,…

bis

Occupé par l’INPI (Institut national de la Propriété Industrielle) de 1945 à 2012

R+1

de

Hôtel colonial

ARCHIPEL

Chemin street art

La plupart des espaces de L’Archipel peuvent accueillir des événements sur-mesure. Au total, ce sont environ 600 m2 privatisables par des agences, des entreprises, des DES ESPACES HORS DU COMMUN EN PLEIN PARIS associations et desPRIVATISABLES particuliers.

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HISTOIRE DE L’ÉDIFICE

R+1

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NEF / yoga, brunchs, troc livres

• Accès Personnes à Mobilité Réduite. ATELIER / couture, DIY • Wifi en accès gratuit. COWORKING / pour des projets à impact social positif SERVICES : • Visites sur rendez-vous.

CAFÉ / ouverture du lundi au vendredi de 11h30 à 14h30

TROCSHOP / espace d’échanges de services • Accès Personnes à Mobilité Réduite. aux espaces • Wifi en accèsAccès gratuit.

• Visites sur rendez-vous.

ACTIVITÉS TOUS PUBLICS NEF / yoga, brunchs, troc livres ATELIER / couture, DIY COWORKING / pour des projets à impact social positif CAFÉ / ouverture du lundi au vendredi de 11h30 à 14h30 TROCSHOP / espace d’échanges de services

S

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• Accès Perso • Wifi • Visites


DISPOSITIFS ARCHITECTURAUX MIS EN ŒUVRE

My little Paris Créée en 2008

LA NEF AU CŒUR

Expérimentation éphémère : convention d’occupation temporaire de 2012 jusqu’en 2017 dans le cadre

Communauté de plus d’un million de Parisiens fédérée autour de bons plans, idées de sorties envoyées

de la campagne hivernale : les lieux vont être repris par la mairie de Paris pour y installer par les logements sociaux.

par newsletter et box surprise mensuelle.

Les aménagements sont donc réduits au minimum pour ne pas entraver la vocation future comme

Simplon.co

l’intervention limité dans le temps se doit d’être réversible

Labellisée French Tech : entreprise agréée solidaire qui propose des formations gratuites aux demandeurs d’emploi, allocataires RSA, jeunes issus des quartiers populaires et milieux ruraux.

SALLE DU CONSEIL

Les Compagnons du Dev Ensemble Communication Participatives Membres du programme Européen « TRANSITION, booster de l’innovation sociale »

Très lumineuse et calme, cette salle haut de gamme est située au 1er étage et peut accueillir des réunions de 30 à 40 personnes. Elle est équipée de micros et d’un vidéoprojecteur.

Missions : Améliorer la participation des individus à des dynamiques collectives : favoriser l’engagement autour

Surface : 60 m2 Capacité d’accueil : 60 debout // 40 assis

de projets collectifs Favoriser un dialogue constructif entre les professionnels et les personnes auxquelles ils sont confrontés.

ACTEURS DE LA RECONVERSION Aurore

Véritable cœur de L’Archipel, cette chapelle désacralisée à la fois magistrale et apaisante offrira une dose d’exceptionnel à vos événements de grande envergure. Ses 300m2 vous permettent d’envisager de nombreux formats d’événements .

TOUT EST POSSIBLE, OU PRESQUE !

C’est la plus ancienne association française. Fondée en 1871 et reconnue d’utilité publique en 1875, Surface : 300 m2

elle emploie aujourd’hui plus de 1200 personnes et :gère une//centaine de dispositifs dans les métiers Capacité d’accueil 290 debout 180 assis de l’Hébergement, l’Insertion et le Soin.

Hauteur : 15m

SALLE public extérieur afin de soutenir le fonctionnement de l’associationPOLYVALENTE (ex : 2€ reversés à Aurore lors de Invention de nouvelles sources de financement : locations des espaces, activités payantes pour le l’achat de chaque brunch pour financer les repas des personnes hébergées) Spacieuse et modulable, cette salle permet d’accueillir L’entreprise sociale Baluchon Créée en 2014

SALLE BAU BÔ

de nombreux types d’événements : déjeuners d’équipe, cours de danse, workshops, réunions créatives dans des hamacs…

Cette salle intimiste tient son nom de l’artiste qui l’a décorée. Colorée et chaleureuse, elle apporte une touche de fantaisie à vos réunions. Attenante au Café, vous pouvez également y organiser des déjeuners d’équipe.

Surface : 90 m2 Capacité d’accueil : 90 debout // 60 assis

Surface : 20 m2 Capacité d’accueil : 20 debout // 15 assis

Entreprise de réinsertion social par le travail avec des expériences d’une durée de 10 à 24 mois. Sert des repas et boissons à petits prix cuisinés avec des produits frais et locaux. Les camionneuses L’association proposent aux porteurs de projet et entrepreneurs culinaires des services économiques et flexibles pour faciliter la création et le développement de leur activité. MOUVES Association qui fédère et représente les dirigeants d’entreprises sociales. 3 missions : Faire grandir une large communauté d’entrepreneurs sociaux Faire connaitre leurs secteurs d’intervention Contribuer à la création d’un environnement politique favorable à leur essor

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ENTRETIEN

AVEC LE PÈRE ÉRIC Presbytère de la paroisse Notre Dame de Talence, Allée du 7ème art, 33400 Talence Le 16 décembre 2016

Sara Ballesta : Mes recherches portent sur la reconversion du patrimoine qui marque le territoire, autrement dit les grands édifices qui servent de repère, notamment les églises. Pour commencer, j’aurais aimé connaître, de façon assez brève, votre définition du rôle de l’église, au sens de bâtiment ? ► Père Éric : Alors je n’y ai pas réfléchi plus que ça mais… Pour moi, la première fonction c’est d’être un lieu où les chrétiens se réunissent pour se tourner ensemble vers Dieu avec une forme de paradoxe. La religion chrétienne naît dans le prolongement du judaïsme, qui a émergé en Israël. Puis, est né le désir d’avoir un lieu où se réunir, où Dieu serait présent. C’est le temple de Jérusalem, le lieu par excellence mais il sera détruit quand le peuple d’Israël infidèle est déporté à Babylone. Un second temple est ensuite construit, et celui-ci, Jésus annonce qu’il va disparaitre. Aujourd’hui il n’y a d’ailleurs plus de temple mais une mosquée. Nous chrétiens, on est alors un peu choqué, mais on réalise alors que le temple c’est Jésus lui-même. Donc on n’a plus besoin de temple… C’est le paradoxe dans lequel on est. Concrètement, on a besoin d’un lieu pour se réunir, notamment pour se protéger du climat. Mais on n’en a pas un besoin absolu parce que dès qu’on est deux ou trois réunis dans la foi chrétienne, Dieu est avec nous. Nous, catholiques, on va d’ailleurs plus loin que d’autres, en disant que nos églises sont consacrées à Dieu, donc il y a un rite de consécration. Par exemple, il n’y a pas longtemps à Gradignan, il y avait eu des travaux alors l’évêque est venu consacrer l’autel avec de l’huile spéciale, etc. Et le prêtre a dit qu’il s’était passé quelque chose d’incroyable dans notre communauté, d’unité, de renouveau. Pour nous, ce lieu est aussi important en termes spirituels, c’est un lieu d’identification. On le voit bien d’ailleurs ici, c’est une petite église de campagne qui a été agrandie dans les années 1970, l’autel est resté au milieu, ce qui fait que pendant trente ans mes prédécesseurs ont fait la girouette. Moi j’ai dit « ça ne va pas le faire », donc j’ai déplacé l’autel à l’extrémité. Mais le fait qu’on change, c’est important, il y a un monsieur dans l’assemblée qui n’a pas supporté ; parce que comme dans tout ce qui touche au spirituel, les rites et l’architecture sont des choses qu’on investit spirituellement, c’est la modalité par laquelle on prie. Quand on change l’autel, le décor, etc., c’est à la fois l’occasion d’un renouvellement de notre relation à Dieu mais aussi ça perturbe un peu… Ça, c’est du point de vue de la communauté chrétienne. Ici, à Talence, on a deux églises, dont une à Thouars qui a été construite par les habitants euxmêmes, c’est une histoire extraordinaire. Dans le quartier les gens y sont attachés parce que leur père ou leur grand-père a participé à la construction, mais elle n’a pas la visibilité que nous avons ici… L’église dans un centre-ville, elle est un signe pour les gens de passage, qu’ils soient croyants ou non. S’ils ont un problème, ils viennent mettre un cierge. C’est un lieu où on sait, enfin on sait… où il y a une tradition qui fait que dans un certain nombre de familles, on vient. On se rend compte aujourd’hui qu’il y a un certain nombre de gens qui ne savent pas qu’ils peuvent entrer dans l’église… Donc c’est un signe qui fonctionne un peu mais pas complètement puisque tout le monde ne se sent pas autorisé à entrer. Il fonctionne dans la verticalité en indiquant la transcendance, qui renvoie à la dimension supérieure. 86 |

Très bien. Cette définition était plutôt un prélude, pour que nous partions de la même base de discussion. En effet, je m’intéresse plus précisément à la reconversion des édifices religieux. C’est-à-dire qu’ils sont réhabilités avec d’autres usages, qui accueillent d’autres fonctions… Donc j’aimerais savoir si vous connaissiez la procédure qui mène à reconvertir une église et de qui émane cette décision ? ► Alors on a deux types de bâtiments : les bâtiments construits avant 1905 qui sont propriétés de la commune et dont l’affectataire est le curé de la paroisse. Mr le Maire n’a pas le droit d’avoir la clé en théorie, même si en principe il l’a pour des questions pratiques. Il a le devoir du clos et du couvert, donc de l’entretien mais il n’en a pas l’usage et par conséquent il n’a pas le droit de décider de sa fermeture ou de la raser. Il peut juste en interdire l’accès pour des raisons de sécurité. Et puis, il y a les églises construites après 1905 ou qui n’ont pas été confisquées parce qu’elles étaient propriétés privées à l’époque, elles appartiennent à l’association du diocèse. Dans tous les cas, la désacralisation et la transformation de l’édifice ne peuvent venir que de l’initiative de l’Église. Dans la mesure où c’est un lieu de culte, seuls le diocèse et le curé peuvent décider. Le choix de renoncer à votre patrimoine ne doit pas être évident. Qu’est-ce qui vous conduit à prendre de telles décisions ? ► Il y a des regroupements parce qu’il y a moins de prêtres ou moins de croyants ou que le bâtiment est en trop mauvais état. C’est les deux questions finalement : soit parce que la sociologie religieuse a bougé et que l’édifice n’est plus utile, soit parce qu’il est en mauvais état et qu’on n’a pas les moyens de le rénover. Ou alors parfois il y a une espèce de stratégie. Il y a 50 ans, il y avait un clocher par quartier. On avait un prêtre par église et ça marchait bien. Maintenant, on est embêté parce qu’on a un prêtre pour dix à vingt-cinq clochers et on n’a pas de lieu pour regrouper tout le monde parce que les églises n’ont pas été conçues pour. Moi, j’ai un problème ici, j’ai trop de monde le dimanche matin. Et donc on peut imaginer réfléchir comme au Canada en se disant qu’on a deux petites églises, on en ferme une et on la vend. Avec le produit de la vente, on en fait une plus grosse et plus adaptée comme les megachurch nord-américaines : avec un grand hall d’entrée, un bar, des toilettes, un équipement vidéo etc. Ici je suis embêté, si je veux servir un verre, en été j’ai le parvis, mais en hiver je ne peux pas. Et en plus, je n’ai pas de toilettes, à part dans la sacristie. Donc aujourd’hui les églises ne sont plus adaptées. Vous abordez ici la question des deux grandes institutions qui régissent ces bâtiments, la commune et l’Église, mais les fidèles ont-il un avis à donner lorsqu’on décide de désacraliser et de vendre un bien religieux ? ► Ça dépend des lieux. Je sais qu’à l’époque de la vente de la chapelle du Christ Rédempteur à Talence, ça a fait beaucoup de bruit y compris dans la presse, mais je n’étais pas là. Je crois qu’en règle générale, les chrétiens sont consultés. Mais à un moment, il faut trancher, parce qu’il y a aussi quelques idéalistes. Il y a d’ailleurs un livre assez drôle qui est sorti qui s’appelle « Mr le curé fait sa crise ». C’est une fiction dans laquelle on décide de raser une église, et quelqu’un, à l’autre bout de la France décide de la sauver. Alors c’est gentil, sauf que ça coûte un million et qu’on ne les a pas. C’est sans proportion. Prudence, l’Église n’aime pas désacraliser une église. Le Cardinal Lustiger qui était l’archevêque de Paris entre 1981 et 2000 et quelques, quand il est arrivé, on lui a dit qu’il fallait fermer des églises et qu’il n’y avait pas d‘autre solution pour regrouper les gens. Sauf qu’il a dit négatif, on a besoin d’une église à côté. Même quand on est Parisien, on ne traverse pas la ville pour un temps de prière. Au contraire, je ne vais pas fermer des églises mais en construire. Il a donc fait le pari de la proximité et il faut le faire mais avec les moyens qu’on a. Les gens sont attachés au lieu dans lequel ils ont priés, où ils ont été baptisés, où le grand-père a été enterré… Donc c’est toujours un drame mais parfois l’Église n’a pas les moyens. A Talence, la construction a été faite par le lègue d’un prêtre qui a mis dans son testament l’exigence que si elle était vendue un jour, le produit de la vente ne pourrait servir que pour du culte. Donc je n’ai le droit d’investir que dans d’autres églises et donc de les améliorer. | 87


Comme vous me l’avez dit, vous décidez de la désacralisation et de la vente, mais avez-vous un certain contrôle du devenir du bâtiment une fois qu’il est désacralisé ? ► Alors déjà la désacralisation est une cérémonie. Très concrètement on retire l’autel qui avait été consacré, les reliques, les hosties… On ne laisse rien des objets de culte dans l’église. Dans notre cas, le diocèse, qui est le propriétaire légal, a mis une condition dans l’acte notarié pour que ça ne devienne ni un autre lieu de culte, pour ne pas que la secte X puisse s’installer dedans, ni une boite de nuit etc… On a mis des conditions dans l’acte de vente. L’acquéreur ne peut pas en faire n’importe quoi. On vérifie la conformité du projet lors du dépôt du permis de construire. Pour vous, la reconversion c’est un moyen de conserver malgré tout le patrimoine ou parfois vous préféreriez qu’il soit détruit plutôt que de le voir accueillir d’autres activités ? ► Moi, c’est la première fois que je suis confronté à cette question directement. Pour être honnête, quand je suis arrivé, j’ai bloqué la vente pendant plus d’un an. Je voulais bien entendre que ça ne puisse plus servir pour le culte etc., etc. mais puisqu’un promoteur voulait en faire des logements d’étudiants et que moi j’aimerais bien faire un foyer d’étudiants, autant réfléchir et voir si je peux le faire moi-même. Je voulais réfléchir à nouveau, parce que d’un, je ne suis pas ravi qu’on vende cette église, de deux, si je peux faire un foyer d’étudiants en gardant une petite chapelle, je permets de conserver un petit lieu de culte. Je souhaite qu’il soit ouvert sur l’extérieur, que la mamie qui vient régulièrement mettre sa bougie pour prier puisse continuer à le faire. On a donc poussé cette étude jusqu’au bout, voir la faisabilité technique, juridique et financière. On s’est rendu compte malgré nous que ça ne marchait pas. Le volume était classé monument remarquable et donc l’acquéreur était obligé de garder l’enveloppe, ce qui était compliqué. On a travaillé avec deux architectes et on s’est rendu compte que vraisemblablement ça ne marchait pas si on ne faisait pas de grands volumes, or les chambres d’étudiants sont des petits volumes donc ce n’était pas compatible… Et donc on a accepté. La question exacte c’était ...? Est-ce que vous acceptez la reconversion par la contrainte ? Est-ce que vous l’acceptez totalement et que y voyez-vous un moyen de conserver le patrimoine ? Ou est-ce que parfois ça vous parait « trop » et vous vous dites que ça serait mieux qu’elle soit détruite plutôt qu’elle ne devienne autre chose ? ► Là en l’occurrence je n’ai pas le choix… Je n’ai pas le choix puisque la commune l’a classée et on ne peut pas la détruire. Si demain ça devenait une surface comme on en voit de temps en temps, euh… bon. Ceci-dit, ici ce n’est pas un bâtiment remarquable au sens où on n’a pas des arcs gothiques etc. Par contre, quand je vais à la DRAC, que je suis dans la chapelle transformée en salle de réunion, c’est plutôt drôle. Mais je me dis, après tout si c’est une trace dans l’histoire que des hommes et des femmes ont prié là, je n’ai pas l’intention de mettre un coup de bulldozer. Ça ne me choque pas… Par contre quand j’ai vu à Lyon, une église transformée en boite de nuit qui portait un nom chrétien, là pour le coup ça a un goût de blasphème et on alerte les pouvoirs publics d’un détournement de la finalité. Ce n’est pas respectueux, ça me choque… Mais si ça devient par exemple une salle de spectacle ou de concert parce qu’il y a une bonne acoustique et qu’on joue des symphonies dedans, super ! Vous y voyez une sorte de prolongation ? ► Tout à fait, une prolongation culturelle qui peut être très juste !

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Très bien. Et donc, si vous pouviez imaginer une reconversion idéale, ça serait celle-là ? ► Une salle de spectacle, ça a du sens. Par exemple, le spectacle de musique dans une église inutilisable, ça ne me parait pas bête. Et puis on a la hauteur, l’architecture… Ça n’est pas la même chose de faire un spectacle dans une salle en béton ou dans une église. Vous connaissez d’autres types de reconversions ? Et bien par exemple, j’étudie un cas au Canada où une ancienne église accueille aujourd’hui un centre d’escalade qui permet de s’élever d’une autre façon on va dire, dans une sorte de détournement, de réinterprétation ou encore un skatepark en Espagne. Sinon, dans une autre veine, à Toulouse, des promoteurs ont installé leurs bureaux dans une ancienne église ou ici on a un centre commercial. Sinon, à l’opposé, on a des lieux plutôt culturels, comme vous avez pu m’en parler spontanément avec des bibliothèques, des salles de spectacles… ► Le pape Benoît XVI, je ne sais plus en quelle année, a fait un discours remarqué à Paris dans un centre culturel, le centre des Bernardins qui est un ancien monastère. Il a parlé à 700 intellectuels et hommes de culture français dont très peu étaient catholiques. Il est parti du bâtiment. Il a dit : Ici il y eu des moines. Qu’ont fait les moines ? Ils ont cherché Dieu. Comment ont-ils cherché Dieu ? Ils l’ont cherché dans la bible. Pour y arriver, ils ont travaillé la linguistique. Et puis, pour répondre à Dieu, ils ont chanté. Ils ont beaucoup travaillé la musique, l’art et l’architecture. Et donc, la culture que nous connaissons doit beaucoup à ces moines. C’était remarquable, en face de lui il y avait beaucoup d’agnostiques et ils ont tous applaudi. Donc d’avoir un lieu culturel ça a du sens plus que du business où c’est plutôt le Dieu argent qui est en jeu ou le Dieu loisir, je ne sais pas comment dire… Donc si je comprends bien, tous ces programmes n’ont pas la même légitimité à être abrités par une église, bien qu’elle soit désacralisée ? ► Ah ben non. Non. Je pense que l’architecture a un sens. Je ne fais pas la même chose dans ma salle de bain et mon salon… Donc bon… Du coup, par exemple, que pensez-vous des lieux sportifs ? ► [Silence] Je ne le ferais pas. Si j’avais une église à vendre et que je savais qu’il y avait un projet comme ça, je le bloquerais autant que je peux. Dans les moyens que j’ai, je freine ça (planche iconographie de la posture de rupture) et je pousse ça (planche iconographie de la posture de continuité). Bien sûr ! Parce que pour vous ce type là est plus respectueux que du business ou autre chose ? ► Oui, oui. Après, c’est compliqué… Nous là on ne propose que du logement et pas d’autre projet culturel. C’est compliqué parce qu’au bout d’un moment j’ai les contraintes économiques. Un bâtiment vide, fermé et en mauvais état, ça coûte cher et donc je ne peux pas le garder indéfiniment sur les bras en attendant qu’il y ait un projet culturel génial… Je vérifie que le promoteur ne fasse pas n’importe quoi, ça sera du logement, peut-être du logement haut de gamme parce qu’il y a un réalisme qui fait que je n’ai pas d’autre opportunité. Donc pour vous le logement reste plus acceptable que le loisir ou le business ? ► Je n’en sais rien… Je n’ai pas réfléchi à la question. Je n’en sais rien.

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Et j’ai vu un exemple de reconversion tout à fait différent de ceux dont nous venons de parler, à Paris. L’archipel, je ne sais pas si vous connaissez. C’est un couvent qui était inutilisé et qui a été mis à disposition de l’association Aurore par l’Etat dans le cadre de la campagne hivernale. Le couvent sert d’hébergement d’urgence et la chapelle est plutôt utilisée pour l’organisation d’événements qui vont du cours de yoga, à des repas ou encore des conférences… et l’argent recueilli avec ces évènements est utilisé pour financer le centre d’hébergement. Ce type de reconversion vous parait respectueux bien qu’il y ait des usages très différents ? ► Oui tout à fait. Vous préférez ça au sport ou au business ? ► Au business oui, au sport je ne sais pas. Je ne vous cache pas que j’ai déjà fait du sport dans une église au grand damne de certains voisins. Mais voilà, elle était désaffectée… Je ne sais pas si je le referais, mais je l’ai fait. Après elle a servi comme atelier de peinture pour les beaux-arts qui étaient à côté. Et au-delà de ça, que pensez-vous des initiatives qui visent à reconvertir ces lieux pour d’autres religions, en mosquée par exemple ? ► Moi ça me blesse. Quand je vais à Istanbul, que je vois des anciennes églises avec des mosaïques incroyables transformées en mosquées, Ste Sophie par exemple, je ne suis pas très bien parce que je crois que ça dénature la finalité. D’autant que du point de vue idéologique, on n’est pas en accord… Si on y prie, tant mieux, je préfère évidemment ça à une boite de nuit. Mais j’ai un pincement au cœur quand j’entre dans cette église, qu’il y a des fantastiques mosaïques du Christ et que je n’ai pas le droit d’y prier… Je le vis comme une forme de persécution d’autant plus que ce n’est pas l’Église qui l’a vendue, c’est des guerres de religions, c’est une histoire blessée. Après, il y a un certain nombres de petites communes où les maires n’ont pas les moyens d’entretenir les églises qui servent une fois par an quand Mr le Curé vient célébrer la messe et qui comptent une communauté musulmane croissante, ça arrive, c’est évident. Oui ce sont des cas qu’on rencontre de plus en plus en France. ► Bien sûr. Donc l’Église catholique ne s’y oppose pas ?! ► Il n’y a pas d’opposition de principe. Après, je vois qu’aujourd’hui, la condition de vente qui a été mise pour l’église qui est la nôtre, c’est qu’elle ne serve plus au culte. Donc on ne cible pas l’islam, la secte X ou autre, pour être en paix et que les choses soient simples à la fois pour nous et pour les gens qui habitent à proximité et que ça pourrait profondément choquer. Il n’y a pas uniquement l’avis de l’archevêque et du curé, il y a aussi les chrétiens à proximité. Il ne faut pas les blesser, surtout que dedans il y a des gens qui ont peut-être été des donateurs, qui l’ont entretenue…

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Donc pour vous finalement ces bâtiments, bien qu’ils soient désacralisés, ne deviennent jamais profanes au même sens que les autres bâtiments de la ville ? ► Ils sont marqués par une histoire, oui. Les chrétiens ont accepté que le temple disparaisse, la foi ne dépend pas du fait que je prie dans un bâtiment ou dans la nature. Mais je crois qu’il faut faire attention parce que ces bâtiments disent quelque chose d’une histoire. On est marqué par une histoire. La société est marquée par une histoire. On ne fait pas n’importe quoi. En somme, pour faire écho à ce que vous avez pu me dire avant, une boite de nuit n’est pas une belle prolongation de l’histoire selon vous ? ► Non… non, on peut le dire. Est-ce que vous pensez que la reconversion des édifices religieux est amenée à se développer en France dans les années à venir ? Et si oui, selon quel axe : va-t-on privilégier les lieux culturels ou s’autoriser peut-être plus de libertés comme on peut le voir au Canada ? ► Je ne sais pas. Ce que je vois en tous cas, c’est que dans les petites communes où la question pourrait se poser, pas mal de maires mettent la main à la poche pour entretenir leur patrimoine, plus facilement qu’en ville d’ailleurs. J’ai donc le sentiment qu’on n’est pas complètement prêt à accepter de vendre, à se débarrasser de nos édifices... même si la question est inéluctable. Nos évêques travaillent dessus régulièrement. Je ne fais pas de prospective. Je ne sais pas. Donc pour vous, dans le futur les églises vont rester des églises ? ► Non, je crois qu’il faut être réaliste. Elles ne resteront pas toutes des églises. Il y aura peut‑être un sursaut de conversion à la religion chrétienne, j’ose l’espérer mais je ne suis pas sûr que toutes les églises restent. Il y a les églises qui ont été bien construites et qui valent la peine et puis les églises construites rapidement à partir de 1905. Celles-ci, ça ne sera pas une catastrophe si elles sont supprimées. Ce n’est pas grave, ce n’est pas un drame. Autant il y a des beaux édifices gothiques qu’il serait dramatique de voir s’effondrer, autant là… Donc la date de construction du patrimoine entre en jeu dans votre jugement ? ► Je crois oui, pour une part. C’est une difficulté pour nous catholiques parce qu’il y a un moment où l’on risque d’être prisonniers des bâtiments à entretenir ou à utiliser. Dans mon village natal, il faut entretenir l’église si on veut continuer à s’en servir mais est-ce pertinent de vouloir l’utiliser alors que les gens font 30 km pour aller à la grande surface ? On se complique la vie entre guillemets... On a des débats en permanence sur ce sujet. Ce serait dommage que ce type d’église ne soit plus utilisé du tout, surtout que c’est un signe au milieu de la cité. C’est peut-être un nouveau cycle de vie qui s’annonce pour les églises ? ► Je n’y vois pas clair. J’avais travaillé sur ces questions lorsque j’étais dans un autre diocèse. J’étais à Lyon pendant longtemps, mais je n’y vois pas clair sur ces questions. Je ne sais pas. Je pense que la question va se poser au cas par cas.

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Il n’y aura pas une doctrine générale selon vous ? ► Non, au cas par cas… Mais ça dépend aussi, je pense, de la réorganisation générale de l’Église due à la diminution générale du nombre de prêtres. Un prêtre en Afrique, quand il a 50 villages, il a une mission, c’est-à-dire un clocher important au milieu à côté duquel il habite. Et puis dans chaque village, il demande à un chrétien d’être responsable de la communauté chrétienne, d’organiser régulièrement des temps de prière, des célébrations, des visites des malades etc. Et le curé va les visiter de temps en temps, et régulièrement il demande au responsable de venir dans la mission centrale pour se former. Dans un dispositif comme ça, c’est important qu’il y ait un lieu dans chaque village. Donc, si on adopte un système comme ça, ce qui est à mon avis l’avenir, les gens auront besoin d’un lieu pour se réunir. Dans les villages où il n’y a plus de commerce, où il n’y a plus La Poste, les gens disent « nous on est content de venir à la messe tous les deux mois parce que c’est le seul lieu où l’on peut se rencontrer. » J’ai un ami qui me disait qu’il était étonné car il était en train de neiger et que les gens, pendant une grosse demi-heure à la fin de la messe sont restés parler parce que c’était le seul lieu où ils pouvaient se rencontrer. Même si ce lieu ne sert pas beaucoup, les gens y tiennent car ils n’ont plus que ça. Peut-être que ça restera un lieu symbolique important, ne serait-ce que pour une petite poignée de personnes. On voit d’ailleurs des associations se monter un peu partout. Des gens prennent le relais et pourtant ils ne sont pas tous catholiques pratiquants. Il y a dans certains endroits un sursaut de prise de conscience. Ça ne se décide pas uniquement dans le bureau de l’archevêque à 50 km. Et les politiques, ils n’interviennent pas dans tout ça ? ► Ces initiatives font bouger les politiques. Quand il y a une volonté locale, la collectivité peut abonder plus facilement. Quand il n’y a pas de volonté locale, le maire dit qu’il s’en occupera après. Moi, ici, il faut que je me batte pour que la commune fasse ce qu’elle a à faire mais c’est bien, ça montre que je suis déterminé. Et bien merci beaucoup de m’avoir accordé de votre temps, je pense avoir eu les réponses à mes questions. ► Avez-vous déjà eu l’occasion de faire des projets sur des églises ? Parce que si ça vous intéresse moi j’en ai un. Je n’en ai jamais eu l’occasion non, mais je projette de présenter un projet de reconversion pour mon diplôme. Ah dommage, j’ai un projet sur cette église, si jamais cela vous intéresse. Ça serait une modification. Je rêve d’un truc. L’église explose tous les dimanches matins, on pourrait espérer, comme dans les megachurch américaines, un grand hall vitré sympa où on puisse prendre un pot à la sortie, une salle pour rencontrer quelqu’un, un bureau d’informations… En plus le terrain ici est incliné, on peut creuser et avoir des parties semi-enterrées. Il y a un rêve un peu fou qui consiste à dire gardons la façade, gardons l’extension des années 1970, cassons la partie étroite de l’église en gardant le toit, la coupole et le plafond de l’extension sur la tête. On a actuellement deux volumes visuels et acoustiques. Et alors une fois qu’on a cassé, on recrée. Mais alors, c’est quoi une église au XXIème siècle ? Qu’est-ce qu’on attend d’une église aujourd’hui ? Moi j’ai ma petite idée, je pense qu’il faut que les choses soient visibles de l’extérieur, les cierges par exemple ; qu’on comprenne qu’on peut entrer parce que là tu ne le vois pas, puis qu’il y ait une grande salle qui fait toute la surface de l’église en sous-sol pour organiser des conférences. Ici on est dans un mouchoir de poche, tu n’as pas de chapelle pour te recueillir au calme, les personnes handicapées ne peuvent pas circuler, donc il y aurait un projet de reconversion mais pour en faire une église du XXIeme siècle. Si ça vous tente…

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Les édifices religieux s’imposent comme des biens singuliers dont la place est particulièrement complexe à définir entre le simple bien immobilier, le témoin historique et la valeur ajoutée spirituelle et symbolique qu’on leur prête. Or, ceux-ci sont confrontés à l’heure actuelle à une importante baisse de fréquentation pour leur usage sacré. Ils engagent par ailleurs des coûts d’entretien et de fonctionnement assez difficiles à assumer pour l’Église et les communes propriétaires. Se pose alors la question de leur désacralisation afin de pouvoir les mettre en vente. La reconversion s’impose comme un élément de réponse face à cette problématique du devenir des bâtiments cultuels chrétiens et permet d’offrir une nouvelle vie à l’édifice tout en lui assurant une certaine pérennité. On opère alors un changement de vocation du bâtiment qui se traduit par un glissement du référentiel sacré au référentiel profane. Ce type de pratique existe à échelle mondiale mais pose bon nombre de questions éthiques. Elles se traduisent principalement par une réflexion sur les nouveaux usages instaurés dans ce patrimoine et leur légitimité à s’y trouver au regard de l’Histoire. Trois postures intellectuelles majeures se dégagent alors : la continuité, et par opposition, la rupture vis-à-vis des valeurs initialement véhiculées par l’Église ainsi que la polyfonctionnalité, plus conciliante. Or, chacune d’entre elles est sujette à controverse. En effet, la reconversion lorsqu’elle touche au patrimoine religieux induit un questionnement sur l’identité nationale puisque le maillage sacré du territoire par les édifices catholiques est caractéristique de l’hexagone et lui vaut une part de son attrait touristique. On se voit alors confronté à une réflexion sur les programmes qui pourraient fédérer la population comme ont pu l’être les bâtiments de culte par le passé. Mais alors, quel programme est à même d’être réellement représentatif de la société Française au XXIème siècle ? Un emblème unique existe-t-il réellement ?

Mots-clés sacré ; profane ; édifices religieux ; reconversion ; réhabilitation ; chapelle ; église ; bâtiments cultuels ; maillage sacré ; patrimoine ; obsolescence


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