- Camille Vinas -
NOURRIR LES VILLES : UN ENJEU POUR LES MÉTROPOLES D’AUJOURD’HUI Le cas de la métropole bordelaise
Mémoire de master - formation architecture - juin 2017 Sous la direction de Julie Ambal et Xavier Guillot École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux
- Camille Vinas -
NOURRIR LES VILLES : UN ENJEU POUR LES MÉTROPOLES D’AUJOURD’HUI Le cas de la métropole bordelaise Mémoire d’architecture juin 2017
Sous la direction de Julie Ambal et Xavier Guillot École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux
ÂŤDis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.Âť Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1828).
TABLE DES MATIÈRES Avant propos
Introduction
p8 p 10
1/ L’alimentation comme reflet d’une société 2/ Un lien complexe entre les villes et l’agriculture 3/ La contestation des modèles dominants : le Slow Food
D’une transition alimentaire à une transition des espaces urbains et agricoles, comment se positionne la métropole de Bordeaux dans ce contexte de changement ?
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Les démarches alimentaires de proximité en circuits courts Vers une proximité des producteurs et des consommateurs par de nouveaux systèmes de distribution
A- Top-down, l’émergence de politiques publiques et de démarches territoriales
1/ Pour une gouvernance alimentaire à l’échelle nationale 2/ Des politiques pour les circuits courts en Nouvelle Aquitaine 3/ Des actions menées localement par Bordeaux Métropole
B- Bottom-up, des initiatives citoyennes 1/ Les enjeux d’une consommation locale 2/ Des structures qui prennent place sur le territoire bordelais /Les AMAP : un engagement mutuel
/La Ruche qui dit oui ! et les drive fermiers : quand internet devient un intermédiaire /Les supermarchés coopératifs : une participation collective
p 20
p 27 p 27 p 29 p 31
p 33 p 33 p 35
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L’agriculture urbaine comme élément structurant du territoire métropolitain ? Vers une proximité des espaces productifs et des espaces urbains par l’agriculture urbaine
A- Un réintégration de la question de la production
agricole au sein des villes
1/ Une demande urbaine croissante d’espaces ouverts : une place pour l’agriculture 2/ Les ceintures maraîchères : un héritage à réinterroger 3/ Une définition complexe de l’agriculture urbaine et périurbaine
p 43
B- Au delà de la fonction agricole, une hybridation entre usages productifs et dynamiques urbaines
1/ La vacherie de Blanquefort, lieu agricole et culturel 2/ L’exemple des jardins associatifs urbains /A bordeaux : un réseau qui se développe
p 49 p 49 p 53 p 55
p 61 p 63 p 64
/De nouvelles techniques de production adaptées au contexte urbain
C- L’agriculture urbaine comme outil de planification ?
1/ Bordeaux : une volonté à affirmer
2/ Les parcs agricoles : une nouvelle forme urbaine ? /Le parc de la Deûle à Lille
p 69 p 69 p 70
/Le parc des Jalles de Bordeaux Métropole
3/ Redonner une place aux agriculteurs dans les processus de projet
p 74
Conclusion
p 77
p 80 p 84 p 95 p 96
/Bibliographie /Annexes /Glossaire /Table des figures
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REMERCIEMENTS Tout d’abord, je tiens à remercier mes directeurs de mémoire, Julie AMBAL et Xavier GUILLOT, qui m’ont guidée dans mon travail et m’ont permis de mener à bien ce mémoire. Je tiens également à remercier mes parents pour leur relecture et leurs encouragements tout au long de mes études ainsi que mes amis pour nos moments de travail collectifs basés sur l’échange et les discussions constructives. Enfin je remercie toutes les personnes m’ayant accordé du temps et avec qui j’ai pu échanger autour de l’élaboration de ce mémoire
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AVANT-PROPOS
La question de l’alimentation est au coeur des préoccupations de toutes les sociétés. En effet, se nourrir est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain afin de se maintenir en vie. Par conséquent, il est impossible d’écarter cette question qui touche l’ensemble de la population. En 2015, l’Exposition universelle de Milan s’est penchée sur cette thématique en choisissant le thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie ». L’alimentation a été choisie pour essayer de dresser un portrait des différentes perspectives sur ce sujet dans le monde entier, la problématique étant : Est-il possible de garantir à toute l’humanité une alimentation de qualité, saine, suffisante et durable ? Ainsi, 141 pays représentés lors de cette Exposition ont tenté de répondre à cette question à travers leurs pavillons et ont pu exposer leurs idées sur l’alimentation du futur. Il est indéniable que nourrir la population devient un réel problème sachant qu’on estime que la population mondiale atteindra les 9 milliards d’habitants en 2050. J’ai pu me rendre à cette exposition, et je pense que ce n’est pas un hasard si le pavillon Suisse, imaginé par de jeunes architectes de l’agence Netwerch à Brugg et intitulé « Confooderatio Helvetica » fut l’un de ceux que je garde encore en mémoire. En effet, ce projet incitait réellement à une réflexion sur l’épuisement de nos ressources. Ce pavillon était composé de quatre tours accessibles aux visiteurs. Chacune des tours était remplie d’un produit alimentaire, à savoir l’eau, le sel, le café et la pomme séchée. L’accès aux tours se faisait par le haut grâce à un ascenseur. Chaque personne entrant dans cet espace était libre de consommer sur place ou d’emporter ces denrées. Tout au long de l’exposition, les tours se vidaient et au fur et à mesure les plateformes des étages s’abaissaient. Ce « pavillon dynamique » évoluait en fonction de l’action des visiteurs. En fait, chaque personne devait être capable de se rationner pour que tous puissent repartir avec les produits proposés. Le but de cette expérience était de faire prendre conscience aux visiteurs que chacun est responsable de sa consommation, qu’il faut une répartition équitable des denrées alimentaires et qu’il est important de faire preuve de solidarité collective. D’ailleurs, la question « Y en aura-t-il assez pour tous ? » était inscrite sur les tours du pavillon comme un défi et elle invitait déjà à la réflexion. Lors de l’Exposition qui se tenait du 1er mai au 31 octobre 2015, 2.1 millions de visiteurs se sont rendus au pavillon Suisse soit environ 11 400 personnes par jour. Ainsi, à la fin des 182 jours, il ne restait plus de pommes ni de gobelets d’eau. Les rondelles de pommes (420.000 sachets) étaient épuisées dès le 10 octobre, les verres d’eau (350.000 pièces) dès le 11 octobre. Le 31 octobre, il restait 55% du café (sur un total de 2,5 millions de dosettes) et 45% du sel (sur un total de 1.344 million de petits cubes). Lors de cette exposition, j’ai pu poser un premier regard sur cette problématique de l’alimentation et ce mémoire est pour moi l’occasion de m’intéresser à cette question notamment du point de vue urbain. Il me permettra également de m’interroger sur la pénurie des ressources, l’éducation à une consommation plus responsable et sur la préservation de notre planète pour les générations futures.
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Car en effet, aujourd’hui, la ville est devenue un système fragile et hyperdépendant des apports extérieurs. Nous savons également que la plupart d’entre elles ont une autonomie alimentaire qui ne dépasse pas quelques jours, un paradoxe quand on sait que ce sont les grandes villes qui consomment le plus de nourriture.
Figure 1 : Salles du pavillon suisse, Exposition universelle de Milan, 2015.
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INTRODUCTION 1/ L’alimentation comme reflet d’une société
« L’aspect utilitaire prend souvent le pas sur l’aspect social et humain. Dans nos pratiques alimentaires comme ailleurs.» Carmen RIAL1
Je prendrai comme point d’accroche, pour définir les nouvelles tendances et attitudes alimentaires, le cas de la restauration rapide. Notre société est en constante transformation, et il me semble que la restauration rapide se pose comme un révélateur des mutations actuelles. En effet, le marché du fast-food est en croissance continue et rencontre un fort succès auprès des consommateurs. Après avoir ouvert son premier restaurant à Strasbourg en 1979, Mc Donald, meneur du secteur du fast-food, comptait fin 2015 plus de 1380 restaurants en France.2 Puis, très rapidement, ce succès a mené à une diversification de l’offre de ce type de restaurants et une concurrence de plus en plus accrue. En moins de 40 ans, le territoire français s’est vu couvert par un nombre incalculable de restaurants du même genre, symboles de la malbouffe et de l’immédiateté. En effet, l’attrait de ces chaines de restauration tient notamment à la rapidité de leurs services. Il y a moins d’attente que dans un restaurant traditionnel, majoritairement les clients y mangent plus vite et un service spécifique donne la possibilité d’emporter son repas. Cet aspect de l’alimentation est conjoint à la question de l’accélération de nos modes de vies. En effet, la société actuelle incite à rentabiliser chaque seconde et convertit notre quotidien en une succession d’actions exécutées sur un rythme effréné. Cette recherche d’instantanéité est généralement très présente aux États-Unis ou dans les sociétés occidentales, c’est également dans ces parties du monde que les fast-food sont les plus développés. La restauration rapide peut être vue comme un fait social permettant de comprendre ces sociétés et l’expression de leurs cultures. Nous pouvons ainsi, selon les termes de Lévi Strauss, appréhender le passage d’un état « naturel » à un état « culturel » de la nourriture. En effet, les fast-food donnent un caractère nouveau aux aliments qui acquièrent plus de valeur par leur emballage. Les aliments sont déjà transformés à l’arrivée en cuisine, soit déjà coupés ou surgelés. L’aspect naturel du produit est complètement évincé du système. Cela amène à une réflexion sur l’homogénéisation de ces lieux et de la nourriture proposée. En effet, chaque jour, l’entreprise Mc Donald nourrit 50 millions de personnes dans 120 pays différents en leur proposant les mêmes menus. Cela nous mène t-il irrémédiablement à la négation des particularismes culturels ? Ritzer George nous parle de McDonaldisation3 qui serait le résultat d’un processus de rationalisation à l’œuvre depuis le début du XXème siècle. Selon lui, plusieurs principes 1 RIAL, Carmen, « Le charme fast-foodien », Vibran, vol 3, n°2, p 147-178 2 Source : www.mcdonalds.fr rubrique « nos chiffres », consulté le 30 mars 2017 3 GALLAND, Olivier, «Ritzer George, The McDonaldization of society.» In : Revue française de sociologie, 1996, vol 37, n°3, p 480-481
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régissent ce phénomène applicable pour les fast-food mais également transposables au fonctionnement de nos sociétés. En premier lieu, l’efficacité ; puis la calculabilité qui permet de quantifier l’offre pour donner plus en moins de temps et pour moins cher ; la prédictibilité, le fast-food est un univers connu et standardisé qui est le même partout ; et enfin le contrôle. Ce phénomène des fast-food est un prétexte pour se questionner sur l’avenir et la manière dont il sera possible de nourrir l’ensemble de la population mondiale qui ne cesse de croître.
Figure 2 : Les restaurants Mc Donald de la métropole Bordelaise (2017).
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Aujourd’hui nous ne savons plus d’où provient la nourriture que nous mangeons. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Comme le souligne les auteurs du livre « La ville qui mange »4 : « Le mangeur ne produit plus ce qu’il mange depuis l’extinction des économies rurales traditionnelles dans les pays européens et, progressivement aujourd’hui, dans les pays en développement. Il est ainsi devenu, au fil des siècles, des exodes ruraux et de l’urbanisation des civilisations, un « acteur économique » qui achète et consomme des aliments de plus en plus déracinés.» Ils évoquent également l’habitude que nous avons aujourd’hui de consommer des produits qui sont transformés à l’extrême, comme le poisson pané ou le poulet transformé en nuggets qui revêtent des formes géométriques pour faciliter la production, le transport, le stockage et la commercialisation. Les produits proposés en supermarchés étant souvent bon marché et offrant une commodité aux acheteurs ont changé notre rapport à l’alimentation. En effet, on voit se multiplier dans les étals des supermarchés des plats cuisinés prêts à être réchauffés en quelques secondes au micro-ondes. Les aliments sont de plus en plus transformés pour arriver dans nos assiettes et contiennent de nombreux additifs de toutes sortes. Comment se dessine la chaîne alimentaire du XXIème siècle ? Ne devons nous pas être conscients de l’origine de notre nourriture alors que cela est lié à une crise mondiale ? Quelles alternatives à l’industrialisation et la globalisation de la production alimentaire ? Il semblerait que nous voyons notre rapport à la nourriture à très court terme sans nous préoccuper de l’empreinte écologique et de l’impact sur notre planète. Il est dorénavant nécessaire de prendre conscience de la manière dont nous consommons et quels en sont les systèmes de production en prenant en compte le fait que notre planète n’est pas extensible. D’après Jean-Paul Charvet dans l’Atlas de l’agriculture5, il manquerait d’ici 2050 l’équivalent de la surface du Brésil en terres agricoles pour produire de quoi nourrir la population mondiale. Au delà de l’aspect spatial, nous constatons que le système alimentaire mondial fait face à de nombreuses crises qu’il ne parvient pas à résoudre, qu’il s’agisse de la malnutrition, de la sous-alimentation, de l’obésité, de l’impact sur la santé, des dégâts environnementaux ou du gaspillage. Il existe de grandes inégalités sur le plan de l’alimentation. Selon le rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) du 27 mai 2015, sur « l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », 795 millions d’êtres humains soit une personne sur neuf est en situation de sous alimentation. Mais paradoxalement, 1.3 milliard de tonnes de nourriture soit un tiers de la production mondiale sont gâchées chaque année. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, en 2014, plus de 1.9 milliard d’adultes étaient en surpoids (39% de la population adulte mondiale) et un milliard d’individus souffraient de maladies liées à l’excès de nourriture : obésité, diabète et maladies cardiovasculaires.6 L’existence simultanée de sous alimentation dans certaines régions et d’un taux d’obésité en hausse dans d’autres régions est le signe d’une grande fracture dans la répartition des denrées alimentaires. Ces fortes inégalités se justifient en raison de l’écart entre pays riches qui ont une grande 4 KRAUSZ, Nicolas, LACOURT, Isabelle, MARIANI, Maurizio, La ville qui mange. Pour une gouvernance urbaine de notre alimentation, Broché, 2013 5 CHARVET, Jean-Paul, Atlas de l’agriculture, comment nourrir le monde en 2050 ?, Collection Atlas/ Monde, Autrement, 2010 6 DUNGLAS, Dominique, «Expo Milan 2015 : comment nourrir 9 milliards d’humains après-demain ? », Le Point, publié le 1 mai 2015
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facilité à se procurer de la nourriture entraînant parfois une surconsommation et les pays sous-développés qui peinent à trouver des ressources alimentaires. Si nous continuons à consommer la nourriture comme nous le faisons actuellement, les prévisions environnementales pour 2050 montrent que les impacts ne seront pas sans conséquences. Par exemple, l’agriculture est l’un des secteurs les plus consommateurs en eau. En France métropolitaine, il prélèverait 11% des volumes d’eau, ce qui peut sembler peu, mais ce secteur consomme plus de la moitié de ses prélèvements (non restitués aux cours d’eau ni aux eaux souterraines)7. En comparaison, le secteur de l’énergie qui représente plus de 60% des prélèvements totaux, restitue la majeur partie après utilisation. Malheureusement, la consommation d’eau est loin d’être le seul domaine impacté par ce type d’agriculture.
« Entre excès, gaspillages et scandales alimentaires d’un côté, pénuries et famines de l’autre, l’agriculture productiviste, après s’être exprimée librement pendant des décennies, montre sérieusement ses limites.» Pierre RABHI
C’est pourquoi, de plus en plus, consommateurs et producteurs mais également institutions politiques s’emparent de ce sujet qui posent des questions fondamentales pour l’ensemble de l’humanité. En requestionnant le système en place, certains acteurs de la ville repensent les principes actuels en adoptant un point de vue qui se dirige vers un modèle plus durable.
7 Site internet du Ministère de la transition écologique et solidaire, Rubrique «Indicateurs et Indices», «Les prélèvements en eau par usage», URL : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ indicateurs-indices/f/498/1328/prelevements-eau-usage.html
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2/ Un lien complexe entre les villes et l’agriculture
« Food shapes cities, and through them, it moulds us, along with the countryside that feeds us.» Carolyn STEEL, 20098
Avant de développer une quelconque réflexion sur la thématique de l’alimentation, il convient de savoir quel est notre système alimentaire actuel, et comment nous en sommes arrivés là. Par système alimentaire, nous entendons « la manière dont les hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture.»9 Quelle est donc l’histoire du système alimentaire occidental ? L’humain a toujours su s’adapter aux différents milieux et à son environnement pour se nourrir. Il y a plusieurs milliers d’années certains pêchaient, d’autres cueillaient ou chassaient suivant les endroits du globe où ils se trouvaient. Puis au fil du temps, il a ressenti le besoin d’une sécurité alimentaire ce qui l’a conduit au développement de l’agriculture. Au début, uniquement en utilisant les ressources naturelles et aujourd’hui, en ayant recours à d’autres énergies ou ressources. Nous nous baserons sur les recherches de Louis Malassis10, analyste de l’économie alimentaire, pour retracer brièvement l’histoire de notre système agroalimentaire en distinguant trois grandes périodes : pré-agricole, agricole et agro-industrielle. La période pré-agricole s’établit sur un mode de fonctionnement avec un circuit alimentaire ultra-court car les lieux de production alimentaire sont également les lieux de consommation. L’activité agricole se base sur la cueillette, la chasse et la pêche. « L’homme prélève ses aliments sur son environnement végétal et animal, soit sur les écosystèmes naturels.»11 Vient ensuite l’âge agricole qui est un réel changement dans le système alimentaire. Il y a environ 10 000 ans serait apparu l’agriculture, presque simultanément en différents lieux du monde. A ce moment, l’humain passe au stade de producteur en aménageant son milieu naturel pour que celui-ci devienne propice à une production de denrées alimentaires. Louis Malassis nomme cela des agro-systèmes qui remplacent les écosystèmes naturels qui servaient jusque là de réserve de nourriture. La grande majorité des ressources produites sont consommées par leurs producteurs. Environ 70 à 80% de la population est agricole, l’agriculture semblerait être le fondement de la sédentarisation. Le passage de la période pré-agricole à la période agricole a marqué une grande évolution dans les sociétés. Un autre bouleversement du système alimentaire a eu lieu au XVIIIème siècle en lien avec la révolution industrielle qui donne naissance à l’ère agro-industrielle. Les effets de cette révolution se sont faits remarquer dans de nombreux domaines et notamment ceux de l’agriculture et de l’alimentation. Due à la structuration du capitalisme industriel, l’agriculture devient un composant de l’économie marchande cela étant facilité par la révolution des transports. L’arrivée de transports nouveaux, couplée à l’usage de transports réfrigérés, a changé l’échelle des 8 “Nos mœurs alimentaires façonnent la ville, et à travers elles, nous façonne également, de même que la campagne qui nous alimente” 9 MALASSIS, Louis, Nourrir les hommes, Dominos-Flammarion, 1994 10 MALASSIS, Louis, Les trois âges de l’alimentaire, Éditions Cujas, 1997 11 Ibid
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échanges de produits agricoles. Ainsi, l’agriculture spécialisée qui était très présente généralement aux portes des villes est en réel déclin à cause de ces délocalisations possibles. L’alimentation agro-industrielle se définit également par la présence accrue de l’industrie dans les processus alimentaires car elle occupe un rôle important dans la transformation des produits. Le XXème siècle a vu le développement d’une généralisation des modes de production industriels qui sont à l’origine d’une certaine standardisation des produits. Ces phénomènes émergent conjointement à une urbanisation en essor. Nous passons d’une société agricole où les aliments sont produits et consommés au même endroit à une société agro-industrielle qui accueille de nouveaux acteurs qui éloignent de plus en plus les producteurs des consommateurs. Cette transition a été rendue possible car la ville s’est peu à peu détachée de ses contraintes géographiques. Ainsi, les produits sont de plus en plus exportés et non consommés localement. Cela est principalement dû aux progrès technologiques qui permettent une conservation plus longue des produits, permettant de leur faire parcourir de grandes distances grâce à la rapidité des transports actuels. Tout cela n’est pas sans conséquences. A l’échelle planétaire les impacts environnementaux qui résultent de ces systèmes sont alarmants. Que ce soit dans le domaine de l’agriculture ou de l’urbanisme, de grandes mutations se sont opérées ces derniers siècles. Progressivement, nous avons basculé d’une société majoritairement rurale à une société urbaine et l’écart entre les deux se creuse toujours. L’extension de nombreuses villes, l’étalement urbain non maîtrisé ont peu à peu grignotés les terres agricoles fertiles aux abords des villes sans que ces zones périphériques soient pensées comme un espace de transition. Les territoires ruraux et périurbains sont à requestionner. Nous vivons dans un monde qui tend, sous certains aspects, à se globaliser sous l’effet du développement des mobilités et des nouvelles technologies. Ces deux évolutions impactent la dissipation progressive des limites entre monde urbain et rural. La connexion forte qui existait autrefois entre villes et milieux ruraux est aujourd’hui quasiment perdue. Les consommateurs et les producteurs n’ont plus de liens. Les consommateurs se fournissent en grand nombre dans des supermarchés et oublient les origines des produits qu’ils achètent. Cela est vecteur d’un changement des habitudes alimentaires. Ce manque de lien et de connaissance entre le consommateur et le monde agricole a de nombreuses conséquences. Le consommateur s’intéresse davantage au prix qu’a la provenance du produit qu’il achète. Ce détachement vis-à-vis des produits alimentaires « bruts » est également dû à l’essor des plats préparés qui proposent des aliments déjà transformés. Nous pouvons aussi pointer du doigt les conséquences du système d’import/export des produits dans le monde entier qui permet de trouver en grandes surfaces tous les fruits et légumes que nous voulons en toutes saisons. Nous pouvons également mentionner les systèmes de délocalisation. Le consommateurs perd donc cette notion de saisonnalité qui rattache les produits à la terre. « Pour juger de la qualité d’un produit alimentaire, les Français se fient à son goût (96%), à son apparence (89%) puis à son prix (86%). La durée de conservation du produit est également un critère de choix important (86%). Enfin, la connaissance de la provenance du produit permet de se faire une idée de la qualité d’un produit pour 83% des Français.»12
12 CREDOC, L’alimentation des français en 2011. Étude réalisée par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, baromètre n°6, 2011
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Mais en parallèle, depuis une trentaine d’années, une partie des consommateurs porte une plus grande attention à l’équilibre de leurs repas et au choix de leurs aliments. Certains tentent d’avoir une consommation plus responsable en se rapprochant des produits issus de l’agriculture biologique ou en se fournissant en circuits courts. Comment réinventer une relation de proximité entre ville et campagne au travers de l’alimentation ? Quelles stratégies peuvent être mises en place pour qu’un système alimentaire durable existe ?
3/ La contestation des modèles dominants : le Slow food
En Italie, Carlo Petrini, journaliste, sociologue et critique gastronomique, fonde en 1986 l’association Slow Food. La base de cette pensée se positionne en réaction face à l’ouverture en masse de fast-food et en pose une critique, pointant leurs effets néfastes sur l’agriculture, l’économie et la société. En effet, pour Carlo Petrini, le point de départ de cette idée a été son envie de lutter contre l’implantation d’un McDonald en plein centre de Rome. En 1987, un manifeste annonçant la création « d’un mouvement international pour la sauvegarde et le droit au plaisir » est publié dans le Gambero Rosso. Il dénonce la vie rapide et le développement des fast-food. Ce manifeste appelle à la création d’un mouvement qui prône le slow food. Ce mouvement prendra la forme d’une association nommée Arcigola puis change de nom en 1989 pour Arcigola Slow Food qui compte alors plus de 10 000 adhérents. Elle devient par la suite une structure internationale. La fondation officielle du mouvement Slow Food est finalement actée en décembre 1989 à Paris, et c’est à ce moment là qu’est signé le manifeste de Slow Food. Ce mouvement prône la défense d’une qualité qui serait exclusivement permise par le temps que ce soit le temps de production, celui du choix de bons produits, le temps de préparation ou enfin le temps de consommation. Ce concept est né de l’envie de développer un nouvel art de vivre, d’une consommation plus responsable, en basant la production sur des produits locaux. En opposition aux fast-food qui symbolisent le productivisme alimentaire extrême. Voici l’un des ses slogans : « Slow Food appelle au développement de l’éducation au goût car seuls les consommateurs informés et conscients de l’impact de leurs choix sur les logiques de productions alimentaires peuvent devenir des coproducteurs d’un nouveau modèle agricole, moins intensif et plus respectueux du vivant, produisant des aliments bons, propres et justes.» Le but étant d’éviter une certaine standardisation de l’alimentation et une uniformisation des goûts dues à des chaines de restauration rapide qui sont présentes dans les pays du monde entier, pour aller vers une préservation de la diversité culinaire. Un autre enjeu est de rapprocher producteurs et consommateurs. Le mouvement Slow se positionne dans une idée de promouvoir une qualité de vie et n’adhère à aucun mouvement politique précis. Mais dans l’ensemble des domaines du slow, on retrouve des principes communs identifiés par Joan Domènech Francesch. - La recherche du temps juste. Il défend ici l’idée que c’est en fonction de chaque évènement, action qu’il faudra adapter son rythme. « Le temps juste implique de s’opposer à certaines de nos icônes culturelles : la consommation, la vie en accéléré,
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la prédominance de la quantité sur la qualité.»13 - Privilégier la qualité d’une activité plutôt que sa durée. - Redonner du temps aux individus. Cela peut à travers l’organisation des espaces physique et sociaux, permettre à chacun de choisir le rythme le mieux adapté aux besoins du moment. - Travailler au présent, à partir du passé et en pensant à l’avenir. - Avoir un esprit critique vis-à-vis de la société actuelle.
Cette initiative va connaître une extension avec l’apparition de plusieurs autres « mouvements » dans des domaines variés tels que l’urbanisme, l’éducation, le design, le tourisme, l’éducation, … Tous ces mouvement ont comme volonté de trouver un mode de vie alternatif où prendre son temps pour retrouver une qualité de vie. Ne plus subir cette réduction temporelle due, entre autres, aux nouvelles technologies de communication que nous utilisons au quotidien. Ces mouvements contestataires émergent pour proposer de nouvelles manières d’appréhender l’alimentation, de sa production jusqu’à sa consommation. L’enjeu principal qui se dégage est une volonté de retrouver une proximité perdue. Actuellement, nous observons une évolution dans les attentes des consommateurs qui va de paire avec ce que nous vivons ou avons vécu dans un passé proche. Nombreux sont les consommateurs qui souhaitent se tourner vers de nouvelles initiatives, s’ouvrir à de nouvelles démarches locales. Confrontés à de plus en plus de scandales alimentaires, ils sont en perte de confiance par rapport aux systèmes alimentaires les plus répandus ce qui s’explique aussi par un manque de transparence de l’industrie agroalimentaire. La consommation se présente comme un espace de contestation sociale. En réponse à ces craintes, nous voyons l’émergence de plusieurs tentatives pour reprendre la main sur notre consommation. Il existe par exemple de nos jours de plus en plus de labels (AB, Label Rouge, ...) présents pour certifier l’origine des produits ou les modes d’élevage afin d’assurer la qualité des produits et de rassurer les consommateurs. Une autre manifestation en réaction à cela est la ré-émergence fulgurante de la ventre directe, des circuits courts et de proximité. C’est maintenant sur ces modèles de systèmes de distribution alimentaire que nous allons nous pencher.
13 DOMÈNECH FRANCESCH, Joan, Éloge de l’éducation lente, Silence/Chronique sociale, 2011
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Face à l’ensemble de ces problématiques touchant à notre alimentation, plusieurs enjeux se dessinent. Comment alimenter nos villes avec des denrées de qualité et une nourriture de proximité? Comment préserver les terres agricoles aux abords de nos villes ? Comment gérer ce phénomène de relocalisation des circuits alimentaires ? D’une transition alimentaire à une transition des espaces urbains et agricoles, comment se positionne la métropole de Bordeaux dans ce contexte de changement ? Dans un premier temps, nous étudierons le fonctionnement des circuits alimentaires courts et locaux qui se développent actuellement sous des formes diverses. Ces derniers traduisent une volonté de retrouver une forme de proximité avec l’alimentation et de reprendre le contrôle sur les échanges afin de s’engager dans une nouvelle conception du système alimentaire. Nous nous intéresserons à deux schémas d’initiatives : top-down et bottom-up. Nous nous intéresserons à trois échelles d’actions interdépendantes engagées par les institutions publiques au niveau national, régional et local en se basant sur l’exemple de Bordeaux Métropole. Nous verrons ensuite quelles sont les démarches citoyennes qui prennent place au sein de ce même territoire. Du raccourcissement des circuits de distribution découlent des enjeux relatifs aux territoires et à l’agriculture. Cela nous amène également à nous questionner sur la place et le devenir de l’agriculture comme élément structurant des métropoles. Qu’en est-il de l’intégration des espaces agricoles dans la fabrique de la ville ? Pour cela, nous nous pencherons sur les potentialités qu’offre l’agriculture urbaine et périurbaine. A travers des projets initiés sur la métropole bordelaise nous verrons qu’au-delà de la fonction agricole, une hybridation des usages productifs se développe de plus en plus en contact avec les besoins des villes. Nous verrons que l’ensemble de ces relations de proximité sont très diversifiées et peuvent se développer à petites ou à grandes échelles. Enfin, nous nous intéresserons à la manière dont l’agriculture peut s’intégrer dans la planification des villes et quels outils sont mis en place pour initier de nouveaux projets en intégrant les acteurs du monde agricole à ce processus.
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/ Choix du cas d’étude : la métropole bordelaise Je tiens à préciser que ce cas d’étude n’a pas été choisi pour son caractère d’exemplarité sur les thématiques traitées. Cependant l’étude de Bordeaux trouve un intérêt dans son caractère de jeune métropole14. Le cas de Bordeaux reflète un positionnement singulier où les thématiques relatives à l’alimentation sont présentes mais possèdent un fort potentiel d’évolution. Nous tenterons, à travers de multiples exemples observés sur la métropole bordelaise, d’analyser et de comprendre l’émergence de ces volontés communes en matière de circuits courts et d’agriculture urbaine en en décelant également les limites. / Définition et enjeux de la métropole La métropole et le territoire métropolitain sont des notions difficilement définissables car de manière sous-jacente ces termes englobent de nombreuses dimensions. La métropole bordelaise c’est tout d’abord un ensemble administratif qui regroupe 28 communes de l’agglomération bordelaise. Mais comme toutes les métropoles, son influence va bien au delà de ces limites territoriales théoriques. Les métropoles sont souvent les vitrines sur le monde de toute une région ou plus encore. Ainsi, ce changement de statut est également à l’origine d’un nouveau projet métropolitain envisagé par Bordeaux Métropole. Ce projet propose les grandes orientations stratégiques pour la métropole bordelaise à l’horizon 2030 et sont énoncées dans le document produit par la CUB, « 5 sens pour un Bordeaux Métropolitain », publié en novembre 2011. L’enjeu majeur des vingt prochaines années pour l’agglomération bordelaise est donc de « négocier habilement ce saut d’échelle pour en éviter tous les pièges et cueillir les fruits d’une métropolisation réussie.»15 Les cinq sens évoqués précédemment font référence aux cinq axes qui vont guider la formation de la métropole pour qu’elle soit solidaire, stimulante, sensible, sobre et singulière.16 / Définir la notion de proximité Comment définir la proximité en sachant que c’est une notion de plus en plus présente lorsque l’on parle des consommateurs et de leur relation au système alimentaire. Etre proche peut se définir par la distance géographique séparant deux personnes ou deux entités. Mais la proximité physique peut exister bien que les entités en présence s’ignorent. La proximité peut être aussi tout autre chose qu’une proximité physique. C’est un terme qui regroupe différentes formes, spatialités, etc.
14 La Communauté Urbaine de Bordeaux est devenue la métropole de Bordeaux le 1er janvier 2015 15 La CUB, « 5 sens pour un Bordeaux Métropolitain », novembre 2011 16 Cf. annexe 1 p. 82
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01 Les dĂŠmarches alimentaires de proximitĂŠ en circuits courts 20
Vers une proximité des producteurs et des consommateurs par de nouveaux systèmes de distribution
A/ Top-down, l’émergence de politiques publiques et de démarches territoriales
B/ Bottom-up, des initiatives citoyennes 21
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01/ Les démarches en circuits courts alimentaires de proximité « L’agriculture et la société ont tout intérêt à se laisser regarder et à interroger les cadres de références culturelles historiques et sociologiques des unes et des autres pour définir un avenir commun, sachant que l’agriculture est aujourd’hui pensée de manière dominante par les urbains avec des système de représentation et de valeurs symboliques parfois très éloignées de la réalité.» Rémi MER1 « Nous vivons une période décisive ; une période où le changement s’accélère et où l’horreur de ce qui pourrait arriver si nous ne faisons rien et la splendeur de ce que nous pourrions accomplir si nous agissons peuvent l’un et l’autre nous intimider.» Rob HOPKINS2
Tiré de son ouvrage « Manuel de transition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale », Rob Hopkins montre les impacts et la nécessité d’adaptation que nous devons développer en réaction aux changements induits par la crise actuelle des ressources naturelles et fossiles. Dans un contexte où l’agriculture mondialisée se veut toujours plus industrielle, nous assistons au développement de structures qui tentent de redéfinir une agriculture plus équitable. L’un des aspects de ce changement que nous allons étudier est le regain d’intérêt croissant pour ce que l’on nomme les circuits courts. Ce ne sont pas des fonctionnements nouveaux mais nous assistons à l’émergence de nouveaux types de mise en œuvre de ces idées. Pourquoi les circuits courts font ils de plus en plus parler d’eux ? Dans une premier temps, il est important de poser la définition de ce qu’est un circuit court. Agri’alim, site internet du ministère de l’agriculture, de l‘agroalimentaire et de la forêt nous dit que : « Est considéré comme circuit court un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur.» Nous pouvons commenter cette définition en évoquant qu’aucune notion de distance physique n’y est évoquée donc les consommateurs et les producteurs peuvent être plus ou moins éloignés géographiquement. Mais dans de nombreux cas, comme nous le verrons dans les exemples exposés ci-après, les circuits courts sont également définis par une réduction des distances, ce sont donc également des circuits de proximité. Ainsi, entre en jeu une relocalisation à la fois économique et géographique des circuits alimentaires et de l’agriculture. 1 MER Rémi, Le paradoxe paysan. Essai sur la communication entre l’agriculture et la société, 2001 2 HOPKINS, Rob, Manuel de transition - de la dépendance au pétrole à la résilience locale, 2010, p17
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Transformation industrielle
Production agricole
Commercialisation
CIRCUIT COURT DIRECT
Grossiste
Centrale d’achats
Détaillant Supermarché
Consommation
Figure 3 : Les circuits de distribution longs et courts.
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Si l’on s’intéresse aux circuits longs, on constate que leur fonctionnement implique de nombreux intermédiaires tels que des industries de transformation, des grossistes, des grandes ou moyennes surfaces, etc. Tout ces maillons ont un fort pouvoir de contrôle sur les marchés alimentaires et désinvestissent les producteurs du lien qu’ils entretiennent avec leurs produits et avec les consommateurs. Comme l’évoque les auteurs Yuna Chiffoleau et Benoît Prevost3, les circuits courts permettent aux producteurs de s’émanciper de relations marchandes asymétriques entretenues avec ces intermédiaires en proposant des relations moins hiérarchiques. Cela permet un empowerment4 des producteurs comme des consommateurs, autrement dit, cela leur redonne un pouvoir d’action ainsi qu’une certaine autonomie par rapport aux systèmes de productions et de distribution traditionnels. Cette réduction de la chaine entre producteurs et consommateurs est avant tout à l’origine d’un choix qui peut être individuel ou collectif, ou bien venir de systèmes institutionnels. Cette première partie à pour but de dresser un portrait de la pluralité des initiatives qui émergent en se basant sur ces démarches en circuits courts. Nous verrons que l’action des systèmes institutionnels en rapport avec cette question alimentaire locale commence à prendre de l’importance à plusieurs échelles territoriales. Nous verrons également que l’action citoyenne et les initiatives portées de manière ascendante par une volonté commune est grandissante et propose des démarches très variées.
3 CHIFFOLEAU, Yuna, PREVOST, Benoît, «Les circuits courts, des innovations sociales pour une alimentation durable dans les territoires.», Norois, n° 224, 2012, p 7-20 4 Le terme « empowerment », qui signifie littéralement « renforcer ou acquérir du pouvoir »
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A/ Top-down, l’émergence de politiques publiques et de démarches territoriales
Pendant très (trop) longtemps, la question de l’alimentation des villes a été mise de côté par les pouvoirs publics alors même que l’alimentation était devenue un vrai sujet de société. Depuis une dizaine d’années, nous assistons à une réapparition de la question alimentaire dans les politiques publiques. Du niveau mondial, au niveau national et local, des interventions variées s’établissent autour de la question alimentaire. Les actions menées peuvent être de plusieurs ordres car les problématiques associées à l’alimentation revêtent des dimensions économiques, environnementales, sociales ou encore sanitaires. Nous nous pencherons sur les politiques qui se développent, le rôle de soutien des actions associatives ou encore la démarche de conseil que joue l’action publique. A noter que le rôle des élus, des collectivités territoriales, de l’État est multiple mais doit trouver une cohérence entre les différentes échelles d’action. En 2010, le Conseil fédéral du Développement durable a rédigé, à la demande du ministre de l’Énergie et du Climat, un avis sur ce que doit être un système alimentaire durable. Celui-ci est défini comme suit : « Un système alimentaire durable garantit le droit à l’alimentation, respecte le principe de la souveraineté alimentaire, permet à tous, partout dans le monde, de disposer d’une alimentation saine et suffisante à un prix accessible, et veille à ce que le prix final d’un produit reflète non seulement l’ensemble des coûts de production, mais qu’il internalise aussi tous les coûts externes sociaux et environnementaux. Il utilise les matières premières et les ressources (en ce compris le travail et les ressources naturelles telles que les sols, l’eau et la biodiversité) “at their rate of recovery” et respecte les différentes facettes de la culture alimentaire. Tous les acteurs de la chaîne alimentaire et les autorités doivent contribuer à réaliser un tel système alimentaire durable.»
A partir d’une telle définition comment les institutions répondent à ces enjeux ? Quelle est la place des politiques publiques dans la gestion de l’alimentation des populations? Comment réussir à structurer une gouvernance alimentaire territoriale ?
1/ Pour une gouvernance alimentaire à l’échelle nationale
Lors d’un séminaire ayant lieu en décembre 2008, le Réseau rural français5 a posé une définition de la gouvernance alimentaire territoriale sur laquelle nous nous appuierons : « La gouvernance alimentaire territoriale désigne un nouvel ensemble de coopérations entre les différents acteurs et les échelons d’intervention géographiques, dont l’arène commune est l’enjeu alimentaire.» 5 Le Réseau rural est une initiative européenne. Il est mis en place dans chaque État membre pour la période de programmation 2014-2020 conformément à l’article 54 du règlement européen 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le fonds européen agricole pour le développement rural.
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A l’échelle nationale une dynamique se met en place soutenue par l’État. Ainsi, certaines politiques et lois sont à l’œuvre pour poser les jalons d’une gouvernance alimentaire. Ce n’est que récemment, compte tenu du contexte global et national autour de l’alimentation, qu’une prise de conscience a contribué à replacer l’alimentation et son rôle au cœur des politiques publiques. Mais autour de quelles logiques s’élaborent ces politiques alimentaires? Tout d’abord, nous nous intéresserons au Programme National pour l’Alimentation (PNA) qui en France encadre l’élaboration de la politique publique de l’alimentation. Cette dernière est chapeautée au sein du gouvernement par le ministère en charge de l’agriculture et de l’alimentation et engage également les ministères chargés de la consommation, de la santé, de l’éducation, de l’écologie et du développement durable. Cette implication interministérielle appuie la volonté de traiter la thématique de l’alimentation en intégrant l’ensemble des problématiques associées. Ce programme à notamment été impulsé par le plan Barnier. Ce dernier a annoncé le 14 avril 2009, dans le prolongement des Assises de l’agriculture et du Grenelle de l’environnement, la mise en place d’un plan d’actions pour favoriser la commercialisation de produits agricoles en circuits courts. Les objectifs de ce plan sont d’une part de faire connaître les circuits courts alimentaires et d’autre part d’aider les agriculteurs voulant s’engager dans ces modes de commercialisation. Pour cela il serait possible d’adapter la formation des agriculteurs à la vente directe (formation à la production, la vente voire également à la transformation de produits) et également de favoriser l’installation d’exploitants proposant de s’inscrire dans de telles démarches notamment par une aide à l’accès au foncier, par l’octroi d’aides publiques ou de prêts bancaires. Afin de faciliter l’organisation de ce réseau, la mise en place d’une charte des circuits courts est également mentionnée. « Ces mesures s’inscrivent dans le plan national pour une politique de l’offre alimentaire sûre, diversifiée et durable du gouvernement présenté par Michel Barnier en avril 2008, qui vise à répondre aux attentes du consommateur et du citoyen tout en valorisant les modes de production durable et de qualité.»6 Au niveau national, le PNA pose quatre axes prioritaires : la justice sociale et l’accès pour tous à une nourriture suffisante, sûre et nutritive, l’éducation alimentaire de la jeunesse, la lutte contre le gaspillage alimentaire et enfin, le renforcement de l’ancrage territorial de notre alimentation. C’est ce dernier point qui vise notamment à favoriser les démarches en circuit court de proximité. « L’essence même du PNA est le partenariat avec les acteurs privés, les collectivités territoriales et le monde associatif. Favoriser et encourager l’émergence d’actions de terrain, adaptées aux besoins locaux.»7 Dans la continuité de cette démarche et dans le cadre de ce programme, un appel à projets nationaux, financé par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a été lancé plusieurs années consécutives depuis 2011. Cet appel à projet a pour but de soutenir des initiatives portées par les métropoles de France. Ce soutien vise à promouvoir des projets portés par des partenaires privés ou publics qui s’inscrivent dans les quatre axes du PNA cités précédemment. Ces démarches traduisent la spatialisation nécessaire pour engager une transition dans nos systèmes alimentaires car il est difficile d’engager des politiques 6 BOURGHRIEL, Rachida, «Michel Barnier veut développer les circuits courts des produits agricoles», actuenvironnement.com, 23 avril 2009. 7 Ministère de l’agriculture de l’agroalimentaire et de la forêt, Rapport au Parlement, «Le Programme National pour l’Alimentation (PNA)», Juillet 2013
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applicables de manière verticale où une institution décide et met en œuvre ces mêmes politiques. Le rôle des acteurs gouvernementaux ne peut être isolé. Développer une politique nationale pour l’alimentation est un enjeu très complexe. La dimension de l’action publique locale semble indispensable pour répondre aux questions de l’ordre de l’alimentation. C’est le point de vue que Pierre Calame proposait lors de la rencontre annuelle d’Eating City8 à Rome en mars 2011 : « On ne peut pas penser la complexité à partir du global, on ne peut la penser qu’à partir d’une réalité concrète, d’une société locale. Penser la complexité, c’est penser avec les pieds, c’est partir de réalités concrètes. Et cela illustre déjà le rôle des villes et des territoires dans l’invention d’un nouveau modèle de développement: c’est la bonne échelle pour penser avec ses pieds, pour relier les choses entre elles.»9
2/ Des politiques pour les circuits courts en Nouvelle Aquitaine
Dans le contexte aquitain, le système alimentaire se pose également comme un enjeu pris en compte par les politiques régionales. Rattachée à l’échelle nationale et au Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie (MEDDE), c’est la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) Aquitaine qui a été chargée dans le cadre des Agenda 21de coordonner un projet pilote sur l’organisation de la gouvernance alimentaire urbaine dans la région. Tout un ensemble de structures sont associées pour mener à bien ce projet qui passe par un cycle de réflexions puis des étapes d’actions opérationnelles. Pour élaborer ce projet lancé sur deux ans (2014-2015), nous trouvons, aux côté de la DREAL, des acteurs du système alimentaire local tels que le CEREMA (Centre d’Études et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et d’Aménagement) ainsi que la DRAAF Aquitaine, l’Agence Régionale de la Santé et le Centre de Ressources d’Écologie Pédagogique d’Aquitaine (CREPAQ). « La réflexion portera sur l’élaboration d’un politique publique de l’alimentation intégrée à l’échelle du territoire, de la « région urbaine » et son évolution probable.»10 L’objectif premier est de dégager les problématiques spécifiques à un territoire donné et de comprendre l’ensemble de ses besoins en terme d’alimentation. Cela permettra par la suite d’établir les actions possibles pour favoriser la relocalisation du système alimentaire. L’une des actions se nomme « Faire évoluer les comportements alimentaires », et propose un travail pour créer un repas avec des aliments uniquement produits à moins de 80 kilomètres de la ville de Bordeaux, avec de possibles partenariats avec des AMAP, des agriculteurs régionaux, etc. Ce rôle d’informateur qu’endossent les collectivités tient une importance majeure car aucun changement ne pourra s’opérer si les consommateurs ne sont pas conscient des alternatives qui s’offrent à eux. « Nous voulons nettement améliorer l’autosuffisance de la CUB, qui est devenue quasi nulle. Si on devait en consommer que des aliments produits sur le territoire de la CUB, on en mangerait qu’un jour par an.» Vincent FELTESSE 8 Eating City est un programme international qui à travers l’organisation de rencontres, la mise en réseau d’initiatives, propose une réflexion sur la question alimentaire. 9 KRAUSZ, Nicolas, LACOURT, Isabelle, MARIANI, Maurizio, La ville qui mange, Éditions Charles Leopold Mayer, Paris, 2013 10 CEREMA, Gironde - Bordeaux Métropole : Diagnostic territorial et cartographies des acteurs vers une gouvernance alimentaire - Indicateurs, retours d’expérience et pistes d’action, 2014
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Une autre entrée de cette politique est celle qui permettrait une meilleure gestion du foncier agricole. Sur le site internet de Bordeaux Métropole, il est mentionné que « le premier enjeu est celui de la transmission des exploitations déjà existantes, enjeu porté en partenariat avec la chambre d’agriculture, afin de protéger ces installations. Ce travail est complété par une action de planification au niveau du PLU métropolitain avec la classification en zone A.» Conjointement à cela, il existe une prise de conscience de l’importance à accorder aux espaces non artificialisés et à leur préservation. Cela passe également par la redéfinition des plans locaux d’urbanisme (PLU) par les collectivités locales pour restreindre les zones AU (à urbaniser). D’autres moyens existent pour la mise sous protection des sols agricoles. Cela peut passer par les ZAP (Zone Agricole Protégée) ou les PPEANP (Périmètre de Protection et de mise en valeur des Espaces Agricoles et Naturels Périurbains). Ces outils de protection sont issus des lois sectorielles LOA (Loi d’Orientation Agricole, 1999) et LDTR (Loi relative au Développement des territoires Ruraux, 2005). « Les ZAP sont des servitudes d’utilité publique annexées au PLU et instaurées par arrêté préfectoral à la demande des communes.»11 Elles délimitent des zones agricoles à préserver présentant « un intérêt général en raison de la qualité des productions ou de la situation géographique.»12 Elles permettent d’installer sur le long terme la vocation agricole de ces espaces. Cela induit que tout changement d’occupation du sol doit être approuvé par la chambre d’agriculture ou par la commission départementale d’orientation de l’agriculture. Les ZAP proposent ainsi une simple protection foncière mais ne porte pas de proposition en terme de gestion des zones agricoles concernées. La préservation face à une pression foncière souvent présente montre déjà une volonté à travers des documents d’urbanisme de donner aux communes une marge de manœuvre quant aux espaces agricoles menacés. Cependant, cette mesure de protection possède des limites, elle n’assure pas pérennité des exploitations agricoles du point de vue de leur fonctionnement, de leur gestion, ou de leur rentabilité économique. Le PPEANP est un périmètre pouvant être mis en place par le département dans le but de mettre en valeur et protéger des espaces agricoles, naturels et forestiers en zone périurbaine. Cela passe par une réflexion sur la mise en place d’un programme d’actions portant sur les aménagements ainsi que la gestion des espaces compris dans ce périmètre. Pour cela une concertation est nécessairement mise en place entre les acteurs institutionnels et les acteurs agricoles pour convenir de la façon dont seront menées ces actions. L’élaboration de ce périmètre permet aussi au département d’acquérir un pouvoir d’action quand à l’organisation des espaces périurbains. En effet, l’établissement d’un PPEANP lui permet d’acquérir des terres et de créer un droit de préemption pouvant être exercé à sa demande par la S.A.F.E.R.13, ainsi le département peut se positionner pour faire face aux pressions foncières. D’autre part, cet outil propose d’intégrer une autre dimension en plus de l’établissement de la protection foncière des espaces naturels, agricoles et forestiers. Le PPEANP met en avant l’établissement d’un programme d’action dédié à ces espaces et cet outil est également un outil mis à disposition des collectivités pour lutter contre la spéculation foncière.
11 A’URBA, L’agriculture périurbaine bordelaise : quels demandes, offre et potentiel ?, Rapport d’étude, 30 janvier 2014 12 Ibid 13 Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural
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Alors que l’échelle nationale proposait de grandes orientations, au niveau régional nous observons ici des actions plus ciblées en relation avec le territoire et ses spécificités. Le regard porté à cette échelle régionale permet tout de même une réflexion et une cohésion territoriale.
3/ Des actions menées localement par Bordeaux Métropole
Au niveau des institutions, la métropole bordelaise veut soutenir « le développement des circuits courts, vente directe de produits agricoles du producteur au consommateur, ou avec au maximum un seul intermédiaire.» Bordeaux Métropole nous propose sur son site internet une carte qui établit par commune et par type de production (maraîchage, élevage, viticulture, horticulture et apiculture) un recensement des producteurs. Sur cette plateforme, les consommateurs ont accès à des informations telles que : le type de produits vendus, les lieux de vente (sur site, sur marché, dans les AMAP, les ruches, les drive fermiers ou encore les coopératives agricoles) ainsi que les horaires.14 Les institutions peuvent par ce biais jouer un rôle dans l’augmentation de la visibilité des circuits courts et inciter les consommateurs à adopter ces modes de consommation. L’idée est selon les mots du maire de Bordeaux de « rendre possible l’alternative d’une consommation plus responsable.» Pour illustrer ce propos, nous prendrons l’exemple de SAS GrAINES qui est une couveuse agricole soutenue par la métropole. Elle a été mise en place avec le FRCIVAM (Fédération Régionale des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural) en collaboration notamment avec la Communauté Urbaine de Bordeaux (aujourd’hui devenue la Bordeaux Métropole). Ce projet de couveuse agricole répond à plusieurs objectifs énoncés par les CIVAM dont le développement des systèmes de production économes et solidaires ainsi que des systèmes alimentaires territorialisés, et également le maintien de la création d’activités agri-rurales qui transparaissent à travers la mise en place de ce projet de couveuse agricole. L’objectif est de permettre un accompagnement pour l’installation de nouveaux exploitants sur des territoires à proximité des agglomérations de la région Aquitaine.
Cette société SAS GrAINES, « Graines d’Agriculteurs, Innovants, Nourriciers, Entreprenants et Soutenus par les consommateurs », s’est constituée en 2009. C’est une société par actions simplifiées (SAS) à vocation agricole. Elle permet l’accueil d’entrepreneurs à l’essai porteurs de projets et leur propose des conditions avantageuses. Ils bénéficient d’un CAPE (Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise, loi sur l’initiative économique de 2003) signé avec la SAS. « Ce contrat est de 12 mois renouvelable deux fois, soit pour une durée de 3 ans maximum. Il permet aux « couvés » de valider leur projet en conservant leur statut antérieur et leurs revenus sociaux.»15 La couveuse, également connue sous le nom d’« espace test agricole », propose également de mettre à disposition un hébergement ainsi qu’une assistance juridique, technique et économique pour les nouveaux exploitants en mettant par exemple à disposition des 14 Cf. annexe 2 p. 84 15 Source : http://graines.civam.fr/a-propos/
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moyens de production, en proposant une intégration à un réseau commercial ou encore en mobilisant du foncier auprès des collectivités territoriales ou de propriétaires privés. Ce concept assimilable aux pépinières d’entreprises classiques qui se sont développées depuis une trentaine d’années dans le secteur tertiaire est ici appliqué au secteur agricole et permet de soutenir les initiatives et le développement d’exploitations locales. Par ce biais, les pouvoirs publics souhaitent notamment mettre en valeur la possibilité d’une installation agricole en forte interaction avec un système alimentaire local par l’intermédiaire des circuits courts (Amap, marchés fermiers, ou pas la vente directe par exemple). Au sein de la métropole bordelaise, la ville de Blanquefort a inscrit dans son projet d’Agenda 21 en 2007 la création d’une couveuse agricole. En 2011, la ville a signé en partenariat avec la SAS GrAINES une convention d’exploitation gratuite. A Blanquefort ce sont 1,5 hectares de terrains dont 1600 m2 sous serres qui ont été mis à disposition pour les nouveaux exploitants. Ainsi, l’ouverture de ce système d’accompagnement a permis à un jeune couple d’agriculteurs d’établir une activité maraîchère sur ces terrains et d’assurer la commercialisation de leurs produits dans un secteur de proximité par l’intermédiaire de structures comme les AMAP ou la vente directe sur site. Nous remarquons que quelque soit l’échelle des réflexions portées sur les circuits courts une interrelation se met en place pour pouvoir penser ces démarches de manière globale et au plus proche des réalités territoriales et locales.
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B/ Bottom-up, des initiatives citoyennes
Le développement d’une nouvelle conscience et de préoccupations éthiques incite de nombreux citoyens à réfléchir sur leurs modes de consommations et à agir en faveur de mouvements qui portent des valeurs auxquelles ils adhèrent. A travers l’alimentation et les échanges de biens et de services, c’est également un échange de valeurs qui se met en place. Nous observons une volonté de consommer autrement et une évolution de la posture du consommateur qui tend à devenir davantage acteur dans l’élaboration des conditions d’échange. Il se place au cœur des processus, tant dans son implication envers les producteurs qu’au niveau des systèmes de distribution. L’un des points essentiel dans la formation de circuits courts, dans une démarche bottom-up, est la forte contribution des consommateurs, ils deviennent ainsi « consom’acteur ». Comme le dit Sophie DubuissonQuellier dans son article « Le consommateur responsable »16 : « Les individus se servent de leur pouvoir d’acheter et de leur capacité d’action quotidienne pour inverser la tendance.»
1/ Les enjeux d’une consommation locale
Nous remarquons que plusieurs enjeux prennent place dans la volonté de consommer local. Un premier enjeu est un enjeu économique. La valorisation des produits locaux et des circuits courts permet de limiter le nombre d’intermédiaires, de créer ou maintenir des emplois de proximité grâce au développement d’une économie locale, d’avoir une rémunération plus juste pour les producteurs et de rendre le territoire plus attractif. Le deuxième enjeu est un enjeu social. Des liens de confiance et de solidarité se développent entre les producteurs et les consommateurs et permettent une interaction bénéfique entre les deux parties. Enfin, le troisième enjeu est un enjeu à caractère environnemental. En diminuant la distance entre le lieu de production et le lieu de vente et en incitant à des modes de production écologiques et responsables (agriculture bio ou raisonnée), les consommations énergétiques sont réduites. De plus, les circuits courts permettent la réduction du bilan carbone, de la production de déchets et ainsi ils préservent les paysages. Chaque individu voulant consommer grâce aux circuits courts possède une démarche personnelle et porte plus d’attention à l’un ou l’autre des points cités précédemment. Dans leur article « Les circuits courts, des innovations sociales pour une alimentation durable dans les territoires », Yuna Chiffoleau et Benoît Prevost, classent les principaux enjeux des circuits courts grâce aux réponses apportées par des consommateurs lors d’une enquête national17 : - aider les agriculteurs à augmenter leurs revenus (66%) - valoriser les ressources et le patrimoine local (41%) - sensibiliser aux enjeux d’une consommation plus éthique (33%) 16 DUBUISSON-QUELLIER, Sophie, « Le consommateur responsable », Sciences de la société, n° 82, 2011, p 105-125 17 Plusieurs réponses (3) étaient possibles parmi une liste d’items
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- adopter des pratiques agricoles plus durables (32%) - garantir l’accès à une alimentation de qualité (31%) L’objectif premier revendiqué par les acteurs engagés dans les circuits courts est donc que les producteurs soient les bénéficiaires premiers de la vente de leurs produits. Cela devient possible grâce à la diminution d’intermédiaires commerciaux, principaux facteurs d’impact sur les revenus des producteurs. Il faut cependant préciser que le prix des aliments en circuit court n’est pas nécessairement très inférieur au prix proposé en circuit long, mais la différence entre les deux tient surtout du fait que par l’intermédiaire d’un circuit court, le consommateur est informé de la destination de l’argent qu’il dépense pour ces produits. Il y a une réelle traçabilité des produits et une transparence des échanges. Cette consommation locale s’est notamment traduite par l’émergence d’un mouvement nommé le locavorisme. Le terme « locavore » aurait été inventé en 2005 par une américaine, Jessica Prentice, vivant à San Fransisco. C’est le mot qu’elle a choisi avec deux autres femmes pour nommer un projet qu’elles avaient entrepris. Il consistait à mettre au défi les habitants de San Fransisco de ne manger que des aliments provenant de moins de 100 miles (160 km) de leur maison pendant un mois. Le mot « locavore » vient de « Loca » (local) et « vore » (manger). Ce terme est entré en 2007 dans le New Oxford American Dictionary et a fait son apparition dans le dictionnaire français Larousse en 2010. Mais bien que ce terme soit très récent, son concept est beaucoup plus vieux. En effet, il y a plusieurs siècles être « locavore » était la norme. Ce concept reprend à son compte la notion la notion de « Food Miles » traduite par « kilomètres alimentaires » forgée par Tim Lang dans les années 1980. Ce concept prend en compte la distance parcourue par les produits agroalimentaires depuis leur lieu de production jusqu’à leur lieu de consommation. Le locavorisme est donc un mouvement basé sur la consommation de produits cultivés localement. Cet approvisionnement auprès de producteurs locaux peut venir d’initiatives individuelles ou provenir d’envies venant de restaurants ou d’autres établissements de restauration collective. « Ce concept participe au développement de l’économie locale, favorisant le circuit court, participant également à un développement durable du fait de son respect pour les saisons et les techniques de production. En clair, ce principe regroupe différentes caractéristiques identifiables : - Des produits de meilleures qualités : produits de saisons, frais, avec un meilleur goût, - Un avantage santé : le modèle locavore pousse à un équilibre alimentaire raisonné, favorisant la consommation de fruits et légumes, - Un impact positif sur l’environnement : réduction des émissions de carbone liée à la logistique et à la transformation des produits, - Un développement de l’économie locale et un lien direct avec les producteurs.»18 Ainsi, nous remarquons que le locavorisme laisse transparaître un enracinement géographique fort et se positionne en opposition au processus d’éloignement entre lieux de productions et de consommation. Différents types de circuits courts existent de la vente directe à la ferme, par internet, jusqu’aux associations qui regroupent producteurs et consommateurs. Ces systèmes peuvent aussi varier au niveaux des types de collaborations entre acteurs. 18 Définition tirée de l’article «Locavore. Mais alors, c’est quoi locavore ?». Disponible sur : http://www. shareandco.fr/leconcept-locavore/ (consulté le 14/03/2016)
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Quels sont leurs différents modes de fonctionnement ? A qui s’adressent-ils ? Quelle est la place du consommateur dans l’essor de ces circuits d’échange ? Au travers de quelques exemples nous verrons comment se mettent en place ces démarches citoyennes visant à rapprocher les producteurs des consommateurs et aussi quels sont leurs points de divergence. Nous verrons que ces différences peuvent porter sur la distance géographique entre consommateurs et produits alimentaires, sur le degré d’engagement des citoyens, qui peut se révéler en fonction du type d’engagement, financier, contractuel etc, sur le caractère individuel ou collectif des échanges ou encore sur le lieu de vente.
2/ Des structures qui prennent place sur le territoire bordelais
/Les AMAP : un engagement mutuel
Face à une baisse de qualité des aliments, un éloignement toujours plus prononcé entre producteurs et consommateurs et des difficultés économiques, de nouvelles pratiques et de nouvelles envies voient le jour dans les pays occidentaux. En France le mouvement des AMAP a vu le jour en 2001, notamment en milieu urbain, il est aujourd’hui en forte expansion. Cependant, ce modèle de distribution reste relativement faible au regard d’autres systèmes en circuit court (vente directe à la ferme, à domicile, sur les marchés, ...). Pourtant, les AMAP représentent un très bon exemple de structure de production/distribution alimentaire en développement et proposant un fonctionnement innovant, impliquant autant les consommateurs que les producteurs dans les prises de décision. Les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), reposent sur le modèle des circuits courts. Elles mettent en lien des producteurs locaux avec un petit groupe de consommateurs (principe du consom’acteur) afin de permettre aux producteurs de profiter des avantages de la vente directe. En réduisant les intermédiaires au sein du réseau de distribution, la marge sur le prix de vente devient plus élevée. Cela permet également au consommateur de s’assurer d’une alimentation de qualité. Les AMAP sont à l’image d’une agriculture de proximité et participent au développement d’une agriculture responsable. Le fonctionnement d’une AMAP est basée sur un groupement de producteurs et de consommateurs qui signent un contrat et conviennent d’une durée d’engagement d’un minimum de six mois, en général une saison de production : printemps/été ou automne/ hiver. Ils définissent également les denrées à produire durant cette période. Il peut s’agir de produits très divers comme des fruits, des légumes, des œufs, du fromage, de la viande ... La distribution se fait ensuite chaque semaine sous forme de paniers de produits frais dont le contenu varie en fonction des produits arrivés à maturité. Les producteurs s’engagent, dans la mesure du possible, à produire une grande variété de légumes et d’autres éléments pour composer des paniers variés. Les agriculteurs, en accord avec les consommateurs s’accordent sur les méthodes agronomiques à employer. Ils s’inspirent généralement de la charte de l’agriculture paysanne et du cahier des charges de l’agriculture biologique.
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Figure 4 : Répartition des AMAP en France selon les régions.
Figure 5 : Fonctionnement d’une AMAP.
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Le prix du panier est fixé de manière à permettre au producteur de couvrir ses frais de production et de dégager un revenu correct, tout en étant abordable par le consommateur. La fixation des prix se déroule en concertation entre les consommateurs et les producteurs. Le consommateur s’engage à payer sa part de la récolte à l’avance, ce qui assure une sécurité financière non négligeable pour les producteurs et leur permet de pré-financer leur récolte. Cela leur permet aussi d’être certains de l’écoulement de leur production. Le modèle des AMAP insiste bien sur le fait que consommateurs et producteurs partagent un principe de « solidarité ». Le consommateur verra la composition de ses paniers varier en fonction de l’abondance des récoltes et pourront ainsi comme les agriculteurs ressentir les effets des irrégularités de la production, notamment face aux aléas météorologiques. « On accompagne quelqu’un, même dans les déboires (par exemple les orages), mais s’il y a réussite, il faut que tout le monde en profite et pas seulement le producteur… L’idée est belle. Il y a l’esprit donnant-donnant et pas mercantile.»19 Ainsi, même si le consommateur n’est pas amené à choisir la composition des paniers, donc à restreindre sa liberté si l’on compare à des modes de commerces traditionnels en grandes surfaces ou en marchés, il trouve souvent une compensation dans le choix d’adhérer à une association qui lui promet les produits de qualités, frais et locaux. Du point de vue des producteurs, ce type de système leur permet d’avoir une plus grande capacité de discussion et d’anticipation en comparaison à des systèmes marchands traditionnels. Contrairement au marché agroalimentaire classique, les produits des AMAP n’entrent pas dans une logique concurrentielle qui est souvent la cause de la hausse des prix. Les prix très accessibles sont possibles grâce au très faible taux de gaspillage des denrées produites, la diminution des intermédiaires entre producteurs et consommateurs et l’absence presque totale d’emballages. L’une des préoccupations majeure des AMAP est de proposer un prix juste pour des produits d’alimentation de qualité. En ce qui concerne les lieux de distribution, ils peuvent se situer soit directement dans les fermes si les partenaires de l’AMAP vivent à proximité, soit dans des points relais en ville. Il peut s’agir alors de maisons de quartier, de magasins d’alimentation spécialisée, etc. L’adhésion à une AMAP est donc avantageuse autant pour les producteurs que pour les consommateurs et le fonctionnement de ces associations est très respectueux de l’environnement. En effet, le transport des produits est réduit, il y a moins d’emballages donc moins de déchets produits et les producteurs sont souvent bio ou en agriculture raisonnée. Au niveau des mentalités, les AMAP permettent à des citadins de percevoir le monde de l’agriculture d’une manière moins opaque. En effet, l’une des valeurs prônée par ces associations est la transparence dans les actes d’achat, de production, de transformation et de vente des produits agricoles. Au sujet des AMAP, Sophie Dubuisson analyse que : « la relation [entre producteurs et consommateurs] a à voir avec un engagement de nature politique, parce qu’elle donne au consommateur accès à un espace de choix qui ne porte pas simplement sur les propriétés des produits mais sur celles des systèmes de production.»20 En effet, ce type d’initiatives est aussi perçu comme une possibilité de faire face au système agro-industriel lié à la globalisation qui touche entre autre l’alimentation et l’agriculture. « Dans ses actes d’achat, le consommateur ferait preuve d’un engagement plus fort en AMAP qu’en grande surface alimentaire. L’espace de négociation est plus large, il concerne à la fois le produit, le système de production et celui de la distribution. Cet élargissement de l’espace 19 Déclaration d’un consommateur, membre fondateur d’une AMAP. Source : Valérie Olivier et Dominique Coquart, « Les AMAP : une alternative socio-économique pour des petits producteurs locaux ? », Économie rurale, 318-319 | 2010, 20-36. 20 DUBUISSON-QUELLIER, Sophie, LAMINE, Claire, « Faire le marché autrement », Sciences de la société, n°62, mai 2004.
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AMAP Bordeaux Centre
2009
2010
AMAP Saint Genès
La Ruche Bordeaux Bastide
2012
AMAP Chartrons Grand Parc
2015 2014 Les Amis de Supercoop
2017 Coopérative Supercoop
La Ruche des Chartrons
Figure 6 : Frise chronologique représentant une sélection de démarches citoyennes prônant les circuits courts, selon leur date de création.
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de négociation permettrait le passage d’un système de délégation du demandeur envers l’offreur à l’implication du demandeur dans les activités du producteur.»21 Pour résumer et en reprenant les termes énoncés dans la charte des AMAP22, ces dernières se basent sur trois engagements qui en traduisent les principes fondamentaux : engagement économique, éthique et social. Fin 2016, l’Aquitaine comptait 170 Amap, représentant 9000 foyers dans différents quartiers et 460 producteurs partenaires. Au niveau national, deux mille associations de maintien de l’agriculture paysanne ont été recensées en 2015 par le mouvement Miramap.23 La volonté des personnes adhérents aux AMAP et de maintenir l’activité d’exploitations produisant des denrées locales de qualité, cultivées de manière écologique, et dont l’origine est connue. Les AMAP permettent de donner une visibilité aux activités agricoles locales en s’appuyant sur des valeurs de solidarité entre consommateurs et producteurs et en favorisant ainsi le dialogue social entre ville et campagne.
/ La Ruche qui dit oui! et les drive fermiers : quand internet devient un intermédiaire
« La Ruche qui dit oui ! » qui suit ce principe de mise en relation des acteurs pour favoriser l’économie locale et une alimentation saine. Le principe ressemble à celui des AMAP mais est cependant différent car il émane d’une entreprise privée. Ce concept de vente se base sur le fort développement des outils de vente en ligne qui ont émergés il y a une vingtaine d’années. Après inscription à une Ruche via une plateforme internet, il est possible de passer commande en fonction des denrées produites, de payer puis de récupérer sa commande sur un lieu de distribution. « La Ruche qui dit oui ! » joue alors le rôle d’un intermédiaire supplémentaire. Les producteurs fixent leurs prix et reversent à la Ruche 16,7% de leur chiffre d’affaires hors taxes alors qu’une AMAP ne prélève aucun frais, les producteurs touchent 100 % du prix de leurs produits. Pour la Ruche, environ 8% revient au siège, la « ruche mère ». Cet argent permet d’assurer le fonctionnement de toutes les Ruches, notamment la gestion des plateformes en ligne. Les 8% qui restent sont reversés aux responsables des Ruches locales. Un autre point de différence entre AMAP et Ruche est que la Ruche n’impose pas d’engagement de la part du consommateur. Chaque semaine il peut décider de commander ou non. La métropole bordelaise comptait fin 2010, neuf structures de « La Ruche qui dit oui ! ». Ce dernier exemple nous amène à nous pencher plus attentivement sur ce que l’on nomme les « drive fermiers ». Cette autre plateforme semble proposer une flexibilité attractive pour les consommateurs, et ainsi suscite un engouement de plus en plus marqué car les consommateurs sont à la recherche de produits facilement accessibles. La majorité de ces « drives fermiers » fonctionnent grâce à un site internet par lequel passent les consommateurs pour commander les produits qu’ils souhaitent et ils doivent ensuite se déplacer dans un point relais pour récupérer leurs achats auprès des producteurs. Mais ce type de « drive fermier » et notamment « La Ruche qui dit oui ! » suscite des critiques. La question sous-jacente est de savoir si le e-commerce alimentaire en circuit court ne va pas à terme priver les consommateurs et les producteurs du lien directe, point clé du 21 OLIVIER, Valérie et COQUART, Dominique, « Les AMAP : une alternative socio-économique pour des petits producteurs locaux ? », Économie rurale, 318-319 | 2010, 20-36. 22 Charte des AMAP, fruit d’nue réflexion participative inter-régionale, mars 2014. URL : http:// amapbordeauxcentre.org/wp-content/uploads/2017/01/Charte-des-AMAP.pdf 23 SIte internet du mouvement Miramap : http://miramap.org/
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Figure 7 : Fonctionnement du supermarché coopératif Supercoop.
Figure 8 : Local du supermarché coopératif Supercoop.
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processus d’échange et donc de moments de sociabilité. La volonté première étant de se fournir en alimentation saine dont nous connaissons la provenance, il faut rester vigilant pour que ces systèmes ne se transforment pas en un nouveau réseau commercial dans un sens déterritorialisé.
/Les supermarchés coopératifs : une participation collective
Les supermarchés coopératifs ont, tout comme les AMAP, un mode de fonctionnement très défini. Sous la forme d’un supermarché classique qui propose des produits alimentaires et non alimentaires, le fonctionnement diffère totalement du modèle que nous connaissons habituellement. Pour avoir accès aux produits proposés par ces magasins il faut tout d’abord devenir coopérateur. Cet engagement implique de participer à la fois au fonctionnement du magasin, à sa gouvernance ainsi qu’à son financement. Le principe des supermarchés coopératifs se base sur le fait que les adhérents doivent consacrer environ trois heures de leur temps tous les mois au fonctionnement de ce dernier. Chacun met ses compétences à profit pour assurer la tenue de la caisse, ou gérer l’approvisionnement, la mise en rayons, l’entretien, les besoins administratifs, etc. Seules les personnes qui s’occupent du supermarché sont autorisées à en acheter les produits. Ce travail collectif permet également aux adhérents de choisir d’où viennent leurs produits et favorise l’économie locale. Les produits proposés sont le plus souvent issus de l’agriculture biologique et de circuits courts. De plus, la marge appliquée est la même pour tous les produits. Il est estimé que grâce à cela et grâce à l’économie de main d’oeuvre possible de part la participation des coopérateurs, les produits sont environ 20 à 40% moins chers que dans les commerces alimentaires classiques. Tout en proposant des prix attractifs pour les consommateurs, ce type de supermarché s’engage également à soutenir les producteurs en les rémunérant au juste prix. Cela fait peu de temps que les supermarchés coopératifs se développent en France. Aujourd’hui nous en comptons une vingtaine répartis sur toute la France. A Bordeaux, la coopérative de consommateurs Supercoop à été créée en janvier 2017, faisant suite à l’association porteuse du projet Les Amis de Supercoop qui avait été créée en mars 2015. Voici comment le projet est présenté par ses coopérateurs : « Aujourd’hui, nous faisons le constat que pour bénéficier d’une alimentation de qualité, indispensable à notre bien-être et à notre santé, les consommateurs paient un prix fort mais pas forcément un prix juste, ce qui exclut les plus modestes. Le projet de supermarché coopératif apporte une réponse concrète aux inégalités sociales dans la métropole bordelaise : accès à une alimentation de qualité pour tous et développement du lien social par la participation.» Le projet est ainsi né sur la base de ces idées. Aujourd’hui Supercoop dispose d’un petit espace de vente nommé « Le Labo », situé dans les locaux de l’association prêtés par la mairie de la ville de Bègles. Comme nous l’évoquions précédemment, l’un des objectifs énoncé par les initiateurs de ce projet est de contribuer au développement d’une agriculture locale et biologique en favorisant les circuits courts. A l’heure actuelle « Le Labo » se fournit auprès d’une vingtaine de producteurs situés à moins de 250 kilomètres du lieu de vente. A terme, l’objectif est de pouvoir ouvrir un supermarché dont la surface permettrait de proposer une grande diversité de produits à la vente. Supercoop Bordeaux est actuellement en recherche de local dans le secteur de Bordeaux Sud. L’implantation d’une telle structure regroupe de multiples enjeux. Tous d’abord l’accessibilité pour les consommateurs et les producteurs est prise en considération en projetant
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une installation proche de la rocade. La proximité du MIN (Marché d’Intérêt National) de Bordeaux Brienne est également un facteur clé. Ce lieu est dédié à la distribution des produits alimentaires frais et non alimentaires. C’est un lieu très fréquentés pas les producteurs et dont la proximité avec le futur supermarché permettrait de réduire les distances parcourues. Enfin ce secteur de Bordeaux en mutation, notamment avec le projet Euratlantique propose actuellement peu d’offre commerciale. _______
L’ensemble de ces initiatives citoyennes nous montre que les attentes des consommateurs au niveau de l’alimentation tendent à évoluer. Nous retrouvons souvent les notions de proximité, de transparence, de confiance qui sont les maîtres mots de nouvelles relations entre individus et acteurs des systèmes alimentaires. C’est notamment cette confiance réciproque qui peut permettre d’instaurer ces nouvelles initiatives de manière durable dans le paysage agroalimentaire d’aujourd’hui et de demain. Ces initiatives sont pour la plupart très attentives à favoriser la création de liens sociaux entre les acteurs participant aux échanges. Nous observons un élargissement de champs des acteurs concernés par les problématiques de l’alimentation. Par exemple, les mouvements citoyens placent le consommateur dans une position centrale et nous démontre que ces derniers sont des acteurs légitimes des systèmes alimentaires.
Ainsi, il y a une réelle proximité géographique et également relationnelle qui se met en place dans l’ensemble des démarches citoyennes que nous avons étudiées. Cette proximité se dessine entre les consommateurs et les producteurs, ou entre consommateurs qui possèdent une idée commune de l’alimentation. Les démarches en circuits courts sont une manière de renouer avec les producteurs et aussi plus globalement avec le monde agricole et apparaissent comme une alternative vertueuse aux circuits alimentaires « classiques ». Pour revenir à la notion d’intermédiaires et pour la rattacher à la notion de proximité géographique, il semble que l’important ne soit pas nécessairement de définir une distance précise pour le lieu d’approvisionnement. En fait, il faut trouver une proximité cohérente qui réponde à un territoire donné. Ceci en prenant en compte le type de consommateurs, de producteurs, leurs besoins et en trouvant un rayonnement profitable au territoire. Dans l’ensemble de son cycle un produit en circuit court de proximité doit rester sur son territoire et être valorisé notamment économiquement et identitairement. « Les circuits courts agroalimentaires constituent des innovations territoriales par une reformulation des dynamiques locales.» Yuna CHIFFOLEAU et Benoît PREVOST24
Le développement des démarches en circuits courts a également une forte influence quant aux questions spatiales, notamment d’aménagement du territoire. De manière plus générale, c’est par le changement de la consommation que se développe une certaine transition du système alimentaire ce qui influence la construction de nos espaces de vie. 24 CHIFFOLEAU, Yuna, PREVOST, Benoît, «Les circuits courts, des innovations sociales pour une alimentation durable dans les territoires.», Norois, n° 224, 2012, p 7-20.
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Ainsi, les circuits courts peuvent être vus comme une façon d’approvisionner nos villes de manière plus durable. Conjointement à ce réseau de distribution et de consommation locale en développement, il convient de s’intéresser au modes de productions en place qui eux aussi sont amenés à devenir plus locaux. En effet, nombreux sont les circuits courts qui s’appuient sur un contexte local, sur un territoire singulier dans lequel ils s’inscrivent. Qu’en est-il du point de vue de l’agriculture dans nos métropoles ?
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02 L’agriculture urbaine comme élément structurant du territoire métropolitain ? 44
Vers une proximité des espaces productifs et des espaces urbains par l’agriculture urbaine.
A/ Une réintégration de la question de la production
agricole au sein des villes
B/ Au delà de la fonction agricole, une hybridation
entre usages productifs et dynamiques urbaines
C/ L’agricultureurbainecommeoutilsdeplanification? 45
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02/ L’agriculture comme élément structurant du territoire métropolitain ? Comme nous l’évoquions dans la partie précédente, les circuits courts participent au fonctionnement de l’agriculture urbaine car la distribution se base sur l’approvisionnement direct issu des productions locales et ainsi, la proximité des villes représente un fort potentiel marchand du fait de la concentration de la demande qui qui peut apparaître comme une opportunité ou une contrainte. Ces circuits courts peuvent donc être un moteur de développement pour l’agriculure urbain mais aussi un frein. L’agriculture urbaine est une solution proposée par l’ONU et la FOA (Food and Agriculture Organization) pour faire face aux besoins de sécurité alimentaire et aux défis de l’urbanisation. Face à l’émergence des nouvelles demandes que nous avons pu évoquer jusqu’à présent, entre culture urbaine et monde agricole, comment retisser un lien pour répondre aux problématiques actuelles ? Comment nourrir les villes, plus particulièrement les métropoles grâce à leurs territoires proches ? Quel peut être le rôle de l’agriculture urbaine et périurbaine ?
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Conception : Chambre d’agriculture de Gironde
Figure 9 : Augmentation des surfaces urbanisées sur les communes du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise
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A/ L’agriculture urbaine ou périurbaine comme
levier de développement pour une production locale
1/ Une demande urbaine croissante d’espaces ouverts : la place de l’agriculture
De nos jours, la réintégration de l’agriculture dans les métropoles apparaît comme un nouveau besoin. Cela s’explique notamment par le mouvement global très émergent de l’intégration d’une vision plus écologique pour les villes. Mais au delà de ce concept très large il existe une réelle volonté de reprendre le contrôle de notre alimentation. Cela passe dans beaucoup de cas par la proximité des aliments qui permet une meilleure connaissance de leur provenance. Les qualités indéniables de l’agriculture sont à prendre en compte et cela passe également par une forme d’éducation et de prise de conscience de ce qu’est le monde agricole. Car en effet, selon Roland Vidal « la ville se trouve aujourd’hui en contact avec une agriculture qui n’est pas celle qu’elle connaissait autrefois [...] les citadins ont maintenant comme voisins des agriculteurs qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne comprennent pas.»1 Pour mener une réflexion combinée sur le territoire prenant en compte ville et agriculture, il est indispensable qu’une réelle compréhension mutuelle existe. « Rapprocher deux mondes qui s’excluent autant qu’ils se désirent : celui de l’agriculture et celui du citadin » Pierre DONADIEU2
De nombreuses villes connaissent un processus de forte croissance, elles s’étendent spatialement et peu à peu vont jusqu’à conquérir des terres jusqu’à présent dédiées à la production agricole. Sur les territoires aux alentours de la ville de Bordeaux ce phénomène est également très présent. « Sur les espaces nouvellement identifiés comme artificialisés entre 1990 et 2006, 71% l’on été sur des territoires à vocation agricole, soit plus de 2000 hectares.»3 Dans le même temps nous constatons une baisse du nombre d’agriculteurs présents sur la métropole bordelaise. Selon les chiffres du rapport Quévremont4, au moment de l’étude environ une centaine d’exploitants professionnels exerçaient sur la Communauté Urbaine de Bordeaux 1 VIDAL, Roland, « Réconcilier agriculture et paysage. Changer d’agriculture ou changer de regard ? ». In Buyck J., DOUSSON X. et LOUGUET P. (dir.) : Agriculture métropolitaine / Métropole agricole, Cahiers thématiques n°1, ENSAP de Lille, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, décembre 2011. 2 DONADIEU, Pierre, Campagnes urbaines, Actes Sud, 1998. 3 A’URBA, L’agriculture périurbaine bordelaise : quels demandes, offre et potentiel ?, Rapport d’étude, 30 janvier 2014. 4 Note de synthèse établie par M. Philippe Quévremont à l’issue de la mission effectuée à la demande de la Communauté urbaine de Bordeaux, 2010.
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contre 259 en 1988. Ces exploitants dits professionnels sont ceux qui consacrent au moins la moitié de leur temps de travail à l’agriculture et qui tirent de ce travail au moins la moitié de leurs revenus. Ajoutés à ces derniers, il y en a environ autant sur la métropole qui exercent à titre secondaire. Nous vivons dans un monde qui s’urbanise et où l’on peine à prendre en compte l’agriculture comme composant fondamental de nos sociétés. L’étalement urbain qui se caractérise par l’extension des espaces bâtis de faible densité sur les périphéries des zones urbaines présente de réelles problématiques sur le devenir des espaces agricoles. En effet, ce phénomène ainsi que la densification des villes sont des dynamiques qui génèrent des inquiétudes. Des préoccupations citoyennes émergent quant à la préservation d’« espaces ouverts », notamment les espaces naturels et agricoles perçus comme nécessaires dans un contexte ou la densification entraine supposément une baisse de la qualité de vie. Une volonté croissante de prendre en considération ce type d’espace apparaît car ils regroupent une grande variété typologique qu’il convient de préserver et de valoriser. « Zone – petite ou grande, permanente ou temporaire, publique ou privée- située à l’intérieur ou à la périphérie d’une région urbaine, où la nature prédomine soit en raison de l’état initial (agriculture, forêt) soit par une action d’aménagement (parcs), de protection (sites classés) ou d’abandon (carrières délaissées, infrastructures…) [qui] assure des fonctions variées et complémentaires, économiques, esthétiques et paysagères, récréatives, biologiques et même scientifiques et pédagogiques. (Strong,1968 citée par Poulot, 2013)»5
Ces questions soulèvent de nombreux enjeux pour l’aménagement des territoires en relation avec les territoires ruraux, périurbains et urbains. Comment ces espaces ouverts sont-ils sollicités et peuvent-ils participer du système urbain ? Les espaces ouverts sont souvent sollicités par les citoyens. En effet, selon la majorité d’entre eux, le bien-être en ville passe également par la proximité d’espaces de ce type qu’ils revendiquent comme élément essentiel pour une ville agréable à vivre. Ils sont également porteurs de fonctions économiques, sociales et environnementales favorables au fonctionnement urbain. Pierre Donadieu s’interroge sur la place et les formes qu’il est possible de donner à ce qu’il nomme la « nature urbanisée ». Comme l’évoque Mayté Banzo6, l’ouverture peut être pensée de plusieurs manières. Elle peut être dans un premier temps paysagère avec un rattachement aux perceptions du territoire. L’ouverture peut aussi être celle des potentialités. L’auteur explicite cette idée en plaçant l’espace ouvert comme un espace proposant de nombreuses opportunités « en termes de pratiques, de représentations, de projets.» Enfin, la troisième idée d’ouverture est celle de l’accessibilité au public de ces espaces par leur publicisation partielle ou totale. Si nous nous intéressons au potentiel que représente l’agriculture comme forme d’espace ouvert au sein des villes, nous nous heurtons à un paradoxe fort. En effet, alors que l’agriculture est menacée par la croissance urbaine comment penser que la réintroduction de cette activité dans les villes peut être une réponse aux problématiques de cette croissance? Selon les mots de Rémi Janin, « dans un contexte de plus en plus urbain où l’agriculture tend à se marginaliser tant physiquement que culturellement » il est nécessaire d’intégrer une vision agricole au projet urbain. 5 BANZO, Mayté, « L’espace ouvert pour recomposer avec la matérialité de l’espace urbain », Articulo Journal of Urban Research, 2015. 6 BANZO Mayté, Dossier d’habilitation à diriger des recherches, «L’espace ouvert pour une nouvelle urbanité», Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, novembre 2009.
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Figure 10 : Plan de Bordeaux et de ses environs, par Hippolyte Matis, (1716-1717).
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Nous verrons que cela, comme l’exprime Pierre Donadieu7, « exige désormais le développement de compétences nouvelles hybridant les savoir-faire traditionnels et bousculant les partitions disciplinaires établies.» Il faut trouver de nouvelles formes qui puissent intégrer des espaces productifs ainsi que des espaces aux usages urbains. Cette situation conduit certains acteurs de l’aménagement des villes et des territoires à repenser les processus de projet en intégrant comme l’une des composantes centrales l’agriculture. En effet, ce regard nouveau porté sur ces espaces agricoles est également pris en compte par les collectivités. Il faut donc penser à l’interaction entre les espaces ouverts, ici agricoles, et les espaces urbanisés. En ce qui concerne les espaces agricoles, au niveau de la gestion publique, cela coûte beaucoup moins cher que les autres formes de nature en ville tels que les parcs, espaces jardinés, etc. De plus, l’agriculture est capable de générer les mêmes types de bénéfices pour la ville : une meilleure qualité de vie, propice au développement ou au maintien de la biodiversité animal et végétale aux abords des villes, la prévention des risques naturels et la préservation de l’environnement. L’agriculture est une activité qui répond évidemment à la fonction première qui est sa fonction nourricière mais d’autres fonctions peuvent lui être associées, c’est un élément paysager, qui peut être aussi un lieu récréatif ou culturel. Nous verrons dans cette partie que l’agriculture en milieu urbain ou périurbain peut être vecteur de nombreuses possibilités positives pour les villes.
2/ Les ceintures maraîchères : un héritage à réinterroger
Au XIXème siècle, les ceintures maraîchères se sont développées autour et à proximité des centres urbains pour leur garantir un approvisionnement alimentaire en denrées périssables. Il s’agissait des produits frais qui nécessitaient un temps court d’acheminement jusqu’aux consommateurs. Ces couronnes agricoles regroupaient généralement des activités de maraîchage, horticoles ainsi que d’élevage et étaient à l’origine d’une organisation spatiale singulière car à cette époque, la notion de proximité aux espaces de consommation était décisive quant à l’organisation du système productif. Nous pouvons nous référer au modèle proposé par Johann Heinrich Von Thünen, ingénieur agronome du XIXème siècle. Il exposait une théorie basée sur l’idée d’une utilisation optimale des surfaces agricoles pour en maximiser les profits, notamment en fonction de leur distance à la ville. Ce modèle se présentait comme une organisation hiérarchisée sous forme de cercles concentriques autour de la ville dans un espace supposé homogène et isolé. Le cercle le plus proche était celui des cultures maraîchères, venaient ensuite les exploitations forestières puis la céréaliculture et enfin les espaces dédiés à l’élevage.8 La fragilité des produits tels que les fruits ou les légumes supposait une culture à proximité de la ville alors que les céréales, facilement conservables, pouvaient être cultivées à une plus grande distance et sur de vastes espaces. L’évocation de ce modèle n’a pas vocation a être appliqué de manière concrète, cependant cette théorie est toujours d’actualité car elle prend en compte le besoin d’économiser les ressources fossiles, de réduire le transport des aliments et de développer une économie locale. Ces productions étaient ensuite majoritairement 7 DONADIEU, Pierre, « Faire place à la nature en ville. La nécessité de nouveaux métiers », Métropolitiques, 11 février 2013. 8 Cf. annexe 3 p. 86
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Figure 11 : Les formes d’agricultures urbaines.
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dédiées à l’approvisionnement en circuits courts sur les marchés urbains locaux et avaient aussi un rôle de sociabilité très fort. Ces ceintures ont pour la plupart disparu à cause d’un étalement urbain croissant et de l’arrivée de moyens plus performants de transport et de conservation des produits. Il devenait alors plus simple de délocaliser certaines exploitations vers des territoires où le climat et la nature des sols semblaient plus adaptés aux types de cultures puis de faire revenir la production par l’intermédiaire de transports de plus en plus rapides et modernes. Cela induisait une recomposition spatiale forte, un passage d’une agriculture et d’une alimentation pensées conjointement à une déconnexion entre ces deux domaines. Cependant, ces ceintures maraîchères formaient des modèles qui ont contribués à influencer les pratiques actuelles. Comme nous l’avons évoqué il existe une volonté de développer à nouveau une agriculture de proximité, située aux abords des villes. La ville de Bordeaux fonctionnait elle aussi sur ce modèle d’agriculture comme en témoigne le plan ci-contre datant de 1716 où l’on discerne clairement à proximité du centre urbain les exploitations agricoles installées sur la première couronne bordelaise. Il semble qu’au milieu du XIXème siècle, la ville réussissait presque à s’approvisionner en denrées périssables presque uniquement grâce à sa ceinture maraîchère.9 Les producteurs des différentes communes se réunissaient ensuite quotidiennement au marché des Capucins au coeur de la ville pour vendre leurs produits. « En 1843, les producteurs qui alimentent réellement Bordeaux sont tous, ou à peu près, des habitants des communes voisines, constamment occupés à ce travail, eux et leur famille.» 10 Ce modèle est sans nul doute à reconsidérer à l’heure actuelle pour repenser les systèmes de production agricoles de proximité.
3/
Une définition complexe de l’agriculture urbaine et périurbaine
L’agriculture urbaine pourrait être définie uniquement par sa localisation et sa fonction alimentaire. L’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) proposait en 1996 cette définition très simple de l’agriculture urbaine comme « la production d’aliments dans les limites de la ville.» Mais aujourd’hui nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette définition. En effet, l’agriculture urbaine touche une grande variété de champs qui vont au delà de la simple production de denrées alimentaires. Elle trouve aujourd’hui une pluralité de formes et sa définition ne doit pas restreindre cet éventail de possibilités. En 1999, la FAO propose une définition plus complète faisant la distinction entre agriculture urbaine et agriculture périurbaine : « L’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) se réfère aux pratiques agricoles dans les villes et autour des villes qui utilisent des ressources terre, eau, énergie, main-d’œuvre pouvant également servir à d’autres usages pour satisfaire les besoins de la population urbaine. L’agriculture urbaine (AU) se réfère à des petites surfaces (par exemple, terrains vagues, jardins, vergers, balcons, récipients divers) utilisées 9 Selon les propos de Pierre Barrère, géographe, en 1949. 10 BARRERE, Pierre, « La banlieue maraîchère de Bordeaux. problèmes d’alimentation d’un grand centre urbain », Cahiers d’outre-mer, vol 2, n°6, 1949, p 135-173.
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Hiérarchie des fonctions de l’agriculture urbaine dans les pays industrialisés, dits «du nord» et dans les pays en développement dits «du sud»
Pays dits du «sud»
Pays dits du «nord»
Fonction alimentaire
Fonction économique (création de valeur, contributions à l’emploi)
Fonctions environnementales (production, entretien de paysages)
Fonction récréative et pédagogique
Les pays dits « du nord »
Les pays dits « du sud »
Industrialisés et très urbanisés, avec un secteur primaire limité, très peu d’auto-production vivrière et un approvisionnement alimentaire urbain largement organisé par la grande distribution.
Peu industrialisés, moins urbanisés, avec un secteur primaire majoritaire, un poids important de l’agriculture vivrière et encore peu de place pour la grande distribution dans l’approvisionnement urbain.
Figure 12 : Hiérarchie des fonctions de l’agriculture urbaine.
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en ville pour cultiver quelques plantes et élever de petits animaux et des vaches laitières en vue de la consommation du ménage ou des ventes de proximité.» Une seconde définition donnée par André Fleury et Pierre Donadieu diffère de la précédente : « L’agriculture péri-urbaine, au strict sens étymologique, est celle qui se trouve en périphérie de la ville, quelle que soit la nature de ses systèmes de production. Avec la ville, cette agriculture peut soit n’avoir que des rapports de mitoyenneté, soit entretenir des rapports fonctionnels réciproques. Dans ce dernier cas, elle devient urbaine et c’est ensemble qu’espaces cultivés et espaces bâtis participent au processus d’urbanisation et forment le territoire de la ville.»11 Mais ces définitions possèdent toutes deux leurs limites en cloisonnant encore les formes d’agriculture en fonction de leur espace de production et en distinguant agriculture urbaine et périurbaine. Pierre Donadieu dans son livre Campagnes urbaines12, quant à lui nous en donne une définition plus succincte : « Est urbaine l’activité agricole dont les ressources, les produits et les services sont ou peuvent faire l’objet d’une utilisation urbaine directe.» On peut noter que cette définition exclut les activités agricoles qui sont localisées proches des villes mais dont la production pourrait être destinée à des marchés extérieurs. De plus, elle semble être plus juste car elle s’attache davantage à la destination de l’agriculture qu’à sa localisation. D’autre part, l’agriculture urbaine ne s’applique pas uniquement pour les agricultures professionnelles. En effet, si nous nous appuyons sur l’article L.311-1 du Code rural, il est indiqué que l’agriculture se définie comme la maîtrise d’un cycle végétal ou animal. Ainsi, un jardinier amateur, même si ses objectifs de production sont différents d’un agriculteur professionnel, cultive également. Définir ce qu’est l’agriculture urbaine ou périurbaine semble donc délicat. En effet, lorsque certains la définissent selon sa spécialité d’autres ne font pas de distinctions entre urbain et périurbain et préfèrent une définition basée uniquement sur le type d’agriculture et les liens inter-relationnels entretenus entre agriculture et espaces de proximité. Finalement, la pluralité des définitions nous montre que l’agriculture urbaine ou périurbaine se caractérise par la diversité de ses formes et de ses fonctions.
Il faut également penser l’agriculture urbaine selon son « pourquoi ». En effet, l’agriculture urbaine peut avoir une fonction alimentaire, économique, environnementale ou encore une fonction sociale. Les auteurs Christine Aubry et Jeanne Pourias défendent l’idée que ces fonctions varient et respectent un schéma différent selon que nous nous situons dans une ville dite du « nord » ou du « sud », entre villes de pays industrialisés ou villes de pays en développement. En effet, l’agriculture urbaine s’est fortement développée dans les pays du sud du globe comme un enjeu pour la sécurisation alimentaire de villes en forte expansion. Dans les pays « du nord », qui pourvoient aux besoins alimentaires de leurs populations, la fonction alimentaire fait aujourd’hui place à de nouveaux enjeux que ce soit de lien social, de sensibilisation, d’éducation et donc apparaît une nouvelle demande à savoir celle de la qualité du cadre de vie individuel et collectif. Mais cette vision reste toutefois très tranchée. Il semblerait que de nos jours nous ne puissions pas définir l’agriculture urbaine et ses fonctions de manière dichotomique comme présenté ci-dessus. Christine Aubry elle même et Christophe-Toussaint Soulard apportent des nuances dans leur article « Cultiver les milieux habités : quelle agronomie en zone 11 FLEURY, André et DONADIEU,Pierre, « De l’agriculture périurbaine à l’agriculture urbaine », Le Courrier de l’environnement de l’INRA, n° 31, août 1997. 12 DONADIEU, Pierre, Campagnes urbaines, Actes Sud, 1998.
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urbaine ?».13 Ils évoquent que dans les pays « du nord » nous voyons en effet de plus en plus ré-apparaître la notion de fonction alimentaire en lien avec les systèmes de vente en circuits courts de proximité que nous évoquions plus tôt, en prenant en compte la qualité des denrées produites. « À l’inverse, les fonctions récréatives et paysagères peuvent être prises en compte dans les schémas d’aménagement urbain de certaines villes du sud, conscientes que l’occupation agricole des sols constitue l’une des formes les moins chères pour créer et entretenir de la verdure en ville.» Nous étudierons ci-après l’agriculture urbaine principalement dans la métropole bordelaise, pouvant être classée dans les pays « du nord ». Nous verrons ainsi qu’il n’existe pas une réelle séparation entre les fonctions de l’agriculture nourricière ou de loisir et que nous sommes plus souvent confrontés à des formes hybrides qui tendent à rejoindre des dynamiques urbaines.
13 AUBRY, Christine, SOULARD, Christophe-Toussaint, «Cultiver les milieux habités : quelle agronomie en zone urbaine ?», Revue AE&S, vol.1, n°2, décembre 2011.
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Figure 13 : De multiples fonctions associées à l’agriculture urbaine.
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B/ Au delà de la fonction agricole, une hybridation entre usages productifs et dynamiques urbaines
Au delà de l’aspect purement nourricier, l’agriculture urbaine ou la mise en place de circuits courts sont porteurs de valeurs, d’envies et de besoins portés par les citoyens ainsi que les collectivités. Cette agriculture opère donc une fonction d’approvisionnement des villes du point de vue alimentaire mais elle peut assurer des fonctions bien différentes couplées aux fonctions productrices. La question de la multifonctionnalité est un point fondamental dans les réflexions sur l’agriculture en milieu métropolitain. L’inclusion de dynamiques différentes sur ces territoires se présente comme un moyen de préserver l’agriculture en proposant diverses fonctions pour ces lieux. Cela peut également aider à peser contre une concurrence forte au niveau du foncier. En proposant une combinaison d’usages qui permettent de garder des terrains productifs sans bâtir, il devient plus simple de préserver l’usage des sols agricoles. D’autre part, ces activités pouvant être à vocations pédagogiques, de loisirs et autres, possèdent un rayonnement particulier du fait de leur proximité de la ville et peuvent permettre de répondre à des volontés énoncées par les habitants des zones urbanisées de conserver des espaces ouverts à proximité des villes. L’espace agricole périurbain peut être porteur de diverses activités qui peuvent également être la base d’un ancrage plus fort dans un territoire et d’une valorisation culturelle, voire touristique de territoires donnés. Il peut s’agir de fermes, de jardins partagés ou d’autres typologies propices à l’agriculture urbaine. Les communes portent leur intérêt sur les circuits courts en prenant en considération tous les aspects positifs de ces derniers, mais au delà de ça, les institutions ont pour objectif de développer « la capacité d’un territoire à ancrer les richesses et à enclencher leur effet multiplicateur (sur l’activité, les revenus, l’emploi) en mettant en jeu le fonctionnement du circuit économique local, c’est-à-dire l’ensemble des échanges (production, consommation, distribution, financement…) qui se nouent entre les agents économiques (entreprises, administrations, ménages…) du territoire.»14
14 CHABANEL, Boris, « Le circuit économique local, parent pauvre des stratégies métropolitaines ? », Métropolitiques, 31 janvier 2017. URL : https://www.metropolitiques.eu/Le-circuit-economique-localparent.html
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Figure 14 : Festival Nature accueilli par la Vacherie de Blanquefort.
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1/ La vacherie de Blanquefort, lieu agricole et culturel La vacherie se situe sur la commune de Blanquefort faisant partie de la métropole bordelaise. Ce lieu se définit comme un espace pédagogique qui permet d’apprendre la culture agricole ou artistique. Cette ancienne étable de la fin du XIXème siècle abandonnée depuis les années 1960, a été rachetée en 2008 et réhabilitée par la mairie de Blanquefort. Dans un premier temps ce rachat était motivé par la préservation d’un patrimoine architectural sans idée de projet prédéfini mais ceci nous éclaire sur la prise de conscience de la nécessité de sauvegarder le patrimoine agricole et de protéger les terres cultivables. Par la rénovation de la Vacherie, c’est aussi un patrimoine bâti qui a été conservé. Par la suite, des réflexions ont été menées pour en déterminer les futurs usages et il en est ressorti une volonté de s’inscrire dans une continuité de son usage premier. Axel Crepey, responsable de la Mission Développement Durable, Espaces Naturels, Citoyenneté de la ville de Blanquefort, définit ce lieu comme un outil de sensibilisation du public et de valorisation des métiers de l’agriculture. La vacherie a été inaugurée le 10 septembre 2010 et selon les volontés de la ville, ce lieu accueille aujourd’hui un éleveur de brebis et des projets culturels. L’éleveur possède dans les locaux un laboratoire de transformation, une salle d’affinage et un espace de vente directe de fromages. A partir de la rénovation de ce lieu, c’est aussi l’idée de relancer une exploitation ovine sur ce territoire. Sur les bords de Garonne, l’éleveur loue 30 hectares de pâtures à la ville dans le cadre d’un bail rural environnemental. Cela vient également se positionner comme un projet en soutien à l’agriculture périurbaine. L’idée est donc de faire cohabiter au sein d’un même lieu, production agricole et activités culturelles et que l’une et l’autre s’interpénètrent. Le lieu lui même, lors de sa rénovation à été conçu de telle manière qu’il puisse être modulable et utilisé pour des évènements très différents et de plus ou moins grande importance chaque mois. Par exemple, tous les deux ans, la Vacherie accueille le Festival Nature de Blanquefort qui reçoit des producteurs locaux, des animations autour de l’agriculture, des animaux de la ferme.15 Durant l’année, des spectacles et concerts sont organisés durant l’année ainsi que des ateliers de cuisine, des soirées débat autour des sujets de l’alimentation. «Tous ce qui se fait dans ce lieu doit correspondre à son identité, toujours en lien avec la nature ou l’agriculture.» L’ensemble des ces évènements contribue à donner une visibilité au lieu et aux activités locales. La Vacherie accueille aussi deux associations : l’AMAP de Blanquefort et le Système d’Échange Local des Jalles de Blanquefort. Cet exemple nous permet également de nous placer du point de vue des agriculteurs qui ont la volonté de participer à ces nouveaux projets en montrant leur envie de s’intégrer au territoire et en s’ouvrant à des fonctions pédagogiques ou d’accueil au sein de leurs exploitations. Ce projet a été mené avec une réelle prise en compte des besoins de l’agriculteur sans négliger le fait que pour les producteurs s’engager dans les démarches en circuits courts requière une certaine capacité d’adaptation. Lors de ma rencontre avec Axel Crepey, il a également souligné que ce projet a eu des répercutions positives sur les agriculteurs à proximité de la Vacherie. Les évènements proposés leurs ont été profitables car ils leur ont amèné un nouveau public, et ont donné envie aux citoyens d’aller acheter des produits locaux.
15 Cf. annexe 4 p. 88
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2/ L’exemple des jardins associatifs urbains Depuis plusieurs années, les jardins font de nouveau leur apparition au sein des tissus urbains que ce soit sous forme de jardins collectifs ou partagés, plus ou moins publics ou privés. A leur manière, ils montrent tous un intérêt croissant pour les pratiques agricoles en ville. Au delà de leur simple localisation, ce sont des lieux de vie qui fédèrent les personnes en lien avec ces petits espaces de production et qui modifient à leur échelle le tissu urbain environnant. En effet, nourrir la ville ne se limite pas simplement à la production de denrées alimentaires pour la consommation mais touche aussi aux liens qui se créent entre individus autour de cette question alimentaire en rejoignant celle de la qualité de vie urbaine. J’aimerais ici m’intéresser plus particulièrement aux jardins associatifs urbains. Ces espaces de plus en plus développés et demandés amènent des questions en lien avec la densification des villes et également avec l’environnement. Il me semble intéressant d’aborder la question des usages de ces portions de nature dans le tissu urbain tant au niveau alimentaire qu’au niveau des modes de vies. En France, une proposition de loi de juillet 2007relative aux jardins collectifs reconnait l’émergence de ces nouveaux types de jardins auxquels elle attribue différents noms selon leur destination : « On entend par jardins familiaux les terrains divisés en parcelles, affectés par les collectivités territoriales ou par les associations de jardins familiaux à des particuliers y pratiquant le jardinage pour leurs propres besoins et ceux de leur famille, à l’exclusion de tout usage commercial. En outre, dans un but pédagogique ou de formation au jardinage, certaines parcelles de jardins familiaux peuvent être affectées à des personnes morales par convention conclue entre celles-ci et les collectivités territoriales ou les associations de jardins familiaux. On entend par jardins d’insertion les jardins créés ou utilisés en vue de favoriser la réintégration des personnes en situation d’exclusion ou en difficulté sociale ou professionnelle. [...] On entend par jardins partagés les jardins créés ou animés collectivement, ayant pour objet de développer des liens sociaux de proximité par le biais d’activités sociales, culturelles ou éducatives et étant accessibles au public.»16 De plus, un Conseil national des jardins collectifs et familiaux (CNJCF) a été créé en février 2007 avec pour mission d’encourager et de promouvoir leur développement, et ainsi permettre plus largement la protection du patrimoine végétal et de la biodiversité. Ce conseil est aussi présent pour défendre son rôle auprès des pouvoirs publics et des institutions. Les jardins partagés se sont inspirés des « community gardens » nord américains des années 1970. Ce sont de « petits territoires de nature insérés dans les plis du tissu urbain.»17 Ces jardins partagés sont aujourd’hui développés dans de nombreux pays du monde et représentent des lieux d’initiative citoyenne. Leur création est généralement impulsée par une envie de trouver une alternative en milieu urbain pour retrouver des valeurs écologiques ou promouvoir le lien social. Cette volonté peut venir d’un désir de produire ses propres fruits ou légumes, de trouver un moyen de créer des liens sociaux, de re-dynamiser la vie de quartier.
16 KRAUSZ, Nicolas, LACOURT, Isabelle, MARIANI, Maurizio, La ville qui mange, Éditions Charles Leopold Mayer, Paris, 2013. 17 BAUDELET, Laurence, BASSET, Frédérique et LE ROY, Alice, «Jardins partagés. Utopie, écologie, conseils pratiques», Éditions Terre Vivante.
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Les jardins partagés prennent souvent la forme d’associations qui assurent la gestion de jardins en soutenant la création de liens sociaux, d’entraide par l’entretien des parcelles, la récolte, etc. En France, la plupart de ces associations sont basées sur le bénévolat car ces dernières se développpent souvent en réponse à une demande des habitants désirant s’investir dans des pratiques plus vertueuses.
/A bordeaux : un réseau qui se développe
Sur la ville de Bordeaux et ses communes limitrophes, tout un réseau de jardins est en place : des parcelles de jardins familiaux sont présentes à Bacalan et aux Aubiers, gérées par l’association Les Jardins d’Aujourd’hui qui a été liquidée en juin 2016, des jardins partagés (des parcelles au Jardin Botanique, le jardin de ta sœur aux Chartrons, le jardin Prévert à Carle Vernet, Villa pia à Saint Genès). D’autres sont en cours de création ou à l’étude. En plus d’un aspect social les jardins partagés permettent de réintégrer une dimension paysagère au sein de la ville. Il existe une charte des jardins partagés de Bordeaux qui affirme que « tous les jardins partagés sont différents. Par conséquent, la ville de Bordeaux souhaite maintenir une certaine souplesse dans leur mise en œuvre. Toutefois, pour être accompagnés par la ville, ils doivent tous respecter une philosophie et une méthodologie d’intervention commune qui vise à garantir le respect social et environnemental du projet.» Ainsi, un volet social et un volet environnemental établissent des règles à respecter durant les trois phases de conception, de réalisation et d’animation des projets de jardins partagés. Ils intègrent donc une qualité paysagère nouvelle dans les milieux urbains ou périurbains et permettent dans un même temps le développement d’une vie en collectivité autour de ces espaces. C’est l’inclusion de nouveaux usages de la ville qui proposent également des temporalités différentes et la mise en relations des usagers. Les jardins peuvent être des lieux de flânerie brassant différentes générations ou classes sociales. Très récemment de nouveaux types de jardins qui sont davantage des potagers urbains ont été mis en place par l’intermédiaire de l’association « Les Incroyables Comestibles de Bordeaux ». C’est un mouvement aujourd’hui présent dans de nombreuses parties du globe regroupant des bénévoles qui œuvrent en faveur d’un nouveau type d‘alimentation. L’idée de ces démarches citoyennes est qu’il est possible de planter et de cultiver sur des espaces à priori non dédiés à ce type d’activité et que par la suite chacun puisse profiter de ces espaces et des denrées produites. Le 20 mai 2017 avait lieu la plantation des semis de fruits et légumes ou aromates du potager urbain en libre service sur les terrasses de Mériadeck. L’association avait fait la demande au conseil départemental, propriétaire des terrasses, pour aménager une partie des parterres qui jusqu’à présent étaient occupés par des friches. « Les incroyables comestibles » proposaient ici d’installer des plantations comestibles. Au préalable, pendant un an, l’association avait effectué des plantations à très petites échelles pour tester ce concept de potagers. Les plantes s’y étaient bien développées et elles avaient été bien entretenues. La ville a donc soutenu le projet en proposant la mise en place de terre adéquate dans les parterres et en mettant à disposition un réservoir d’eau. Il est maintenant intéressant de suivre le projet pour voir comment va se développer l’appropriation des lieux par les habitants. La question qui se pose également est de savoir si un tel projet peut être viable sans l’intermédiaire de coordinateurs.
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5 Figure 15 : Illustrations du « Living Lab » ZAUE, Darwin, Bordeaux. 1 - Ferme Niel BIAPI / 2- Démonstrateur aquaponique / 3- Ruchers pédagogiques BizBiz & Co / 4- Poulailler en ville Poupoule / 5- Nature et potager en ville
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/De nouvelles techniques de production adaptées au contexte urbain
Il est également intéressant d’observer comment ce genre de jardins et/ou potagers ouvrent des possibilités et amènent à réfléchir à de nouvelles techniques de production adaptées au contexte urbain. Il peut exister certaines contraintes à l’installation de l’agriculture en ville, comme une forte densité bâtie ou la pollution par exemple. Comment l’agriculture urbaine se met-elle en place dans ce milieu ? Depuis ces dernière années, des techniques se développent notamment dans le but de produire des denrées alimentaires grâce à des productions hors-sol. Nous pouvons citer l’aéroponie, d’hydroponie, l’aquaponie18, la culture sur paille ou sur substrat (marc de café par exemple). La ville de Bordeaux a vu au sein de Darwin, écosystème de la caserne Niel, se développer des projets tels que ZAUÉ - Zone d’Agriculture Urbaine Expérimentale - qui est un laboratoire à échelle locale travaillant sur de nouvelles formes d’agriculture en zone urbaine dense. Ce « Living Lab » réunit déjà quelques associations présentes sur le site comme : Biapi « Ferme Niel » : jardins potagers en permaculture ; Biz Biz & Co qui propose un ruchers « Apidagogiques » ; Poupoule, poulailler en ville ; Nature & Potagers en ville pour des micropotagers urbains ; les Détrivores, association nouvellement installée à Darwin qui propose d’assurer la collecte et la valorisation des biodéchets de la restauration et de la distribution. Toutes les associations de ce « Living Lab » n’ont pas vocation à développer des cultures hors-sol mais elles tentent de trouver des alternatifs aux modes de culture pour pouvoir s’installer au coeur des zones urbaines. L’idée est également de faire de ce lieu un endroit de diffusion de savoir-faire qui puisse être reproductible. L’exemple des jardins du centre social et culturel du Réseau Paul Bert, situé à Bordeaux, nous donne une autre vision de l’intégration de jardins agro-écologiques en cœur de ville. En 2015, c’est sur le toit de l’immeuble du centre social qu’ont été inaugurés les jardins comportant six carrés de potagers, six ruches et un poulailler sur un espace d’environ 140 m2. Les produits des potagers sont donnés aux résidents de neufs logements sociaux ou participent à l’élaboration des menus proposés par la cantine du centre social. L’objectif de la cantine est de pouvoir se fournir en fruits, légumes et œufs uniquement grâce aux productions des potagers et du poulailler de l’immeuble. Cet espace reste totalement ouvert aux visiteurs et devient aussi le support d’ateliers ou de visites pédagogiques en lien avec ce type d’espace de production. Cette initiative a été récompensée par le le département et a reçu le Trophée Agenda 21.
18 La culture aéroponique consiste à asperger continuellement les racines des plantes qui ne reposent sur aucun substrat. L’hydroponie consiste à irriguer les plantes qui reposent sur un substrat neutre et inerte par un mélange d’eau et de nutriments. L’aquaponie consiste à utiliser un circuit fermé contenant des plantes et des espèces aquatiques et ce sont les déjections de poissons fournissent les éléments nutritifs nécessaires aux plantes.
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Après l’étude de ces exemples nous constatons que définir l’agriculture urbaine reste un exercice difficile car elle se trouve au croisement de divers champs disciplinaires. Son inscription de plus en plus forte dans le champs de l’aménagement urbain induit souvent une pensée sur la multifonctionnalité de ces espaces. Les multiples facettes touchant à l’environnement, l’économie, la santé, les loisirs, l’éducation ou encore les interactions sociales font de l’agriculture urbaine un élément de potentiel dans la réflexion sur l’évolution de la structuration de nos villes. La diversité des démarches et les possibilités qui leur sont associées peuvent sembler répondre à la diversité des problématiques liées aux espaces urbains. Le rapport entre ville et agriculture n’est cependant pas à idéaliser, car certains facteurs, suivant les situations, peuvent poser problème comme la pollution, le trafic ou les nuisances sonores. Pour qu’une cohésion existe il est important de prendre en compte l’intégration des espaces agricoles en amont dans les réflexions d’aménagement du territoire.
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L’agriculture urbaine comme outil de planification ?
L’enjeu alimentaire est désormais un incontournable des réflexions notamment pour les villes. Comment intégrer ces préoccupations vitales dans la gestion des territoires métropolitains ? Quelles réflexions peut-on avoir sur la palce de l’agriculture dans la politique d’aménagement ? Nous assistons à une urbanisation croissante. Face à ce constat, la question de l’aménagement de ces espaces et de l’intégration de zones agricoles dans ce processus se pose. « Dans un système où la place du paysage est forte, la campagne représente à la fois un vide et un plein : un vide à protéger, une respiration dans une densité, et un plein de représentations culturelles et patrimoniales. Mais dans un système dominé par la crise du foncier, l’agriculture est un vide : un vide à occuper ou à protéger selon la place qu’on occupe.» Barbara MONBUREAU Prenons l’exemple de l’agriurbanisme.19 Voici la définition qu’en propose le CERAPT 20: « Ce néologisme veut désigner une thématique nouvelle qui comporte à la fois une dimension pédagogique, une dimension de recherche et une dimension professionnelle. Elle est née d’une longue observation de terrain qui a mis en évidence le fait que les problèmes posés par les projets de territoire agriurbain ne trouvaient de réponse satisfaisante dans aucune des disciplines existantes». En effet, dans ce cas, la réflexion autour de l’aménagement des territoires intègre des disciplines telles que l’urbanisme, le paysagisme, l’agronomie, etc. Cette transdisciplinarité est essentielle car il faut penser de manière simultanée aux conditions permettant le bon fonctionnement des espaces agricoles intégrés au fonctionnement des villes, en termes spatiaux, techniques et économiques ainsi qu’aux attentes venant de la proximité des villes.
1/ Bordeaux : une volonté à affirmer Il est clair que les modalités de l’inclusion de l’agriculture dans la planification urbaine ne sont pas encore pleinement définies mais nous ne pouvons cependant pas ignorer les tentatives émergentes.
19 L’agriurbanisme est un néologisme employé par le CERAPT (Collectif d’enseignement et de recherche en agriurbanisme et projet de territoire). 20 Collectif d’enseignement et de recherche en agriurbanisme et projet de territoire.
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A Bordeaux, le Réseau d’Agriculture Urbaine (RES’A.U) est un laboratoire de recherche expérimental qui se penche sur les problématiques de mise en place d’un nouvel urbanisme laissant une place de choix à l’agriculture. L’objectif est également « d’informer sur l’actualité de l’agriculture urbaine présente sur la métropole bordelaise mais aussi d’identifier au travers de différents outils, les besoins en infrastructure alimentaire et leur cohérence territoriale afin de déterminer l’élaboration et la faisabilité d’un système alimentaire de proximité adapté à ce territoire.»21 Cependant, nous nous rendons compte que penser l’agriculture comme outil de planification territoriale est loin d’être facile. En effet, le système agricole possède ses besoins propres et l’approche urbanistique ne saisit pas toujours l’ensemble des enjeux associés. Nous avons pu dans une partie précédente évoquer les outils mis en place pour une protection des espaces agricoles au travers des documents d’urbanismes. Le SCoT de Bordeaux promeut également la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles intégrés aux espaces urbains et périurbains. Pour cela, l’une des propositions énoncée dans le SCoT est la « structuration et la planification d’une ceinture périurbaine autour d’un chapelet de sites de projets de nature et d’agriculture.» En intégrant les espaces et les exploitations existantes et en distinguant des lieux à potentiel, le SCoT propose de localiser des sites de projet, en respectant leurs spécificités et ayant pour vocation de porter les activités pédagogiques, touristiques ou encore de loisirs. L’idée est de recréer une continuité et de mettre en lien l’ensemble de ces espaces « pour permettre le déplacement de l’homme, de la faune et de la flore.» Ainsi, des recherches se mettent en place pour favoriser les circulations pédestres ou cyclables avec le Conseil général de la Gironde, ainsi que les communes concernées. Nous voyons ici que l’agriculture, bien souvent, n’est pas considérée comme une entité à part entière mais est associée aux autres types d’espaces ouverts. Néanmoins, les collectivités lui portent un intérêt croissant depuis ces dernières années et les institutions publiques jouent un rôle important dans l’orientation des politiques.
2/ Les parcs agricoles : une nouvelle forme urbaine ? Nous évoquerons ici le principe des parcs agricoles qui « à partir de dynamiques agricoles créent de nouvelles formes de parcs d’abord pensés pour leur vocation productive tout en étant polyvalents et en pouvant accueillir des usages urbains.»22 Ils illustrent bien le concept d’hybridation évoqué précédemment et pourraient faire partie des « paysages urbains productifs » définis comme des « espaces verts gérés de telle sorte qu’ils soient productifs économiquement, socialement et environnementalement » par l’atelier d’architecture autogérée (AAA).23 Le parc agricole semble être un exemple de ces lieux qui mêlent système agricole et système urbain. Il est possible de prendre en compte les temporalités des activités ou la possible réversibilité d’espaces pour proposer une cohabitation possible d’usages. Par exemple, il est envisageable de penser que les chemins d’exploitation peuvent également servir de cheminements pour des randonnées ou d’itinéraires à vélo. De même, les pâturages 21 Site internet de RES’A.U., rubrique «A propos». URL : http://reseauagricultureurbaine.net/?page_id=6 22 JANIN, Rémi, L’urbanisme agricole, Openfield numéro 1, janvier 2013. 23 Atelier d’architecture autogérée, parution ponctuelle, laboratoire d’urbanisme participatif, n°12.
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ou certains bâtiments agricoles, lorsqu’ils ne sont pas en exploitation, peuvent se transformer en espaces appropriables ou être utilisés lors d’événements particuliers. Nous pouvons alors nous poser la question de la publicisation des espaces agricoles. Quel devient leur statut dans ce type d’espaces ? L’usage productif est détourné comme support de nouveaux usages et les espaces privés sont alors le support de pratiques publiques. Nous prendrons comme exemples le parc des Jalles situé sur la métropole de Bordeaux et le parc de la Deûle faisant partie de la métropole lilloise. Nous verrons que ces deux parcs ont été conçu dans des contextes distincts et possèdent aujourd’hui des degrés différents d’aboutissements quant aux objectifs énoncés pour chacun.
/ Le parc de la Deûle à Lille
Le parc de la Deûle est souvent cité comme un projet exemplaire au niveau des parcs périurbains car il a permis la préservation de grandes surfaces agricoles. Inauguré en 2004, il a été primé en 2006 pour le Grand Prix national du Paysage et en 2009 pour le Prix du paysage du Conseil de l’Europe. Ce parc répond également à une forte demande des habitants de la métropole de Lille en terme d’espaces de loisirs en plein air et d’espace « ouverts » proches de la ville. En effet, la métropole lilloise connaît un réel manque d’espaces de ce type et même de jardins ou parcs urbains. Le projet possède un grand nombre d’attributs mais dans le cadre de notre réflexion sur l’agriculture urbaine et son intégration au système de planification, nous nous intéresserons en particulier aux processus mis en place lors de l’élaboration de ce projet qui ont permis la réussite de l’intégration des activités agricoles au sein du parc. De quelle manière les décideurs urbains et les producteurs ont-ils été amenés à travailler conjointement pour arriver à une gestion participative ? C’est l’équipe JNC international et notamment les paysagistes Jacques Simon et Yves Hubert qui ont été en charge de ce projet. Situé au sud de la métropole lilloise sur 400 hectares, l’idée principale était de développer de nouvelles activités en préservant les espaces agricoles en réfléchissant pour solutionner les éventuels conflits d’usages entre les différents usagers du parc (agriculteurs, promeneurs). En effet, il était nécessaire que les rapports entre les acteurs soient bons pour le bon déroulement du projet et que chacun soit satisfait pour que le projet puisse se co-construire. Mais cette orientation était loin d’être présente lors de l’élaboration des premières intentions de projet en 1973. A ce moment là, le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme envisageait la création d’une grande zone de loisirs au sud-ouest de la ville. Les premières idées de projet pour le parc de la Deûle n’impliquaient aucunement le maintien des activités agricoles présentes. Au contraire, il était prévu une expropriation des agriculteurs sur 1 200 hectares. C’est progressivement, au cours des révisions successives du schéma directeur, que l’importance à accorder à l’agriculture urbaine a grandi et qu’elle s’est placée comme activité pouvant contribuer au développement du territoire métropolitain. En 2002, lors d’un séminaire intitulé « Le développement de la métropole lilloise et de son agriculture : quels partenariats ?», la métropole posait comme objectif de pouvoir élargir son périmètre en veillant à ne pas impacter négativement les activités agricoles. A ce sujet,
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les élus ainsi que les aménageurs reconnaissaient l’importance de ces espaces qui sont une valeur ajoutée pour les territoires. La métropole doit être en mesure d’assurer l’élargissement progressif de son emprise sans pour autant compromettre l’exercice d’une activité agricole. Pour cela, le SCoT de la métropole de Lille qualifie les espaces naturels et agricoles comme de ressources vulnérables qu’il faut préserver car ils possèdent de grands potentiels profitables au territoire. En ce sens, le projet du parc de la Deûle revoit le jour et doit ainsi être valorisé et valorisant pour les exploitations agricoles qui préexistent. Lors de sa conception, le projet revêt un caractère expérimental du point de vue des relations agriculteurs et urbains. Initialement les agriculteurs n’étaient globalement pas enclins à appuyer ce projet et craignaient des répercutions négatives sur leur travail tel que l’impact de la fréquentation et la crainte de la mise en place de mesures restrictives. Ainsi, la Chambre d’Agriculture avait demandé un diagnostic agricole réalisé avec la S.A.F.E.R. Le but était alors de comprendre les appréhensions des agriculteurs et faire prendre conscience aux aménageurs de la nécessité de ne pas négliger les activités existantes. La Chambre d’Agriculture prend donc en premier lieu la place d’interface entre les représentants du parc et le monde agricole. Le parc de la Deûle est cité par le réseau rural français comme un projet qui « a mis en cohérence le territoire en y intégrant les exploitations agricoles par une approche paysagère.»24 Il est exemplaire notamment dans son intégration des activités agricoles et cela de plusieurs points de vue. Les acteurs du monde agricole ont été associés dès la phase de diagnostic du territoire. La réunion de l’ensemble des acteurs a permis d’avoir un regard croisé sur les atouts et faiblesses du site. En 2006, un Conseil consultatif métropolitain des usagers a été créé avec comme objectif de développer un dialogue et structurer une pensée cohérente pour ce parc. Ce conseil regroupait des syndicats agricoles, des associations de tous types, sportives, culturelles, etc. C’est cet espace de réflexion concerté qui a permis de mener à bien le projet et de contenter tous les futurs utilisateurs. Grâce à la reconstitution de ses zones humides, le parc assure une fonction de protection des ressources en eaux, il promeut et accueille des espaces agricoles, il tient un rôle pédagogique et de sensibilisation à l’environnement et intègre un patrimoine bâti qu’il rend visible. Une grande attention a été portée à l’intégration des terres exploitées dans le paysage. Un réseau de fermes a été mis en place au sein même du parc de la Deûle. Le pari était de maintenir une forte activité agricole périurbaine qui alimente la ville tout en proposant une accessibilité de la vallée de la Deûle aux citadins. Il faut aussi parler des partenariats qui ont permis de faire collaborer le monde agricole et le monde des aménageurs urbains. Le programme « Aménagements paysagers » nous sert d’exemple pour comprendre comment des actions communes ont pu être bénéfiques aux différents acteurs du parc. Il vise à engager les exploitants à valoriser au niveau paysager les abords de leur exploitation. Une aide financière conséquente est apportée par le syndicat mixte Espace Naturel Lille Métropole (le syndicat implique la communauté urbaine de Lille Métropole, les conseils général et régional et quarante communes de l’arrondissement) pour couvrir les frais de ces aménagements. Ceux-ci sont bénéfiques à l’ensemble du parc, du fait de cette intégration paysagère, et aux exploitants qui peuvent ainsi proposer par exemple une certaine protection de leurs terrains cultivés vis à vis du public. Le but était de pouvoir trouver des intérêts communs pour que les aménagements du parc puissent être complémentaires. 24 Collectif des états généraux du paysage dans le cadre des actions du réseau Rural Français , «Intégrer l’agriculture dans un parc public périurbain : l’exemple de la Deûle», 2010.
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De la phase de diagnostic jusqu’à la conception et la gestion du parc de la Deûle, l’agriculture a tenu un rôle majeur. C’est cette alliance entre tous les acteurs de la conception qui a permis de concrétiser ce projet. Nous ne pouvons pas passer à côté du fait que le paysage est le grand liant entre le monde agricole et la sphère des acteurs à l’initiative du parc.
« Tout projet agricole est en soi et de manière indissociable un projet de paysage.» Rémi JANIN25
/ Le parc des Jalles de Bordeaux Métropole
Comme le parc de la Deûle, l’objectif porté par le projet du parc des Jalles était de pouvoir ouvrir l’espace de la vallée des Jalles aux citoyens et de créer un lieu multifonctionnel mais cela ne s’est pas déroulé sans difficultés. Au nord de l’agglomération bordelaise, l’idée est assez ancienne de proposer un parc sur la zone inondable de la vallée des Jalles. Des idées ont été émises dès 1970, puis suite à la mise en place d’un PPRI (Plan de protection des Risques d’Inondation) qui rendait cet espace inconstructible en 1999, une charte instituant ce projet n’a été signée qu’en 2000. Le parc se situe sur huit communes de l’agglomération bordelaise. Ce sont elles qui définissent les lignes de conduite à suivre pour l’élaboration du parc : - « la maitrise de l’avenir foncier afin de prévenir des opérations qui nuiraient à ce patrimoine collectif de manière irréversible, - la création de cheminements intercommunaux de découvertes culturelles, ludiques et sportives à partir des pôles d’intérêts existants qui jalonnent la rivière, - le soutien aux activités agricoles en difficultés.» ( A’Urba, 2002, p3) Ces objectifs montrent le désir de maintenir des espaces ouverts et de les préserver de la construction pour valoriser les terres agricoles. Mais ce projet a connu des difficultés dans l’intégration de l’agriculture dans la conception urbaine. Il semble que malgré des tentatives de sollicitations des agriculteurs au sujet du parc, aucune étude n’ait été menée sur le diagnostic des activités agricoles dans le périmètre du parc (4 800 ha de superficie pour le projet initial dont 72% de terres agricoles). Cependant, pour pouvoir porter un projet faisant entrer en jeu les systèmes de planification urbains ainsi que le monde agricole, il est nécessaire que les acteurs aient une approche du processus de manière négociée. Il semble que les difficultés pour lancer les actions concrètes du projet viennent de l’intégration difficile des acteurs agricoles et de la question même de l’agriculture dans le champs de l’urbanisme. Une nouvelles étude menée en 2009 a montré un abandon progressif des activités agricoles de la vallée des Jalles. A partir de ce diagnostic, l’action publique a proposé de mettre en place un PPEANP. Ainsi, un périmètre de 785 hectares a été créé. Cependant, de nombreux maraîchers sont encore hostiles à cette mesure. Le principal problème étant que les objectifs de la création de ce parc ne sont toujours pas clairement énoncés et génèrent des inquiétudes. Pour débloquer une telle situation et remédier à une difficile interaction entre le monde agricole et urbain, une charte paysagère a été mise en place ainsi qu’une réflexion quant aux circuits courts alimentaires permettant de créer un lien entres les acteurs du projet. Ainsi, la 25 JANIN, Rémi, «L’agriculture comme projet spatial,» Openfield, numéro 3, janvier 2014.
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charte paysagère et environnementale proposée en 2008, inclut une dimension participative. Elle permet de faire émerger les envies et besoins des différents acteurs et d’engager des discussions. Pour impulser un projet d’une telle envergure il est indispensable de réellement connaître les acteurs du monde agricole ainsi que leur rapport au territoire même s’il est compliqué pour les porteurs de projets de cerner ces nouvelles dynamiques dans le champs de l’aménagement urbain. La mise en parallèle de l’élaboration des deux projets de parc agricole des Jalles et de la Deûle nous permet de déceler l’importance de l’établissement d’un diagnostic préalable prenant en compte l’ensemble des champs disciplinaires invoqués ainsi que les différentes échelles d’impact du projet. Le rapprochement entre ville et agriculture impose de profondes mutations dans les pratiques des différents acteurs (agriculteurs, consommateurs, professionnels, élus, etc.) et de nouvelles formes de gouvernance.
3/ Redonner une place aux agriculteurs dans les processus de
projet
Afin de recréer les liens entre habitants et agriculteurs, que ce soit en milieu urbain, périurbain ou rural, il est important que les élus locaux puissent encourager et accompagner les agriculteurs pour faciliter leur implication dans les réflexions et les actions menées par la collectivité comme l’aménagement et la gestion du territoire. Pour réussir à donner une place à l’agriculture dans les projets urbains nous avons évoqué la possibilité de développer une hybridation des usages, mais ce qui est essentiel c’est avant tout qu’il y ait une hybridation des réflexions à ce sujet entre tous les acteurs impliqués. Afin d’impulser et de développer « le dialogue territorial », le réseau des Associations de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales (AFIP) a décidé de mettre en place en 2006 le projet « Dialog ». L’AFIP est une association qui compte six branches régionales et qui possède une coordination au niveau national. Ses actions visent à favoriser les initiatives provenant des acteurs du monde rural qu’il s’agisse de réseaux locaux ou d’actions citoyennes afin d’en renforcer l’autonomie. Le projet « Dialog », suite au travail de différentes structures qui ont analysé les relations entre agriculteurs et élus, a abouti à l’élaboration de documents proposant des outils méthodologiques pour favoriser les échanges entre agriculteurs et politiques locales et faciliter leur implication dans les démarches de dialogue territorial. « Les initiatives de dialogue territorial, c’est-à-dire de concertation ou de médiation portant sur le territoire, visant à rapprocher agriculteurs et non agriculteurs se développent dans des contextes variés, pour traiter des conflits ou mener des projets communs (mise en place de circuits courts, définition de chartes de bon voisinage, de chartes de paysage, etc).»26 Par exemple, à Bordeaux, la Chambre d’Agriculture de la Gironde est a l’initiative des rencontres « Les élus à la ferme ». Elles ont lieu sur une exploitation agricole et rassemblent les agriculteurs ainsi que les élus de la métropole de Bordeaux. 26 Salon international de l’agriculture - Séminaire - L’agriculture dans le développement territorial, «Le projet DIALOG : des outils et méthodes pour favoriser l’implication des agriculteurs dans les démarches de dialogue territorial», 3 mars 2010
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Cette journée prend la forme d’ateliers de débats portant sur des problématiques essentielles et fondamentales de l’agriculture urbaine. Le mercredi 11 janvier dernier, à la Ferme Fourcade située sur la commune de Bruges, lors de la première rencontre de ce type dans le département, les trois thématiques abordées étaient les suivantes : les circuits courts, les filières de qualité et de proximité ; la gestion du foncier et de l’installation en milieu urbain ; les relations citadins/producteurs. Cela permet aux collectivités de s’investir en se qui concerne les questions agricoles et de se confronter à des problématiques concrètes. _______ Tout au long de cette partie nous avons pu voir le potentiel que représente le développement d’activités agricoles au abords et au sein de nos villes. Les processus d’assimilation entre espaces périurbains et espaces métropolitains à l’oeuvre ouvre le champs des possibles pour repenser les villes. Cependant les réflexions et les initiatives allant dans ce sens sont encore émergentes et les projets mis en place ne trouvent pas toujours le succès escompté. On constate que les potentialités de l’agriculture urbaine ne sont pas encore exploitées à leur maximum, notamment dans le cas de Bordeaux. En effet, d’autres métropoles sont plus en avance sur ces thématiques comme nous avons pu le voir avec l’exemple du parc agricole de la Deûle à Lille. En s’appuyant sur des initiatives qui ont porté leurs fruits, en prenant en compte la singularité de chaque territoire et des acteurs en présence, il semble que des pistes existent pour insuffler de nouveaux projets.
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CONCLUSION Une transition alimentaire à co-construire
Toutes les notions abordées dans ce mémoire, qu’il s’agisse du fonctionnement des circuits courts ou du développement de l’agriculture urbaine nous montre que le système alimentaire (de la production jusqu’à la consommation en passant par la distribution) se positionne comme un élément constitif du métabolisme urbain. Les villes fonctionnent grâce à des systèmes de flux entrants et sortants qu’il est possible de valoriser et de rediriger pour qu’ils soient profitables au territoire en question. Ce principe est largement en adéquation avec les idées portées par le développement de circuits courts alimentaires de proximité et de l’agriculture urbaine qui proposent un fonctionnement circulaire et de profiter des ressources locales et limiter les flux. Ce principe peut se décliner dans d’autres thématiques. Toujours en relation avec le système alimentaire, l’un des enjeux également pris en compte par certaines structures est la question de la prise en charge des déchets provenant de l’alimentation. A Bordeaux, depuis 2014, une épicerie nommée « La Recharge » propose un lieu fonctionnant exclusivement sans emballages jetables. Partant du principe que la plupart des emballages ne sont pas indispensables, l’épicerie propose des produits en vrac et incite les clients à apporter leurs propres contenants pour faire leurs achats. Cet exemple comme ceux énoncés précédemment nous montrent qu’une prise de conscience réelle se développe pour mener à une transition alimentaire. Nous avons également pu appréhender l’implication des acteurs engagés dans cette transition. Le fonctionnement de notre système alimentaire implique l’engagement de nombreuses personnes qui œuvrent aujourd’hui pour défendre un schéma de transition du système actuel. Les enjeux de l’alimentation se posent aujourd’hui comme une question publique et nous avons pu nous rendre compte de l’importance que peuvent prendre les acteurs extérieurs au monde agricole dans l’évolution des réflexions. En effet, l’investissement des consommateurs se révèle être la base de nombreuses actions en faveur de cette transition toujours en prenant en compte les aspirations des acteurs du monde agricole. Et il semble qu’un changement de paradigme ne puisse être impulsé que par un changement des modes de consommation globale. Mais quelques soient les acteurs impliqués, il semble que l’alimentation se positionne comme un élément liant et support de collaborations pour penser nos modes de vie futures. Nous pouvons espérer que la démocratisation des initiatives telles que les circuits courts ainsi que la re-territorialisation de l’agriculture puisse mener à une meilleure connaissance de la part des consommateurs sur l’impact de leur consommation et une meilleure compréhension de l’ensemble des dimensions qui y sont associées. Il faut également comprendre qu’aujourd’hui l’agriculture urbaine et périurbaine ou l’engagement dans des démarches en circuit court de proximité ne se limite pas à une simple démarche expérimentale mais existent comme des activités ancrées dans le quotidien et le paysage des villes. L’ensemble des initiatives énoncées forment un système qui tend à se péréniser et nous montre le lien fort qu’il existe entre les circuits courts, les modes de productions agricoles ainsi que la gestion des espaces urbains.
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Le cas bordelais nous a ici permis de poser un regard sur une métropole concernée par les problématiques actuelles de l’alimentation et de son processus de transition. Cependant, dans le contexte national et également international, Bordeaux est loin de représenter une situation exemplaire sur ces thématiques. En effet, d’autres villes se positionnent beaucoup plus fermement. Nous pouvons entre autre nous tourner vers la ville de Rennes qui pose une approche singulière sur ces questions. Bertrand Folléa, paysagiste en charge du SCoT du pays de Rennes a développé dans les années 2000 une nouvelle idée pour repenser les espaces périurbains. Il s’est opposé à l’idée d’une ville qui s’étend de manière continue au delà de ses frontières et a prôné l’idée d’une ville archipel qui serait plutôt un ensemble de centralités entre lesquelles s’immisceraient les espaces agricoles et naturels. Ce concept de ville archipel à plusieurs polarités proposait de reconstruire une vision sur les espaces ouverts ainsi que les espaces périurbains et amenait à penser l’organisation entière d’une ville différemment. La métropole rennaise à été l’une des premières à proposer la mise en place d’un Plan Local Agricole en faveur de la préservation des exploitations agricoles dans le cadre du SCoT. Ce dernier a proposé la mise en place d’un concept nouveau celui des champs urbains. « Il s’agit d’un outil destiné à allier campagne et ville, afin d’articuler le développement polycentrique de la ville avec le maintien des espaces agricoles. Les champs urbains ont ainsi deux fonctions : ils protègent les sites agricoles et naturels et ils favorisent le développement des usages de loisirs verts intercommunaux de proximité, compatibles avec l’activité agricole et les enjeux écologiques.»27 L’idée générale était que la ville se forme autour d’espaces d’intensité urbaine qui ne soit pas uniquement associés à la densité urbaine. Les lieux présenteraient des qualités urbaines ainsi qu’un fort rapport aux espaces ouverts. La métropole de Rennes mène aussi de nombreuses actions ou projets en faveur d’un plan d’alimentation durable pensé avec les acteurs concernés : producteurs, consommateurs, nutritionnistes, cuisiniers, etc. La réussite des politiques engagées dans la ville de Rennes tient d’une forte affirmation des concepts énoncés clairement et d’une définition précise des objectifs poursuivis. Un réel travail d’intégration de espaces agricoles au systèmes urbains est mis en œuvre. L’ensemble de ces mesures participe aujourd’hui grandement à la création de l’identité du territoire rennais. La force de ces systèmes vient également du fait qu’ils sont perpétuellement remis en question mais dans une réflexion portée sur le long terme. Toutes les questions associées à la transition des systèmes alimentaires et leurs répercutions sur l’aménagement des territoire sont grandement pris en compte par la métropole qui leur donner une place d’importance dans les réflexions et les actions entreprises. A Bordeaux, les politiques paraissent encore en retrait alors que les initiatives citoyennes en faveur d’une alimentation alternative sont en forte progression. Il faut espérer qu’à terme ces initiatives puissent porter un message qui pourra être relayé au niveau des instances institutionnelles et que celles-ci s’engagent davantage, autre que dans des démarches de soutien aux actions initiées « par le bas ». Les enjeux de l’alimentation sont multiples et contribuent au façonnement de nos villes. Cette thématique partagée par l’ensemble des êtres humains invite à la réflexion sur le devenir de nos espaces de vie. L’intérêt croissant porté à ce sujet affirme le potentiel d’alliance possible entre acteurs et territoires pour proposer des réponses positives. 27 AUCAME, Le potentiel de développement de l’agriculture périurbaine dans Caen-Métropole, septembre 2015.
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ANNEXES 84
Annexe 1 : Extraits du dossier de la CUB « 5 sens pour un Bordeaux Métropolitain », novembre 2011 Annexe 2 : Dépliant « Manger Local », par Bordeaux Métropole Annexe 3 : Principes du modèle de Thünen Annexe 4 : Photos de la Vacherie de Blanquefort et du Festival Nature, 14 mai 2017. 85
Annexe 1
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Extraits du dossier de la CUB « 5 sens pour un Bordeaux Métropolitain », novembre 2011
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Annexe 2
Dépliant « Manger Local » , par Bordeaux Métropole
Le circuit court est la commercialisation de produits agricoles, soit en vente directe du producteur au consommateur, soit en vente indirecte avec au maximum un seul intermédiaire. Ce système de distribution garantit une offre variée et de qualité, pour tous et à faible coût. Transport réduit, saisonnalité respectée, emballages limités : ces produits sont conformes aux exigences du développement durable.
Pourquoi consommer des produits de saison ? Une production respectueuse de l’environnement ne peut négliger l’importance de la saisonnalité. En effet, les aliments produits localement mais « hors saison » peuvent s’avérer plus néfastes et rejeter plus de gaz à effet de serre que des produits importés de pays où ils sont cultivés en plein air, même en incluant le transport.
Les exploitations, de petites tailles, sont d’ailleurs généralement inscrites dans des logiques peu intensives, permettant de diminuer (voire de supprimer) l’usage d’engrais et autres produits non naturels. En limitant les intermédiaires, la commercialisation en circuit court favorise de plus le développement local et le lien social dans le respect de tous les acteurs.
Saint
Les modes de vente directe > la vente sur site ou vente à la ferme se déroule directement chez les producteurs. > plus de trente Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) présentes sur la Métropole proposent de signer un contrat directement avec des agriculteurs et de bénéficier chaque semaine de paniers composés de nombreux produits (légumes, pain, miel, viande…) Retrouvez toutes les adresses et jours de distribution sur : www.amap-aquitaine.org
L’agriculture et la filière agro-alimentaire sont une force et une chance pour notre pays. Sur le plan économique d’abord, puisqu’elles représentent des milliers d’entreprises, près de 500 000 emplois et notre 2e excédent commercial. Sur le plan de l’aménagement du territoire ensuite, comme en témoigne notre métropole dont les espaces naturels constituent encore la moitié des 58 000 hectares de sa superficie. Et puis, l’agriculture, c’est notre patrimoine, nos paysages, nos racines. De grands vins ont fait la réputation de notre territoire, des produits d’exception celle de nos terroirs. À l’heure où nos producteurs souffrent de l’écrasement des prix que leur imposent les centrales d’achat, il importe que nous agissions en consommateurs responsables et encouragions l’économie locale et traditionnelle en nous inscrivant dans une logique de développement durable. Nos choix de consommateurs, en effet, nous engagent tout entiers : ils nous définissent en tant que citoyens et façonnent, jour après jour, la société dans laquelle nous vivons. Une solution : le développement de la vente directe et des circuits courts. Un triple avantage : des produits de qualité à moindre coût et une alimentation équilibrée pour le consommateur, la reconnaissance du travail des agriculteurs qui bénéficient de prix d’achat décents, le renforcement des liens entre villes et campagnes. C’est pourquoi Bordeaux Métropole, en soutenant l’activité agricole locale aux côtés d’acteurs institutionnels et associatifs, sans oublier des agriculteurs eux-mêmes, s’efforce d’instaurer quotidiennement les conditions nécessaires à l’exercice de ce choix, de rendre possible l’alternative d’une consommation plus responsable. Drives fermiers, marchés de producteurs, Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne… Des solutions existent pour consommer mieux ou du moins différemment, tout près de chez vous. Des solutions que cette carte vous permettra, je l’espère, de découvrir et d’adopter.
Saint-Médard-en-Jalles
> les marchés fermiers sont organisés ponctuellement chez un producteur local qui accueille sur son site d’autres producteurs afin de proposer une large gamme de produits : - Chez Pierre Gratadour au Haillan - Couveuse agricole SAS graine de Blanquefort - GAEC Moulon à Ambès
Martignas-sur-Jalle
> les Marchés de Producteurs de Pays proposent produits locaux de saison, dégustations ou restauration « maison ». À retrouver en mai et septembre à Bouliac et en juin à Eysines. www.marches-producteurs.com > La Ruche qui dit Oui !, union de consommateurs pour acheter directement aux producteurs de votre région : www.laruchequiditoui.fr > le Drive Fermier, porté par la Chambre d’agriculture de Gironde, permet de commander en ligne des paniers à récupérer à Bordeaux, Eysines, Gradignan et Lormont. www.drive-fermier.fr/33 > d’autres modalités de vente directe et locale existent sur la Métropole : - Paysans et Consommateurs Associés, paniers et produits bio distribués chaque mercredi au cinéma Utopia à Bordeaux : pca.nursit.com/pca-mode-d-emploi - La Compagnie Fermière, magasin collectif de producteurs locaux, basé à Gradignan : www.lacompagniefermiere.fr - Le Panier fraîcheur maraîcher à Eysines, coopérative agricole : lepanierfraicheurmaraicher.fr - Coop Paysanne, magasin collectif de producteurs locaux associés, ouvert du mardi au samedi, proposant produits bio aquitains ou label économie sociale et solidaire, basé à Lormont et à Cenon : www.cooppaysanne.fr - Supercoop, association proposant en ligne des produits bio de producteurs locaux, livraison le jeudi soir, tous les 15 jours à Bègles : www.supercoop.fr
Légende zones naturelles zones agricoles maraîchers apiculteur éleveurs horticulteurs viticulteurs AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne)
- Les P’tits cageots, distribution de paniers bio sur la Métropole : www.lesptitscageots.fr
La Ruche qui dit Oui !
- Tous les marchés communaux ; guide à télécharger sur : www.marchesdegironde.com
Drive fermier Autres modalités de vente
Alain JUPPÉ Président de Bordeaux Métropole, Maire de Bordeaux, ancien Premier ministre
88
Tramway
L’agriculture sur Bordeaux Métropole > 6 000 hectares de surfaces agricoles > 176 exploitations agricoles recensées* > + de 1 000 emplois générés** > Une diversité de savoir-faire : viticulteurs, maraîchers, éleveurs et producteurs de céréales, quelques apiculteurs, arboriculteurs et horticulteurs... mais aussi de modes de production : conventionnelle, raisonnée, biologique.
Ambès
13
* source Chambre d’Agriculture de la Gironde, 2012 ** estimation réalisée à partir des données Agreste et comprenant les emplois permanents et saisonniers
SaintVincentde-Paul
12
Saint-LouisdeMontferrand
9
Parempuyre 5
15
14
6
1
15
t-Aubin de Médoc Ambarèset-Lagrave 4
Blanquefort
5
Le Taillan-Médoc
1 2
1
Tram-Train du Médoc
3
CarbonBlanc
Bassens 2 2 11
6
7
10 1
8 5
3
3
Eysines
Bruges
12 3
4
9
Le Haillan
Lormont
2
8
Le Bouscat Artigues-prèsBordeaux Cenon Bordeaux Mérignac Floirac 7
1
8
6 4
Bouliac 10
7
Talence
Pessac
Bègles
11
Gradignan 9 16
Villenave-d'Ornon
4
Conception graphique / Cartographie : LE BIG, direction de la communication de Bordeaux Métropole - juin 2016 - Informations sous réserve de modifications
13 14
Retrouvez la carte dans sa version interactive sur : www.bordeaux-metropole.fr/manger-local
89
Annexe 3
Principes du modèle de Thünen
Rente foncière Distance à la ville à partir de laquelle
Cultures maraichères, productions laitières
la sylviculture devient plus rentable la céréaliculture devient plus rentable l'élevage devient plus rentable
Céréalicultures Elevages
lait
fruits
légumes
Sylvicultures
Céréalicultures Elevages D'après Geneau de Lamarlière I. & Staszak J.-F., 2000, Principes de Géographie économique, Paris, Bréal, coll. Grand amphi
Principes du modèle de Thünen
90
La mise en culture n'est plus rentable
© Myriam Baron, UMR 8504 Géographie-cités, 2010
Sylvicultures
91
Annexe 4
Photos de la Vacherie de Blanquefort et du Festival Nature, 14 mai 2017.
La Vacherie de Blanquefort
92
Lieu de vente directe du fromager
DĂŠmonstration de tonte de mouton lors du festival Nature, le 14 mai 2017.
93
94
GLOSSAIRE ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie AFIP : Associations de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales AMAP : Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne CERAPT : Collectif d’enseignement et de recherche en agriurbanisme et projet de territoire CEREMA : Centre d’Études et d’expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement CIVAM : Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural CNJCF : Conseil National des Jardins Collectifs et Familiaux CREPAq : Centre ressource d’Écologie Pédagogique d’Aquitaine CUB : Communauté Urbaine de Bordeaux DRAAF : Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt DREAL : Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement FAO : Food and Agriculture Organisation (organisation des Nations Unies pour l’agriculture) LDTR : Loi relative au Développement des territoires Ruraux LOA : Loi d’Orientation Agricole MEDDE : Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie ONU : Organisation des Nations unies PLU : Plan Local d’Urbanisme PNA : Programme National pour l’Alimentation PPEANP : Périmètre de Protection des Espaces Agricoles et Naturels Périurbains SAFER : Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural SAS : Société par Actions Simplifiées SCoT : Schéma de Cohérence Territoriale ZAP : Zone Agricole Protégée
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TABLE DES FIGURES Figure 1 : Salle du pavillon suisse, Exposition universelle de Milan, 2015.
Source : Padiglione Svizzero, Expo Milano 2015, « Expo Milan 2015 : les pommes sont de retour au Pavillon Suisse.», 16 juin 2015. URL : http://www.padiglionesvizzero.ch/fr/news/expo-milan-2015les-pommes-sont-de-retour-au-pavillon-suisse/
Figure 2 : Les restaurants Mc Donald de la métropole Bordelaise (2017). Document personnel. Figure 3 : Les circuits de distribution longs et courts.
D’après schéma tiré de « Commercialiser les produits locaux. Circuits courts et circuits longs.», Cahier de l’innovation, n°7, juillet 2000. Document personnel.
Figure 4 : Répartition des AMAP en France selon les régions.
Source : CHAPELLE, Sophie, « La France, championne d’Europe de l’agriculture bio en circuit court, mais plus pour longtemps ?», Bastamag [En ligne], 23 novembre 2016. URL : https://www.bastamag. net/Plus-de-2000-Amap-en-France-le-boom-des-circuits-courts
Figure 5 : Fonctionnement d’une AMAP.
Source : Circul’Asso, n° 12, juillet-août 2016, URL : http://www.circulassos.com/Bibli/ Circul’Assos%20num%C3%A9ro%2012.htm
Figure 6 : Frise chronologique représentant une sélection de démarches citoyennes prônant les circuits courts, selon leur date de création. Document personnel. Figure 7 : Fonctionnement du supermarché coopératif Supercoop. Source : Site internet Supercoop, rubrique « C’est Quoi? », URL : https://www.supercoop.fr/projetsupercoop-bordeaux-metropole/#un-projet Figure 8 : Local du supermarché coopératif Supercoop. Source : Photos, Facebook Supercoop Bordeaux.
Figure 9 : Augmentation des surfaces urbanisée sur les communes du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise. Figure 10 : Plan de Bordeaux et de ses environs, par Hippolyte Matis, (1716-1717). Figure 11 : Les formes d’agricultures urbaines.
Source : Daniel, Anne-Cécile, Aubry, Christine, Thouret, Amélie et Devins, Antoine. 2013. « Naissances et développement des formes commerciales d’agriculture urbaine en région parisienne », in Duchemin, Éric (éd.), Agriculture urbaine : aménager et nourrir la ville, Montréal : Vertigo, p. 203‑214.
Figure 12 : Hiérarchie des fonctions de l’agriculture urbaine dans les pays industrialisés, dits «du nord» et dans les pays en développement dits «du sud». D’après schéma tiré de « L’agriculture urbaine fait déjà partie du métabolisme urbain.» Demeter, 2013, p 135 - 155.
96
Figure 13 : De multiples fonctions associées à l’agriculture urbaine.
Source : Nantes : ville comestible. URL : http://www.nantesvillecomestible.org/projet-nantes-villecomestible/
Figure 14 : Festival Nature accueilli par la Vacherie de Blanquefort.
Source : Site internet de la ville de Blanquefort. URL : http://www.ville-blanquefort.fr/
Figure 15 : Illustrations du «Living Lab» ZAUE, Darwin, Bordeaux. Source : http://caserneniel.org/projets-de-zaue-2/
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L’alimentation est dans le contexte mondial actuel un enjeu d’envergure. Au-delà du besoin physiologique essentiel qu’elle représente, elle engendre tout un nombre de pratiques qui lui sont relatives. Nous traiterons dans ce mémoire des relations que l’alimentation entretient avec nos villes et plus particulièrement le cas de la métropole bordelaise. Il semble qu’une prise de conscience générale se dessine quant au besoin d’une transformation de nos systèmes alimentaires pour tendre à retrouver une alimentation de qualité et de proximité grâce aux circuits courts. Nous verrons comment les politiques s’emparent de plus en plus de cette question tout comme les citoyens qui à travers la consommation et les systèmes de distribution alternatifs trouvent un espace d’engagement et se rapprochent des producteurs. Un second rapprochement entre en jeu, celui des espaces productifs et des espaces urbains. En effet, nous pouvons nous demander dans quelle mesure les paysages sont amenés à changer en fonction de notre manière de consommer. D’une transition alimentaire à une transition des espace urbains et productifs, comment se positionne la métropole de Bordeaux dans ce contexte de changement ?
Mots clés : Alimentation - Agriculture - Proximité - Circuits courts - Transition