10 Economie
Le Matin Dimanche 11 août 2019
Depuis seize ans à la tête de l’organisation Switzerland Global Enterprise (S-GE), Daniel Küng est un observateur et un acteur averti du monde des entreprises exportatrices helvétiques. Markus Bertschi/13photo
«Une PME suisse sur trois rencontre de nouveaux obstacles aux États-Unis» EXPORTATION En plus de la guerre commerciale, une menace de dévaluation compétitive entre la Chine et les États-Unis se profile. Le directeur de S-GE, Daniel Küng, liste les risques et les chances. ÉLISABETH ECKERT elisabeth.eckert@lematindimanche.ch Dans votre dernier rapport «Perspectives export des PME» au 3e trimestre, 31% des PME disent qu’elles rencontrent de nouveaux obstacles à l’exportation en direction des États-Unis. C’est grave, non? Je dirais que quatre problèmes sont en train de se chevaucher. Premièrement, l’économie mondiale connaît un ralentissement notable. La plupart des économistes s’accordent à dire que les taux de croissance et pratiquement pour toutes les régions du globe doivent être réajustés vers le bas. Deuxièmement, l’incertitude politique domine en ce moment. Les milieux économiques ne savent pas, par exemple, ce que Donald Trump va tweeter demain matin au réveil. On ignore comment le Brexit va se concrétiser et on ne sait pas comment la situation en Iran va évoluer avec la réintroduction des sanctions américaines. Troisièmement, le protectionnisme gagne du terrain, qui s’exprime notamment par la guerre commerciale qui oppose pour l’heure avant tout les États-Unis et la Chine. Cela dit, le protectionnisme s’étend partout et pas seulement entre ces deux puissances mondiales. Le «Global Trade Alert» de l’Université de Saint-Gall qui mesure chaque année les nouveaux obstacles au commerce mondial, affirme ainsi que, depuis dix ans, le monde connaît 1000 nouvelles mesures protectionnistes par année. C’est énorme! Et le quatrième problème? La récente dépréciation du yuan est désignée par l’administration Trump comme
une nouvelle arme commerciale déloyale utilisée par Pékin. Or une guerre des devises, si elle est vraiment lancée, aura de lourdes conséquences pour la Suisse et le franc suisse qui retrouve un rôle de valeur refuge. Une hausse face à l’euro, qui baisse lui aussi, aurait enfin des effets aussi néfastes qu’avant que la Banque nationale suisse n’introduise un taux plancher en 2012. C’est une triste réalité que vous nous décrivez là! Certes, mais il y a un «mais». Il existe, face à ces risques, de nouveaux outils qui facilitent les exportations, en tête desquels la numérisation. Grâce à elle, il n’a jamais été aussi aisé pour les PME de s’unir pour pénétrer de nouveaux marchés, par l’e-commerce ou l’e-marketing entre autres. Internet rend les communications transfrontalières beaucoup plus simples, la logistique est bien moins chère. C’est pourquoi il s’avère que, malgré ces quatre grands problèmes qui surviennent aujourd’hui, les entreprises peuvent maintenir un certain dynamisme à l’exportation, car la digitalisation contrebalance les obstacles qu’elles rencontrent. Cela exige, par contre, qu’elles soient mobiles, agiles et se trouvent de nouveaux modèles d’affaires. Selon notre baromètre «Perspectives export des PME», il s’avère que, pour le troisième trimestre, l’indice de confiance est remonté à 49%, démontrant que les PME sont plus optimistes qu’au printemps. Pourtant, les États-Unis et la Chine sont parmi nos marchés d’exportation les plus dynamiques, mais qu’ils sont en plein conflit… C’est effectivement un gros risque pour la Suisse, car une guerre commerciale, qui passe par la hausse des taxes à l’importation, ne fait pas que les toucher, eux, mais se répercute sur des pays tiers. Prenons l’exemple d’entreprises helvétiques qui produisent en Chine et vendent leurs produits aux États-Unis. Plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs en train de délocaliser des activités au Vietnam par exemple,
En dates
1952
Daniel Küng est né le 7 octobre 1952, à Ittigen (BE).
1973
Après des études à Berne et à Quito (Équateur), il obtient un diplôme en finance et comptabilité à l’Université de Saint-Gall.
2003
Après une carrière comme consultant agricole et industriel au Brésil, puis au Portugal, il est nommé CEO de Switzerland Global Enterprise (ex-OSEC).
pour contourner ces obstacles. Pour l’heure, seuls l’acier et l’aluminium européens et suisses sont surtaxés, mais, demain, cela peut concerner l’automobile allemande dont les PME helvétiques sont d’importants sous-traitants. Aujourd’hui déjà, la Chine importe moins d’automobiles allemandes que l’an dernier. Et les fournisseurs suisses le ressentent. Cela dit, avec 58% de nos exportations, l’Europe reste de très loin notre principal partenaire commercial. C’est rassurant, non? Oui et non. D’un côté, le marché européen est profitable, assez stable et avec un haut pouvoir d’achat. Mais de l’autre, on y facture la plupart de temps en euro qui s’affaiblit face au franc suisse, réduisant les marges des exportateurs. Or les entreprises suisses doivent avoir accès aux marchés étrangers. La Suisse est un trop petit pays pour se comporter comme une île.
Une des solutions est donc de multiplier les accords de libre-échange, comme il en est question avec les États-Unis ou le Mercosur, Brésil et Argentine en tête. Certes, mais ces accords sont de plus en plus contestés par la société civile… Quoi qu’on en dise, la mondialisation se poursuit. Elle a permis à 2,5 milliards de personnes sur la planète d’accéder à la classe moyenne et ce chiffre va encore doubler dans les quinze prochaines années. Mais, c’est vrai, les populations sont devenues plus critiques. Nous devons dès lors mieux informer les entreprises sur les conséquences de leurs actes. Il est nécessaire de réduire les effets négatifs de la globalisation, mieux répartir les richesses. Les grands gagnants de la mondialisation furent les classes supérieures et les classes défavorisées, mais pas la classe moyenne. C’est elle, ainsi, qui s’oppose de plus en plus au libre-échange.
«En 2018, Switzerland Global Enterprise a suivi plus de 5000 PME» Comment votre organisation peut-elle aider nos petites et moyennes entreprises dans ce climat tendu? Nous disposons d’un réseau international de 22 Swiss Business Hubs et de 5 Trade Points sur les cinq continents. Nous les soutenons donc dans leur prospection de nouveaux marchés, nous pouvons leur ouvrir des portes, les mettre en contact avec des partenaires locaux et les informer sur les opportunités existantes, mais également les écueils à éviter. En 2018, S-GE a soutenu 5200 PME dans leurs démarches à l’export ou leur digitalisation, et accompagné plus de 1000 projets d’accès à de nouveaux marchés. En outre, depuis 2008, nous avons pour mission d’inciter les entreprises étrangères à s’implanter en Suisse.
En septembre prochain, vous allez prendre votre retraite après quinze ans à la tête de S-GE. Départ pour un repos bien mérité? (Rires) En aucun cas, même si je vais faire les choses plus tranquillement. Je me laisse le temps de réfléchir à de nouveaux projets où je pourrais valoriser mon expérience professionnelle. Votre successeur est une femme, cadre supérieur chez Novartis. Une remarque? Simone Wyss Fedele est un excellent choix, car c’est une spécialiste des questions économiques internationales. Cet atout sera primordial.