LIRE (Septembre 2013)

Page 1

La rentr6e

LITTEMIF { NUMEno spEcnil ROMANS FRANgAIS

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N" 418

SEPTEIVBRE 2O]3

n L'edito

5

par Franqois Busnel

6

I

des drcos

10 Tendance : l'Afghanistan, La bande-son des romans de la rentrÖe, L'ile dÖsefte, Le Purgatoire, La 25e Heure du Mans, De l'Öcrit ä l'6cran, Page audio, Le coup de cceur des ilbraires, L'Observatoire de la gastronomie, Ce que la presse en pense, Thöätre, De Camus ä Sarlre, Long Cours : un an dÖjä, Le Festival

du livre de Mouans-Sadoux, Radio{ölö, Le palmarÖs des meilleures ventes Chantal

Thomas

26 29

Lemaitre

30 Pierre Sorj Chalandon, H6löne Grömillon,Tristan Garcia, Philippe Vasset, Dominique Noguez, C6line Minard, Lionel Duroy, Claudie Gallay, Nelly Alard, Arnaud Viviant Marc Weitzmann, Yasmina Khadra, Yann Moix, Sylvie Germain, Jean-Philippe Toussaint, Brigitte Giraud, Arnaud Cathrine, HelÖne Frappat. Jean Rolin, David Fauquemberg, Leonora Miano, Raphaäl Jerusalmy, Olivier Poivre d'Arvor, AmÖlie

Nothomb, Hugo Boris, Valentine Goby, Philippe Rahmy, Thomas B, Reverdy Marie Darrieussecq, Vöronique Olmi, Eric Fottorino

Orr

52 Lolb Merle, Kevin Daniel Morvan, Agnös Vannouvong, Jöröme Prieur, Boris Razon, Vincent Jolit 56 74

Serge Sanchez, Eric Benoit Christian Habicht, Paulin lsmard Olivier Grenouilleau, Judith Zertal & Akiva Eldar Autour de l'exposition Les Aventures de la vöritö Clotilde Leguil, Jacques Lacan Patrice Debr6 & Jean-Paul Gonzalez, Claude B6ata

80 82 83

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84 85 le Salon du livre du Doubs

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Besancon

91

104 108

Marina Tsv6taräva

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ABONNEMENTS:Lie/seruceabonnements lTrouledesBo!angeß.78926YvehnesCedexgTe.0170373154 " Ce numero compode Jn encan Long Cours un I re a pad Cu 1!ra et !n encad Lrnvosges deposÖs sur a couvenure sul

l,r' llotttittt rlt' lrr l'r'r'r'slrriikir

76

une d llusron abonnös France. "

Couverture : illustrat on Olimpia Zagnoli, photographre Franck Courtös.

LIRE SEFTEMBRE 2013.3


DE FRAN9qIS \USNEL

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.ETE S'ACHEVE,IL FAUT ItENTRER. ouÄ: TANT NIlEUx. cAR IL Y A. EN NgIT-TTE. UNE EXCELLENTE RAISON

DE RENTRER: LA IITTtRITURE.

EN

France, depuis toujours, la rentrde est littdraire. Et c'est pr6cis6ment ce qui la rend si agr6able, la rentrde - quand bien m€me les bons livres ne sont pas faits pour apporter au lecteur un

sentiment « agrdable » mais, au contraire, pour inqui6ter, questionner, creuser, ddranger... La rentr6e litt6raire, c'est la promesse d'6motions fortes. Et, cette ann6e encore, le rdsultat est 6tonnant. Ce mois-ci, lrre vous propose un panorama de la rentrde littdraire franEaise, avant un tour de piste complet de la rentrde littdraire 6trangöre dös le mois prochain. Il y a un chef-d'cuvre, dans cette rentr6e. Il est signd d'un 6crivain encore inconnu dont le nom, Pierre kmaitre, sera sur toutes les lövres dans quelques semaines. Il d6roule en une symphonie hallucinante les derniöres heures de la Grande Guerre et les impostures des Ann6es folles.,4u revoir ld-haut (Albin Michel) est le livre qu'il faut lire cet automne. Il y a une confirmation 6clatante, dans cette rentr6e. Celle du talent de V6ronique Ovald6, jeune romanciöre qui se hisse, roman aprös roman, ven des sommets de puissance, d'6l6gance et de profondeur. La Gräce des brigands (L'Olivier) est son meilleur livre. Il y a des surprises magnifiques, dans cette rentr6e. Pour moi, outre les deux romans prdcit6s, je vous promets des heures fi6-

vreuses en compagnie des livres de Tristan Garcia (Faber, Gallimard) ou de Jean-Claude Pirotte (Brouillard, Le Cherche

Midi).

et qui affronte les non-dits familiaux et les ddtresses quotidiennes

(Une part de ciel, Actes Sud). Möme Jean d'Ormesson, notre Trdsor national, pose un regard charmant et gai sur ce pass6 familial et plandtaire dont il a si souvent fait des liwes ( Un iour ie m'en irai sans en avoir toardlr, Robert t affont)... On pounait ajouter ä cette liste le magnifique et inqui6tant Lady Hunt d'Höld,ne Frappat (Actes Sud), situ6 quelque part entre les röves angoissants de Stephen King et les histoires terriblement effrayantes de Laura Kasischke : une jeune femme ddcouvre qu'elle possöde un don qui lui permet de communiquer avec les maisons, y compris celle de son enfance... Et les beaux livres de Jean Hatzfeld et de Sorj Chalandon, qui se souviennent des guerres qu'ils ont connues, le

premier en Bosnie (Roäert Mitchum ne revient pas, Gallimard), le second au

Liban(Le Qwtrüme Mur,Gruset),

leun

signant « la nostalgie tnste » n'existe pas. Pour traduire la nostalgie, lonque triomphent le chagrin et la douleur, les Japonais emploient

l'adjectif anglais « nostalgic ». C'est Am6lie Nothomb qui l'6crit, en racontant son retour au Japon, deux d6cennies aprös son d6part (La Nostalgie heurewe,Albin Michel) : en japonais, le mot « nostalgie » se dit

IL Y A. AUSSI, UN SUJET TTRINT;EUTTNT COMNIUN Ä srgr,,r DES ECRIvAINS. DANS cETTE RENTREE. LA NOSTALGIE. C'est le sentiment qui hante les personnages de

et plongent

hdros dans ces marasmes. Tous sont aux prises avec la nostalgie. Plus ou moins directement. La nostalgie peut Ötre un mar6cage dans lequel on se noie. Ou bien une zone de combat, oü chacun lutte avec l'Ange. C'est surtout l'inconfortable tremplin qui permet, une fois les illusions tomb6es, d'envisager I'avenir. La nostalgie est-elle triste ou heureuse ? En japonais, il parait que le mot d6-

reuse

».

la

<<

natsukashll

,

et d6signe u la nostalgie heu-

nostalgie heureuse... Un bel o§,rnore ? Pas sür. Si l'on

en croit Amdlie Nothomb, alors Proust est un auteur nippon.

nombreux romans frangais, aujourd'hui. Amaud Cathrine imagrne le retour en son village natal d'un 6crivain murd dans une solitude choisie (Je ne retrouve personne,Yerticales). Claudie Gallay d6crit l'attente d'une femme revenue, elle aussi, au pays de son enfance

LIRE SEPTEMBRE 2013.5


iLiRE:

DES LECTEURS

FoNDE EN 1g?s PAR BERNARD PtvoT JAN.LOUIS SERVAN.SCHREIBER

I

S@i6lä edildce : Groupe Expr$s-Roulatu SA de 47150040 €uros Siäge social i 29, rue de Chaleaudun, 75308 Paris Coder 09. T6l. : 01 75 55 10 00 Töläcopieur : 01 75 55 41 16 RCS 552018681 Pais

Diderot, amateur öclairö

Con*il d'admioi#tbn : Rik De Nolf (präsidenl), Francis Balls (vic§'prösidonl), lean-Anloine Bouch€z, Xävier Eouckaed, Moniquo Canlo.Speüer, Bigf,e Gauhier oarcet, Mdime de Jenlis, Emmanusl Paquefle, Jan Slaelens, baron Hugo Vandamme. Pdsidonrdirsd€urgän6ral : Rik De Noll. Dtrsd€uß gänänux däl6guäs I Corinne Pihry, Chrislopho Baüier. gön6aur Direcleuß adjoinls : Corinne Dens, Eric Maton

ans votre num6ro de mai et dans le dossier consacr6 ä Diderot, il est 6crit page 41 dans 1'encadr6 : « Diderot a cefies 6tudi6 les math6matiques et tradurtles Principia Mathemade Newton [...]. » Je ne sais pas d'oü vient cette information mais, ä ma connaissance, cet ouwage de Newton a 6t6 traduit par Emilie du rr'ca

Chätelet. De plwles Principin ne comportent pas une mathdmatique importante (pas de calcul infinit6simal), mais seulement quelques 616-

Pour ioindrc dnecbmsnl voto correspondanl, composez le 01 75 55... suivi des num6ros eilre parenlhöses.

ments de g6om6trie. La partie analyse se trouve dans un autre ouwage

nlE;Hrf,li!-

de Newton sw les fluxions, traduit par Buffon. Cordialement,

Oirecteur de la r6daction Franeois Busnel

G6rard Chazal Professeur dmddte d'histoire et philosophie des sciences

Oirecteur adjoint de la r6daction

Univesitd de Bougogne

Philippe Delaroche Assistante de lä rÖdaction : Sabine Dard (44 42)

la röponse de Lire P/ncipä, c'est souvent pour

Merci de vos remarques qui me permettent de pröciser mon pro-

la suite, quand Diderot övoque les

pos. Pour ce qui est de Diderot traducteur des Prncpa, j'ai tir6

däplorer leur obscuritä et souligner qu'une meilleure pr6sentation

mon inlormation d'un livre de Jean"Paul Jouary, connu, notam-

aurait äpargn6 bien des peines ä ses lecteurs. Ouant ä Emilie

ment, pour avoir öcrit sur le matörialisme de Diderot. On y lit

du Chätelet, elle est en effet la premiöre femme ä avoir publi6

ceci : . ll se trouve que le jeune Diderot, qui gagne quelque ar-

une traduction (avec äclaircissemenis) de I'ouvrage de Newton,

gent en leqons d'escrime mais aussi d'anglais, a traduit cette

redde Caesari... Celle-ci, entreprise ä I'instigation de Voltaire et

euvre [il s'agit des Principia mathematica, NDLR], möme s'il

revisäe par le mathematicien Alexis Clairaut, a paru posthum6-

sera devancä par la concurrence pour sa publication. , (Drderot

ment en 1756

face ä Galilöe ef Descartes, la science en hdrrtage, SCEREN,

Pour ce qui concerne votre deuxiäme remarque, Diderot ötait un

mai 2011, p. 71.) Par ailleurs, les Mömoies sur dillörenls suTets

amateur eclair6 en mathämatrques qui se möfiait cependant de

de mathdmatiques, publies chez Durand en 1748, comportent Jouary- qu'il

jugeons pas ses comp6tences en mathämatiques avec des yeux

6tudi6 Nelvton dans le but de I'eclaircir ,, assurant que son

par trop modernes. Ainsi, des mathömaticiens reconnus comme

avait ätä poussä, sinon avec beaucoup de succÖs du

Descartes ou Pascal avaient quelque peine ä admettre I'exis-

va un peu ä l'encontre de I'affirmation de Jean-Paul

.

travail

"

moins avec assez de vivacitö ,. ll y ajoute qu'un commentaire

tence des nombres nägatifs, alors que de nos jours, n'importe

par MM. Le Sueur et Jacquier en ayant 6tä donn6, il avait ötö

qui, möme lächö avec les chiffres, n'est pas choquö par l'id6e

conduit ä se dötacher de cette ötude au point que [...] sur Newton, [c'ätait lui] parler

.

I'interroger

d'un räve de I'an demier,. Par

Les enfants de Wilde

Bravo pour le trös bel 6ditorial de Frangois Busnel,

la bio de l'6crivain, vous ne mentionniez pas la naisance de

ses deux

enfantsVyvyan et C1ril, aux-

ww.lireft

Coordination generale I Jean-FranQois Drouard (JFD System : 01426'1 10 71)

Rödactice : Laure Beaudonnet

M,camiondesmols,com

Oirecteur g6nöral adjoint : Eric Manon Editeur d6l6gu6 : Tristan Thomas Publicit6 commerciale : Val6rie Salomon, direclice commerciale Directeur commercial p6le neß cuhure Piere-Etienne Musson Plblicit€ litt66ire : Orälie de Conty, diredrice de la publicite (4411) Dißcteur technique et oroduction :

! Töl6chargeable gratuhement dans l'Apple Store, I'application donne accös ä toute I'actualite littöraire en temps r6el, ainsi qu'aux anciens numöros de Lre ä un tarff prelärentiel.

Anciens num6ros

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ciens num6ros de Llre, vous pouvez vous connecter sur le site www.coteperso.com. Cliquez ensuite sur les ongleb " Iibrajde, et

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par voie postale, au 29, rue de Chäteaudun, 75308 Paris, 9". par courrier 6lectronique : redaction@lire.fr

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:

6. LIRE SEPTEMBRE 2013

:

Pscal Del6pine Fabrication : Priscilla Sannis Photogravure : Roularta Ex6cution : Marie-Christine Tritschlor Gestion : Yvane Pgrchat Abonnements : Bertrand de Saint Germain avec Vanessa Mogavero Lirc, $Ni@ abonnements I 17, routo dos BoulangeE 78926 Yvelin6 C€d€x g T6l. : 01 70 37 gl 54 abonnements@lire.fr

Une trös ancienne abonnöe de Lire.

salutations

Yvonne Rappalini

[a dponse de Llre Lr€ sur iPad

Eric tvl€ttout (6metout@lire.fr)

(4409)

aussi.

Meilleures

:

Le camion des mots Anno Roubeiou

jetiens Le Portait de Dorinn Gray pour un roman

dire ma joig en ddcouwant le dossier Oscar petite remarque cependant. J'ai 6td dtonnde que dans

Premiöre secdtaire de redaction : Väronique Matrat (4049) R6vision : Elisabeth Bonvarlet (4437) Responsable du seMce photo : Sophie Gibeau (4441)

quels Oscar Wilde 6tait trös attach6... Pour ma part,

Wilde de Lire, trös bien document6. Une

:

Marje-Laurence Brard (44 25)

d'une quantitö nögative, qu'elle se lise sur son compte en Jean Montenot banque ou sur un thermomötre.

magnifique. De Profundß pour une « lettre » bouleversante et le poöme Le Sphinx fascinantl

'est un peu tardivement que je viens vous

Prcmiere rödaclrice graphiste

I'abstraction, il n'6tait donc ä ses yeux de bonnes math6matiques

(comme de m6taphysique, d'ailleurs) qu'appliquöes. Enfin, ne

-

Ferniot, Alexandre Fillon, Fabrice Gaignauh, Nathalie Kristy, Edelle Lenarlowicz, Baptiste Ligei FranQoise Monier, Jean Montenot, Pascal Ory, Delphine Peras, Nathalie Richö, Marc Rigtet Alain Rubens, Jöröme Sori.

la marquise 6tant morte en couches en 1749.

ce qui

un extrait de traduction des Pincipia. Diderot y affrrme

a

-

Chroniqueurs Philippe Alexandre, Gerard Ob6rlö, Jean-Claude Pirote, Tristan Savin Ont collaborö ä ce numäro Hubert Artus, lean-Rämi Barland, Julien Bisson, JeanPiere Coiignon, Roxane David, Christine

Merci pour vos encouragements, toujours bienvenus de la part d'une lectrice exp6rimentöe de Lire. Et pour ce qui concerne votre remarque, nous mentionnons ä deux reprises, certes sans les nommer, I'existence des fils d'Oscar Wilde : " Deux enfants firent d'Oscar Wilde un pöre respectable et mirent fin pour un temps aux soupgons et aux ragots, alors infondös, sur ses inclinations homosexuelles lats6lss " (p.30); " Le procös l'avah ruin6. Sa femme et ses enfants ötaient partis s'installer en Allemagne - Constance avait möme döcidö de changer de nom. , (p.31). Comme vous vous en doutez, r6diger une biographie d'äcrivain exige de faire des choix. lmpossible de tout dire en trois pages ! J.M.

Ventes au num6ro : Sophie Gueroueel avec Marie'France Rasori N' vert r 08 00 42 32 22 IMPRFSSIÖN ,RÖIN ARTA PRINTING gg. eeoo noeseuni (BELGIOUE)

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Publicaton msnsuelle ädilöe par GROUPE EXPRESS-ROULARTA. Siäge social : 29, ru€ de Chebaudun, 75308 P*is Cedex 09. Principal actionnaire I Roulada Media France. Pr6sident du coneil d'adminisfalion : Rik 0e Noll. Dird€ur de la publi@üon : Rik De Noll O GROUPE EXPRESS.

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Commission paitaire : 0614 K : mois6n muß. ISSN n" 0338.

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lfudience mßuaa6

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I


DES POIDS LOURDS Le Petit Larousse illustr6

Le Petit Robert

> SON HISIOIRE : La premiöre ddition du Petlt Larousse illusträ remonre ä 1905. publide sous la direction de Claude Aug6. Une petite rdvolution d6mocratique si on le compare ä son ancötre Le Nouveau Larousse illusn'ö,döcoupö en 7 volumes. > SA PARTICUTARIE : Le Petit Larousse l//uslrl est un dictionnaire encyclopddique. c'est-ä-dire qu'il d6finit la c/rose. Il cherche ä donner les informations de base indispensables ä Ia comprdhension du terme, sur un maximum de sujets. Il s'applique ä ddcrire le mieux possible le monde. vla des schdmas.

r SON HISIOIRE : Le premier Petit Robertparaiten 1967 sous l'impulsion de Paul Robert. Enfin un dictionnaire de gauche I , " clame alors Le Nouvel Observoteu'. en rdf6rence aux ambitions du linguiste et collaborateur Alain Rev qui n'h6site pas ä inclure des termes argotiques et r6gionalistes dans l'ouvrage. > SA PARTICUIARITE : La ligne 6ditoriale drs Petit Robert se veut descriptive de la langue dans tous ses usages. du plus soutenu au plus familier. Par ailleurs, c'est un dictionnaire de langue qui a une approche sdmantique. c'est-ä-dire qu'it parle des rnoLs. Il donne des d6finitions trös raftin6es. proposant l'6tymologie des termes et leur phon6tique. les synonymes et les antonymes, suggdrant des

des photos. emploie des exemples 6loquents, et suit de prÖs l'ac-

tualit6. Rappelez-vous. c'est le dictionnaire dans lequel vous regardiez les schdmas sur l'ana-

tomie humaine avec circon-

,.

spection quand vous 6tiez enfant. Il est familial et un peu conserva-

jr

E

rirre

ßOBEKT

teur : il tranche en cas de doute. et fait jurisprudence. On lui reproche. d'ailleurs, ä trop vouloir fai re consensus,

En dehors du

se ddmarque de son concurrent

par ses mots nouveaux relevant du domaine scientifique et technique, dans la lignde de cet attachement ä ddcrire le monde. comme en tdmoignent les termes de cette ann6e : «

nomophobe » (se

6fl

dit de celui qui angoisse ä l'idde d'€tre sdpard de son tdldphone portable). n atopie (prddisposition 96ndtique ä des allergies), " ou surdiagnostic » (diagnostic par excös). Par ailleurs, si les " anglicismes ont envahi les pages des deux dictionnaires depuis plusieurs anndes. Le Petit Larousse illust€ se distingue par un vocabulaire trös pr6sent dans les m6dias. Les 1s1rns5 « googli5s1 », « h45h[6g » (mot.cl6 sur Twitter) ou speed d31inq (forme " " de rendez-vous minut6 dont l'objectif est de trouver un partenaire amoureux) manifestent cette volontd de suivre I'actualitd... Unpeu people, finalement. Ie Petit Larousse illuströ ? Le Petit Larousse illustrd 2014,2016 p., 29,90

rh@ -t< .,(H f;I,b; .+T -t

-F

Ses

articles sont assez com-

plexes et trös structurds. et

Lnro uss e illLrst r ö. L' approche linguistique du dictionnaire en fait un ouvrage plus difficile de consultation P et it

mots. noyau commun aux deux dictionnaires. Le Petit Larousse illustri

/

les citations d'auteurs ont remplacd les exemples du

d'dviler certains

> LE CRU 2014 :

analogies entre les formules.

que son concunent direct. Se

plonger dans Le Petit Robert est une täche ardue. Somme

toute. I'antidlitisme de fond du Petit Robert cötoie un 6litisme de forme - impression d'ailleurs confirmde par son prix. > LE CRU 2014 : Les nou-

veaux mots qui passent avec succös la sdlection du jury du Perlt Robert apparliennent souvent au registre des sciences humaines :

et pour cause. la ligne dditoriale est culturelle et humaniste. Cette annde. les termes kdkd (frimeur), bombasse , (femme " " " trös sexv). n choupinet , (mignon), n chelou (verlan de louche), " n clasher , (entrer en conflit), et les expressions n avoir deux de tension " (ötre lent) ou « c'est une tuerie font leur apparition. " Sciences humaines. vraiment ? Transparait en tout cas la volont6 de reprdsenter la soci6t6 dans son ensemble, sans privildgier les mots des discours dominants. Le Petit Robert 2014,2837 p.,60

Ell@ Si notre cceur balance entre [e Petit Larousse r7lustrd, populaire et un brin m'as{u-vu, et Le Petit Robed ölitiste dans la forme, mais social dans le fond, la balance, elle, a choisi Le Perit Rabeft pour ses 2,2 kilos, au d6triment du Petlt Larousse illuströ el ses 2,4 kilos,

8. LIRE SEPTEIVBRE 2013

-r* §

5

x =


Souvenirs

des combats, conditions physiques et mentales des v6törans, terrorisme sont les thömes abordös.

.,:;,

i,i§,

Afghonistan fiction aboul. Kandahar, Herat. Bamiyan, Ia plaine de la Kapisa. .. Alors que les demiers soldats franEais sont en train de rentrer, l'Afghanistan. ter-

Plusieurs romans

Laffont) : « Il n'a pas la moindre id6e de ce pour quoi ils sont lä. Ben Laden est mort,

6r,oquent ce pays en Suerre

dans un autre pays ;les femmes portent tou-

jours les burkas dont il semblait un temps qu'ils soient venus les lib6rer; les civils af-

re de douleurs, inspire bien des romancrers ä

ghans les subissent, les insurgds les canardent », dcrit-elle. Le.lardin de I'aveugle de

roman pourra peul€tre mieux leur expliquer la rdalitd du conflit. » C'est aussi ce que fait, avec force et brio, celui de Delphine Coulin,Voir dupa,vs (Grasset), m0me s'il se focalise davantage sur les sdquelles de la guene ä travers I'exp6rience de deux filles

ddcompression ,. Comme si trois jours suffisaient ä effacer six mois d'honeur, de peur. de tension... « J'ai voulu savoir dans quel 6tat physique et mental on rentre d'une guerre que l'on n'a pas gagnde, indique la romanciöre. Il y a encore beaucoup de tabous sur ce sujet. » Un thöme explord aussi dans Le Corps humain de Paolo Giordano (Seuil) qui suit une petite troupe de jeunes engagds italiens dans les montagnes afghanes, ddcrivant leur mdlange d'angoisse et d'inconscience, leur ressenli d'adolescents dans une situation mortelle. Delphine Coulin insiste : n J'ai recueilli plusieurs tdmoignages de soldats, haut gradds ou pas, et si aucun ne me l'a jamais dit, je suis stre que tous se sont pos6 un jour

clandestinement en Afghanistan afin de porter secours ä leurs fröres musulrnans. Ils se retrouveront pris dans une spirale infernale... Celle-lä möme qui a coütd la vie au o Lion du Pandjchir » ä qui Olivier Weber consacre un livre trös personnel, entre roman et röcit, La Confession de Massoud (Flammarion, ä paraitre le 25 septembre). Enfin, Khaled Hosseini, auteur du bestseller mondial Les Cerfs-volants de Kaboul eI de Mille soleils splendides, publiera le

de 25 ans, militaires. Elles viennent de passer

la question : "Qu'eslce que je fais lä ?"

7 novembre chez Belfond un troisiöme volet

I'affiche de cette rentrde littdraire, franEais comme dtrangers. Paulina Dalmayer en parle en connaissance de cause dans son premier roman,.Alme la guere / (Fayard) - trös intdressant bien que trop long-, puisque, ä l'instar de sa narratrice, elle y a sdjourn6 en tant que journaliste : n Le recours ä la fiction m'a permis de montrer les coulisses de cette guerre, ses profiteurs, ses aventuriers. explique-t-elle. Les Franqais n'ont aucune notion de ce qui se passe en Afghanistan. Un

six mois sur le

front afghan et sont envoydes

trois jours ä Chypre dans un hötel cinq 6toiles, pour ce que I'arm6e appelle un n sas de

lO. LIRE SEPTEIVlBRE 2013

,

Une question qui hante prdcisdment le jeune soldat Gabriel, dans le premier chapitre de Que de I'oubli de Pauline Gudna (Robert

Nadeem Aslam (Seuil) adopte un autre angle, dminemment politique :dans les mois qui suivent les attentats du 11 Septembre, deux jeunes fröres pakistanais, dlevds dans

une famille pourtant humaniste, se rendent

intitvle Ainsi rösonne l'öcho infini des montagnes.Onn'apas finide parler de l'Afghanistan, il 6tait temps.. Delphine Peras

I o o


Ilne rentr6e en fanfare Cette ann6e, les romans frangais laissent une bonne place ä la musique. Lire vous a concoct6 une petite compilation ä savourer dÖs fin aoüt... e rock ouvre le bal, notamment gräce au Roman de Boddah d'Hdloise GuaY de Bellissen (Fayard), 6vocation fictionnelle

taffont). Quelques tubes inoxydables passent ä l'occasion d'une scöne, tel Billie Jean de Michael

de Kurt Cobain. Rayon guitares satur6es, Riviera deMalhslde Janin (Actes Sud) met en scene quelques personnages issus de la scöne rock ind6, alors qu'une mystdrieuse 6pid6mie se propage sur

Maffesoli et Cldment Bosqud (L6o Scheer), Wontleful Life deBlack dans Le tennis est LLn sport ro' mantique d'Arnaud Friedmann (JC t-attös) ou. dans un autre registre . Petit Papa Noöl dans Une part de crel de Claudie Gallay (Actes Sud). Les rythmes latinos seront aussi honords, d'un cötd avec le flamenco chez David Fauquemberg etson Marutel El Negro (Fayard), de I'autre ä travers le professeur de tango de La Garqonniäre d'H6löne Grdmillon (Flammarion). Le jazz a aussi droit de citd gräce ä Folles de Django d'Nexis Salatko (Robert [affont). Enfin, la musique classique n'est pas en reste. ä l'image du titre du pav6

le monde. Dans son bureau

qu'il d6crit

-

dans Intörieur (Gallimard) - Thomas Clerc

compte un trös riche rayon new

wave: The Cure. Elvis Costello... Quant ä Aliz6 Meurisse (un temps la petite protdgde de Pete Doherty). elle cite volontiers, en exergue des chapitres

de Neverdays (Allia), Jeantouis Aubert, Dr. Dre, ou Jack White des White Stripes-6voqud aussi dans Que de I'oubli de Pauline Gudna (Robert

Jackson dans Septembre ! Septemäre d'Emmanuelle

de Patrick S€ry, Dien aime-t'il Wag' ner ? (Ecritwe). A vous de faire monDJ Baptiste Liger ter le son.

EN HAUSSE Joli geste des services secrets russes, le FSB, qui ont rendu le manuscrit de I'öcrivain Vassili

Grossman Vie et Destin aux archives de l'Etat. ll avait 6tÖ confisquö par le KGB en 1962, lequel condamnait I'analogie faite entre nazisme et totalitarisme soviötique. L'6crivain juif se battait contre ceux qui usaient du bäton au

.

nom d'un Bien supörieur, ayant lui-möme souffert autant du

-

sa mÖre fut - que du rögime soviötique - les purges staliniennes ä partir de 1948. L'auteur pensait que la bontÖ rögime nazi

exöcutöe en 1941

n'avait pas de meilleur moyen

d'expression que les gestes quotrdiens. Esp6rons que ce geste-lä soit le premier d'une longue sörie

Si par malheur

il

m'arrivait

d'ötre confn6 sur une ile d6serte, j'aimerais pouvoir y emporter le « Guide de survie sur une ile d6serte pour les nuls ». Comme je doute qu'il existe, je pounais l'6crire aprös cette expdrience... Retour au sujet : j'emporterais U/ysse de James Joyce, car je n'ai jamais rdussi

ä

finir

ce roman

dif-

ficile. J'ai fait trois tentatives. chaque fois en vain. Trop obscur d'abord. C'est dur d'y trouver un fllconducteur mais j'y ai senti un

parfum, une ambiance waiment singuliers. Ce n'est pas pour rien qu'il est une rdfdrence littdraire. Je voudrais aussi relire .Audessotrs du volcan de Malcom l,owry dans sa nouvelle traduction :j'ai le souvenir d'une touf-

feur, d'un climat lourd. de gens qui picolent en permanence. Il ne se passe pas gtand-chose, on est dans les vapes. je remettrais bien qa. J'emporterais dgalement les quatre demiers tomes de La Recherche,n'ayant lu que les trois premiers. Ce n'est pas non plus une lecture ais6e, elle demande de larges plages de temps - j'en aurai enfin sur une ile ddserte. Proust y offre une vision maniaquement ddtaill6e de la soci6t6 de son 6poque, et qui reste d'actualitd : un diner chez les Ver-

de lire les autres car il y a chez cet

durin. c'est comme un diner

ment, c'est plutöt rigolo...

chez des Parisiens d'aujourd'hui. Idem pour Ln Conftdie hunmine de Balzac, dont je n'ai lu qu'une

dizaine de titres : j'ai trös envie

6crivain une modernitd troublante. Le Lucien de Rubemprd des lllttsions perdaes qui monte

ä la Capitale reste I'arch6type de l'ambitieux de province. Ces rdsonances avec notre monde contemporain que provoque la description des meurs d'antan me semblent extrOmement rassurantes : quelle consolation de constater que nous ne sommes pas les premiers ni les seuls ä nous fader les comportements fallacieux de personnages suffisants, et insuffisants I Finale-

"

Propos recueillis par D,P. * Dernier album paru : Marivaudev illes tle m ilt (Dargaud)

!

OEN BArssE LA COUR D'APPEL DE ROUIE rejette I'acquittement

TU

de l'öditeur lrfan Sanci, poursuivi en justice pour avoir publiö Les Exploits d'un jeune Don luan, röcit 6rotique de Guillaume Apollinaire. La

döcision est unanime : les juges ont estimö que l'Öditeur du livre ne pouvait prötendre agir pour la libert6 d'expression en raison

de la perversitö de son contenu. lr{an Sanci risque de six ä dix ans d'emprisonnement : Ia Turquie, premiöre prison au monde pour les journalistes, est-elle en passe d'6tablir un nouveau record dans le domaine de l'6dition ?

LIRE SEPTEMBRE 2013'11


LE PURGATOIRE de St6phanie des Horts. .\ouuelles de Saki "

f J ector Hugh Munro, de son wai nom, est un 6crivain anglais nö H .n Inde en 1870 et mort ä Verdun, en 1916. Il 6tait föru des I- Ipoömes de l'öcrivain persan Omar Khayyäm, qui a vöcu entre le XI"et le XII. siöcle, et dont un personnage se pr6nomme Saki, d'oü ce pseudo. H.H. Munro a perdu sa möre trös jeune et son pöre, colonel de

l'arm6e des Indes, I'a envoy6 en Angletene avec son fröre et sa sceur chez deux vieilles tantes, cdlibataires, autoritaires. Saki a öt6 waiment malheureux avec elles : dans toutes ses nouvelles, trös courtes, ä la limite du fantastique, il est question d'enfants aux prises avec des adultes möchants.

L'une de ces nouvelles, Sredni Vashtar, celle qui l'a rendu c6löbre, raconte I'histoire d'un petit gargon lui aussi ölevö par une vieille tante aca-

en sort... En trois pages sublimes, Saki döcrit toute la noirceur d'un monde, d'une öcriture impr6gn6e d'ironie. Il faut lire aussi la nouvelle Esmö, qti 6voque deux baronnes en pleine chasse ä coune, trös fiöres

riätre, avec pour tout repas une biscotte et un vene de lait. Sa seule joie est de se rendre dans la remise au fond du jardin pour y nounir une poule et un fi.ret, enfermös dans une cage. Ce garqon voue un vdritable

sur leurs canassons : elles croisent une hyöne 6chapp6e d'un cirque, Esm6, puis une petite romanichelle... C'est cynique, g6nial. Ce n'est

culte au furet et prononce un vceu chaque jour pour qu'il le döbanasse de sa tante. Or celle-ci croit que c'est la poule qui rejouit l'enfant et la fait tuer. Mais le gargon est toujours heureux de retoumer dans la re-

pas pour rien que Saki a inspirö de grands auteurs anglais, ä commencer

Propos recueillis par Delphine Peras

par P.G. Wodehouse. »

mise. Un jour, la tante s'y rend, [e garqon l'observe de l'extörieur par la fen6tre. La tension monte. La porte de la remise s'ouwe : c'est le

* Dernier roman paru: Le Seuet de Rio H. (Albin Michell

flret qui

;

LES PRIMES o

JEAN.PAUL KAUFFMANN, Prix Ptolämöe et

Prix des Vendanges littöraires pour Remonter la

o

CHRISTOS CHRYSSOPOULOS, Prix Laure-

O LISE CHARIES,

Prix de la Romanciöre pour

Bataillon pour Une lampe entre les dents : chro-

La Catllva (P.O.L)

Marne (Fayard)

nique athdnienne (Actes Sud)

O ELIF SHAFAK, Prix Relay des voyageurs pour

a ANIOINE

o ATEXANDRA

SFEIR, Prix Livre et droits de I'Homme

pour L7s/am contre l'lslam (Grasset)

LAPIERRE, Prix Ar Mor de la Ville

Crime d'honneur (Phäbusl

o

de Vannes pour -/e te vois reine des quatre parties du monde (Flammarion)

vre d'histoire pour Ä/esra, 27 septembre 52 av, J.-C,

o YANN OUEFFETEC, Prix Ar Vro de la Ville de Vannes pour Dictionnaie amoureux de la Breta-

o

pour Opus / (IMHO)

gne (Plon)

gorie Plume d'or pour Au

a

o

Book)

o

RICHARD FORD, Prix Lucien-Barriöre pour

Canada (Editions de l'Olivied

o

SATOSHI KON, Prix Asie de la critique ACBD PAUL COLIZE, Prix du Boulevard de I'imaginaire

JEAN-LOUIS BRUNAUX, Prix du Sönat du li-

(Gallimard)

JOSEPH CONRAD, Prix du Livre audio, catö-

ceur

des tenebres (Road

pour Un long moment de si/ence (La Manufacture

VALERTE GANS, Prix An Avel de la Ville de Vannes pour Le Eruii des s/ences (JC Lattös)

.

de livres)

O GOULC'HAN KERVELLA, Prix du roman en

littörature classique pour Vingtguatre heures de

o

langue bretonne de la Ville de Vannes pour Eoned

lavie d'une lemme (Audiolib)

PAUL COtlZE, Prix SainlMaur en poche, ca-

tägorie polar pour Back up (Folio)

glas ar pagan (Al Liamm)

o

o JEAN.PHILIPPE BLONDEL,

JEFFREY EUGENIDES, Prix Rive gauche ä

STEFAN AÄlElG, Prix du Livre audio, catägorie

o ALEXANDRE Prix Saint-l\ilaur en

JOLLIEN, Prix du Livre audio, ca-

tögorie document pour E/oge de

la

faiblesse

Paris, catögorie roman ötranger et Grand Prix de

poche, catögorie roman pour Le Baby§dter (Pocket)

(Audiolib)

l'hörcüne Madame Figaro, catögorie roman ötranger

O DAVID LELAIT.HELO, Prix Saint-Maur en po-

o aMELIE NOTHoMB,

pour Le Roman du mariage (Editions de l'Olivier)

che, cat6gorie roman pour Sur /'d paule de la nuit

tögorie Prix des lycöens pour Barbe b/eue (Audiolib)

O THADEE KLOSSOWSKi DE ROIA,

Prix du Livre audio, ca-

(Pocket)

o

Dumönil et Prix Rive gauche ä Paris, catögorie ro-

o

tögorie Prix du public contemporain pour 7084

man frangais pour Vie r6vöe (Grasset)

catögorie littörature ötrangöre pour Le Gargon d'ä cdtd (Le Livre de poche)

o

PriX

MARIE NDIAYE, Grand Prix de I'hörcjine Madame

Frgaro, catögorie roman pour Ladrvine (Gallimard)

o

KATRINA KITTLE, Prix Sainf Maur en poche,

EDoUARD HUssoN, Prix Saint-Maur

en

HARUKI MURAKAMI, Prix du Livre audio, ca-

(Audiolib)

.

MICHELE LESBRE, Prix lle aux livres/La Petite

Cour pour Ecoute /a p/uie (Sabine Wespieser)

O MADELEINE MALRAUX Et CELINE MAL-

poche, catögorie essai pour Heydrich et la solution

o

RAUX Grand

lrnale (Perrin)

Cour pour C'esl une occupation sans lin que d'ötre yivant (Grasset)

Prix de I'härorhe Madame Figaro, ca-

tögorie biographie pour /vec une lögdre intimitö (

Baker StreeVLarousse)

'l 2.LlRE

SEPTEMBRE 2013

o

MATHIAS

Ellno,

Prix du Roman-News pour

Rue des Voleurs (Actes Sud)

SYLVIE AYMARD, Prix lle aux livres/La Petite

a SEMPE,

Prix Dumönil pour Sarnl-Iropez (Denoöl)

I

a 6


ADIEU Richard Matheson,

rester aussi, dans Ia lÖgende. ll avait modernis6 le genre en donnant une v6ritable assise r6a-

liste ä ses histoires. Ainsi, il savait rÖgler la focale sur la psychologie de ses hÖros, gräce ä des intrigues centr6es sur des solitaires en lutte contre la fatalit6, mettant en exergue des peurs universelles. Ses Öcrits ont inspirö un certain nombre de films (Lriomme qui rötröcit, Le Jeune Homme, la mort et /e temps.").

Matheson a Ögalement öt6 scÖnariste pour le petit öcran (avec Duel par exemple, le tÖlöfilm qui

a lanc6 la carriöre de Steven Spielberg). (23 juin)

Gasatan

Soucy,

Mathieu Ben6zet,

Öcrivain et scÖna-

riste, 87 ans. L'auteur connu notamment pour son roman Je suis une /egende peut esp6rer y

Öcrivain et professeur de

philosophie, 54 ans. Le troisiöme roman de ce Quöböcois La Petite Fille qui aiman

top

les al-

lumettes, publiö en 1998, a 6tÖ rÖcompens6 par

le prix Ringuet de I'AcadÖmie des lettres du Quöbec et par le prix du grand public du Salon du livre de MontrÖal-La Presse. L'auteur savait traiter des thÖmes universels tout en manipulant un franqais onirique et exigeant. (9 juillet)

25 heures A,t]-

6crivain, 67 ans. Sa

carriöre a 6t6 marquee par une rencontre avec Louis Aragon, qui prefaqa son premier recueil, L'Histoie de la peinture en trois volumes, paru

homme maniaco-dÖpressif. Puis I'art devient arme en 2003, avec Tartuffe fait ramadan. Accusö d'islamophobie, il persiste dans A

contre Coran en 2004. Volte-face de celui

en 1968. L'homme (poÖte, romancier, essayiste,

qui savait raconter comme nul autre les

öditeur et homme de radio) a notamment

confessions d'un jeune Arabe dans Vivre me lue ou simple provocation? En tout cas, I'arme ötait visiblement ä double tranchant puisque I'auteur a mis fin ä ses jours. (17 juillet)

ÖtÖ

distingu6 en 2011 par le Grand Prix de poesie de I'Acadömie franqaise pour I'ensemble de son @uvre. (12 juillet)

Henri Alleg,

journaliste et Öcrivain, 91 ans.

Militant au sein du Parti communiste algÖrien,

il

restera I'auteur de La Ouestlon, tÖmoignage majeur sur la torture durant la guerre d'AlgÖrie. (1

7 tuillet)

Jack-Alain Ltiger

(de son vrai nom

Daniel Th6ron), romancier et chanteur, 66 ans. Aprös son premier roman Berng Öcrit sous le

nom de Melmoth, il devient Eve Saint-Roch avec Prima Donna. Mais le pseudonyme JackAlain L6ger est le plus c6lÖbre, avec lequel il signe Monsrgnore en 1976, son grand succÖs, Premier scandale avec Autopoftrait au loup, röcit introspectif oü il Övoque crüment son homosexualit6 : öcrire 6tait un exutoire pour cel

ManS

ouglas Kennedy sera I'invitÖ d'honneur de La 25" Heure du Livre, les 12 et 13 octobre prochains. Quelques jours aprös la parution de son nouveau roman, Cinq iours (Belfond), il prendra part au Salon du livre du Mans. Comme I'an passö, il se tiendra entre le quai bordant la Sarthe et la muraille romaine. Philippe Delaroche et Baptiste Liger, de la rÖdaction de Lire, parlenaire de la manifestation, accueilleront Douglas Kennedy sur le

plateau des rencontres, ainsi que les meilleurs romanciers de cette rentr6e litt6raire, dont C6line Minard (Faillir 6tre flinguöe, Rivages), Piene Lemaitre (Au revoir lähaut, Albin Michel)' Dominique Noguez (Une annöe qui commence bien, Flammarion), Pierre Mörot (Ioute la noirceur du monde, Flammarion). Plus ancien Salon du livre en France (depuis 1978), La 25" Heure du Livre ajoute ä son originalitÖ en dÖclinant chaque annÖe l'histoire des peuples premiers. Pour cette 35" edrtion : le chemin de l'lnca.

LIRE SEPTEMBRE 2013''I

3


,

.,

DE

L'Ecntr A L,Ecnant

Par Baptiste Liger

Jimmy

P.

d'Arnaud Desplechin

uelle curieuse (mais bonne) id6e que d'adapter I'obscur essai de I'ethnologue et psychanalyste Georges Devereux, Psylenge d'Arnaud Desplechin pour son premier film am6ricain. Dans le Kansas des ann6es 1950, un v6-

appel ä Devereux (Mathieu Amalric), cet 6trange Frangais qui ne tient pas en place. Et si c'6tait l'äme de ce grand gaillard qu'au fond il fallait soigner ? Bas6 essentiellement sur les s6ances de psychanalyse - tout en ouvrant sur la vie privde et cachde

.

des deux principaux protagonistes -, Jimmy P. peut6ffe vu comme unv6ritablefilm

d'aventures statique (magistralement photographi6), oü tout repose sur l'6change entre le patient et celui qui l'6coute (sur quelques flash-back

ou repr6sentations de röves, aussi). sujet est passionnant ; le rdsultat

k

l'est presque autant, möme si le sc6- un peu r6p6titif - toume plu-

nario

töt en rond ä lamoitie dufilm etque Mathieu Amalric ne semble pas tou-

jours ä l'aise. Mais Desplechin

t6ran am6rindien de Ia Seconde Guene mondiale nomm6 Jimmy Picard (Benicio Del Toro, tout en nuances) souffre d'atroces maux de töte inexpliqu6s. Möme si elles se mdfient de lui et de ses m6thodes,les autorit& de l'höpital militaire font alon

NIoi & toi

a

trouv6 le moyen d'dvoquer certains exclus de l'Amdrique - de filmer leurs mrps, aussi - sans tomber dans un plaidoyer lourdaud. Et il y a dans le classicisme affich6, ä la John Ford, quelque chose de visuellement somptueux : et si les grands espaces 6taient avant tout dans nos tötes ? (En salles le 'll septembre)

de Bernardo Ber.totucci

u lieu d'aller en classe de neige, unjeune adolescent, lorenzo, choisit de se cacher dans la cave de son immeuble pendant une semaine. Il pensait ötre seul : c'6tait sans compter sur l'imrption d'Olivia, sa demi-seur ainde, ve-

nue lä pour tenter d'en finir avec la drogue. Et qui en veut beaucoup ä son pöre... il n'est guöre dtonnant que cette relation ambiguö - inspir6e par un roman de Niccolo

Ammaniti (au fait, ä quand une adaptation de La FAte du sldcle ?) - ait intdressd Bernardo Bertolucci, qui a su mener ä bien ce quasi-huis clos bas6 sur un duel psychologique. Si la cam6ra du vieux maitre a perdu de sa superbe (souvenez-vous de 1900 ou du Demicr Empereur...), celui-ci atoutefois sumettre envaleurTeaFalm, mm6dienne (mais aussiphotographe), dontl'6nergie etlabeaut6 atypique apportent beaucoup ä Mol & toi. (En salles le 1 8 septembre)

Mon bel oran$er

de Marcos Bernstein

lassique de I'exercice de lecture suivie dans les collöges, le best-seller du Brdsilien Josd Mauro de Vasconcelos devait bien, un jour ou l'autre, inspirer un film ä montrer ä tous les jeunes 6löves. Il n'est pas sür que ce soit leur rendre service (ou leur faire plaisir) tant les tribulations du malheurelux'Zßzdpenent ici ä dveiller l'intdr6t. On peut certes Ctre touchd par ce petit oz

garqon pauvre et solitaire discutant avec son arbre ou avec le vieux grigou nomm6 Portugä. Mais I'ensemble pöche par trop de narVet6, de manque de ryttune, de lourdeur de mise en scöne et d'approximation dans I'interpr6tation. Pour les nostalgiques de leur ann6e de cinquiöme ä la rigueur...

14.LI RE SEPTEMBRE 2013

o o o z =


LIVRES AUDIO Henri Bergson expliqu6 par Fr6d6ric Worms, PUF/Frömeaux & Associös, 4 CD n peu oubliöe, rÖduite souvent ä son trailö sur le rire et ä quelques formules,

la philosophie de Bergson mörite d'ötre red6couvede tant elle est une des grandes philosophies de la modernit6 et une pensöe pour notre temps. C'est avec L Evolu-

tion cröatrice, son troisiÖme grand livre publi6 en 1907' qu'Henri Bergson rencontra la c6lÖbritÖ, une c6löbrhÖ internationale que parasi' tera un inövitable cortÖge de malentendus, de contresens et de simpli' fications qui contibueront ä l'6mergence d'un bergsonisme dövaluÖ. Les deux premiers grands livres furent I'Essai sur /es donnöes immödiates de la conscience (1889) et Matidre et Mömoire (1896). Le dernier' Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932), sera publi6 vin$cinq ans apres L Euo lution cröatrice. C'est par ce livre uttime que d6bute cette s6rie de quatre legons de Fr6d6ric Worms, devenu aujourd'hui le spöcialiste du philosophe, chaque leqon 6tant consacröe ä I'un des qua-

tre ouvrages majeurs que nous venons de citer. C'est en remontant du dernier au premier que FrÖd6ric Worms pr6sente et commente Bergson. Cette m6thode qui renverse la chronologie a quelque chose toutefois de paradoxal pour Öclairer une philosophie dont le ceur consiste en la distinction du temps et de sa reprÖsentation spatiale, distinction

fondamentale pour bien poser nombre de problÖmes philosophiques. Mais Frödöric Worms s'en explique et justifie sa lecture ä rebours par la compr6hension mÖme de la. duröe " bergsonienne. Une lecture logique qui contourne la chronologie des euvres pour mieux les servir J6rÖme Serri dans leur imprövisible

nouveautÖ.

Histoire de la littGrature. Le Moyen Age par Alain Viala. llluströ de textes lus par Daniel Mesguich, PUF/Frömeaux & Associ6s, 5 CD euls le cin6ma ou la visite de certains hauts lieux nous ramÖnent de temPs ä autre vers le Moyen Age. La lrtt6ra' ture de cet äge qui ne se concevait en rien comme intermÖdiaire n'est souvent, h6las !

qu'un souvenir scolaire. Or, il nous suffit d'6couter Daniel Mesguich

lie

la Ballade

des pendus de Franqois Villon pour ötre soudain embarqu6s par l'6mo' tion d'un texte aussi prÖsent ä notre c@ur qu'ä ses contemporains, et

peut-ötre plus car nous l'abordons aujourd'hui ä travers le souvenir de Corbiöres, de Rimbaud, d'Apollinaire et d'autres encore : " La pluie nous a d6bu6s et lav6s / Et le soleil dessÖchÖs et noircis. / Pies, corbeaux nous ont les yeux cavÖs / Et arrach6 la barbe et les sourcils. / Jamais nul temps nous ne sommes assis; / Puis qä, puis lä, comme le

/ A son plaisir sans cesser nous charrie, / Plus becquetÖs d'oiseaux que d6s ä coudre. / Ne soyez donc de notre confrÖrie, / Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !, Alain Viala, qui esttitulaire de la chaire de litt6rature frangaise ä Oxford et professeur 6mÖvent varie,

rite ä la Sorbonner nous propose avec ce cours lumineux de litt6rature une plongöe certes litt6raire mais 6galement historique dans cet äge intermödiaire, ce Medium Aevum qui va de la fin de I'Empire romain au

XV"siöcle oü cette notion a 6t6 invent6e. Prenant place entre deux 6poques que I'on consid6rait comme deux sommets, I'Antiquitö et la Renaissance, cette pÖriode de notre histoire a longtemps 6tÖ dÖva' lu6e möme aprös que les historiens en ont montrÖ la grandeur. J.S'


LE CHOIX DES LIBRAIRES

La sdlection des libraires de

Cultura armi les nombreux titres de la rentröe littöraire de la saison 2013 (555 sont annonc6s !), les libraires de Cultura ont

LAVIEILLE AUI VOULAIT TUER LE BON DIEU par irJadino Monfils,

ffi

est concierge dans un immeuble dont les occupants sont tous fous. Ouand Ginette, une locataire, däcouvre son mari assassinö, elle ne perd pas son sang-froid. Le ton est truculent et caus.

tique, la gouaille döcapante, les personnages bigarr6s, illuminös et döglingu6s, le vocabulaire et les sentences entre Dard et Audiard. Aussi löroce que jubilatoire.

"

distinguö trente auteurs. Lrre s'associe ä l'op6ration en apposant son sceau sur ceux que la rödaction a appröciös. Six talents ä döcouvrir en particulier ont 6tö sölectionn6s par les librairies

Cultura : I'occasion de donner une chance ä des auteurs en devenir et d'ölargir un peu le cercle restreint des öcrivains respect6s. Parmi eux, Pierre Lemaitre ou encore Raphaöl Jerusalmy. C'est Gilles Legardinier, I'auteur de Demain j'arrdte !(Pocket) et Compldtement cramö !(Fleuve Noir), qui est, pour l'ödition

256 p., Belfond, 19 € * Möm6 Cornemuse, la tenible, est de retour ! Elle

DESORDRE

par Penny ilanc,lck

ffi

traduit de I'anglais par Julie Sibony, 450 p.,

Sonatine,20€ " Sur les bords de la Tamise vit Sonia, une quadragönaire bien seule. Son mari esl souvent absent et sa fille Kit est ä l'universit6. Un .jour Jez, 15 ans, le neveu de son amie Helen, vient lui em-

prunter un disque, Elle döcide de le söquestrer. Le dicton "l'habit ne fait pas le moine" prend tout son sens dans ce röcit trös troublant.,

2013, parrain de ces talents naissants. Son prochain ouvrage, Et soudain tout change (Fleuve Noir) paraitra le 10 octobre.

UNETERRE SI FROIDE

par-Adr-ian McKirrty.

ffi

traduit de I'anglais (lrlande) par Florence

Vuarnesson,396 p., Stock, 21,50€ . Sean Duffy, inspecteur catholique, arrive en lrlande du Nord, peu aprös la mort de Bobby Sands. Les meuftres de deux ho-

mosexuels font craindre l'apparition d'un serial killer, tandis qu'on s'intenoge ä propos d'un suicide. L'ambiance de l'lrlande au döbd des ann6es 80,

alors que Ia violence et I'intolörance gangrönent et minent l'ensemble de la soci6tö. "

ffiffi;r?: recherchent de

fIOUVeaUx

auteufs

LA PAUPIERE D'' IOUR

par l\,,lyriarn Chirousse, 512 p., Buchet-Chastel,

M

22€ * Cendrine Gerfaut, botaniste, a perdu son fiancö, tuö dans une bijouterie par un certain Benjamin Lucas. Elle döcide de se venger et pour cela, se rend dans un village du sud de la France nommö

Ba{ouls. Sa quöte n'est pas de tout repos, les habitanb cachent des

secreb parfois inavouables. Un roman plein de sensibilit6 et riche en rebondissemenß, La vie d'un village avec ses secrets, ses tensions mais aussi ses bonheurs.

LE

"

PEfIf IOUEUR

D'ECHECS

par Yoko Ogawa, kaduit du japonais par Martin Vergne, 336 p., Actes Sud, 22,80

jeune gargon rÖveur et peu bavard apprend les 6checs gräce " Un ä un homme expert en pätisserie, r6fugi6 dans un bus. Un beau livre ä la dölicatesse toute japonaise. Ouelle place doit-on occuper dans le monde ? Telle est Ia question que pose ce livre tout en po6sie et tendresse pour

son h6ros qui refuse de grandir.,

Retrouvez tous les choix des libraires sur le site

Ie 16.LlRE

SEPTEMBRE 2013

choixdeslibraires. com

:


L'Ohservatoire

gastronomlque a cuisine möditerranÖenne est ä I'honneur en cette rentrÖe. Peulötre pour ne pas oublier trop vite le soleil, les senteurs de garrigue...

Görald Pass6dat, le chef tri-ÖtoilÖ du Petit Nice, ä Marseille, en est I'un des hörauts : sa cuisine de parfums trouve sa richesse dans son (il Provence " potager marin ". Ce g6nie du produit de la mer est ä la ce qu'Olivier Roellinger est ä la Bretagne) dÖveloppe l'esprrt du large et la saveur des produits rapportÖs par ses amis pÖcheurs Son beau livre de recettes est class6 par paliers, comme dans une

plongöe sous-marine : du rivage aux abysses. De la haute couture, comme cette " baudroie ligotÖe ", boutonn6e d'olives vertes et noires. Tout est sublimö, tout donne I'eau (iodÖe) ä la bouche : lobes d'oursin en tomate filtrÖe, seiche au vinaigre de miel et brunoise de mangue, poulpe lentement cuit au teppanyaki, cigales de mer (ici appelÖes

"

"

chambris) ä l'huile de noisette, daurade " 1us de la tante Nia " (fenouil, aubergines, citron confit, losanges de laurier...) ou encore carpaccio

(beau comme un tableau) de coquillages ä l'Öcume d'eau de mer (quand les beignets de girelles flirtent avec Ie parfum des algues). Comme l'6crit Stöphane Davet dans sa pr6face : " Loin de I'exub6rance des caricatures sudistes, il a retranscrit la lumrnosite marseillaise dans son iniensit6. " Dans les assiettes de son restaurant et (en attendant d'y aller un jour) dans un ouvrage superbement dÖcorÖ, gräce aux photos naturalistes de Richard Haughton.

A I'autre bout de la MÖditerranÖe, cÖt6 orient, le. pays du cÖdre " a developpö une cuisine Ögalement tournÖe vers les parlums' ä la fois marine et montagnarde mais tout aussi ensoleillÖe avec ses ragoüts mi-

jot6s et ses grillades aux Öpices. Salma Hage, une femme au foyer libanaise originaire de Mazarat Tiffah (. le hameau de la pomme », Qa ne s'invente pas), au nord du pays, pröpare des plats traditionnels depuis plus de cinquante ans, Elle livre un demi-millier de recettes dans une nouvelle " bible " des cuisines du monde soigneusement ödit6e par Phaidon, aprÖs l'ltalie

(LaCuilldre d'argent\ et I'Espagne (Le Livre des tapas). On y trouve bien sür les fameux mezze (entröes), falafels et kebbehs divers et vari6s, mais aussi une Ötonnante d6clinaison de lÖgumes : courgettes grillöes, potiron au four, aubergine frite ä la mÖlasse de Grenade, poireaux sautös ä l'arak et beignets de poivrons.

Aucune kadition libanaise ne manque : shawarma, manakish, ceufs au

.fi

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sumac...

J::l[:,1i:1','J:

{y,eA

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ettahini, lotte au safran, rouget au sÖsame, poulpe ä l'oignon rouge, risotto au crabe... Des conseils et astuces compl6tÖs par les recettes de chefs invitös. lls donnent un bel apergu d'une cursine

l.

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Des abysses ä la lumiöre par o

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Görald Pass6dat, 400 p., Flammarion, La Cuisine libanaise 60 par Salma Hage, 512 p., Phaidon,

39,95

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rxEArne Par Philippe Alexandre

Meilleur roman des lecteurs de

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historique ans leur profusion estivale, les festivals offrent parfois, oh ! rarement ! un moment de th6ätre miracle a eu exceptionnel, unique, historique.

[r

lieu cette atn6,e avec Elektra, op6ra de Richard Strauss mont6 par Patrice Chdreau. Premier 6v6nement : le retour triomphal d'un metteur en scöne qui a r6alis6 ses plus beaux spectacles ä l'op6ra, lulu dans les ann6es 1970 ä I'Opera de Paris, et la tdtralogie wagrdrienne ä Bayreuth. L' Etektra de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal (inspir6 par Sophocle), cr66e ä Dresde il y a plus d'un siöcle, exige des 6l6ments que les directeurs de th6ätre ont toutes les peines du monde ä rassembler : un orchestre d'une bonne centaine de musiciens, un chef rompu ä la musique de Strauss qui marque le point ultime du romantisme allemand et annonce les temps modemes viennois. Enfn, surtout, il faut rdunir des interprötes, des voix hors du commun. C'est le cas dans cette production sign6e Chdreau, avec lagrande chanteuse wagn6rienne Waltraud Meier (Clytemnestre dans tout son 6clat royal), la Canadienne Adrianne Pieczonka (Chrysoth6mis, saur d'Electre) et enfin dans le röle-titre, Evelyn Herlitzius, boulevenante actrice mur6e dans sa haine, petite boule sombre au centre de la scene, et voix magistrale dialoguant sans peine avec l'orchestre de Paris dirig6 par son cheffinlandais Esa-Pekka Salonen. Naturellement, les cinq reprdsentations aixoises, saludes par un succös comme on n'en avait jamais vu au festival, ont combl6 sans peine le nouveauetbeau GrandThdatre de Provence d'Aix. Mais rares seront les salles qui pounont arcueillir ce spectacle avec tous ses fabuleux interprötes. Ce sera le cas de la Scala de Milan, du 18 mai au 10 juin 2014. Puis il faudra attendre 20l6pow qu' Elek/rc parcoure le monde, Helsinki, Berlin, Barcelone et New York en son Metropolitan Opera. Rien n'est encore pr6vu pour les Parisiens mais on peut §upposer que l'actuel patron de la Scala de Milan, St6phane Lissner, ami enthousiaste de Chdreau, aura ä ccur de pr6senter cette Elektra de ldgende ä I'Opdra de Paris lorsqu'il en aura pris la direction, dös l'an prochain.

Une femme fuyant l'annonce

David Grossman

Elle est unefemme partagöe entre deuxhommes, et quihösite toute une vie. Elle est une möre, dont l'enfant est en danger, et qui pröfäre fuir la röalitö. En Israä\, pour elle, l'espoir et l'ömotion se logent entre les bombes.

Prix M6dicis dtranger 2011 de länn6e 2011

Meilleur liwe

-MagazineLire a+

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Camus ä Sartre i un mysrörieur inödir "

I fon cher Sartre, Voici vos ors, que je vous serIt / I tis de remerciements. Je vous souhaite ainsi I V lqr'., Castor de beaucoup travailler. Et bien. Car nous avons fait du mauvais travail avec nos amis. Si mauvais que j'en dors mal. Et faites-moi signe ä votre retour : nous passerons une soiröe d6gag6e. Amitiös. Camus , Tel est le petit mot in6dit et intrigant qu'ont retrouvö, par hasard, deux libraires d'Orlöans, Hervö et Eva Valentin, comme I'a r6v6lö I'AFP. Ce mot manuscrit avait

ötö montö sur onglet, c'est-ä-dire collö sur la page de garde d'un livret, publi6 confidentiellement en 1960, qui reprenait le texte öcrit par Sartre ä la mort de Camus pour France Observateur. u La reliure indique qu'il a ötÖ coll6 en 1966 », oous ä pr6cis6 Hervö Valentin, organisateur d'une exposition Camus ä Lourmarin (84), du 3 au 8 septembre, oü cet in6dit sera prösentö. " A mon avis, il date de 1944, un an aprös la rencontre entre Sartre et Camus, et fait certainement allusion ä leur projet avofiö de collaboration pour la mise en scöne de Hurb c/os. C'est un trös joli document qui tömoigne de la grande proximit6 entre les deux hommes, jusqu'ä leur Delphine Peras brouille döfinitive en 1952. ,

Un an au

Rentröe littöraire dans

Long Cours

leVaucluse

t de cinq ! Le noweau numöro de Long Cours anive

it6 de la r6gion

en effet en librairie le 5 septembre, avec un sommaire toujours aussi fidöle au mot d'ordre de ce trimestriel qui vient de föter son premier anniversaire avec

PACA, la petite ville de Mouans-

succös : prendre son temps, creuser plus loin que I'actualit6 imm6diate, privilögier le long terme. Cette fois, Cuba est racont6e de l'int6rieur par Leonardo Padura, Shanghai d6crite par Philippe Djian et lstanbul exploröe par Olivier Weber. Focus 6galement sur les tenes d'lslam : des perspectives po-

litiques au Mali ä une enquöte sur le tr6sor de Kadhafi, en passant par une analyse du monde ä travers Homeland

-

s6rie tölövisöe sur la paranoiä qui hante les Etats-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001

-,

la revue d6crypte le monde

musulman dans sa diversitö, au-

des manifestations les plus incontournables de

la rentröe litt6raire.

Sa 26"ödition, du 4 au 6 octobre, s'annonce tout aussi ambitieuse que les pröcödentes

- l'6vönement est r6put6 pour son engagement, en t6moignent les thömes pr6c6dents : " Etats d'urgence ,, en 2010, en

röfÖrence ä I'urgence climatique, ou encore. Oü allons-nous si vite ?,, en 2011, signalant la fuite en avant de nos sociöt6s oü chaque microseconde est mise ä profit. Cette annöe, la formule employ6e par les enfants, n Möme pas peur ! ",

rature n'est pas en reste, avec une

nous enjoint de ne pas craindre les döfis de demain - 6cologiques, poli- qui peuvent sembler insurmontables. Se battre contre la peur qui a la faculte de gangrener la solidarit6, s'ouvrir ä ['autre sans redouter la rencontre. C'est pourquoi la manifestation propose ä son public des entrevues et des d6bats avec un panel d'öcrivains trös hötöroclites, de Titouan Lamazou ä lsabelle

nouvelle inödite de Mathias Enard,

Autissier, en passant par Sylvain Tesson et Antoine Sfeir. Et, cette annöe, les 6di-

tandis que S6bastien de Courtois part sur les traces d'Arthur Rim-

tions Flammarion seront I'invit6 d'honneur du Festival, dans la perspective traditionnelle de mise en valeur du monde de l'6dition. Roxane David http //w!wr.lef estirralduliwe.fr

delä des clich6s habituels. Au sommaire 6galemen[ un dossier sur la

solution ä la pönurie alimentaire, ä savoir les insectes ! Et puis la litt6-

baud.

2O.LIRE

Sartoux accueille un festi-

val du livre devenu I'une

SEPTEMBRE 2013

tiques...

s6


a

LE CARNET D'OR (France

I I Culture, 17 h)

parAtgustin Ttapenard' 7 septembre i Palladium de Boris Rzon (Stock), LEspdt de /lvresse de Loib Merle,

(Actes Sud), Le Produit de Kevin 0rr (Seuil). 14 septembre : Lady

(Voir p. 91). www.salondulivre.doubs.fr

Hunt d'Hölöne Frappat (Actes Sud), Failli ötre llingue de CÖline Minard (Rivages), Le Rie du grand b/esse de C6cile Coulon (Viviane Hamy).

:

21 septembre

Faber de Tristan Garcia (Gallimard), La Conjuration

de Philippe Vasset (Fayard), Les Renards päles de Yannick Haenel (Gallimard). 28 septembre : La Premidre Pierre de Pierre Jourde (Gallimard), Les Sauvages de Sabri Louatah (Flammarion), J'ai perdu tout ce que j'aimais de Sacha Sperling (Fayard). Culture, 2 h)

par

funaud Laporte. Sp6cial

O

u olsPUrE

littÖrature les vendredis

(trance ä

partir

du 6 septembre. O VOX LIBR]-IES LIVRES ONT UNE vOlX (Radi0 Notre Dame 1007 FM & librairie La Procure, flh) par Philippe Delatoche. 2 septembre

t

L'Echange des p/ncesses de Chantal Thomas (Seuil)

(rediffusion ä 19 h). 3 septembre : Finance : un regard chrdtien de Piene de Lauzun (Embrasure) (rediffusion ä 19 h). 9 septembre

:

septembre

La Seruante du Sergneur de iean-Louis Fournier (Stock), 16

:

Pef,tes Scdnes caplales de Sylvre Germain (Albin Michel) O tE cARNEt

DU LIBRAIRE

(France Culture, du lundi au wndredi ä 15h55)

par Augustin

Trapenard. Semaine du 2 septembre : avec Stanislas Rigot de la librairie Lamartine (Pans). Semaine du 9 septembre : avec VÖronique Marchand de la Iibrairie Coiffard (Nantes). Semaine du 16 septembre : avec Caroline Berthelot de la librairie La Femme Renard ä Montauban'

a

LE MASOUE ET LA PLUME (France lnter, 20 h) par lÖröme Garcin.

1"'septembre : Späcial renträe

littÖraire.

. ,o*,

or=rr.

;;;;,

n;;, , ,r; ,,

th05) par Monique Atlan' 2 septembre

:

Folles de DTango d'Alexis Salatko (Robert Laffont). 3 septembre

:

LaGräce des brigands de Veronique 0vald6 (L'Olivier), 4 septembre

:

1ours,

L'lnventlan de nos vies de Karine Tuil (Grasset). 5 septembre I Le Cas

Eduard Einstein de Laurent Seksik (Flammarion). 6 septembre : Su/ak de Philippe Jaenada (Julliard).

La Grande Librairie Retrouvez Franqois Busnel sur France 5,

tous les jeudis, 20 manche, 23 h

h

35, rediffusion di'

5 septembre : Späcial rentrÖe litlÖraire avec La Nostalgie heureuse, Amölie Nothomb (Albin

Michel), Iransatlantlc, Colum McCann (Belfond) et deux auteurs d'un premier roman.

septembre : Dans /e sl/ence du vent, Louise Erdrich (Albin Michel), 26 septembre : Canada, Richard Ford (L'Oli' 19

vier). La programmation de l'ömission est en cours franceS.fr

et est susceptible d'ötre modifiÖe.

UU 2ü AU 22 §rpTfiMBRE

Une rentröe toute en douceur avec la fÖte du livre Les Mots Doubs, festival phare de la rentrÖe litt6raire. Baptiste Liger de Lle rencontrera Jean Rouaud, pr6sident de l'Övönement. Une multitude d'Öcrivains seront präsents : Sabri Louatah, David Fauquemberg, Laure Adler...


L'esprit des lieur

SAUVAGES CEVENNES Bäton de marche en main, les randonneurs foulent les terres sauvages sur les traces de Stevenson. Mais les temps ont quelque peu chang6.

n septembre 1878, un jeune 6crivain dcossais parcourt l'aus-

töre massif cdvenol, du Monastier ä Alös, treize jours du-

rant, accompagn6 d'un

entre Lestampes et Bleymard. » (p. 116) Aprös l'avoir molest6e pour insubordination, il se prend d'affection pour l'änesse : u Je pouvais l'entendre tondre d'une langue pendvdrante le gazon. Pas d'au-

Modestine

äne

appeld Modestine. « Dans les C6vennes, il s'escrime ä r6int6grer les prairies d'avant le D6luge », 6oit Gilles l-apouge dans la prdface d'une r66dition que les randonneurs d'aujourd'hui emportent pr6cieusement avec eux. Aussitöt sa marche entamde, Robert louis Stevenson s'extasie devant « un cours d'eau Limpide comme cristal » : « On peut l'entendre qui sinue parmi les pierres, aimable jou-

des bois de bouleaux nuances par

l'or de I'au-

minables chaumiöres et des champs momes » (p. 69). trs autochtones, peu habituds ä voir des 6trangers! ne tomne,

Eä et lä quelques

lui facilitent pas la täche. Un homme refuse de le guider quand il se perd. Un autre lui ferme sa porte. Des petites filles le moquent. « L'une tira la langue devant moi, I'autre me dit de suivre les vaches et toutes deux se mi-

venceau de fleuve qu'il semble absurde d'appeler

tre bruit sinon le tranquille, l'intraduisible murmure du ruisseau sur les pienes. J'6tais paresseusement dtendu ä fumer et ä m'6merveiller de la couleur du ciel, comme nous nommons le vide de l'espace. [...] Je songeais que j'avais reddcouvert une de ces vdritds qui sont r6v6l6es aux sauvages et qui se ddrobent

aux 6conomistes. (p. 119) Le poöte pense " ötre devenu une « brave cr6ature » parmi les « ouailles du troupeau de la nature ».

des montagnes ; des sentes

Mais que deviendra ce paradis perdu ? « Stevenson frdmit ä la pens6e que

rocailleuses praticables au

ces montagnes du Gdvau-

mieux par des änes, ratta-

dan sont sur le point de rentrer dans la civilisation, gräce au prochain chemin de fer : "une ann6e encore et ce sera un autre monde. Le ddsert est assi6g6" », note Gilles Lapouge. Un siöcle plus tard, Eric Poindron constate, en arrivant au Monastier pour marcher dans les pas de Stevenson : « Du climat fantastique cher au jeune Ecos-

la Loire. De toutes parts, Goudet est encercld par

che la localit6 au reste de la

France. [...] un isolement qu'onjurerait pareil ä celui des Cyclopes hom6riques. , (Voyage avec un

äne dans les Cövennes, p.s2). L'historien Jules Michelet n'6crivait pas autre chose : « [,es C6vennes offrent le roc. rien que le roc, les schistes tranchants... Vous sentez la lutte de l'homme, son travail opiniä-

tre, prodigieux, contre la nature. t (Note France) Le spectacle de ces montagnes, l'Ecossais le juge sauvage et attristant » :

"

rent ä rire tout bas et ä se pousser du coude. La Bete du Gdvaudan a d6vord environ centaine d'enfants de ce canton. Elle commenqait ä me devenir sympathiStevenson Que. » (p.71) Il est contraint ä biVoyage avec vouaquer dans 1'obscurit6, sous la

une

pluie.

tr

voyageur reprend courage

« Le mont Mdzenc et les pics derriöre Saint-

au monastöre de Notre-Dame des

Julien se ddtachaient en mases coupantes sur une lumiöre froide ä l'est, et le banc interm6-

Neiges : « Si les paysages se vendaient comme les images de mon

diaire de coteaux avait sombr6 entier dans un vaste mardcage d'ombre, sauf, Ea et lä, le trace

enfance, un penny en noir, et quatre

en noir d'un pain de sucre bois6 et, qä et lä, un emplacement blanchätre in6gulier qui reprdsentait une ferme et ses cultures. , (p. 57) A la lisiöre du Velay, il d6couvre « le G6-

vaudan sauvage, montagneux, inculte, de fraiche date d6bois6 par crainte des loups (p. 64). En quittant le basin cultive de l'Allier, ce sont « des landes, des fonds vaseux ä

,

bruyöres, des 6tendues de roches et de sapins,

22.LlRE

SEPTEMBRE 2013

un äne dans /es Cdvennes (GF)

sous en couleur, je donnerais bien

quatre sous chaque jour de ma vie.

"

Eric Poindron Belles Etoiles

village, l'autobus d6pose un groupe

d'enfants souriants.

,

A cöt6 d'une supdrette, une pla-

(Flammarion)

que de bronze, offerte par une ad-

Antoine de Baecque

miratrice am6ricaine, nous apprend qu'" ici un dcrivain inconnu quiest

Ecrivains randonneurs

devenu par la suite trös cdlöbre a pris la route comme d'autres une grande d6cision ». Aujourd'hui, cette randonnde de 230 kilomötres est connue sous le nom de u chemin de Stevenson », rappelle Antoine de Baecque,

(Omnibus)

H6bergd par les trappistes, il rend « gräces ä Dieu d'ötre libre d'errer - puis trouve la r6vdlation au contact de nature inviolde : « [r sol moussu 6tait, sous

» la

le pied,dlastique et odorant. Je n'avais

il ne reste que les monts alentour et la brume. En guise d'octroi, un garage surveille l'entr6e du sais,

pour signalant au passage que le poÖte 6cossais ne

m'accompagner que quelques alouettes recherchait pas le pittoresque mais « certains et je ne rencontrai qu'un chariot ä bceufs 6tats d'äme vivifiants ".


PALMARES K-'S".trffii§,x§,,S.::i {

*

i Un ete avec Montatgne connait un tel

". ,' engouement. c'est sans doute parce qu il

H, ll,r.1.

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a!(,a Monti !lii,

soulage le scepticisme de l'6poque, Coödit6 par France lnter, radio trös prisöe par le public littöraire, et bien accueilli par les mödias, ce petit livre ä bas prix a conquis par ses 40 chapitres brefs et ciselös. Fin juillet, il se serait öcou16 ä 50 000 exemplaires,

L,'',r"

\

utoödite sur Amazon.co'n avec un certarn succös. Les gens heureur /isent eL boivenl du cafö a ötö achetö par Michel Lafon et publiö en juin moyennant un premier t rage ä 20 000 exemplaires. La maison d ödition en a r6imprimä B0 000 exemplaires depuis. Du Figaro littöraire ä RTL, en passant par On n'esl pas couchö, ce premier roman sait faire parler de lui.

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En möme temps, toute la terre

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et tout le ciel tu-.)

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'0" 'est un beau triplö ou a röussi SomD.e .. .dimanche: prix de la Closele des L,'as. prix du Livre lnter et prix des lecteurs de L Express Applaudi aussr bien par le JDD, Le Monde des Llvres que par La Grande Librarrie. ce tro sröme roman d Alice Zenite. a ötö rmprirns 2 B 000 exemplaires au döparl et, depuis, c est I'envolöe. Fin juillet, la maison d'ödition avancait un total de 56 000 exemplaires vendus. I

§:I'ffiä"§T.:i::-Y",ffij.i,

i.I*" a dame s etait fait attendre. so^ o'ecedent roman remontant a 2002, et Oren lL e^ a pris : Le Garqon incassab/e, paru en ma choix 22 e

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624pages

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Disponible en eaook

Dans la lignee de Murakami, un bijou litteraire original. Entre imaginaire et realite, une ceuvre ä la fois profonde et pleine d'humour, intime et universelle, assortie d'une röflexion sur le temps et l'Histoire.

Un chef-d'Guvre, pur et simple. , Kirkus Reuieus u

r,vww.belfond.fr

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stratögique puisque c'ätait la seule sorlie du domaine frangais ä L'Olivier - a emballö la presse comme les libraires. et les crtiques du Masque et la Plume sur France lnter ont 6t6 unanimes. R6sultat, le livre en est ä son sixiöme tirage.

k ös avril, J'ai lu a röäditö les onze pröcödenls . rompols " de l'auteur. histoire de pröparer le terrain. deux mois plus tard. ä la sorlie poche de L'Armöe f urieuse. vendu ä 350 700 exemplaires en grand format depuis sa parution en 2011. D'oü un premier tirage de 200 000 exemplaires et une grosse arlillerie publicitaire dans le mötro et difförentes gares.


LES MEILLEURES VENTES R""li." p",

ffi!

du 24 juin au 2'1 juillet 2013 ä partir des rösultats de 4oo pornts de vente librairies et qrandes surfaces sp6cialis6es. F : fiction. NF : non fiction.

Titres

Editeurs

NF FrödäricSadmann

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un eteavec Momarsne

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sur 'affaire Harry Ouebed

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Les Amazones de la

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R6publique

somDreo,manche

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Petite Poucetle Senes larps Cirquarte ruances plus sonb es Demarn Gu arne Musso A ro se"l b,en des peüonnage. loln l^,nq Franz-Olver G esbed La Cursiniere d'Himmler

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Editions

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Le Pommier li -"n". XO Edtons Seurr Gallimard

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Entr6e 1112

Calmann-Lävy

LorMer Cerf

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Albin M

Le Cinqu eme Temoin LecarqonrncassaDe La Lumiöre de la foi

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fayaiO chel pas les yeux Gallimard

J.gelces,ranvarses bonheur Les po ssons ne ferment

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Plon

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Un scandale d'Etat. oui l\,4ais pas celui qu'i s vous racontenl

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Le Gardien de phare

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immonel e randornee Composlelle malgre moi

La Veritä

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El mes secrets

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Uhistoire en hdritage C'est ä l'altitude de 900 mötres, dans l'Aubrac aveyronnais, que la romanciöre concocte ses recettes d'ö16, Loin de tout, sans relais mediatique, elle appr6cie de goüter les plats simples et de renouer avec les rythmes lents d'un passÖ qu'elle ne cesse d'explorer. ttcinclrc Iir tillelgilturc

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cnrpi'chel une rrriurclle guellc. ll u ltLtssi ,, ]'crtr ic secrctc. sotu n()i\c. tlc rcllu rlct lttt nlrrin'rurtt l i'potltLc oir Ic pctit nl [-oLris \\' l.rotLrmit donncl nlisslr.tce lr ttn rlliLtphin rlc cl

Le four ä pain de la propriöte. Au fronton de

la grange, la date de 1871 est inscrite.

Fnrltcc

,,.


R6fldchissant dans son bain aprös un excds

d'alcool, le voici qui envisage I'union de sa fille, touise Elisabeth, Mlle de Montpensier, avec le prince des Asturies. Ainsi que celle de I'infante d'Espagne. Anna Maria Victoria, quatre ans, avec son cousin germain t ouis XV. Un gargon de onze ans r6put6 u inquiet, mdthodique et suspicieux ». La double alliance fomentde par le Rdgent ne va, on le sait, pas fonctionner comme prdvu.. Avec le brio et la finesse dont elle est coutumiöre. ChantalThomas rdaffirme dans ces pages intenses, fidvreuses et sensuelles ä la fois son sens du d6tail, de la scöne, de la for.

mule qui claque cornme un coup de cravache. Une maniöre bien ä elle de peindre les Otres et les 6vdnements avec un m6lange

d'empathie et de cruautd. Aprös un long voyage, nous arrivons enfin ä destination. Dans un coin recul6 de I'Aubrac aveyronnais. Un hameau sur un plateau situd ä neuf cents mötres d'altitude. Depuis dix-sept ans, l'auteure de LaVie röelle da peites filles (Fo\o) y passe chaque mois de juillet et y 6crit. Loin de tout. sauf du vide. Dans une maison dont le fronton de la grange porte l'inscription 1871, proche d'une ferme oü l'on 6löve des vaches et des taureaux. Une maison avec un four ä pain ä droite de l'entrde. des aubdpines en fleur, des papillons qui volettent devant les fenötres. Un endroit oü l'on respire, oü ['on 6coute le silence. Sans connexion Internet. sans tdldvision, sans radio. A une vingtaine de minutes en voiture, un lac lui permet de nager tous les jours. La mdtdo est changeante : il peut parfois faire quatre ou cinq degrds la nuit en 6t6. Dans le jardin garni de frönes oü I'on remarque des bouquets de päquerettes et un joli banc en fer. on entend la conversation de grillons joyeux. De l'autre cöt6 de la barriöre s'6tend un champ souvent dans la brume au matin. L'ancienne directrice de recherche au CNRS arcueille chaleureusement ses visiteurs. chauss6e d'espadrilles rouges. Elle accepte volontiers que le sympathique photographe de Lire prenne quelques clich6s en profitant de la lu-

miöre du soir. Chantal Thomas explique que pareil lieu I'aide ä o comprendre ce que c'est d'Ctre loin ». Qu'elle appr6cie que la o sociabilitd perpdtuelle » du monde modeme s'arröte un mois durant. « C'est une gräce,, dit-elle. heureuse de retrouver la beautö « 6mouvante. un peu inquidtante , d'une rdgion oü tous les

"

signes restent dnigmatiques et magiques ». de

reprendre

"

le f,l de quelque chose

".

Ses trois

derniers romans ont 6t6 attaquds ici. Le premier, Les Adieur d la reine, elle l'avait commenc6 ä quelques kilomötres. Dans une maison avec vue sur un chäteau oü. ä l'instar de

Au fil de Ia discussion et du repas. Chantal Thomas se montre une femme discröte. pr6cise et attentive. Elle dit avoir vu le jour ä

Marie-Antoinette d'Autriche. elle

lui est

« un peu une dtrangÖre

se sentait

,.

Une bouteille de pic-saintJoup respire sur la table ronde ä caneaux blancs et bleus. un saucisson attend d'6tre coupd sur une plan-

ä Arcachon. Une ville qui consubstantielle ,. oü elle visite encore son amie d'enfance. Lorsqu'elle n'est pas dans I'Aubrac. elle partage son temps entre

Lyon, avoir grandi «

le 19" arrondissement de Paris et Nice. Elle n'a pas waiment de bureau, pas besoin o d'une

che en bois. Porn Le Testament d'Olympe. expliquet-elle, elle s'est rendue jusqu'ä Rodez

enceinte d'6criture ,. Ecrire, elle le fait d'abord

dplucher les archives. Le cindaste Benoit

sible u allongde au lit, avec des oreillers

Jacquot. d6jä responsable de l'adaptation cindmatographiqu e des Adiew d la reine , f:kn

incroyablement d6licat

,

"

selon Chantal

Thomas ä qui on ne saurait donner tort,

a 6ga-

a {>

si pos-

oü elle dessine et colle parfois des choses : le -Fd,l4(i'

ü{l6fiilEltF* r'ih*i*t

§§

t

i

-l

ii

l'aprös-midi. En silence et

,. Elle utilise des feutres. en perd autant qu'elle en a, remplit avec des cahiers d'6cole amdricains cartonnds qu'elle promöne partout. Cahiers

;*

ö+

*i.

ä la main et

bp VIb "tf

lement le projet de le porter

ä l'6cran.

Notre

hötesse a bien fäit les choses. EIle nous r6gale

d'abord d'une ddlicieuse salade de lentilles. Avant que n'apparaissent dans l'assiette une falette et une truffade. Soit une poitrine de mouton farcie accompagnde d'un mdlange de pommes de terre. tomme fraiche et ail. ä couper le souffle. Celle qui asign€, L'lle llottante (Mercure

de France. 2004) et Jardiniöre Arlequin. Conversations avec Alain Passard (Mercure de France.20061. echange avec un magicien qui fait « ddcouwir des saveurs oublides ». est venue naguöre pour la premiöre fois dans les parages afin de s'attabler ä quelques kilomötres. A Laguiole. chez Michel Bras, le grand chef r6compensd par trois 6toiles au Guide Michelin. La nuit tombe peu ä peu. ce qui impose de s'dclairer ä la bougie. Des chauvessouris se mettent ä sillonner le ciel 6toil6 au

ticket d'entrde d'un musde ou un

emballage de boulangerie. Puis elle tape sur son petit ordinateur portable m6-

tallis6, affine sa copie. Ses premiers lecleurs sont toujours son fröre Thierry, rdalisateur pour Arte avec lequel elle vient de terminer une piöce de th6ätre. et Allen S. Weiss. Un ddlicat 6crivain, metteur en scöne et traducteur amdricain qui s'est notamment illustrd avec une fameuse Autobiographie dans un chou.farcl (Mercure de France,2ffi6) et une rdcente MdtaphvsiEte de lamiette

(Argol.2013). L'Echange des pin' premiöre phrase il y

moment du fromage : un laguiole de dlr mois et un Ecir en Aubrac produit par des vaches

cesses, elle en a rddigd la

du terroir d'Aveyron.

jonchde des feuilles du manuscrit

a deux 6tds. Peu ä peu, la table

dujardin

a 6td

qu'elle ooo

LIRE SEPTE[/4BRE 2013' 27


,F

Dans ces cahiers, l'ancienne directrice du CNRS dessine, colle, et rödige ses textes. Les bottes attendent ä demeure la venue

de leur propri6taire, dans une rögion oü, m6me l'ötö, les temp6ratures nocturnes peuvent baisser jusqu'ä cinq degr6s.

.o.

allait imprimer ä Laguiole. La figure de Philippe d'Orl6ans, elle l'avait d6jä explorde dans Le Rögent, entre fable et histore (CNRS Editions), un liwe collectif codirigd avec Denis Rel,naud en 2003. La petite Infante et sa « silhouette ftagile et dansante », elle s'y int6ressait depuis sa lecture de Saint-Simon. Avant

L Eclzange des princesses,ily a eu un tour de chauffe avec Les Noces de I'Enfant Roi.l* conte qu'elle a imagin6 pour un spectacie d'Alfredo Arias, interpr6t6 par quarante danseurs dans le bassin de Neptune de s'atteler ä

du chäteau de Versailles. sur une musique de

Rita Mitsouko. Pour pr6parer le roman, elle s'est rendue jusqu'ä Madrid. S'y est plongde dans la correspondance de Mme de Ventadour.la gouvemante de l-ouis XV. et y a eu acces aux di,r lettres de la princesse des Asturies. Elle a 6t6 bouleversde parla personnalitd d'une demoi-

28.LlRE

SEPTEMBRE 2013

selle qui s'est rdvdl6e u un dösastre pour elle-

möme ,. par « son dgarement. son dcriture maladroite ,. exhumant au cours de ses recherches les gazettes de l'dpoque ou des gra-

wres repr6sentant l'Infante avec

sa poupde.

Jurde au prlx Femina. Chantal Thomas a ddjä piochö dans la rentrde littdraire. pr€te ä döfendre Faillir €tre .flinguö de Cölne Minard (Rivages) et Voir du pavs deDelphine Couün (Grasset). Elle n'a jamais oublid l'dblouissement de sa ddcouverte de Colette ä quatorze ans. Quand elle ne savait pas ce qu'6tait la littdrature et a pris conscience qu'existait u une langue dtrangöre ä la langue quotidienne ,. C'6tait gräce it Claudine d l'öcole, en Livre de poche, avec en couverture une photo de l'6crivaine insta116e devant un tableau noir. Une Colette dont elle parle si bien de « l'intelligence de la jouissance de la maniöre ". d'dvoquer « les miracles du quotidien ,.

Aprös avoir bowlö L'Echange

des

prin-

cesses. Chantal Thomas a entrepris de ras-

sembler ses notes sur New York oü elle sdjourne rdguliörement depuis les anndes 1970. Elle a relu Parls est une fAte de Hemingway (Folio). ddvor6 Just Kids de Patti Smith (Folio) eI My Lost City de Luc Sante (Inculte). Le rdsultat ne donnera pas forc6ment un roman. Peut-ötre un essai dans la contiruitd de ses Cafös de la mörrolrz (Seuil. 2008) ou un 6loge. un " chant d'amour r. Une chose est süre : c'est une desti-

nation oü on la rejoindra encore bien volontiers.

Alexandre Fillon Photos : Manuel Braun pour lire L'Echange des prlncesses par Chantal Thomas, 336 p., Seuil, 20 €


liures d, poche

L_es

LES HEROS NE MEURENT JAMAIS my Fosten En 1901, Joseph Conrad publie ce rdcit d'une

Maitre du fantastique de son 6poque,

totales. Mention chef-d'auwe, parmi la trentaine de petites histoires parfaites,it Lizzie

l'Allemand accentue 16solument

sa veine

Bkkesnn.Lide, petite ouwiöre londonienne,

gur6 les röves d'un homme. Yanko, un paysan fuyant la misöre de I'Eu-

sombre avec ces rdcits oü se mölent l6gendes

trimant pour une misöre, condamnde ä une existence d'esclave, et qu'un concours de

aussi hospitaliöre qu'un lit de tessons,

Yanko

tente de s'adapter sans se d6partir d'une candeur et d'une bont6 gdndtiquement non mo-

difiables, des qualitds vues comme d'insupportables perversions par une tribu d'ämes söches. Yanko parvient ä gagner I'estime d'une poign6e d'entre eux en sauvant la vie d'un enfant. On lui offre une femme dont perconne ne veut, laide, bögue, ä moiti6 sotte et qui röve d'enfanter. Conrad avait-il lu Un ceur simple ? Amy Foster rappelle la F6licit6 de Flaubert, ä ceci prös que son äme de bienheureuse n'est qu'un masque de carnaval. Rien de plus poignant que la fin de Yanko sur sa paillasse de moribond, abandonnd par sa femme ä la douleur et ä la solitude absolue.

Adous HUXLEY Quatre ouvrages sont r66dit6s, dont le petit fröre du Meilleur des mondes. A d6couvrir.

T I I

I y u cinquante ans s'dteignait Aldous Huxley, gdnie de la littdratwe d'antici-

pation. A l'occasion de cette commdmoration, Pocket r66dite quatre titres incontournables, dont le romanTemps fuars. petit

tr

frire du Meilleur

t

o O

zz L

cueil au style d'une modemit6 et d'une beaut6

centaine de pages oü viennent s'dchouer au propre et au fi-

rope centrale, se retrouve rejetd sur une cöte du Kent, aprös que la tempöte eut fracass6 son navire. Recueilli dans une communautd

a o

Ignau Damer estlafrfie d6 Contes noc1817 par E.T.A. Hoftnann.

ames pubkös en

des

mondes

dffitune

soci6t6

post-apocalyptique. Les deux intrigues ont un seul et möme objectif : mettre en garde contre les ddrives du progrös scientifique. Temps futurs est d'abord le titre d'un sc6nario qui 6chappe ä l'incin6rateur gräce ä deux producteurs hollyroodiens. L'un d'eux d6cide de retranscrire le soipt, mise en abyme mdtaphorique puisque le sc6nario sauv6 du

gothiques, visions ä la Gustave Dorö d'un Moyen Age de ruines sanglantes, d'alchimistes en haillons et de charognes ä potence. Ignace Denner est l'un de ceux-ci. L'histoire d'un garde-chasse dont la femme ressuscite d'entre les mourants gräce aux remödes miracles d'un 6trange voyageur. Un prötd contre un rendu. En sauvant la femme d'Andrös, Ignace Denner, le roi des brigands, assure ses arriöres et prend, croiril. une assurance-vie.

Hotrnann nous entraine par des allers et retours habiles des futaies humides de la Hesse aux bas-fonds ldpreux de Naples, de la r6alit6

d'une 6poque 6pouvantable de violence au sacre du merveilleux, seulcapable de vaincre ce poison qu'on dit humain.

Louis H6mon est un dcrivain franEais du d6but du )C(" siöcle, fauch6 ä 31 ans par un ffain alon qu'il travenait les plaines du Canada. Oubli6, ou presque, il est urgent de le d6cnuvir avec Le Demier Soir, merveilleux re-

feu dvoque une soci6t6 post-Troisiöme Guerre mondiale qui semble sortir tout droit des enfers. h6ros, le professeur Poole, un bio-

[r

- llle fait partie des zomiraculewement 6pargn6es par la guene atomique-, d6barque en Califomielon d'une expddition. Il y ddcouwe un peuple 6trange et mis6reux, qui v6nöre une obscue personlogiste ndo-zdlandais nes

nalit6, nommde Bdlial.

lrs

autochtones consi-

danse, remport6, va soudain exffaire de l'enfer. Un bref mirage qui ne pouna rien contre la fatalit6 transform6e en destin, le destin en

nöant.Luziepour qui, d'une certaine fagon, tout finira bien... A pleurer de beaut6.

ffiffi8 ***Amy

Foster par Joseph Conrad, traduit de l'anglais, pröfac6 et annotö par Andrö Topia, 128 p., Rivages Poche/Petite Bibliotröque, 6,60

**

lgnace Denner par E.T.A Hoffmann,

traduit de l'allemand par F.-A. Loöve-Veimars, 6dition annotöe et 6tablie par Piene Brunel, 86 p., Folio, 2 € * * * Le Dernier Soir par Louis H6mon, pröface de Geneviöve Chevrelat-Pöchoux, 304 p., Libretto, 9,70 €

dÖrent que la catastrophe nucldaire n'est pas

la cause de leurs malheurs, mais la cons6quence de la ddfaite de Dieu contre B6lial, du Bien contre le Mal. Parallölement ä ses 16serves vis-ä-vis des sciences, Huxley pronostique la d6shumanisation de la soci6t6. Pour autant, toute humanit6 n'a pas disparu puisque, entre le scientifique et unejeune native, nait un amour des flammes stdriles de l'enfer... roman, 6crit en 1949 au d6but de l'opposition EsUOuest alors que plane la menace d'une guerre nucl6aire, a conserv6 quelque pertinence. En particulier, ä propos des ques-

k

tionsdebio6thique.

R.D.

**Temps futurs par Aldous Hudey, haduit de I'anglais par Jules Castier et rövisö par H6löne Cohen, '192 p., Pocket, 7,20 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.29


> LES INCONTOURNABLES

A Ia paix comme ä-lagrrerre Pierre LEMAITRE Auteur reconnu pour ses thrillers, l'äcrivain change de cap et de dimension pour un roman saisissant, et politiquement incorrect, sur la Grande Guerre. Au revoir lähaut est un des temps forts de cette rentr6e. 'est d'abord l'histoire d'un chan-

gement de mesure. Car aprös avoir op6r6 dans le meurtre (Trav ail soignö,

2W

; Rob e de

marü, 2N9), la s6questration (Alex, N12), etle polar sociologi qte (C adres noirs,2010),1*maitre est pass6 au traitement de la mort ä grande 6chelle. ta guene, et sp6cialement la Grande, celle de 191418. N'allez pas croire pour autant qtt'Aurevoir ld-haut est un roman historique. C'est une saga familiale, unroman de guene, une fiction franEaise. Cinq cent soixante-quinze pages, trois ans d'6criture, et un auteur qui a conscience du risque envers ses lecteurs : « Peu d'auteurs ont tir6 leur 6pingle dujeu ensortant du genre. Pour une partie non pas du public, mais des professionnels, il y a une transgression qui n'est pas bien arcueillie. Mais tous les auteurs de la "noire" ont envie de sniffer de la blanche. » Une presion arcrue par l'effet « rentr6e

littdraire

», et un tirage ä 30 000 exemplaires.

D'autant que, onze mois aprös 14 de Jean Ephenoz, Au rev oir li-haut marqtrc l'ouverture des parutions autour du centenaire du d6but de la guerre. Bien plus original et incorrect qu'on ne pourraitcroire, il s'attache

ä montrer comment la France pr6f6ra s'occuper (dans tous les sens du terme) de ses morts que de s'occuper de ses survivants. Une fresque en

trois parties, s'dtendant sur trois ans,

montant

une dmnomie d'aprös-guerre fleurissant sw plus d'un million de victimes. Ample, narrativement exigeant mais 6galement ffös pddagogique, c'est un de ces romans qui peuvent plaire ä un public trös littdraire (et arcessoirement des jur6s de prix) comme ä un lectorat avide d'histoire et d'6vasion.

3O. LIRE SEPTEMBRE 2013

On y enffe par deux phrases claquantes : Ceuxquipensaientque cette guene finirait bientöt 6taient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. , Nous sommes le 2 novembre 1918. L'armistice semble acquis. Mais sur la cote 113 du front, dans le Nord, un ordre tombe du ciel, entendez du haut «

commandement franqais, « exigeant qu'on aille surveiller de plus prös ce que faisaient les Boches r. Le lieutenant d'Aulnay-Pradelle saisit I'occasion d'un dernier fait d'armes qui pounait faire reluire ses galons. Au revoir ldfrauls'ouvre sur cette bataille. Quarante pages implacables et sid6rantes de tension, de d6tails,

I 0 ?


.a

d'humanitd et de fatalitd sur cette boucherie : soldats tir6s ä lue, corps ensevelis, hommes 6touff6s par les poussiöres d'obus. « tr d6but est une attaque de roman noir, revendique .trmaitre, il a 6t6l'occasion de vin$deuxversions. » Seuls trois hommes survivront : le susdit lieutenant, le discret Albert Maillard,

autres commerces bien moins patriotiques. est un roman subti lement incorrect, et porte essentiellement sur

Ainsi,,4u revoir ld-haut

l'incompdtence des chefs, sur l'ingratitude de la nation : « Le capitalisme adore les guerres, dit lrmaitre pour poursuiwe son propos, on

croitmourirpour

la patrie mais on

meurtpour

et EdouardPdricourt. C'estmöme ce demier,

les industriels. » Pour 6viter la thöse, le blas-

jambe en bouillie etvisage arrach6, qui sauvera son camarade des gravats. Bientöt, Maillard

phöme, l'angdlisme pacifique ou internätio-

restera au chevet de son sauveur. Plus tard, il se donnera la mission de lui procurer la mor-

phine indispensable pour attdnuer tant ses souftances que son envie d'en finir quand il

naliste, Lemaitre a compos6 une histoire ä hauteur d'homme. Un hommage ä la figure du vdtdran : n Quelque chose r6sonne avec notre 6poque, poursuit-il, ces jeunes gens 6taient devenus des nouveaux pauvres : ils

191. Comme eux, Maillard et Pdricourt seront convaincus de s'6tre planquds dans une tranch6e oü ils se trouvaient en fait ensevelis. Parmi les Martyrs de Vingr6, un certain Jean Blanchard, qui conclut sa derniöre lettre ä sa femme par cet « Au revoir lä-haut, ma chöre 6pouse. Jean ,. L'autre ddclic vint d'un article signald dans les remerciements du livre : « Les monuments aux morts, culte rdpublicain ? culte civique ? culte patriotique ? » (Les Lieux de mömoire, tome 1, dirigd par Piene Nora, Gallimard,1984), oü il6tait d6jä question de la construction industrielle des monuments aux morts.

se regarde dans la glace.

Revenu

ä la vie civile,

Maillard peine

ä

trou-

ffiä'.lXTi::::ffi:ä:H,':T:,i*ä: Ces soldats sont devenus des marginau( ii.txl!;iä.113'ö,ffi1,x,;:ää#:'# sanl avoir jlmais d6m 6ir6. fln-poids. mobilis6stenterontd'6chapperäl'exclusion. C'est le d6but d'une vengeance dont les

COmmebeaUCOUpagjou1.d'hgi

subterfuges forment les rebondissements de

dtait

d'aprös.

Un thöme originalement trait6, plusieurs n'avaient pas d6m6rit6, mais le systöme incapable de les rdint6grer, on n'anivait möme enjeux historiques, deux hdros et un salaud : Au revoir li-haul est une machine dramatique pas ä les d6mobiliser car il n'y avait pour papiersdeP6ricourt(qui,lui, ni boulot ni logement. Certains sont rest6s s'autorenouvelant ä mesure de la lecture. A des mois sous les drapeaux. Ces soldats sont une trame d'usurpation volontaire d'identitd 6tait fils de bonne famille artisteäsesheures),lefaisant devenus des marginaux sans avoir jamais rdpondra celle, involontaire, d'employds Chinois qui, ne sachant lire les noms franqais passer pour mort pour mieux d6m6rit6. Un poids. Comme beaucoup des corp qu'ils exhument, mettent les mauvais I'aider ä viwe sous un autre jourd'hui. d6funts dans les mauvais (et tout frais) cerLui-möme n6 en 1956 et pöre de deux nom. La France d'aprös, cueils. A l'union des deux riches familles du oü Aulnay-Pradelle, issu fants, Lemaitre s'avoue l'« enfant tardif d'une noblesse d6sargent6e d'une « famille courte » tenue par un patemel livre r6pondra un drame dconomique, mais aussi patemel. Une union qui, surtout, donet promu capitaine, redore n6 en 1905, oü l'on n'a jamais trop parl6 de son blason ä travers la rdcu- guene du fait de l'6cart entre les g6n6rations. nera. .. une suitelittöraire. Au revoir ld-haut p6ration-revente de stocks Sous l'influence de Roland Dorgelös, d'Henri est la premiöre piöce d'un puzle, n une fresque allant de 1913 ä,20t3 », oü, selon la volontd militaires, avant de se lancer Barbusse, mais avssid'Aurölicn d'Aragon lepenonnagerevientdelagueneetnetrouve de l'auteur, chaque roman « en touche un dans la construction et la

cette fiction ä tiroirs sur la France

Subterfuge dont use note dat lui-möme, changeant

solles

eux

et

au-

,

pays

en-

»

la

(oü

li-

vraison de cercueils. Dans

une

plus sa place dans une soci6t6 qui ne veut

plus

lui, ä

France qui 6rige des monu- de lui), il avoue avoir toujours voulu, l'« 6crivain tardif , (premier roman publid ments aux morts, certains r6jouisentdoncd'encompter cinquante ans), toujours employ6 municipal tant. Cependant que bles- ä la Culture au Prd-Saint-Gervais (Seinesds,gueulescass6esetautres Saint-Denis), « faire quelque chose sur guerre de quatorze orphelins de guerre sont Aussi le roman est-il une relecture diqu6e de l'histoire des Martyrs de Vingr6, La grande qualit6 du

se

laiss6s.

,nur.it

de

».

d6-

ro-

raönter simple- ceisixpoilusdu2gs.Rl,tusrltespoyl

ment (Lemaitre avoue

son

penchant pour « les simplificateurs de g6nie » tel Sime-

laissant

le temps de voir que la partie 6mergde l'iceberg nanatif. t-a partie immergee

du roman sur lequel je travaille. On la retrouvera au moment de l'exode ». Rendez-vous pris, donc. Avec l'Histoire. Voilä qui promet.

revenexäm;

Hubert Artus

äl#.iäi'"",{:"i-f,**

ple le 4 ddcembre 1914 pour ddsertion avant 5?s'p" nru, 22,50 € d'0tre r6habilit6s par Ia Cour de cassation

non)... pour mieux embarquer le lecteur dans des fausses pistes ne lui

la

autre, par un personnage secondaire. La petite Louise, qui a dix ans ici, sera l'hdroihe

de

rdv6lant,

plus cime-

en

nri.r,"(

§RAIT

. Pradelle jette un eil alentour pour värifier que personne ne I'obsewe, I'occasion d'un constat : quel carnage ! C'est lä qu'on se rend compte que cette attaque aura quand möme coütö sacr6ment cher en effectifs. Mais c'est la guerre et il n'est pas ici pour

E

philosopher. Le lieutenant Pradelle d6goupille sa grenade offensive et la cale posÖment entre

en fait, l'am6nagement industriel du n petit nombre possible des plus grands tiöres possibles » (la nation prdföre

les deux cadavres. Le temps de s'6loigner d'une trentaine de mötres et de se mettre ä I'abri,

des milliers de monuments aux morts

de ce con de soldat, lä-bas, dans son trou. Pradelle sort sa seconde grenade.

montrer

plutöt

les mains sur les oreilles, il perqoit la d6tonation qui pulv6rise les corps de deux soldats morts. Deux morts de moins dans la Grande Guere. Et deux disparus de plus. ll doh aller s'occuper

,

que les tombes de son million de soldats), et

LIRE SEPTEMBRE 2013.31


> LES INCONTOURNABLES

I-ltopie et obus §ori CHAIÄNDON Avec comme motif la cr6ation d'une piÖce de th6ätre au Liban, I'ex-journaliste brosse un tableau vibrant des tensions au Proche-Orient. hez lui, on commence souvent avec un h6ros : un militant rlandus (Mon trattre,2DS; Retour d Killybegs, 2011, prix de l'Acad6mie frangaise), un rdsistant frangais (La Lögende de nos pöres,ZCß) dont le masque tombe, r6v6lant le mensonge, et ffeusant unespace oüse niche, pour Chalandon, uneposibilitd de littdrature. I-ogique, donc, que ce nouveau roman nous möne dans l'univers du th6ätre, jusqu'ä y trouver son titre : le quatriöme mur d6signe cet espace virtuel, ouvert, entre les acteurs et les spectateurs. Comme toujours, le joumaliste et 6crivain y möle fiction, histoire passde et

*** Le Quatriöme Mur par Sorl Chalandon, 332p., Grasset,

souvenirs personnels.

Le Quatriöme Mur commence et finit sous les obus, au Liban, en octobre 1983. Mais son ccur est enffe Paris et Beyrouth, ä Sabra, ä Ctratila, en Syrie, entre 197 4 et 1982. Georges, jeune 6tudiant gauchiste ä Paris, va croiser Samuel Akoruris, r6fugi6 grec, metteur en scene et militant contre la dictature des colonels. Comme dans Mon trattre,ll

y a d'abord un rapport de fascination, l'identification d'un jeune Franpis ä un homme venu d'ailleurs. Mais si I'on suit la vie militante et personnelle de Georges, c'est pour mieux se laisser saisir par I'efficacitd de ce qui suivra. Voilä le jeune Parisien embarqu6 dans le projet du Grec : monterl'Antigone d'Anouilh sur.. . un champ de bataille au Liban, et y faire jouer chaque röle par un membre de chaque communaut6. Georges se rend sur place, afin de trouver son Antigone, et convaincre sunnites, Druzes, chütes, chald6ens et chrdtiens maronites. Ce ne pourra ötre la paix :juste un moment de gräce. Laquelle sera l'espace-temps d'un liwe 6cartel6 entre l'utopie et les obus, dont

A la folie H6löne GREMILLON Un psychanalyste argentin est accus6 du meurtre de son Öpouse. Entre thriller, drame

historique et m6lo intimiste.

f I I

I

les toutes demiöres pages

faut attendre

du deuxiöme roman d'H6löne Grdmillon

pour.orprendre son

nüre,qttin'aien

ä

Litre.

La Gargon-

voir avec la fameuse co-

mddie de Billy Wilder. Et s'il fallait s'en r6f6rer au cin6aste autrichien, on penserait davantage

iTömoin

d charge. C'est en effet ä un grand

m6lodrame criminel que nous convie la jeune romanciöre, r6v6l6e en 2010 avec Le Confident. Dans I'Argentine des anndes 1980, un psychanalyste se trouve suspect6 du meurtre de

saieune et belle 6pouse, Lisandra. Certes, le docteur Vittorio Puig clame son innocence.

32.LlRE

SEPTEMBRE 2013

19€

la menace röde durant tout l'ouvrage.

A travers la quöte de Georges,

Le Quatrüme Murmet en perspective la guerre civile libanaise,l'op6ration Paix en Galil6e, et le massacre des camps de Sabra et Chatila. Ir grand talent de Chalandon est de brouiller les pistes par une chronologie ldgörement ddsordonn6e, et par des superpositions narratives imbriquant le texte d'Anouilh. Avec ce liwe, Chalandon revient sur un autre conflit qu'il couvrit comme journaliste. Mais jamais il n'avait mmpo# sibrillante dramatique. Etrarement fiction fit autantressentir f intensitd d'une guerre civile en y accolant la thdmatique du th6ätre cornme alme rhdtorique et politique. Ici battent des ccurs et tonne

Hubert Artus

le monde.

pas si sympathique docteur Puig ?

Mais sa femme et lui se chamaillaient de plus en plus fr6quemment - problömes d'adultöre ? - et, dans une

telle situation, quand l'un des deux compagnons « est retrouv6 mort, la dispute ne fait plus partie de la natwe möme d'une histoire d'amour, elle devient piöce ä conviction ». Heureusement pour Vittorio, l'une de ses patientes, Eva Maria, souhaite l'aider coüte que coüte ä trouverle vdritrble meurtrier. Cette möre de famille, un

D'autres personnages viendront troubler le chemin emett de La Garqonniire. parmi lesquels un vieux professeur de tango « qui lit sur les corps », le propri6taire d'une boutique de jouets, le fils d'Eva Maria et

** La Gargonniöre par H6löne Gr6millon, 356 p., Flammarion,

peu alcoolique et jamais remise de la mort de sa fille Stella, va ainsi s'in-

20€

un beau serveur, sans oublier des pe-

tits chats en porcelaine... Plac6 sous 1'6gide de Ia ldgende d'Argos,le r6cit prend un malin plaisir ä brouiller les cartes, multipliant les formes narratives et passant du

thriller psychanalytique au drame historique ou ä l'6tude intimiste. Si l'6criture registrements des sdances des habituds de son d'H6löne Grdmillon n'6vite pas par instants certaines facilit6s, sa construction s'avöre en divan (pas trös d6ontologique, tout Ea...), lesreffanscriresurpapierpourytrouver,qui revanche imparable, ä l'image de son final sait ?, quelques indices. Y a{-il ä se poser des stup6fiant, qui nous rappelle que, comme la questionssurAlicia, qui n'acceptepasdevoir jalousie, les souvenin « sejouent de nous. Ils s'amenuisent, ils se dilatent, ils se rdffactent, des femmes plus jeunes attirer les regards Dans quelles circonstances Felipe, ancien ils nous 6vitent ou ils nous foudroient. Une fois engendrds par la vie, ils en deviennent les officier de la.iunte du g6n6ral Videla, adoptd le fils de son fröre ? Quels reproches maitres. Ce sont les petits soldats du temps B.L. le pianiste Miguel a{-il ä faire au peut-ötre avec lesquels il nous rend fous troduire chez son psy pour r6cupdrer les

en-

et ?

a-t-il

».

a

z #


.a

t a

La suite

!

Chartres -, Madeleine et Basile vont faire la connaissance d'un gargon qui va immddiatement les s6duire : Mehdi Faber. Orphelin au passd trouble adoptd par desretrait6s, ce garEon insaisissable, rebelle, va faire figure de modöle pour ses deux camarades pendant de longues ann6es. Mais le temps de f id6alisme va passer aussi sOrement que les certitudes,

dans les id6es

Madeleine et Basile vont se recentrer et opter pour la vie active, dite normale », alors que

"

Tristan GARCIA A la fois fresque g6nörationnelle, r6flexion sur le renoncement et suspense admirablement construit, Faber. Le destructeur confirme le talent de l'6crivain-philosophe ä capter I'air du temps. ien n'est plus ennuyeux qu'un premier de la classe, un petit g6nie quien saittop pourson äge. Dös lon, pours'en sortir,

celui+i

a besoin

d'un alter ego

ffidquentable, ä la fois 6chappatoire ä une supdrioritd prdprogramm6e et pure source de fascination. Bien avant d'öcrire Faber. Le datnrcteur,TislanGarcia a probablement dü ressentirce besoin, quand il 6tait gamin.

Et

peut-ötre plus tard lorsque, ä peine sorti de l'Ecole normale sup6rieure, il publia en 2008 un premier roman 6v6nement, La Meilleure Part des hammcs, qui connutun emballement critique et public - assorti d'un prix de Flore d0 ä un malentendu. A cause de ses personnages, ancr6s dans le Paris dandy des ann6es 1990 et ressemblant ä quelques figures intellectuelles sulfureuses, ce surdoud fut immddiatement tax6 d'6crivain ä la mode - alors qu'au fond il ne faisait que reprendre des axio mes balzaciens, perpetuer la

tradition

de la fable morale.

C'estpour cette raison que son ro- le pourtant passionnant

man suivant

Mämoires de k

lwglz -,

avec son singe

apprenant le langage, regut un arcueil plus timor6, et pas forcement calibrd

pour les brasseries hors de prix. Un malentendu, aussi, qu'il convient de rapprocher de la polyvalence de ce gargon de surcroit trös prolifique. Aujourd'hui ä96 de 32 ans, cnt agr€96

dans les ann6es 1980. Dans la petite bourgade

de Mornay

-

qui ressemble beaucoup

ä

« Depuis les anndes 1970, on 6duque les enfants de celles-ci de maniöre ä en faire des individus. On leur prdsente mmme un iddal de

vie la r6alisation de soi, on

leur apprend ä appr6cier

Comment les vies se d6battent avec leur 6poque

I'art, ä r6clamer du temps libre, ä r6fl6chir ä leur bien-ötre. trur id6al est aussi le mien. Mais ils se retrouvent soudain dans des pays affaiblis, en crise. Et ce qui leur a 6t6 promis ne peut Ötre tenu. » Pourtant, rares sont ceux de cette g6n6ration qui sont devenus des Faber, personnage aussi inqui6tant que s6duisant, qui trouve peut-ötre sa source dans des prdceptes th6ologiques

-

en littdrature aussi, tout est

question de croyance. « Plus j'6cris, plus je suis persuadd que le roman consiste en la larbisation de formes religieuses de pens6e, analyse Garcia. Je suis absolument ath6e, et pourtant

Faber. Le destrucrearme semble ötre l'histoire d'un d6mon. L'un des axes du r6cit est que tous les diables sont

croit plus ä l'äge adulte, et ä qui l'on

mans, un recueil de nouvelles sur le sport et quahe essais d'inspirationphi-

centre en nous la culpabilit6 d'avoir

@cise

-

illustreraient des thöses que je d6fends dans mes ouwages de m6taphysique ou d'6thique ou inversement. Ce serait idiot, vain, ennuyeux. » Il faut lire Faber. Le destructeur comme une pure fiction - remarquablement mnsffuite et d'une impresionnante puisance nanative-ancree dans une r6alit6 que l'auteur a pourtant bien connue, celle de son enfance

des dieux d'enfance, auxquels on ne

=

=

Je nevoudrais surtout

reüouverunjour avec des romans qui

bibliographie, comptant quatre ro-

D

s o

pas me

[r

a en effet d6jä une impressionnante

losophique (aussi bien sur l'animalitd que sur l'image ou la s6rie Six Feet Under l).Mus gare ä ne pas tout möler : « Ma hantise de toujours, c'est d'un cöt6 la philosophie litt6raire, de l'autre la littdrature philosophique »,

6

MehdiBelhaj Kaoem. «

leur ami, encombrant et toujours enrage, va se radicaliser, s'exclure du monde pour - qui sait ? - essayer de le faire exploser... Si l'on pr6sente Faber. Le destructeur comme un diagnostic du monde contemporain, Tristan Garcia rectifie imm6diatement :« roman, c'est juste le meilleur moyen dont nous disposons pour d6crire comment des vies se d6battent avec leur 6poque. Au mieux, j'essaie de rendre sensible et de condenser I'insatisfaction diffuse. » Cette fresque sur une trentaine d'ann6es illustre ainsi remarquablement l'6volution sociologique de l'Hexagone, et plus particuliörement le d6clin des classes moyennes.

ce proche des

penseun Quentin

Meillassoux, Jean-Clet Martin ou

fait payer la fin de nofte foi. Faber con-

grandi, d'6tre entr6s dans la vie sociale

et d'avoir c6dd aux compromissions du quotidien. » Rien ä faire : dcouter du punk rock n'y changera rien... Baptiste Liger

***

Faber. Le destructeur

par Tristan Garcia, 480 p., Gallimard, 21,50 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.33


> LES INCONTOURNABLES

Passe-

muraille Fhtlfrppe

n conjur6s », une arm6e des ombres qui s'dvanouit dans la cit6. Partant

ddcidd ä fonder une secte parisienne pour faire fortune, va lui donner un

VA§§HI

Une g6ographie des zones grises du pouvoir et de la ville, derriöre laquelle se cache une fine observation sociologique. el un Fantömas contemporain, le narrateur eut longtemps ses cachettes dans un Paris de terrains vagues, de friches oublides et d'espaces vierges. Mais ces << zones blanches » ont 6t6 rattrapdes par une civilisation de grues et de constructions neuves. Plus moyen de s'6vader, le voilä contraint d'entrer dans le rang et mÖme de chercher un travail. Sa rencontre avec Andr6, auteur de thrillers politico-financiers

d'une rdalit6 pr6cise et v6rifi6e, objectif inespd16. L'entrepreneur a Philippe Vasset pousse son m6caun n business plan , et cherche un nisme litt6raire jusqu'ä le rendre adjoint capable de lui trouver des po6tique et divinement incontrölieux secrets afin d'accueillir son lable. D ans J o umal intim e d' un mn r Eglise, avec gourou, adeptes et c6chand de canor»puislournal intime r6monies. d'une prödatrice, il pressait l'6conoPour notre gdographe urbain en La Conjuration mie mondialisde comme un citron, quöte d'un petit boulot « le mystipar Philippe d6montrant ainsi sa vacuit6 et ses cisme, ses invraisemblances et ses Vasset, 230 p., Fayard, dangers hors de tout contrÖle. Cette non sequifirsemblent un bon cheval 17€ fois, il nous prdcipite avec lui dans de Troie pour ressusciter les angles l'infinie libert6 de n'ötre personne » et la morts de la ville Commence un voyage " ". description de sa conjuration sdduit et tdtaaventureux du cöt6 d'anciennes voies de chenise. Philippe Vasset est dpoustouflant dans min de fer et de boulevards pdriph6riques. l'6criture comme dans I'invention romaMais il lui en faut touiours plus : apprendre nesque. Mais il cache deniöre cet art de la les failles portes, connaitre les ä ouwir toutes

***

des systdmes ä 6lectroaimant, passer par les balcons, entrer dans les appartements habitds,

errer dans les couloirs des entreprises en pleine nuit, crocheter les serrures rdputdes inviolables. Il devient l'homme invisible

entrainant derriöre lui une poign6e de

fiction un talent de sociologue et de g6ographe qu'il r6v6lait d6jä dans son röcit Un livre blanc paru en2007. Explorateur du minuscule, reporter des mutations du paysage, il est l'hdritier direct de Jules Verne, l'ironie Christine Ferniot en plus.

Droit dans l'amour ffimrninique N0§Uffiä

Passant du Paris culturo-mondain (oü l'on croise, notamment, Michel Houellebecq et Philippe Sollers) au Japon, Une Annöe qui

Entre Paris et !e Japon, Dominique Noguez raconte sa relation avec un ieune homme dans les annöes 90. Un portrait m6lancolique et touchant.

commence bien relate dvidemment la passion, ä sens quasi unique (enfln, c'est toujours compliqu6), entre les deux hommes, lue du cöt6 de I'aind qui, sa vie durant, n'a jamais 6td de son äge - tantÖt trop jeune, tantöt trop vieux. Tour ä tour peinture de la r6publique des let.

T'n ffi

n intitulant son dernier livre Une annöe qui commence bien, Dominique Noguez suggöre d'embl6e que ce r6cit autobiographique ne se finira pas forc6ment pour le mieux. Et pour cause : il y est question d'amour - « la mlthologie et la peinture ont tout dit de cet enfant ail6 : c'est un adorable faux cul ! » Qui porte ici

tres des ann6es 90 et m6ditation sur l'exercice autobiographique, ce texte ä l'6criture tout en finesse 6meut surtout gräce ä l'autoportrait

m6lancolique de Dominique Noguez, monsieur

.fi.-J

discret n'ayant jamais eu droit qu'ä des lambeaux " d'amour » durant toute son existence, qui se voyait en « Dionysos gambadant » et s'est retrouv6 « en

un pr6nom : Cyril. En 1993, lon d'rur trös chic colloque ä la Socidtd des gens de lettres, I'auteur des Derniers jours du monde (sor, chef-d'aulre), alors ägd « d'un demi-siösle », remarque un jeune homme blond, en tee-shirt et caban. S'il n'est pas frapp6 imm6diatement par la beautd de cet angelot, Noguez est vite rattrape par l'6vidence de son ddsir - lui qui ne se considöre d'ailleun ni h6t6ro, ni homo, ni bisexuel, mais « sexuel ,,

Sisyphe encombr6 de son rocher

tout simplement. « Pour la premiöre fois, l'objet de mon amour n'6tait ni un pur esprit ni un corps seul. m ais une Ame et un corps, comme dit Rimbaud ä la fin d'Une saßon en enfer. "L* garEon a semblet-il des aspirations littdraires et connait ddjä bien I'u establishment homosexuel » - sdduire les notables plus äg6s du milieu peut, qui sait ?, aider ä la publication de son ceuwe... Toujours est-il que Dominique Noguez et Qd - de son nom Durieux - commencent ä se voir, autour d'un verre, möme s'il n'y en a jamais de o dernier », en fin de soir6e, chez l'6crivain install6 (et grand connaisseur du cin6ma expdrimental). La relation s'estompant un peu, il traine alors dans les boites et a

d'autres aventures - notamment avec plusieurs David en mÖme temps ! -, mais Cyril ne tardera pas ä repointer le bout de son nez... Mais que veut-il prdcisdment

? Quels sont ses rdels

34. LIRE SEPTEMBRE 2013

sentiments

?

,. Baptiste Liger

***Une annöe qui commence bien par Dominique Noguez, 386 p., Flammarion, 20


Complötement ä

l'Ouest Cöline MINARD Aprös la science-fiction, la fable baroque et Ia romance fantasy, C6line Minard aborde les contr6es plus sauvages du western. Un des plus beaux livres de cette rentr6e.

de Jeffrey

trnt,

et bien sür,

loresome Dove

de Larry McMurtry ont 6t6 importants, avoue-t-elle, mais aussi Tämoignage de Charles Reznikoff.,Au grain d'Amöique de

William Carlos Williams. » Ce roman sur l'Am6rique d'avant les frontiöres joue aussi opacifier la notion de genre litt6raire : il y a du western, mais aussi autre chose, dont jamais on n'identifiera la substance. Et C6line ä

Minard de revendiquer : « Avec Faillir €tre flinguö j'aivoulu travailler le lieu commun, au sens litt6ral, le lieu partagd par tous. Et le rincer des clich6s. J'ai voulu replacer le western dans un 6tat d'incertitude, au moment oü I'identit6 de chaque protagoniste est en train de se crder. Cdline Minard offre ainsi un texte dense, mais fluide, d'un naturalisme et d'une atten-

,

aillir Ate flingul: c'est d'abord ['un des plus beaux tiffes de cette

rentrde frangaise. C'est ensuite un roman po6tique et trös singulier, sigr6 d'un auteur dont le

style est toujours aussi virtuose, savant, baroque, et ä chaque roman toujours aussi surprenant. Aprös une fresque de science-fiction

bientarye (lß Demier Monde,Denoel, 2007), le collage du kung-fu et du roman m6di6val (B asnrd Battle, [,6o Scheer, 2008), la fable baroque (Olimpin, DenoöI,2010) et la romance fantasy (So long Lube,Deroö1,2011), Cdline Minard arrive au westem.

Un chariot s'6lance avec la premiöre Il « n'en finissait pas d'avancer. La grand-möre ä I'arriöre criait de toutes ses forces contre la terre et les cahots, contre l'air phrase.

qui remplissait encore

ses

poumons

».

Nous

sommes dans les vierges prairies du Far-West, ä une dpoque non datde, mais ä l'dvidence celle de la conquete de l'Ouest, quand les espaces n'avaient aucune frontiöre connue, et que tout 6taitdans tout. Nousvoici aux abords d'une ville naissante, oü on ne trouve pas encore « tous les articles raffin6s de la civilisa-

tion ». Un lieu oü convergent les pistes de tous les personnages du r6cit. Des individus qui

s'entraident,dchangent, avant de se saouler voire de s'entre-tuer, en g6n6ral aux abords du saloon tenu par Sally. Vous suiwez Josh, Jeftey et Brad,les trois fröres McPherson qui accompagnent la grand-möre mourante sur le chariot. Vous (pour)suiwez aussi des voleurs, une musicienne, des Indiens, des Chinois, des trafiquants, des chevaux, des trafiquants de chevaux. Et surtout, EauquirourtsurJa-plaine, unejeune Indienne dont le clan fut ddcimd et qui, depuis, exerce ses talents

a o

I

o d

menaqante : « Son 6tat de femme sans peuple la faisait ä la fois craindre et d6sirer. Son pou-

voir, depuis la mort violente des siens, avait d6cupl6. Elle voyait plus loin, elle soignait mieux, elle pouvait tuer sur trois points. » Faüir Atre flingul est une histoire de vies et de morts, mais c'est avant tout I'histoire d'un temps oü les relations humaines dans le Nouveau Monde sont ä inventer. Avancer dans cette histoire, c'est envisager la lecture comme une chevauch6e symboliste

tion aux individus qui lui permettent de placer au möme plan, non pas moral mais narratif, la vie et la mort, I'alt6rit6 et la vengeance, le western, le ro-

cötd clair et le cöt6 obscur.

k

man communautaire,le nature writing etle roman apocalyptique se rencontrent, et l'on pense forc6ment ä James Carlos Blake, ä louise Erdrich, ä Cormac McCarthy. Un mdlange de genres que I'auteur pr6sente ainsi: « Je pense chaque liwe comme un monde complet, ouvert mais autonome.

autant que rdaliste. Ici, les bcuß tirant chariot

Etj'esaie de faire en sorte que

comprennent le chant des coyotes. la, Gline Minard prend le temps d'6voquer le rythme

fois unnouveau monde, une ddcouverte, dans

de la nature. Ici donc, le vivant, homme

velles terres. » Failür

comme animal, est ä l'6coute de l'environnement. Faillir ötre flingui estleromande genre

ouwage d'un ddpartement litt6raire relook6 chez Rivages, est, avec son tout premier liwe, la plus belle tene

d'un auteur qui a compris l'Histoire (les

de gu6risseuse, pour les Blancs aussi bien que

Indiens Pawnees contre les Sioux du Dakota ;

pour les lndiens. El]e chasse ausi bien qu'un homme, mais peut redonner vie ä un oiseau qu'elle avait la seconde pr6c6dente frappd d'une piene. Elle estpoetique et quelque peu

les Blancs contre les Chinois). C'est le

livre d'une passionnde de western: « Des livres comme La V euv e de Gl Adamson" Zeb ulon de Rudolph Wurliaer, La Rivüre dps Indierc

ce soit chaque

le sens ambigu oü I'on a pu ddcouwirde nouAtre

flinguö,prenier

de C6line Minard. Et un des plus beaux romans de cette rentr6e.

Hubert Artus

****Faillir

6tre flinguö par

C6line Minard,330 p., Rivages, 20€

LIRE SEPTEMBRE 2013.35


> LES INCONTOURNABLES I

t

Vertige des amours Lionel DUROY Le romancier repousse le curseur autobiographique de son @uvre litt6raire. Un ouvrage ä la hauteur de son titre. n mot simple, au pluriel, pour revenk au nerf, ä l'äme, au ceur. Vertiges poursuit la route engagde par Priez pour nous (1990) et Coläres (2011). Si, l'an demier, Lionel Duroy avait fait un pas de drt6 avec L'Hiver da hommes , grattant une autre

fi?*:Hfff;#:Jil:i:H#:H;qffix;'iil?i*ä?;

il

gffi-

de ffi[

d'elle et ce sont les mots qui me viennent, silencieuse et

famille. De quoi s'agit-il ? D'un 6crivain, Augustin (double l'auteur), au seuil d'une s6paration avec Esther. Une histoire en deux temps et deux enfants. Meurtri, d6chir6, il l'observe

U et tente de comprendre. Parler. Cependant que d'autres visages, mil f6minins, s'inviient dans une rdflexion ä toui les sens du terme -'f ' E deux autres femmes aim6es, et la figure de la mdre. De prime abord ,Vertiges estunnouveau maelström auto- V";i;" biographique oü Duroyintenoge la dur6e de l'amour. On pär iiänäf

ddsol6e. » Une puissance qui arrive comme un grondement, une construction soutenaine qui en fait un geyser. Car ä travers de I'histoire avec Esther, ä travers ces quatre enfants

h fin

qu'il eut avec deux femmes, Augustin, rejet6 par sa mÖre dös le plus jeune äge, ofte une intenogation qui pousse.en

colimaEon :conunentresterlon$empsamoureuxlonqu'o1t a coup6 ses propres racines familiales, d6rdglant ä jamais alors, que ces quelque quatre cent soixante . 468 p' Julliard' h possibilitd de l'amour ? Comment tenir une famille ? De pages n'apporten tien.Verttgesiparfois un cöt6 barbant, une zt la sorte, Vertiges estnonseulement une piöce inddite dans irnlr.rri* a. a6jä-vu chez Iauteur. Mais si, de liwe en la trame de Duroy est r6currente, la mise en lumiöre des personnages le travail de Duroy, mais aussi une r6ponse au procös rdcent, intentd parsonproprefils,quel'auteuretson6diteuresuyÖrentauprintemps et des situationsist chaque fois diffdrente. EtVertiges a aussi demier (Robert Iaffont fut condamnd ä verser 10 000 de dommages 6nergie seoöte, qui agit mmme un sortilöge. On la sent dös l'entame u Et-maintenanf je me demanAe ce qu'Esther pouvait bien penser et intdröts pour atteinte ä la vie priv6e). Faisant euvre de plus belle tandis que je courais dans tous les sens ä la recherche d'une cabine litt6rature, Duroy a mis plus de filtrespour faire tomber ses propres t6l6phonique, ce soir d'octobre 1990, et qu'elle me suivait, silencieuse masques, et tiss6 comme jamais pass6, pr6sent, intime, social, pour Hubert Artus et ddsol6e, Oui, tant d'ann6es aprös, c'est ainsi que je me souviens marier l'dcriture et la pori11uit

Äir.,

^^Drt9y;

e

liwe,

une

:

vie.

[.ln petit tour et puis s'en Ya Glaudie GALIÄY Un pöre souvent absent et qui, une fois encore, s'annonce. En I'attendant, les souvenirs

atfleurent. arole est arriv6e au Val-des-Seuls trois semaines avant NoöI. t a boule de verre, regue huitjoun auparavant, 6tait dans ses bagages. Un de ces objets d6risoires avec de I'eau et de Ia neige synth6tique qu'on secoue pour faire danser les flocons. Philippe et Gaby avaient exactement la mOme, envoyde par Curtil, leur pöre. C'6tait toujours Ia möme histoire avec cet homme qui partait longtemps, revenait partrois enfants de son retour prochain par f intermddiaire de ce ridicule fois, prdvenant

ses

gadget pour touristes. Ddjä, avant la mort de leur möre, Curtil disparaissait en disant qu'il allait faire un tour.

36.LIRE

SEPTEMBRE 2013

ces instants

Carole s'est install6e au gite, sans t6l6vision mais avec un peu de travail ä faire : une traduction ä finir. Elle s'estjurde de repartir quand elle aurait termin6, möme si le pöre ne r6apparaissait pas. Et peu ä peu, la montagne, les souvenirs, le pass6 la recouvrent comme une masse de neige

taiseuse elle aussi, pour faire remon-

Ä:Ä-

Döferlantes, ü'ii{iÄ,

Gallay et

cinq ans auparavant, Claudie cherche dans la nature sauvage les hommes silencieux une rdpänse ä des vies

Chudie

ter Ia m6moire et l'enfance. Elle croit d6tenir des seoets mais il s'agit plutöt d'une absence impossible ä combler et d'un besoin d'amour

insatiable. Une part de ciel est un roman de l'attente et des silences qui finissent par se briser comme la glace du lac ä Ia fonte des neiges. Au fond de I'eau, on dit qu'il y a des cadavres. Au Val-des-Seuls, il y a surtout des gens qui partent et font semblant de revenir et d'autres qui se tiennent debout devant la porte ä 6couter les bruits. Claudie Gallay les recompose pour nous avec un talent infini. Christine Ferniot

Gallay'

oX1,t',jX"t

qui s'effilochent. Carole,

la narratrice, est devenue une citadine ä Philippe, le fröre rugueux, et Gaby qui vit dans un bungalow glac6 en hiver,

face sur-

trop

chaud l'616, avec la möme, sa fille adoptive. Dans les montagnes, on croise des rons mais pas de touristes et le caf6 est

btche-

le

lieu de toutes les retrouvailles. Le semble arröt6 et Claudie Gallay

ses phrases dans des

qu'iI ne fallait pas trop en dire. Sa narratrice fait des photos, 6coute,

compacte

Comme dans Les

qui s'dtirent ä l'infini.

paragraphes de plus en plus courts, comme si le souffle manquait ou

Elle rdduit

temps

rdinvente

o E d


Prends garde

cröte ». Une histoire dans laquelle « le sexe ne soit pas seulement d6crit sous l'angle du plaisir, de la passion, etc., mais aussi comme un vecteur de vie et de mort, qui peut ötre lourd de consdquences, pour le meilleur et pour le pire ». Ce livre, ä l'entendre, c'est un peu << La Femme rompue de Simone de

Nelly AIÄRD Un couple moderne avec partage des täches, deux enfants jusqu'ä ce que !'adultöre enraye la m6canique. Une analyse fine de la confusion des sentiments et d'un certain f6minisme. NellyAlard en a eu töt envie. A l'äge de dix ans, u au crayon dans un cahier ,, elle noircit le premierchapitre d'un roman dont l'h6roine a pour nom de famille Bilbott ». Fiction qu'elle

avec la mort, dans le Nord-Finistöre, d'un pöre qui traitait sa fille de six ou huit ans de « putain », de « salope » et de « pouffiasse ". En plus de marquer son entr6e en littdrature,

abandonne bien vite. Plus tard, elle entame un joumal intime. Sauf qu'elle se « met sans cesse dans la peau du lecteur », s'ennuie ellemöme en le r6digeant et y renonce donc. Nelly Alard se toume alors vers le thdätre et le cin6ma, devient comddienne. L'idde d'6crire reste pr6sente. Les choses vont se faire peu ä peu. Un rdalisateur avec lequel elle a toum6 lui demande de I'aider pour un court-mdtrage. A la möme 6poque, Francis Girod, son professeur au Conservatoire, la sollicite pour r6aliser des montages de scönes destin6s aux

donne l'6criture romanesque, d6gagde de

"

6löves de l'Ecole ä partir de clas-

siques du septiöme art. Puis Jean-Pierre Miquel, directeur du Conservatoire, la panaine et elle obtient une bourse de la Fondation Beaumarchais pour sa premiöre piöce de th6ätre. A

,.

On y suit les tourments de Juliette et d'Olivier. Un couple qu'il serait facile de qualifier de bobos. Ils ont d6passd la quarantaine, ne font pas leur äge, ont un fils de quatre ans,

Johann, et une fi-lle de six ans, Emma. Chef de projets techniques dans I'informatique, Juliette a grandi ä Limoges, tenu le coup face

Le Crieur de nuitlluipermet de ddcouvrir

au divorce de ses parents, au pensionnat, aux

« le sentiment de libertd extraordinaire que

coups durs d'une existence qui ne l'a pas toujours mdnag6e. Homme sdduisant mais manquant d'assurance, qui participe aux täches du mdnage et s'occupe des enfants, Olivier,lui, est joumaliste dans un hebdomadaire influent. Encord6s depuis dix ans, ils poursuivent ä deux une histoire u qui n'a ni queue ni t6te, ä en croire Juliette, laquelle rdsume ainsi leurparcours: « Rencontre puis Trahison puis Amour puis Rupture puis Mariage puis Vie commune. » Au ddbut du roman, Juliette regoit un coup de tdl6phone d'Olivier alors qu'elle se promöne avec une amie et les enfants. Il est ddsol6, il ne va pas pouvoir I'accompagner au cin6ma. Qui plus est, il lui annonce avoir depuis trois semaines une liaison avec une 6lue socialiste. Son amante, Victoire, rousse, jeune et plutöt jolie, n'est pas le genre de femme . ä

toute contrainte de budget, de production, de casting ».

La Femme rompue de BeauYoir, \ cinquante ans aDres I

en rester lä ». Et va d'ailleurs commencer ä

pratiquer « l'encerclement suivi d'un har-

petits boulots, donne des cours

Avec une rare finesse, Nelly Alard s'empare de I'adultöre, mot qui 6voque ä Juliette « le drame bourgeois ou le vaudeville pous-

- actMt6 alimentaire oü elle ne met aucun ego - l'aident 6galementäse fairelamain. Etle d6clic se produit. [a rdvdlation de son style et de son regard sur les

Ctres et les situations sonne d'embl6e juste. Dös Le Crieur

sidreux ». Cette demiöre ddcide de relever le gant. De soutenir l'attaque, bien qu'elle man-

que souvent de vaciller devant la violence de la situation. La romanciöre tisse savamment sa toile, entraine ses h6ros et ses lecteus dans une liaison fatale qui vire au cauchemar, joue avec le froid et le chaud. D'une rare pertinence, Moment d'un cou-

prix

ple confirme le puissant talent

Roger-Nimier, repris en Folio). Un coup d'esai sobre et dmouvant oü l'on retrouve des 6chos

d'analyse et de narration de son auteur. Aexandre Fillon

de nuit (Gallimard 2010.

= I

les conqu0tes du f6minisme

celement minutieux et systdmatique »...

vend des ballons dans les foires. Des scenarios de mmmande

= q

Beauvoir cinquante ans plus tard, aprös toutes

une dpoque oü elle enchaine les

particuliers de math6matiques,

ö

de coucher sur le papier « une histoire d'amour et de couple qui ne soit pas "hors sol" mais ancr6e dans une rdalit6 trös con-

ä roi crire,

L'6tape rdputde difficile du deuxiöme roman, Nelly Alard la franchit avec Moment d'unmuple.Cnttefois, dit-elle, elle a eu envie

de l'univers

d'Annie Ernaux.

Un texte aboutiqui commence

***Moment d'un couple par Nelly Alard, 376p., Gallimard, 20

LIRE SEPTEMBRE 2013.37


>i

De l'info

Gustave Courhet du roman tiangais ". Quelqu'un qui essave surlout dÖsespdrdment d'Ötre vivant et y arrive comme il peut dans les pages

ä

la fiction Tous deux journalistes, ils se sont croisäs aux lnrockuptibles, et publient un roman. L'un, obs6dtä textuel, livre souvenirs et r6flexions, l'autre dessine une comÖdie humaine contemporaine. ous deux ont fait leurs armes dans la presse avant de devenir

dcrivains. Par le pass6. Arnaud Viviant et Marc Weitzmann se sont cl'oises aux Inrockuptibles.

Les voici ä la rentr6e rdunis en librairie. Le premierpublie La Vie critique.Un roman autobiographique mettant en scöne un professionnel de la profession. Celle dont le travail consiste ä se pencher sur le « roman contemporain , et la n litt6rature gdndrale ,. [-e double de Viviant est un obs6dd textuelconstamment ä la recherche de sa drogue. Un critique

lit-

t6raire qui parle ä la radio et ä la töldvision. dcrit aussi un peu dans les journaux. Il n'a jamais oublid sa fianc6e du temps du lycde. Michelle, quiportait un cird bleu. a 6tö son « protbsseur de ddsir littdraire ". hovincial ayant grandi ä Tours. notre homme est montd

läire son trou ä Paris. Il v raconte son quolidien. en n'omettant ni ses visites ä son ps1, ni son goüt pour le SM sur Internet. Voisin d'Emmanuel Carrdre qu'il rencontre partbis chez Ie boucher. il prend son scooter pour se rendre ä l'inauguralion du Salon du livre. Se souvient de chers disparus. tels

le traducteur Eric Kahane ou le 16alisateur et producteur PierreAndrd Boutang. Marqu6 par Jean-Paul Sartre et Guy Debord, le critique est pour l'heure plongd dans Undenuorld USA de James Ellroy. o ce Dostoievski du polar. cette espÖce de Tolstoi US. limite nazi ä ses heu-

Lu Vie critiqr u. Un autoportrait tour ä tour nombriliste et touchant qui vaut pour son regard lucide et sa plume alerte. de

Dans Urie ntatiire in.flamnnbk. Marc Weitzmann. lui. nous attache aux pas de Frank Schreiber. Lequel a un -qrand-pÖre aux mille vies , qui a crois6 Buffalo Bill et "

Klaus Barbie. un oncle avant ddjeund avec

Piere Mendös France et un pöre administrateur d'un petit th6ätre subventionn6. Frank a grandi ä Ploucville ». passd ses dt6s dans " un Village Vacances Familles. Adepte de Philip K. Dick et de Bruce Lee. il a arr6td ses dtudes ä 18 ans. enchaind les jobs prdcaires et s'est d'abord mis en mdnage avec une t'emme divorcde lass6e de sa vie conju9ale en zone

(Folio Policier).

pavillonnaire.

beaucoup trop tÖt ". Club select oü figurent Richard Brautisan.

Devenu iournaliste emplovd par Ia presse professionnelle. Frank a 6galement fait le ». " nögre Pour le compte de Patrick Zimmermann. Un vieil ami de la lamille, naguöre rdvolutionnaire et enseignant. et aujourd'hui dconomiste en vogue. [-e hiros de Weilzmann

« pur modöle de monologue intdrieur " - ou dresser le Top -5 des . icrivains de ces cinquante derniöres anndes morts

Edouard Levd. Herv6 Guibert. Guillaume Dustan et Roberto Bolaäo. Chemin faisant. on apprend ä mieux connaitre un pel'sonnage complexe. Quelqu'un qui a une femme et une maitresse. d6jeune avec Amdlie Nothomb dans un restaurant chinois du boulevard de Magenta. pleure de bonheur en 6coutant un ami lui lire un conte de Borges. a du mal ä s'acquitter de sa facture de gaz ä trois chifties, affirme que Michel Houellebecq est n le

@+;.

a succombd au charme de l'6pouse de Patrick.

Dans I'air du temps litt6raire et

m6diatico-politique Paulina. ou Paula.

n

curieux mdlange de nerfs

vif et de priciositd courtisane ". Professeur ä 1'ESSEC et auteur de deux ouvrages d'hisä

toire sur Ia civilitö galante au XVII". cette dernibre s'ar ire ötre une l'emme qui ne veut pas qu'on s'attache ä elle et cherche toujours

l'6chappie.

Bouillonnant. plein comme un rtuf. {,'ne

nuiire

hlflanunaöle rernonte le fil des anndes. Rdguliörement i, apparait une certaine Anne

Sinclair. Une reine de Paris recrut6e par Franqoise Giroud ä L'Erpress avant d'en venir ä prdsenter une dmission de grande au-

dience sur TFI ou d'6pouser Dominique Strauss-Khan. alors sdduisant ministre de l'lndustrie. . . Marc Weitzmann s'interro-ete sur bon nombre de choses: les relations entre les hommes et les femmes. la iudditd. l'impasse qui existe en chacun de nous. ce qui nous fait

res. mais en chemises hawaiennes.

avancer. Sa rnanidre de chercher des r6ponses

ce qui changeait tout... Un type terible. une machine ä gTande fiction, un dcrivain fleuve. en crue permanente ». Maniaque des listes. il peut ainsi citer plusieun

offre un roman ambitieux. corrosif, touchant Alexandre Fillon et dröle ä la fois.

romans se ddroulant dans un train - dont l'dpatant Londres Express de Peter Loughran

38.LIRE

SEPTEMBRE 2013

La Vie critique par Arnaud Viviant, 188 p., Belfond, 17,50 € Une matiöre inflammable par Marc Weitzmann,376 p., Stock, 20,50 €


Poings durs, cmurs tendres 'li

;,t

lllrm rffi i'l Wil

$"lf&,fi:I

fl

iti,{t'

Par le truchement d'un ieune boxeur, Khadra

restitue la soci6t6 alg6rienne des ann6es 1930 avec lyrisme. ,.,,

i\.

' " ,i n se pose toujours la question. avec lui : aura-t-on droit ä de Kaboul, ffi un roman politique (ses polars. Les Hirondelles philosophique d un conte L' Attentat), B agdad, Les,Srni ne s de ^.,. ",r

(L'Olympe des inforrunes, 2010), ä un hvmne au Continent (L'Equation africaine,20ll) ? Eh bien oui, l'dcrivain sait rester surprenant. Les anges meurent de nos blesvtres rappellera forcdment Ce qtLe le jour doit d la nuit (2008, prix France T6l6visions) : ['entredeux-guenes est le point d'encrage. Mais lä oü le prdcddent s'dtendait de 1930 ä l'inddpendance, celui-ci se cantonne aux ann6es trente, ä Oran. Plus complexe qu'il n'y parait. la ville et le roman deviennent tous deux o une aventure haletante, un carrefour oü se rattrapaient les äges, chacun pard de ses atours ,. Et pourtant, qa commence mal : n Je

m'appelle Turambo et.

p.,

ä

l'Algdrie coloniale : misdrable. Dans les anndes vingt, il travaille dans la rue (cireur de chaussures), et dans cet univers son bras gauche est son arme : des directs foudroyants le sauvent des rackets, et le font remarquer par un manager. MÖme si l'6criture de Khadra demeure un poil trop acaddmique. le lecteur est embarqud dans une travers6e. ä un glissement de terrain. Son destin est 6crit ä l'avance dans

une d6cennie r1'thm6e par les choix, les poings. les coups. et les victoires

Naitre et le neant t$.'

*il'ti:! llli'{",r1,'4 Une röflexion masochiste sur la cr6ation, aussifumeuse que paradoxalement int6ressante. '

ti, our faciliter la täche de la critique (ou l,*; "r la ddsamorcer ?), certains auteurs proposentauceurde leurouvrage un at-

i!"

gumentaire d'dreintement. Ainsi. au milieu de Nabsance,Yann Moiximagine I'hypoth6tique r6action de son lecteur :Qu'eslce que la vie ? (u Moix. mon pauvre... ,) Quelque chose de trop grand pour nous. (n Sp6culative

Moix ! Quelque chose de trop ") petit ? (« Les ddmons de la mddiocrit6 moixienne. ») Certains nagent dedans. D'autresydtouffent. (« Emp0chez-le de publier ! puissance de

Khadra,408 2l €

Julliard,

ä la toute premiÖre ligne. En l'aube. on viendra me chercher ",lit-on juin 1937. ce jeune homme de 27 ans s'appr6te ä passer sous la guillotine. Pourquoi ? Tout le livre le racontera, ä rebours. qui recompose le destin d'un garqon de fort basse condition. A ce point ren6gat que son sumom, Turambo. est le nom de son bled. ray6 de la carte suite

iin'

Les anges meurent de nos b/essures par Yasmina

d'un garEon qui a tout pour devenir champion (d'Afrique du Nord)' Poings durs. Turambo est un ceur pur, et s'6prendra de trois femmes. Trois interdites. Mais Turambo est prCt ä tout, et ce sont ces exploits que nous conte. in fine,Khadra. Duret6. puretd :colnme son personnage, le roman balance entre les deux. rdv6lant les rÖves et les tensions, l'obstination et la rdsignation, la rivalit6 entre BerbÖres et Arabes. le poids de la culture europdenne, et surtout le sort des femmes. Portrait d'un homme, de trois femmes,

d'une ville et d'une soci6t6 entiöre, port6e par le rÖve d'une nation . araberböre ,. Les anges merrent de nos bLessures surprend son lecHubert Artus teur jusqu'ä la fin. Un lyrisme qui met K.-O

Ajoutez

Ce n'est plus possible ! ") Si l'on en croit les presque mille deux cents pages de cet objet littiraire masochiste.

Stones, la Corde, Fernandel.. .), des

la vie de l'auteur de Podiunt n'a

provocations sur le racisme, les entänts battus. la pornographie ou la maternit6 (" Nous respectons trop

d'ailleun 6td qu'une s6rie de crachats, d'humiliations et d'6checs. Les choses ont commencd avant möme la sortie du ventre de u mal6jacul6

,

'?

nos möres. Nous devrions davantage

sa mÖre.

Le pöre de Yann Moix auraitil Toujours est-il que

demier est responsable de la mise au monde d'un gargon nd. . . circon-

ce

ä cela des digressions sur

tout et n'importe quoi (les Rolling

.. " Narssance par Yann Moix,

150 p., Grasset, 26 1

cis. o Cela voudrait dire que ce petit cassecouilles est juif ? ». se demande d6jä le gdniteur furibard. universitaire ä la facult6 de sciences d'Orl6ans-La Source. Telest le point

de ddpart de Naissance.oü l'on croisera no-

tamment l'improbable docteur Boule-

les fiapper, les violer. les humilier. des Leur ddfdquer sur le visage.

").

poömes. des consid6rations th6ologiques fumeuses. de nombreuses listes. et vous aurez une vague id6e de

ce pavd foutraque qui d6fie toute tentative critique. D'un cö16, öcrasd par ses modÖles

-

Gide, Pdguy. Joyce... -. Yann Moix en fait trop, dopd aux ndologismes gratuits et aux aphorismes pas toujours inspir6s. De l'autre, ce fou litt6raire, obsddd par la cr6ation, la mort

Touchde. Bart-Grönstein l'administrateur de clinique.l'abbd Chacoupe. un certain M. Boisde-Mort et. surtout, un 6crivain harcelant les

et la postdritd (la scatologie et les o gicldes

femmes

- par ailleurs vendeur de photoco- nommd Marc-Astolphe Oh. qui deviendra un v6ritable mentor pour Yann Moix.

choses de la rentr6e, dont on observe avec cu-

pieurs

riosit6 chaque vemre. Qui a dit un parfait sujet d'6tudes pour un colloque au futur « Centre

ce

futur « cancrelat du succös

".

..

",

aussi). signe un monstre romanesque. malade mais autrement plus fort que bien des petites

Yann-Moix

»

d'Orldans

?

Baptiste Liger

LIRE SEPTEMBRE 2013'39


t

Les choses de la vie Sylvie GERMAIN Le destin et I'apprentissage de la vie d'une fille de I'aprös-guerre. Un roman subtil et faussement simple de Sylvie Germain. l'6cole, la maitresse I'appelle Barbara mais, chez elle, c'est IJliane - enfin, T ili, plutöt. Lonqu'elle demande ä son pöre, Gabriel, la raison de ces deux prdnoms, il lui r6pond sans le moindre argument : « C'6tait une eneur. Voilä tout. » Barbara-Lili n'est « qu'une petite fille ordinaire, ni belle ni laide, ni docile ni rebelle, gratifi6e d'aucun don sp6cifique, de celles dont on n'a rien ä dire de particulier, que I'on remarque ä peine. » Une vie ausi minuscule que celle des oiseaux ou des chiens, dans IaFrance d'aprös-guene. Samöre, elle ne I'aguöreconnue qu'ä fravers des photos,celle-ciayantquittd le domicile alon que Uli 6tait encore nourrisson - elle se noiera dans la mer M6ditenande trois ans plus tard. Il est temps pour Gabriel de se remarier, et son ddvolu se portera sur Viviane, ancien mannequin de chez Jean Patou, qui s'installera ä la maison avec ses quafte enfants.

Il y a les jumelles, dont le pöre a construit une nouvelle vie en Nouvelle-Cal6donie, le petit Paul qui va s'amouracher de Dieu. Il y a aussi l'ain6e, Jeanne-Joy, qui, le soir,

lit des contes aux petits -

no

tamment l'histoire du vieux roi Bilboc Premier et Dernier du Nom « quivit seul dans son palais en ruine plant6 aumilieu de sonroyaume d6ert ». Auprös de cette nouvelle famille, Lili d6couvrira ausi certaines faces cachdes de lavie : la mort, avecle d6cös de sa grand-möre ch6rie - le premier d'une longue s6rie -, le sexe sous les traits de quelques exhibitionnistes qu'elle sumommera les « andouillards ». . . Et l'amour dans tout ga ? travail ? L'6panouissement penonnel ?

tr

Miel, ma Marie

« S'en aller, s'6loigrer, perdre de vue des proches, de corp une maisorq et de peau, de chair, de ceur un amour depuis longtemps failli, sans pour autant partir de nouveau ä la ddrive. » Qui a dit mmme tout le

monde

?

***Petifes 252

Voilä la demiöre crdation de la styliste (et redoutable femme d'affaires)

Marie Madeleine Marguerite de Montalte - appelez-la Marie tout court -, dont le narrateur est fou

Le quatriöme et dernier volet des aventures de Marie, I'h6roihe de Jean-Philippe Toussaint, entre To§o, !'ile d'Elbe et Paris. Savoureux. ean-Phili. ppe Toussaint est un homme

qui respecte I'ordre du menu. Aprös avoir liw6 une remarquable errt& (Faire l' amour),rnbn plat de rdsistance (Fuir, piu M6dicis 2005) et une exquise assiette de fromages (la Vöritö sur Marie. prix D6rembre 2009), il clöt naturellement le programme de

pö avec rme « quate saisons », mais avec un desert d'exception : N ue. U imagerie gastronomique s'impose car son cycle de Marie, non

2013

Baptiste Liger §cänes caplüabs par Sylvie Gennain,

p., Albin Michel, 19

propose dös les premiöres pages un mets all6chant : une robe de miel.

!

plu-

sieun d6cennies le destin de cette fille mmmeune autre. Une histoire simple pour un roman trös maitris6, moins banal qu'il n'en a l'air. Comme son titre l'indique , Petita Scänu caplales fonctionne par instants - ou chapites - anecdotiques, et pourtant essentiels dans le parcours de son h6roihe et de ses proches. Dans un style cristallin fuyant l'6motion top facile,la romanciöre d6cortique les zones d'ombre etf inexorable avande,paräoup, de Lili-Barbaradans le temp :

I'auteur de La Salle de bainnow

Iean-Ptrilippe TOUSSANT

4O.LIRE SEPTEMBRE

Distingu6e notamment par le prixFemina et le Gonmurt des lyc6ens, Sylvie Germain nous propose de suiwe sur

coufure t6lephone au narrateur, ä qui elle n'a quasiment pas donn6 signe de vie depuis deux mois. Obsessionnel, ce demier ressassait alors la rencontre-dont il a 6td t6moin - entre sa Dulcin6e et son hypoth6tique amant (d6c6d6), JeanChristophe de G.,lors du vemissage de l'exposition de Maie al C,ontqn-

iuroureux, avec pas grand-chose en ****/Vue par lean-Phllippe retour. Atavers cette curiosit6vespory Art Spoce de Shinagawa. C'est Toussain! 176 p., timentaire, cette amoureuse d'art de l'histoire ancienne, aprös tout. Minuit, 14,50 € contemporain « inventait la robe Aujourd'hui, elle aune (mauvaise) sans attaches, quitenait toute seule surle corp nouvelle ä annoncer ä son brave compagnon du modäle ». [a pr6entation de cet habit 16et ils se donnentrendez-vous dans un caf6 pavolutionnaire, au,§plralde To§o, aurait dr) risien : leur vieil ami Maurizio est mort et elle apporter une sorte de consdcration ä Marie. souhaite qu'il l'accompagne aux obsöques. Mais c'6tait sans compter sur quelques obsTous deux partent donc pour llle italienne, tacles juridiques el surtout sur l'impr6visibilitd oü plane une envoütante odeur de chocolat des abeilles... Aprös ces quelque vingt pages -on en revient au dessert, tiens... d'anthologie - digres de la scöne du cheval Admirable portrait de femme qui fait 6cho fou dans la Vöriti sur Marie-,Toussaintpeut aux trois pr6cedents volets, Naejoue habilefaire vraimentmmmencersonr6cit, plus sob,re ment avecles temporalit6s etles murcidences mais pas moins virtuose. Et toujours magnide la vie, et nous monfie au passage qu'il y a fiquement 6crit. Deux mois aprös leur retour de la place, dans la odation, « pour accueillir de l1le d'Elbe- qui fut le thdätre d'un grand le hasard, l'involontaire, l'inconscient, le fatal incendie -, la grande prötresse de la haute et le fortuit ». Comme en pätisserie. B.L.


.t

sentiment, de l'6motron, de la psychologie. Elle aligne des faits qui ne se cachent plus derriöre ce fameux u indiscible » mis ä toutes les sauces En ex-gymnaste adepte du geste sür, elle impose le concret par I'exemple. Quand elle se regarde devant sa glace, la narratrice est bien en peine de se voir telle qu'elle est, tant elle existe ä traven les autres. amies. compagnon, enfant. Puis vient cet instant oü son corps et sa t6te u se rejoignent, aprds une Il lui faudra quarante longue s6paration ". ans pour comprendre et r6unir les deux.

A bras-le-

corp§ Brigltte GIRAIID

Avoir un corps est un roman d'une dnergie enthousiasmante. 6crit dans une conscience du mouvement, de la vitesse avec laquelle tout passe et s'oublie. Travailler avec la cho-

En suivant les 6tapes physiques qui rythment la vie d'une femme, la romanciöre sonde avec brio et vivacit6 la construction et la conscience de la relation ä soi et aux autres. n avait quittd Brigitte Giraud dans la peau d'un

homme,le

nanateur de Pas d' alquütudz. Un pöre qui faisait face ä la maladie de son fils et prenait un long congd pour rester ä ses cÖtds. [,a romanciöre y dvoquait une vie de famille soudain

pdtrifi6e, la mauvaise conscience parentale, la peur et la solidarit6 devant le malheur. Auparavant, elle avait diss6qud le sentiment amoureux et son contraire dans un recueil de nouvelles au titre narquois, L'amour est trös surestimö.

Avoir un mrps, ffitau f6minin et ä la premiöre personne, ddbute par un souvenir de la petite enfance, quand une fiÖvre de cheval s'abat sur la narratrice, atteinte de scarlatine. « Au commencement, je ne sais pas que j'ai

un corps. Que mon corps et moi on ne se quitterajamais. Je ne sais pas que je suis une fille et je ne vois pas le rapport entre les deux

»,

6oitclle

dans les pre-

miöres pages. Que signifie n ötre un garEon manqu6 » quand on pr6ft re mnfectionner des armes avec un bäton etjouer en short plutöt qu'en robe ? C-omment accepter de grandir, de se transformer et de ne plus faire ce qu'on aimait par crainte de choquer, par maladresse, timiditd ou ddsir de s6duire ? La conscience de soi ne vient-elle pas

d'abord des autres ? De la möre en premier lieu, celle qui vous habille en fille et parle de vous comme d'un objet qui doit s'am6liorer : =

« Qcommenceavecuneparole de ma möre. Ddsignant le sandwich que je viens de

=

me confectionner avec une

o

dpaisse couche de beurre, elle espöre que

tout qa".

je

Cette phrase de ma möre, sa mise en garde brutale me signifie que je peux d6cider, je peux maitriser cette matiÖre-lä. C'est le jour oü mon corps ne vais pas "manger

.

.

existe... » Adolescence, premiers ddsirs, baisers, sexualitd, avortement vie de muple, matemit6,

sdparation, Brigitte Giraud met en route un grand kaldidoscope sans paraitre y glisser du

Au d6part, je ne sais pas que je suis une fille

rdgraphe Bernadette Gaillard pour composer une « lecture dansde , a aid6 Brigitte Giraud ä trouver la trame, le rythme pour parler des

mdtamorphoses et, ä travers lui, du temps qui pase. En reprenant le chemin ä l'endroit, elle 6voque les souvenirs comme des strates. La moustache naissante d'un garqon qui ne vous plait pas mais que vous embrassez par

bravade, le camouflage des 6pais fonds de teint sur les boutons d'acn6. le premier repas partag6 avec l'homme qu'on aime dans un appartement qui sent encore la peinture fraiche... Elle demande :u ä quoi tient le d6sir ? » et 16pond par des gestes, une musique, une promenade. En narrant l'expdrience de l'instant, Brigitte Giraud nous fait cadeau de sa mdmoire. Son hdroihe ignore ce que nous savons d6jä et notre lecture est en avance d'une histoire vdcue et univenelle. Mais elle ne cherche pas ä tout intellectualiser tant son livre,

son 6criture et les faits 6voqu6s semblent instinctifs. Elle dit mÖme « archarques ». L'6criture, sobre et directe, se construit en phrases courtes, mdlodiques et d'une 6nergie

souvent rageuse.

Loin du Journal d'un corps de Daniel Pennac, celui de Brigitte Giraud s'arröte ä mi-

vie, quand I'exp6rience de la quarantaine travers6e par le deuil lui apprend une autre concentration, un nouveau ddsir pour oser

repartir. Pourtant, les deux 6crivains

se

retrouvent devant ces surprises infinies que le corps r6serve aux humains : dtemel enfant d6concert6 chez Pennac, femme concentr6e chez Brigitte Giraud. Une fapn pour elle de prendre la vie « ä brasJe-corps » : encore une expression qui suggöre l'6nergie et les pul-

sations de l'existence. Avoir un corps est donc un hymne ä la vie, mais aussi ä la m6moire, la sienne et la nötre. Christine Ferniot

**

* Avoh un corps par Brigitte Giraud, 240 p., Stock, 18,50 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.41


> NOS CHOTX d'oü il extrait d'abord un chäteau Margaux 2005, a quant ä elle de beaux restes. Aur6lien pense ä Duras, relit Perros. Peu ä peu, il comprend qu'il est d'ici. L'dmissaire de l'agent immobilier s'avöre ne pas

paraitre, il dewait en assurer la promotion mais y rechigne, tant il n'en

Etat des lieux

est pas satisfait. «

Auröle

» se

remet

sdparation avecJunon qui voulait un enfant de lui, enfant qu'il mal de

sa

n'a pas rdussi a eu seule.

tunaud CAII{RIHH

ll

ä

lui donner et qu'elle

ötre un inconnu.

va avoir une occasion

D6sormais mari6, pöre de famille et engoncd dans un costume le ne retrouve mal ajust6, Henri Mallet 6tait I'un petsonne par funaud de ses meilleurs ennemis d'alors. service. Du temps oü il se sentait dcrasd au Leurs parents pharmaciens ont ---Cat!ri1e,. 228 p" Verticales' quotidien, domin6, trop fr0le et depuis longtempr qritt6 tu No.rnuntrop fragile... die pour s'installer ä Nice et y prenEcrivain subtil, juste et 6l6gant, Arnaud dre leur retraite. Voici venu le temps vendre la maison de Villarville oü ils ne pas- Cathrine ne hausse jamais le ton, prdfdrant de prendre la tangente. Cyrille, son

Venu vendre la maison de ses parents, Aur6lien se retrouve

seulface ä lui-möme. Une petite musique m6lancolique. n pourrait avancerde-/e ne retrouve /\ pioorrn.lesuperbe nouveau roman il | \-/ d'Arnaud Cathrine. qu'il est un peu le pendant des llsl?res de son contemporain

Olivier Adam. Sauf qu'ici le moteur n'est pas la colöre mais la m6lancolie. Une mdlancolie douce et enveloppante, qui tend vers la lumiöre. h6ros et narrateur desYeux secs (Verticales 1998, repris en J'ai lu), Aur6lien Delamare, est un romancier comptant six titres ä son actif. demier en date vient de

[r

[r

***

fröre ain6 de trois ans, un documentariste « coinc6 », lui demande un

de

enfants ddmarre

sent plus qu'un mois l'616 et oü leurs

le murmure et le chuchotement aux grandes

effusions. Ce qui ne l'empöche nullement l'arriöre-saison,Aurdlienreprenddoncleche- d'aller ä l'essentiel. De sonder les fOlures min de son village natal, toujours aussi ddsert d'un homme qui a besoin de faire le point, de s'incarner enfin vraiment. Il flotte dans le lundi. Il retrouve une « villa » en front de mer les pages de "Ie ne retrouve personne une peavec son odeur d'humidit6, ses vieux livres, tite musique particuliörement vibrante. De celles qui vous dmeuvent et vous accompases VHS et une chaudiöre en panne en ne viennent plus guöre. Alors que

ce

mois d'octobre. Heureusement que la

cave,

gnent longtemps.

Alexandre Fillon

Raison hantee Hölöne FRRPP4"[ Entre fiction fantastique et röcit psychiatrique, I'auteur r6ussit un roman vertigineux autour d'une curieuse maladie : la chor6e de Huntington. ? vez-vous d6jä entendu parler de la n chorde de Huntin$on " Selon les encyclopddies mddicales, il s'agit d'n une maladie rare qui se ddclenche entre trente et quarante-cinq ans. Son expression est trös variable. Elle asocie des troubles du comportement (agressivit6, anxi6t6, d6pression), des troubles moteurs (maladresse,

mouvements involontaires, troubles de l'6quilibre) et des troubles cognitifs (pertes de m6moire, trouble de la concentration). L'6volution aboutit ä une perte d'autonomie, puis au ddcös. Il n'existe pas de traitement curatif ». Ces quelques phrases n'ont rien de rassurant pour Laura Kem, dont le pöre est d6c6dd de ce mal, hdrdditaire, qui se traduit « par une schizophrdnie et des hallucinations ». D'ailleurs, cette jeune femme rousse - obs6d6e par un r0ve qui se prolonge de jour en jour - sait qu'elle a une chance sur deux de ddvelopper la choree de Huntington, tout mmme sa seur cadette Elaine... Employde dans une agence immobiliöre du « Triangle d'or » parisien, Laura a une liaison avec « le Patron », qui retourne le soir auprös de son dpouse

alors que la malheureuse amante se cantonne ä son petit chez-soi, avec son brave chat t od. t on de la visite d'un appartement, elle asiste soudain ä la disparition (au sens strict) d'un enfant, ä la stupdfaction de ses parents. Le petit temps »

Arthur at-il

« 6td englouti par une faille du

Comment expliquer un mystdrieux incendie ? Qui est donc cet etfrayant R6gisseur qui n ranime des ämes malades , ? Et quel est le secret de la maison baptis6e Luna ? Entre Paris et la petite bourgade bretonne de Kardec en passant par la Normandie ou n les falaises venteuses du pays de Galles r, ?

42.LIRE

SEPTEMBRE 2013

Hdlöne Frappat,dans Lady Hu,4r, nous entraine en plein ccur des tourments int6rieurs de sa narratrice. Berc6 par les vers d'Alfred Tennyson et de nombreuses r6f6rences cindphiliques (Hitchcock, Lang, Lynch, Nakata...), cepuzzleromanesque passe, par petites touches, de la fiction fantastique ä l'anglo-saxonne au rdcit psychiatrique-. trs pistes, symboles ou indices se superposent et, au fur et ä mesure, H6löne Frappat rend son intrigue de plus en plus vertigineuse

et fascinante. Jusqu'ä rendre hypocondriaque son lecteur le plus 16ticent. Toujours se m6fier de la « chor6e », toujours.. .

o

Baptiste Liger *Lady Hunt a d'ailleurs 6t6 dcrit avec la participation du service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent de l'höpital Avicenne de Bobigny.

***Lady

Hunt par H6löne Frappat,320p., Actes Sud, 20€

o

=


.a

1

t

LaRu6e Yers

l

l'Ormuz Jean ROLIN A partir de l'improbable odyss6e d'un individu voulant traverser le d6troit d'Ormuz ä !a nage, Jean Rolin brosse un portrait subti! et

malin d'une r6gion sous tension, obiet de toutes les convoitises.

se

site par ce bras de mer entre

l'Iran,le sultanat

d'Oman et les Emirats arabes unis. En 2012,Ia tension est croissante,les 6missaires de Mahmoud Ahmadinejad

« mOme une mouche qui vole au-dessus de la mer, notre arm6e la voit et peut la d6truire quand elle veut ». Ce qui n'est pas forcement rassurant pour l'entreprise de ce satand Wax qui prdtend

d6tenir de quoi bloquer le d6troit

q ä o

affirmant

-

ä qui veut l'entendre « avoir reEu autrefois i

une formation de nageur de combat, une as-

typiques certaines chaines bon marchd dont les avantages, « outre leurs tarifs mod6r6s, dtaient de pr6senter oü que ce soit dans le monde un aspect remarquablement uniforme

(usque dans le choix des nourritures m6diocres proposdes en libre-service pour le petit

?

du Ravßsement de Britney Spears,Jean Rolin explore ä sa maniöre, trös personnelie, une partie du monde dont il montre l'6volution, la sociologie et I'importance sftat6gique ätraven les d6tails et les anecdotes, sans jamais tomber dans l'essai didactique. Et dans un style

qui pounait sembler tortueux, mais qui reste pourtant limpide. Comme toujours chez I'auteur de La Clöare etde

tance initiale. Entre l'ile d'Hormoz, l'ile de Oeshm et l'ile de Larak, le d6cor a certes de quoifasciner,en raisonde son immensitd mais aussi de ses reflets inouis - « une 6tendue

-

geur, le narrateurprdftre äces 6tablissements

Aprös la vir6e am6ricaine

Persique ? C'est en tous les cas le pari, saugrenu, d'un ddnommd Wax. Pas un modöle d'dquilibre et de pond6ration,l'animal. Et sa sant6 n'est pas forc6ment ä son meilleur, ce projet paraissant m6me « incompatible avec son äge et sa condition physique ». Mais le bougre, obrstin6, ytient coüte que coüte möme si,infine,lnecouwe qu'une partie de la dis-

(tel le porte-avions USS Abraham Lincoln notre brave fr6gate antiadrienne Cassardtait päle figure ä cöt6...) ne sont jamais loin, tout comme les supertankers. L'explication est sorffne toute assez simple : prös de 30 % de la production mondiale d'hydrocarbures tran-

oublier un bref roman de Joseph Conrad, Au boutdurouleaa... S'il est dgalement voya-

Wax

ddtroit d'Ormuz, en plein cceur du golfe

convoitises et d'enjeux g6opolitiques. lrs navires de guerre amdricains auxnoms6clatants

d'hötel

de son ami, pour faire l'inventaire de ses affaires-vötements, trousse de toilette, grigris, cartes et plans, cartouche de cigarettes, sans

on vraiment, ici ? Et qu'est-il arriv6 ä

lancer dans une traver-

sde ä la nage du

d'eau apparemment sans limite, dont la coloration varie depuis le blanc laiteux, lä oü la mer se brise, au pied de la falaise, jusqu'au vif-argent lä oü elle disparait, ä l'horizon, ou se fond, plutöt qu'elle ne disparait, dans une brume scintillante due ä l'dvaporation, aux particules de sable en suspension dans l'air ou ä Dieu sait quoi d'autre ». Il faut dire que cette r6gion du monde est l'objet de bien des

sur l'ile d'Hengham dans la chambre

d6jeuner), uniformitd qui ddveloppe chez moi le sentiment rassurant d'Ötre nulle part, ou d'ötre n'importe oü ». Mais oü est-

'6tait, pardonnez l'expression, une id6e ä la con. Pourquoi en effet

l6mie ä l'heure oü il se lance dans ce r6cit »... Mais soudain, il disparait, et le nanateur, qui a suivi et coorganisd cette enffeprise, d6barque

passe par des

L'Organßation,cela

por-

traits hauts en couleur-colonels, amiraux, chauffeurs de taxi... -, de nom« le plus gros breux animaux

-

crocodile d'Iran ,, des chiens errants (appel6s lä-bas des * wadi dogs ,) ou des go6lands de Hemprich et quelques scönes complötement folles.

-

rf

Une ressemblance entre Ahmadineiad et Robert De Niro P sertion inv6rifiable, comme presque tout ce qui conceme son passd ». Jusqu'oü ce mythomane dit-il la v6rit6 dans son mensonge ? Difficile ä dire.Il affirme ainsi avoirservi, durant la guerre entre I'Iran et l'Irak pendant les ann6es 1980, ä bord d'un cargo naviguant dans le Golfe, qui s'6tait fait attaquer ä la mitrailleuse et au lance-grenades. Parfois, c'est en « qualitd de radio » ;parfois,Waxraconte qu'il 6tait maitre d'hötel - « cela ddpend de son interlocuteur, et de son niveau d'alcoo-

On retiendra notamment une rencontre entre Wax et un ministre de la Ddfense, avec lequel le nageur croit avoir 6changd « des coups de manche de pioche ou de pied de chaise,jadis, lorsqu'ils dtaient jeunes l'un et l'autre et militaient dans des groupes extrdmistes d'obddiences opposdes r. Sans oublier des digressions ou remarques farfelues qui donnent ä ce r6cit en forme de fiction (ou l'inverse) tout son charme, sa subtilit6, son piquant. Tiens, aviezvous remarqu6 que, lorsqu'il porte des lunettes, Ahmadineiad « prdsente avec Robert

De Niro une ressemblance peut-Ötre discu-

table, mais suffisante

ä

son avis pourpermettre au

second de jouer le röle du premier dans un biopic qui lui serait consacrd » ? B.L.

***Ormuzpar lean Rolin, 220 p., P.O.L, 16 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.43


> NOS CHOTX

016 ceurs David FAUQUEMBERG Avec lyrisme, David Fauquemberg ressuscite la magie et la dÖtresse des nuits andalouses.

T\ I L-,

liwe. David Fauquemberg poursuit sa route aux des damn6s de cette terre, de ces hommes r0ches

e livre en

fcöt6s

mais sensibles, fracassds par une vie trop dure pour eux. Aprös les coups et les bosses des boxeurs cubains dans Maltiempo, le voici plongd cette fois dans un univers de braises et de mots : celui des chanteurs de flamenco,cesvagarnundos dternels grandis au sein de l'äme gitane. Le narrateur de ce nouveau roman est Melchior de la Pefra, un dröle de petit mage qui suivra sa bonne 6toile jusque dans les alldes poussi6reuses de Santiago, ce barrio au-delä des murailles de Jerez. Melchior l'Espagnol abeat ötre payo, 6tranger au monde manouche, il sera vite adopt6 au sein des veilldes avin6es de la rue du Sang, qu'il fr6quente avec son ami Manuel, dit « el Negro » en raison de « sa peau d'un brun foncd ,. Personnage solaire, dot6 d'une voix « ä fissurer les murs ,, Manuel deviendra bientöt la fiert6 des Gitans, ensorcelant de son chant les publics du monde entier. Lui-möme 6lev6 au rang de tocaor, grtitariste flamenco, Melchior passera dös lors sa vie dans l'ombre de ce Grand Meaulnes andalou,6pris de libert6, d'amour et d'aventures. Une vie de bohöme et de bamboche qui finira par mettre en pdril leur amiti6, d6jä 6prouv6e par l'apparition de la sauvage Rocio, renversante beautd au « port altier d'une reine d'Egypte »... C'est ce mundillo de ldgendes et de superstitions, d'outrance et de drames que ressuscite David Fauquemberg au fil de Manuel El Negro. Dans une langue typiquement flamenca, qui 6pouse le

lleni#r.

Dans un village africain, douze hommes se sont volatilis6s myst6rieusement. Un livre sur Ia m6moire de I'esclavage.

au

armi certaines populations d'Afrique

occidentae de

se serait

conservd un 6cho

htraite transatlantique qui. duXV"

XD(" siöcle, a arrach6 au mntinent africain

onze ä treize millions d'hommes. Qu'il subrsiste « un patrimoine oral », c'est ce que, aux der-

niöres pages de I a Saßon de I'ombre,r€vdle lfonora Miano. En t6te de ses remerciements, elle dit en effet sa dette ä l'endroit de Lucie-

Mami Noor Nkak6. Car, avant de d6cdder ä Yaound6 le 17 d6cembre 2006, la möre de la chanteuse franm<amerounaise Sandra Nkak6 n'avait pas seulement bataill6 pour les droits des enfants et des femmes. Mandat6e par l'Unesco, Lucie-Mami Noor Nkakd a l6gu6

44.tlRE

ä savourer au son des mdlopdes de Terremoto de Jerez ou de Paco

de Lucia.

***Manuel

Julien Bisson El lVegro par David Fauquemberg,368 p., Fayard, 20

des fils disparus

Lfornora MIANO

§ Iz I

mouvement heurtd et les sonoritds lancinantes des nuits ib6riques, I'autew de Nullarbor signe une 6pop6e fidweuse, faite de gloire, de d6chdance et de r6demption. Un conte aux accents podtiques, qui sonne comme un hommage appuyd ä ces hommes et ces femmes qui n'ont rien d'autre ä opposer au destin que leur son ante etleür nom. Rien d'autre que ces chants qui percent l'äme, et ces refrains qui secouent le corps. « La vie sans rythme est un plat fade », rappelle le romancier entre deux soleris. Sa propre maitrise ducompds est la promesse d'un festin littdraire,

SEPTEMBRE 2013

de leurs enfants, ne contamine tout le village, la premiöre dpouse duguide spirituel a obtenu

de son chef. Mukano. leur mise en quaran-

taine. Reste que son autorit6 est en jeu. fruits de I'enquöte r6alis6e dix ans plus töt au sud du B6nin dans un rapport intitul6 La Mömoire de la capture. A l'exemple de L'Intörieur de la nuit, l'a fait ddcouwir et reconnaitre en 2005 (notamment par le jury du prix louis-Guilloux), It'onora Mianopounuit ses variations autour de ses leitmotivs : möres et enfants, empire des ooyances (mal6diction, impuret6...), port6e des rituels, salut de la communautd paye du sacrifice de quelques-uns, etc. L'action se ddroule comme toujours dans quelque pays imaginaire d'Afrique subsaharienne. La Salson de I'ombre ddbute par un effarement : au lendemain de l'incendie qui a ravag6 leur village,les Mulango d6couwent que dix jeunes garEons et deux hommes mürs, dont le « ministre des Cultes », n'ont pas rdapparu. L'6nigme est entiöre. Tous sont ddpassds par l'6v6nement. Redoutant que le chagrin des dix möres respectives, lesquelles ne sont ni en 6tat de deuil ni en 6tat de s'expliquer le sort les

qi

Mukano doit diriger I'expddition chargde de retrouver les disparus alors que, par ailleun, son fröre jaloux, Mutango, ne songe qu'ä tirer parti de la situation dans l'espoir de le renverser. N'entretient-il pas une relation privil6gi6e avec leurs voisins, lui qui commerce avec les Bwele ? Il s'av6rera que ces demiers sont les premiers maillons de la capture, relay6s parles Cötiers,les Isedu,pourle compte des dtrangers venus du Pongo (du Nord). Progressivement, L6onora Miano d6voile les circonstances du drame. On devine qu'elle a longemps fouilldl'ombre avant, au contact de leurs ämes, pouvoir rendre au jour ses personnages. Pour sauver les ancötres, de chair et d'os ceux-lä, du d6finitif oubli. Philippe Delaroche o o 2

**La

Saison de l'ombre

par L6nnora Miano, 240 p., Grasset, 18 €

@

I


du roi de France, Frangois Villon doit

Ilchronique

Villon Les tribulations du poÖte franqais, mandat6 par le roi de France

auprös d'un imprimeur allemand. Un voyage 6pique commence alors pour le plus grand plaisir des amateurs d'aventures Örudites'

Haedens dans son indispensable Histoire de la littörarure frangaße (Les Cahiers rouges, Grasset), le « seul cambrioleur professionnel qui aitl6gu6 une grande auwe ä la litterature franEaise ,. En 1 462,d1'äge de31 ans, aprös

avoir r6ussi « de fructueux coups de main, des escalades de mauvais aloi », nous dit encore Kl6ber Haedens, FranEois Villon est arröt6, tortur6, condamn6 ä 0tre pendu et 6trangl6. Un an plus tard, le parlement casse le jugement et le bannit de Paris. Le poöte alors

«

s'6carte du monde ä pas

de velours ,, pour reprendre Nul les mots de Haendens. " ne sait ce qu'il advint de lui par la suite ,, rappelle en pr6ambule Raphaöl Jerusalmy qui en

fait le h6ros de La Confrärie des chasseurs de livres.

Un fort roman d'aventures emballant, plein d'6nergie, de malice, d'insolence et d'6ru-

dition, qui s'ouvre lorsque « Franqois », vötu de haillons, croupit au cachot. Cachot oü il reEoit la visite de l'6vöque de Paris, Guillaume Chartier, pr6lat envoy6 par le roi Louis XI, l,ouis le Prudent. Celui-ci a un pacte ä proposer au rebelle qui a horreur des p6dants et des pr6cieux. Une solution id6ale afin de lui permettre d'6chapper ä la potence. Chartier a be-

soin des services du gredin doubld d'un fin lettr6. A Villon il explique que le Saint-Siöge

a montd des embuscades, s'est cach6 dans la foröt quand la mar6chauss6e 6tait ä

quel il

leurs trousses.

lr

poÖte et son camarade, « ronchonneur

qui jouit de sa constante mauvaise hu-

Raphaäl JERUSALMY

I n'est rien de moins que Ie premier poöte des temps modernes. G6nie solitaire, buveur de vin et ami des filles, I'auteur dela Ballade des pendus et dela Ballade des dames du temps jadis est, comme le rappelle Kl6ber

convaincre le vieil orfövre et imprimeur allemand de mettre ses presses au service de la France pour mieux combattre la censure et faciliter la circulation des id6es progressistes rdprouvdes par Rome. Une fois habilld de neuf, il ne va pas partir seul, mais flanqud de son ami Colin de Cayeux. Un solide brigand de la bande des Coquillards avec le-

veut interdire la publication de La Röpublique dePlatondont il lui montre un exemplaire sorti des presses d'un certain Johann Fust, imprimeur ä Mayence, exemplaire qui se vend sous le manteau. La cour se demande pourquoi Fust s'obstine ä publier ce genre d'ouvrages au risque

meur », se rendent d'abord ä G0nes. Une ville « toute de bruit et de fiöwe, oü ils doivent recevoir de nouvelles instructions. Avant de faire route vers la Terre sainte dont les maitres actuels sont mamelouks, n anciens mercenaires et esclaves venus d'Egypte, tout comme les H6breux »... L'auteur de ce voyage dpique que I'on d6vore d'un bout ä l'autre n'est pas un inconnu. Vrai personnage de roman, RaphaÖl Jerusalmy s'est fait connaitre en 2072. I-onque Actes Sud a publid son coup d'essai

de subir les foudres de I'Inquisition. Mandatd par Chartier qui en fait un 6missaire

remarqu6 : Sauvez Mozart (repris en Babel), histoire d'un attentat musical au style trÖs diff6rent de La Confrörie des chasseurs de livres.Le bonhomme a un parcours hors

Nul ne sait ce gu'il advint deVillon,

norme. Pour faire plaisir ä ses parents, il commence par obtenir son diplöme de

banni de Paris

l'Ecole normale sup6rieure, tout en passant ses nuits au Palace, oü il s'abreuve de culture punk, fraye avec la scöne post-sun6aliste et dadar'ste. Aprös Ea, le voici qui d6cide d'approcher son röve ä lui : o Allerjouer au cowboy dans le d6sert du N6guev. » Il entre pour cela dans l'arm6e isra6lienne, mais trös vite bifurque du pur n militaire » vers le u renseignement

militaire

».

Raphaöl Jerusalmy dit qu'il ne lui a pas 6t6 difficile de s'identifier aux Coquillards auxquels appartenait Villon, aprös avoir luim€me pass6 quinze anndes dans les services de renseignement de Tsahal. Colonel, il y a

6t6 I'un des deux agents de I'armde en contact avec tous les Arabes de la r6gion. Aprös avoir pris sa retraite de l'arm6e, il a men6 des actions ä caractöre humanitaire et 6ducatif. Aujourd'hui, il vit ä Tel-Aviv oü il est un marchand de liwes anciens ayant ddvelopp6 un tropisme affirmd pour les 6di-

tions rares illustr6es par les surr6alistes. Et surtout un romancier, ä la large palette, qui prend ä chaque fois un malin plaisir ä essayer de faire basculer le cours de I'Histoire.

c I'

Alexandre Fillon

**La

Confrörie des chasseurs

de livres par Raphaäl Jerusalmy' 316p., Actes Sud, 21

LIRE SEPTEMBRE 2013 .45


> NOS CHOIX

Ma fille

d'Afrique Olivier POIVRE D'APYOP ceur ouvert, le diplomate

A

confie son bonheur d'ätre pöre et livre ses röflexions sur l'adoption et la stÖrilitö.

7-1 livier Poivre d'Arvor se souvient. I ffoutA'aborddecevoyagedul8juin Ur 20l I sur le vol Cotonou-Paris par lequel il ramenait enfin chez lui sa fille, Amaal, adoptde aprös un long parcours d'obstacles administratifs. De son dmotion ensuite : « On chemine vers l'enfant,6critil. Adopter, c'est choisir, aller vers, faire sien. » Des raisons enfin qui l'ont conduit ä faire ce choix d'aller chercher une petite musulmane, probablement peule par son pöre, qui ne l'a pas reconnue. Une enfant noire,

n6ele24 avril2002 au Togo, dont le pr6nom Amaal signifie en arabe « L'espoir ». « Je dois beaucoup ä l'Afrique », explique l'auteur, diplomate et sp6cialiste des 6changes culturels internationaux. Cette Afrique dont il parle, c'est « celle qui donne,

c'est l'Afrique dont le ventre, si f6cond, et le ccur, si ouvert, et la m6moire, si durablement fidöle, permettent, aujourd'hui encore,

**Le oü

jour j'ai rencontrö ma fille par Olivier

de spermatozoides mal form6s ou morts ». Ce sentiment de vide,l'auteur le raconte au ddtour de souvenirs li6s ä I'enfance, ä la mort de sa möre, ä ses relations avec des femmes qu'il a beaucoup aimdes, ä son attachement ä son fröre Patrick, sorte de jumeau malgrd dix ans d'öcart.

Mais, au-delä, Olivier Poivre d'Arvor, en vdritable dcrivain, ex-

Poivre d'Arvor, pose sa vision du monde en ques264 p., d'exceptionnelles rencontres Et tionnant le rdel par l'interm6diaire ". Grasset, 18 € d'ajouter :« Toute notre misdrable notamment de quelques grands penexistence devrait ötre consacrde au devenir seun qui I'ont aid6 ä viwe. Se sentant hdritier des enfants d'Afrique ! » A ce cri du ceur de Nietzsche, ayant 6prouv6 une grande passion intellectuelle pour les textes de s'ajoute une longue confession, terriblement 6mouvante, oü, sans voyeurisme, Olivier Kierkegaard, s'interrogeant par leur interPoivre d'Arvor dvoque - chose que ne font mddiaire sur la question de la procr6ation, pas souvent les hornmes - sa propre st6rilit6. il cite aussi Milan Kundera expliquant « qu'au Mentionnant tous les ddtails scientifiques, d6but de tant de mythes anciens, il y a il indique comment les mddecins ont conclu quelqu'un qui sauve un enfant abandonn6 ,. Il montre par lä combien, loin de l'exercice dans son cas ä une « oligoasth6nospermie marqude ». C'est-ä-dire ä « un nombre ind'auto-apitoiement que l'on aurait pu crainsuffisant de spermatozoides ayant une modre, son liwe est d'abord le chant d'amour d'un pöre pour sa fille. Jean-R6mi Barland bilitd ddterminde, et un nombre majoritaire

LaPassante du sans sushi Amölie NOTH0MB Elle revient sur les lieux de son enfance au Japon, et revoit quelques personnes aim6es. Un r6cit pudique et m6lancolique.

T rI

/

eproblöme,aveclemot« amour »,c'estqu'ilpeutaussibien serattacheräunepassionpourunindividuquepourunplat, un animal, une ceuvre ou un lieu. Ainsi, Amdlie Nothomb et vdritable histoire d'amour, au sens sffict, avec tous

le Japon, c'est une

petite enfance, arrachement, deuil, nostalgie, nouvelle rencontre ä l'äge de vingt ans, intrigue, liaison passionnde, ddcouverte, p6rip6ties, ambiguitds, alliance, fuite, pardon, sdquelles. » Problöme : « Quand une histoire est ä ce point r6ussie, on redoute de ne pas ötre ä la hauteur pour la suite. J'ai peur des retrouvailles. Je les crains autant que je les ddsire. » De plus, les amours s'avörent parfois entremöldes et ceux qui ontfu Ni d'Eve ni d'Adam connaissent la relation paradoxale entre la romanciöre belge et Rinri, le « fiance dconduit » de ses vingt ans pour La Nostalgie lequel, au fond, elle n'6prouvait « ni amour, ni amiti6 », mais heureuse « un genre de fraternit6 intense »... Le temps a pass6, Amdlie par Amölie Nothomb, Nothomb est devenue l'6crivain-star que I'on connait. Et, en 154 p., 2012, ä l'occasion de la traduction de Sfiqeur ettremblemenß ses ingrddients : « rencontre 6blouie lors de la

***

Au-delä des retrouvailles avec des personnes ch6ries

-

elle n'6tait pas revenue depuis ddcembre 1996 -, La Nostalgie heureuse est l'occasion pour l'auteur de revoir des

lieux et, plus pr6cis6ment, des cit6s qu'elle a connues : Tokyo, Kyoto, Kobe ou Shukugawa - le village de ses cinq premiöres ann6es devenu une « banlieue chic », möme si elle mnstate, comme une maniöre de se rattacher ä sa jeuAlbin Michel, (par une hötesse de l'air !), une 6quipe de t6l6vision lui propose nesse, que « les caniveaux et les 6gouts n'ont pas chang6 ,. 16,50 € de retourner sur les terres de son enfance japonaise. Elle [,oin de ses fables ä l'humour noir (on rit tout de möme, lon arcepte, se pr6parant ddjä ä revoir- non sans une certaine dmotion de certaines scönes), Amdlie Nothomb d6voile une m6lancolie - tout Rinri, mais aussi Nishio-san, sa nounou devenue une trös vieille en subtilit6 et loin d'un quelconque « c'6tait mieux avant », qu'on ne dame qui se souvient bien d'elle, mais a d6jä oubli6 la trag6die lui connaissait pas forcdment -, mise en lumiöre par une dcriture s'est ddroul6e ä simple et lumineuse. Qui a dit « ä la japonaise , Baptiste Liger

Fukushima.

46.LIRE

SEPTEMBRE 2013

qui

?

5

z o =


Place des grands

fantöme aux grosses niains qui fait bouger les tables pour dcouter les esprits. Il aime les enfants comme on d6vore un bon repas, ddtruit ceux qu'il affectionne par sa seule prdsence.

Il veut du monde autour de lui, des bambins

hommes

qui jouent, des maitresses qui l'admirent. Mais ce faux grand-pöre n'est mÖme pas capable d'entendre lapeur des tout-petis qui imaginent des leurres pour lui 6chapper. La politique, la podsie, il manquait la guerre, la waie. Churchill complöte ce tableau de

Hugo BORIS

sauvages. Rien ne doit lui r6sister, pas plus Hitler qu'une locomotive qui vient de d6railler. Il a un frisson de gaiet6 en pensant au

Trois figures ogresques par leur avidit6, leur rapport au monde et leur puissance - Danton, Victor Hugo et Churchill - auxquelles

!'auteur s'attache dans cette ode ä la rage po6tique. nfants bagarreurs et

brisetoutimpdrieux,

combat comme ä un jeu ddlicieux. L'Anglais ne connait pas le mot n capitulation ,: les armes sifflent,les hommes tombent, mais les balles l'dvitent touioun. Trop vite, il connaiffa la nostalgie de la victoire sur l'ennemi, lennui profond de la paix retrouv6e et la soli-

Danton, Hugo, Churchill ne sontque plaies

tude mdlancolique des lendemains qui dorment. Pestant, riant, bouffant, hurlant,

et bosses. Mal n6s ou

mal aimds, bousculds et avides de reconnaissance, ils poussent au mi-

trois hommes restent obstindment debout, comme la sculpture parisienne

ces

lieu du chiendent plus que de la dentelle. Mais ce n'est pas l'aspndtrie,

de Danton que les Alle-

le d6s6quilibre, qui int6resse Hugo Boris chez ces Trois grands fauves, plutöt leur maniöre de ddvorer le monde pour y creuser leur place et s'y tenirbien droit. Ces hommes

mands ne ddtruiront pas, möme s'ils voulaient en 16cupdrer le bronze. Hugo Boris a recompos6 sa u place des grands hommes ». En 2010, il nous emmenait en apesanteur avec des cosmonautes qui allaient tenter I'experience du

lui

en imposent avec leur cöt6 tromPela-mort,leurs exGs cultiv6s trös töt,

leun visages ddformds par I'absence de mesure. Pour son quatriöme roman, Hugo Boris refise une fois en-

vide et de la solitude infnie. Le voilä qui redescend sur

core I'autoroute de la fiction contemporaine. Il n'aime pas se placer sur

terre et l'empoigne vigoureusement. A 33 ans, cejeu-

une ligre droite, pr6före allerfureter

ailleun et tenter d'auües exp6riences

littdraires : fausse histoire d'amour daas Le Baiser darc lanuque,pseudo-polu polir La D ölögatbn nowögimne,rlcit d'aventure pour clausftophobes avecJe n'ai pas dansö

depuis longtemps.

Ni fiction, ni biographie, ni essai, Irols grands fauves est encore un d6tournement, un triptyque de monstres magnifiques, de b6tes de scöne qui rÖvaient qu'on les aime

pour ce qu'ils n'dtaient pas. L'auteur ne cherche pas forcement ä les lierentre eux mais ä comprendre comment ils ont r6ussi ä domp-

ter la mort ou la regarder en face. « N'oublie monfier ma t6te

pas surtout, n'oublie pas de

o

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o e

= o I

aupeuple, elle estbonne ävoir r, hurle Danton avant de basculer sur la planche. C'est lui qui ouwe le bal. Unr6volutionnaire coutur6, rugisant et avide. Gt homme-lä est un taureau, sdduisant les femmes les plus belles en ddpit d'un visage en lambeaux, forgant l'attention

par une incurable aviditd ä paraitre. Hugo

Comment ont-ils r6ussi ä dompter la mort p Boris fait bien ronfler son 6loquence' Les pages qui lui sont consacr6es exhalent une odeur de sang et d'6meutes. La folie gronde mmme la langue du tibun qui pense dompter le monde jusqu'ä l'heure de sa ddcapitation. On crache sur lui, il continue de haranguer la foule. On le conspue, il röve d'un bon repas arrosd avant de passer sous la lame. Aprös lui, voici Victor Hugo, un mangeur de temps comme de pages noircies. Castrateur, b6te repue qui terrifie ses femmes et ses filles, le poöte est un ogre qui sourit dans sa barbe, un

ne dcrivain ne cherche pas seulement ä surprendre en changeant de registre, il tape du poing sur la table et part en quöte de nouveaux frisons. Son livre est 6crit avec une rage po6tique de tribun. Il est enthousiasmant et ne glisse jamais vers la docu-

mentation ffop parfaite. On sent bien qu'il ne s'est pas lance dans l'entreprise sans biscuit. De plus, les exffaits de dismurs,les anecdotes vdrifi6es entrent parfaitement dans sa nillration, libre etfi6vreuse. Trob grands fauves n'est pas un exercice de style ni un morceau de bravoure mais une ceuvre passionnelle, personnelle et ddbridde sur

Ia filiation, le pouvoir et une certaine forme d'orgueil. .. ou d'immortalitd. Christine Ferniot

***Irois

grands fauves

par Hugo Boris, 210 p., Belfond, 18€

LIRE SEPTEMBRE 2013'47


> NOS CHOIX

Naitre dans un camp de la mort LE IIVRE

Valentine GOBY

SuzanneLangloisaracontödes drzaines de fois, dans des col-

Restitution exceptionnelle ou produit calibrä pour 6mouvoir, l'ouvrage divise. A vous de trancher.

löges et des lycöes, son expörience : le camp de concentration de Ravensbrück, le quotidien des femmes serr6es les unes contre les autres dans les convois puis les baraquemenb. Ce grand tömoin sait trouver les mots justes pour dire ses mois de

grossesse dans un monde oü les b6bös n'existent plus, la naissance el la chambre des enfants, cette

Kindezimmer döconcertante ä deux pas des fours cr6matoires. Mais un jour, tout est bouleversö quand une 6lÖve lui demande ce qu'elle n savait , en anivant

lä-bas. Retrouver les sensations |es unes aprös les autres, d6crire la surprise et I'horreur, la peur et

l'espoir, voilä le pari de la romanciöre Valentine Goby ä travers sa narratrice. En r6flöchissant sur I'interpr6tation du souvenir, elle retrace un an de vie

et de mort, et pose la question de la vöritö, de la röalitö, de la sensation. Pour cette romanciöre, seule la fiction peut approcher les faits au plus prös.

fl t \-u

u*p de concentration, baraquements. fours crdmatoires, Ravensbrück. tous ces mots

portent le poids de l'histoire du XX" siöcle. Il fallait un culot monstre pour dcrire un roman ä partir de ces termes qui secouent la m6moire, crder une fiction qui ne soit ni un mensonge ni un tdmoignage anang6. Mais Valentine Goby ne brode pas autour d'un destin, elle creuse en profondeur. Comme dans tous ses livres, elle parle des corps de femmes,

transmettant la douleur et l'espoir ä travers l'expdrience physique. Elle ne d6crit pas les silhouettes d6chamdes mais I'efleurement d'un doigt sur une dpaule pour tenter d'apaiser la souffrance. De sa documentation prdcise, elle conserve les cinq sens ddmultiplids :la vue sur la nuque amaigrie de sa voisine tenant ä peine debout, l'our'e qui tente de distinguer les ordres en allemand pour mieux les interprdter, le toucher d'une peau soudain glacde, la puanteur des corpn malades ä touchetouche, et cette

faim

permanente qui transforme le goüt en obsession. Mila, sa nanatrice, n'est pas une h6roihe ni un symbole, mais une femme qui n'a cessd de marcher, d'avancer jour aprös jour, un enfant

#,,;l3r*: ilHhTS:,,'*ä[: che pas ä d6montrer. ä thdoriser. ä

prendre

l'histoire de haut. Elle se place familiörement ä cöt6 de Mila et de ses lecteurs, les accompagne de mots et de phrases qui se transforment en un chant magnifique veß un monde sans entrave. Christine Ferniot

48.LlRE

SEPTEMBRE 2013

ffi

de

la lecture du dernier roman Valentine Goby, on s'est surpris ä imaginer une parodie de gan publicitaire, faqon bande-annonce de « blockbuster hollywoodien : n Vous

slo-

avezaim6, Les

"

Dispans de Daniel Men-

delsohn, Un heureux övönement d'Eliette Ab6cassis et La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett ? Vous allez adorer Kinderzimmer. » Mölez en effet une p6riode tragique de l'Histoire (la Seconde Guerre mondiale) qui cartonne en librairies, une thdmatique (la question fdminine et, plus particuliörement, la maternitd) qui cible facilement le lectorat dominant des dames et une narration lacrymale c6l6brant une solidaritd entre quelques victimes et vous obtiendrez un pur produit calibr6 pour la rentrde, inattaquable sur le fond. susceptible de recevoir un vaste succös public et, allez savoir, des lauriers automnaux. Coup 6ditorial ou maladresse de l'auteur ddpassde par son (gros) sujet, Kln der zimmer relEv e - consciemment ou pas - de la

mä..*

recette la plus cynique qui soit. Il faut Otre

honn0te : Valentine Goby a un dvident savoir-faire et possöde une plume relev6e et tout en sensibilit6, comme l'avaient d6jä prouvd L'Echappöe ou Qui touche d mon corps je le tue.

Derriö

lasimpledvocationdescamps

li*l,l;ili[1T'trtT

i i i i ; :

I

ry

romanciöre. qui voudrait s'interroger sur le corps et se servir de sa trame pour o relier le son et l'image ". " donner sens aux phdnomönes. nommer les formes ,. Elle tente d'ailleurs de möler les diff6rents langages au caur du texte mais, h6las, n'arrive pas ä constituer un systöme littdraire un tant soit peu convaincant. Alors. loin

de Robert Antelme ou de Charlotte

i i i i

i :

i i i

Delbo, Kinderzimmer s'appuenterait plutöt ä une version intello et solennelle des peu glorieux tilms de u nazisploitation des anndes 70. Moins proche de Si c'est un homme que des Döportiu de la sectbn

i

comment

i

Baptiste Liger

i

"

spöciale SS ? Par instants, euh,

dire..

.

:

i i i

o 2 o

***lltKinderzimmer

par Valentine Goby,224 p., Actes Sud, 20

a


Shanghar

sa vie ä venir qu'il s'efforce d'ac-

cueilli. Lui qui soufte de la maladie des os de velre - <( Enfant qu'une

paradis

caresse suffisait

trhilippe RAHMY

un casque sangld ä un matelas

Un voyage qui conduit le

accepte l'invitation en r6sidence de I'Association des dcrivains de Shanghai. lui qui estime ne pas savoir

narrateur, atteint de la maladie des os de verre, dans la ville chinoise. Un choc humain.

une somme colossale de bruits, un choc de foules, une horizontalitd et une verticalitd en extension inddfinie, un peuple, un dieu, un ciel « in-

milier, c'est le meilleur que lui rdsewe

ä

variablement gris un thdätre de ", faitsdiven sans 6cho, o le mensonge produit parla rencontre de deux for-

briser, avait-il ddjä

souligrrd dans un pr6cedent ouwage, Mouvemmt par lafiz, j'ai grandi sous »

-

sance de

armö par Philippe Rahmy, 208 p.,

La Table Ronde, voyager. Parbonheur ! Ainsi que le 17€ relöve son pr6facier, Jean-Ctristophe slere Rufin, parce qu'il estplus sensible que le voyawes, les geur routinier tÖt ou tard victime de n I'usure

du regard »,le ddcouweur

-

ä

plus forte raison

"

au plus haut pour dicter l'avenir du

<<

/ft u'il est possible de voyager au loin. I I et d'v 6trouu., l'dmärveillement \1 ators quä.1usqu'ä son sdjour ä Shan-

,, une Puisbdton arm6 » qui s'61öve

ces 6gales et oppos6es

***Böton

monde quand, ä terre, n'importe quel individu s'attend ä chuter, ä se ddsarticuler, ä pdrir dans la pousen cas d'accident impliquant des paufrais m6dicaux sont ä la charge de ce-

lui qui appelle les secours

>).

capitale de la douleur, I'en empÖchait depuis le premierjour, c'est I'expdrience que rapporte Philippe Rahmy dans un r6cit dont l'6clat do-

trer son lecteur dans la fraicheur des premiöres

C'est enfn ä un saisissant autoportrait que se livre Philippe Rahmy. Ce que lui offre le spectacle de Shanghai, c'est son pouvoir de

6motions.

suggestion, cent oocasions de rapprochements,

mine cette rentr6e littdraire. Il est saufde tout mot qeux, de toute formule passe-partout.

Shanghai, m6gapole hdriss6e des plus hautes toun du monde, r6pond le d6fi de la suggdrer

Ce n'est pas simplement que sa vie soit en jeu.

visuellement, olfactivement, auditivement,

Non, comme s'il y avait trouvd la ressource de cantonner le pire qui lui est devenu si fa-

culturellement. Philippe Rahmy avertit

ghai en septembre et octobre 2011, son corps,

celui qui, comme Philippe Rahmy, court le risque de s'effondrer ä tout moment -fait en-

Au d6fi que constitue l'irrdsistible essor de

:

u Shanghai n'est pas une ville. » Shanghai est

d'analogies, de rappels de certains dpisodes de l'histoire personnelle et familiale. Shanghai n'y suffirait pas s'il n'avait pas choisi dös I'enfance ceffe source qui s'appelle la littdrature. Gtte demeure-läreste la plus universellement

habitable.

Philippe Delaroche

Si Brautigan m'6tait cont6 Thomas B. REVERDY Comme au fond d'un verre de sakÖ se d6voilent hommage et voyage litt6raires. ubitement disparaitre, dchapper ä son sort, refaire sa vie ailleurs et sous un autre nom : pour beaucoup, c'est un fantasme. Au Japon, c'est une tradition qui remonte ä l'6poque f6odale, et la voilä qui redevient d'actualitd ä cause de la crise : des dizaines de milliers d'individus vivent comme des ombres, loin de leur famille, afin de fuir le surendettement. C'est ce dont est victime Kaze, l'« 6va-

*** Les Evaporös

por6 , du roman,lui que son bos a invit6 dans un bar pour lui signifier la fin de leur mllaboration. Il laise cl6s, t6l6phone, portefeuille, « ferme les yeux. Sene les dents. Vomit et pleure, ä l'int6rieur , : il quitte son 6pouse.

par Thomas

B. Reverdy, 304 p.,

Il quitte tout.

Flammarion,

19€

Il en est un autre qui part sans trop le vouloir : Richard B., ddtective priv6 et poöte am6ricain, Il d6teste les voyages, mais fait sa valise. On le d6couwe au moment oü il quitte la Califomie, direction le Japon' Avec une femme qui, un an auparavant, l'avait laiss6 « au bord du goufte, en tout cas du caniveau » : Yukiko, dont il est en train de retomber dingo. Une Japonaise installde en Califomie, rappel6e au pays natal pour retrouver son pöre, subitement disparu. Articul6e autour d'une quÖte et d'une fuite, l'histoire de Reverdy

nourrit d'un quatriÖme personnage marquant, le jeune Akaihu. Mais au cas oü celui-ci se croirait confortablement embarqu6 dans se

undetective novel familial, Reverdy ddroute vite son lecteur: Les Evaporös est un roman brumeux, abstrait, romantique, dont la toile de fond se prdcise ä mesure que l'on y avance patiemment, et acrepte le jeu proposd par I'auteur . Les Evaporös est comme un verre de sak6. Certes, le Richard B. de Reverdy n'est autre que - on s'en

- Richard Brautigan /r imself, quiv€cnt au Japon en 1976. Mais entre le roman-hommage et le faux polar, Reverdy a eu le bon goüt de distiller ici une dose de voyage, lä une dose de vision sociale, ici encore une vague de mystöres. C'est dans une sorte de Japon parallöle qu'il nous möne : des quartiers pauwes de San'ya ä Tokyo aux camps de r6fugi6s et d'ouwiers de Sendai (au nord), en passant bien sür par les yakusas. A I'ombre de Brautigan se superpose rapidement celle de Dashiell Hammett : chaque piste n'oulre que sur un sera apergu

mystöre plus grand. Les Evaporös, une enquÖte r6alis6e par un podte, et 6crite par un auteur qui, aprÖs trois premiers romans intimistes, confirme qu'ä la suite du bel Env ers du monde (N10) il sait regarder devant lui.

Hubert Artus

LIRE SEPTEMBRE 2013'49


> NOS CHOIX

Champ et contrechamp Marie DARRIEUSSECQ Histoire d'amour ä Hollywood, avec I'artifice dans le premier röle, ou exercice de style convenu et sans asp6rit6s. Pour ou contre ?

LE TIVRE

Solange, I'adolescente de C/drues, la provinciale naive et pro-

amoureuse de ce göant aux dreadlocks, il est vaguement söduit.

vocante du pr6cödent roman de Marie Danieussecq, est devenue une femme. Une com6dienne qui joue

La romanciöre dissöque leur aventure de quelques mois. Elle parle des corps qui se frottent en

d6sormais les petites Franqaises ä Hollywood. Elle est invitöe dans les soiröes avec George, Ted ou

attirances dans un monde factice oü I'on s'appelle

noir sur blanc, mais aussi des difförences ou des

Steven, court sur ses talons hauts dans de grosses

uniquement par son prönom. Solange est restöe la fillette qui se laisse ballotter par la vie et confond cinöma et röalitö. Les annöes ne lui ont pas donnö plus d'assurance. Elle se contente de ce qu'on lui accorde. Et Kouhouesso ne donne presque rien.

productions amöricaines en perdant son soutien.

gorge avec ölögance. Puis, elle le rencontre

:

Kouhouesso Nwokam, noir, africain, beau comme un dieu, comödien et metteur en scöne. Elle tombe

f\

olange a grandi : elle n'est plus cette lolita sans avenir qui

\confondait les mots et la chose, le sexe et l'amour, collec\Jtionnant les bites comme d'autres les poupdes Barbie. Elle a quittd Clöves, sa kermesse et ses concours de pöche, pour les hauteurs de [,os Angeles. Elle symbolise ddsormais l'actrice frangaise diaphane avec son joli corps et son arcent frenchy. Mais elle continue de voir le monde comme un d6cor oü sa place n'est ja-

mais d6finie. Lorsque Solange rencontre Kouhouesso, elle est « pulv6ris6e », tandis qu'il la regarde comme un intermöde plaisant. Clöves ötaitwrroman d'apprentissage sous forme d'6popde sexuelle. Il faut beaucoup aimer les hommes est l'histoire d'une soumission dans un monde de carton-päte. Solange vit son aventure comme dans une s6rie t616, un film de mutants :passion impossible entre une Blanche docile et un Noir intello, ddcors de film, travellings avant, gestes appuy6s, phrases d6coupdes. Une nouvelle fois,la romanciöre s'amuse avec les clich6s, les ddzingue avecjouissance. Solange

soufte en robe Vanessa

Bruno, Kouhouesso toume un film en Afrique, adapte Conrad avec emphase et fait venir des sarbacanes made in China. Le dernier chapitre s'intitule d'ailleurs « Bonus » et complöte un D\{D qui ne rechigne devant aucune rdfdrence,entre Alerte d Malibq Au ceur des tönäbres et Le Livre de la jungle.Sans oublier Marguerite Duras et L',Amant,sans cesse pr6sente au coin d'une phrase, comme la marraine de ce roman en 3D, sur l'ötre, le paraitre, les filles sans aspdritds et les hommes

insupportables.

Christine Ferniot

ssur6ment, Marie Darrieussecq a l'art de varier les registres. Et si, une fois n'est pas coutume, elle renoue avec la möme hdroihe,la romanciöre persiste ä changer de partition et passe du trasft le plus outrancier au sentimentalisme le plus convenu. Difficile, en effet, de se passionner pour cette histoire d'une jolie Blanche, trös oie blanche,dperdument amoureuse d'un Noir ä la « spectaculaire beaut6 et finalement bien " snob. Car la Solange de Darrieussecq nous rejoue l'air de « Je te suis, tu me fuis », puissance dix. Genre bon vieux Harlequin revu et corrig6 ä la mode du mdtissage. Revu et corrig6 par une normalienne qui peut se permetffe de prendre de la hauteur sur le sujet et de gloser ä n'en plus finir, par la voix de son hi6ratique Kouhouesso, sur I'Afrique colonis6e, ddcolonisöe, schdmatis6e, ostracisde. Comme si personne n'avait, avant elle, fustigd le d6sormais fameux n discours de Dakar » d'un certain Nicolas Sarkozy.. . Certes, la phrase est sans fioritures, le style sec, la lecture fluide - n'6tait un « g6od6sique » qui contraint le lecteur ä compulser son dictionnaire. La romanciöre a beau ddcrire ses personnages dans les moindres

d6tails, ils manquent de chair ; semblent sans cesse tenus ä distance par le regard de l'auteur, plus soucieuse, semble{-il, de mener ä bien sa thöse de troisiöme cycle sur le racisme, les apparences et les clich6s, que de nous raconter une singuliöre histoire d'amour - ou de d6samour. Voilä bien le problöme avec Marie Darrieussecq : chez elle, tout parait fabriqu6, trop pens6, pas assez ressenti. R6sultat, on s'ennuie ferme. Delphine Peras o d D

o

***/*il

faut beaucoup aimer

les äommes par Made Danieussecq, 320 p., P.O. L, 18

=

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5O.LIRE SEPTEMBRE

2013


,l

Conflit mdipien Vöronique OI-MI Un face-ä-face entre une mÖre ieune et son fils ä96 de 12 ans. CadenassÖes par le quotidien, les Ömotions surgissent

avec une intensit6 accrue. n pense forc6mentdBord demer (2001), son premier roman. En apparence, La Nuit en vöritö est un drame familial ä deux personnages (une möre, un fils) et lieu unique (ce gigantesque appartement bourgeos derriöre le Palais-Royal, ä Paris), et au mystöre reposant sur la figure du pöre. Mais, on le sait, les histoires de V6ronique Olmi se nourrissent d'une disposition naturelle pour le m6lodrame, et deviennent une fine

entreprise d'6pluchage - des interdits, des sentiments, des couches coupables du pass6. Un travail basd sur l'6conomie de moyens, pour une litt6rature bas6e sur la retenue et, cons6quemment, sur l'implosion des r6v6lations. Son nouveau roman est Ia quintessence möme de ses compositions. Ici, tout le monde se

voit

souvent, chacun connait les habitudes de l'autre, on vit ensemble mais on ne se connait pas vraiment' En son ddbut,le liwe est une ronde racontant le quotidien de la möre et du fils. Mais, bientÖt, cette apparente simplicitd casse : une möre trösjeune et un fils devenant ado, 9a ne peut Ötre simple. A la tension entre Liouba et Enzo correspond celle qui s'instaure entre elle et son « patron », et de ces voltages nait une direction inattendue : l'inuption d'un fil fantastique. Cette voix s'adressant au jeune garEon un soir de fiövre, et qui demeurera des nuits, c'est la bonne id6e d'un roman qui se permet ä sa faqon son petit pdtage

Esprit des lieux Eric F0TTORINO Parti au Maroc sur les traces

des origines de son pÖre, Eric Fottorino lui rend un vibrant hommage filial. 'est l'histoire d'un voyage qui n'aura jamais lieu. Celui que devait faire Eric Fottorino avec son Pöre marocain afin de I'emmener sur les terres de ses

racines. n Connaitre Fös. Je ne serai pas waiment ton fils si mes yeux ne voient pas ce que tu as vu en premier », explique{-il dans

I I

?

une longue confession oü se mÖlent 6motion et luciditd. ta maladie en a d6cid6 autrement' Eric partira seul, devenant alors ce « marcheur de Fös » que fut autrefois cet homme

de plombs. Cette nouvelle dimension est aussi une autre fagon de traiier son thöme de toujours : la libertd dans l'identit6. Et Olmi de lier son r6alisme psychologique ä un traitement plus original de

La Nuit en vöritö esl comme toujours une Guvre de tension, de libert6, et de grande Hubert Artus 6motion. la mdmoire. Trös tenu et fort bien charpentö,

**t-a

Nuit en

uiriti

par V6ronique Olmi, 310 p.' Albin Michel' 19

», puis SBren Kierkegaard : « Le chemin n'est pas difficile, c'est le difficile qui est le chemin », Eric Fottorino montre les choses sans effets de manche ni legons senten-

tion

qu'il v6nöre par-dessus tout et ä qui il a consacrd d6jä plusieurs r6cits. N6 le 10 f6vrier 1936, de son vrai

nom Mosh6 Maman, patronyme transformd en Maurice Maman, m6decin juif marocain, rÖvant de s'int6grer ä la France, le pöre du narrateur est un Personnage complexe dont le portrait est bross6 avec beaucoup de finesse et de simplicit6.

A travers

ce qu'Eric Fottorino ddcouvre de son pass6, dmergent d'autres figures embl6matiques d'un

** Le Marcheur de Fös par

Eric Fottorino,

cieuses. Son 6criture podtique dpouse dgalement I'esprit du lieu, puisqu'elle puise ä la fois dans les traditions orale et 6crite pour 6voquer des histoires qui se r6pondent. La passion de son pÖre pour les sciences, le basket ou lejudo

192 p.,

nounit

,

Calmann-Lövy, '!6 €

monde de paix qui cherchaient ä unir dans un möme 6lan fraternel Orient et Occident. Par exemple, l'ami Andr6 Tobaly, qui fait le lien m6moriel entre Eric et son

pöre, et des inconnus croisds gä et lä qui lui font aimer le Maroc au-delä des mots. « Je ne suis pas nostalgique de mes souvenirs. Je suis nostalgique des tiens. Dröle d'affection dont je ne connais pas le remöde », 6crit-il alors qu'il ddambule dans Fös, passant du

mellah ä la ville moderne. Citant Romain Gary : n t-a r6ponse

est le malheur de la ques-

les pages plus « g6ograPhiques oü le personnage central est saisi dans ce qui fut son univers quotidien. On retiendra encore de ce beau r6cit,

grave et profond, l'6vocation d'un jeune homme en pleine santd ayant aval6... une sangsue qui avait grossi dans sa gorge. Et I'auteur de rapprocher I'incident passd des « sangsues , du cancer qui ronge le corps de son pöre. La maladie, la mort, la fid6lit6 ä ses racines : autant de thÖmes qui font de ce liwe l'ouvrage le plus personnel et le plus 6mouvant de son

auteur.

J'-R'B.

LIRE SEPTEMBRE 2013'51


Grand Soir et gueule de

bois h.s$§ffi &dtrffiffiä-ffi;

Avec L'Esprit de l'ivresse, Loib Merle signe un premier

roman brülant, quivoit le pouvoir renvers6 par une rövolte venue des banlieues. Attention, choc litt6raire ! out est parti d'un 6niöme fait divers. Un banal contröle d'identit6. Quelques regards d6placds. Un corps qui tombe. Et c'est toule la citd des Iris qui s'embrase. Et avec elle la France qui bascule, en ces demiers jours de mai... Ainsi d6bute

L'Esprit de I'ivresse, le premier roman le plus sid6rant de cette rentrde. Un texte implacable sign6 toic Merle qui explore le mal-€tre du pays, et cette rdvolte qui sourd, ä l'ombre de

la crise et du d6senchantement. « Avec ce livre, j'ai voulu mettre des mots sur des colöres qui d'ordinaire ne s'expriment pas, avance l'auteur de 35 ans. Des colöres que j'ai observdes, d'abord, dans ma campagne perdue, et qui sont loin de se limiter ä ce qu'on appelle par commoditd "la banlieue". » C'est pourtant bien en pdriphdrie qu'est n4,

L'Esprit de l'iuresse, au ccur des dmeutes

qui ont secou6 la France ä l'automne 2005. Un embrasement de violences dont Loi'c Merle fut l'un des premien tdmoins - le jeune homme 6tait alors professeur d'histoiregdographie dans un collöge des quartiers nord d'Argenteuil. « Dös la fin des 6meutes, j'ai eu le sentiment que tout ce qui s'6tait passd avait 6t6 6vacu6, sans que personne se saisit de ce que ce mouvement pouvait signi-

Mettre des mots sur des colöres qui t. rre s expt'tmenl pas radical, trois acteurs qui, tour ä tour, vont tächer de briser les chaines de leur vie : Youssef

Un cong6 de six ans durant lequel i[ s'est consacrd tout entier ä ce projet littdraire, le premier long texte qu'il ait 6crit de sa vie. Plus jeune, j'ai commenc6 par rddiger de la podsie. se souvient le Lyonnais. encore

"

marqu6 par la lecture du Mauvais Sang de Rimbaud. Je n'6tais pas un bon poöte, mais j'ai appris le sens du rythme et de l'6conomie du:nol qubn trouve trop rarement dans les

Chalaoui, vieil Arabe r6sign6, surpris par la violence policiöre ; Clara S., 6gdrie mal916

Admirateurde Proust, qu'ilcite en exergue, Faulkner ou Bolano, l,olc Merle a 6galement

elle d'un mouvement qu'elle dpouse par

hdritd de ses maitres un souffle littdraire rare. capable d'embrasser plusieurs destin6es sans jamais sombrer dans la ddmonstration socio-

amour ;et le Prdsident Henri Dumont. boutd hors de l'Elysde par la Grande R6volte, mais tirailld entre le confort de la fuite et I'ivresse du pouvoir. Iwesse, voilä bien le maitre mot de cette fable brülante, qui voit les foules en colöre ddferler sur la capitale. comme gris6es par cette libert6 jusqu'alors ignorde. Port6 par une langue ample, noueuse, presque classique,

logique. Toutjuste assönet-il entre les lignes quelquesjugements politiques bien sentis sur ce pays en crise, gagn6 par la tentation du chaos. Empreint de nihilisme, son Grand Soir sans espoir est celui de la

fin des id6ologies,

impropres ä canaliser l'esprit de r6volte actuel, ou ä cautdriser les plaies d'une soci6td rongde

fier. Comme si la question des banlieues 6tait d6sormais rdglde, et que chacun n'avait rien

Loic Merle explore ainsi les ressorts cach6s d'une nation qui bat le pav6, dtourdie par cette soudaine communion. Un peuple ddsespdrd qui s'autorise, le temps d'un printemps, ä 16-

de mieux ä faire que de rester chez soi. Mais

sister au triste engrenage du rdel, ä s'imaginer

lanl,

beaucoup d'habitants des quartiers ont regrett6, aprös coup, de ne pas avoir organisd

un autre avenir. o L'ivresse peut prendre de nombreuses formes possibles, explique l'au-

le retour du temprs des cerises.

Mais il sonde trop bien le mal

de grande marche sur Paris. » Cette vertigi-

teur, c'est avant tout un vdhicule. L'important,

franEais pour qu'on n'aille pas

neuse procession est justement au ccur du roman, möme si I'action se d6roule plus volontiers dans ses marges, en lisiöre de cette mar6e humaine, prOte ä abattre le pouvoir en place. Trois voix vont incarner cet 6lan

c'est de savoir ce que I'on peut en faire, ce qui peut advenir de cette 6ruption collective. » Pour 6crire ce roman salvateur. [oi'c Merle s'est mis en disponibilit6 de l'Education nationale, et a suivi sa compagne en Allemagne.

dcouter siffler ce Merle raJulien Bisson

52.LlRE

SEPTEMBRE 2Oi3

par la violence, le d6racinement et la pauwetd.

En lieu et place,l'dcrivain of[re le tableau m6-

morable d'une Commune moderne. sans drapeaux ni canons. Prophdtique et inqui6-

L'Espit de I'ivressen'utnonce

geur. ***

L'Esprit de l'ivresse

par Loit Merle, 288 p., Actes Sud, 22

certes pas


.a

Orr ],

d GUVre

Kevin ORR Un premier roman audacieux

sur I'addiction oü I'auteur choisit l'6criture comme produit de substitution. orsqu'on est drogu6 ä une subquelle qu'elle soit -, n dix jours sans produit c'est l'dternitd ». stance

-

femmes danb les rues

notamment « la tristesse injustifide des gens ä Paris » et n la difficult6 d'6tre un garqon. c'est-ä-dire un Homme »... Il part pour New York rejoindre un couple d'amis homosexuels, Ch. et Ar., qu'il considöre cornme sa deuxiöme famille et qui le recueillent, entre leur maison dans l'Hudson Valley et leur beau loft dans la « Big Apple ». Le narrateur peine en effet ä se consoler du decös de sa mÖre, cherchant m€-

**Le

me sur Intemet sa Photo en taPant les mots cl6s « femme morte HÖpital , pour essayer de la retrouver, symboliquement. Cet individu paum6 se met alors ä l'6criture pour

quoi ? t e

[-e narrateur du premier roman, 6tonnant et radical, de Kevin On I'apprendra ä ses frais.

« ne pö reconsommer portrait d'une femme ou un roman sur un enfant ? Doit-il 6tablir un plan ou laisser sa

En ce mois de jtin20l2, ce jeune homme a beau essayer de ne pas penser au u produit » ou, tout du moins, affirmer qu'il va arrÖter, rien n'y fait : il le lui faut, et il ressasse ce sentiment en lettres majuscules dans son journal. Ce garqon est d'ailleurs au bord du suicide, et il en identifie quelques raisons

plume divaguer de maniöre automatique ? Se lancer dans une telle entreprise litt6raire laisse forc6ment remonter les souvenirs ceux de ses jeunes ann6es, ou l'apparition de Jeanne, ä la laverie de I'höpital psychiatrique oü il avait 6t6 un temps intern6. Par ailleurs, ce garqon n'a de cesse d'observer les belles

-

». Mais sur

Produit

par Kevin Orr, 206 p., Seurl/Fiction & Cie, 17 €

-

-

<<

Elles ont

des amants qui les ddshabillent. Elles ont tout. Elles sont bonnes. On est tous d'arcord avec ga , - ou sur laToile, pourune dventuelle discussion virtuelle. Mais ne serait-ce pas une drogue comme les autres ? On ne saura jamais pr6cisdment ce qu'est le « produit », qui donne

tiüe ä cet dtrange ouwage, Plus politique et thdorique qu'il n'en a l'air, qui tente de faire ressentir l'addiction. Et qui sonne juste. Ancien 6löve de I'EHESS. Kevin On multiplie habilement les notes de bas de page son

ou joue avec la typographie pour mieux retranscrire l'6tat de son hdros. u J'essaierai

d'accomplir ce monologue interne oü s'invente ma vie,

MA vie, mon pass6, mon pou-

voir, mes asp6rit6s, mes souffrances, mes inexistants. [...] Ecrire ces visions d'UN monde NU. Des formes nouvelles ä construire. Quelque chose de trÖs personnel, mais pas 6triqu6, pas narcissique ou referm6 sur soi. Quelque chose de simplement 6ton-

nant. » Mission

rdussie.

Baptiste Liger

Sur la piste aux 6toiles de Daniel Morvan, la vie tournoie.

Tomb6 du ciel Daniel MORVAN Lors d'un spectacle, une funambule chute et se tue. Sa partenaire quiüe la troupe et doit apprendre ä vivre avec ce souvenir. 'est un livre court, le r6cit de deuil, et

il vous envoie dans

les 6toiles. Celles que voient les funambules, ces artistes de

la chordgraphie et de la suspension. Celles oü demeurera toujours la lueur des personnes qui vous ont 6t6 chöres. Arthdnice 6tait le « double lumineux » de Lucia Antonia. Leur « num6ro de jumelles , 6tait le clou du spectacle de la troupe, fondde il y a longtemps par le grand-pöre de Lucia. Mais un jour,lors d'une tourn6e en ltalie, Arthdnice tomba, et se tua. Depuis,la survivante est une « saltimbanque sans cirque, invisible parmi le peuple des oiseaux ,. Elle a quittd la troupe et est restde en Italie, d'oü elle 6crit les u carnets » qui composent ce livre : « Les pensdes que j'ai d'Arth6nice me sont dict6es par elle depuis son s6jour dans les limbes des 6quilibristes. Je les laisse donc venir sans honte et les consigne ici malgrd la promesse faite ä mon pöre de ne rien 6crire. [...] J'6cris pour me taire et ne penser ä rien. , Notre 6quilibriste n'a plus de fil, et 6voquera dans un ordre al6atoire son pacte avec la d6funte, I'histoire de la troupe, les personnes rencontr6es durant l'6criture des carnets' ou encore l'art qu'elle pratique : « L,e funambulisme m'a appris ä observer du point de vue le plus 6lev6, celui de l'effraie sur sa proie nocturne, de l'orage sur l'6tang. » Et, bien sür, I'accident. Cette faEon de jongler avec les thömes, de les prendre, les lächer, les retrouver ensuite, permet ä Morvan de parvenir jusqu'ä l'äme mÖme de son sujet : comment marche la m6moire de quelqu'un qui passe sa

vie en l'air, en dquilibre, avec mission de ne pas chuter ä terre

?

Comment fonctionne la psych6 d'une femme qui vit dans un monde parallöle et fderique, au milieu de d6guisements, de clowns, de jongleurs, de saltimbanques ? Daniel Morvan a lui-mÖme perdu un önfant, et on saluera la pudeur d'une fiction tourn6e vers le dehors de soi. Portd par une dcriture minimaliste et visuelle , Lucin Antonia' une funambuleprend de l'envergure au fil de la lecture, et devient publi6s quatre romans po6tique. Aprös et r6flexion tournoyante dans des 6ditions r6gionales (Ouest-France, Coop Breizh), voici celui qui devrait apporter ä Morvan une autre place, entre les lettres

et les dtoiles.

***Lucia 16,50

Hubert Artus

Antonia, funambule par Daniel Morvan, 142 p.' Zulma,

LIRE SEPTEMBRE 2013'53


Passion

d6brid6e Agm**

WAtrdffiffiMWffitr#ffi Paola la quitte. C'est le d6but d'une quöte ä corps perdu d'autres relations. La sexualitö föminine sans tabous. "

dA I §

a se passe trös vite. Paola me quitte.

Je bascule hors d'une zone de sdcuritd. " Les deux jeunes femmes vi-

vaient ensemble depuis plus de dix ans et tout s'anOte si brusquement que la nanatrice n'a pas de stratdgie, juste de l'6nergie. Pour survivre aprös un grand amour, elle use de

cette force-lä : collectionner, conqu6rir, s6duire et abandonner au petit matin sans un

regret ni un numdro de tdl6phone..Aprds I'amour pule de passion et de ddsir. de fiddlitd mais aussi de plaisir immddiat et convulsif. Et tous les moyens sont bons : des sites de rencontres oü les visages de femmes se succödent, avec ou sans masques, un regard croisd dans un bar, un th6ätre, le m6tro... La chasse est physique, violente, audacieuse et sensuelle. Mais le roman se limiterait ä une banale histoire de rupture si l'dcriture et la force sociologique ne venaient pils conso-

lider la fiction. Agnös Vannouvong 6voque intimement ces nuits oü les filles s'exhibent. cherchent la conqu6te, l'excös pour mieux plonger dans la mdlancolie. Elle ddcrit les chairs moites, les frissons, les accessoires, les odeurs. Puis,

c'est la solitude ä nouveau. l'envie de s'installer, d'avoir un enfant ins6min6, de res-

sembler ä une famille. Frdndtique,l'dcriture se met au diapason de cette ronde sdductrice, cette course ä la jouissance. « Je rencontre ces femmes ä des soir6es, au th6ätre, sur le

Net, ä la boulangerie, je me spdcialise dans la fermeture des bars. On commence ä me connaitre. L'aptitude ä dire oui rend c6löbre. Je suis celle qui couche et prdpare le petit d6jeuner,,€critelle, tantöt d6sesp6r6e, tantöt narquoise, toujours frontale et consciente de sa puissance et de ses limites. .4p rös

l'amour

dessine un paysage singulier, le ddcode, le pose ä plat avec ses excös, son cynisme et ses sentiments. Une euwe rare et intime, une pulsion de vie,

entre enfer et romantisme. Christine Ferniot

*

*Aprös I'amour

par Agnös Vannouvong, 204 p., Mercure de France,

16,50

Ilne femme ä ahattre .*rhrmmw Pffifrffiq.$ffi La rencontre improbable d'un dilettante et d'une naiade sortie de l'6cume des mers. Cette derniöre lui propose de tuer quelqu'un. i l'on cherche ä s'6tourdir avec un savoureux cocktail de fantaisie

et de mystöre, la lecture d'Une femme dangereuse est iddale. [,e ddsarqonnant narrateur du premier roman de Jdröme Prieur est un homme capable d'affirmer : « Les femmes sont, toutes, la beaut6. » Il s'agit lä d'un monsieur, souvent ddsargonnd, qui ddteste tourner les pages et semble avoir un cceur d'artichaut. Au moment oü on le ddcouvre, il est sur le point de se noyer dans l'Atlantique pour ne s'€tre pas mdfi6 d'une barne traitresse. Coup de chance, une siröne blonde, saine et sportive, le tire de ce bien mauvais pas. Aprös avoir retrouvd ses esprits et 0tre retomb6 sur la belle, qu'il ddcide de baptiser Oslo pour qu'elle ait un nom, celle-ci lui demande sans d6tour s'il est pr0t ä tuer quelqu'un qu'il ne connait pas. S'il est capable de retrouver une femme afin de la faire disparaitre ! Ayant conscience qu'il est grand temps de faire quelque chose de sa vie, voici donc qu'il accepte la proposition. Et se lance illico sur la piste d'une certaine Madeleine. Laquelle a eu deux maris : le second 6tant le beau-fröre du premier ! Tout en s'activant, l'apprenti ddtective repense aux cr6atures qui ont fait battre son ceur. A Liza, rencontr6e devant Notre-Dame.6fudiante dont il aime la maniöre de dire carrdment » ä tout bout " de champ. A Natacha, dont il a longtemps 6t6 6pris, qui voulait toujours reculer ses limites, se griser de sensations fortes, et qui trouvait qu'elle avait trop de cheveux. Si Madeleine parait s'Otre envolde on ne sait oü, il rdussit toutefois ä entrer en contact avec deux de ses amies. Charlotte, peintre qui joue du piano. Et Juliette qui le prdvient d'embl6e qu'il ne faut attendre d'elle, en chair et en os, aucune sorte de sagesse » ! [r lec" teur, lui, ne perd pas une miette de l'affaire. Et reste aux anges d'un bout ä I'autre du coup d'essai de Jdröme Prieur. Un cin6aste et es-

54. LIRE SEPTEMBRE 2013

sayiste qui n'a manifestement pas chömd entre Nu i* blanches. Essai sur le cinöma (Galltmard/Le Chemin,7980) et Marcel avant Proust (Editions des Busclats, 2012).Un fringant ddbutant dans le domaine de la fiction, dont les premiöres armes ont la fraicheur et le pdtillant du meilleur champagne. Alexandre Fillon

**

*Une femme dangereuse

17€

par Jär6me Prieur, 196 p., Le Passage,


.a

6

D'outre-tombe Boris RAZON HospitalisÖ pour une infection banale, le narrateur perd peu ä peu l'usage de son corps. Un texte fort sur une lutte ä la vie, ä la mort.

A u ddbut de sa maladie, de sa u mdtamorphose » et de son /\ arriv6e au service de rdanimation neurologique, il y eut sans L \doute une intoxication. L'dvolution a 6te lente, inattendue et rare. La douleur est venue en premier, puis I'engourdissement, la fatigue immense, la paralysie et, soudain, cette angoisse terrible d'0tre maintenu en vie par trois tubes : « Immobile, imperturbable, imp6n6ffable, derriöre mes yeux paralys6s, j'6tais devenu Ie Sphinx », 6crit Boris Razon avant d'ajouter: « et pour mon malheur, tout ici est >>. Pallndiumest son premier roman et son histoire ä la premiöre personne. R6alit6 et fiction se rejoignent comme sont rdunis les deux personnages de cette aventure morbide : deux Boris Razon. Ir premier travenait l'existence en toute qui6tude quand le second, son double maudit, a brutalement vdcu entre 6 vie et la mort, transform6 en momie. A partir de ce bascule-

wu

ment, seul le cerveau a fonctionn6, portd par des hallucinations, des terreurs sans fin, le sentiment d'avancer dans un tunnel, de passer des nuits ä tuer des ennemis. Boris Razon viwa, quittera sa gangue mais il aura laiss6 deniöre lui, dans le labyrinthe, l'homme qu'il 6tait « avant >>. Palladium est l'histoire de ce

*** Palladium par Botis

d'outre{ombe. Tandis qu'en parallöle les extraits du dossier m6dical viennent rappeler une rdalitd plus terrible encore, portde par des mots comme ciguatera, cytom6galovirus, dysautonomie, maladie auto-immune de Guillain-Ban6'.. Sous le sigrre de Kafl<a et de trwis Carroll, Palkdium est une ceuvre brutale et obs6dante qui s'achöve cependant par une pluie de remer-

Razon, 480 Stock, 22

combat avec l'ange - ou la bÖte -, combat dont l'auteur est sorti vainqueur mais diffdrent. Cependant, ce liwe n'est pas simplemenf un t6moignage tant 1'6criture et la construction ddcrivent un monde fait de tuyaux et d'hommes oiseaux, d'Ötres visqueux et de hordes de gueux. « Je sentais la mort en moi. Elle 6tait plus paisible que jamais, plus proche aussi

,, 6crit-il comme s'il la tutoyait encore,

Si utile, sI mal aim6e... Mncent JOLIT Avec ce portrait de !a secr6taire de Cöline, Vincent Jolit aborde cr6ation litt6raire et travail des femmes dans les annÖes 1930. ui s'est jamais int6ress6 ä Aim6e

tr

Corre, la secr6taire dactylographe

qui retransoivit Voyage au bout de la nuit de l.ouis-Ferdinand C61ine, au point d'en faire l'hdrorne d'un roman ? Pour C/icfty, son coup d'essai, Vincent Jolit s'est efforc6 de reconstituer le processus de crdation de

tout en s'intenogeant, simultan6ment, sur sa propre entreprise litt6raire. Comment donner vie ä un personnage - Aimde - dont on ne connait pratiquement rien ? Enrendant C61ine,

allongd dans un catafalque, projet6 dans une salle de r6animation, soulev6 par des fantömes en blanc. Palladium est un texte aussi terrifiant que galvanisant' L,e lecteur accompagne cette bataille pour la survie, plonge et remonte ä la surface en mÖme temps que le narrateur, entend se§ mots p.,

c.F.

ciements.

hommage ä cette jeune femme oubli6e par Gline une fois le succös du

sont soupqonndes de vouloir voler

livre entdrin6, l'auteurpointe du dot$ l'ambivalence de caractöre du ro-

confiance en soi de Louis dans son dcriture, son audace s'opposent aux röves d'dmancipation d'Aimde. Des

mancier, Louis Ferdinand Destouches ä l'6tat civil, laquelle fait 6cho ä l'ambiguit6 de ses id6aux politiques. En effet,l'homme, proche des gens, et bon avec Aim6e ä son aniv6e au dispensaire de Clichy, brillera ensuite

leur travail aux hommes. Ici, la

röves qui s'amenuisent, la jeune femme 6tant, depuis son enfance,

**Clichy par Vincent Jolit, 137 p.,

pri6e de nepas aspirer äunfuturtrop eclatant. I*apetite fille,bonne ä l'6cole et qui aimait les insectes, ne pouvait

prdtendre ä une carriöre scientifique, par son ingratitude envers celle qui La Martiniöre, puisqu'u il 6tait inconcevable [...] 14,90 € pour lui. sans passa des mois ä taper qu'une fille gagnät sa vie en exerEant contrepartie. Il rappelle ainsi le militantisme pol6mique de l'6crivain, dont I'en[...] un m6tier d'homme », tandis qu'elle est exhort6e ä « travailler pour aider » puisque gagement de gauche - anticolonialiste et antic'est « la rögle de l'activit6 f6minine ". capitaliste - cötoyait un activisme d'efir€me Son ambition se r6duit ä tel point qu'elle droite - son antis6mitisme. finit par imaginer r6cup6rer les miettes du Pour autant, VincentJolitne se limite pas succös de I'ouvrage pour l'aide qu'elle a apä ce parallöle Destouches/Cdline. Il propose portde ä la gestation du roman, roman qu'elle d'une finesse toute en 6galement une analyse

relation homme/femme assez caractdristique des ann6es 1930. En effet, si cette pdriode baigne dans un climat xdnophobe, le patriarcat vit lui aussi de beauxjoun. Rappelons qu'en ces ann6es post-1929,1es femmes ambitieuses

hait et m6prise pourtant. Sa ddsillusion devient

ranceur. Et Vincent Jolit ddpeint avec brio I'empöchement qu'avaient les femmes ä oser revendiquer leur dt, leurs droits. Et ä les « taper » en lettres majuscules. Roxane David

LIRE SEPTEMBRE 2013'55


. Dans le ddcor §erge §ANCHEZ Des socqueites de Lolita ä la chevelure d'Emma Bovary, une dölicieuse histoire de la litt6rature ä

travers les objets qui la composent.

T I IJ

'id6e est emballan te.Dars La Inmpe de Proust,SergeSanchez a

entreprisde revisiterla litt6rature au moyen desaccessoires D'aller traquer comme un ddtective les

des grands dcrivains.

objets r6els ou rövds de leurs vies et de leurs culres. Pour cela, lejoura parcouru sa bibliothöque « comme on le fait de I'en-

naliste littdraire

trepöt d'un brocanteur ». En remisant la psychologie ou I'intrigue pour

se concentrer sur n les objets qui forment le d6cor des liwes r. Sur les pas de Sanchez, le lecteur visite la maison surcharg6e de Des Esseintes, le h6ros embldmatique de Huysmans, ä Fontenay-aux-

Roses. Puis, ä Paris, I'atelier d'Andrd Breton, rue Fontaine, oü, sur une 6tagöre, I'on trouve la cuiller de facture paysanne de L'Amour /ou avec son manche termind en bottine. Il s'an€te ensuite dans l'hötel particulier de Balzac, rue Fortunde, dont la cour d'entrde comportait un vase de huit mötres de haut. Chemin faisant, notre guide ddplore la fin de la civilisation des bancs, souligne la place « 6minente » de la sandale. En n'oubliant ni les bottines, ni les chaussures, encore moins les bas d'Emmanuel Kant et les socquettes de Lolita ! tc voici qui s'int6resse aussi aux fauteuils, aux placards ä v€tements, aux chapeaux,

aux cannes, aux robes de chambre, aux cränes et aux dents, ou qui s'arröte encore sur la chevelure d'Emma Bovary. Le biographe de Frangois Augi6ras et de Brassai (Grasset, 2006 et 2010) convoque Stendhal, Edgar Allan Poe, Cervantös ou Proust. Il s'autorise des rapprochements, des digressions et des analyses littdraires

aussi pertinentes que personnelles. « Organiser sa bibliothöque, c'est agencer son petit asile personnel, aftdter cette nef de fous oü tous les

membres d'dquipage ont des noms d'dcrivain ou de philosophe », note-t-il judicieusement.

Il ne faut pas rater ce volume savoureux dont chaque chapitre se clöt par un petit florilöge de citations. Et profiter des diff6rentes dtapes de la promenade ä laquelle nous invite un amateur dclaird de littdrature qui arrive ä faire partager sa passion d'une maniöre fort originale. Alexandre Fillon

***[a

Lampe de Proust et autres objets de la littörature par Serge Sanchez, 206 p., Payot, 18,50 €

Bernanos, inclas sable anticonformiste Eric BENOTT lmpr6gn6e par la th6ologie chrötienne, toute I'euvre de l'6crivain est ici analys6e avec une remarquable profondeur.

f

la suscitd une somme dcrasante de malentenduset de conhesens. Dansson ceu-Lvre et dans sa vie. Georges Bernanos (1888-1948) aurait donnd l'exemple de trop d'6clats, de trop de contradictions, de trop

I

rnscnre son univers romanesque, peupl6 de petites gens, de notables mddiocres, de prötres

d6chir6s ou mondains et d'enfants de la solitude, que sous haute tension. En amont, la

colöre ; en aval, la piti6. Car toute l'euwe romanesque de Bemanosfait6cho äla thdologie du christianisme, ddmontre Eric Benoit, professeur de litt6rature franqaise ä l'universitd de Bordeaux, dans un essai d'une profondeur et d'une hauteur de lue 6blouissantes. C-e balancement entre colöre et piti6, Bemanos l'a

ponctu6 ainsi dans Les Grands Cimetiöres

d'6nergie. Sur son compte, on a tout entendu. Romancier trop chrdtien pour ötre 6crivain. Poldmiste top emportd pour 0tre bonchr6tien.

sous la

Trop trempd d'äme et d'angoisse pour aimer la vie mat6rielle et sensuelle. Trop sensible au pdchd pour se joindre au « moderne » confröre mnvaincu que la fin de I'injustice sociale et l'enseignement des sciences auront raison du mal. Bernanos est un ph6nomöne. Hant6 par la vdritd, par la libert6. F6ru de Balzac, Dostoielski et [ion Bloy, il ne pouvait

percevoir I'intraitable gdndrositd et l'absolue

56.LlRE

SEPTEMBRE 2O1g

lune: « La priöre est, en somme, la seule r6volte qui tienne debout. » Robert Bresson et Maurice Pialat ont su

singularit6 de Bemanos. Son anticonformisme radical les fortifiait. Bemanos est fait d'un seul bloc. Pourtant, la critique cherchera tantöt ä le diviser en opposant dcrits de fiction et 6crits

de combat, tantöt ä le vitrifier, par exemple en soutenant qu'il n'6tait pas revenu de son regrettable antisdmitisme de jeunesse. Il est

d'un bloc, mais d'un bloc pröt ä se laisser fendre. A I'exemple de la conception du temps qui transpire dans Nouvelle Histoire de Mouchette oudans La Joie. Bemanos guette I'instant qui 6chappe au continu. L'occasion pour Eric Benoit d'avancer cette comparaison. o L'univers de Beckett se caract6rise par l'attente d'un Salut qui ne vient jamais, alors que celui de Bernanos se caract6rise par I'inuption d'un Salut qu'on n'attendait pas. » Chez Beckett,le m€me se rlpdte.Chez Bernanos, quelque chose d'autre a 6t6, est ou sera donn6. Esp6rance, communion des saints, irradiation des ämes en temps rdel ou diachronique, autant de thömes dont Eric Benoit montre de fagon lumineuse qu'ils ont trouv6 en

Bernanos, qui n'6tait pas th6ologien, un fi6vreux et

inimitableorföwe. Ph.D. * * *Bernaros, littöratu re et thöologie par Eric Benoit, 268 p., Cerf, 30 €

Io =

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.a

fournal d'un poäte

fables 'Henri Droguet, maintenant ou jamais,llme plait de citer ce poöme intitul6 Quadrichromie oü se mölent l'enfance et l'antique violence la violence des mots et celle des 6l6ments

-

:

Les souvenirs pour une ombre Ne sont guöre que sorbets

Un fagot uaque d l'dtre sous la lampe un enfant cßaille l' image quadrichrome des

Une ombre dans une foire Tenait, son stand pavoisö, Commerce de la mömoire Et soleil apprivoisö.

Gloutonnement

ab s o rb ös

Sur la langue on les sent fondre.

Bacchantes meute ivre

öchev elöe cohorte mugßsante d

L'ombre aime

Dionysos vouöes elles iouissent

les ieux ftingan* Train fantöme et grande roue, Il faut bien que I'on s'öbroue sur les rails des toboggans.

hcArent ötripent

impatiemment döpöcent la carcasse d' Orphöe I' inconsolable et boutent au fleuve ses palpitanß tronQons

L'ombre möne son manAge Oü chacun en se iouant Dans son miroir de nöant

dehors le vent dömantibule des corneilles volent ras sur des chaumes le ciel de laiton s'obscurcit

Se voit fondre comme neige.

Un vocabulaire hirsute et dynamique conföre ä la podsie de Droguet son charme brutal qui est aussi le charme de la

Je laisse le dernier mot ä Guillevic, dont l'ceuvre ne cesse de s'accorder ä nous '.

Bretagne v6cue et röv6e ä la fois. La violence du vent d6borde du poöme, et c'est lui que nous entendons mugir dans

Il faut revenir exalter iusqueJd

filet de vie

sa langue dtrangement reconstitude. De violence, il ne peut qu'Ötre aussi question dans I'ceuwe

Ce mince

de Mohamed al-Maghout. Cette violence est cependant par-

sans limites,

fois tempdrde par un humour sui generß quifait merveille

Dans le royaume dont il n'est pas tömoignö.

Ou entrer dans le parc sans murs, sans grilles,

:

Il faut prendre avec amour dans

Comme des loups dans les saisons ingrates nous

proffirions

Cet innocent

en tout lieu

ses

paumes

filet de vie.

Nous aimions la pluie et

Attendre de devenir ange.

adorions I'automne

Jusqu'au jour oü nous avons pensö envoyer une lettre de remerciement au ciel et coller sur I'enveloppe une feuille d'automne en guße de timbre

Charles Dobzynski, pretant la parole ä la lumiÖre et ä l'ombre, lui non plus ne manque pas d'humour en 6voquant les d6couvertes de la science Ia plus r6cente

:

Les photons d la queue leu leu Pareils aux moutons de Panurge Sautent par-dessus la lumiöre.

***Maintenant ou

iamais par Henri Dtoguet' 116

Belin/L'Extröme Contemporain,

1

7

***La

joie n'est pas mon mötier par Mohamed al-Maghottt' traduit de I'arabe et prösentÖ par Abdellatif Laäbi, Ödition bilingue, 182 p., La Difförence/Orphöe, 7 €

***Journal

de la lumiöre & iournal de /brnbre par Charles Dobzynski, pröface de Bernard Noö|, peintures de Marc Feld, 120 p., Le Castor astral/Poösie, 12

Et voici une fable que j'aurais mauvaise gräce ä ne pas ci ter tout entiöre :

p.,

****Accorder.

Poömes 1933/996 par Guillevic' ädition Ötablie et postfacöe par Lucie Albertini-Guillevic, 304 p., Gallimard, 24 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.57


AIT

RoMAN FRAN9ATs

ün iour ).

e/-

Je m en.trat sans en aeoir tout dtt

lean D'ORMESSON tE LIVRE " Oui, je sais : j'öcris toujours la möme cho§@ », recoflrlalt-il dÖs les premiöres pages de Au'ai-je donc fa# (2008). Voilä donc Jean d'O. tel qu'en lui-möme dans ce nouvel opus quifait suite ä C'est une chose öüange ä la fin que le monde (2010), titre empruntö ä Aragon, pröcisö-

de la figure de son grand-pöre. lly est question de son amour adolescent pour Marie, quiva lui pröförer le fils adoptif de sa Un jour

tante. m'en irai

sans en avoir tout dit par Jean

d'Omesson, 256 p.,21

Copyright Robert Laffont. En librairie le 26 aoüt.

ment au deuxiöme chant de son poöme " Les yeux et la Mömoire,. Or le

vers suivant n'est autre QU€ : « Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit ".,. Sacrö

Jean d'Ormesson, si fidöle ä ses inclinations, si soucieux, ä 88 ans, d'en garder la saveur et le souvenir qu'il ögröne, au 916 de courts chapitres introduits ä la fagon des Mömoires d'outre-tombe de Chateaubriand - son auteur culte. lly est donc question de son enfance b6nie au chäteau de Plessis-lez-Vaudreuil, en röalitö le chäteau matemelde Saint-Fargeau döjä övoqu6 dans Au plaisir de Dieu, et

58. LIRE SEPTEMBRE 2013

je

lly est question de ses

retrouvailles avec Marie et de leur dolce yifa entre I'ltalie et la Gröce. lly est question du bigbang, de Darwin, d'Einstein, de

Dieu et des religions, de la beautö et de la vörit6, du cha-

grin, de la joie, du mal aussi ; d'arts, de littörature, de philosophie, bien sür; du sacrö et du temps qui passe, du rapport ä I'argent et au travail, du monde mo-

derne, de l'allögresse et de I'angoisse de l'öcrivain, etc. Bref, rien de neuf, mais qu'importe, Reste ce brio inentiamö pour parler de tout et de soi avec lucidit6 et

l6göret6. Le plus cölöbre de nos acadömiciens n'a pas oubliö ce mot de Giuseppe Tomasi di Lampedusa: " L'ironie et la plaisanterie sont aristocratiques, non l'ölögie et la plainte.

,

o.e.


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t

t

Oü I'auteur s'inquiöte briövement du sort d'un genre littöraire si longtemps triomphant et oü il entre

.

avec audace dans le vif du suiet.

k

Oü I'auteur reconnatt qu'il n'est ni Beniamin Constant, ni Emile Zola, ni Franqois Mauriac. dösole, bien sür' et il s'en console.

Il

s'en

Autant I'avouer tout de suite. Je n'ai aucune intention

climat, ä ce qu'on Vous savez quoi ? Tout change. jeunes les frongens. Les r6gimes, dit. Ou la taille des

de vous proposer quelque chose dans le genre d'Adolphe,

tiöres, les monnaies, les vÖtements, les id6es et le§ mcurs. Une rumeur court: le livre se meurt. Voilä prös de trois

de Nana ou de Thöröse Desqueyroux. Et pour deux raisons au moins. La premiöre :je ne peux pas. La deuxiöme :

mille ans que les liwes nous font vivre. Il parait que c'est fini. Il va y avoir autre chose. Des machines. Ou peut-Ctre rien du tout. Et le roman ? Il parait que Ie roman est

je ne veux pas. Je ne peux pas. J'aurais du mal ä Ötre aussi subtil (et aussi changeant) que Constant, aussi puissant (et aussi pesant) qte Zola, aussi tourmentd (et aussi faux jeton)

ddjä mort.

Ah ! bien sür, il y a encore

de beaux re§tes. Des

r6ussites. Des succös. Des... comment dites-vous ?.'. des best-sellers.Portah ! ks romans aussi, c'est fini. Nous les avons trop aim6s. Gargantua, Pantagruel, Don Quichotte,

Athos, Porthos, Aramis, d'Artagnan, Gavroche, Fabrice et Julien, Fr6d6ric et Emma, le prince Andr6, Natacha et Anna, les fröres Karamazov, la cousine Bette, le Pöre

Anastasie et Delphine, les familles Rougon-Macquart, Forsyte, Buddenbrook - on dirait un faire-part -, Vautrin, Rubempr6, Rastignac, le narrateur et Swann et Charlus et Gilberte et Albertine et Rachel-

Goriot et

ses filles,

quand-du-seigneur et la duchesse de Guermantes, lord Jim et lady Brett, Jerphanion et JalTez, mon amie Nane et Bel-Ami, Aur6lien et Gatsby, le consul sous le volcan,

Mömed le Mince, l'Attrape-ceurs, le pauvre vieux K ä Prague et Leopold Bloom ä Dublin qui se prend pour Ulysse : ce monde de rÖve et de malheurs chang6s soudain en bonheur ne durera pas toujours. Ses silhouettes de femmes, de maitresses, de jeunes filles, ses fantÖmes

que Mauriac. Ils dtaient trös patients. Je le suis beaucoup moins. Ils travaillaient beaucoup. Je ne d6teste pas m'amuser. Ils avaient comme du gdnie. Ce n'est pas le genre de la maison. Ils sont arriv6s, toutes voile§ ddploy6es, sous les acclamations, dans la lumiöre du port. Je rame

encore ä I'ombre. Ce n'est pas seulement que je ne peux pas. Je ne veux pas, Pourquoi ? C'est tout simple : ils appartiennent au pass6. J'invente autre chose. Ils sont morts. Je suis vivant.

Ah ! pas pour toujoun. Mais pour encore un peu de temps qu'il faut tächer de ne pas perdre. Et le comble :je suis bon gargon. Voilä d6jä un bail qu'ä notre 6poque de d6rision et de contestationje fais - et peut-6tre presque seul - profession d'admiration. Je les admire. Plus que personne. On dirait un benöt toujours pr6t ä les applaudir. Je les admire, mais je ne les imite pas. Je ne marche pas dans leurs traces. J'admire aussi, etplus encore, Homöre, Ronsard, La Fontaine, Racine, et quelques autres. Il ne

de gdants s'dloignent dans le pass6. L'herbe a du mal ä repousser deniöre eux; Les seconds couteaux s'agitent. Lrs truqueurs d6boulent. Lrs poseurs s'installent' L'ennui

me viendrait pas ä l'esprit, möme si j'en 6tais capable, d'6crire une 6pop6e, un sonnet, une ode ou une trag6die classique. Laissons les morts enterrer les morts.

triomphe. Tout le monde 6crit. Plus rien ne dure. On veut gagner de I'argent. Presque une espöce de m6pris aprös tant d'enchantements. Le genre s'est 6puis6. L'image

Nous en avons trop w. Aprös tant de d6sastres et de ruines, le th6ätre est m6connaissable. La piöce n'est plus la möme. Les d6cors ont chang6. L'histoire galope. Nous n'avons plus le temps. II n'est pas impossible que les rai-

triomphe et l'emporte sur l'6crit en d6route. Voici pourtant encore un liwe, quelle audace ! voici encore un roman - ou quelque chose, vous savez bien,

sins d'hier soient trop verts aujourd'hui. Ce qui est sür, en tout cas, c'est que nous sommes rassasi6s. II nous faut

quoi pas ? et les souvenirs, 6pars et ramassds p6le-mÖle, d'une vie qui s'achöve et d'un monde 6vanoui. Peut-Ötre

autre chose. Pour 6tre tant bien que mal et si peu que ce soit ä la hauteur de nos maitres v6ndr6s et trahis, il s'agit d'abord de nous 6loigrer d'eux, de les combattre, de trouver des chemins qu'ils n'aient pas parcourus. Vou§ savez

tout, äjeter sur notre

ce que nous voulons, ce que nous espdrons, ce que nous

temps pris de doute comme un mince et demier rayon ? Et mÖme, qui sait ? ä lui rendre enfin un peu de cette es-

essayons de faire avec une espöce de d6sespoir ? Du nou-

qui ressemble

ä un

roman : des histoires, quelques d6lires,

pas de descriptions gräce ä Dieu, un peu de th6ätre,

ce fatras parviendra-t-il, malgr6

pour-

veau. Encore du nouveau. Toujours du nouveau.

p6rance qui lui fait tant d6faut.

LIRE SEPTEMBRE 2013'59


Oti l'auteur, d la surprise du lecteur,

.

et

tr

Oü I'auteur

petü-Affe d

son indignation, dönonce les mutins de Panurge et refuse avec obstination d se prötendre moderne.

se

souvient de son enfance d Plessis-

lez-Vaudreuil et de son grand-pAre döpeint dans Au plaisir de Dieu.

se

jeter dans le modeme. Tout

Longtemps,j'ai 6tdjeune. J'ai eu de la chance. J'avais

le monde veut ötre modeme et, comme si Ea ne sutfisait pas, tout le monde veut ötre rebelle par-dessus le march6. Pour

un pöre et une möre, un.fröre, une gouvernante allemande

ötre au goüt du jour, tout le monde cherche ä grimper

comme dans les romans de la comtesse de S6gur, L es Petites

dans le train d6jä bond6 des mutins de Panurge. C'est un joyeux tintamarre, plein d'argent comme jamais, ou plutöt

Filles modöles

piöge ä 6viter, c'est de

se

qui s'appelait Fräulein Heller et que j'appelais Lala. Et,

ot

Les Vacances, nous nous aimions tous

mauvaises maniöres en plus. Tournent

beaucoup. Les bons sentiments coulaient ä flots autour de nous. J'adorais Lala qui 6tait trös sdvöre, que je trou-

dans ce manöge non pas tant. comme on pourrait s'y at-

vais trös belle et qui me donnait des fessdes avec une brosse

tendre, les plus d6shdrit6s, les hors-la-loi, les laissds-pourcompl.e de l'histoire. mais surtoul. sans vergogne. ceux qui

ä cheveux. Le monde s'arrötait lä et il 6tait trös doux. Il me paraissait immobile, ou ä peu prös immobile. Les

ont dejä tout et qui veulent encore le reste, les banquiers ivres de Chine, les milliardaires en perdition qui, ä ddfaut

choses changeaient trös peu. Trös lentement, et trös peu.

de rendre l'argent, en disent au moins du mal. Le comble du moderne, c'est ä la fois de passer pour rebelle, d'avoir

et des rdvolutions. L'hiver, avec sa neige et ses dtangs couverts de glace oü il m'arrivait de patiner, succddait ä

le pouvoir et d'0tre plein aux as.

Ah ! bravo ! Quel chic ! Etre r6solument moderne est une tentation que j'ai

l'automne, et le printemps ä I'hiver. Dös que revenait l'6t6, j'allais rejoindre mon grand-pöre ä Plessis-lez-Vaudreuil.

fini par repousser. Pour la bonne raison que le moderne

Et plus rien ne bougeait. En d6pit du temps qui passe et de ses ravages meur-

comme toujours.

lrs

sent ddjä le moisi.

Il y

a

cent ans, l'histoire s'est emball6e. L'avenir, tout Au point que les

Dans un passd lointain et trös flou, il y avait des guerres

triers, quelques-uns d'entre vous ont peut-Ötre gardd un

ä coup, a 6t6 autre chose que le pass6.

vague souvenir de ce personnage que j'ai beaucoup aim6

mots nous manquent pour tenter de nous d6finir. Le nouveau, ä peine n6, est aussitöt une vieille lune. Le modeme

lui aussi, qui d6testait le monde moderne, qui vomissait le progrös, ses pompes et ses ceuvres, qui vivait dans le

est hors d'äge et ddjä derriöre nous. Le postmoderne est

passd et qui attachait une importance ddmesurde aux fa-

d6passd et un peu ridicule. Le contemporain, ä son tour,

gons de se tenir et de parler. Sosthöne, mon grand-pöre,

j'ai

essay6 de tracer le

est tombd dans les oubliettes. Nous sommes des dcureuils

dont

qui courent de plus en plus vite dans une roue sans fin et qui se mordent la queue.

rante ans, dans A

u

portrait, il y

plaßir de Dieu et qui

se

a prös de qua-

confondait de-

puis sept ou huit siöcles avec Plessis-lez-Vaudreuil.

Les 6vdnements, les livres, les spectacles, les senti-

Plessis-lez-Vaudreuil !... Seigneur !... Vous rappelez-

ments, les iddes passent ä bride abattue, comme l'herbe

vous ?... C'6tait un autre nom du paradis avant le ddluge de fer et de feu qui a tout emport6. Nous ne doutions de

et comme le vent. La tOte nous tourne. Quelques-uns crient qu'ils veulent descendre et essaient de sortir. Mais sortir est interdit. Nous sommes enferm6s dans le systöme et il n'est pas permis de s'6chapper. Möme si nous le voulions. Et nous ne le voulons pas vraiment. Le systöme, c'est ce monde que nous avons tricotd tous ensemble et oü nous sommes condamn6s ä vivre avant de faire comme les autres et de nous en aller

pour de bon.

rien, et surtout pas de nous-mömes. Nous ne voyions pas plus loin que notre vieux jardin qui 6tait un parc immense

dont les tours, les bosquets, les bancs ä l'ombre des tilleuls, les all6es entretenues avec soin, les plates-bandes de pens6es et de bdgonias, les murailles formidables ne pr0taient pas ä rire. Dieu se chargeait de tout - et il nous avait ä la bonne. Les choses 6taient ce qu'elles 6taient et

connais ma prison. J'accepte ma condition. Je m'en ar-

Il y avait une v6rit6 et il y avait une justice. Et, depuis des temps ä peu prös immdmo-

range m0me assez bien avec ses 6clats de voix et ses rou-

riaux, elles nous avaient faits ce que nous 6tions.

lements de tambour auxquels il m'arrive de participer.

Je ferme les yeux. Je nous revois. V0tue de noir depuis toujours, les mains couvertes de mitaines, sans le moindre bijou, un ruban de velours autour du cou, ma

Nous sommes prisonniers de nos propres progrös. Je

Mais je ne fais pas le malin. Je ne pousse pas des cris de

joie. Je ne suis pas affold par l'actualit6. Je ne suis pas ä la mode. Nous le savons depuis toujours : la mode est ce qui se d6mode. Toutes ces vieilleries triomphantes sont

ce qu'elles devaient ötre.

grand-möre est assise, immobile et presque absente, dans une gu6rite d'osier qui la protöge du soleil et du vent. C'est

depuis longtemps us6es jusqu'ä la corde. Je ne pleure pas

une grande vedette du muet. Elle vit encore au temps de

non plus sur le pass6, sur le lait r6pandu des charmes du temps jadis. Je suis lä, et c'est tout. Je m'arrange de mon

ces

dpoque comme je m'arrange d'ötre au monde. Ni rejet,

n'a jamais ouvert Proust, ni Gide, ni bien entendu Aragon.

ni colöre, ni amertume

Elle ignore jusqu'ä leurs noms. Elle ne sait rien du monde

60. LIRE SEPTEMBRE

2013

-

et aucune illusion.

arriöre-grand{antes de ldgende qui avaient dansd dans leur jeunesse aux Tuileries avec le prince imp6rial. Elle


.f

EXTRA|T ROMAN FRANgAIS en train de changer autour de nous. Le reste du clan est

Il parle de choses et d'autres, de mariages et d'enterrements qui s'e changent en fötes sur ses lövres et du temps qu'il va faire. II commente le Tour de France dont les h6ros iminstalld sous les tilleuls autour de la table de pierre.

mortels, successeurs d'Ulysse, d'Achille, de Patrocle et d'Hector, s'appellent alors Antonin Magne, Romain et Sylvöre Maes, Lap6bie, Bartoli, et dit du mal d'un avenir qui trahira le passd et qui sera communiste et anticl6rical. Mon grand-pöre rögne en silence. Il ressemble ä un Jean Gabin ddjä atteint pa1 l'äge mais toujours solide

droit, et il läche de temps ä autre une parole meurtriöre. I1 y a en lui quelque chose de massif et de chinois qui dchappe au cours du temps. Flottent dans I'air autour de nous une certaine lenteur, le culte de l'histoire et de l'immobilit6, la m6flance pour l'imagination et pour l'intelligence qui est si mauet trös

vais genre. Une violence secröte se cache sous nos dehors polic6s. Plus encore que dans les chasses, qui nous occu-

pent ddjä beaucoup, elle s'exprime dans les chasses ä courre qui tiennent dans notre vie une place consid6rable et qui se prolongent le plus souvent jusqu'ä la nuit tomb6e. Autour de Ia d6pouille du cerf et de la meute des chiens, au son des trompes de chasse, ä la lueur des flambeaux tenus par les piqueurs - nous prononqons piqueux -,ce sont des scönes d'une sauvagerie antique oü l'6l6gance se couvre de sang. Ce qui compte d'abord pour nous, c'est la famille. Elle jette ses tentacules loin dans le pass6 et dans l'espace'

Nous avons des cousins en Belgique, en Espagne, en Autriche, en Baviöre et en Prusse, en Hongrie, en Russie, dans les pays baltes. De temps en temps, chassds de leurs

for6ts et de leurs terres ä bl6 lointaines par I'ennui, par Ia passion, par les rdvolutions, ils d6barquent ä Plessislez-Vaudreuil oü nous les recevons avec tous les honneurs qui sont dus ä notre rang. Nous n'avons pas de cousins en Argentine, au Br6sil, au Japon, au Kenya. Et il n'est pas sür que les Etats-Unis existent waiment quelque part.

tr

sentiment qui nous anime ä leur 6gard est une sorte de d6dain. Ils ne nous intdressent pas. Ils parlent une langue impossible. Nous n'y connaissons personne. Nous n'avons pas l'intention de nous möler de leurs affaires qui reposent sur I'argent. Nous nous sentons plutöt plus proches

mon grand-pöre. Nous n'aimons pas le changement, ce qui bouge, ce qui va trop vite. Nous aimons le pass6. Les lendemains nous font peur. Nous savons, bien entendu, qu'il y

a de

I'avenir devant

nous. Nous pr6f6rons de loin le pass6 derriöre nous. Mais nous sommes trös gais face ä l'in6luctable. Nous mÖlons

l'orgueil

ä une sorte de fatalisme et nous sommes

convain-

cus, tout au fond de nous-mÖmes, que, jusque dans la

d6faite, c'est nous qui avons raison. Nous avons le sentiment que les choses ne tournent plus trös rond dans ce monde qui nous entoure oü nous avons rdgnd jadis et qui est plein, tout ä coup, ä la fois de nouveaux riches et de radicaux-socialistes. Nous n'y pouvons rien : nous §onrmes

seuls ä incarner Ie bon goüt, la süretd de jugement, la justesse d'esprit, l'öllgance. Tout cela, nous le sentons obscur6ment, est sur le point de s'achever avec nous. Je soupqonne mon grand-pöre et ma grand-möre de connaitre la source de ce ddröglement. Ils en parlent trös rarement, mais ils savent, dans leur ccur, que tout s'est d6glingu6 avec la fln brutale de la monarchie ldgitime. Ce n'est pas que la monarchie se soit toujours bienconduite dans ce pass6 qui nous est si cher. Il n'y a que Saint Louis, Franqois I", et surtout Henri IV pour remporter tous les suffrages. Philippe le Bel, Louis Xl, Louis XIV, t ouis XV sont trös loin de se situer au-dessus de tout soupgon. Je ne suis pas sOr que mon grand-pöre

et ma grand-möre auraient accept6 de se voir traiter de royalistes. La famille s'est bien souvent oppos6e ä une monarchie tgannique et parfois d6pravde. C'est pire avec Napol6on : on ne sait pas du tout sur quel pied danser

Il incarne une sorte de catastrophe ndgative. Mais qu'est-ce que Providence de n6cessaire, vous voulez que je vous dise ? En ces tempsJä, avec les avec l'Usurpateur.

rois ou avec l'Empereur, on savait viwe et les choses n'al-

laient pas ä vauJ'eau.

Au centre et au-dessus de tout, la religion. Qa, c'est du solide. La religion, comme la famille, est au-delä de toute contestation. Elle est la cl6 et le ressort du monde oü nous vivons. A I'ombre du chäteau, dans une curieuse relation dominde-dominant, s'61öve l'6glise oü officie le doyen Mouchoux qui croque des noix entiöres avec leurs coques et ne crache pas sur Ie bon vin. Il lui anive d'empester le tabac et l'alcool. Mais nous lui pardonnons : c'est

des rajahs, des nizams, des sultans et qui ont, comme nous,

un saint homme. Par un miracle sur lequel nous nous interrogeons trös peu - nous avons un faible pour les mi-

une longue histoire derriöre elles. L'argent ne nous manque pas. Il tombe du ciel. Les livres ne nous sont pas indiff6rents. A condition, bien sür,

racles, nous les cultivons avec soin, nous les acceptons sans rechigner -, il repr6sente Dieu sur cette terre oü rögnent depuis des siöcles les hautes tours rondes et roses

d'avoir un peu plus de cent ans, de dire du bien des

de PlessisJez-Vaudreuil.

de la Chine, de I'Egypte, des Indes oü

il y a des princes,

Romains ou ä la rigueur des Grecs, de ne jamais rdpandre ces iddes r6pugnantes de r6volution, de progrös, d'athdisme qui empoisonnent le pauvre monde. Evolution,

rdvolution, art moderne, relativit6, transformisme, vers libres, toldrance, progrös sont des mots d'une grossiöret6 telle qu'ils ne sauraient ötre prononc6s ä la table de

LIRE SEPTEMBRE 2013'61


AIT

RoMAN FRANqAIS

LaPremiäre Pierre Pierre JOURDE tE LIVRE premiöre

" Oui a jetö la

pierre ? ,

de la prison avec sursis, ont-ils considörö Pays perdu comme une vöritable offense ? Com-

C'est la

question que se pose l'auteur de Pays perdu, en revenant sur I'onde de choc provoquöe par

ce roman paru en 2003

:

Pierre Jourde y retraqait la vie rude des habitants d'un village retir6 du Cantal, övoquant no-

ment, en tömoignant avant tout

tamment I'isolement, la solitude, I'alcoolisme, la moft d'une petite fille, des secrets de famille... Or l'6crivain s'inspirait ouvertement du village auvergnat de Lussaud, berceau des Jourde, oü il se rendait deux ou trois fois par an depuis sa naissance. Mais certains de ces

habitants se sont sentis insultös et lorsque Pierre Jourde est revenu au village en 2005 avec sa femme et ses trois enfants, dont un böbö d'un an, ils ont ötö victimes d'une tentative de lynchage avant d'en ötre chassös ä coups de pierres. Pourquoi leurs agresseurs, condamnös en 2007 ä des amendes et 62.LlRE

SEPTEMBRE 2o13

de son « amour du pays ,, at-il pu susciter un tel döferlement de haine ? Ce sont les autres questions que pose Pierre Jourde dans La Premidre Pierre, sode de livre sur le livre, ä la fois enquöte sur la u döflagration "

La Premiöre Pierre par Plene Jourde, 192 p,, 17,90 €. Copyright Gallimard. En librairie le 5 septembre.

produite par quelques dizaines de pages

öcrites sans arriöre-pensöes, röcit de son dösarroi, et tömoignage renouvel6 de son attachement ä cette tene et ä ses

gens. Sa sincöritö affleure ä chaque page. Son öloquence et sa luciditö ne sont pas en reste pour sonder au plus prös le rappod entre fiction et röalitö, surtout dans ce contexte si singulier. u La littörature söpare, comme le scalpel, c'est

lä son premier effet. Elle söpare, et puis

elle recompose aussi ,, öcrit Pierre Jourde. En toute

lögitimitö.

D.P.


,l

urtout, tu ne cognes pas. C'est ce que ta möre t'avait dit : si on t'agresse, tu ne r6ponds pas. Ensuite, tu vas ddposer plainte ä la gendarme-

par hasard sur un article. Qui l'a tenu le premier entre les

rie. Et Sophie, pour autant qu'est possible la m6-

de la päte ä modeler, de la saucisse söche, du fromage, des piöces de rdfrig6rateur, du vin, des culottes taille 54,

moire de ce qui s'est pass6, car la violence d'un 6vdnement a cet effet de recomposer ce qui l'a pr6c6d6, de redistribuer I'oubli et le souvenir, avait gliss6, en termes moins imp6ratifs, un conseil identique. Surtout, en cas de

rixe, ne pas frapper.

Un livre avait öt6 6cit: Pays perdu. Un livre qui serait difficile, möme pour quelqu'un qui apratiqud la th6orie de la littdrature, ä ddfinir en termes de genre. Le narrateur emploie la premiöre personne, mais il ne se trouve pas au centre du r6cit. Au centre du rdcit, il y a le pays, et ceux qui y vivent. Celui qui raconte reste un personnage secondaire.

Il y est question

en passant de

l'histoire

de sa famille, de I'h6ritage d'un vieux cousin. Mais il s'agit

avant tout de rapporter les obsöques d'une adolescente, Ia

des tournevis, des pätes de fruits. Ils ne pouvaient pas manquer d'avoir Pays perdu. Et puis il y a les bonnes ämes, tout emplies des meilleures intentions, qui ne sont pas du village mais y s6journent rdguliörement, et qui vont faire le tour des maisons avec l'objet du d61it, isolant, soulignant les passages abominables, compatissant ä la douleur de ceux qui s'y trouvent agressds, sans savoir pour quelle raison. « Si on

t'insulte, si on te frappe, tu ne r6ponds pas. » se demander quelle 6tait lapart de simple

On pouvait

habilet6 tactique dans de tels conseils. Sans doute 6taientils dict6s aussi par une appr6hension vague, qui poussait ä se dire qu'il ne fallait surtout rien faire pour aggraver les choses, et, pourquoi pas, par une pens6e magique dans

fille d'amis paysans.

Il avait fallu un

mains ? Il y a eu un jour une commande de l'6picerie du bourg, oü l'on trouve tout : des polnmes, des journaux,

an au livre pour arriverjusqu'au

vil-

Iage. Publid en 2003, il avait suivi son chemin lentement,

arriv6,äl'(:t62ffi4,rn peu comme tout a fini par arriver lä-haut, avec un peu de retard, et pas partout, I'eau courante, le t6l6phone, les salles de bains, le chauffage central. I1 6tait arriv6. Juste quelques jours aprös votre d6part, ä la fin d'un s6jour de vacances, au mois d'aoüt. mais il 6tait

Tu n'aurais pas cru qu'il püt parcourir une aussi longue route. Il n'y avait pas beaucoup de livres dans le pays. La seule ä lire assidüment 6tait Berthe, la mÖre de notre fermier, seule dans son hameau de BessÖges, au fond du val ddvor6 d'arbres. Elle en r6clamait, et tu lui en appor-

laquelle la volontd d'inaction serait contagieuse. Ne pas r6pondre, comme si on pouvait faire advenir une situa-

tion oü tout

se

neutraliserait.

On te connaissait. On espdrait, sans vouloir te le dire, que te r6duire ä la passivit6 dans une situation d'agression permettrait d'6viter que les choses ne deviennent graves. Le d6roulement des dvdnements devait point par

point vdrifier ces appr6hensions. Ne pas rdpondre, ne pas porter de coup, surtout pas le premier, mais de quelle maniöre, dans la r6alit6, appliquer la consigne ? Quelles seront les circonstances concrötes ? Faudra-t-il fuir ? Se pelotonner dans un coin en essuyant quelques coups, et puis soigner les bobos avec

Ta möre conseil-

tais, mais sa vraie passion, c'6taient les vieux liwes d'aven-

du mercurochrome et des compresses

tures, Jules Verne surtout. Peut-0tre poussait-elle la mo-

lait cela, en cherchant ä se convaincre que tu l'6couterais,

dernit6 jusqu'ä Jean Anglade. Mais pour la plupart, La Montagne assurait l'essentiel de la lecture, avec le bulletin de la paroisse. Alors un dcrivain peu connu, publi6

mais elle n'y croyait pas tout ä fait.

Quant ä toi, tu prdf6rais laisser les choses en suspens. Tu dcoutais, tu approuvais l'excellence des conseils, sans

chez un 6diteur confidentiel...

t'engager vraiment. Comme lorsque tu sais que tu vas Ötre

Mais le livre faisait son chemin, doucement. A peine aviez-vous pris la route du retour, vacances termindes,

confrontd ä une r6alit6 difficile, mais sans visage pr6cis, tu projetais dans l'avenir une dtendue neutre et grise, d6pourvue de figures, une indiff6rence qui r6pondait ä ta

qu'il 6tait lä, et qu'il apportait la r6volution dans le minuscule hameau de vingt habitants, et au-delä, dans les hameaux plus minuscules encore de la montagne, deux ou trois maisons au bord du grand vide. Vous l'aviez su par un coup de t6l6phone d'Adrienne ä ta möre, et puis par les multiples appels de la tante, dont l'organe puis-

?

disposition intdrieure. Ce n'6tait pas un choix, mais un 16flexe animal : le vide, sans 6liminer les 6motions, Ies 6vacue dans un coin dloignd de l'esprit, pour qu'elles ne puissent pas le troubler dans sa concentration, lorsque la menace se prdcise.

pouvait-il arri-

Un an d'attente pour revenir, un an aprös le choc qu'avait constitud l'arrivde du livre au village. Un an au cours duquel les coups de t6l6phone, les lettres avaient entretenu une atmosphÖre contradictoire de tension, de ddtente, oü l'on ne pouvait pas tres bien savoir oü se trouvait au juste la rdalit6, entre l'6tat de guerre mortelle et

ver lä-haut ? Tes livres pr6c6dents n'y avaient pas rdussi.

la brouille, entre l'6v6nement et rien du tout. HypothÖses,

Mais il y a des enfants, ou des petits-enfants, qui se sont installds ä la ville, qui ont Internet, ou qui tombent

tourndes et retourn6es, comme pendant ces nuits d'insomnie oü la substance des choses se d6robe. Il y avait eu

sant ddtaillait les progrös du drame, et vous l'imaginiez dans sa petite salle arpentde de mouches, sous les poutres noircies et les fromages qui s6chaient dans les hauteurs obscures, tout excit6e par l'agitation environnante. Comment un liwe publi6 chezunpetitediteur, L'Esprit des p6ninsules, par un auteur peu connu,

LIRE SEPTEMBRE 2013.63


d'oubli. La date as-

La brutalit6, la violence parfois sont lä-haut ins6pa-

sign6e pour notre retour se rapprochait. Paradoxalement,

rables de la vie. Et la duret6. Tu le savais bien, et tu l'avais

se rapprochait, plus I'esprit s'alldgeait. Ils l'attendaient tous, lä-haut, eux aussi, ce moment. Ils prdparaient leur affaire, ils se demandaient comment ils allaient s'y prendre, ils en rövaient, le soir, dans leur lit, une fois les bötes traites et la soupe aval6e. Ou bien, s'ils n'envisageaient pas de participation directe, ils at-

6prouv6. Je me souviens que Dzouz6, aprös les 6v6nements, avait cherchd ä m'en faire relativiser la port6e dramatique en me d6crivant un 6pisode de jadis, oü l'on vit

demandaient quelle serait l'heure, quel se-

lence, sans l'6treindre tout ä fait, tu l'avais effleurd ä plu-

des moments d'anxi6t6, des moments

plus elle

tendaient,

se

rait le moment, comment et oü

les choses se

ä Paris et

lä-haut,

saire ä travers les ruelles du village.

Tu savais ce qui pourrait arriver. Le corps de la vio-

d6rouleraient,

sieurs reprises dans le pass6. Tu avais renvers6 et marteld

r6pondaient

de coups de poing un autre valet de ferme, adolescent celui-lä, qui travaillait avec son fröre pour le fermier d'en

quelle en serait l'issue.

Aux deux extrömes,

une fermiöre arm6e d'une hache poursuivant son adver-

se

r6p6titions

face, lä encore sans trop savoir comment vous vous 6tiez

de saynötes toutes diffdrentes, et qui pourtant se ressemblaient toutes, on modifiait les acteurs, les p6rip6ties,

retrouv6s lä, par terre, ä cötd du four banal du village, tant ces choses se produisent comme les mdtamorphoses jail-

les supputations nocturnes, s'dbauchaient les

le d6nouement, mais le sujet demeurait identique. Et peut-

lissant de la baguette des sorciöres. Guöre plus qu'une ba-

ötre aussi chacun, dans sa petite monade tiöde, se de-

garre d'adolescents.

mandait ä

ä

quoi ressemblait le lieu d'oü I'autre s'employait

lui vouloir du mal, ä prdparer le moment des retrou-

Tu avais, un hiver, mesur6 ta force

ä celle de tes

futurs

agresseurs, sans imaginer que vos bagarres feintes dans

vailles et des comptes ä r6gler.

la neige prendraient un jour un tour sdrieux. Mais enfin,

M6me si l'on connait bien les maisons, si on les a fr6quent6es des ann6es, on n'a jamais penöte ces zones in-

tu savais bien. Cette rudesse möme dtait consubstantielle

times oü

se

composent silencieusement les röves. Certains

ne venaient pas ä bout de leur rage. Quelque chose avait 6t6 r6veil16, exhum6, scandaleusement mis au jour, comme si

l'on avait sorti

les cadawes de leur fosse et

qu'on les avait

6tal6s au milieu du village, et c'6tait cela, cela möme qu'on disait, on avait touch6 aux morts, on avait enfreint les lois les plus sacr6es. Scandale absolu, comblant toutes les plus secrötes, les inconscientes concupiscences de scandale.

On retournait cela, dans les maisons encloses du sommeil des chiens et des ruminants, dans les appartements que les voitures enveloppaient de leurs rumeurs, on n'en entendait plus le vent du volcan secouer les volets, le vent qui s'en foutait, tout comme la nuit s'en foutait, qui baignait ces deux mondes, accueillait leurs inqui6tudes, avivait d'insomnie leurs contours, et puis dissipait tout dans le sommeil qui s'en foutait, tandis que la neige commen-

ä ce que tu aimais lä-haut, et dont tu avais tent6 de faire un portrait dans le livre. La beaut6 sans miövrerie, la beautd difficile, qui vous rejette ou qui vous agresse, celle de la for6t oü l'on s'6gare, du sang rouge sur le corps de la böte noire fraichement abattue, des hameaux ddserts qui retournent lentement ä la pierre, des busards pos6s sur les barbel6s. des millions d'dtoiles froides qui envahissent ies nuits et dont le regard multiple t'6voquait celui des araigndes embusqudes au fond des chiottes rudimentaires install6es au fond du garage, prdsences condensdes dans ces huit lueurs avides. Il n'y avait pas de tendresse ä attendre. Les 6chos de l'effervescence qui agitait le village t'en

parvenaient de loin, par des amis, par les cousins qui ha-

bitaient ä cöt6. La tante, qui 6tait l'encyclopddie vivante du pays, et qui ne craignait personne, par temp6rament et parce que sa voix 6norme et sa stature de lutteur la met-

Un 6change de coups de poing ? Avec qui ? Il y avait ceux qui s'estimaient insult6s. La famille de ceux qui s'estimaient insult6s. Cela d6passait

taient ä I'abri de toute agression, t'appelait pour commenter le contenu. C'6tait la vdritd mOme que tu avais 6crile, te disait-elle, möme s'il y avait une ou deux v6rit6s sur lesquelles il aurait mieux valu se montrer plus cir-

les limites du village, s'6tendait aux hameaux et aux bourgs

conspect. Mais enfin, il n'y avait pas ä dire, c'6tait un beau

environnants. Au-delä, le cercle s'dlargissait encore ä tous ceux qui, ä tort ou ä raison, chauff6s par les racontars et

liwe. Henri n'6tait pas content, c'est certain. Et puis alors

gait ä 6galiser les routes et les pr6s.

A quoi s'attendre

?

?

croissante, et le consentement exige parfois d'ötre rem-

EIle l'avait croisd chez le coiffeur, au chef-lieu de canton, et elle lui avait dit son fait. Dans le t6l6phone, tu avais entendu cinq ou six fois peut-Ctre la voix tonitruante de la tante qui braillait ä faire p6ter le r6cepteur en rdp6tant l'histoire de l'entrevue chez le coiffeur. La tante ne parlait qu'en hurlant, cela faisait partie des choses qui suscitaient notre tendresse. Elle lui avait dit, ä Henri, tu avais qu'ä ne pas faire le joli caur jadis, tu l'as bien cherch6, mon neveu n'a fait que raconter ce que tout le monde connait, alors fous-lui

bours6 cash.

donc la paix.

les conversations de caf6, se proclamaient vis6s par le

li-

vre et manifestaient leur volont6 de se faire justice. Le pays regorge de chercheurs de querelles, de bagarreurs de bistrot et de bal, experts ä se trouver des prdtextes au cas oü il leur en manquerait, infiniment chatouilleux d'un honneur dont l'hypertrophie, pouvait-on supposer, com-

pensait tout, tout le reste, une vie de consentement ä la duretd de la vie, ä la fin de la paysannerie, ä la solitude

64. LIRE SEPTEMBRE

2013


,l

EXTRAIT ROMAN FRAN§AIS lrs

armes n'6taient

A distance, tu ne te faisais qu'une idde vague de qui pouvait se sentir atteint et pourquoi. Une mention, une phrase mal comprise pouvait ddclencher des rdactions

pas du mdme calibre. Comme dans les westerns, il y avait

leur charge

6loigr6, vers d'autres aventures tout aussi palpitantes sans

disproportionndes, comme

si les ann6es, avec

de solitude et de douleurs, avaient secrötement attendu ces quelques pages. I1 y a de vraies raisons aussi, des raisons profondes, dont il faudra parler, le moment venu. Parmi les 6pisodes de cette rdvolution villageoise, qu'on pouvait suivre, ä distance, rdpercutds, commentds, interpr6t6s inddfiniment, un ou deux s'av6raient assez in-

qui6tants.

En töte du livre, tu avais remerci6 Dzottz6, ainsi que Laurence et Jean-Claude. Le remerciement avait 6t6 interprltöpar certains comme le tribut rendu ä tes indica-

au coin de la porte, ä toutes fins utiles.

eu un moment de flottement, et le garEon vacher s'6tait

doute.

Tintin avait en commun avec son fröre le sens de la nuance et des transitions.'Il avait tdl6phon6 ä Laurence et Jean-Claude, et annonc6 la couleur. Il allait monter au village, pas plus tard que

tout de suite, avec le fusil

charg6, et on verrait ce qu'on verrait.

C'est comme si c'6tait fait, il n'avait plus qu'ä raccrocher et ä enfourcher sa fidöle voiturette dlectrique, qui viendrait zonzonner jusque dans le bas du village, lä oü le bout de bitume s'arrÖte, et il en descendrait, les armes

teurs. Il

les compromettait. Stupidement, tu n'y avais pas pens6. Tant de choses auxquelles tu n'avais pas pens6. Le livre s'6tait 6crit dans I'absolu, cornme s'il ne devait

ä la main, seul sous le soleil d'aoüt, dans le silence agr6mentd de mouches, puis il s'avancerait vers la maison de Jean-Claude, le pas l6görement h6sitant ä cause du quin-

jamais avoir de lecteur, sinon toi. Tu te 1'6tais adress6, et ä ton pöre. C'6tait le tombeau que tu lui destinais.

ziöme canon, celui de trop. I1 avait fallu de longues minutes de n6gociations, et toute la rondeur diplomatique de Jean-Claude pour par-

Les indics, on les descend. Jean-Claude, sortant de chez lui un matin, tombe sur Henri, devant l'6glise. I1 Ie salue. Comme d'habitude. II n'ignorait pas qu'Henri venait de vivre cette exp6-

venir ä le dissuader. Donc, tu le savais, tout n'irait peut-Ötre pas sans accrocs, lorsque tu reviendrais. Mais tu ne pouvais pas ima-

rience inddite pour lui, incroyable au village : devenir un personnage de liwe. Personnage secondaire, certes, mais

giner que les choses iraient aussi loin. Sinon, pauwe idiot, inconscient, naf, fu ne serais pas revenu avec la femme

il apparaissait, sous

que tu aimes, avec tes trois enfants, comme s'il s'agissait

un pseudonyme, avaient rendu fou de rage. Jean-Claude,

de vacances ordinaires. Comment, connaissant bien cette

donc, ne pouvait pas ne pas savoir cela. Mais pas de quoi

habitude de la violence, as-tu pu choisir de ne pas remonter seul ? Tu n'as pas fini de te le demander. En r6alit6, lorsque tes d6fenses int6rieures se relächaient pour te laisser envisager les rdactions possibles, une attitude plus agressive que le silence et le dos toum6, tu te figurais qu'on chercherait sans doute ä te pi6ger,

que, parait-il,Ies quelques lignes oü

ne pas dire bonjour. Au lieu de r6pondre, l'autre explose,

crie, empoigne au collet Jean-Claude qui n'est pour rien dans toute l'affaire. Son nom, simplement, en petites italiques en töte du liwe. Comme si, par quelque op6ration magique, quelque processus mystdrieux de contamination propre aux liwes, cela f impr6gnait, lui, Jean-Claude, de toute l'ordure que l'on attribuait au volume scandaleux. C'6tait d6jä promettre un accueil assez frais, mais il y avait mieux.

On tdl6phone chez Jean-Claude. Dans I'appareil, la

toi et toi seul. Pendant une traversde des ruelles du hameau, on te prenait ä partie. Un jour que tu descendrais en voiture, seul, pour faire les courses dans la vall6e, un

ou deux tracteurs te bloqueraient, ils en descendraient, ä deux ou trois. Il faudrait frapper. Comment faire au-

voix de Tintin. Une grande figure locale. Pas du village, mais du chef-lieu de Ia commune, ä cinq kilomötres, un autre monde. Aussi cordial ä la poign6e de main que vif

trement

ä Ia querelle aprös avoir descendu quelques canons.

tiqu6. Pas beaucoup, mais de temps en temps. Souvienstoi : dans ces sc6narios possibles, ce n'est pas ce qui t'in-

Adolescent, tu avais affrontd son fröre, un valet de

?

Les dchanges de coups, le poing qui s'6crase sur la gueule, ce n'est pas ce que tu craignais. Tu avais ddjä pra-

ferme un peu fruste qui s'6tait mis en t6te de s6duire deux jeunes filles sdjoumant chez tes parents. Deux blondes,

qui6tait. Pas l'autre, pas l'adversaire. Tu les connaissais

il est vrai. On n'en voit pas tant dans Ie coin. Son sobriquet 6tait d'une belle simplicit6 : on l'appelait d'un mot patois qui signifiait valet. Il avait vu en toi un obstacle.

des mains 6normes, des muscles de paysans habituds ä manier des objets lourds, des habituds des bastons de sorties de bal. Qa ne serait pas facile, il faudrait faire avec.

Son couteau lui avait paru un instrument susceptible d'6car-

Sans parler des couteaux, des haches, des fusils de chasse. Mais celui qui t'inqui6tait plus, c'6tait le gentil petit bon-

ter l'obstacle. Il ne voyait pas d'autre argument de s6duction ä sa disposition. Campd sur le seuil, il avait donc

bien pourtant, il y en avait des costauds, des nerveux, avec

homme en toi.

fait briller Ia pointe de son instrument de sdduction, aussi affüt6 que son visage et la moustache qui le barrait, dans la direction de l'obstacle. L'obstacle avait r6pliqu6 en d6-

gainant un balai, un vrai balai de paille qui

se

trouvait lä,

LIRE SEPTEMBRE 2013.65


--------t

AIT

RoMAN FRAN9ATs

Toute la noirceur

dumond,e Pierre MEROT LE

LI E

C'est peu dire qu'il ötait attendu, ce roman " !Accept6 puis refusö par Gallimard, le texte avait conquis Jean-Marc Roberts, «

maudit

döc6d6 en mars dernier, avant d'ötre ä nouveau refusö par son successeur chez Stock, Manuel Carcassonne. Aprös

Toute la noirceur

du monde par Pierre Mörot,

240 p., 18

Copyright Flammarion En librairie le 18 septembre.

heureuse gärce » atteinte de la maladie d'Alzheimer. Alors, si Valmore adhöre au Front national, c'est pour mieux endosser « toute la noirceur du monde ". Ecrivain aigri, qui n'a jamais

röussi ä faire publier ses polars, ils'est procurö un Glock 17, his-

pröambule deToute la noirceur du mon-

toire d'en finir facilement avec la vie - et celle des autres. Le voilä qui se met ä cötoyer un groupuscule d'extröme droite ä La Taverne des

dg " qu'un roman est une fiction, que son auteur ne saurait ötre en aucun cas

Pr6dateurs, ötablissement parisien entre Pigalle et Blanche, picolant ä tout va, sur-

confondu avec son narrateur ou son personnage ". De fait, le sien, un certain Jean

tout du « calva-'I6-ans-d'ä9e,. Ceftes, Pierre M6rot met la plume lä oü qa fait

Valmore, 50 ans, a tout pour d6plaire

mal, et tire ä sa faqon, föroce, la sonnette

tant de " döboires et de malentendus ", Piene Mörot tient ä rappeler, en

:

sexiste, raciste, antisömlte, cet enseignant

dösabusö, en arröt maladie, n'en finit pas de vomir l'öpoque et ses contemporains.

Veuf depuis onze ans, malheureux en amour, il ne s'entend pas avec sa seLrr, « cette grande döpressive ", et finira par jours abrÖger les de leur mÖre, une mal"

66. LIRE SEPTEMBRE

2013

d'alarme. Las, au grö de la folie meurtriöre qui gagne son personnage, le scönario vire tellement au Grand-Guignol qu'il peine ä captiver. " La litt6rature, ga doit donner faim ", assÖne le narrateur. On reste un peu sur la nötre avec ce roman moins dörangeant que dörang6... D.P.


.t t

t t u fond, jusque-lä, ce qui m'avait manqu6, c'6tait de n'avoir pas pris conscience que j'6tais une saine pourriture ou, plus bana-

mon avis) de pddagogie, de construction europ6enne,

lement, comme beaucoup d'autres, une per-

Guene, de I'ingudrissable montde du nazisme, duFüker ä la tribune, de foules nocturnes et de flambeaux, cette chaine, oui, me proposa un documentaire sur les hauts

sonne activement immorale, opportuniste, avide, terres-

tre, se foutant pas mal de ses semblables, dou6e d'indiff6rence ou de m6pris ä leur 6gard, pr6te ä les 6craser pour jouir, faire de I'argent, obtenir des distinctions ou une position dominante quelle qu'elle soit. Oui, ä cinquante ans, il 6tait temps que je songe activement ä moi, ä moi seul. Voyez-vous, avant mon sursaut, j'aurais, dans un rdflexe d'honnötet6, d'idiote et d'honnÖte scrupulositd, une scrupulosit6 timorde de comptable sans

envergure, oui, j'aurais accord6, non sans pr6ciosit6, non sans ridicule observance des rögles de la grammaire - le bien des inf6rieurs -, j'aurais donc accord6 et dit : « Il 6tait temps que je songeasse. » Pauvre type timide I Jusque-lä, on m'avait inculqud et je m'6tais inculqu6 ä moi-möme des principes qui ne me rendaient absolument pas heureux et me maintenaient dans un 6tat de bonhomie soumise et insigtifiante, au bas de l'6chelle ou presque,

alon queje voyais quantitd de saloperies r6ussir, lesquelles n'dtaient pas plus intelligentes que moi, loin de lä, perchdes sur des yachts, dot6es d'6normes fortunes, d'exondrations fiscales provocantes et impunies, et des 6tres comme celui quej'6tais avant, honnÖtes, respectueux, intelligents, des ötres se croyant b6atement gouvernds par

je ne sais quelle bont6 ou dthique stagner furieusement dans I'anon;.rnat et la petite aisance, incapables de sortir leurs griffes, les griffes que chacun porte en soi mais que seuls les sup6rieurs drigent sans vergogne.

Je ne vous ddvoilerai pas immddiatement mon jeu, non. Et d'ailleurs pourquoi le ferais-je ? Mais disons d'abord que j'eus une r6v6lation, un jour d'awil de la pr6sente ann6e, quand je pris mnnaissance, commenos mncitoyens, du sondage qui plaqait en töte de l'6lection supröme la prdsidente, au charme baraqud et grave, du parti d'extröme droite de notre grand pays. Je ne fus pas of-

d'6temelle et m6lancolique r6conciliation entre la France et l'Allemagne -, de nous abreuver, donc, d'images de la

et flous rapports d'amiti6 errtre Mussolini et

Hifler. J'y vis

un signe suppl6mentaire et ma fascination prit un tour actif.

.

Dans le quatre-piöces que j'occupe ä Pigalle, sur une 6tagöre de ma cuisine, je retrouvai une dowaine de bougies. Je les avais achet6es avec une ardeur enfantine, animale, en prdvision d'une panne d'6lectricit6 ou, plus mystdrieusement, d'un conflit g6ndral. En v6rit6, elles

n'avaient servi qu'une fois et dans les circonstances les plus douloureuses : le soir de l'enterrement de Judith, ma

femme. Je les allumai toutes et les rdpartis dans mon salon, puis coupai les lumiöres. J'eus, parmi les tremblotantes et äcres cires, un pincement au ccur, mais ma nouvelle force m'interdit de vous assommer sous le poids d'un

6v6nement lointain. J'y reviendrai plus tard. Puis, dans I'appareil, j'enfongai un CD. Je ne suis ni naiT, ni stupide, ni inculte, ni caricatural : je ne fis pas avaler ä la fente des chants nazis, du rock

identitaire ou l'ouverture de

Lohengrin.Non, il n'y a, il n'y eut et il n'y aura toujours pour moi qu'un seul musicien - un musicien allemand capable d'enflammer les ferveurs et puissances collectives: Jean-Sdbastien Bach. Pr6cis6ment, je suis amateur de sa musique pour orgue. On m'objectera qu'il est inconvenant d'associer I'immense Bach ä mon nouvel 6tat d'esprit et de sentiments. Que ces oreilles molles, ces auditeurs bien-pensants et frileux prennent la peine d'en- si ces minables en sont capables -,

tendre sincörement

le message,la bonne nouvelle qui pullule dans son Guwe

et que je r6sumerais ainsi : Si tu

u faible, tu n'as pas

ta

place sur ln Tene. Bach est abime et n6ant, surmont6, cou-

ronn6 de force, de violence, pour qui sait le saisir, il n'a que faire des mddiocres, des victimes ou de je ne sais quels

fusqud. En tant qu'ancien homme de gauche, je ne fus pas

humanistes. J'ouwis les fen0tres. La nuit 6tait printaniöre,

offusqud, non. Contrairement aux vierges effarouch6es qui poussörent des cris de poule - certains sincöres, d'autres parfaitement hypocrites -,je r6fl6chis un quart de se-

les sons sublimes et sup6rieurs se d6versörent sur mes semblables, microbes 6crasables ou modelables qui d6am-

conde, je sentis quelque chose. Je suis d'une nature in-

bulaient dans Ia ti6deur et levörent les yeux vers moi, accoud6 triomphalement au balcon, fumant et exalt6, les

tuitive. J'eus I'aveugle certitude que ma chance, ou plutöt que mon instant, ce jourJä, 6tait venu et je m'y engouf-

surplombant comme depuis une obscure tribune - et les flammes des bougies, derriöre moi, agrandissaient mon

frai dans un bond ddcisif. Et le calcul viendrait aprös - le calcul viendrait aprös, me dis-je, dans un 6tat de force, d'acquiescement et de nerfs ä vif. Ce jour-lä, tout fut prdtexte ä voir mon destin en face.

ombre sur les murs.

l'ai lu plusieurs fois. Sur

S'il fallait me ddfinir, s'il fallait me d6finir iddalement, je dirais trois choses. J'ai toujours d6sir6 m'installer dans la peau d'un tueur - de pr6f6rence, un tueur de femmes,

mon lit crasseux, mon lit pauvre et bafou6 de petit fonctionnaire, le soir möme, ce n'est pas un hasard, Arte,

mais on peut faire des exceptions, de nombreuses exceptions. De plus, je suis une personnalit6 parfaitement

une chaine intellectuelle qui a le mdrite de nous abreuver constamment - sous pr6texte (un pr6texte ambigu, ä

coupde en deux-ombre et lumiöre,

Ce fut un de ces moments de gräce comme les ämes choisies en connaissent, ainsi que je

si

DrJe§ll etMr Hyde,

l'on veut. Etje suis dcrivain. Je suis un dcrivain, et non

LIRE SEPTEMBRE 2013.67


des moindres, pas une de ces petites chandelles ä la mode,

.

m€me si je n'ai publi6 que dans des revues ä moiti6 en faillite - et encore, la plupart ont refusd mes textes. Des

avoir une chute et elle devait ötre chargde d'au moins un gramme de compassion ä l'6gard de nos concitoyens. C'6tait certainement une habile marchande, quoique je

dditeurs m'ont reproch6 d'0tre trop compliqud, trop sombre, trop inquidtant, que sais-je ? On m'a affirm6 que notre dpoque, je cite, avait formidablement besoin de 169ö-

ne comprenais pas pourquoi elle officiait dans le commerce des livres, peu rentable. De toute fagon, je pen-

ret6, de rires, etc. Allons donc

ple. Mais [e bureau 6tait au premier 6tage et je ne me

!

Je me rappelle en avoir rencontrd un, radin comme un kopeck. Il ne m'offrit möme pas un verre d'eau. Il avait deux yeux globuleux - jusque-lä, rien d'anormal : avoir deux yeux, au fond, c'est risquer doublement qu'on vous les perce. Tout 6tait rond chez cette personne d'environ soixante ans, les globes, la t€te, le buste gras. Et, der-

sais ä autre chose. J'avais envie de me suicider, par exem-

voyais pas 96sir immddiatement, en bas, dans cette longue avenue anonyme, sombre et secrÖte comme la pluie. Et,

finalement, mon suicide n'6tait qu'une idde encore lointaine. Quoi qu'il en soit, pourquoi donc aurais-je dü mon-

me pardonne

trer de la compassion enveß mes concitoyens, alors que m'effleurait l'idde de rejoindre un balcon et de sauter ? Je l'dcoutai deux minutes, rangeai son visage dans un fi-

cette facilitd -, sans courage ni certitude, autour de ce qu'il voulait dire. Il marquait des pauses dans les phrases pour

chier de ma mdmoire, puis descendis lentement l'escalier monumental que gravissaient - m'imaginai-je - des offi-

me faire croire qu'il rdfldchissait, il 6mettait de douloureux plissements de bouche comme s'il si6geait sur des w.-c. En gros, pensait-il, ce n'6tait pas mauvais. mais il fal-

ciers l6gers et enthousiastes. Mais assez parl6 de litt6rature, revenons ä moi et aux choses excitantes. Avant d'dvoquer la lettre ä la Prdsidente que je si-

lait voir et, jugeairil, ce que j'6crivais trahissait, je cite,

gnerai de mon vrai nom, un nom qui obtint jadis une

une aigreur dommageable ä l'6gard de sa profession - ses yeux s'arrondirent davantage, surpris et tourment6s. Au

certaine c6l6brit6, je dois donner encore d'insatiables pr6-

total, il ressemblait ä un 6v0que rus6 bien qu'il füt, apparemment, de confession isra6lite. Bientöt il ramperait, songeai-je. Et je me retirai sans un rafraichisse-

a 6t6 esquiss6. Je veux prdciser aussi que, lancd dans ma confession, en une soir6e lumineuse d'avril, j'6coute la

ment, tandis qu'il accueillait onctueusement un auteur

dont la peau, paraitil, est pr6cocement abim6e par le tabac, frappent ä l'unisson sur le clavier. A ce sujet, je voudrais ajouter que j'6prouve une sorte de joie quand j'ob-

riöre son bureau, il tournait en rond

- qu'on

ä

succös.

Un autre jour, je vis une petite femme dans un grand bureau fragmentd d'ombres par des stores vdnitiens. Elle 6tait nerveuse, agit6e. Sa secr6taire lui apporta un mddi-

cisions sur ma personne. Je suis professeur, comme cela

fugue finale de I a Clavier-Übung 111et mes mains courtes,

serve la d6vastation grandissante, comique et acceptde de mon corps, de cette aveugle et pataude enveloppe char-

cament contre les maux d'estomac. L'immeuble re§semblait ä un palais, en bas d'une avenue descendant sombrement telle une pluie vers la Seine. Tout ä fait le genre

nelle qui me tient lieu de sdjour. Et j'abomine celles et ceux qui ddpensent des fortunes afin de retarder le processus du vieillissement, l'avanc6e vers la mort. Mais, pour

de bätisse, pensai-je, dans laquelle une Kommandantur aurait pu faire son nid. D'ailleurs, je lui posai la ques-

en revenir ä Bach. il s'agit d'une interprdtation historique

tion, alors que ses fesses maigres - que j'imaginais v6rol6es et supplicides suite ä d'innombrables jeux sexuels

-

sautillaient sur un fauteuil en cuir, lequel, trop bas, la maintenait dans une position infdrieure ä la mienne : L'immeuble de vos dditions ne furil point (ä l'instar de mes 6löves, j'usai de ce u point ,, lequel, chez eux

-

-

pas chez moi

-, masque comiquement d'insupportables

ddficiences d'expression), l'immeuble de vos 6ditions, dis-

je en parcourant envieusement l'espace dont elle n'6tait qu'une locataire trös provisoire, cet immeuble ne fut-il point le repaire d'une KOMMANDANTUR ? En des temps autrement moins faibles, autrement plus ddtermi-

aux grandes orgues de Saint-Sulpice, trouv6e sur YouTube. J'aime YouTube, j'aime Internet, je suis de mon 6poque, je le dis sans ironie. Et je me sens moi-möme fr6mir ä la

tribune de I'6glise, ou ä Leipzig, ou ä Weimar, jetant mes doigts fringants et expressifs sur le clavier de mon

or-

dinateur, un Apple formidablement efficace, plat et moderne, en notre belle ann6e printaniöre. Bach a peu pu-

bli6 de son vivant. La Clavier-Übung 111 fait partie des rares Guvres qu'il jugea dignes de porter ä la connaissance de ses contemporains. Ou alors, c'6tait juste une histoire de fric. Peut-€tre,je ne sais plus, l'a{-il publi6e ä ses frais. victime de la mddiocritd de ses semblables.

Qu'importe...

nds que ceux dans lesquels nous vivons.. ., ajoutai-je.

Elle tressaillit, avala le pansement stomacal, hoqueta,

Je suis donc professeur. Actuellement en arrÖt mala-

me regarda de biais, Je vis un profil sdmite, me sembla-

die, pour 0tre exact. L'atfaire est venue ainsi et, d'ailleurs,

ril. Elle se langa dans une idiote leqon

j'en ferai certainement mention dans ma lettre. .. J'enseigne dans un etabhssement oü les Franqais de souche et les

de litt6rature, elle taisait des tautes de franqais. Selon ette, le ne maitrisals pas l'art de la nouvelle - I'ART de la nouvelle, insistat-elle en tripotant la manette de son fauteuil pour se met-

tre ä ma hauteur. Une nouvelle devait obligatoirement

68. LIRE SEPTEMBRE 2013

- des Portugais, essentiellement - se comptent sur les doigts d'une main. Je ne suis pas un adorateur des chiffres, mais s'il me fallait faire mes petites statisEurop6ens


.t

EXTRATT ROMAN FRA-NqAIS

t

t , tiques

et peut-€tre serviront-elles, un jour, le jour oü,

-

sans ambiguit6, la Pr6sidente portera notre pays dans sa

poigne ambrde -, voici grosso modo ce que ga donnerait Proc6dons par ordre. D'abord, les origines g6ographiques de mes 6löves : France 6ternelle, environ 6 % ; Europe portugaise, environ 6 % ;DOM-TOM, environ 10 % ;Maghreb, environ 35 % ;Turquie, environl2"/o ; Afrique noire, environ 10 % ; Extr€me-Orient, environ 8 % ; Inde, Pakistan et Cie, environ 13 %. J'en oublie certainement, mais qu'importe, ce sont des ordres de grandeur. Puis, les religions principales : chr6tiens, environ o/o. 25 % ; musulmans, environ 68 % ; isra6lites, enitron7 pr6före, mes imMaintenant, les caractöres ou, si l'on pressions ä propos du comportement de ces populations

de « pdtasses », eux aussi rient sourdement de l'6norme insuffisance de leurs 6löves, eux aussi pergoivent que la situation se ddgrade, se d6grade presque comiquement.

Ils ne sont pas loin d'adh6rer ä l'idde d'une reprise en main historique par la Pr6sidente. Seuls la peur et le qu'en-

dira-t-on les retiennent encore de partager ouvertement mon point de vue. Quanf aux plus jeunes, beaucoup ont un niveau affligeant, font des fautes de franqais honteuses. bref, ils ne valent pas mieux que les 6ldves dont ils ont la charge et, au fond, ils les comprennent et leur pardonnent parce qu'ils en sont culturellement, gönörationnellement si je puis dire, terriblement proches, et les choses iront en se d6gradant.

Et donc, j'6tais fatigu6, 6nerv6, ce vendredi-lä. Je ne vint la crise, quels furent

- et 6videmment avec des nuances et des exceptions -, je dirai que les Turcs et les Jaunes se tiennent plutöt bien, sont plutöt travailleurs et

les d6tails du conflit hurlant qui m'opposa ä une musul-

obtiennent des rdsultats souvent corrects ; que les Indiens, issus notamment des comptoirs frangais de Pondich6ry,

Il faisait chaud, la salle sentait la sueur accumul6e malgrd les fenötres dont j'avais autoris6l'ouverture. Une moitid

sont assez remarquables et d'une gentillesse enviable; que les Magludbins, en particulier les mäles, forment glo-

des p6tasses s'agitait, les autres bäillaient lentement telles

balement une communautd soud6e, arrogante etagit€e; que les Africains et les DOM-TOM sont g6ndralement

vant

susceptibles, vindicatifs et semblent reprocher 6temelle-

se levörent, hostiles. Je savais qu'on m'avait sournoisement tailld une r6putation ex6crable. Monsieur Valmore - voilä mon nom lächd -, un rdactionnaire, un nationa-

scolaires. Eh bien, en vrac

ment au grand pays qui

a daign6 les

accueillir d'avoir placE

en esclavage leurs anc6tres; que les musulmans se 16partissent en deux cat6gories, dont I'une est bien tenue,

sais plus exactement comment

mane, laquelle, pourtant, n'6tait pas la pire de nos recrues.

des moules hors de l'eau, muscles avachis.

J'abordai de-

public inepte un cours portant sur la religion, plus pr6cis6ment sur le christianisme et I'islam. Quelques yeux ce

ne pose aucun problöme, croit au paradis et ä toutes ces

liste, un raciste, et j'en passe ! Pour quels motifs, je vous prie ? Eh bien, je disais haut ce que d'autres - des gens

utiles sottises ; que les isradlites, saufbrillante exception, obtiennent des rdsultats d6plorables ; que les Frangais

de gauche, pourtant - ruminaient en silence. Par exemple, lors des conseils de classe, je martelais cette simple

6ternels sont totalement perdus et fort moyens, alors que les Europ6ens portugais s'en sortent un peu mieux. Voilä

dvidence : « Comment voulez-vous qu'il

- ou elle -

r6us-

le ministöre m'a confids, mais il est temps de voir les choses

lui - chez elle -, on ne parle que l'arabe, le tamoul ou le hindi ! » Et bien d'autres choses pleines de bon sens. (La suite des 6vdnements me conforta dans mon analyse : quand advint I'incident, un clan d'enseignants

en face

islamistes, un bric-ä-brac de victimes plaintives qui avaient

ce que

j'ai ä dire ä propos de la zone oü j'enseigne. Jusquefait aucune diff6rence entre ces adolescents que

lä, je n'ai

!

sisse ? Chez

un compte ä rdgler avec moi, sortit brusquement de I'om-

mettre en cong6 maladie, ce dont, d'ailleurs, j'ai fini par me 16jouir, aprös avoir pris les choses trop ä ceur. C'6tait un

bre et forma une cabale. Il fut, bien 6videnment, rejoint par une mis6rable poign6e de nains d'extr6me gauche.

vendredi,

J'en viens ä l'affaire qui m'a contraint

ä me

trente, durant le dernier cours de

La r6putation qu'on m'avait faite parcourait bassement

la semaine, donc. J'6tais fatigu6, 6nervö, comme beau-

la communautd scolaire, diffusde auprös de quelques 6löves

coup d'61öves de la classe atrocement inculte devant la-

narfs par ces activistes

quelle j'officiais, une terminale technologique, une STG

pour ötre pr6cis, autrement dit, dans l'ensemble, un ra-

lesquels, entre autres, menaient campagne chez les lycdennes pour qu'elles portassent le voile - mais, Dieu

massis de p6tasses et de paresseux gav6s de s6ries am6-

merci, beaucoup leur r6sistaient.) J'avais chaud, donc.

ricaines, de t6l6r6alit6, de SMS, de chewing-gums et de

Comme dans L 'Etranger d' Nbert Camus, pensai-je machinalement - et je r6citai en moi-möme : « La sueur amass6e dans mes sourcils a coul6 d'un coup sur les paupiöres

ä seize heures

Coran, incapables de distinguer un point d'une virgule, le

XW siöcle du XX",dcrivant

«

j6t6 » pour « j'6tais », et

ainsi de suite. Je sais bien que si des enseignants me lisent

-

-

des adeptes de

Tarik Ramadan -.

et les a recouvertes d'un voile tiöde et 6pais »...

ce dont je doute : la plupart de mes collögues ne lisent

pas et n'ont jamais lu

-, ils vont tendre entre eux et moi le drap de l'indignation et de Ia petitesse. Mais je les connais, je les connais, ah oui ! J'ai entendu les conversations. lrs plus lucides ne valent guöre mieux que moi. Entre eux, ils se lächent, comme on dit. Eux aussi parlent

LIRE SEPTEMBRE 2013.69


AIT POLAR

Le Llere du roi Arnaldur INDRIDASON IIVRE Hormis son ro-

nent spöcialiste du sujet. Un

man Betty, Guvre de jeunesse

professeur qui s'avöre peu

peu convaincante, l'öcrivain islandais n'a jamais quittö le ter-

commode, irascible, trÖs port6

LE

rain du polar

-

möme s'il lui est

anivö de dölaisser le commissaire Erlendur au profit de ses

deux adjoints comme dans La Rividre noire et La Muraille

de lave. Une fois n'est donc pas coutume, Arnaldur lndri-

sur la bouteille. Cependant Le Livre du roi

(Konungsbök)

Amaldur lndridason,

par

traduit de I'islandais par Patrick Guelpa,

358 p., 21 €. Copyright M6tailiö. En librairie le 12 septembre.

dason change de registre avec ce roman öcrit en 2006. L'lslande reste en toile de fond avec I'un de ses trösors : le fameux Livre du roilir6 del'Edda poö-

tique, un parchemin d'une valeur inestimable, la plus ancienne source de la mythologie et de la poösie nordiques. En 1955, le jeune Valdemar, ötudiant en phi-

lologie, passionnö par ces Sagas islandaises qui font la fieftö de son pays mais

dont le Danemark conserve alors les originaux, se rend ä Copenhague pour soutenir son doctorat auprräs d'un ÖmiTO.LIRE

SEPTEMBRE 2013

Valdemar se laisse söduire par cet 6rudit et finit par döcouvrir son secret : pendant la guerre,

des nazis lui ont volö Le Livre du roi, qu'ils considörent comme une * bible " de la race germanique. Tout ä son obsession

de röcupörer le pröcieux manuscrit, le professeur entratne Valdemar dans une traque aussi exaltante que dangereuse, de Berlin ä Amsterdam... Dommage que le style soit trop sec, ou la traduction trop scolaire. Reste qu'Arnaldur

lndridason röussit une intrigue singuliräre, ä la fois course-poursuite haletante, plongöe passionnante dans l'histoire de I'lslande et röponse, en creux, ä la question d'un personnage : u Comment un livre peut-il avoir autant d'importance ?

"

D.P.


.a

allait demander I'asile ä l'un de ses neveux. Ils en avaient discut6. Il pouvait erttmener ses moutons avec lui pour

1863

am6liorer travers les mugissements de la tempÖte, Ie vieuxpaysan entendit le bruit sourd et il sut

tout de suite qu'il avait atteint les planches du cercueil. Appuyd sur sa pelle, il leva les yeux vers le voyageur qui au bord de la tombe suivait les op6rations. L'homme s'6tait 6nerv6 et lui avaitintimd

l'or-

dre de se d6pöcher. Le paysan replongea la pelle dans la terre et continua ä ddblayer. C'6tait une täche difficile, la pluie faisait ruisseler l'eau dans le trou et il avait du mal ä caler ses pieds car le

terrain, semd de gravillons, 6tait

dur, et la fosse 6troite. Il 6tait lui-m6me transi et tremp6. De plus, il n'y voyait rien. L'homme sur le bord tenait une petite lampe dont la lueur blafarde dansait sans arrÖt audessus de la tombe. Vers le soir,les nuages s'6taient amoncel6s et le temps s'6tait d6grad6 jusqu'ä devenir plu-

vieux et orageux. Tu vois quelque chose ? lui cria l'homme.

-

Non, rien encore, fit le paysan.

Ils avaient commis un sacrilöge dans le vieux cimetiöre,

mais cela ne tracassait pas le paysan. Il remblaierait la tombe, tout simplement. En fait, peu de gens connaissaient l'existence de ce cimetiöre. On le mentionnait dans les livres anciens, mais on avait depuis longtemps cessd de l'utiliser pour les s6pultures.

Lr voyagew, lui,

le connais-

sait et paraissait savoir qui y 6tait enterr6, mais il refusait

d'expliquer pourquoi il voulait ouvrir la tombe. Cela se passait au d6but de l'hiver, une p6riode oü on pouvait s'attendre ä tout de la part de la mdt6o. Quelques jours auparavant, cet homme 6tait arriv6 ä la ferme, seul, ä cheval, et avait demand6 l'hospitalit6. Il avait une bonne monfure et avait amen6 deux autres chevaux de bät avec lui. Dös le premier jour, il s'6tait rendu au vieux cimetiöre et avait commencd ä prendre des mesures. Il paraissait s'€tre renseignd sur les anciennes dimensions du cimetiöre et il I'arpenta depuis un coin imaginaire en se penchant vers le nord puis vers l'ouest, et en s'6tendant dans

sa

situation, mais il ne voulait pas qu'on lui fasse

I'aumöne.

Le nouveau venu dcouta Ie paysan lui raconter tout cela le soir aprös qu'ils furent rentr6s et eurent soup6. premier soir, il coucha dans le s6jour aprös avoir demand6 au paysan s'il avait des liwes. Il n'en avait pas beau-

Ir

coup, ä part le Psauticr.L'homme lui demanda alors s'il s'y connaissait en livres, mais le paysan r6pondit qu'il s'y intdressait peu et donna ä l'homme ce qu'il avait ä manger, qui 6tait probablement assez quelconque pour un tel höte : un brouet aux herbes m6lang6 ä du fromage blanc voyale matin, du pot-au-feu avec du hachis le soir,

k

geur avaitwaisemblablement mieuxmangd dans les villes

cosmopolites, lui qui disait avoir vu de

ses

yeux la cath6-

drale de Cologne. Le paysan lui trouvait des maniöres d'un homme du monde. Ses v6tements 6taient ceux d'un homme riche : boutons d'argent et bottes de cuir. Quant au paysan, il n'avait jamais voyag6. Il n'avait aucune id6e de I'importance que pouvait avoir ce vieux cimetiöre pour des gens venus de loin. C'6tait un cimetiöre abandonnd mmme

n'im-

porte quel autre en Islande, avecjuste quelques tertres herbeux 6parpill6s gä et lä sur un terrain en pente. L'homme lui rappela que Hallsteinsstadir 6tait un ancien lieu de s6-

pulture. Il ne se souvenait plus de I'histoire de la petite 6glise ? Si, elle 6tait ä I'abandon car elle avait brü16, ä l'6vidence parce qu'on y avait mis le feu par mdgarde. En ce temps-lä, on n'y c6l6brait plus l'office depuis longtemps saufune fois par an, si toutefois le pasteur dipsomane qui ä Melstadur consentait ä y venir. C'est ainsi que le paysan se mit ä bavarder, il en avait rarement I'occasion. Parfois personne ne passait de tout I'hiver. Le nouveau venu, lui, 6tait particuliörement avare

rdsidait alors

de paroles sur I'int6r6t qu'il portait au cimetiöre et aux mesures qu'il y avait prises. Il pr6tendait ne pas 0tre de la campagne et n'avoir aucun parent dans la r6gion. Il disait qu'il 6tait nd en Islande et qu'il avait fait des 6tudes

Il y avait habitd

quelques an-

I'herbe pour coller son oreille contre la terre comme s'il

de droit ä Copenhague,

voulait ausculter les ddfunts. paysan ignorait lui-möme qui reposait dans ce cimetiöre. Il avait emmdnag6 dans cet endroit avec sa femme quarante ans plus tÖt, accompagnd d'une ouwiöre et d'un

n6es ainsi qu'en Allemagne. Cela s'entendait ä son par-

ouwier. La contr6e 6tait trös ä l'6cart et ingrate. Sa femme 6tait morte quinze ans auparavant. Ils n'avaient pas eu

ä belles reliures, des vötements et aussi de l'eau-de-vie,

k

d'enfants. Les ouvriers dtaient partis depuis longtemps. Avec le temps, le couple s'6tait appropri6 le terrain avec les droits et les devoirs aff6rents.

Il avait racont6 tout cela

äl'homme et lui avait dit que son tenain, Hallsteinsstadir, 6tait le dernier endroit habit6 sur les hauts-plateaux et qu'ils avaient rarement I'occasion d'avoir des visiteurs. L'hiver, la neige 6tait abondante et personne ne circulait. On aurait dit que le vieux paysan redoutait l'hiver. Il avait avoud qu'il ne voulait plus croupir dans ce trou et qu'il

ler.

Il

avait un accent dtrange et le paysan trouvait que

cela le rendait parfois un peu ridicule.

L'homme avait deux gandes valises avec lui, des liwes du caf6 et du tabac dont il fit cadeau au paysan. Il avait aussi des provisions, de la morue s6ch6e, de la viande fumde et de la bonne päte ä tartiner qu'il partageait avec le paysan. La plupart du temps, il tenait une sorte de

jour-

plongeait parfois et il arpentait le cimetiöre en marmonnant quelque chose que le paysan n'entendait pas. Le chien du paysan, doux, ä la queue nal dans lequel il

se

recourbde, s'attacha ä cet höte qui lui langait des morceaux de viande fumde ou de la peau de poisson s6chd et qui le flattait.

LIRE SEPTEMBRE 2013.71


Parfois, le paysan essayait d'engager la conversation avec le voyageur, mais il s'en retournait maussade, celuici n'6tait visiblement pas venu pour le distraire.

- On parle toujours de l'6clair ? demanda le paysan. - Je n'en sais rien. - La foudre a tu6 trois personnes, dit le paysan. A

Vatnsleysuströnd, ä ce que j'ai entendu. C'6tait il y a un an.

-

J'ignore tout de cet 6clair, fit l'homme. Je suis arriv6 par bateau en mai. Trois jours passörent. En fin de compte. l'homme avait l'air d'ötre paruenu ä un r6sultat. Il se tenait pensif au-

tertre sur la pente. Il vit le paysan venir vers lui. Il commengait ä faire sombre et ä pleuvoir. Le vent se levait. Il jeta un coup d'ceil au ciel. Cette nuit, il ferait probablement un temps de chien. Le vent soufflait de dessus d'un

-

Inutile de faire des histoires pour cela, dit l'homme. Des histoires ? fit le paysan. Je peux creuser pour vous, si vous voulez. Je ne me souviens pas qu'il y ait des antiquit6s ici. Vous savez quel caveau c'est ? L'homme fixa le paysan. Il regarda vers l'ouest le ciel chargd et l'orage qui s'annonqait, et son expression se

Le paysan 6tait all6 trouver son hÖte au cimetiöre avec

Sa

et portait une bague en or qui avait attird l'attention du paysan le premier soir. C'6tait une grosse bague ornde

d'un emblöme inconnu.

-

Non, diril, c'est pour

bien le faire

ga

queje veux creuser. Tu veux

? Je suis press6.

Le paysan jeta un coup

d'ail ä l'homme,

puis aux deux

rixdales.

-

l'ouest.

fit

chevelure brune lui descendait sur les 6paules, il avait le front haut et intelligent ; ses yeux 6taient enfoncds, mobiles et inquisiteurs. Il 6tait grand, svelte, dure et ddcidde.

Je vais chercher les outils,

fit-il en empochant l'ar-

gent.

-

ait pu dire un mot, l'homme lui avait exposd son affaire et il avait du mal ä comprendre. Est-ce que tu peux creuser ici pour moi ? demanda-

Ddpöche-toi ! lui cria l'homme. Ce temps ne me dit rien qui vaille. Il se tenait maintenant prös de la tombe et encourageait le paysan. Le temps avait encore empir6. La temp0te faisait rage et la pluie tombait drue. Le paysan pro-

til

posa de poursuiwe le lendemain en esp6rant que le mauvais

l'intention de lui parler du temps. Il connaissait le vent d'ouest en cette saison. Mais il n'en fit rien, car avant qu'il

-

en indiquant le tertre.

-

Ea ?

demanda le paysan qui regardait tour

ä

tour

temps s'apaiserait un peu au petit jour, mais l'homme ne voulut rien entendre. Il lui fallait prendre le bateau. Une

I'homme et le tertre. J'ai besoin qu'on creuse ici, dit I'homme. Je te paie-

6trange humeur s'6tait emparde de lui, il s'6tait mis ä par-

rai. Qa devrait te faire deux rixdales. Vous voulez descendre dans la tombe ? demanda le paysan en 6carquillant les yeux. Il n'avait jamais rien entendu de semblable. Pourquoi, si je peux me permet-

ler tout seul, prononEant des mots que le paysan n'en-

tre

C'6tait de toute 6vidence ces objets qui int6ressaient l'homme. Il ne voulait pas dire au paysan de quoi il s'agissait et s'il y en avait beaucoup, ni m0me comment il 6tait au courant de leur pr6sence dans ce vieux caveau du cimetiöre qui n'6tait plus utilisd depuis plus d'un siöcle si

-

-

?

-

Qa concerne des antiquit6s, dit l'homme qui sortit de rixdales et les donna au paysan. Qa devrait

sa poche deux

suffire, c'est mÖme beaucoup. Le paysan avait les yeux rivds sur I'argent au creux de sa

main. Il n'avait pas

lu

depuis longtemps une telle somme

il lui fallut un certain temps pour calculer dans sa t€te qu'il venait de recevoir pour une bagatelle l'dquivalent et

d'un mois de salaire d'un bon ouvrier.

- Des antiquit6s ? fit le paysan. - Je peux aussi faire ga moi-mÖme, dit I'homme en tendant la main vers I'argent.

-

Alors, vous aurez besoin de ma permission si vous avez l'intention de creuser sur ce terrain, rdtorqua sur un ton offensd le paysan qui serrait les rixdales dans sa

tendait pas, et il lui demandait sans anöt s'il voyait quelque chose, un squelette par exemple, et s'il voyait des objets dans la tombe.

ce n'est deux.

-

Tu vois quelque chose 1ä ? cria{-il au paysan au milieu des rugissements de la tempOte. Je n'y vois rien, cria le paysan. Approchez la lumiöre !

-

L'homme s'approcha du bord et avanEa la lampe.

s'6tait rompu,6branl6 par les coups, et des ddbris 6pars gisaient dans I'humus. Il regarda la toile et se dit que le cadavre avait peut-ötre 6td envelopp6 dans un linceul. Le paysan devait se fatiguer ä ddblayer, mais il prenait

Il y avait de moins en moins de choses dans

main.

son temps.

Le visage de l'homme avait chang6. Il avait 6t6 discret, courtois, voire bienveillant lorsque son höte lui avait de-

sa pelle ä mesure

mandd des choses, par exemple quels 6taient les anciens chemins qui traversaient les montagnes vers le pays voisin, et quand il posait des questions sur la parentöle et les hötes du paysan, ses comp6tences et la taille de son

exploitation. Et voilä qu'il parlait sur un autre ton: celui de I'impatience, voire de l'insolence.

72.L| RE SEPTEMBRE 2013

Il

vit des morceaux de cercueil dans la tombe. Celui-ci

qu'il la reposait plus souvent sur le

bord. Lä, qu'est-ce qu'il y a ? s'6cria l'homme en faisant un signe de la main. Ddblaie-moi qa !

-

Le paysan 6tait essouffld. Remonte ! lui cria l'homme. Je vais terminer. Allez ! Il tendit la main au paysan heureux de cette pause.

-

L'homme le tira de la fosse et lui demanda de tenir la


.a

-:t

EXTRAIT POLAR t \ lampe. Ensuite, il sauta dans la tombe et commenEa ä d6-

blayer ä toute vitesse. Il lanEa les d6bris du cercueil sur le bord et eut töt fait de parvenir aux ossements. Il repbsa la pelle et se mit ä les ddgager ä la main. Une cöte

qu'il 6tait en voyage d'affaires, sur un dclair qui avait frappd des hommes ä Vatnsleysuströnd et les avait tu6s sur le coup.

Lorsqu'au ddbut du printemps suivant la neige

et un os du bras 6mergörent de la terre et, finalement, le paysan vit les os du cräne.

t orsqu'il vit

les orbites vides,

ä

fondre, on partit

ä la recherche du paysan, ä la

se

mit

demande

le trou du nezetla bouche 6dent6e, il eut froid dans le

de son neveu. Mais sans succös. Le paysan n'6tait pas

dos.

chez lui et semblait avoir 6td absent tout I'hiver. Il y avait

-

Qui est-ce ? hurlat-il. A qui est cette tombe L'homme fit comme s'il n'avait pas entendu.

?

-

longtemps qu'on n'avait pas allumd le feu et certains indices donnaient ä penser que la maison 6tait rest6e inha-

Est-ce bien raisonnable ?.murmura le paysan. Nous n'allons tout de mOme pas r6veiller les morts ? Les morts

bit6e pendant des mois. Tout avait 6t6 bien rang6 dans la cuisine. Chaque chose 6tait ä sa place. Dans la salle ä

doivent reposer en paix

manger, les grabats avaient 6t6 faits.

!

L'homme ne lui rdpondit pas, au contraire il continua ä d6gager les ossements ä la main. La pluie, qui tornbait avec toujours plus de violence, avait transformd la tombe en bourbier. Tout ä coup, il sentit une r6sistance dans la terre. Il se pencha et poussa un l6ger cri en voyant ce que c'6tait. II venait de ddcouvrir un petit tube en plomb. Est-ce possible ? soupira-t-il, comme oublieux de

-

l'espace et du temps. I1

nettoya le tube et le tint ä la lumiöre.

-

Vous aveztrotx€ quelque chose ? lui cria Ie pay-

A l'extdrieur,

les

portes avaient 6t6 soigneusement ferm6es. Le chien du paysan 6tait introuvable et n'avait 6t6 vu dans aucune des fermes du

fjord. On retrouva

ses moutons avec les

autres en automne. Ils 6taient restds seuls tout I'hiver et

tout l'6t6. On apprit avec 6tonnement dans le pays la disparition du paysan, car tous connaissaient la beautd des alentours de sa maison. Aucune nouvelle de lui. I1 n'avait 6t6 vu dans aucune ferme. Avec le temps, on en vint ä penser qu'il s'6tait mis en route en hiver avec son chien. probablement vers NoöI, et 6tait mort victime des intempdries.

§an.

L'homme posa le tube sur le bord et remonta de la

Lorsqu'on partit ä leur recherche en les hdlant, on ne

fosse. Ils 6taient tous deux couverts de boue de la tÖte aux

trouva pas la moindre trace d'eux ce printempsJä, ni jamais. Le lieu resta ä l'abandon. lorsqu'il fut dvident qu'il

pieds, complötement tremp6s. Cela semblait laisser I'homme indiff6rent, mais le paysan, qui tenait la lampe sur le bord, s'6tait mis ä grelotter. Il avait une barbe blanche et n'avait plus de dents ; il portait un bonnet pour prot6ger sa calvitie. Sa vie difficile I'avait voüt6. Il avait dit ä son höte qu'il n'6tait pas exclu qu'il essaie de trouver refuge chez I'un de ses parents. L'homme prit Ie tube en plomb et en enleva la terre. - Rentrons, dit-il, et il se dirigea vers la ferme. C'est bon, fit le paysan qui lui emboita le pas. Ils rentrörent ä la ferme et le paysan se mit aussitöt ä attiser le feu dans la cuisine. L'homme s'assit avec le tube et, aprös quelques efforts, iI parvint enfin ä en ouvrir une extrdmit6. De l'index, il en r6cup6ra le contenu et l'examina avec circonspection. Il semblait satisfait de sa

avait disparu, les gens qui se rendirent ä Hallsteinsstadir pour prendre les rares biens du paysan constatörent que le tenain avatt öß retourn6 prös de la ferme et on s'accorda ä penser que les tertres en pente avaient 6td aplanis avant sa disparition.

-

ddcouverte.

-

Ils vont trouver qabaane quand je leur raconterai tout ga, dit le paysan les yeux fixds sur le contenu. L'homme leva les yeux.

-

Qu'est-ce que tu dis ? Que c'est la visite la plus bizane que j'aie jamais eue,

fit le paysan. L'homme se redressa. Ils se tenaient face ä face dans le petit sdjour et, pendant un instant, l'homme parut 16fl6chir. Le paysan, qui gardait les yeux fix6s sur lui, vit une lueur illuminer son visage ruisselant de pluie ainsi que ses yeux marron sous son chapeau et, soudain, il lui revint

ä

I'esprit l'histoire qu'il avait entendue une fois alon

LIRE SEPTEMBRE 2013.73


Orsneil etYanit6 chezles grands

hommes §hristian HABICHT, Paulin ISMARD Deux 6tudes sur Cic6ron et son engagement politique et moral, et une sur Socrate et les circonstances de sa mort, dÖboulonnent les statues et dönoncent I'id6alisation de leurs actes et de leur pens6e. ous le vernis craqueld de notre connaissance du monde antique, il nous reste peut-Ötre encore le sou-

venir de deux ou trois figures nobles. Ainsi, le vieux Socrate affirmant sa libertd jusqu'ä boire la ciguö. Ou encore Cic6ron, I'intr6pide avocat ddfendant la Rdpublique contre les tyrans. On peut se contenter de ces g6n6ralitds approximatives. On peut aussi aller voir de plus prös et se demander qui 6taient « waiment , ces grands personnages, et ce qu'ils avaient fait, « waiment », de leur vie ainsi que de leur mort, supposdes ddifiantes, dans les deux cas. Trois liwes nous sont offerts qui permettent de satisfaire ce genre de curiosit6. Du cöt6 de chez Cic6ron, il y a t es Belles lettres qui proposent une Vörinble Histoire.. . du susdit sur le principe de cette collection : des textes du. ou sur le personnage considdr6, que relient entre eux des notations brÖves mais pr6cises. Et puis, toujours aux Belles Lettres, il y a ce Cicöron le politique de Christian Habicht qui nous invite ä consid6rer ce que furent les ambitions politiques du grand dcrivain. Nul ne songerait ä diminuer l'importance, la grandeur möme, de Cicdron le lettr6. Il est, dans l'histoire romaine, celui qui brille dans toutes les disciplines de l'esprit. De la rh6torique, il maitrise la thdorie et la pratique. Du droit, il mnnait comme personne les raisonnements subtils ou sp6cieux. De la religion, il sait les ressorts puissants et les usages civiques.

De la crdation po6tique et litt6-

raire, il a l'inspiration et les talents. I1 faut aussi rappeler le röle qu'il joue dans la transmission de la culture grecque et donc dans cette 6tonnante op6ration qui voit le vainqueur romain recevoir du vaincu grec sa philosophie, son

goüt du beau, ses temples et ses dieux. Personnage consid6rable que Cic6ron ! Mais, qui ne saßfait pas... Ciceron. Car l'homme cherche une autre gloire que celle du poöte ou de l'avocat. Il a 6t6 piqud par la ta-

74.LlRE

SEPTEMBRE 2013

et vous avez la recette de linsuccös.

[a conclu-

sion s'impose :brillant sujet, Cicdron n'est d6ciddment pas une « bonne personne » et, en politique, c'est Rantanplan. Du cöt6 de Socrate, il y a de quoi 6gale-

ment d6boulonner la statue. Paulin Ismard, jeune historien, s'y emploie. Ir fait de noter que Paulin Ismard est historien, et non philosophe, n'est pas anecdotique. C'est qu'avec lui il s'agit de retrouver, derriöre « l'affaire

Socrate », n l'6v6nement Socrate », c'est-ädire les circonstances historiques et politiques du procös, et ce qui 6tait prdcis6ment en jeu dans I'aftontement entre le philosophe et I'autoritd ath6nienne. Que retenonsnous de la mort de Socrate ? Qu'elle est un scandale. L'accusation d'impi6t6 et de corrupteur de la jeunesse n'estelle pas misdrable ? Refuser de composer avec les accusa-

teurs au prix de la mort mOme, c'est donc le triomphe

de la philosophie. Bien. Seulement, l'examen historique de l'6v6nement de 399 avant l'öre corffnune nous raconte une tout autre histoire : celle d'un Socrate qui pr6f6-

rait faire affaire avec les Trente Tyrans qu'avec la d6mo-

cratie restaurde. Paulin Ismard montre combien la ddtestation que Socrate et rentule du pouvoir. Il veut 0tre un grand homme politique. Or, il ne le fut pas. Il fut m0me franchement calamiteux dans le röle. Il semble ötre spdcialiste des mauvais choix. I1 s'allie, par exemple, ä Pompee lorsqu'il peut encore choisir le camp de C6sar. Surtout, il ne sait pas trop ce qu'il veut. Etre le ddfenseur de la Rdpublique sdnatoriale contre les can-

Platon portent ä la ddmocratie ath6nienne n'est pas seulement le pendant th6orique de leur dlitisme philosophique. Elle est le choix politique pratique de la tyrannie. Lä encore, une conclusion s'impose : si vous prenez le parti de Socrate, vous montez ä I'assaut de la d6mocratie ! Autant le savoir. Marc Riglet

didats dictateurs ou briguer pour lui-m6me le pouvoir absolu ? Son origine sociale explique sans doute une ses palinodies. Ciceron est, en effet, issu de l'ordre dquestre. Il ne fait donc pas partie des grandes familles patriciennes. Il se

partie de

situe quelque part entre la plöbe, qu'il m6prise, et la caste sdnatoriale, qu'il envie. Il n'est pas trös courageux et n'a aucune disposition dans l'art militaire. Sa d6fense de la R6publique n'apparait pas toujours trös authentique et l'on a parfois le sentiment qu'il la soutient comme la corde soutient le pendu. Ajoutez ä cela une vanit6 incommensurable

äffiffi

***La

Vöritable Histoire de Cic6ron,

textes röunis et comment6s par Claude Dupont, 262 p., Les Belles Lettres, 13,50 €

**

*Cicöron le politique par Christian Habicht, traduit de I'allemand par Sylvain Bluntz, 216 p., Les Belles Leftres, 19 € * * * L'Evönement Socrate par Paulin lsmard, 304 p., Flammarion/Au fil de I'histoire,

*

21€


.

al

de poldmique. Non que le sujet ne s'y pröte pas. Dieu sait que le n mar-

nomöne ä classer quelque part entre

)Clence SanS i::::Täfi:..*J;ll ;m:tm,

" est soit portd aux nues. soit diabolisd. soit « naturalis6 ». soit « politis6 », selon qu'on loue ses bienfaits ou qu'on s'indigne de ses chd

tances avec l'ordinaire de la pensde

CONSCTENCC "

.

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r.

^..p;"

r,$r"_il"i

:, .ä "',r, .

Dans cet essai, I'historien

remet en perspective une histoire de l'6conomie au ceur des 6changes humains.

. ;-

'dconomie est une chose tropsdrieuse

pour ötre confide aux dconomistes. ,1.$.i,,. .,{ Aux dconomistes d'aujourd'hui, en tout cas. Ceux qui croient que mathdmatiques et mod6lisations sont les deux mamelles de

la discipline. Ceux qui oublient que möme les classiques, les inventeurs de la discipline, I'ont nomm6e 6conomie « politique ,. Ceux encore qui croient que leurs catdgories d'analyse sont des donn6es naturelles ,, que les " « lois de l'dconomie sont celles du monde " physique, et qu'un krack boursier est un ph6-

commune est donc bienvenue. Tout travail qui redonne ä l'dconomie son 6paisseur historique, politique et iddologique est donc une b6n6diction qu'il faut saluer, dans son principe. C'est ä ce travail qu'Olivier Grenouilleau se livre. Sa rdputation

m6faits, bref que le « marchd » sus-

.**

cite les passions. Restons calmes.

Et le marchö devint roi par Olivier Grenouilleau,

Reprenons-nous, propose notre auteur. et voyons ce que, du fond des

äges, on peut dire du « marchd », cette relation sociale 6tablie dans 240 p., d'historien est faite. On lui doit le l'6change de biens el de services. Flammarion, maitre livre sur les traites ndgriöres. L'anthropologie, la Bible, Platon, 18€ Etude exemplaire d'histoire 6conoAristote, les Eglises et leurs saints mique, le livre avait d6fray6 la chronique sont doncconvoqu6s. L'invention de l'6copour avoir analys6 non seulement le com- nomie politique au tournant des XVII'et merce d'esclaves conduit par les Europdens X\{II" siöcles est clairement expos6e. L'optimais aussi la traite ndgriöre pratiqude misme du . doux commerce » comme les les Arabes. Comme dans les deux utopies de soci6t6 sans marchö ne sont 6vivolume d'affaires, cruautd et cupiditd demment pas oublids. Enfn, la double bdwe saientjeu 6gal, il n'a pas manqu6 de bonnes que constituent l'approche « morale du " ämes pour accuser notre historien. .. d'isla- marchd et sa « naturalisation est pr6cis6" ment et justement ddcrite. Vive l'histoire qui, mophobie L'histoire du march6, qu'en forme d'essai möme parcourue au grand galop, remet les il nous propose, devrait dchapper ä ce genre iddes en M.R.

par

cas

fai-

!

place.

Israöl no future lr:;rt"t'r

ffi]ffi f,d'ff

.to[,- Ä\li,;t'1,,;;l xi:::[i,i ii]i.l;i

Les auteurs analysent les combats d'lsraöl au cours de ces cinquante derniÖres ann6es. Un constat pessimiste sur une situation sans issue.

S,,

,, \

.ri oici un liwe tenible. Ecrit par deux Isra6liens, une historienne

consacrde et un journaliste rdputd. il expose les immenses pdrils qui pösent sur Israöl et son destin au Moyen-Orient.

Non pas, comme on pourrait le croire, du fait de ses ennemis mais du fait d'Israöl lui-möme, de sa politique, de son id6ologie et du mdlange ddtonant que constituent l'anogance morale, le fanatisme religieux et le ddsarroi intellectuel de ses 6lites politiques. Le tenain, le laboratoire. oü peuvent se v6rifier ces tristes hypothÖses, c'est, on le devine, le sort que rdserve

Israöl aux territoires palestiniens et syriens occupds depuis la guerre des Six Jours en7967. Quelies politiques sur ce sujet pr6cis ont 6td conduites par les gouvernements isradliens successifs durant bientöt un demi-siöcle ? Quelles fins ces politiques

sonlelles assigndes et ces fins ont-elles vari6 ? Quelles forces, ä l'intdrieur de la socidtd isradlienne, ont 6tö d6terminantes pour fixer ces lignes politiques ? Le livre d'Idith Zertal et d'Akiva Eldar rdpond avec un soin scrupuleux et un grand luxe de ddtails ä ces questions. Il tord d'abord le se

o

o

cou ä I'id6e reEue selon laquelle la gauche travailliste aurait eu une politique diffdrente de celle conduite par la droite issue du sionisme r6visionniste. Dös les lendemains de la victoire de 1967. la colonisation des territoires occupds est engagde sous les auspices travaillistes. Le Jourdain est la frontiöre. Les colonies qu'il irrigue forment un ensemble continu de la mer Morte au lac de Tibdriade. Surtout. c'est

sous les gouvemements travaillistes que le Goush

Emounim

s'installe dans la vie politique isra6lienne. Avec lui, et ses variantes, s'engage une v6ritable politique d'intimidation, de provocation, de fait accompli, de la part de colons illumin6s n'ayant d'autres lois que leur fanatisme religieux. L'arrivde au pouvoir de la droite isradlienne ne change rien. Elle n'aggrave ni n'attdnue la politique engagde. Les accords d'Oslo non plus. Sous leurs auspices, la colonisation n'a pas diminu6 d'un iota. te slogan qui les r6sumait, n la tene contre la paix », 6tait mensonger. La preuve est tristement faite. Israöl ne veut, ni ne peut, dessiner ses propres frontiöres. La guerre peut M.R.

continuer.

x * * ltles Seigneurs de la terre. Histoire de la colonisation israälienne des territoires occupös par ldith Zertal et Akiva Eldar, traduit de I'anglais (Etats-Unis) par Charlotte Nordmann, 496 p., Seuil, 25 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.75


EXTRAIT

DOCUMENT

G

Le Romon de la Perestroi'ka

^ffI

,

Vladimir

FEDOROVSKI .i:r

i, A SOn afftVÖe

aU

Faute de choisir clairement, al-

Kremlin, en mars 1985, Mikhail

ternant reformes et repression

Gorbatchev pense que i'URSS est ä bout de souffle, mais qu'elle peut se regenörer, Son

dans les pays Baltes et au

plan ? Une vaste " restructuration ", perestroi'ka, en russe, reposant sur trois piliers : la re-

des gages contradicioires aux uns et aux autres, le maitre du

:r,r' .:

Caucase en situation pratiquement insurrectionnelle, donnant

Kremlin öchouera en möme temps que l'empire se desinduction des döpenses militaires, Copyright Editions tegrera. Trös officiellement, le l'accroissement de Ia producdu Rocher. B d6cembre 1991, lors de la tion, le recours ä un langage de declaration de Minsk, oü prÖsidents vörite. La mission est confiee ä la derrusse, biölorusse et ukrainien prennent niöre structure viable, le parti commuacte de la morl de l'URSS. Vladimir niste, touteiois döbarrass6 au prealaFeciorovski fait le r6cit quasi notarial de ble de la. vieille garde " conservatrice. par

Vladimir

F6dorovski, 254 p.,22 €

L'idee est astucieuse, mais elle ne dissipe pas l'ambigurte originelle dela perestroika. Est-elle destinöe ä sauver le systÖme sovrätique ? C'est le souhait du KGB et du

complexe " militaro-industriel ". Ou, au contraire, ä en finir avec l'URSS ? C'est la ligne d'Alexandre Yakovlev, apparatchik passö par l'universrt6 de Columbia, devenu,.. l'öminence qrise de Gorbatchev.

76. LIRE SEPTEN/BRE

2013

la double chute, du regime totalitaire im-

posö par Lenine et de l'empire, bätl en trois cents ans. Temoin-cle des evÖnements, puisque diplomate en activitÖ et proche de Yakovlev au moment des faits, il möle astucieusement souvenirs personnels et confidences des principaux acteurs pour ressusciter cet 6pisode caD.P. pital de I'histoire russe


'a

t a

t « UN MIRACLE DU

XX" StEcrn

Dans Ia nuit glaciale, la multitude s'entassa sur les

»

avenues qui menaient au thdätre Bolchoi, attendant dans une f6brilitd muette le moment oü il serait possible d'al-

ler le voir. Jeunes et vieux, portant dans leurs bras des mars 1953, ä 6 heures du matin, un jeune

enfants, avanEaient ou reculaient, press6s par le flot hu-

6tudiant de l'universitd de Moscou nomm6 Mikhail Gorbatchev entendit la voix grave et modul6e du speaker embldmatique de la radio sovi6tiquel, qui apprenait sentencieusement au monde la mort de Staline:

main, sous un ciel piquet6 de discrets flocons de neige. lr silence, pesant comme celui de la plaine infinie, n'6tait troubld que par les coups assourdis de l'horloge du Kremlin, le crissement des pas sur la chaussde enneig6e et les ordres, presque murmur6s, des miliciens :

e6

« Serrez les rangs, camarades. »

Le ceur de Joseph Vissarionovitch Staline, compagnon d'armes et g6nial continuateur de I'auvre de

Ifnine,

« Un moment inoubliable », pr6cisera Gorbatchev qui s'6tait lui aussi rendu ä la salle des Colonnes3.

sage guide et dducateur du parti communiste

et des peuples sovidtiques, a cessd de battre

Cette masse accoutum6e ä aduler les h6ros disparus

!

La d6pouille du tsar rouge fut exposde dans la salle des Colonnes. C'6tait d6jä dans ce lieu, devenu la Maison des syndicats aprös avoir abritd la magnificence des bals de l'ancienne noblesse moscovite, que Staline s'6tait pos6

naguöre en ex6cuteur testamentaire de Ldnine et en grand prötre de sa pensde. C'6tait lä qu'il avait pour la premiöre fois fait usage d'une rh6torique qui, en empruntant aux litanies de la liturgie orthodoxe dont avait 6t6 impr6gn6e sa formation de sdminariste, 6tait seule capable de galvaniser le peuple d6sorient6 par la dispa-

rition du fondateur de l'Etat sovi6tique. Staline, conscient que les fundrailles de I'ancien chef du Kremlin dtaient pergues ä travers tout le pays cornme

une phase aiguö de transition, qui soulevait de nombreuses craintes parmi la population, avait compris la n6cessit6 de frapper fortement les consciences. Il avait donc appuyd le nouveau r6gime sur les fondements imm6moriaux de la soci6td russe : la mythologie slave, la tradition orthodoxe et la grandeur de la nation2. Le « dogme » ainsi arr6t6, le « guide supröme », idole autoproclam6e de cette Russie r6g6n6röe, avait pröt6 serment ä son vöt6röpr€döcesseur et avait fait de sa police secröte une nouvelle Inquisition. C'est en cela que r6side, ä n'en pas douter, la longdvitd du stalinisme. C'est bien parce qu'il a su s'adres-

ser avec discernement - et un ascendant certain - ä l'« äme sdculaire du pays » et qu'il a entretenu avec habiletd une forme de « culte paien » ä son propre 6gard que Staline a permis au systöme qu'il avait institud, en d6pit de continuels 6checs, de perdurer prös de soixante-

dix ans.

aurait pourtant dü vivre la mort de Staline comme un soulagement, une d6livrance aprös des ddcennies d'6preuves et de souffrance. Mais le souvenir des ann6es qui avaient succdd6 ä ce jour de juin 1941 oü s'6tait en-

gaglela grande guerre contre les nazis I'emportait irr6vocablement. Les gens avaient simplement retenu, comme pour la premiöre et la derniöre fois, que le " petit pöre des peuples », alors d6sempar6, s'6tait adressd ä eux d'une voix bris6e, les appelant « fröres et scurs » et invoquant leurs saints. .. Et les soldats, pourvus d'un dquipement ddrisoire et d'un armement de fortune, 6taient partis ä l'assaut au cri de « Pour Staline ! Pour la patrie I ». Tous avaient encore ä I'esprit les neuf cents jours du siöge de Leningrad et ses centaines de milliers d'habitants morts de faim, les proclamations d'un Hitler d6termin6

ä asservir les Slaves, ces «

sous-hommes », les

vingt-cinq millions de tu6s.. . Puis Ia contre-offensive ful-

gurante, le drapeau sovi6tique cränement ddploy6 au sommet du Reichstag et enfin le ddfil6 de Ia victoire sur la place Rouge, grandiose mise en scöne au cours de

laquelle des milliers d'6tendards

ä

croix gammde avaient

6t6 solennellement ddpos6s, devant le mausol6e de L6nine, aux pieds du dictateur dont I'ombre s'6tendait ä pr6sent sur I'Europe de I'Est. Le sursaut salvateur qui, quelque dix ans plus töt, s'6tait empar6 de tout un peuple et I'avait d6termin6 ä faire front pour pr6server son identit6, sa terre ancestrale, et recouvrer sa dignit6, n'avait 6t6 rendu possible qu'avec l'aide de Staline, sous l'6gide de Staline. Il 6tait donc l6gitime que son interminable oraison funöbre se fasse l'6cho de la gratitude, de l'admiration, de l'afflic-

tion sincöre de chacun.

A I'annonce du transfert du corps du dictateur

dans

cette immense chambre mortuaire aux murs de marbre et aux imposants lustres de cristal, le peuple d6ferla vers le centre de la capitale. Cette foule sans äge, miroir de la Russie 6ternelle,6tait au fond la möme que celle qui

accourait jadis des provinces pour assister au couronnement et aux fun6railles des tsars les plus cruels.

Dans les camps de concentration, en revanche, l'annonce de la maladie puis de la mort du dictateur d6clencha une explosion de joie, ramenant l'esp6rance möme chez les plus pessimistes. En certains endroits, il fut impossible, ce 6 mars, de faire travailler les forqats. Lä oü l'encadrement 6tait meilleur, ils continuörent ä

LIRE SEPTEMBRE 2013.77


creuser la glace et les galeries des mines. mais port6s,

pour la premiöre fois, par l'espoir d'Ctre bientöt lib6-

' rds.Aux yeux des paysans,

encore nombteux ä 6tre d6-

tenus, la disparition de Staline 6tait la manifestation de la divine providence. On les vit s'agenouiller, se pros-

terner et embrasser la terre comme leurs ancÖtres. les premiers chrdtiens. Geste mystique par lequel, depuis des siöcles, ils rendaient gräce au ciel de les avoir ddlivrds du malheur, des fldaux naturels, de la peste ou de la famine. Mais de tout cela, le jeune Gorbatchev 6tait encore ignorant.

Mikhail Gorbatchev devait se remdmorer souvent deuil national. Sa vie apparait au de-

ces journdes de

meurant comme un long cheminement. une aspiration continuelle ä oublier ces images qui ne cessörent de le hanter, ä sortir, bien que son parcours se confonde singuliörement avec I'itindraire des tsars rougesa, du systöme h6ritö de Staline. Mais pouvait-il imaginer alors qu'il occuperait au Kremlin. trente-deux ans plus tard presque jour pour jour, le bureau mCme du G6orgien5 ?

Alors que I'on aurait ä juste titre pu craindre d'une telle rupture qu'elle pr6cipite la Russie dans la guerre civile ou qu'elle provoque une apocalypse mondiale. la chute du communisme fut assurde " en douceur ,. Un phdnomöne tant unique qu'inespdr6 sur ce territoire dotd de dix mille tötes nucldaires. oü la violence a toujours fait figure de tradition. o Un miracle du XX" siöcle ,, avait estim6 le pape Jean-Paul II...

Un h6ritage controversd L,HOMME DU SUD Mikhail Gorbatchev 6tait plut6t bel homme. Des taches de vin. qu'il se refusera plus tard ä faire retoucher sur ses portraits officiels, maculaient en partie son front, mais sa physionomie, qui 6voquait celle des notables m6-

diterrandens, 6tait attrayante, harmonieuse, joviale. Il 6tait nd en 1931 sur les contreforts nord du Caucase,

lui attribuait de ce fait, comme ä beaucoup de Russes du dans un petit village de la rdgion de Stavropol3, et on

Lorsque Staline disparut en 1953, personne n'6tait en mesure d'assurer seul sa succession. Ce fut donc le parti communiste qui tenta de combler le vide bdant qui soudain s'6tait ouvert sur l'avenir. Et le bureau politique, s'inspirant librement de I'empreinte du pöre de la patrie. s'appropria la m€me aura d'infaillibilitd, d'omniscience et d'hostilitd implacable contre toute critique. toute opposition. En 1982, aprös dix-huit ans d'exercice du pouvoir marqu6s, au moins durant les sept ou huit derniöres anndes, par son 6tat de sant6 d6faillant et sa quasis6nilit6, Leonid Brejnev, le quatriöme secr6taire gdn6ral, s'6teignit ä l'äge de soixante-seize ans. A sa suite, Iouri Andropov ne gouverna que seize mois : parvenu en novembre, ä soixante-huit ans. au sommet de

il fut affect6 prös d'un an plus tard6 d'une

l'Etat,

s6vÖre ma-

ladie rdnale qui l'emporta en fdvrier 1984. Le sixiöme secrdtaire g6n6ral, Konstantin Tchernenko, mourut ä son tour ä soixante-quatoze ans, en mars 1985. au terme de treize mois de rögne. L'un dans I'autre. I'URSS avait passd une d6cennie entiöre dans l'ombre funöbre de ses hi6rarques, vieillards interchangeables, fripds et cacochymes, dont la s6nescence semblait refldter celle de l'empire möme. Ce fut en partie pour conjurer cette impression de morne fatalit6 que le bureau politique, dont six membres sur dix approchaient ou d6passaient les quatre-vingts ans, se tourna vers sa plus jeune rectueT. La vie changea vdritablement avec l'arriv6e au pou-

voir de Gorbatchev, durant cette p6riode de rdformes connue sous le nom de perestroika, qui symbolisa l'ouverture, la sortie du systöme totalitaire sans trop de heurts et sans effusion de sang.

74. LIRE SEPTEMBRE

2013

Sud, des origines grecques.

La province dans laquelle il avait grandi avait imprim6 ä son caractöre des traits particuliers qui allaient incontestablement peser sur son destin. En Russie peutötre plus qu'ailleurs. oü les populations vivent ä la croisde de l'Occident et de l'Asie, partagdes entre des valeurs mat6rielles et spirituelles, les temp6raments sont intimement liös au sol, ä la v6g6tation, au climat, ils s'enracinent dans un tenitoire. Au nord de la Russie d'Europe des anciens atlas, une plaine de plusieurs millions de kilomötres carrds inscrite entre les Carpates et I'Oural, la Baltique et le Caucase, oü la civilisation slave trouve son origine, se ddploie la ta'rga, rude et hostile, avec son sol acide, grisd ou blanchätre. Sur le versant sud courent

terre noire , bien plus fertile, laquelle se charge en sels avant de se d6cliner en « terres brunes ,, puis en n terres noi-

des 6tendues de grasses prairies qui tapissent une «

sette ». Ces disparit6s naturelles ont suscitd l'6mergence

et l'6panouissement de deux mentalitds compl6mentaires, qui chacune ont gouvernd les destins par lesquels s'est forgde la Russie. L'esprit du Sud, celui de Gorbatchev, sentimental et fantasque, souvent artistique et original, se confronte ainsi aux maniÖres du Nord, plus

c6r6brales et pragmatiques, qui seront celles. nous allons le voir, de sa femme Raissa. De l'avis m0me de Gorbatchev, ses grands-parents et ses parents n'avaient jamais 6t6 que de pauvres paysans ä l'existence rude et austöre. Il a relat6 qu'il 6tait toujours contraint, lorsqu'il 6tait 6tudiant, de les aider aux travaux des champs pendant ses vacances :


.t

EXTRAIT DOCUMENT

I

t t Certaines r6coltes se ddroulaient ä l'arriöre-saison. [...] Il fallait conduire les tracteurs sous un vent glacial. Pour tenir, j'6tais oblig6 de fourrer mes vötements avec de la paille.

Leur idylle vit le jour

ä Moscou, au d6but des anndes jeune avait b6n6fici6 d'un quota en faLe homme 1950. veur des activistes agricoles, catdgorie sociale ä laquelle

appartenaient ddsormais

ses parents,

pour intdgrer l'uni-

versit6 d'Etat de la capitale, 6tablissement prestigieux Ces 6vocations jouörent d'ailleurs peut-0tre un röle dans les efforts tout ä fait inhabituels que Mikhail d6ploya plus tard, en qualit6 de secrdtaire pour la r6gion

de Stavropol, afin d'am6liorer le niveau de vie de la

population rurale. Pourtant, la famille Gorbatchev semble avoir

616, ä sa

faEon, une privil6gi6e du systöme sovi6tique issu de la 16-

entre tous, oü les deux tiers des dtudiants 6taient traditionnellement recrut6s au sein de la haute nomenkla-

tura. II y 6tudiait le droit et Raissa, la philosophie. Il eüt 6t6 difficile de concevoir des caractöres plus opposds. Mikhail, avec son sourire facile et ses gestes spontan6s de M6ridional, rövait passionndment d'amour, mais rougissait en entendant les conversations libertines

on la d6pouilla bel et bien de sa pe-

que tenaient ses camarades d'universit6. Rarssa, qui avait

tite ferme au d6but des ann6es 1930, ce fut pour la rallier presque imm6diatement ä la cause des « activistes agricoles », c'est-ä-dire pour foumir des cadres z6l6s, des pe-

grandi en Sib6rie oü son pöre travaillait comme cheminot, faisait preuve quant ä elle d'un temp6rament plus

tits chefs entreprenants au kolkhoze dans lequel elle avait 6tö affectöe. Atel point que Mikhai,l s'attacha par la suite

Au club des dtudiants, il avait aussitöt remarqu6 cette fr6le jeune fille soigneusement mise. Il n'6tait pas parvenu alors ä d6tourner son regard des gouttes de neige fondue qui luisaient sur ses longs cils. PIus tard, tandis qu'elle consultait ä la bibliothöque un ouvrage traitant de l'histoire de la philosophie, qu'elle avait pos6 sur ses genoux, il avait admird sa nuque fine, offerte jusqu'ä la

volution de

ä

1917 . Si

minimiser le travail politique auquel s'dtaient livr6s les

siens, pr6tant par exemple ä sa grand-möre, Vassilissa

loukianovna,

des souvenirs ä Ia fois naifs et ironiques

:

Toute la nuit, ton grand-pöre « gorganisait » et « gorganisait » ;et le matin, bien entendu, les autres paysans n'en faisaient qu'ä leur tÖte (le g est celui que les Russes du peuple mettent spontan6ment devant les mots d'origine 6trangöre, non slaves, commenqant par des voyelles ou un ft aspir6). Mais le climat fut sans doute moins idyllique, quand on se rappelle les conditions dans lesquelles se d6roula la collectivisation des campagnes lors de la Grande Terreur stalinienne - en particulier les terribles exp6-

ditions punitives contre les paysans r6calcitrants et les convois d'esclaves destinds ä I'industrie lourde ou au goulag ; quand on considöre I'indocilit6 de la province de Stavropol, ultime bastion des troupes antisovidtiques en 1920; quand enfin on se repr6sente que le Caucase du Nord fut, aprös l'Ukraine, la r6gion Ia plus touch6e par l'dpouvantable famine des anndes 1932-1933,deplorant au moins un million de victimes...

Raissn, nNrRn ToURMENTS ET BoNTIEURS Alors que les quatre pr6c6dents chefs du Kremlin trainaient dans leur sillage une sorte de m6möre muette, sans äge ni formes, Mikhail Gorbatchev pouvait s'enorgueillir d'une dpouse encore jeune d'allure et d'esprit, bien faite, aux pommettes asiatiques et aux prunelles vives, dont la pr6sence flatteuse ä ses cötds se remarquait. Le mariage d'amour qui avait 6t6 le leur semblait möme d6fier le temps : aprös plusieurs d6cennies de vie commune, Gorbatchev paraissait toujours autant 6pris de Raissae.

r6serv6, plus convenu.

courbe naissante des 6paules. Belle, intelligente et cultiv6e sous ses airs d'enfant boudeuse, Raissa n'avait pour autant rien d'un bas-bleu, mais elle ne se privait pas de donner des avis tranchants comme l'acier sur tous les sujets. Elle 6tait trös populaire parmi les dtudiants, et Mikhail avait dü se frayer tant bien que mal un chemin au milieu de ses soupirants, afin d'approcher sa Cendrillon moscovite. Ce fut un vrai coup de foudre : « Dös que j'ai vu cette petite, je n'ai connu que tourments et bonheurs », avoua-t-il ultdrieurement.

1 L6vitan. 2. Il s'opposait d'ailleurs en cela ä la vision universaliste de L6nine et de Trotski. 3. En compagnie de son meilleur ami dejeunesse, le Tchöque Mlinar, futur id6ologue du socialisme ä visage humain du Printemps de Prague de 1968. Celui-ci est d'ailleus revenu ä plusieurs reprises sur la mort du dictateur dms ses discours et ses ouvrages. Gorbatchev s'inspira toujours de I'expörience du reformateur tchöque. 4. On entend, par cette teminologie, les trois premiers secretaires g6n6raux (L6nine, Staline et Khrouchtchev) et leurs successeurs - en particulier Andropov, le panain politique de I'home de la perestroika. 5. Gorbatchev fut nom6 secr6taire g6neml du comit6 central du Parti comuniste de l'Union sovi6tique (PCUS) le I I mars 1985. 6. En aoüt 1983. 7. Mikhail Gorbatchev n'6tait alors ä96 que de cinquante-quatre ans. 8. A Privolnoie. 9. Raissa Maximovna Titorenko, professeur de mat6rialisme dialectique.

LIRE SEPTEMBRE 2013.79


tahison ä la Fondation

Mae$ht

La troisiöme partie de I'ouvrage r6serv6e au catalogue proprement dit prdsente des ceu-

Quand, ä Saint-Paul-de-Vence, BHL 6lit la part de n6ant de notre 6poque, d'autres continuent de lire en silence un Malraux fondamental m6connu. uarante ans aprös I'inoubliable exposilion se

Andri Malraw qui

tint ä l'6td 1973 ä la Fonda-

tion Maeght,quarante ans aprös le magistral discoun dans lequel

l'auteur des Voix du silence rdcapitulait au soir de l'inauguration toute une vie d'inter-

Journal qu'ilest toujours partag6 entre deux visions, l'une qui fait du mus6e le n lieu oü l'euvre s'affranchit de I'archi-lieu oü elle est n6e », l'autre qui en fait n une forme de prison » contemporaine de l'höpital et de l'6cole ». Malraux ou Foucault ? BHL affirme ne pas pouvoir choisir.

.

rogation sur l'art, quarante ans aprÖs les trois films des Mönmorphoses du regard de Clovis Prdvost produits pour I'occasion par Aim6 Maeght, quarante ans aprös ce qui fut un

wes dont le choix reldve plus d'une soumission ä la mode et au march6 ainsi que de l'opportunitd des pröts que d'un v6ritable regard. Certains journalistes se sont arrötds sur le 25 fdwier, jour oü sa saur Vdronique s'est convertie au catholicisme. Que ne se sonlils arrötds quelques pages plus loin : 25 mars. " "L'irrdel ne manifeste pas la vdritd, il lui succöde" (Malraux). L'art, autrement dit, commente BHL, ne nous inscrit pas dans le monde, ne nous y amdnage pas une place meilleure ou plus confortable. il nous en arrache. C'est exactement ce quej'appelle, dans ma lettre ä Kaeppelin, le "Contre-Etre". Bemard-Henri lfly peut y aller de son interpr6tation, les critiques d'art n'ayant pas lu Les Ecrits sur l'arr d'Andrd Malraux, ils ne pourront lui reprocher la lecture fantaisiste

,

Malraux ou Foucault ?

Bernard-Henri L6"y ffirme ne pas pouYoir choisir

des 6vdnements les plus chargds d'6motion et d'intelligence de la vie de la Fondation, Bemard-Henri I-ely s'improvise commissaire

d'une exposition fourretout oü le meilleur cötoie le pire et dont I'ambition est de raconter n l'histoire des relations entre art et philoso-

qu'il explique ä Olivier Kaeppelin, le directeur des lieux, dans une longue lettre qui constitue la premiöre partie de son livre-catalogue.

nds aux quatre coins du monde sur fond de

vail expddids entre deux avions, de rencontres avec une multitude de personnalitds amies,

qu'il en fait. Sortie de son contexte et pr6sent6e comme un aphorisme, cette phrase perd tout son sens. L'" indel et la « vdritd » ont " chez Malraux une signification prdcise. L'irr6el ddsigne cet imaginaire de fiction qui,

t-a deuxiöme partie est mmposde d'extraits de son loumahelatifs aux visites d'ateliers et de mus6es, ä ses rencontres, ä ses souvenirs, ä ses lectures : il rencontre Picasso ä l'äge de dix ans sur une plage de Juan-les-Pins (le peintre avait tent6 de « draguer » sa möre), rap-

il y a dans ce grand divertissement 6maill6

ä la Renaissance. succdda ä

de notes de lecture et de considdrations en tous genres un affairement qui, comme chez

vdritd que Malraux appelle aussi I'n 6temel ou le « sumaturel ». Ce dernier a baign6 le MoyenAge chrdtien commeil abaigr6 toutes les grandes civilisations religieuses. En tant que domaine de röves et de fables,l'irrdel appelle l'admiration comme l'imaginaire de v6rit6 appelait la foi. Nous ne pouvons que renvoyer BHL ä la lecture de l'« Introduction g6n6rale » ä La Mötamorphose des dieux. Lira-t-il un jour cette Guvre aussi magistrale que m6connue qui lui permettrait d'intenoger

phie

». C'est ce

Il y a dans cette vie faite d'entretiens donpolitique intemationale, de ddjeuners de tra-

nombre de nos politiques, semble avoir pour modöle celui d'Addnoide Hynkel dans Le Dictateur.

pelle qu'il a öditö La Gloire de Rubens de Philippe Muray, d6couwe au cours d'une conversation que Guy Debord, comme Romain Gary, a habitd sa rue, relil La Röpublique de Platon et De l'essence de la vfuift deHeidegger avant de faire une visite dclair au musde d'Orsay. Un

il

n

^ \ U

B

l'imaginaire de

avec plus de pertinence notre monde de

,

l'art

?

On lui suggöre de lire pr6alablement le fort ntöressurt Andrö MalraLa. Les Eciß sur I'art

a tout juste le

de Jean-Pierre Zarader. Interrogd sur France

temps d'ouwir son J oumal et de noter : « Malraux, Les VoLr, du

Culture. lors de la sortie de son livre, sur les

4 ddcembre,

silence : "Les grands artistes ne

sont pas les transcripteurs du monde. ils en sont les rivaux." C'est exactement cela. Un

,

13 septembre, il confie ä ce mÖme

raisons pour lesquelles on parlait si peu de ces BHL et la ministre Aur6lie Filippetti, devant le por&ait de Jacques

Euits,celü-ci rdpondit : « C'est une vraie

Denida, peint

contenu möme des Ecrits sLtr I'art. » Dommage qu'il n'ait pas saisi l'orcasion de recon-

Valerio

80. LIRE SEPTEMBRE 2013

question. Je ne sais pas sij'ai une rdponse immddiatement. Peut-Otre ne connailon pas le


a

genre romanesque qui marque les anndes 1950-i970 serait une explication insuffisante. Et Henri Godard de nous renvoyer ä un chapitre fondamental de l'6tude de Jean-Louis Jeannelle : « L'honneur du tdmoignage I'humble honneur. » Ce dernier y donne ä lire une page terrible de Lazare $97\ 1amais publide : « Quel pays aura 6prouv6 autant que le mien,6crit Malraux, le besoin de se cracher ä la figure ? Tous ces films, tous ces livres, enragds ä ne montrer que ceux qui n'ont jamais rien fait [...]. Quel cancer pousse ce pays, qui fut quelquefois grand pour le monde, ä ne vouloir 6lire que son ndant ? "La vdrit6, c'est l'idiot auquel nous donnerons la parole, pour dire que tout Ea, il s'en foutait, pourvu qu'il ait son quart de rouge !" [...] J'aimerais que les derniöres images des filrns franEais ä la gloire de celui ä qui on ne la fait pas fussent les terribles images de Nult et Brouillard, ou celles des camps d'extermination des femmes, ou celles des prisonniöres pendues, dress6es sw le gros orteil, qui devaient mourir quand l'orteilfl6chirait. Ceux d'entre nous arrivds ä temps pour couper les cordes auraient deux mots ä dire ä ceux ä qui on ne la fait pas. Malraux avait beau savoir que « dans la Rdsistance, la France reconnaissait ce qu'elle aurait voulu ötre, plus que ce qu'elle avait

-

,

6t6 », il n'avait pas beaucoup appr6ci6 Le Chagin et la Pitiö, film de 1971 dans lenaitre

-

diteurs

cela eüt 6td profitable ä tous les au-

-

que la premiöre fois qu'il ouvrit

Les Voix du silence rl elt, comme beaucoup de lecteurs, le sentiment que tout cela n'6tait pas trös s6rieux, et qu'il lui fallut passer par le

discours de la Fondation Maeght publid dans

Ia Töte d'obsilienrw etsxtoutpu L'Homme pröcaire et la littörature, I'univers des livres suscitant depuis toujours, plus que celui des ceuvres d'art, son interet. Cela ne l'a pas empöch6, curieusement, de devenir un des meilleurs commentateurs des Ecrits sur I'art.Cnfut d'abord un premier liwe,

Malraux ou la pensöe de I'art, qti repdrait et ordonnait les grandes cat6gories de la pens6e de Malraux en les dclairant ä I'aide d'Aristote, des stoiciens, de Plotin, de Hegel et de Spengler. Puis un Vocabulaire de Malraux. Et enfin ce demier liwe qui remanie diff6rentes communications ä partir d'un angle qui nous fait d6couwir en Malraux un penseur dont les interrogations font 6cho ä des probl6matiques philosophiques contemporaines. Si l'6clairage philosophique, en fixant le vo-

cabulaire de l'6crivain, permet de tordre d6finitivement le cou ä la r6putation d'illisibilitd des Ecriß sur I'arl entretenue r6guliörement par Marc Fumaroli en particulier, une ques-

tion hante toutefois notre lecture du livre de Jean-HeneZarader.

te

peu d'int6röt de celui-

cuwes d'art (qui §explique colnme souvent parune imperm6abilit6 ä leur donnde spdcifique) ne le conduit-il pas ä glisser sous la probldmatique de Malraux le questionnement d'un Derrida, notamment, et ä dlargir sans discernement le p6rimötre du Mus6e ci pour les

imaginaire sous prdtexte de l'ouwir g6n6reusement ä ce qui le mettrait en crise ? Il n'est pas sür par ailleun que la toujours vivante cri-

tique de l'ethnocentrisme pour pertinente qu'elle soit ne jette pas le b6b6 avec I'eau du bain dös lon qu'elle se focalise sur ce qu'elle appelle la « violence du mus6e ». Peut-6tre faudrait-il entendre un certain registre m6taphorique sans se rdfdrer imm6diatement au passd colonial de l'Orcident.

Il pounait ötre 6clairant ä ce sujet d'ouwir l'ddition dtablie par Henri Godard et JeanLouis Jeannelle

des

Fragmenß d'un roman

quel Marcel Ophuls, aprös d'autres, s'en prenait au mythe de la Rdsistance en donnant, au nom de la triste vdrit6, la parole ä « ceux ä qui on ne la fait pas ». Peut-ötre y a-t-il derriöre la critique du Musde imaginaire qui est un des fleurons de l'apport de l'Europe au monde et une part de son honneur, peut-6tre y at-il derriöre la « ddconstruction » de sa maitrise en tant que maitrise occidentale un autre « on ne me la fait pas », parent du preJ6röme Serri mler. -.t Les Aventures de la v6ritö. Peinture et philosophie : un röcit par Bernard-Henri L6vy, 390 p., Fondation MaeghVGrasset, 30 €

**Andrd

Malruux.

les Ecnts sur I'ai par

Jean-Pierre Zatadet,240 p., Cert, 20 € -t*« f/62 a Fragments d'un roman sur la Rösistance par Andt6 Mahaux, 132 p., Gallimard, 15,90

*

*Rdsistance du roman. Genäse de "

/Von

d'Andr6 Malraux par Jean-Louis Jeannelle, 328 p., CNRS Editions, 25 €

"

sur la Rösistance que Malraux avait envisagd de titrer « Non », ainsi que l'6tude remarquable de Jean-Louis Jeannelle qui en retrace la genöse. Pourquoi ce roman est-il rest6 ä l'6tat d'6bauche ? [a ddsaffection ä l'6gard du

WruME LIRE SEPTEMBRE 2013.81


Fiasco psy Clotilde IEGUIL Un dossier ä charge contre la psychoth6rapie, incapable de nuance et d'analyse, ä travers

l'exemple d'une särie am6ricaine. ouveau r6cit du monde, les s6ries t6l6vis6es en disent long sur notre soci6t6. La s6rie am6ricaine In Treatment (En analyse)l'i)r»te ä merveille. Un psy am6ricain, Paul Weston, quinquag6naire portant beau, regoit des patients venus de tous les horizons. l,e t6ldspectateur assiste ä une s6ance, en temps rdel, avec un patient. A la diffdrence du cin6ma (Woody Allen, Hitchcock), la psychoth6rapie est trait6e ici en tant que telle. Clotilde trguil philosophe et psychanalyste, a beau jeu de montrer que Paul (jou6 par Gabriel Byme), arch6type de psy ä l'am6ricaine, est un in6m6diable loser, allant de d6sastre en d6sastre aussi bien avec ses patients, dont les demandes d6vorantes le d6bordent, qu'avec sa femme, Kate. Non que Paul soit un incapable simplet. En vdrit6, c'est sa pratique möme qui le möne dans le mur, dös lors que la psychanalyse s'est r6sorb6e en une banale psycho-

**

th6rapie, ignorant avec une rare persdv6rance ce qui, depuis ln Treatment. Freud et lacan, ne cesse d'Otre martel6 : nous sommes des Ötres Lost in therapy par Clotilde parlants et la langue, ä notre insu, nousjoue bien des tours. teguil, 192 p., Pourtant, dira{-on, que fait Paul Weston, si ce n'est parler

jamais inqui6t6e. Au lieu d'un sujet divis6, la psychothdrapie valide f illusion d'un sujet tout d'un bloc, chez qui la langue circule en une fansparence sans ces pr6cieux d6chets (lapsus,

mot pour un autre ou ce petit rien qui insiste et se r6pöte). On communique, dans la rdciprocit6, dans un pr6sent. Ce que lacan appelle les mirages de l'imaginaire, leune suprOme PUF, 12 € parlequel ceque j'aime en l'autre,c'est moi. Labelle laura avec ses patients ? D6sesp6r6ment normaux, ils dvoquent, dans une langue sans dpaisseur, leurs problömes quotidiens : vie amoureuse le cannibalise dans un amour impossible tandis que sa femme le trompe. [.e Dr Weston est incapable de rep6rer la tentative de Kate instable, rivalitds professionnelles, petit narcissisme brusqud,

etc.

Quelques g6n6ralit6s sur des comportements foireux, consignds dans n'importe quel trait6, font de la psychoth6rapie de Paul Weston verbiage sans surprise, qui fait l'impasse sur la parole singuliöre. donne desconseils, se pare contre leur agressivit6 tout enleur disant ce qu'ils veulent entendre, bref, les conforte dans une posture psychique

un Il

pour exister ä ses yeux. Incapable de sortir d'une relation duelle qpique de la psychoth6rapie, Paul Weston fait naufrage. Clotilde Lrguil, dans une langue claire et 6l6gante, signe une ddfense et illustration de la psychanalyse exemplaire d'intelligence.

du rtez

monde animal, les besoins ne sont Vdritd d'airain, l'homme parle, c'est m6me I'ind6boulonnable soc de la psychanalyse et ausi wai qu'on a besoin d'oxygöne pour respirer, le d6sir humain est

tAtAN

ticulant en montages de paroles, de

Par le bout Jacques

Complexe, le d6sir humain est m6connu. Et est fond6 sur un fantasme culminant dans un scenario inconscient. e d6sir semble si 6vident ä chacun

qu'il pointe dans la transparence le

tr- / manque et ce qui viendra

soulager la

tension. Ainsi, d6sir et plaisir auraient partie li6e. Sur ce point comme ailleurs, Freud et l-acan sont venus brouiller les cartes, troubler les dvidences pour ceux qui veulent bien les lire. D'abord, le d6sir humain n'est pas

l'instinct animal qui l'identique

A2.LIRE

:

se satisfait

toujours ä

soif, faim, copulation. Dans le

SEPTEMBRE 2013

signale, pour Lacan, que l'on est dans les dangereux parages du d6sir.

pas interchangeables.

toujours fond6 sur un fantasme s'armots, culrninant dans un scdnario inconscient.

Chacun est men6 par un ddsir mdconnu qui le möne par le bout du nez. Ainsi le n6vros6

fait-il de la demande insatiable de l'autre, son maitre, l'horizon clos de son d6sir. [e jeune l,ouis Althusser r6curait la cuisine, anticipant la requ0te matemelle. Ainsi le masochiste, comme planqud sous la table, attend comme ce rien qu'il est ce qu'on va faire de lui. Sans, du reste, savoir pourquoi. A rebours de toute une tradition qui fait de l'hddonisme le moteur de I'existence, le ddsir freudien fondamentalement m6connu

par le sujet se manifeste par le symptöme : d6formations du r€ve, rituels ndvrotiques et surtout l'angoisse, l'affect fondamental qui

Alain Rubens

Mais le d6sir sexuel, dira-t-on, encombre bien notre vie. D'abord, c'est

une histoire qui tourne court pour nombre de penonnes. L'impuisance n6wotique est un des fleurons de la psychanalyse. Un homme s'6puise ä s6duire une femme. Au moment de conclure, son ddsir s'6vanouit. Paradoxe vite r6solu si l'on considöre que le sujet cherchait moins le coit que la certitude, inscrite dans les signes, d'Otre aim6. Aprös, pas touche ! Pour faire brel tant la pens6e de Lacan est sinueuse et surtoutinoule,lefantasme est le support du ddsir mdconnu qui n6cessite un travail d'interprdtation. Jacques-Alain Miller qui est parti du Seuil pour ta Martiniöre nous livre ce s6minaire avec un index et des notes

quibalisentlalecture. **le

Disr'r el son interprötation. Le Söminaire, livre Vl par lacques Lacan, 616 p., Editions de la Martiniöre/Le Champ freudien, 29 €

A.R.


.a

Bestiaire

viral

profeseur d'immunologie

le t6tanos, le typhus. Aujourd'hui,

thiller,V ie et mort

avec les grandes d6forestations et les

racontent

des

öpidömies.Ils

ff\ ui aurait pen# que. en 2003. le SRAS I I - *ndrome respiratoire aigu sdvöre \4f u*uit..n un mois. envahi'la planöte. semantla panique dans une trentaine de pays. coütant des dizaines de milliards d'euros ? On croyait les dpiddmies 6radiqu6es. A tort. Elles arrivent r6guliörement, d'un bout de la planÖte ä l'autre. Jamais, disent les experts, elles ne s'anöteront. Pour expliquer le pourquoi et le

comment de ces invasions, Patrice Debr6,

voyagesintemat)onaux, amvent äes virus inconnus. Trois cent cinquante

les catasffophes pass6es

et mettent en garde contre les

Loin d'6tre öradiqu6es, les öpid6mies proliförent et font I'obiet de nouvelles ötudes.

renconffent la tuberculose, la ryphilis,

dmergentes, ont 6crit un vdritable y

Patrice neBRE, Jean-Paul GONZALHU

qu'aucun g6ostratöge n'aurait imagin6. Aprös les pestes, les hommes

et spdcia-

liste du sida. et Jean-Paul Gonzalez, virologue et consultant en maladies

fuhres.

Microbes, bactdries, virus existent depuis le d6but de la vie sur Terre. Bien avant que les hommes ne colonisent la planöte. Ces ötres minuscules forment un bestiaire d'une in-

croyable vitalit6, d'une formidable plasticitd. Un changement dans l'environnement, et le pathogöne se

**Vie

et mort des öpidömies par Patrice Debrä et JeanPaul Gonzalez, 280 p., Odile Jacob, 23,90 €

rdveille et attaque. les premiers animaux domestiquds ont notamment apport6 aux humains la löpre, la variole et la grippe. lrs passages les plus dramatiques

-

et passionnants

-

de ce document relatent les pestes qui se sont surc6d6 du Moyen Age au XWI" siÖcle, provoquant d'immenses bouleversements, ddvastant populations et dconomies. renversant les grands de leur trÖne, ä un point

sont apparus en une cinquantaine d'ann6es, que l'on croyait cantonnds aux zones tropicales. Or dans cette course entre infestations et thdrapies, les virus sont gagnants. Les auteurs ddcrivent les

travaux des grands scientifiques, depuis Ambroise Pard jusqu'aux Nobels actuels, en passant par Pasteur, Koch et Yersin. A force d'6tudier le sida, l'Ebola, le chikungunya, les m6decins sont mieux arm6s que jamais pour organiser la riposte. Ils en appellent ä une culture raisonnde du risque, ä une coordination entre pays. Aux citoyens de rdclamer le droit ä une information rationnelle pour 6viter les fantasmes du pass6.

Franqoise Monier

Attaches sans collier Claude BEATA Les animaux sont-ils capables d'6motion ? I' auteur r6pond, exemples ä I'apPui.

V6törinai re comportementaliste,

les fans de llo Fen6 se souviennent de la folle histoire d'urnou, qui lia le chanteur ä Pdpde, sa guenon chimpanz6, devenue poursafemmeetluiune n secondefille ». Unsiöcle plus töt en Ecosse, un terrier noir nomm6 Bobby passait lui aussi ä

f-T-lous

I Ä

la postdritd pour s'Otre rendu quotidiennement,

pendant plus de treize

ans, sur la tombe de son ancien maitre. Si l'attachement animal

nourrit

bien des l6gendes populaires et des anecdotes familiales, les psychologues se sont peu penchds sur les affects de nos amies les b€tes, de peur peut-ötre de tomber dans le piöge de l'anthropomorphisme. Claude B6ata prend lui le taureau par les corne s et, dans Au risque d'aimer, exploresans d6tour le fonctionnement des dmotions d'especes v6t6rinaire allant du chat au perroquet en passant par le crocodile. comportementaliste reprend la thdorie de l'attachement du psychiatre anglais John Bowlby et tente de l'adapter au comportement des ani-

tr

le « psy » des bÖtes dispose d'innombrables anecdotes que lui confient ses clients dans l'enceinte de son cabinet. Lui qui, dans les anndes 1990, s'est battu pour qu'un diplÖme de v6t6rinaire comportementaliste voie le jour en France, rdpond aussi aux arguments des « zoo-sceptiques » pour qui les relations entre homme et animal ne se jouent que sur le mode du quiproquo maux. Pour plaider

-

o

o

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sa cause,

et du m6canisme. Sur l'arche de No6 du docteur Bdata, les chiens tombent amoureux, les oun se suicident, les dauphins sont solidaires et les penoquets, jaloux. Irs animaux sont capables d'exp6riencts cognitives et 6motionnelles complexes, dont l'analyse doit permettre de comprendre la v6t6rinaire ne rdsiste pas au plaisir de parpsychologie humaine.

[r

tager quelques belles anecdotes sur certains de ses patients ä quatre pattes. Ainsi ce jeune labrador qui, pour sauver un enfant de la noyade, le charge sur son dos et nage au milieu de la piscine afin de le maintenir ä flot... Voilä qui apportera de l'eau au moulin du chanteur Renaud. Dans un morceau d6di6 ä Baltique, fidöle compagnon de FranEois

Mitterrand, l'artiste militait pour la reconnaissance de I'amour canin : o Et dire que Ea se veut chrdtien lEt Ea ne comprend möme pas/Que l'amour dans le ccur d'un chien /C'est le plus grand amour qu'il soit/Un jour pourtant je le sais bien/ Dieu reconnaitra Estelle Lenartowicz les chiens. »

*Au risque d'aimer par Claude B6ata' pröface de Boris Cyrulnik, 328 p., Odile Jacob, 23,90 €

LIRE SEPTEMBRE 2013'83


\#*memmt kTÄt-ffiffi ffi, Amdr'*b

BSt $§HARffi

Age de pierre, tOte de bois n homme des cavernes d6vale une montagne ä toutes jambes poilues face ä une

crdature mutante vraiment effrayante : « Avant quand y avait pas 1'6cole, la thdorie de l'dvolution on la ddcouwait un peu au jour le jour. » Aprös le ddsopilant Quand papa ötait petit y avait des dinosaures,le tandenl de choc Vincent Malone au burin et Andrd Bouchard au pinceau en poils de mammouth rdcidive avec un album grand format ä l'humour ddjant6 et farci d'anachronismes. Retour aux temps prdhistoriques oü les principes d'6ducation diffdraient quelque peu d'aujourd'hui. On d6couvre des centres adrds sans principe de prdcaution, des bagarres de cour de rdcrd vraiment mortelles, des grenouilles (trois fois plus grosses que: vous) qui ne se laissaient pas dissdquer, un niveau global trös « primaire »,

"*.tw_

f

des n6andertaliens sans neurones, des dquations ä deux inconnues fatales

et des interros surprises cauchemardesques. Cet album trös visuel se savoure cofirme autant de gags qui surprennent ä chaque double page. A regarder entre Homo sapiens dans de grands fous rires pour avouer que c'est drölement bien l'6cole ! Nathalie Rich6 Av.nl, qusnd yawll F3 l &!le.

le!(rcnoullbsneeehlllal.nl

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oredl.0Öqo.r6ani.lendlre

**

Avant quand y avait pas /'6cole par Mncent Malone, ill. Andt6 Bouchard, 42 p., Seuil jeunesse, 18 € (dös 5 ans)

§0tl§üffi|"Jffi

1914 : dernier ete omment dvoquer la Premiöre Guerre mondiale qui sourd ä hauteur d'un quartier parisien ? C'est ce grand 6cart que r6ussit Tania Sollogoub, avec son regard au plus prös de l'humain. Tandis qu'un archiduc autrichien est assassin6 dans les Balkans, des g6n6raux russes, un empereur allemand et des Frangais s'agitent. Un peuple compte sur l'un d'eux pour sauver la paix : Jaurös. Mais dans la chaleur torride de cet 6t6 1914, le vent ne suit pas les courants pacifistes et les

ddbats font rage. A travers l'agitation du quartier de la Gait6, on palpe les tensions, les id6aux politiques et les vies minuscules qui voudraient juste suivre leur cours. Il y a Catherine qui tra-

vaille au march6 ;son fils Paul, u un homme avec des poings et des röves », amoureux fou de Madeleine qu'il voudrait emmener aux Etats-Unis ; le vieux Lucien qui aime depuis toujoun Suzanne la couturiöre,

tenaire

.

une äme solide comme un chöne cen-

Mallavec qui croit ä la lutte des classes et en parle avec << une sacrde lumiöre dans les yeux ,. Qu'est-ce que le bonheur, qu'est+e que construire l'Europe des peuples ? Des hommes et des femmes qui ont foi dans le socialisme naissant rövent de paix, tandis que les malentendus I'emportent. Alors ils misent sur Jaurös, et vont le soutenir chacun ä leur faqon. Tania Sollogoub saisit avec finesse c€ moment de I'Histoire trop grand pour les hommes. Alors on se prend ä aimer cette poign6e d'amis, bientöt emport6s dans la machine ä broyer et on savoure les moments de rdpit quand röver ä la Rdvolution n'dtait qu'une id6e ä d6battre, les doigts pieds dans I'herbe, un f6tu de paille entre les dents, le long des bords de N.R. », et

Mame.

**Le

Dernier Ami de laurös par Tania Sollogoub, 224 p., L'Ecole des loisirs/Medium, 10 € (dös 12 ans)

84. LIRE SEPTEMBRE 2013

I

fr 'n.,t*

ffiteptrmm* SffiffiVAf{T

Ceurs entraves 1f

vec sa möre, Cdlia est revenue s'installer dans le village matemel.

AH,11l;;:""t;ääffilTfif ffiil*"J::::l::fr:[Hfr X: n'ontjamais 6t6 les bienvenus, et elle, l'enfant de la ville, fille de l'6crivaine ä succös ddchue, se trouve vite pointde du doigt. Une situation qui ressemble ä ce qu'elle connut petite, lorsque les bandes de gamins qualifiaient sa grand-möre de sorciöre et aussi de pute, tant qu'ä faire. t ajeune fille en d6route - une möre fragile, un pöre parti lorsqu'elle avait 4 ans - ne se lie jamais sinon avec une arm6e de fantömes. ce coin perdu, les dtrangers

Seule exception, Alice, l'amie d'enfance aux prises avec un pöre violent, se r6völe comme une sceur. lrs nuits, toutes deux se rejoigrent dans la montagne prös du lac noir pour d'6tranges courses ä travers la foröt sombre. Lä, les jeunes filles se font louves au pelage gris, infniment libres. lr jour, elles semblent enchaindes, en proie aux hommes taciturnes du village, Tonio, Armand et Thomas. Car, sous les cailloux des torrents du berceau familial, les lourds secrets n'en finissent pas de rouler, fracassant les destins. Pourtant, C6lia va s'atteler ä reconstituer le puzde en 6vitant les pr6dateun pröts ä tout pour pr6server leur secret. Peu ä peu les langues se d6lient, un vieux camet est retrouv6 et le pass6 surgit. .. Magistral roman choral oü les voix de C6lia et de Tina jeune fille se rdpondent, ce texte aux ramifications complexes embarque le lecteur dans les supentitions villageoises et les nondits. Auteur d'albums jeunese, St6phane Servant a fait quelques incursions en littdrature pour ados avec des romans intenses aux peßonnages nageant en eaux troubles. On avait

aimö Sotruiens-toi de la lune,un polar fantastique dans un bayou du Mississippi. St6phane Servant aime donc les coins et les personnages paum6s et puise dans ce tereau un roman puisant d'une grande maturitd, car ces trois g6n6rations de vies brisdes n'ont pas fini de vous hanter. Incontestablement le roman de cette N.R.

rentrde.

***Le

Ceur des /oures par St6phane Servant, 542 p. , Le Rouergue/

DoAdo, 17,50

(dös 14 ans)


.t

t

t t

Olivier MOREL, MAäL

Grands traumas I I I

t r'.rt d'abord agi d'un film, L'Ame ensarg, d'Olivier Morel, un Am6ricain n6"frangais. vivant aux Etats-ünis oü il enseigne I'art et la tittdrature ä iuuriversitd de Notre-Dame (Indiana). Il s'est d'abord agi d'une guerre, celle que les Etats-Unis ont engagde contre Saddam Hussein et dont les v6t6rans sont les « personnages » du film. Du film, on ne sort pas indemne, ä l'image de ces hommes - et de ces femmes : Selon les donndes officielles trois vdt6rans de la guerre en Irak se suicident chaque semaile », räppellent le fihn et la BD qui, en cette rentrde, sort en librairie. La qualit6 du regard de Morel tient sans doute ä son empathie pour les victimes, nourrie par sa propre m6moire, oü se tapit le souvenir d'un grand-pöre r6sistant et d'un poilu de 14, tous deux d6finitivement traumatis6s par leur expdrience de la souffrance, de la mort, de l'absurde. L'int6r€t de la version en BD est qu'elle est centrde sur Morel lui-m6me, sur ses doutes, ses hantises, la ma-

.

niöre dont sa vie privde et sa vie professionnelle sont, ä leur tour, contamindes par cette violence. Ce qu'il y a de plus terrible dans ces grands traumas - le 11 Septembre est aussi dvoqud -, c'est que la v6ritable contamination - chez la victime comme chez celui qui, ä l'instar de Pascal Ory Morel, s'attache ä ses pas - s'appelle la

culpabilitd.

***Revenants par OlMer Morel (sc6nario) et Maäl (scänario et dessin), 120 p., Futuropolis,19 €. En librairie le 12 septembre.

Robert VENDI'lTl, MiKe HUDDLESTON

David CANTOLLA, Juan DIAZ-FAE§

Mode

d'emplois

d'objet est peut-Ctre appel6 ä devenir plus fr6quent ä l'avenir. Notre soci6td catholique demeure rdticente ä l'6gard de l'esprit d'entreprise. Ce gros album en fait l'6loge, d'une maniÖre drÖle, et triplement efficace : d'abord, c'est une autobiographie - David Cantolla est aujourd'hui ä la t6te d'une prospöre compagnie audiovisuelle ; ensuite, elle nous vient de la soci6t6 espagnole - et non pas d'une culture protestante anglo-saxonne ; enfin, Cantolla est, en fait, le survivant d'une catastrophe financiöre, sa premiöre e dröle

entreprise ayant 6td l'une des nombreuses victimes de l'6clatement, en l'an 2000, de la « bulle

Internet ». L'auteur conclut que, de toutes les fagons, I'essentiel n'est pas dans

l'entreprise mais dans les choses de la vie. On ne peut que lui donner raison, d'autant plus qu'avant d'en arriver lä il ne nous a rien 6pargnd des angoisses et des humiliations de ses p6riodes de galöre.

**Je

P.O.

veux r6ussir.com par David Cantolla (texte) et luan Diaz-Faes (dessin), 272 p., Dargaud, 22,50 €

On est tous des numeros

U

n de ces sc6narios compliquds qu'on appelle « thriller politique », autrement dit la forme modeme du roman d'eEionnage, oü la frontiöre

a disparu entre Bons et Mdchants, ce qui n'arrange pas les affaires du commun des mortels.

Mortel est le mot.

[r

danger, l'advenaire n'est pas clairement identifiable, des mots magiques font choc : « terrorisme », « conspira-

tion ,, n 6pid6mie

». On est, bien sür, aux Etats-Unis ; le scinario est sigr6 d'un profesionnel des mmics, remarqud pour la s6rie The Surrogates (C/ores, titre franEais du film qui en fut extrait, avec comme il se doit, Bruce Willis en vedette), le dessin est nerveux, avec une surcession d'ambiances color6es propres ä vous mettre en condition. lecteur ne peut sortir de sa lecture qu'avec la conviction que le destin de chaque individu, surveill6, « profild »,

tr

jusqu'au tr6fonds, d6pend de strat6gies tordues qui le d6passent. La couverture du livre dit tout : une Maison-

Blanche surmontant une tÖte de

mort.

P.O.

**Homeland directive. La menace intdrieure par Robert Venditti (sc6nario) et Mike Huddleston (dessin), 160 p., Urban Comics, 15 €

LIRE SEPTEMBRE 2013.85


La politique en eolume

LE MOI DES POLITIOUES a politique, autrefois, c'6tait le verbe. Aujourd'hui, c'est l'image, ado16e, toute-puissante, envahissante. Michel Schneider, qui est ä la fois maitre des requötes ä la Cour des comptes et 6crivain (Prix Interallid 2006 pour Marilyn, derniäres söances), annonce la couleur en intitulant son livre brillant, souvent fdroce et parfois burlesque, Mlroirs des princes. Il y analyse la politique et les « princes » qui la font. Avec humour, il ddnonce la ddgradation de la politique qui n'est d'ailleurs pas propre ä la France : les princes, aujourd'hui, ne « politiquent pas : ils communiquent ». Et les communicants ne communiquent pas, ils bavardent. De quoi donc nous parlent nos princes ä prdsent ? Assurdment pas de ce qu'il faudrait FAIRE mais d'euxmömes, tout bonnement. « La politique 6tait naguöre une scöne, mee-

morts pr6matur6es. Ce que I'auteur dit en ces termes que l'on n'oserait qualifier de lacaniens : « Trop se regarder rend böte et malheureux en fin de compte.

, Ou encore

: « Aimer se voir et se faire voir n'est

pas sans p6rils : on risque toujours que les spectateurs vous disent

d'aller vous faire voir.

o

Si l'on en juge par leur ddsintdr0t patent pour la ddmocratie dlective,

les FranEais partagent le diagnostic du bon docteur Schneider : o Devenus reprdsentants de commerce de leur propre marque, les politiques se condamnent ä une inexistence redoublde quand ils ne font plus que vendre, faire vendre, et parfois se vendre. H6las ! la " lecture, si r6jouissante pourtant. du livre de Michel Schneider risque encore de renforcer cette ddrive antiparlementariste qui n'affecte pas seulement la France mais. ddjä, la plupart des pays d'Europe.

tings, estrades, aröne du Parlement, elle est devenue une loge de ma-

quillage.

piti6. ajoute : Dans leur parole vaine, " Et Schneider, sans " n'affirment que le pouvoir de la bötise.

les b€tes de pouvoir

utre miroir, mais en chair et en os, vivant et gouvernant Vladimir Poutine. Dans son livre. Le Roman de la Perestroitka (voirl'extrait page 76), l'auteur prolifique Vladimir

"

Il est incontestable que rien ne nous a 6t6 6pargn6 depuis au moins « Un courant ddjä ancien et puissant entraine

chiens et confidences. dans la conqu6te de l'ima-ee. » Ddballa.ee et d6bondage sont les mamelles de notre ddmocratie en mal d'apaise-

F6dorovski raconte l'ascension du p16sident de toutes les Russies qu'il a pu observer dans les anndes 1990 : Conform6ment aux re" cettes classiques de I'6cole d'espionnage du KGB. it faisait croire ä tous ses interlocuteurs qu'il 6tait comme eux. l'un des leurs : un miroir

ment. Exemple :l'ordre lanc6 par Val6rie Trieru,eiler. devant les tdl6-

dans lequel chacun se refldtait et se retrouvait. » Mais aujourd'hui,

spectateurs de France et de Navarre ä son Pr6sident r6put6 normal : « Embrasse-moi sur la bouche ! Schneider remarque. au passage,

Poutine est devenu l'un de ces

que nos politiques sont plus enclins ä r6v61er leurs amours que leurs

narcissisme ddlirant.. . F6dorovski, parlant des fraudes dlectorales de 2007, affirme que « la d6mocratie contrö16e, instaur6e par Poutine en 1999, ne peut plus du- ***Miroirs des

une dizaine d'anndes

:

les politiques ä s'engager personnellement. avec femmes et enfants,

"

patrimoines. Dans ce culte effr6nd de l'image, les miroirs jouent un röle tyran-

"

tsars rouges » que I'auteur a 6tudi6s

avec horreur et fascination. Sans doute emporte ä son tour par un

nique. Ils sont les relais oblig6s du narcissisme galopant des politiques.

rer ! » Combien de temps, de döcennies, de 96-

Donc, irremplaqables, in6vitables. « Les miroirs, tranche I'auteur,

ndrations faudra-t-il pour que ce pronoslic

n'appartiennent plus aux princes, ce sont eux qui leur appartiennent.

r6alise ? La rentrde d'automne, en France. voit fleurir chaque annde les ouwages sur l'Ecole, ses 6checs,

"

Et l'objectif, qui 6tait jadis de rassembler les Frangais, a fait place " ä la simple aspiration ä leur ressembler ». Cette ddbauche narcissique

parfois de mortelles cons6quences : dans son fameux d6bat avec Frangois Hollande, ä trois jours du second tour de la demiöre 6lection a

pr6sidentielle, Sarkozy,

narcisse perp6tuellement 6corch6

vif

se

ses malheureuses rdformes annoncdes puis annu-

l6es. Martine Daoust, qui

fut recteur des aca-

» selon

d6mies de Limoges et de Poitiers sous Sarkozy,

jouait lä, dans l'affrontement des ego plus que dans la bataille des chiffres ». Il faudra que, d6sor-

tire les leqons de son exp6rience. Elle note - ce

Schneider,

"

"

n'a pas vu que la bataille

se

mais, les candidats aux hautes fonctions rdgaliennes s'entourent d'une

armada de psychanalystes. Ainsi, ils dviteront ce que l'auteur nomme

"

la panique existentielle de ne plus 6tre aimd ». Jugera-t-on excessif, c'es!ä-dire insignifiant, cet essai en forme de

jubilatoire pamphlet

? Mais l'auteur a plus d'un exemple pour clouer le bec de ses d6tracteurs : de Dominique Strauss-Kahn ä Cop6 et Fillon se disputant rageusement le pouvoir ä l'UMP, la gazette se d6lecte de ces cas de narcissisme pathologique qui aboutissent ä des

86. LIRE SEPTEMBRE

2013

prnces par Michel Schneider, 142

p.,

Flammarion, 12 € En librairie le 18 septembre.

**Le

Roman de

la Perestroika par Vladimir Födorovski, 254 Le Rocher, 22

*La

p.,

Röforme...

oui mais sans rlen

que l'on ne cesse de rabächer - que le collöge changer par unique est un non-sens, que la moindre initiative Martine Daoust, 176 p., Albin Michel, dans l'Education nationale suscite une 16action 17 € En librairie immddiate d'hostilit6. Et surtout ceci : « Une par- döbut septembre. tie des 6löves n'en peut plus de l'6cole. Ils y sont mal, perturbent les classes et fatiguent les enseignants. Et que fair

on

? On les oblige ä y rester.

"

Mais peu importe ! Les majoritds pas-

sent, les miroirs changent de mains, et l'Ecole demeure, impavide, avec ses rigiditds ddnoncdes par les princes. En vain.


Camion des mots 2Ol3 Toutes les informations sur le site : www.camiondesmots.fr

I

C', -E

Quand la FGte des mots entre en Seine Les laur6ats du Camion des mots ont 6t6 r6compens6s sur Ies berges du fleuve parisien apräs avoir visit6 l'Hötel de Ville. Retour sur une journ6e festive. '616 s'offre ä la langue

frangaise. Comme chaque ann6e. la fin de la tournde du Camion des mots laisse place ä la Föte des mots. L6v6nement phare de la tourn€e oü ,les meii-

leures classes de I'annde sont

rdcompensdes par I'ensem-

ble des partenaires - la MAIE, L Express et France3

en t6te. Pour clore la huitiöme 6dition,les classes lau16ates ont eu I'honneur de visiter la salle du Conseil municipal de I'Hötel de Ville le 21 juin oü le maire du lVe ar r ondissement. Chris-

R6publique, une cdr6monie s'est tenue sur le Quai Henri IV en prdsence des grandes figures du Camion des mots :

Roger Belot. pr6sident directeur-gdndral de Ia MAIF, F r anqois Guilb eau, pr esident

tophe Girard, a esquiss6 les grands principes de la d6mocratie. Aprds cette ren-

du r6seau 16gional

contre symbolique avec la

lombe Brossel, adjointe au

de

France 3. Philippe Delaroche, directeur adjoint de Lire,Co-

maire de Paris et Xavier North, d6l6gu6 gdndral ä la langue franEaise et aux langues de France. Pour sa part, Christophe Barbier, directeur de la 16daction de L' Expr ess, e p arte le csstwne de prdsentateur de la remise de diplömes, ponctuant son discours de mots d'esprit et de r6f6rences litt6raires pour


8e 6dition

'U-YryLE MOT DE... Xavier North, däl6qu6 gönöral ä la lanque frangaise et aux lanques de France <<

Je trouve extr€mement imPor-

tant de faire entrer le Camion des mots dans des lieux de Pou-

voir car on oublie troP souvent que le franEais est la lanque de la Rdpublique. L'animation n'est pas seu/ement une initiative pödaqoqique, e//e est aussi une initiative politique au meilleur sens du terme. ))

adjointde la rddaction de Lire, au cöt6 de CHRISTOPHE BARBIER, a eu l'honneur de d6cerner un diplöme ä la classe de 4e du colläge d'Arzacq

Roqer Belot,

.q\

prösident directeur'qänöral de la MAIF Orqaniser la Fdte des mots ä l'Hötel de Ville esf une vraie röcompense pourles enfants,surtout quandon salt que certains ne sont <<

concevons Tamais venus ä Parls. Pour la neuviöme 1dition, nous une nouvelle formule du Camion des mofs. Nous a//ons faire preuve de crdativit1, de la m€me faqon que /es enfanfs font preuve d'ima' qination pour 6laborer leurs ndologismes' Et i'adopterai bien volontiers le mot inventö : "s'enlivrer" ! >>

3 QUESTIONS 4... Plus les enfants seront

Les classes gagnantes lors de la promenade sur la Seine.

proches de la litt6rature, des livres, plus ils auront de chances de devenir des bons citoyens et de sortir du rÖle de consommateur. Par ailleurs, il me semble ndcessaire de comprendre

continuer d'dmerveiller les enfants. Le temps d'un aPrÖs-

midi, les CE2 de l'6cole

trös töt le fonctionnement de la dömocratie. Que rePr6sente

Louis-Pasteur ä Epöne (78), les CM1 de l'6cole Paul-Le-

sage au Pouliguen (44), les CM2 de l'6cole Jean-Mou-

lin ä Blagnac (31),les 6e et les 5e du collöge Boris-Vian äTälant (21), ainsi que les 4e du collöge dArzacq (64) ont eu la chance de d6couvrir les grands monuments de la capitale sur les flots de la Seine. La plus belle maniöre de

clore la huitiöme edition avant d'accueillir la nouvelle version du Camion des mots ä la rentr6e prochaine. Sur-

prise ! o Laure Beaudonnet

un maire ? Qu'est-ce qu'un dlecteur ? Un conseil Christophe Girard, maire du lW arrondissement de Paris

Pourquoi recevez-vous aujourd'hui les laur6ats du Camion des mots ä l'Hötel de Ville ? Pour deux raisons. Selon moi, l'amour de la langue frangaise est Ie levier de la 16ussite.

ffi§E

,EfEEtffiItrMfl

municipal

?

accord6e ä notre 169ime Politique. La FOte des mots, c'est dire aux enfants : « la d6mocratie a des rögles, mais elle peut aussi Ötre abim6e. Vous en aurez la responsabilit6 ». En somme, << d6mocratie »» s'impose comme le mot du jour ? En effet, le Camion des mots voyage dans des villes de France oü la culture est moins accessible. Quand je Parle de

Comment d6f iniriez-vous cette F6te des mots ? Cette journ6e illustre la d6mocratie spontande, en mouve-

d6mocratisation culturelle,'je dis souvent qu'il faut Penser aux transports. ll ne Peut Pas y avoir d'accÖs au savoir si on

ment. L'existence m6me du Camion des mots, soutenu par la MAIF et L'Express, t6moigne de la vigilance

n'a pas pens6 aux moyens de se rendre sur les lieux de culture. En ce sens, le Camion des mots est trÖs intelligent. o

Avec le soutien de : Ministöre de l'Education nationale " MinistÖre de la Cuhure et de la Communication . Lire et faire lire . Renauft Trucks Pour que votre ville devienne " ville-etape ", merci d'appeler Magali, Julie et Fanny wlvw.camiondesmots fr

au

01-42-61-10-71


,t

LES MOTS DOUBS LE SALON DU LIVRE DU DOUBS

BESAN9ON

120,",,",,

Le programme complet sur http://salondulivre.doubs.frl

dü Doubt 20,2r et 22 sept.2013 Pr.delr.xrcd'tau. BEea((on

fean Rouaud,, Pr6sident d'honneur pour Les \Iots Doubs t si, dans chaque kiosque parisien, il y avait un dcrivain qui sommeille ? Telle est la l6gende, bien r6elle, de Jean Rouaud qui est passd de son 6choppe de presse au tapis rouge de chez Drouant, le trös chic restaurant jury le Goncourt remet son prix. En effet, en 1990, ce prot6gd de J6rÖme oü Lindon - fondateur des 6ditions de Minuit - s'est vu attribuer cette distinction dös son premier roman : Les Champs d'honneur. Salu6e par la critique, cette dvocation de quelqueJmorts de sa famille-lors de la guerre de 14-18 - 6tait aussi pour Jean Rouaud l'occasion de faire le portrait de sa r6gion - le pays nantais - et d'imposer son 6criture virtuose, tout en souplesse. Emouvante mais jamais sinistre (certains se souviennent probablement_de la fameuse 2CV !), cette admirable 6l6gie fundraire marquait aussi le d6but d'un cycle autobiographique. qui compte quatre autres titres'. Des hommes illustres, Le Monde d peu prÖs, Pour vos cadeata et Sur la scöne comme au ciel. S'il a sign6 aussi d'autres romans (La Femme promise, L'lmitation tfit bonheur) ou essais (Manifestation de notre dösintörät), Rouaud signa aussi l'an pass6 l'un de ses plus beaux textes : [Jne faqon de chanter (Gallimard). Il se souvient de son cousin Joseph, d'une jolie Anglaise baptis6e Phyllis et plus g6n6ralement du temps oü il portait les cheveux longs, iisait Rimbaud, et jouait de la vari6t6 ä la guitare. cet instrument-symbole de la France de Baptiste Liger l,aprös-68. Tiens, alors, pourquoi pas un petit concert de Jean Rouaud

?

Un aent

nouveau ! emballements et quelles polÖmiques aussi

siques, proches de nous. D'oü les hommages rendus ä Albert Camus (voir page 93) ou au contemporain Patrick Modiano, en contrepoint de

latrös large place faite aux nouvelles g6n6rations,

Claude Jeannerot Pr6sident du Conseil g6n6ral, s6nateur du Doubs

Grand entretien inaugural avec Jean Rouaud (Une fagon de chan'

ter), animö par Baptiste Liger

(Liel. Camus aujourd'hui : renmnte avec Salim Bachi, Jean Rouaud, Yahia Belaskri et Eduardo Castillo (Voir

page 93). Salons de la pr6fecture

:

Lecture des Champs d'honneur

m

l

C

n

par Jean Rouaud.

Caf6 litt6raire

/

Chapiteau

:

Sur le thöme, L'invention de I'auteur, rencontre avec Jean Rouaud et ses invrt6s, Nathalie Skowronek

et Laura Alcoba.

:)

o U

Manille. Enseignante en lettres et en th6ätre, elle d6cide de se consacrer ä l'dcriture et a publid plus d'une vingtaine de livres,dont La Note sensible,Des corps en silence et Banqußes. Parmi ses thÖmes de pr6dilection, la place des femmes, le regard que porte la

Conseil g6nöral du Doubs, partage cet enthousiasme. Cette 6dition 2013, que prÖside Jean Rouaud, Prix

d'auteurs conf irmös ou prometteurs. Berceau de grands 6crivains (Victor Hugo, Tristan Bernard), la Franche-Comt6 honore lss . pr6clas-

:

6e ä Grasse enl974,VAIENTINE GOBY 6tudie ä Sciences Po puis travaille pour des associations humanitaires ä Hanoi et ä

ce rituel suscite. Et c'est volontiers que, depuis plus de dix ans, Les Mots Doubs, le Salon du livre du

projections, concerts, animations. Avec le concours

a

:

Avec leurs mots, doux ou durs, ils seront au Salon du livre oü ils pr6senteront leur nouvel ouvrage.

monstration ä chaque rentrÖe. On sait quels

offert au public n'a öt6 aussi Ötendu : lectures, döbats,

Rendez-vous

Salle des confärences

Rentrde litr6raire

e sa vitalitö, la litt6rature franqaise fait la d6'

Goncourt 1990 pour Les Champs dhonneur, t6moigne de notre volontÖ de d6veloppemenl Jamais le choix

I

soci6t6 sur leur corps et comment I'Histoire les affecte.

de son dernier roman, Kinderzimmer (Acles Sud)' (Voir p' 48) Entre un fröre polltechnicien et une saur dducatrice, JEAN-IOUIS FOURNIER choisit d'abord la voie de l'humour. Fidöle complice de Piene Desproges, il publie plusieurs essais drolatiqlues (Grammaire ftangaise et impertinente, Peintttre d I'huile et au vinaigre) qui conjuguent ä merveille son goüt de la culture et de l'absurde. En 1999, il s'essaie au geme autobiographique avec Il a jamais nü personne, mon papa,tömoignage sur l'alcoolisme de son pöre.

A I'image

va, papa 7, 6vocation dmouvante du handicap de ses fils, qui est rdcompensde par le prix Femina. En 2011, il trouve avec Yeu/les mots justes pour 6voquer le ddcÖs subit de sa femme (Stock)' Cet 616,

Dix ans plus tar d,c'esl Oü on

il publie La Servante du Seigneur (Stock). Il y relate comment et intelligente, est tomb6e sous l'emprise exclusive d'un

sa

fille, belle

religieux. ...

LIRE SEPTEMBRE 2013'91

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LES lt/|OTS DOUBS Rentröe litr6raire oo

Aprös un pass6 d'assistante de production, de 16alisatrice

decourts-mdtrages, XEtEUe GREMIIION fait une apparition remarqu6e sur la scöne littdraire en 2010. Recit histori-

que ä suspense, son premier roman, Le Confident (Plon) a 6td salud par cinq prix littdraires dont le prix EmmanuelRoblös en 2011. Elle revient pour cette rentr6e litt6raire avec La Garqonniöre (Flammarion). (Voir p. 32.)

(s.ite)

METIN ARDITI est un dcrivain francophone d'origine turque. Ce passionn6 de musique a publid en2012 Prince d'orchesfie (Actes Sud), roman qui dvoquait la chute d'un prestigieux chef d'orchestre. Dans le prolongement de la thdmatique artistique, il publie cette ann6e La Confrörie des moines volanß (Grasset). N6 en 1946 dans une famille de libraires lyonnais, le trös discret PIERRE pElU est professeur de philosophie et romancier. R6v6l6 au grand public par La Petite Chametne (Zff)Z),tra-

DAVID FAUOUEMBERG, traducteur et a requ le prix littdraire des Hebdos

duit en seize langues

reporter,

et adapt6 au cindma,

en Rdgion en 2010 avec Yoangel, le boxer

est aussi critique d'art,

cubain de Mal tiempo (Fayard). Fiddle ä sa passion des voyages, c'est en Andalousie

essayiste et spdcialiste

qu'il campe l'action de son nouveau roman, Manuel El Negro (Fayard). (Voir p. 44.) SABRI IOUATAH, jeune auteur passionnd de litt6rature et de sdries am6ricaines,

se lait connaitre dös son premier roman Les Sauvages (FlammarionAy'ersilio) en 2012. La saga - une fiction politique qui met en scene une famille kabyle lors d'6lections pr6sidentielles opposant Nicolas Sar-

kozy ä Idder Chaouch, candidat socialiste d'origine kabyle - se poursuit avec un troisiöme tome paru le 21 aoüt chez le möme 6diteur.

du romantisme allemand. Son nouveau roman, L'Etat du ciel, vient de paraitre aux 6ditions Gallimard. Sp6cialis6e dans la littdrature 6rotique ä la fin des anndes 1960, REGINE DEFOR. GEli est aussi connue pour son engagement f6ministe. En 1983, elle obtient un grand succös avec le premier tome de La Bicyclette bleue. Ses M€moires, L' Enfant du I 5 aoüt (Robert Laffont), sont le t6moignage d'un parcours personnel qui se confond avec la vie intellectuelle et politique de ces cinquante derniöres

ann6es.

Parole d'6ditrice Outre Franqoise Bourdin, son auteur vedette, Belfond, l'6diteur invit6, repr6sent6 par Juliette Joste, dialoguera avec deux jeunes talents. Chambre 2est I'une des surprises de la renträe. Comment avezvous d6couvert Julie Bonnie, I'auteur de ce premier roman ? ) Je l'ai rencontrde autour d'un verre entre amis. Je la savais compositrice, chanteuse et violoniste ; j'ignorais qu'elle dcrivait. J'ai perqu en elle une incroyable prdsence, une violence möl6e ä beau-

coup d'humanitd et de g6ndrosit6. En lisant, plus tard, le manuscrit de Chambre 2,j'ai 6t6 frappde de retrouver cette möme intensit6 dans son dcriture. Elle se livre ä une formidable exploration du corps de la femme, ä travers l'histoire de B6atrice. Ce personnage,

comme l'a fait Julie Bonnie. travaille dans une maternit6. La vue des corps fdminins qui donnent naissance, dans lajoie et la souffrance, fait ressurgir son pass6 d'ancienne danseuse nue, sillonnant les routes ä la lumiöre des projecteun. Deux 6tats du corps

fdminin,

celui de la danseuse et celui de la femme enceinte, s'entrecroisent. livre est d6jä sdlectionnd pour le prlr du roman Fnac !

k

92.LIRE

SEPTEMBRE

20.1

3

il

E.L.

Autre finaliste du prix du roman Fnac : Hugo Boris. Son nouveau livre, Irors grands fauves, parait promis au succös. Pourquoi ? ) Depuis Le Baiser dans la nuque, chacun des romans d'Hugo Boris explore des univers et des formes trös diff6rents. Aprös Je n'ai pa dansö depub longtemps, ce jeune auteur de 34 ans a eu I'ambition un peu folle de s'intdresser ä trois grands personnages de l'Histoire qui I'obsödent depuis longtemps :Danton, Victor Hugo et Winston Churchill. Pourquoi ces personnages, monstrueux

et admirables, sont-ils all6s au bout d'eux-m6mes et sont devenus

de « grands hommes » ? A travers trois courtes biographies romanc6es, il suggöre que c'est dans une exceptionnelle proximit6 avec la mort que se nichent leur incroyable appdtit de l'existence et leur d6sir de sans cesse se ddpasser.

o

Propos recueillis par Estelle Lenartowicz Rencontre avec Juliette Joste, öditrice chez Belfond, Julie Bonnie et Hugo Boris. CarE rrrEmrne

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Mark SaFranko et lan Rankin

Etranges lwangers David Vann et Mark SaFranko (Etats-Unis), Ian Rankin (Ecosse), David Toscana (Mexique) et Gunnar Staalesen (Norvöge) : les invit6s 6trangers des Mots Doubs viennent du roman dur.

T\

epuis l'automne 20l0.et son prix

Dll;H: ; ll:;ä;

t,'

tii xl,l I

d'6tonner le public. Toujours impeccable. il a le salut chaleureux. et peut pimenter une table ronde d'anecdotes croustillantes. Si bien qu'on entend toujours la m6me 16-

superposaient une dramatique proche du roman noir ä la veine. trÖs amdricaine. du

Centrale de Californie. Galen.22 ans, est

narure writing. La tension psychologique entre un pöre et son fils. rdfugids sur une ile du sud de l'Alaska, faisait 6cho au mys-

lui. Cet dt6-lä, le jeune gargon rencontre le feu : sa cousine Jennifer. 17 ans et des cuisses de rOve. maitresse en perversitd et

töre de cette ile (Sukkwan

en coups tordus. Ici. la revanche est ä tous

I s I an d.2010). Egalement situd

sujet: . Com-

plaqait des couples en crise dans

ment DAVID VANN peut-il ötre si souriant et dcrire des histoires si noires ? Car

une nature prÖs de se ddchainer.

les dtages : scurs se haissant, cousine de plus en plus incestueuse, mÖre de plus en plus infantilisante. Aprös la figure du pöre dans Sukkwan ls/airr1.le thöme de la famille

Avec Intpurs (2013), Vann

et du couple dansDösolations,c'est la figu-

opöre un virage en optant Pour le drame psychologique. Situ6 en 1985. au cceur de la Vallde

re de la möre et plus largement la figure f6minine qui sont passdes ä la centrifuHubert Artus geuse.

flexion

ä son

en Alaska, Dlsolations (2011)

,

l'Americain ecrit dans le genre sombre. Ses premiers livres

ALr rvthme J

d,es

moß

lire prösente... Litt6rature et musique

6löbre pour ses compositions des bandes origi nales des films de Christophe Honor6. le Bisontin ALEX BEAUPAIN occupe une place part sur la scöne musicale franqaise. Son univers 6lectropop. ses m6lodies ddsenchantdes et son faux air de dandy anglais ont fait mouche avec le triomphe des Cftansons d'amour,cotronn6es par un c6sar de la Meilleure musique. Il interprdtera en concert ä la Rodia les morceaux ä

f

B

de son demier albrtm, Aprös moi le d€luge. Rdcompensd en 2008 par le prix Virgin-lire pour son premier rom a\ LI ne öducation libertine.le jettne 6crivain toulousain JEAN-BAPflSIE DEL AMO est I'un des romanciers les plus prometteurs de sa g6n6ration. Aprös Le Sel (Gallimard.2010). quirelatait une journde de la vie d'une famille dans le port de Sdte. le romancier passionn6 de

musique revient avec Pornographia (Gallimard), rdcit d'une errance E.L. hallucin6e dans la nuit d'une ville tropicale.

I

Et aussi : Tmex Aeoau-aH, musicien, compostteur et interprÖte Ögyptien, accompagnera au oud la lecture du Premier Homme d'Albert Camus par Boris Terral (voir ci-contre). Salons de la Pr6fecture. Tagte noruoe : Les Enfants du rock : les romanciers Olivier Martinelli (La vie ne dure pas,

t -Ii

hvrt

ou sur pellicule, les Mots Doubs c6löbrent le centenaire

f^[.Hä:il,T

o o LI

t

Clr,rEltl Vlcron Hueo t Le Prenier Homme de I'Italien Gianni Amelio sera projet6 sur les 6crans du cin6ma, prdcddd d'une introduction par le romancier Salim Bachi et le journaliste Eduardo Castillo. Sorti en salles en 2010, le film retrace le retour en Algdrie d'un 6crivain cdlöbre, Jacques Cormery (Jacques Gamblin). Il se souvient de ses anndes d'6colier et de M. Bernard (Denis Podalydös), I'instituteur qui lui a ouvert les portes de la grande litt6rature. Rerorz-vous slt.re Counaer, avec la comddienne Catherine Alldgret pour une lecture publique de L'Etranger. L'occasion de reddcouvrir le drame de Meursault, antih6ros mythique du roman publid en

I

et devenu depuis un classique. Un chef-d'euvre que l'on pouna aussi admirer en images pendant toute la durde du Salon. ä travers l'exposition des planches de Jacques Ferrandez.

C

I 943

dessinateur frangais n6 ä Alger et au-

teur d'un superbe album intituld

=

passion pour Ie rock. CafÖ littÖraire,

Gallimard.

(A

l

En mots, en bulles

f

a

13" Note Editions), Harold Cobert

m

o

u nom du pöre, du fils et du rock'nloll Heloi'se d'Ormesson) et Julien Delmaire (Georgia, Grasset) Övoqueront leur

tr

a

l

Camus

:

rencontre avec Alex Beaupain et Jean'Baptiste DelAmo anim6e par Baptiste Liger (l.ire), au Caf6 litt6raire.

I

un fils ä maman qui ne sort jamais de chez

L'Etranger. paru en 2013 chez E.L.

LIRE SEPTEMBRE 2013'93

f

n Z

I a


LES MOTS DOUBS D'autres vies llue la sienne

Rencontre avec Laure Adler : la biographe pr6sentera son premier roman. ne surprise digne de ce nom vient au moment oü l'on s'y at-

tend le moins. Par exemple. au bout de quinze livres. comme le premier roman de Laure Adler, qui est un des « coups » de cette rentr6e. ConEu aprös plusieurs essais et rdcits, lmnrortelles est aussi nd de plusieurs vies. Trois, prdcisdment. comme le nombre de personnages du livre : « J'ai perdu trois amies trös proches, avance l'auteur. je savais

qu'elles devaient Ctre trois.

» Trois plus une narratrice : ces immortelles sont donc aussi nombreuses que les fameux mousque-

taires. u ;'6i

616 guidde par leurs existences ». indique la romanciöre. non sans avoir pr6cis6 que c'est Florence qui lui vint en premier.

Un personnage fictif n6... le lendemain d'une reprdsentation de thdätre oü, spectatrice. Laure Adler eut un flash, croyant reconnaitre non loin d'elle le double d'une amie disparue. Aussi. comme la nanatrice de son propre livre qui s'6veille en sursaut pour nous raconter ces trois destins, l'6crivain sentit alors n quelque chose d6livrer ,>. Immortelles,c'est une fulgurance de souvenirs : trois destins en prise avec le XX" siöcle, singuliers et universels (la Shoah. la guerre, Israö1. mais aussi le fdminisme. le droit ä l'avortement.la drogue), racont6s par la survivante. Des destins inspirds par ses amies disparues. mais « totalement diff6rentes d'elle ,. conclut l'auteur. encore surprise de compter parmi les premiers romans de la rentr6e litt6raire. Hubert Artus se

lmmorlelles (Grasset). Rencontre Salle des conf6rences

Des bulles dans le Dotrbs Les Mots Doubs donne rendez-vous aux amateurs pour un caf6 BD avec notamment les dessinateurs Hugues Barthe et Marcelino Truong. Portraits esquiss6s. UGUES BARTHE dcrit et dessine des histoires depuis

qu'il est tout petit. Bibliothdcaire puis vendeur en librairie. ce Montbdliardais intöere

§ r -,i \

ä 25 ans les

Beaux-

Arts de Besangon avant d'6tre requ au concours de l'Ecole de bande dessin6e d'Angoulöme. Il obtient un joli succös public

avec Dans lo peou d'wt jeune hon lo (Hachette). Ilsigne ensuite un rdcit graphique sranhioue autour de ses parents narents et de la violence conirrconjugale, dont le deuxiöme volume. L'Autonme 79 (Nil), a 6t6 salud par la critique.

*q-1

'

N6 d'un pöre vietnamien et d'une möre malouine, MARCEIINO TRUONG est diplömd de Sciences

Saint-

Extrp6ry

Po et agr6gd d'anglais. Ses dessins aux cou-

leurs chaudes paraissent 16-

I'occasion du 70c anni-

liörement

versaire de

dans la presse

la publication de l'ou-

gu

(Lib(ration. roman graphique publi6 en2013

vrage d'Antoine de Saint.Exup6ry.le comddien BORISTER-

(Denoöl). il raconte son enfance ä Saigon au d6but de la guerre amd-

parmi les trois premiers des cent livres

ricaine du

prdfdrds des Franqais.

Elle).Dans Une si jolie petite gterre,

I

Vietnam.

Cafö BD

/

Chapiteau

E.L.

RAL fera Ia lecture du Petit Prince. class6

I

Salle Courbet

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a Les Mots Doubs sont organis6s par le Conseil gän6ral du Doubs, de la Pröfecture de la rdgion Franche-Comte et du Doubs, de Peugeol, de La Rodia el du Cinema Victor Hugo et du soutien media de f/a Commune.info et de Lire. Site lnternet : httpi//salondulivre.doubs.fr

94.LlRE

SEPTEMBRE 2013

L

Est Röpublicain, France Bleu BesanQon,

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L'ENTRETIEN Dffi Jqj;-ä*iq

ßlssßt\,

Veronique OVALDE

o

Lesfr*^es qui öcrivent ont du pouvoir ,

Santa Monica, quand retentit un coup de LE LIVRE C'est I'une des voix les plus : sa möre, qu'elle n'a plus vue depuis dix singuliöres des lettres frangaises. DÖans, I'appelle ä son chevet, La voilä engacouverte avec une sörie de romans aux faux g6e sur le chemin du retour, qui est aussi airs de contes pour adultes, peuplÖs de ***l-a Gräce des brigands celui de la mömoire. Celle d'une jeunesse doux dingues dont la verue faisait oublier par V6ronique en souffrance, dans une petite bourgade les drames qui les entouraient, VÖronique Ovald6, p., L'Olivier, 288 canadienne, conclue par une fuite vers I'elOvddö a eu töt fait de s'attirer un large pu19,50 € dorado californien. Avant la dÖcouverte du blic, söduit par son inventivitÖ langagiÖre et sexe, de I'amour et de la gloire littÖraire auprÖs de son onirisme inquiötant. Sans doute aurait-elle I'intrigant Rafael Claramunt, « grantÖcrivain , aux d'ailleurs pu continuer longtemps ä revenir sur ses motivations obscures... L'occasion est belle pour rivages latinos fötiches, döjä explorÖs dans le baVöronique Ovaldö de creuser certains sillons dÖjä roque Ce que je sars de Vera Candida, ou le poÖrencontrös dans son @uvre - les cicatrices de tique Des vies d'oiseaux. Mais elle n'a pas eu cette I'enfance, la conquÖte de la libertÖ, l'Ötrange mÖparesse, el La Gräce des brigands, son huitiÖme canique du couple. Mais aussi d'Övoquer, pour la roman, marque une inflexion nouvelle dans son eupremiöre fois, la question de l'Öcriture, ce formidable vre. Sans rien renier de sa fantaisie acidul6e, OvaldÖ moyen d'övasion pour « s'6manciper des familles s'y montre plus introspective, moins enchantÖe. Son höroTne porte cette fois le doux nom de asphyxiantes ,. Rencontre avec une romanciÖre ä la langue bien pendue, sous son habituel rouge ä Maria Cristina Väätonen. RomanciÖre acclamÖe, ... lövres vermillon. elle savoure une vie de solitude sur sa terrasse de

LIRE SEPTEMBRE 2013'97


L'ENTRETIEN ,...

(

Votre nouveau roman,La Gräce des brigands, sbuure d Los Angeles, ä la fin des annöes 1980. Aurieztous döcidö de vous öloigner de I'univers du conte, quevous entreteniez dans vds pröcddents livres ? V6ronique Ovald6 Non, pas particuliörement... Si on a peut-otre cette impression de sortir du domaine du conte, c'est parce que, pour la premiöre fois, je pose une histoire dans un lieu qui existe. Placer le texte ä [,os Angeles implique ndcessairement une digestion du roman amdricain contemporain. Mais si on y regarde bien, möme la premiöre plrase du texte nous dit que Maria Cristina, c'est la vilaine sceur. Et moi, la vilaine sceur, Ea me fait plutöt penser ä Cendrillon. Donc je crois qu'il y a et qu'il y aura toujours un petit peu de l6gendaire, d'onirique dans mes textes.

Avec ce terme de

" brigands ", on revient

justement ä l'archötype du conte... >

trs

brigands, c'est un mot tendre. Dans l'his-

ses filles « mes bisons ", mes brigands ,. Mais il y a d'autres brigands

toire, le pöre appelle

"

dans ce texte. L'hdroine. Maria Cristina Väätonen, va s'affranchir de la Loi, avec un L majuscule, celle de sa famille, celle de sa religion. Pour cela, elle va devoir s'en aller, rompre avec son pass6, mais aussi avoir des rencontres ad6quates : une colocataire 6patante, Joanne, qui est un persomage ä la fois trös libre et trös ddsinvolte. qui est vraiment

le personnage touchd par la gräce. Et Claramunt. un vrai brigand, peu bienveillant et trös arrogant. un ex-grand dcrivain dont on ne sait pas bien s'il va la prendre sous son aile protectrice, ou si c'est un affreux imposteur. Ces peßonnages un petit peu hors-la-

Dans ce roman, vos peßonnages ont des noms, une nouvelle fois, trös originauxMaria Cristina Väätonen, Rafael Claramunt... Ces noms sontjls utiles pour convoquer un

imaginaire ? ) Oui, les noms sont trös importants. C'est Roberto Bolaflo qui disait qu'on ne fait rien de plus important dans sa vie que de nommer

nommer ses enfants. Je suis d'accord avec Ea. Je ne pourrais pas nommer mes personnages n'importe comment. Pendant trös longtemps, comme j'6crivais des textes qui ne se passaient pas ä des

Vous prenez un soin particulier pour les fftres aussr. Comment les choisissez+ous ? ) Comme d'habitude, j'6cris un texte sans titre, et je le trouve ä la fin. Ou plutöt je fais des listes de titres ! Comme pour les noms de personnages, j'aime les titres sonores. J'ai mOme düparfois en abandonnercertains pour cette raison ! Ce que je sais de Vera Candida devait s'intituler Vies amazones. Sauf que si je voulais le prononcer correctement qa faisait « Vies zamazones ». C'6tait incomprdhensible, il fallait qu'on puisse le prononcer ! A I'inverse, j'ai beaucoup de

plaisir ä dire ce titre, La Grdce c'est trös guttural.

98.LIRE

des

brigands,

SEPTEMBRE 2013

temps d'dcriture fdminine ! Jamais on ne deä un homme ce que c'est que d'6tre

manderait

un dcrivain homme, ou ce qu'est l'dcriture masculine. Voilä, ce n'est pas simple ä vivre, et parfois je r€verais d'6crire un roman en m'appelant Vemon Sullivan. D'0tre un vieil 6crivain amdricain, pour voir, juste une fois, ce que Ea fait de n'ötre ni femme ni franqaise...

En m€me temps, les femmes dans ce texfe, comme souvent dansvos livres pröcödents,

paraissent plus fortes que les hommes. A eux le pouvoir, ä elles la puissance ? ) Cela me semble plus complexe. Les femmes, dans ce texte, n'ont pas le pouvoir en

effet, mais sont des variantes de femmes puissantes. Except6 Maria Cristina Väätonen, qui d6tient une forme de pouvoir puisqu'elle 6crit - les femmes qui dcrivent ont du pouvoir, c'est peut-ötre aussi pour cette raison qu'on a si longtemps eu peur qu'elles s'adonnent ä cette activit6. C'est

ses personnages et de

endroits prdcis, qui se passaient dans des villes que j'inventais, avant que je ne commence ä explorer l'Amdrique latine, j'avais des pr6noms qui venaient d'un peu partout, qui n'avaient pas d'origine fixe. Qa me permettait, en effet, d'habiter un territoire trös mouvant, d'inventer un tas de choses sur ces territoires-lä - une gdographie, des coutumes... Quand j'ai ddcidd de m'installer dans des endroits plus pr6cis, les noms sont rest6s trös importants pour moi, parce qu'ils me permettent de confdrer une silhouette au personnage.

Mais aujourd'hui il y en a beaucoup plus, quasiment ä möme hauteurque les hommes, et, malgr6 tout, on nous parle encore tout le Ea.

loi m'intdressent beaucoup. Ce pas de cöt6

plus difficile, c'est vrai, pour les hommes. Mais les femmes ddtiennent cette puissance tout b6tement parce qu'elles ont le choix de pouvoir faire ou non des enfants. Maria Cristina Väätonen, par exemple, d6cide de ne pas avoir d'enfants, car elle pense qu'en refusant la maternite elle peut acc6der ä un statut d'dcrivain mäle. Et qu'on ne peut pas €tre dcrivain femme et avoir des enfants.

qu'ils font par rapport ä la norme va permettre ä Maria Cristina d'acqudrir une identitd propre. Le titre du roman est d'ailleurs ä double sens, parce qu'on va les gracier. ces brigands. Et il y a cette derniöre phrase du texte : n Il

tort sur ce sujet ? Sans doute, puisque je le suis | [rires]Mais

Elle a

)

c'est wai que le fait d'avoir des enfants, quand

y a une certaine gräce chez les perdants. les plagiaires et les brigands. » C'est ce que je penseprofonddment. Et E donne une lumiöre

on est dcrivain et, en plus, quand on est une femme, est une chose trös complexe. On le voit avec les grandes figures d'dcrivains femmes, Sylvia Plath, par exemple, qui disait tou-

particuliöre ä ce texte.

jours qu'elle travaillait pour pouvoir faire

C'est aussi un roman sur l'öcriture. Pourquoi

avoir choisi de meffre en scöne , pour la premiire fois, une romanciöre ? ) Je voulais explorer cette identitd de l'int6rieur, car j'ai encore des interrogations sur ce statut, sur ce que c'est que d'ötre une femme, d'ötre une möre, et d'ötre une femme dcrivain. Les femmes dcrivains sont encore souvent consid6r6es comme une souscat6gorie de l'6criture ! Je suis 6nerv6e, par exemple, qu'on soit contraint de dire

6crivain

" femme ,, qu'il n'y ait pas d'autre mot. Ou qu'on continue ä mettre en scöne des photos de toutes les 6crivains femmes de la rentr6e r6unies, comme si elles appartenaient ä un monde ä part. . . C'est wai qu'avant le XX' siöcle il n'y avait pas tant de romanciöres que

garder ses enfants, et essayait de conserver un endroit pour elle. Avoir une chambre ä soi quand on est une femme, ce n'est pas si simple, on est vite submergde par les contingences de la maternit6. Mais moi. je mntinue. Quand j'ai eu mon troisiöme enfant, j'aipens6 ä

Marie NDiaye, qui a trois enfants 6galement,

et qui est un dcrivain quej'admire beaucoup.

Je me disais que si elle y arrivait, je devais pouvoir m'en sortir 6galement. Alors, j'esaye.

J'aime bien essayer de faire tout en möme temps. Continuer ä travailler tout en dcrivant, tout en essayant d'ötre une möre, une amante,

une amie. Möme si qa me prend beaucoup de temps et beaucoup d'6nergie. Craignez+ous de vous limiter ä une seule

identitö ?


V6ronique OVATDE ) Oui, j'ai un peu peur de Ea. Quand j'6tais petite fille, je rÖvais de faire plein de m6tiers ä la fois. Toutes les semaines je changeais de mdtier. Möme si j'6tais 6crivain au-dessus ile tout - je voulais €tre comme Colette

d'ailleurs, c'6tait mon modöle quand j'dtais enfant. Mais en dehors de ga, chaque se-

maine j'avais un mdtier diff6rent, joumaliste, docteur, professeur. Comme si une seule vie

n'6tait pas suffisante... L'öcriture permetelle iustement de mener plusieurs vies ?

) Oui, je suis convaincue qu'on vit davantage quand on 6crit. A partir du moment oü vous d6cidez de faire de la fiction, d'inventer, vous

sens avant

l'6crinre.

Je suis assez convaincue

que le sens doit venir tout seul. Que, tout ä coup, il va survenir depuis un endroit opaque,

mystdrieux et dnigmatique. C'est aussi pour qa que j'ai du plaisir ä 6crire. Je ne pourrais pas commencer un texte en me disant: « Tiensje vais dcrire lä-dessus,je vais essayer d'expliquer ga. , J'aurais l'impression dlötre dans une ddmonstration, dans une r6daction. Et sije savais ce quej'allais faire avant de le

le fait de se pendrejuste parce qu'on lisait un

bon bouquin. C'est une ambition petite, mais essentielle. Par ailleurs, j'ai lu beaucoup de livres aussi sur l'Afrique par exemple, et je comprends mieux le Nigeriaparce que j'ai lu Ben Okri, je comprendsmieux la Chine aussi parce que j'ai lu Mo Yan. PIus encore que le

Courrier international,le roman offre une connaissance du monde. Il permet d'approcher l'expdrience intime que chacun se fait

faire, je pense que je m'ennuierais beaucoup.

de la rdalit6.

Votre conception de la littörature al+-lle changö depuis vos döbuts ?

Vous permetll aussi de trouver votre place au sein de la soci6tö ? ) Pastoutäfait. Comme jevousle disais, j'ai toujours eu besoin d'avoir plein d'identitds

)

Plus jeune, j'avais une vision trös

de la litt6rature et des 6crivains.

romantique

Aujourd'hui,

avez cette impression d'avoir un tr6sor cach6 sous la peau, oü que vous soyez. Mais m0me quand je lis des romans, je sens comme un sup

pl6ment de vie. Je crois que le fait de lire beaucoup quandj'dtais enfant aservi äga au d6part, ävivre quelque chose enplus. Aujourd'hui, je sais que quandjem'installe et que jecommence ä 6crire, je vais avoir un rendez-vous avec un

texte, des personnages, et que je vais ouwir l'ail inteme, cet endroit dans les t6nöbres qui m'otre quelque chose en plus. Inventer un ä Ios Angeles me permet d'op6rer une espöce de variation infinie

personnage qui viwait

de ce que j'aurais pu Ötre. C'est peut-Ötre aussi

poru ga que I'autofiction ne m'intdresse absolument pas. Rien ne vaut pour moi l'invention

- qui serait

bien sür une forme d'inventaire : le pouvoir d'6crire des chimöres, le pouvoir d'inventer un animal fabuleux qui serait fait des fragments d'animaux r6els.

Y a-tll quelque chose de magique dans l'Acriture ? ) C'est en tout cas comme Ea que je l'ai toujours v6cue. Je pense que j'ai une pratique

enfantine » parce que j 'ai commencd ä 6crire toute petite fille et quej'avais ce rapport-lä ä l'6cdt et ä l'invention. Je trouvais merveilleux de pouvoir inventer quelque chose ä cötd de ce que je vivais. Je me souviens que j'ai essayd d'6oire mon joumalintime quand j'6tais enfant, et je n'arrivais qu'ä 6crire Ie menu des repas. Je n'arrivais pas ä trouver ce que je vivais passionnant, ou en tout cas assez int6ressant pour aller plus loin que le menu. En revanche,je n'avais aucun problöme pour inventer des histoires qui se passaient dans des lieux oü je n'avais jamais mis les pieds. Je pense que j'ai gard6 de cela une confiance superstitieuse dans l'6criture. Evidemment, je ne travaille plus de la möme faqon ddsorassez enfantine de l'dcriture. Je dis

"

mais, mais il y a encore quelque chose de

l'or-

dre de la magie . . . Quand je vais dcrire un roman par exemple,je ne vais pas chercher du

Je comprends mieux le Nigeria parce que l'ai lu Ben Okri, le comprends mieux la Chine aussi parce que i'ai lu Mo Yan. Le roman offre une connaissance du monde. qa l'est moins,

bien sür, et notamment parce

j'ai rencontr6 beaucoup d'dcrivains pour qui c'est tout sauf une chose romantique. que

diff6rentes. Et du coup, n'avoir qu'une seule identitd d'dcrivain me gönerait un peu. Donc ce serait plutöt mon fil ä plomb. D'autant que

Pour ma part, je change tout le temps d'avis sur ce qu'est la litt6rature. Parfois j'ai l'impression que c'est une chose absolument inutile, au point que j'ai honte d'6crire des romans quand je lis le journal, et que je me sens envahie par la vanitd de cette activit6. Et parfois j'ai le sentiment que c'est absolument ndcessaire, justement ä cause de son inutilit6. Car lire des romans nous ouvre les yeux. Je ne dis pas qu'un liwe peut changer le monde, mais il peut changer la vie de cer-

l'dcriture appartient ä une dimension trop intime pour pouvoi ddfinir ma place par rapport aux autres. Qa me göne plutöt d'ailleurs quand certains le fontpour moi. J'ai beaucoup de mal avec les tiroirs, les dtiquettes notamment, et ä un moment j'en ai souffert. Aprös le succös de Ce que je sais deVera Candid.a, j'6tais devenue n l'dcrivain femme qui fait du rdalisme magique latino ». Mais je n'avais

taines personnes. A commencer par la mienne ! Mais je ne suis pas la seule. Nous

et je sentais

sornmes nombreux ä avoir modifid le cours de notre existence, ä avoir report6 ä demain

6oit qu'ur seul livre surce mode-lä, et encore, une partie seulement

!

C'6tait un malentendu,

qu'on ne m'avait pas mise ä l'endroit qui me convenait. Car il n'y a pas d'endroit qui vous convient, mais une multitude

d'endroits.

LIRE SEPTEMBRE 2013.99

...


L'ENTRETIEN

...

Avec Maria Cristina, on d6couvre une romanciire barcque, qui aime le rouge ä löwes penser qu'elle " vermillon ". A.lon tort de vous ressemble ? ; Non, bien sür, je lui prete beaucoup de mes propres 16flexions, de mes atermoiements, de mes doutes. Et lorsqu'elle 6crit des romans, elle le fait « contre » - ce qui

est crucial

pour trouver un endroit ä soi.

Donc oui, elle habite le m€me endroit mental que moi. Mais ce qui m'intdresse, c'est ce qu'elle va en faire. Et, en l'occurrence, elle va faire des choix trös diff6rents des miens... Parlons de vos choix, justement. O,uand avez-

vous commencö ä öcrire ? I J'6cris depuis que je suis gaminette.

A six des livres que j'6crirai quand je serai grande. C'€tait Petit Jean va ans,

Quand on nait dans une famille oü il y a beaucoup de contraintes.la lecture offre cette multiplication des possibilitds, elle est si fondamentale que parfois elle vous sauve la vie. Moi. j'en suis convaincue. Et je ne suis pas la

compagnie qu'en la compagnie de mes

C'ötait votre cas ?

contemporains. Ajoutez ä cela le fait que j'6tais dans un endroit oüje n'avais pas envie d'Otre, et vous comprendrez pourquoi les livres dtaient parfaits pour moi.

-, Non, on ne me disait pas ndcessairement de ne pas lire. mais il n'y avait pas de livres ä la maison. Et ce n'6tait pas une activit6 qui 6tait

-

j'ai fait la liste

d la campagne, Petit Jean va d la mer... J'6crivais les titres sans dcrire les livres ! Maintenant je fais l'inverse, j'6cris les livres et je trouve les titres aprös...

lOO.LIRE

SEPTET/BRE 2013

difficile car il est trop galvaudd. .. C'est pour qa que je prdföre les mots « dmancipation » ou u affranchissement ». parce qu'il y a I'id6e de se libdrer des contraintes et des rögles.

Quelle fillefte ötiez+ous alors ? " Je faisais parlie de ces enfants qui ont un imaginaire extr€mement encombrant. Il faut faire avec. Soit ga vous empöche de vivre car qa peut Otre trös difficile d'6tre röveur. de ne pas trop savoir ce qu'on est en train de faire. ou ce que font les autres. Soit vous comprenez que vous pouvez tenir cet imaginaire dans un lieu plus ou moins circonscril. vers lequel il est possible de retourner quand vous le souhaitez. J'6tais aussi une petite fille extrömement solitaire, timide, je trouvais beaucoup plus facile d'0tre dans ma propre

A la page 84 du roman, vous öcrivez :

seule a avoir v6cu la lecture comme

Ea.

Beaucoup de gens ont commenc6 ä lire justement parce qu'on leur disait de ne pas le faire. . .

activement conseill6e. J'ai beaucoup lu, enfant. parce que ce que je vivais ä la maison ne me

Les

suffisait pas. C'6tait un peu douloureux, donc

livres servent ä s'ömanciper des familles asphyfiantes. Qu'estce que cela signifie ? "

j'avais besoin de vivre ailleurs. De vivre autrement. lrs liwes m'ont sauv6e, il n'y a aucun

;',

"

Dans les livres. et avant toute chose dans la lecture, il y a l'dvasion. .. C'est un mot un peu

doute lä-dessus. C'estpourpque je me d6finis avant tout comme une lectrice.


V6ronique OVALDE a

t

Oü trouviez+ous ces livres qui n'ötaient pas chezvous ? > A Ia bibliothöque muricipale ! L'accös gratuit aux livres est quelque chose de mer-

veilleux. Pour cela, je suis waiment une enfant qui a profit6 de l'6cole de la Rdpublique, et des bibliothöques municipales gratuites. Je fais partie de ces enfants pour lesquels Ea a 6td une opportunit6 de sortir de l'endroit oü j'6tais. A l'6mle, les professeurs m'aimaient beaucoup, parce que j'6tais la petite fille, et ensuite l'adolescente, qui lisait beaucoup, qui 6tait curieuse, et qui savait ä peu prös 6crire. J'ai eu d'excellentes relations avec 1'6cole en g6n6ral. J'avais un plaisirincroyable ä y aller, ie faisais partie de ceux qui adoraient le di-

Commenf s'est passie cette rupture ? ) Remettons-nous dans le contexte. J'ai dixhuit ans,je suis dans un lyc6e de Noisyle-Sec, et je ne sais pas ce que je veux faire aprÖs le bac. J'6ois, je veux me faire publier, mais je ne sais pas encore comment.

Maprof de philo

me dit qu'il faut que je fasse hypokhägre, et ä ce moment-lä je ne sais mÖme pas ce que veut dire hypokhägre. Je m'y inscris, mais je n'y vais pas. Ce sont des 6tudes trop longues,

trop compliqu6es pour moi. En revanche, je vois qu'il existe un BTS ddition ä l'6cole Je r6ussis le concoun, mais je ne sais absolument pas ce que je suis sensde y faire. Et le premier jour, on nous fait visiter les salles des machines ! Je me suis demand6e ce que

Btienne.

manche soir parce que le lendemain on y retournait.

On a parß de la fabrication des liwes, parhns

de celle du roman. Comment naft un roman deVöronique Ovaldö ?

)

Ce qui vient en premier, ce sont des images.

Porx LaGräce desbrigandspu exemple, j'ai tout de suite vu cette femme, ä Santa Monica, qui boit sa sangria en regardant le Pacifique. J'ai cette image, et tout de suite son nom me vient. Je me rends compte d'ailleurs que la majoritd de mes romans cornmencent par Ie nom d'un penonnage. Puis je la d6cris - un peu, parce que parfoisje ne ddcris pas du tout mes personnages -, j'en livre une vague silhouette. C'est ce nom qui s'incarne tout ä coup. Et ä partir de lä, je bätis une trajectoire. Qa m'intdresse les trajectoires parce que je trouve toujours fou, quand

j'y trouvais ma place. Et puis je pense aussi que

onramnte l'histoire de quelqu'un, ou quand les gens se racontent eux-mÖmes, d'entendre cette vie comme si

c'6tait valorisant pour moi,

elle suivait un chemin

parce quej'6tais une bonne

En racontant mon enfance, on a l'impression que tout ga est trös ordonn6, mais c'est une illusion ! C'est une addition de deux pas en

J'6tais bien lä-bas parce que

6löve.

Oue/s sonf les livres qui vous ont marqu€e ä l'6-

avant de troispas en arriöre, de bifurcations diverses et

poque ?

) Au moment

de l'adoles-

cence, ce moment

vari6es, d'impasses... Et

tellement

dfficile äpasser, j'6tais fascinde par les grands hasard a fait que romanciers am6ricains. le biblioth6caire 6tait f6ru de littdrature am6ricaine, et je me suis retrouvde ä lire

k

Hemingway, Steinbeck, Chandler... J'6tais folle de Tennessee Williams aussi. J'avais lu ses nouvelles, ses romans et son th6ätre bien entendu. Ce sont des textes qui vous offrent des possibilitds de libert6, des textes contestataires qui vous permettent de vous atfuanchir de tout ce qu'on vous a inculqu6.

toutes

je fichais lä... Mais, en d6finitive, je m'y suis bien amus6e. Et je suis rentrde deux ans plus tard dans le monde de l'6dition, en tant que technicienne de fabrication. J'aimais bien

avoir un m6tier, un savoir-faire. Donc j'ai passd 6norm6ment de temps de ma vie dans des imprimeries, ä

travailler avec

des conduc-

avez vingt ans, vous arrivez dans les imprime-

ries, c'est un milieu trös masculin ! Mais j'ai gard6 de ces ann6es l'amour de l'objet livre. J'ai fait plein de mdtiers dans l'6dition par la suite,j'ai 6t6 conectrice, preparatrice de textes,

cence ?

je preparais aussi les couvertures de Christian

) R6cemment, j 'ai demandd ä ma möre de me

Bourgois. Et parallölement

rapporter mes vieux manuscrits, qui dtaient tap6s ä la machine ä 6crire, avec un vieux ruban encreur. C'6taient des histoires d'amour, de

l'6criture que ce n'est pas un mötier.

mort, de penonnages d6esp6r6s. Souvent les hommes de mes rdcits tombaient amoureux de femmes quilesmenaientpar le boutdunez, et qa finissait dans des drames tenibles. Rien

quatoze ans

I

ä cela,

j'6crivais.

Votre personnage Rafael Claramunt dit de Partagez+ous cette opinion ? > Oui,j'ai toujours trouv6 un peu incongru d'appeler cela un m6tier. J'ai toujours une espöce d'impression d'imposture, parce que pour moi l'6criture est comme un souffle, un trdsor sous ma peau. Quelque chose avec

A quel moment avez+ous senti qu'il 6tait possrble de rompre avec cette enfance ? ) Je l'ai toujours su ! J'6tais tombde par hasard Iä. Ce n'6tait pas ma famille. J'6tais convaincue que j'avais 6td adopt6e ä la naissance ! Et que quelque chose d'autre devait

m'attendre.

pourtant, de loin, on a cette impression que tout cela est structur6 par une volont6, une opiniätret6. Je trouve cela fascinant. Car ce qui est int6ressant dans une vie, ce sont les arcidents, toutes ces choses fortuites, ces fourvoiements, qui vont orienter notre chemin sans qu'on sache trop comment.

teurs de machine. C'est difficile au d6but, vous

Q,ue racontaient vos romans d'adoles-

de trds anormal quand on a

direcl

lequel je vis. Pour moi, un m6tier, Ea veut dire plein d'autres choses, qui n'ont pas grand-chose avec le fait d'6crire des livres non seulement un savoir-faire mais des liens sociaux. des relations d'entreprise, ce genre de choses. Ecrire, en revanche. ne vous inscrit pas vraiment dans la vie sociale.

-

l-a r6daction d'un roman estclle aussi ponctuöe d'accidents, ou surte//e un plan ? ) Je n'ai pas vraiment de plan. Ce texte, par exemple, commence en 1989, avant de revenir sur la vie de Maria Cristina Väätonen et de ses parents-ce qu'on appelle la u pr6-

histoire väätonienne ». Comment elle est devenue la vilaine scur, cette femme qui vit Monica dans une solitude choisie et assez agrdable ? Alors je reconstruis son destin, mais je ne sais pas exactement ce qui va se passer pour elle. Oui, Ie roman est une ä Santa

succession d'accidents. Il arrive tout un tas de choses qui font que je vais moi-mÖme €tre sulprise de ce qui va se passer ä la page

d'aprös. Je connais seulement la fin, mais c'est plus une destination, un point de fuite. Et c'est amusant de ne pas savoir comment je vais faire pour y arriver.

lamais de blocage devant la page blanche ? >

Au d6but, vous tätonnez beaucoup. Il y a

des choses qui viennent, maisvous ne

savez

LIRE SEPTEMBRE 2013.1O1

o..


L'ENTR=TIEN pouvais avoir ä 6crire. J'6crivais un roman, je le finissais, et le lendemain j'en recommenqais

un autre. Pendant des ann6es, j'ai 6crit nonstop ! Aujourd'hui, avec huit romans derriöre moi,les choses sont diffdrentes, je me dis que le prochain ne peut pas ötre un liwe de plus. Aligner les romans les uns aprös les autres n'aurait pas de sens. .. Parfoisje suis prise par la vanit6 et la vacuit6 de tout qa, ce qui n'6tait pas du tout le cas quandj'6tais enfant. A cette 6poque, j'6crivais mes histoires, et je voulais ötre publi6e, sans möme savoir pourquoi. J'6tais dans une immense simplicit6 quant ä ma relation au public, au lecteur, ma propre relation ä l'6criture ! Maintenant c'est plus compliqu6, je me demande pourquoi les gens me lisent. Qu'est-ce qu'ils y trouvent ? Et en m6me temp, commentfairepournepas 6oire pour eux ? Car c'est trös dangereux d'6crire pour des lecteurs. Moi, je n'6cris que pour un lecteur, un seul. Qui

estjl

?

) Il

change. Selon les romans, je n'6cris pas toujours pour la möme personne. Mais il y a toujoun un lecteur, une lectrice, parfois möme

un 6crivain. Il faut simplement que ce soit quelqu'un dont I'avis vous est ndcessaire. Et dont vous ötes süre ä la fois de la bienveillance et de l'extr6me exigence. Qa vous oblige ä ne pas ötre paresseux. Parce que c'est ga le problöme, au bout duhuitiöme roman, c'est qu'il y a tout un tas de choses que vous savez faire. J'aurais trös bien pu 6crire encore un roman latino-am6ricain, truculent, baroque, corlme

...

pas du tout si vous allez garder ce d6but-

C'est un moment d'extröme intranquillitd. Et ä un moment, vous savez que le liwe tient la route. C'est un peu comme lorsque vous avez « pass6 la barre » au surf, et que vous ötes du bon cöt6. Lä, c'est bon, c'est parfait, la mer est plane et vous pouvez avancer plus vite. Il y a une espöce d'exaltation, et vous n'avez plus qu'une envie, c'est d'y retourner. 1ä.

et je suis dans une concentration extrÖme, puisque je viens de me r6veiller. L'un des plus beaux moments d'6criture, pour moi, c'est qa.

Cela

dort, lä, pas loin. J'adore ce sentiment d'ötre le seul ail ouvert de la maison.

difficib

) J'6cris la plupart du temps trös töt, aprös avoir dormi un peu, vers 5 heures du matin. C'est le moment que je prdföre, car il y a une sorte d'isolement absolu, de silence et de solitudemerveilleux. En joum6e, je nepeuxpas m'emp6cher de faire des pauses, de regarder mes mails de temps en temps. Alors que Ia nuit, j'ai ma petite lumiöre, mon th6 br0lant,

Avez+ous gagnd en confiance avec les ann6es ? ) C'est dtonnant, carje uois que j'6tais beaucoup plus conf,ante avant. J'avais confiance en mon propre imaginaire, en ma propre capacitd d'invention, et dans le plaisir que je

affirme que, pour elle,

"

l'6cri-

ture, la nuit et l'alcoolsont indissociables

,.

Et vous, quel est votre carburant ? ) Pas l'alcool en tout cas ! Moi, ce serait plutöt Ie th6 vert. Vous dcrivez la nuit 6galement ?

1O2.LIRE

SEPTEMBRE 2013

signifietil qu'Acrire est devenu plus

En plus, c'est une heure oü tout le monde

Suiveztrous des routines quand vous 6crivez ? ) Pas tant que Ea. Je sais qu'il y a des gens qui ont plein de petits rites. Moi-möme, j'ai dans ma vie plein de rites, mais pas waiment en lien avec I'6criture. Je peux 6crire un peu n'importe oü, du moment qu'il y a du silence. Parce qu'il faut du silence, c'est möme un vrai problöme, parce qu'il peut ötre compliqu6 de trouver du silence ! [a seule solution, dans ce cas-lä, ce sont les boules Quies...

Votre h6roine

je sais le faire. Mais il faut savoir se frotter ä quelque chose d'autre. Essayer, pour voir ce que Ea peut donner.

? C'est plus difficile parce que les enjeux ont changd et que je comprends mieux ce que je fais. Avant c'6tait plus intuitif. J'y allais bille en t6te ! Ce qui n'est plus du tout le cas. Ce

)

n'est d'ailleurs pas d6sagr6able. Avant, quand je finissais un liwe, je ne savais absolument pas quoi dire dessus. J'6tais trös d6munie. Alon que maintenant j'arrive ä mieux cemer, aprös coup, ce

quej'ai fait. C'est aussi ä force

de lire beaucoup de manuscrits d'auffes gens

notamment, d'aider les auteun

äy

voir clair

dans leurs textes. Mais du coupvous ötes aussi

plus exigeant. Vous ne faites pas simplement confiance ä votre imagination.

Aveztous le sentiment de bätir une etrwe ? ) Je pense qu'il y a une coh6rence entre les liwes que j'6cris, une forme de construction. Entre mon premier texte, Le Sommeil du porssol,,§, qui 6taituncontepouradultes fdroce,


V6ronique OVALDE

-

mon temps ä en chercher de nou-

et La Grdce des brigands,ily aelu du chemin de fait I Et en m€me

velles. Mais celles-ci sont dig6rdes, jusqu'ä ne plus ötre reconnaissables

temps, je suis consciente qu'ils contiennent beaucoup d'6l6ments communs. Des expressions ima-

dans mes romans.

soutenues par un personnage mas-

On a parl6 ä votre sujet de " langue ovaldienne . D'oü vient votre

culin trös chevaleresque. Mais je

style ?

sens bien que les choses bougent

)

ä chaque fois. Je n'aurais pas pu

J'ai 6t6 dlevde par un pere qui parlait

gdes. Des femmes un peu branques,

"

Le style, c'est la voix d'un auteur.

le louchdbem,le vieil argot des

6cire La Gräce des brigands ily a quatre ans, ou möme deux. Car je

bou-

vieillis. mes centres d'intdrÖt 6voluent, et rencontrent un 6cho dif-

chers. J'ai l'habitude de dire que c'est ma langue patemelle ! Je ne la parle pas, mais je la comprends,

fdrent avec ce qui est ancrd au plus profond de moi... Parfois je me

etj'ai toujoun 6t6 admirative devant sa libert6, son inventivitd. J'ai com-

demande encore pourquoi j'ai choisi d'6crire des livres. Etje n'ai pas d'autre explication que le fait

pris tardivement combien cette langue avait 6td importante pour moi.

que c'6tait quelque chose qui me permettait de vivre quand j'6tais gamine. Qa parait trös

grandiloquent dit ainsi, mais c'est corffne sa queje l'ai v6cu. Et aujourd'hui,je ne sais plus faire sans ! Quand je ne suis pas en train d'6crire un liwe, qa me tarabuste... Votre öcriture alclle changö au n6es ?

fil

des an-

) J'espöre en tout

cas que mes romans acfuels sont meilleurs que ceux que j'6crivais ä quatorze ans I Dans La GrAce des brigands, ce qui,je pense, persiste par rapport ä mon 6cri-

ture, c'est un sens des images, des sonoritds, d'un rapport au monde extrÖmement sensuel.

pour ma pratique. J'6cris toujours sur la derniöre page du livre que je lis ce que j'en ai retir6 pour mon texte en cours. Du coup, je vais ötre passionnde de fagon trös ponctuelle par certains 6crivains. parce qu'ils vont m'apprendre quelque chose. Qa a 6t6 le cas de l'6crivain catalan Jaume Cabr6, par exemple, de Jennifer Egan, de Marie NDiaye. Tout un tas de gens qui me plaisent soit pour leur langue, soit pour leur fagon d'6chafauder leurs textes. J'aime ötre sous influence, etje passe

combien elle m'avait appris le goüt de I'image, de la drölerie, de la truculence. Avoir 6t6 6lev6e dans cette langue, qui est aussi celle d'un milieu social particulier, m'a placde en ddcalage par mpport aux autres enfants de ma g6ndration. Un ddcalage fondamental ä mon avis. S'il y a une chose que jlai prise de mon pöre, c'est qa : la confiance dans le langage et dans sa facultd d'invention. S'il y a un mot qui n'existe pas, alors il suffit de l'inventer, ce sera plus pratique I Il y en avait beaucoup dans mon premier roman notam-

ment. Sans compter le rythme lui-mÖme. J'aime les digressions, par exemple, toutes ces choses qui s'incrustent ä l'intdrieur d'une autre avant qu'on retombe sur ses pattes ä la fin du

sont accol6s

paragraphe. C'est une activit6 d'acrobate qui me sdduit. Du coup, je truffais mes textes de tirets et de parenthöses, qui me permettaient

sens aussi que je vais davantage ä l'essentiel.

quelques escapades ironiques ou burlesques, au cceur de textes souvent tragiques.

J'aime aussi les adjectifs, surtout quand ils entrent en conflit avec le substantif auxquels ils

-j'ai toujours admir6 Faulkner, qui multipliait ces alliages explosifs. Mais je

J'aime supprimer des chapitres ! Au ddbut, on a l'impression qu'on vous anache un bras. mais, ä la relecture, on se rend compte qu'il est beaucoup mieux comme qa, et qu'on a bien fait de se d6barrasser du superflu.

lustement, pourquoi le tragique et la mort en particulier planentils si souvenf sur vos

romans ?

)

Parce que nous sommes des animaux corä la nature p6rissable ! Y a{-il une plus grande affaire que la mort ? Elle donne

ruptibles, A guel moment saveztrous qu'il ne faut plus rien enlever, que le /crte est lä ? ) Je dois le relire une fois de bout en bout.

pour voir si tout concorde parfaitement. Si toutes les pierres du Petit Poucet sont bien en place, si les rouages sont bien hui-16s. Mais je sais trös bien ä quel moment j'6cris la derniöre ligne de la demiöre page. C'est lorsqu'i-l n'y a plus rien ä ajouter. Seulement ä raboter pour chercher l'os. Oue//es sonf vos influences aujourd'hui ?

)

Je continue toujours ä lire 6norm6ment. Un peu de textes critiques, des biographies, mais principalement des romans. C'est une source d'enrichissement incroyable, y compris

forme et dignitd ä nos vies, bien sür, mais en mOme temps c'est quelque chose que pendant tßs longtemps j'ai trouv6 totalement inacceptable. Car il nous faut mourir, et le

savoir. Et faire avec. Mais dans mes livres, la mort ne marque pas la fin de l'histoire. Car l'histoire se perpdtue, et demain il y aura encore quelque chose. Tant que le narrateur est lä, les personnages ne meurent jamais. Sur cette question, la fiction est une forme de r6solution possible, empreinte d'humilit6. Elle aide ä se dire que ce n'est pas si grave.

Et que l'histoire continue sans nous. Propos recueillis par J.B. Photographies : Franck Courtös pour

lire

LIRE SEPTEMBRE 2013.103


Les ecrivoins

DU BAC

, Marina .. /

TSVtrTAItrYA Consid6r6e comme I'un des plus grands 6crivains du XX" siöcle, malgr6 un destin boulevers6 par la r6volution d'Octobre, celle qui notait dans ses carnets « er rnoi, tout est incendie » - a montr6 qu'elle ötait u un poÖte qui sait aussi P€rsel ».

BIOGRAPHIE

retrouvait Marina Tsvdtaidva, pendue dans la piöce qu'elle louait chez des habitants d'I6labouga, petite bourgade de l'Oural sur les bords de la Kama, oü elle s'6tait rdfugide ä I'approche des troupes allemandes. [-e monde en guelre n'attacha guöre d'importance ä la mort d'un poöte qui n'avait rien publid depuis 1928 et qui 6tait revenu deux ans plus töt d'un exil de dix-sept ans hors de I'U.R.S.S. Si peu parmi ses contemporains auraient pr6dit de son vivant l'extraordinaire fortune posthume de son ceuvre litt6raire. elle n'en doutait pas : « On m'aimera (enfn, on me lira !) dans cent ansr. Nina Berberova. fine observatrice de " l'immigration russe, la d6crivait ainsi: " Elle a c6d6 ä la vieille tentation döcadente de s'inventer des röles ; elle 6tait tour ä tour le poÖte maudit et incompris,la möre et l'6pouse, l'amante d'unjeune dphöbe, un personnage au pass6 glorieux, le barde d'une arm6e en d6e 31 aoüt 1941. on

26 septembre 1892 : naissance ä Moscou. 5 iuillet 19OG : sa mÖre meurt de tuberculose. 1910 : L'Album du sorT (premier recueil

de poömes).1912 : mariage avec Serguei lakovl6vitch Efron. La Lanterne magique(second recueil de po6sies). 5 septembre : naissance d'Ariadna. 3O aoOt 1913 : mort d'lvan Tsv6ta'rev. 1917 : Serguei reioint les armöes blanches. 13 avril l naissance d'lrina. 2O f6vrier 1920 : lrina meurt de faim. Composition du poöme-conte : u La Vierge-Tsar, et du cycle de poömes le Camp des cygnes. 1922 : publie lverse de lumiöre, article sur Ma seur la vre de B. Pasternak. Emigre avec sa fille ä Berlin, puis ä Prague. 1923 : Sdparation, Psychö, Le Mötier. Episode passionnel avec C. Rozd6vitch. Commence [e Poöme de la montagne et [e Poäme de la fin.31 octc

bte1924: d6part pour Paris. l"f6vrier 1925 : naissance de Gueorgui (Mour).1926 I correspondance avec R.M. Rilke et B. Pasternak.1928 : Äprös /a Russre, dernier ouvrage

paru de son vivant. 1934 : commence ä 6crire sa grande prose autobiographique.

route. une jeune disciple et une amie passion-

15 mars 1937 : fuiadna retoume en

nde. [...] Mais elle n'arrivait pas ä se dominer, ä se fagonner, ä se connaitre. Elle cultivait

Traduit des poömes de Pouchkine en franqais. Ecrit Hrsfore de Sonetchka. Exfiltration pr6cipitöe de Sequei.12 iuin 1939 : quiüe la France avec Mour et rentre en U.R.S.S. 27 aotrt t ar-

möme cette mdconnaissance de soi. Elle 6tait lulndrable. impulsive. malheureuse. et. au mi-

restation d'Ariadna.l0 octobre : arrestation de Serguei. Dimanche 3l aoüt 1941 : sui-

lieu de son "nid" familial, restait solitaire. Elle ne cessait de s'enthousiasmer, de se d6senlecteur de ses chanter et de se tromper2.

"

cide. Son corps est enten6 dans la fosse

[r

commune. 16

6crits autobiographiques sait que Marina, loin de se mdmnnaitre, 6tait d'une luciditd et d'une conscience absolues d'elle-möme.

)

Stdnographe de la Vie

A I

n ne oeut comorendre IVlarina Tsv6-

ltaidva

sans

\-rT.rtnetlq

duoiuerau prdalable son

ue I ittäraire indissociable

de son 6thique propre. Marina Tsv6tai6va, comme Rilke ou Proust, ne s6parait pas la vie de la pratique de l'6criture. « Il ne s'agit pas

1O4. LIRE SEPTEMBRE 2013

U.R.S.S.

du tout de : vivre et 6crire, mais vivre-ecnre et : dcrire - c'est vivre3. » Ou encore : « Tout. l'6criture except6e, - n'est rienr. » Comme en un cercle, l'ceuvre se fait vie, et la vie, ceuvre : « Mes vers sont un joumal intime, ma podsie une podsie de noms propress » 6crivait-elle dös 1913. Elle voulait qu'on grave sur « son monument » : « Stdnogaphe de la Vie6

".

Pour

autant, elle nejouait pas au philosophe : u A ddfaut d'avoir une conception du monde, j'ai

ostobre

: Serguei est fusill6.

une sensation du mondeT. » Qu'ils soient publi6s ou non. qu'il s'agisse de po6sie ou de prose, de correspondance ou d'6crits intimes, forment pour ainsidire un ensemble de forces qui r6sistent ä la mort. Je n'aime " pas la vie telle qu'elle est - pour moi, ce n'est ses textes

que dans l'art qu'elle commence ä avoir un sens. c'eslä-dire ä se revötir de poids et de significations. » C'est pourquoi elle fut le sismographe de ses passions impossibles :

I


-

c'est

la rue auxTrois-Etangs/Cette äme profonde

la möme chose que c6l6brer l'amour heureux ? Je ne peux pas.

de mon ämer2. , Alors que Marina avait ä peine dix ans, on s'apergut que sa möre avait, elle aussi, contractd la tuberculose. S'ensuivit une p6riode de voyages, Marina et sa seur

« C6l6brer les kolkhozes et les usines

-

,

) « Du moins elle sera musicienne

accompagnant leur möre sous des climats

»

moins rigoureux en Italie, en Suise, en ForÖt-

T u-

Vladimirovitch Tsvdtar'ev. le pöre de Marina Tsvdtaidva.6tait professeur de Iphilologie et d'histoire de liart ä Moscou.

I

Il fut connu pour avoir fondd le mus6e Alexandre III, renomm6 mus6e Pouchkine. Veuf et pöre de deux enfants, Val6ria et Andrei, il s'6tait aussitöt remari6 avec Maria Alexandrovna Me1,r:r, une jeune et belle pianiste qui, par cette alliance, renongait ä une carriöre de concertiste. Si I'on en croit l'essai autobiographique intituiö Mc mdre etlsfiutsique , rödig6 en France en 1934 , au lieu de

Marina elle attendait un Alexandre - n fils d6sir6, r6clm6, presque comänd6 au destine ». «

Du moins, elle sera musicieme

», au-

rait soupir6 Maria Alexandrovna lorsque Marina vint au monde le 26 septembre 1892. La petite Moussia, un des diminutifs de Marina, hdrita, « don de Dieu d'une oreille ", juste, d'une mdmoire et d'une imagination trös vives. Anastasia, sa seur, naquit en 1894. « Si les möres disaient un peu plus souvent des choses incomprdhensibles, non seulement les enfants

Noire, puis en Crimde. Les deux jeunes filles ne rentrörent ä Moscou qu'aprÖs le d6cös de leur möre en 1906. En 1909, Marina prit I'initiative de se rendre seule ä Paris pour y 6tudier la littdrature franEaise. Elle se retrouvait dans la ville de Napoldon, l'un des h6ros de son panth6on personnel, s'enflammant pour les vers de Rostand que declamait Sarah Bemhardt dans L'Aigbn.Catte ann6eJä, elle publia aussi ses

premies poömes. En 1910, parut ä compte d'auteur un premier recueil, L'Album du soir, puis, en 1912, un second , La Lanterne magi4ue, en tout 234 poömes plutöt intimistes, 6voquant son enfance et son adolescence ä travers les dvdnements de sa vie familiale. Dans un volume, sign6 n Marina Efron, n6e Tsvdtaidva », qui rassemblait des piöces des deux premiers, elle formulait la profession de foi ä laquelle elle se tint toute sa vie '. «Errive'z, dcrivez davantage ! Fixez chaque instant, chaque geste, chaque soupir I [. . .] Il n'y a rien qui ne soit importantl3. »

comprendraient plus de choses en

grandissant, mais ils agiraient aussi avec plus d'assurance. Il ne faut rien expliquer ä un en-

fant, il faut l'ensorcelerro.

»

Ensorcelde, il semble pourtant bien que Mousia le fut. Dans Le Diable,rödig€ en juin 1935, elle ressuscite le « Grison - le dogue terrible de [son] enfance », auquel elle se dit o re-

) Une faille

dans le temps

T\ ans l'entourage du poöte et peintre I lu*i.rr,an välochine, elle ränconIJ mserguei Efron. alors encore lyceen. Elle l'6pousa en 1912, une petite Ariane

devable du cercle enchantd de [sa] solitude ». Ce diable, qui lui 6tait apparu alors sous les

(Ariadna, Alia) naquit I'ann6e suivante. En 1913, Ivan Tsv6tarev mourut. Mat6riellement, I'avenirde Marina semblait assur6. Elle avait

d'enfant »,

hdrit6 d'un hötel particulier confortable ä

6tait une incamation plutöt ryrnpathique:son « image n'est pas suspendue aux murs des salles de justice, lä oü l'indiff6rence condamne

Moscou et de revenus substantiels, une rente sur capital vingt fois sup6rieure au salaire

espöces « d'un chien-gris bonne

la passion, la sati6td condamne la faim, la bonne sant6 condamne la maladiell ». Maria Alexandrovna transmit ä ses enfants, outre le goüt de la musique, celui de la littdrature et des langues. Marina faisait preuve de dispositions artistiques. Sa möre, constatant que

moyen de l'ouvrier qualifi6. La guerre ne changea pas grand-chose, sinon qu'en 1914 Serguei s'enröla dans I'arm6e comme infirmier. Pendant cette pdriode, Marina, jeune möre et pGte. vdcut plusieun passions amou-

- des « idylles cerdbrales » - le plus souvent pour des poötes, reuses plus ou moins r6elles

dös quatre ans elle cherchait ä faire des rimes,

qu'il s'agisse d'une podtesse de second ordre

Peu!Ötre sera{-elle

comme Sof,a Pamok ou d'un trös grand poete comme Ossip Mandelstam. Ces 6lans passionnds emplissaient son äme et servaient de

nota dans sonjournal

poöte

Chez les Tsv6taiev, le portrait de la premiöre dpouse d'Ivan Tsvdtai'ev, morte ä 32 ans de tuberculose, trönait dans le salon de la grande maison du 8 rue des TroisEtangs:« Toi dont le sommeil est encoreprofond/Et les mouvements enmre paisibles,/Va dans la rue aux Trois-Etangs/Si tu aimes ma podsie/[...] Ce monde merveilleux, sans re-

tour,Ilu

le trouveras encore, va

vite/Va dans

catalyseurs ä sa cr6ation. « L'amour est une faille dans le tempsra », qu'il soit ou non sexuellement consommd. « Mon amour ne

conespond ä aucun temps, ä aucun lieu. Ce ne sera jamais une entr6e dans telle chambre ä telle heure. C'est une sortie de tout, commenEant par ma propre peaur5 ! » S'il se

fixait

aussi sur les femmes, rien n'atteste pour au-


Les 4crtaatns tant avec certitude la bisexualitd de Tsv6tardva. 1916 fut une arur6e prolifique

:

plus de

cent poömes classds en cycles, d6di6s ä Blok ou ä Anna Akhmatova. En 1917. Marina accouchait de son.deuxiöme enfant. Irina.

)Ni rouge ni blanche /^t omme pour tous les Russes. Octobre l9l7 coupa la vie de Marina en deux: t \-/en quelques semaines. elle dut renon-

DU BAG

Kountzevo. L'Etat 6tait censd s'occuper de tout, en tout cas de l'essentiel. Le directeur s'av6ra ötre un escroc qui vendait la nourriture destin6e aux enfants. Il fut pas# par les armes, mais la petite Irina mourut de faim. Cette mort laissa Marina pleine d'une culpabilit6 dont elle se ddfendit comme elle pouvait.

cycle « Berlin », dans Aprös la Russle. Vichniak s'opposa ndanmoins ä la publication d'lndices tetestres, compos6 en 1919 : il risquait de ne plus pouvoir diffrrsersa production en Russie, Marina y retraqant la « vdritd tragique » de la Russie bolchevique. A Berlin, dans le möme temps, Marina

entamait une conespondance 6pistolaire avec Boris Pastemak « vous 0tes le premier poöte de ma vie20 ». Etrange paradoxe, alors que Pastemak et Tsvdtal6va s'6taient croisds sans

voir vraiment, il avait fallu que Marina

cer ä son existence de bourgeoise bohöme. Elle

se

n'6tait pourtant pas hostile au changement: « [^a passion de chaque poöte pour la r6volte. [...] Sans cette passion pour celui qui transgresse - il n'est pas de poöte. [...] Mais ici les rdvolutionnaires commettent une erreur: la

s'exilät pour que les deux poötes se reconnussent et s'admirassent. Cette distance les pr6-

r6volte intdrieure du poete n'est pas une r6volte

Gtte amiti6 stellaire s'dlargit

extdrieurel6. » Elle ne fut ni rouge ni blanche, au-dessus la mölde, du cötd des individus souf-

poöte. Rilke. d'oü sortit la fameuse o correspondance ä trois v6ritable monument ", littdraire. Mais comme s'ils s'dvitaient, Marina quitta, avec Alia et Serguei, Berlin pour Prague, la veille de l'aniv6e de Pasternak. D'autres passions suivirent. toujours vou6es ä l'6chec, sinon qu'elles inspirörent de nombreux poömes parmi ses plus admirds. En ces premiöres ann6es d'6migration, outre Söparation et Poömes d Blok,Martna Tsv6tai6va fit paraitre ä Prague, en1923, Le Mötier. Le volume fut ä l'origine d'une idylle avec Alexandre Bakhrakh, jeune critique de 20 ans : « Je ne suis pas faite pour

serva autant qu'elle les rapprocha :Boris fut profonddment boulevers6 par les recueils Verstes et Söparanbn que Marina lui envoya.

frants:« De gauche comme de droite/Sillons ensanglantds/Et chaque blessure : Maman.//

Et moi, eniwde/ Je n'entends que cela,/Des entrailles - aux entrailles : Maman !//[...] Regardez un soldat./Oü le nötre, oü le

- il est rouge : [.e sang l'a empourpr6/Il 6tait rouge - il est blanc : La mort l'a blanchi'7. » Jusque dans le domaine litt6leur ?//Il 6tait blanc

raire, Marina Tsvdtar6va refrxa toujoun d'ötre affilide ä un quelconque mouvement. ta vie dans la Moscou rdvolutionnaire fut des plus difficiles. Des dditeurs russes ont re-

Hormis pendant cet dpisode tragique, elle dcrivait beaucoup, plus d'une centaine de poe-

group6 ses 6crits t6moignant de la pdriode sous le titre Octobre en wagorz dans lequel « Mes Emplois » atteste l'humour et le cou-

contes

mes entre 7920 etlWZ,s'essayant ä des poÖmes narratifs plus longs comme les poömes-

La Vierge-Tsar, Stir mon cheval rouge. Auteur aussi pour le thdätre, elle fr6quenta les acteurs, comme Sonia Holliday. Elle res-

ä un autre grand

cette vie. Je ne suis qu'un brasier. J'ai mal vous

comprenez

? Je suis une 6corch6e vive, vous 0tes blind6 ». lui dcrivait-elle alors. tandis qu'elle s'dprenait en möme temps du meilleur

ami de Serguei, Constantin Rodzevitch, un s6ducteur. n un Casanova de banlieue ». Cette

relation, bien chamelle, fut ä l'origute de deux piöces majeures de son euvre: Le Poöme tle rage de Marina Tsv6tar6va, confrontde ä l'ab-

surditd de la rdalitd sovidtique naissante. Ce fut aussi ä cette p6riode que se radicalisa en elle la ddcision de viwe dans et pour l'absolu : "

Je serai feurs.

"

) « Dix-neuf,

titua par la suite l'ambiance amicale de ce milieu th6ätral dans Hbnire de Sonerchka (1937) . Ayant appris que son mari 6tait vivant et l'attendait ä Prague, elle d6cida d'6migrer. Quitter la Russie 6tait aussi plus prudent: elle avait composd un cycle de poömes h6roiQues ä la

la fin de 1919. cons6quence de la guerre civile, Moscou iltait enceröte.. . Et si elle accable trop le poöte cette anndelDix-neuf, la pesteuse et moscovite,/Eh bien nous survivrons sans pain !/De la mansarde au ciel il n'y a qu'un pasle. S6par6e de son mari - Serguei avait " rejoint les rangs de l'Arm6e blanche -, Marina ne parvenait plus ä nounir ses filles. Elle crut ceux qui lui conseillörent de placer Alia et

gloire de l'Arm6e blanche intitul6 Le Camp des cygnes.Encore, en 1929, elle glorifia dans Perekop la r6sistance du dernier bastion de l'Arm6e blanche en Crim6e. Ayantobtenu un visa de sortie pour elle et sa fille, elles prirent, le 11 mai l92Z,letranpour Berlin. Les retrouvailles entre Marina, Alia et Serguei furent dmouvantes. Mais si Marina n'avaitjamais songd ä se sdparer de Serguei, elle 6tait pröte ä prendre feu pour d'autres, tel Abraham Vichniak qui s'occupait de la petite maison d'ddition Hdlikon. Cette bröve enflammade servit de ffame a:ux Neuf Let

Irina, petite fille au d6veloppement psychique

tres avec une dixiöme reterurc et tme onziäme

entrav6, dans une institution appropri6e

regue.Yichniak fut aussi le destinataire du

la pesteuse

et moscovite »

A l\ I \

1O6.LIRE

ä

SEPTEMBRE 2013

la montagne et Le Poöme de la fin oi elle convoque au tribunal de l'amour l'amant qui n'a pas 6td ä la hauteur. Ce tourbillon de passions mortes-ndes, tableau auquel il faudrait ajouter bien d'autres 6l6mens, dbranla le couple qu'elle formait avec Serguei. Leur enga-

gement y survdcut cependant. Un enfant naquit, le 1.,f6vrier 1925, ä la paternit6 biologique incertaine et ä la patemitd spirituelle confuse. Marina voulut l'appeler Boris, en hommage ä Pasternak - « le nom de Boris est en moi [...]. Je ne peux pas vivre avec Boris Pasternak, mais je veux un fils de lui pour qu'il vive en lui ä travers moi2r Ser". guei reconnut l'enfant, mais s'opposa au pr6nom. On l'appela Gueorgui pour l'6tat civil, sa möre le surnomma Mour, hommage au chat poöte de E.T.A. Hoffmann. Le couple espdrait trouver, en 6migrant en France. de meilleures conditions de vie, mais ce furent d'incessants ddmdnagements en quOte de loyers moins chers ä Paris, puis

o o o


)

la Rrissre fut son demier ouwage publid. Pour autant, elle n'arrötait pas d'6crire, les euvres en prose ayant en banlieue. En 1928.Aprös

I

tendance ä dclipser celles en vers. Isol6e dans

/farinaTsvdtaidvanerevendiquait

lVk;::.'#i:,

; iii

:' :$: :1 it 5, i dmigrant de I'lmmortalit6 dans le temps}, . Elle 6crivait des vers parce qu'en elle parlait

l'dmigration. un peu tyrannisde par Mour, petit gargon au caractöre trempd, u indomptable ,. elle conclut en date du 25 f6vrier 1931 : « Ici [ä Paris].je suis inutile, lä-bas [en Russie], je suis impossible [. . .]. Dans dix ans.

ce qu'elle appelle l'essentiel : u Comment moi.

poöte. c'estä-dire un 0tre d'essentiel, pourraisje me laisser sdduire par la forme ? Si I'essentiel me sdduit. la forme viendra d'elle-möme. Et elle vient. [...] Je suis sdduite par l'essentiel

je serai absolument seule, au seuil de la vieillesse. Et j'aurais eu - du ddbut ä la fin une vie de chienl.

Le poöte en cxil

,

et ensuite je I'incarne. voilä ce qu'est un

) La fin du poönrc

poöte1i.

erguei Efron ne s'ötait jamais adaptd ä la vie de l'dmigration. aussi l'ancien

pour Ies mömes raisons qui l'avaient conduite ä la quitter vingt-deux ans plus töt : rejoindre

Serguei. Embarquant au Havre, le 12 juin 19-i9 sur le Maria Oulianovrz4 paquebot fri-

une succession d'amdliorations stylistiques brouillon: o S'il y a un "propre" - le brouillon (la forme) est

6crivait une longue lettre ä B6ria. On la versa au dossier d'accusation contre Efron. On le fusilla en octobre 1941 et Ariadna fut envoyde en d6portation pour de longues ann6es.

Marina et Mour retournörent ä Moscou

dcoute (l'embouchure/6coute la source)r7. o C'est sa condition. sa maniöre fondamentale d'ötre au monde : o Le don du poöte c'est de

avec passeport et responsabilit6) 1 f. ..1 Peur. De tout.1.. .)On a bless6, ensanglantd en moi

devoir faire des vers,l'impossibilitd de ne pas les faire. On comprend alors pourquoi il lui 6tait impossible de passer des compromis avec les pouvoirs. « Le poöte ne peut servir le pouvoir -parce qu'il est lui-m€me pouvoir./Le poöte ne peut servir la force - parce qu'il est lui-

ma passion la plus forte : la justice. » Les 6 et

tragique. Ariadna fut arr€töe,le2l aoil1939 on Ia pressa d'accuser son pöre d'6tre un traitre. Elle c6da, y perdant I'enfant qu'elle

ch6e, Marina et Mour furent 6vacu6s vers Tchistopol et, de lä. ä Idlabouga. Ils y parvinrent le 18 aoüt. Elle dcrivit au Litfond de

portait. Tout dtait faux, bien sür. Malgr6 les rdtractations d'Ariadna, le 10 octobre, on arröta Serguei Efron. Bdria, qui avait remplacd I6jov, s'empressait de liquider les agents de

Tchistopol ce que Tzvetan Todorov qualifie « de l'un des documents les plus accablants de l'histoire de la littdrature russe » : « Je vous prie de m'accorder un emploi de plongeuse ä la nouvelle cantine du Litfond. » De retour ä I6labouga, convoqude par le NKVD, elle prit lä la ddcision de se suicider. Elle avait 6crit le 18 juin 1920 : Moi qui plus que per" sonne mdrite de mourir par le sang. je pense avec tristesse. qu'indvitablemenl je mourrai

l'ancienne 6quipe. Serguei refusa de d6noncer sa femme. On I'aurait fusilld si I'on n'avait pas

7

dans un nceud coulant. » Lorsque

Mour ren-

tra. il trouva ce mot: « Mourlyga ! Pardonnemoi. mais cela aurait 6t6 de malen pis.Jesari grovement malada Je ne suis plus moi-m0me.

Je t'aime ä la folie. Comprends que je ne

selir dans le cadre d'une purge ä venir. Le Litfond (organisme d'aide eu I'intention de s'en

aux dcrivains) trouva ä Marina une chambre ä Golitsyno, ä une quarantaine de kilomötres ä I'ouest de Moscou. Pour s'acquitter

d'un

loyer fort cher et pour survilre, elle consacrait

r

l'essentiel de son temps ä traduire des textes du tchöque, du serbo-croate. du yiddish, de I'espapol. du gdorgien, du franEais. Naive. inconsciente, ddsespdrde, le 23 ddcembre, elle

[r

en aoüt 1940. Enjanvier 1941. elle dcrivait: « Que me reste-t-il ä part la peur pour Mour (santd, avenir, les seize ans qui s'approchent.

juin 1941, Marina rencontra pour la premiöre et demiöre fois Anna Akhmatova. celle qu'elle appelait en 1916: o Anna ä la bouche d'or de toutes les Russies.» La guene d6clen-

-

ddjä maitrisde. » La critique doit savoir seulement entendre : « Etre une oreille absolupoöte. ment juste ä l'6coute de l'avenirr6., le poöte authentique, pas le podtereau ou le rimailleur. est souverain : « C'est ainsi qu'on

enols. Marina laissait une France qui n'avait pas fait grand-chose pour elle. La famille fut un temps r6unie, bref rdpit avant l'6pilogue

gorifique convoyant des enfants r6fugi6s espa-

Rien ne lui paraissait plus absurde

et de mises au propre d'un

blanc s'6tait-il rapprochd de ses ancrens adversaires. Contactd par le Gudpdou. il de-

vint agent sor.i6tique. Impliqu6 dans le meurtre d'lgnace Reiss. agent passd ä l'ennemi. on ddcida de l'erfiltrer. Auparavant, en mars 1937. Anadna. sagide aur iddes bolcheviques, 6tait retoumie en U.R.S.S. Que pouvait faire Manna. seule alec Mour ä Paris ? [-a situation dtait sans issue. aussi rentra-t-elle en Russie

,

que les efforts poussifs des critiques qui s'efforcent d'expliquer la genöse d'un poöme par

pouvais plus vivre.

,

Le jeune adolescent de

seize ans parut prendre la chose de maniöre

ötrangement flegmatique, ainsi 6crivitil en franqais ä son meilleur ami, Mitia Sezeman o

C'dtait la meilleure solution

et

:

je lui donne

pleine et entiöre raison. » Pastemak lui confectionna un autre linceul : « Tes pieds ne touchent plus la terre/Tes yeux ne voient que le

divin/Comme autrefois, alors qu'altiöre/Tu ne croyais pas au mot

"fin"lr.

»

,

- force./lr poöte ne peut servir le peu- parce qu'il est lui-möme - peuple./Et

m€me

ple

avec cela pouvoir - d'un ordre supdrieur, force -d'un ordre supdrieur, etc./Le poöte ne peut

servir, parce qu'il sert ddjä, il sert int6gralement}. » Seule ä attendre des « averses de lumiöre Marina exigeait tout : « Regarde le ", ciel par la fenötre,/tout

dern::#t|tjil

,, A une amie en 1924. 2 Nina Berberova, Cbst noi qui sou/igne, Actes Sud, p. 228. 3 En date du 16 f6vrier '1936, l/ilre dans le feu, Le Livre de poche, p.405. 4 A Pasternak, 10 septembre '1924. 5 Prälace ä Ertrait de deux livres, Sobranie socinenij, p. 230. 6 Vivre dans le feu, p.141. 7, lbid., p. 490. & A Anna Teskova, 30 d6cembre 1925. 9 " Ma möre et la musique " dans CEuvres l, Seuil, 2009, p. 57. 1A lbid., p.58.11, lbid., p.55. l2Traduclion de V. Losky dans MarinaTsvötaeva, Solin, 1987, p, 23. 13 Prblace ä Extrait de deux livres, p.230.

14 Carnels, Editions des Syrtes, p. 222. 15 Neu{ Lettrcs avec une dixieme retenue... dans Guvres ll, Seuil, 2011, p. 1 98. 16 Cit6 par T. Todorov, dansVivre dans le feu, pröface, p.17. 17, D6cembre 1920, trad. T. Todorov, dans l/i|re dans le feu, pröface, p. 20. ,& A Anna Akhmatova, 17 aoüt 1921, 19. Citö par Dmitri Bykov, Boris Pasternak (lrad Helöne Henry), Fayard, 2011, p.168, 20, A Boris Pasternak, l0fevrier 1923. 27. A Olga Tchernova dans Eve Mallere| " postface " au Podme de la montagne el au Podne de la lin, L'Age d'homme, 1984, p.74. 22. Vivre dans Ie leu, p. 398. 23 Boris Pasternak, " A la mömoire de Marina Tsvötdäva ", trad. Michel Thiöry, 1943. 24. Le Poöte et le lemps, Le Temps qu'il fait, 1989, p. 159. 25, Le Poöte et la Cltlque, dans Rdclts el Essaß, t. ll, Seuil, p.512. 26 Exergue du Poete et laCritique, p.485. 22 " C'est

ainsi qu'on öcoute " dans Aprds /a Russie, Rivages, 2001, p.95. 2& Vwre dans le feu, p.403. 29. )uin 1920, traduction Sylvie Töcoutoff dans insomnie, Po6sie/Gallimard, p.102,

LIRE SEPTEMBRE

2013.

1O7


Livres oublies ou rnöconn,tß

I

LES JEUNES ANNEES DE LA CHAROI-AISE our les gourmets friands de gourgandines. nous

au flütiste, la Charolaise pratiquera aussi son cousin, un garqon

avons le plaisir d'enrichir l'inventaire des provinces

beau de partout. « Je me pr6tais ä tout ce qu'il voulut. Son ardeur fut si grande pendant douze ou quinze jours, qu'ä la fin il

avec une nouvelle championne. Vous avez aim6 la Belle Alsacienne et la Bourbonnaise. vous ap-

I

prdcierez sans doute la Charolaise. Ses aventures relatdes sous le titre La Grivoise du temps, olt la Charosont laise. Histoire secrette, nouvelle et vöritable faite en 1746 et mtse au jour en 1747. La Charolaise affiche 51 printemps lorsqu'elle entreprend de raconter ses ddbauches juvdniles. « L'on m'a

dit que j'6tais nde sur la fin du siöcle demier. [...] Je ne le puis cependant croire. car je me trouve encore si jeune et tant de feu pour les plaisirs que je ne puis comprendre que j'aye cin-

Passant d ceLx de

- une femme pourtant indulgente - se crut obligde de l'envoyer dans le couvent oü elle avait d6jä enfermd une autre de ses filles. C'6tait sous le rögne de la calamiteuse Maintenon. Les couvents. c'est bien connu, sont les meilleures 6coles de libertinage. mÖme en pdriode de bigoterie officielle. Une religieuse va enseigner ä la petite comment se donner de la joie malgr6 la p6nurie de garqons : volupt6 entre filles et aussi.l'art de manier un certain instrument. La novice Charolaise compl6tera son 6ducation avec sa saur ain6e. une d6bauch6e confirmde. Rassasides de ddlices anandrynes. elles quittent le couvent et retournent au chäteau tamilial. bien d6-

cid6es

ä s'offrir du

consistant. La

Charolaise avoue trös crüment qu'elle pr6före les hommes pounus d'importantes gamitures. Elle sera senie. d'abord par son maitre de flüte. un homme laid

continuer

C'est le

ces confessions,

I'Amour

portait vöritable

de lo Grivoße de nos

iottrs

t-a drölese n'est pas native du Charolais. Elle incame louiseAnne de Bourbon, Mademoiselle de Charolais, n6e ä Chantilly

en 1695, petite-fille par sa möre de Louis XIV et de Madame de Montespan. Mais le texte est apocryphe. Sous la R6gence et sous t-ouis XV. Mademoiselle de Charolais faisait partie du bataillon desjouiseuses. Frivole, toujours gaie, elle s'adonnait sans trÖve ä tous les plaisirs, table et alcöve.

Attelde trös töt, elle ne ddtela que fort tard. Son tableau de chasse fut impressionnant si l'on en croit les Mdmoires, lettres et chansons du temps. L'Histoire de la Charolaise est un tableau amusant du libertinage au ddbut du XVIII" siöcle, du monde princier oü l'on joue, des bals masquds de l'Op6ra, des couvents oü I'on enseigne autre chose que I'histoire

sainte... Les confessions de Mademoiselle de Charolais n'ont 6td publi6es

Elle qui n'a connu que l'imitation toc. va enfin ddcouvrir I'original. Elle ne poura plus jamais s'en passer. Son ai-

qu'en 1919, ä I'enseigne de la Bibliothöque des Curieux. la maison d'6dition des fröres Briffaut, des amis de G. Apollinaire. Le manuscrit original se trouvait ä la bibliothöque de Chateauroux. Je crois qu'il y dort encore.

nde est beaucoup moins vernie car son professeur de viole est chaste. La cadette la consolera en renouant avec les habitudes du couvent. Sans renoncer

Franqois Couperin. qui sans doute apprdciait La Charolaise ä sa juste valeur, a donn6 son nom ä une exquise piöce de clavecin.

de visage mais admirablement outilld.

n

» Faute de

treprendre pour me diverlir. Ainsi s'achövent " avec un mirliton en guise de colophon : La ftte chaude con'tme une Picarde Le ctLl comme tme Savoyarde

plutöt qu'avec les demoiselles de mon äge ; et mon goüt a tousi d6cidd pour eux que je n'h6sitois point ä choisir les

de sang illustre, sa möre

parlie.

et vigoureux » et bien d'autres encore... u Je suis vraiment grivoise, c'eslä-dire au poil et ä la plume, et capable de tout en-

Le ccntr d'une princesse, Ennentie de la tristesse. Des plaisirs de la table

plus grands et les mieux faits. , A l'äge de 8 ans elle fut surprise la main dans la culotte d'un gargon de 13 ans. Comme elle 6tait

+

les dents et renonqa ä la

l'ordinaire auquel il I'avait accoutum6e, elle repÖre un jeune seigneur courlaud mais carr6. Suit un abbd « grand, bien fait

quante ans et plus. » Ses dispositions pour [a voluptd se sont manifestdes trös töt : « A peine avais-je l'äge de raison que je recherchais avec empressement ä jouir avec les jeunes gens jours 6t6

=

tomba sur

LIRE SEPTEMBRE 2013' 109


INDEX

.La

Z= Ll\-t//rt< /*

öE§ PRINCIPAUX OUVRAGES CITES Lire a aim6 :

{

un peu

**

beaucoup

passionn6ment

***

****

gänial

i

pas du tout

/, .(rclvlÄ-lbrn 37 *** 56 ***

Moment d'un d'aimer

Arnaud

Cathrine

Je ne retrouve

Marie Darrieussecq

personne

L' yl-< .

Vertacales

42

*** **

aimer les hommes La Vöritable Histoire de Cicöron

Claude Dupont (textes r6unis r

**

***

Les Belles Lettres

74

***

*** ** *** Sylvie Germain

Petites Scdnes capitales

Albin Michel

un

*** ** *** **

Actes marchö devint roi Belles Lettres

29 ** L'Evönement ce du roman, du * Non " d'Andrö Malraux

Editions de

ln Treatment. Lost in therapy Au revoir lähaut

Pierre Lemaitre

.

Leonora

Miano

Albin Michel

: un röcit Non ".

**

f ragments

sur la Räsistance L'Esprit de l'ivresse La Sa/son de l'ombre

Loib Merle

**

la

Actes Sud

Grasset

52 ***

44

Une annöe qui commence bten

**

***

a

* Le iour oü i'ai rencontrö ma arme

Boris

Razon

Jean

Rolin

Ormuz

Serge Sanchez

La Lampe de Proust et autres ob|ets de la liiörature

Jean-Pierre z€rcdet ldath

Zertal & Akiva

LaTahte Ronde

Palladium

Eldar

Andrö Mahaux. Les öcrits sur l'aft Les Siergrneurs de la terre

1.I O. LIRE SEPTEMBRE 2013

P.O.L

55

***

43

***

56

***

** **** ** *** * *** ** ****


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