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Déconstruire l’homme quelle place peuvent prendre les hommes cis dans le féminisme ?

DÉCONSTRUIRE L’HOMME Quelle place peuvent prendre les hommes cis1dans le féminisme ?

Les luttes féministes nous concernent toustes, que nous soyons homme ou femme, cisgenre ou transgenre, non binaire, gay, bi, hétéro, quelle que soit notre identité, notre appartenance, notre sexualité. En effet, afin de régler un problème qui s’applique au niveau de toute la société, nous devons le régler ensemble. Ainsi, chacun·e doit participer à la lutte féministe qui s'attaque à toutes les discriminations, qu'elles soient sexistes, sexuelles ou racistes, adoptant ici une vision intersectionnelle2 des luttes féministes. Le féminisme nous permet de nous détacher de la pression créée par les codes restrictifs imposés aux individus et de la masculinité toxique.

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Cependant, bien que les hommes devraient être alliés des luttes féministes si nous voulons réellement avancer et changer les choses dans nos sociétés, il est complexe de dire qu’un homme cisgenre peut être lui-même féministe. C’est en effet un débat que l’on retrouve dans les luttes féministes : certains ne se sentent pas légitimes de se revendiquer féministes et se revendiquent en tant que sympathisants ou alliés, alors que d’autres considèrent que tout le monde se doit d’être féministe. Ces deux approches ont pourtant le même but de déconstruction des normes patriarcales imposées sur la société toute entière.

1 Cisgenre : qualifie une personne dont l’identité de genre est en concordance avec le genre qui lui a été assigné à la naissance.

2 Intersectionnalité : notion qui étudie les formes de domination et de discrimination non pas séparément, mais dans leur intersection. Par exemple, une femme racisée peut être victime de discrimination à la fois en raison de son genre et de sa couleur de peau.

Alors pourquoi le fait de dire qu’un homme cis est féministe peut poser problème pour certaines personnes ?

Un homme cis, bien qu’il puisse déconstruire les idées sexistes qui l’ont formé depuis son enfance et se remettre en question, ne peut jamais perdre les privilèges que son statut de domination lui offre. Se dire féministe serait considéré comme une réappropriation de la cause qui condamnerait son propre statut. Le féminisme est la lutte des personnes sexisées, c’està-dire les personnes qui font face aux discriminations de genre. Les hommes cis sont donc bien des alliés. Pour mieux comprendre, on peut comparer la situation dont on parle à la suivante : il est accepté dans les mouvements antiracistes que les personnes blanches sont des alliées et non des membres du mouvement, car ce n’est pas une lutte qui les concerne directement. Il en est de même pour les hommes cisgenres, qui vivent les conséquences du patriarcat et non le patriarcat directement.

De nos jours, on entend revenir le débat sur les espaces en non-mixité choisie. Beaucoup s’offusquent du principe des réunions non-mixtes : la non-mixité est-elle un projet (éventuellement caché) de séparatisme des sexes animé par ce qui est parfois désigné comme une haine des hommes ? Pourtant, dans certains milieux féministes, les espaces en non-mixité sont considérés comme de véritables outils d’émancipation. En effet, la non-mixité :

1. Garantit aux femmes* le contrôle politique de leur lutte, c’est-à-dire d’être autonomes pour définir leurs revendications et les stratégies adoptées, sans l’influence des hommes cisgenres. Par exemple, dans un groupe ou une association luttant contre le sexisme, la non-mixité des postes de gestion et de direction est nécessaire.

2. Permet la libre expression des femmes* et minorités de genre : les femmes* peuvent y adopter différents rôles et non pas seulement les rôles assignés par les normes de genre de la société.

Des exemples dans l’histoire militante ?

« un homme cisgenre, blanc, hétérosexuel et privilégié économiquement ne pourra jamais connaître ce que ressent une personne qui subit du sexisme, du racisme, de l’homophobie, etc. Il est donc important de s’informer et se questionner afin de comprendre comment on reproduit nous-mêmes le sexisme et les logiques patriarcales ancrées dans la société »

Femmes*

Ce mot est utilisé afin de désigner toute personne identifiée et/ou s’identifiant comme femme, femmes cis et transgenres, personnes trans, intersexes et non-binaires.

• Les groupes d’extrême gauche qui se constituent au fil des années 1960 et pendant les mobilisations de mai et juin 1968.

• Durant le Freedom Summer, en français « l'été de la liberté », en 1964 au Mississipi.

Dans ces deux exemples, mais dans beaucoup d’autres contextes également, les femmes ont été reléguées à des tâches subalternes telles que la cuisine, le ménage, ou d’autres tâches d’organisation matérielle de la vie militante. Les femmes ont également été délégitimisées dans leurs prises de parole et écartées des lieux de décision.

• Le Camp de femmes pour la paix de Greenham Common de 1981 à 2000.

Ce campement est exclusivement réservé aux femmes depuis 1982, afin de marquer leur volonté de s’affirmer dans un domaine strictement réservé aux hommes. De plus, « lorsque des hommes sont invités au camp dans le cadre d’actions et d’événements, il leur est spécifiquement demandé de participer aux crèches pour les enfants, à la cuisine et à d’autres formes d’assistance traditionnellement dévolues aux femmes »3 .

La non-mixité ne s’applique pas uniquement à la non-mixité sans hommes cisgenre, il existe aussi des espaces en non-mixité queer, en non-mixité de personnes racisées ou de femmes racisées, etc.

3 Anna Feigenbaum dans « Le camp pour la paix exclusivement féminin de Greenham Common », juin 2017.

Comment être un bon allié ?

Plusieurs associations et organisations de défense des droits des personnes sexisées ont publié des conseils destinés aux hommes cisgenres afin d’être de bons alliés du féminisme.

1. Se déconstruire

Mais comment ? La déconstruction est sûrement l’étape la plus compliquée, bien que la plus importante. Elle passe par la remise en question afin de comprendre ses propres privilèges et son propre comportement. Par exemple, un homme cisgenre, blanc, hétérosexuel et privilégié économiquement ne pourra jamais connaître ce que ressent une personne qui subit du sexisme, du racisme, de l’homophobie, etc. Il est donc important de s’informer et se questionner afin de comprendre comment on reproduit nous-mêmes le sexisme et les logiques patriarcales ancrées dans la société (ceci ne s’applique pas qu’aux hommes cisgenres, car toute personne est influencée par ces normes). Il faut donc s’écarter de la masculinité hégémonique et accepter de perdre ses privilèges. Afin de faciliter ce processus de déconstruction, il faut travailler sur son empathie, c'est-à-dire sa capacité à se mettre à la place, à comprendre les émotions et le vécu des autres.

Une partie de la déconstruction consiste aussi à se rendre compte des intersections entre les discriminations multiples. C’est le concept d’intersectionnalité. Les femmes* ne sont pas seulement discriminées sur base de leur genre, certaines femmes* sont discriminées également car elles sont noires, lesbiennes ou transgenres par exemple. La déconstruction est un travail constant tout au long d’une vie. Tu ne connais pas les concepts de white feminism ou d'intersectionnalité ? Une petite recherche Google pourra t'aider. Penche-toi sur le sujet et faistoi ta propre opinion ! De nombreuses ressources existent, telles que des textes, des podcasts, des documentaires, des articles, des sites internet, des comptes Instagram, et bien plus encore.

« Une partie de la déconstruction consiste aussi à se rendre compte des intersections entre les discriminations multiples. C’est le concept d’intersectionnalité. »

2. Apprendre à être actif sans être oppressant

Il est important, comme mentionné auparavant, que les hommes cisgenres ne s’approprient pas les luttes féministes, les espaces de parole, l’organisation des idées. Ainsi, il faut qu’ils apprennent à écouter activement, et accepter de ne pas tout savoir ou d’avoir tort. Ils doivent donc accepter de se mettre en retrait pendant un débat et se taire pour écouter l'avis des personnes concernées.

Dans cette logique, il faut éviter des réflexes tels que le mansplaining4, qui consiste, pour des hommes cis, à expliquer aux femmes, souvent avec condescendance, des choses évidentes qu'elles connaissent déjà. Le mansplaining peut aussi faire référence à quand les hommes cis parlent de féminisme aux femmes* en pensant mieux comprendre ou connaître une expérience sexiste qu’elles. Une autre pratique à éviter est le manterrupting5, c’est-à-dire l’action d’interrompre une femme* alors qu’elle est en train de parler. Ces pratiques sont compliquées à déconstruire car, souvent, les hommes cis ne se rendent même pas compte qu’ils le font. C’est pourquoi l’apprentissage et la compréhension de ces notions est importante !

3. Lutter contre les stéréotypes au quotidien

Agir ne se fait pas uniquement à travers le fait de militer dans la rue, cela se fait également dans ton environnement de tous les jours, que ce soit au travail, à la maison ou avec tes ami·es. S’il y a une manifestation, tu peux sortir montrer ton soutien, mais tu peux aussi proposer à ton/ta partenaire de rester à la maison pour t’occuper des enfants (si vous en avez) pour qu’iel puisse sortir dans la rue l’esprit tranquille. Tu peux également réduire la charge mentale de ton/ta partenaire en divisant les tâches sans attendre de remerciements en retour. Tu peux réagir aux comportements sexistes que tu observes autour de toi, sans remettre en cause la victime mais en écoutant sa parole. Il est aussi important d’arrêter de cautionner et normaliser le slutshaming (pratique qui consiste à juger une femme* pour sa sexualité active), le body shaming (pratique qui consiste à juger une personne pour son apparence physique), etc.

4 Contraction des mots « man » et « explaining » 5 Contraction des mots « man » et « interrupting »

Masculinité hégémonique

Ce terme fait référence aux caractéristiques associées à la forme dominante de représentation de la masculinité et du patriarcat dans notre société. C’est la représentation culturelle d’un idéal masculin supérieur au féminin. Cette masculinité est différente selon le moment historique, et est aujourd’hui caractérisée par la masculinité toxique : les « normes » du comportement masculin qui ont un impact négatif sur la société. La masculinité toxique est représentée par des caractéristiques telles que la force physique et l'utilisation de la violence, la suppression des émotions, la sexualité performante et compulsive et l’homophobie. Même si cette forme est dominante, il existe d’autres formes de masculinités. Les hommes ne se conforment donc pas tous à cette masculinité hégémonique, ce qui justifie les violences que subissent ceux qui en sont exclus.

« Le féminisme ne vise pas seulement l’amélioration du statut des femmes*, mais aussi la libération de toustes les membres de la société des normes genrées qui leur sont imposées. Déconstruire le patriarcat avec une perspective féministe, c’est mettre en lumière des inégalités qui existent dans l’autre sens : celui où les privilèges sont aussi un poids ! »

Mais qu’est-ce que j’y gagne ?

Le féminisme ne vise pas seulement l’amélioration du statut des femmes*, mais aussi la libération de tous les membres de la société des normes genrées qui leur sont imposées. Déconstruire le patriarcat avec une perspective féministe, c’est mettre en lumière des inégalités qui existent dans l’autre sens : celui où les privilèges sont aussi un poids ! Le féminisme peut donner l’inspiration aux hommes cis pour évoluer vers des amitiés et des relations plus coopératives et égalitaires, vers un plus grand partage des soins et des responsabilités professionnelles, ainsi que réduire la violence organisée et individuelle.

Avec une perspective éco-féministe, on peut même ajouter une reconnaissance des problématiques liées au climat. Pourtant, cette libération passe par le fait que les hommes cis doivent accepter de perdre leurs privilèges, de se séparer de cette logique dont le but est d’y gagner quelque chose. Comme le dit le compte Instagram @dou.interjection.dexasperation :

© Sabina Jaworek

« Arrêtons avec les injonctions du type “il faut lutter main dans la main”. Arrêtez de nous

dire “pas tous les hommes”. Volontairement ou non, tous les hommes cis, à fortiori blancs,

profitent, bénéficient, du patriarcat. C’est un constat, pas une attaque.

S’ils doivent lutter, c’est par dégoût de leurs propres privilèges, par envie réelle de justice sociale, pas parce que ça les arrange, ça marche pas ce truc là. Si un mec cis profite de sa prétendue lutte féministe, c’est qu’il lutte pour lui-même. Si un mec cis a besoin qu’on lui explique ce que ça lui apportera de lutter pour l’égalité, avouez qu’on est pas rendus.»

Caroline Franzen

Stagiaire en animation au SCI

POUR ALLER PLUS LOIN

• Collecti.ef 8 maars a publié une checklist des 9 commandements des hommes alliés à la grève du 8 mars

• ONU femmes : pour des informations et conseils pour être un bon allié du féminisme ainsi que pour s’informer

• Comptes Instagram : Womens march, Balance ton bar, Clit révolution, Paye_ton_mansplaining, Préparez_vous_pour_la_bagarre, Simone média fr, Meufcocotte, D’ou interjection d’exasperation

• Podcasts : Les couilles sur la table, Mansplaining et La poudre

• Documentaire : « Les hommes, féministes ou alliés ? » (2021), Kreatur #19, Marianne Skorpis, Arte

• BD : « Le pouvoir de l’amour » de Emma, sur emmaclit.com"

• Chaîne YouTube : « Pop culture detective » (essais vidéos sur la représentation de la masculinité dans les films et les séries)

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