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La force du lien

Changer de pays, de culture, de mode de vie, d’habitudes. Perdre ses repères, se reconstruire ailleurs. Ce n’est facile pour personne... Surtout si on y est contraint. La clé : les liens humains, l’ouverture, la bienveillance, la déconstruction des préjugés. Simple mais indispensable. Rencontre avec Mamadou, guinéen, volontaire au SCI depuis 2019.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

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Je m’appelle Mamadou Bailo Diallo, je suis originaire de Guinée. J’ai fait des études universitaires en sciences politiques et relations internationales. Dans mon pays, j’étais actif en tant que militant politique. Il faut savoir que le régime en place est un régime autoritaire. Après une succession d’événements, j’ai senti que ma vie était en danger. Pour ma sécurité, j’ai dû quitter mon pays. Je suis arrivé en Belgique en juillet 2019 en tant que demandeur d’asile. Après deux ans d’attente au centre d’Arlon, j’ai obtenu le titre de réfugié politique.

Comment es-tu arrivé au SCI ?

J’ai découvert le SCI un mois après mon arrivée en Belgique, grâce à une amie du centre d’Arlon pour demandeurs et demandeuses de protection internationale, qui avait déjà réalisé des activités avec l’association. Elle m’a mis en contact avec Marjorie. Je me suis immédiatement engagé comme volontaire. Je cherchais à faire des rencontres, à m’intégrer dans la vie sociale en Belgique et à aider des gens qui en ont besoin. Je suis très sensible aux thématiques sociales. J’aime aider les gens autour de moi. J’ai donc réalisé des projets de volontariat dans des fermes, dans des centres pour personnes porteuses de handicap, dans le cadre d’Oxfam Trailwalker à Saint-Hubert, etc. J’ai participé à plusieurs week-ends de rentrée du SCI également. Et j’ai réalisé un projet en Bulgarie centré sur l’éducation non formelle. Dernièrement, Manu m’a proposé d’animer un atelier et de partager mon expérience avec des jeunes qui partent en Afrique prochainement. Ils ont vraiment apprécié mon intervention, surtout nos échanges sur la culture africaine et nos modes de vie. Toutes ces activités avec le SCI m’ont permis de faire des rencontres et de connaître d’autres cultures, car il y avait toujours des personnes de différentes nationalités. D’ailleurs, je suis resté en contact avec certain·es volontaires rencontré·es pendant les projets.

© Mamadou Diallo

© Mamadou Diallo

Quels sont tes souvenirs marquants avec le SCI ?

J’ai réalisé un volontariat dans une maison avec des personnes porteuses de handicap. Quand on est arrivé·es et qu’ils et elles nous ont aperçu·es, iels étaient vraiment content·es. On a joué au bowling avec eux et elles, on a été se promener, on a échangé… On a aidé certaines personnes qui ne savaient plus se mouvoir seules à se mettre sur le dos, d’autres à manger. Certain·es résident·es ne savaient pas marcher. On était là pour communiquer avec eux et elles, les sortir un peu de leur isolement. J’ai alors pris conscience de la chance que j’avais. J’ai remercié le bon dieu d’avoir toutes mes facultés physiques et mentales. Je l’ai remercié de pouvoir subvenir tout seul à mes besoins, sans l’aide de personne. Quand tout va bien, on ne se rend pas compte de la chance qu’on a. C’est une activité qui m’a beaucoup touché. Très intéressante et très poignante.

Je pense aussi à un autre souvenir interpellant pendant mon projet en Bulgarie. Durant mon séjour, j’étais le seul originaire du continent africain. Je me suis rendu compte que les autres participant·es avaient beaucoup d’idées préconçue à propos de l’immigration. La manière dont ils et elles voyaient les choses a évolué après mon témoignage. Je leur ai expliqué, à travers mon parcours personnel, ce qui pousse réellement les jeunes à émigrer. L’idée selon laquelle les migrant·es quittent leur pays de plein gré pour rejoindre l’Eldorado européen est encore très présente. Pourtant, dans la plupart des cas, nous quittons notre pays car nous y sommes contraint·es et forcé·es, parce que notre vie est en danger, parce que les populations sont réprimées par les pouvoirs publics autoritaires, parce qu’il n’y a pas d’emploi, pas d’aide de l’état, pas de sécurité sociale, parce que la pauvreté et la famine sévissent… Dans ces conditions, émigrer n’est pas un libre choix, c’est une question de survie. Si nous voulons vivre, nous devons fuir notre pays. Si toutes les conditions pour une vie décente étaient réunies dans nos pays d’origine (emploi, alimentation « L’idée selon laquelle les migrant·es quittent leur pays de plein gré pour rejoindre l’Eldorado européen est encore très présente. Pourtant, dans la plupart des cas, nous quittons notre pays car nous y sommes contraint·es et forcé·es, parce que notre vie est en danger, parce que les populations sont réprimées par les pouvoirs publics autoritaires, parce qu’il n’y a pas d’emploi, pas d’aide de l’état, pas de sécurité sociale, parce que la pauvreté et la famine sévissent… Dans ces conditions, émigrer n’est pas un libre choix, c’est une question de survie»

suffisante, eau potable, régime politique démocratique, respect des droits de l’homme, etc.), il y aurait peu de migrant·es qui viendraient encore en Europe. C’est la souffrance, la pauvreté et le danger qui poussent à l’immigration de l’Afrique vers l’Europe. Cet échange m’a marqué car j’ai pris conscience que les participant·es, tous et toutes venu·es d’Europe, avaient une vision tronquée de l’immigration et des conditions de vie en Afrique. Il y a encore un long chemin à parcourir pour faire changer la manière dont les personnes exilées sont perçues en Occident et pour déconstruire les stéréotypes et les idées préconçues.

© Jean-François Vallée

Qu’est-ce que ton expérience en tant que volontaire a changé pour toi ?

« Selon moi, c’est surtout en essayant de créer des contextes de rencontre entre les Belges et les étrangers que les nouveaux et nouvelles arrivant·es apprennent à appréhender plus facilement la Belgique. Je conseillerais donc de multiplier les moments de discussion et d’échanges sur les cultures, sur les expériences de chacun·e, sur les modes de vie, comme ça se fait souvent avec le SCI. »

Quand je suis arrivé de Guinée, l’aspect relationnel a été compliqué. Dans mon pays, nous vivons en communauté. C’est plus facile d’échanger avec d’autres personnes. Par exemple, nous nous réunissons souvent entre voisin·es avec tous les enfants. Nous passons des journées tous et toutes ensemble. Si tu as besoin de quelque chose ou juste de parler, tu peux demander à ton ou ta voisin·e. Ses enfants sont aussi les tiens, et inversement. Ici, c’est plus rare. En Belgique, la communauté, c’est la famille. Alors quand je suis arrivé, je pensais que j’allais retrouver le même mode de vie communautaire qu’en Guinée, mais pas du tout. Ce n’était pas facile car je n’avais personne avec qui communiquer. Je ne pouvais pas rentrer chez les gens et discuter avec eux et elles. Cette différence culturelle a été difficile pour moi pour m’intégrer à la société belge. D’autant plus que je vivais dans un centre pour demandeur·euses de protection internationale. Dans ce genre de lieu, nous avons tous et toutes des origines différentes et chaque nationalité a sa manière de vivre. Et en dehors du centre, il faut faire face à de lourds préjugés. Quand on est immigré·e, on est souvent la © Mamadou Diallo cible de comportements discriminants. Par exemple, dans un supermarché proche du centre, les vigiles demandent souvent aux personnes de couleur d’ouvrir leur sac pour vérifier qu’iels n’ont rien volé. Ce qu’iels ne font pas avec les blanc·hes. Je trouve ça très offusquant de faire la distinction entre les gens. d’interagir avec les autres et de venir déposer son expérience sans être jugé·e ou stigmatisé·e. Je me suis dit que si le SCI était capable de ce genre de démarche, alors que la plupart de ses employé·es sont européens, peut-être que c’était comme ça aussi dans le reste de la société. Pourquoi ne pas aller vers les autres, également, en-dehors de ce cadre ?

Mon expérience au SCI m’a permis de surmonter mes propres préjugés par rapport à la société belge, mais pas seulement. Je suis quelqu’un de timide. Donc au début, en arrivant en Belgique, j’étais plus réservé. Grâce aux rencontres que j’ai faites pendant les différents projets et animations, j’ai appris à être plus ouvert, à aller plus facilement vers les autres. Plus je communiquais, plus ça devenait facile pour moi, plus j’étais à l’aise pour aborder de nouvelles personnes. Je me suis rendu compte que les personnes en face de moi le ressentaient. Alors elles aussi devenaient plus ouvertes, et dans de meilleurs dispositions pour entamer une discussion. Donc je peux dire que le SCI m’a permis de m’intégrer plus facilement à la société belge. Il m’a apporté des rencontres et des apprentissages.

Quel conseil donnerais-tu à un·e personne immigré·e qui vient d’arriver en Belgique ?

Toutes ces premières expériences au contact de la société belge et les différents chocs culturels que j’ai vécus m’avaient amené à construire, moi aussi, des préjugés vis-à-vis de la population. Je pensais que les Belges étaient peu enclins aux rencontres et au dialogue avec les personnes étrangères. Le SCI m’a prouvé le contraire. J’ai pu déconstruire ces a priori grâce aux rencontres que j’ai effectuées là-bas. En m’immergeant dans les activités du SCI, j’ai observé leur volonté d’aider les gens et d’inclure tout un chacun, leur dynamisme pour mettre en place un cadre d’accueil bienveillant qui favorise l’échange, leur capacité à créer des contextes conviviaux dans lesquels tout le monde est le bienvenu, où chacun·e se sent libre Je pense que, quand on arrive dans un nouveau pays, c’est important d’essayer de s’intégrer. Pour y parvenir, une formation, courte ou longue, aussi petite soit-elle, peut être une bonne porte d’entrée (par exemple via le Forem). Et en tant que demandeur·euse de protection internationale, tu as aussi la possibilité de t’inscrire dans une école. De mon côté, en ce moment je suis des cours d’allemand car j’habite dans la communauté germanophone. C’est une bonne façon de s’intégrer, de rencontrer d’autres personnes, de voir comment les choses fonctionnent en Belgique, de percevoir la culture mais aussi d’entrer dans le marché de l’emploi une fois que tu obtiens ton titre de séjour.

© Mamadou Diallo

Je conseillerais également de ne pas s’entourer uniquement de personnes originaires du même pays que soi, mais d’aller à la rencontre des Belges. Les centres pour demandeur·euses de protection internationale proposent des cours d’intégration durant lesquels on apprend quelques caractéristiques de la culture et du mode de vie belge. Iels organisent aussi des visites de lieux liés au patrimoine belge. C’est intéressant, mais ce n’est pas suffisant. Selon moi, c’est surtout en essayant de créer des contextes de rencontre entre les Belges et les étrangers que les nouveaux et nouvelles arrivant·es apprennent à appréhender plus facilement la Belgique. Je conseillerais donc de multiplier les moments de discussion et d’échanges sur les cultures, sur les expériences de chacun·e, sur les modes de vie, comme ça se fait souvent avec le SCI. Des moments pour parler un peu de soi, de comment on vit dans son pays, mais aussi pour entendre d’autres expériences de personnes qui vivent en Belgique. Ça permet d’être intégré·e plus facilement et de se sentir moins isolé·e.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Dans un premier temps, j’aimerais trouver un emploi et contribuer au développement du pays qui m’a accueilli. Je recherche un travail dans une ONG, une institution gouvernementale ou parlementaire, en lien avec ma licence en sciences politiques, dans le domaine des relations internationales. Ensuite, j’aimerais créer une asbl dans le domaine de l’immigration. Une association qui se chargerait d’aider les immigré·es à s’intégrer à la vie en Belgique. Un organisme qui créerait ces espaces de rencontres entre immigré·es et Belges, qui proposerait de mettre en contact et de croiser ces différents publics. Une association qui aurait comme mission de faciliter les liens, l’interculturalité et donc l’intégration.

Propos recueillis par Céline Maquet

Stagiaire en animation au SCI

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