introduction
constat / refleXion / hypothèse
avec environ une population de 9000 habitants, une gare qui dessert b ordeaux, agen et toulouse, trois crèches, quatre écoles maternelles, quatre écoles primaires, deux collèges, un lycée professionnel, deux stades municipaux avec une équipe de rugby à 13 réputée, un centre hospitalier, une piscine municipale, un cinéma, un centre culturel, une école de musique, une salle des fête remis au goût du jour, une grande variété d’associations en tout genre, des industries importantes qui emploient, tonneins peine malgré ça à se dynamiser. situé dans le département du lot et garonne, j’ai grandi dans cette ville comme un petit garçon lambda, participant de près ou de loin à chaque élément précédemment cités. important pour la croissance et le bon fonctionnement interne de cette dernière, ces équipements ne semblent pas être suffisants. le centre-ville perd petit à petit son attractivité, les commerces qui prenaient place dans la rue principale disparaissent du paysage local, ou dans le meilleur des cas, se déplacent au profit d’une zone commerciale en périphérie qui accueille sans arrêt de nouvelles enseignes. pour le jeune homme que je suis, avec mes amis, si nous souhaitions boire un verre, il y a seulement deux bars dans le centre-ville, dont un qui ferme à 19h00 chaque soir et le second à 22h, même le samedi. les rues ne sont guère vivantes, vides, et les places désertes. alors le tableau que je dresse ici semble, à la lecture, être chaotique et d’une tristesse redoutable, mais il n’est pas si terrible qu’il n’y parait. J’ai mis du temps à comprendre ce qu’il s’y passait réellement. Je vous parle d’un constat personnel et réfléchis, celui d’un homme qui à vécu 18 ans, 7 jours sur 7 dans ce climat. Je considère quand même tonneins comme ma ville !
dans ce dynamisme mouvant, j’ai pratiqué ce territoire de fond en comble, en perpétuelle quête de sensation, de nouveauté, de richesses cachées. J’ai participé à des associations sportives, culturelles, souvent avec des amis, ou avec mes parents. avec mon vélo comme moyen de locomotion, je me suis baladé dans quasiment toutes les rues et ruelles que composent la ville. durant ces expéditions à l’échelle d’un enfant, j’ai remarqué un bâtiment aux proportions démesurés. lors d’une après midi avec mon ami paul marcon, nous nous sommes imaginés que si nous devenions riche, il faudrait le racheter pour en faire quelque chose dont on aurait nous l’utilité. nous avions à peine 14 ans !
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J’ai appris plus tard que cet édifice est devenu un emblème de la ville, qui se morfond aujourd’hui derrière de grandes façades silencieuses. identifiable par son style architectural, mais surtout par son histoire et le passé qu’il renferme, ce bâti est depuis presque vingt ans une source de questionnement sans fond. tonneins mesure près de 3 500 hectares, et au centre, au croisement des deux principaux axes routiers de la ville, connecté aux rails de chemin de fer ainsi qu’à différents équipements publics, trône ce vestige d’une autre époque. ancienne manufacture de tabac, qui abritait la société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes, plus connue sous son acronyme seita, elle ferma le 31 décembre 2000. symbole du passé glorieux de la ville mais aussi de la région (premier département à importer le tabac en france vers 1637 à clairac), c’est aujourd’hui une coquille vide, de temps en temps visitée, squattée, parfois investie par les exercices de gendarmerie, de pompier, ou encore par les praticiens de l’urbex. inscrite en plein cœur d’un territoire qui se cherche, qui tente par sa nouvelle municipalité de raviver l’image et l’attractivité de sa ville, la « manu » (surnom que lui donnent les habitants locaux) reste debout mais inerte. a ma connaissance, un ami du collège à depuis monté un restaurant de cuisine française sur le trottoir d’en face. un autre a fondé une association de sports de glisse (skateboard, roller, bmx, trottinette) et il est actuellement en pour-parler avec la mairie avec l’objectif de trouver un espace assez grand pour construire un skatepark couvert. le maire lui réunit déja une fois par an durant un week-end, une trentaine de street-artistes à qui il propose un morceau de la ville dans le but mettre des couleurs et de la vie. motivé par l’image que darwin draine depuis b ordeaux à l’échelle de la région, j’ai entendu que cet élu serait adepte de ce qui s’y développe culturellement.
alors c’est ici la convergence entre un constat et une réflexion personnelle qui m’ont amené à émettre une hypothèse. en utilisant ce lieu doté d’une enveloppe quasi intacte, en y incorporant un programme dont le territoire et ses usagers ont réellement besoin, ajouté à la valeur patrimoniale et sentimentale qu’a cette énorme carcasse, je pense qu’il y a là, la présence d’un réel d’un potentiel de développement à l’échelle rurale. persuadé que le territoire a des besoins auxquels il faut subvenir, conscient d’un étalement urbain grandissant et d’un patrimoine industriel présent et délaissé, c’est par une occupation nouvelle et attractive de la manu que pour moi réside en ce lieu l’espoir. ironie du sort, en février 2018, l’école d’architecture de b ordeaux proposait un workshop international en résidence à tonneins, intitulé rurbanité - un apprentissage collectif pour re-habiter ouvert aux étudiants en master architecture, à ceux en formation paysage ainsi qu’aux étudiants en mobilité à l’école, c’était l’occasion pour la municipalité d’accueillir un début de réflexion sur le devenir de cette ville. organisé par le garap (groupe d’action recherche architecture paysage), en partenariat avec le 308 - maison de l’architecture en nouvelle aquitaine, la ville de tonneins et l’ensap de b ordeaux, la mission proposée aux étudiants était de réfléchir, en immersion, au besoin de renouvellement des stratégies de développement de ce territoire « rurbain ».
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« pour ne pas être réduits à un simple tissu périurbain, les territoires ruraux à proximité de métropole (voir mégalopole) doivent valoriser leur héritage rural, artisanal et industriel dans leur politique territoriale. l’architecture dans le paysage et du paysage, devient un vecteur crucial dans la réflexion et l’invention de nouveaux modes d’habiter le territoire, proposant peu à peu un lexique des lieux et retissant les liens entre le paysage et les habitants3. »
hébergés chez l’habitant pendant une semaine, les étudiants ont donc participé à un atelier ouvert à tous au sein de la salle des fêtes, transformée pour l’occasion en un espace de travail devenant le théâtre de réflexions. l’équipe enseignante, accompagnée de conférenciers invités, a donc organisé cette résidence étudiante dans le but de requestionner l’héritage rural, industriel, mais surtout l’architecture comme un vecteur d’une nouvelle manière de fabriquer la ville, et d’habiter le territoire. etant très occupé à cette période de l’année par un projet personnel d’ampleur, j’ai suivi de loin ce workshop participatif qui confortait l’hypothèse de cet habitant tonneinquais que je suis.
cette initiative politique et culturelle de la part de ces instances publiques couplée à l’identification sommaire de besoin pour des acteurs locaux désireux de développer quelque chose est pour mois une première orientation de réponse. J’aimerai apporter à cela une orientation particulière, en choisissant de glorifier le passé, le mettre en valeur, en y injectant quelque chose de bénéfique pour ce qu’il y a autour. pour se faire, il me faut d’abord comprendre le constat qui concerne un certain désintéressement du territoire local, de la part d’une population victime d’un manque de cohésion territoriale. il s’agira ensuite de soulever le ou les leviers possibles et plausibles qui permettraient de donner naissance à une volonté nouvelle de considérer la ville autrement. a l’aide de divers exemples sélectionnés en fonction de leurs différences, je vais tenter d’approcher la question programmatique, sa mise en place et son impact, tout en comprenant son échelle d’application sur le territoire. Je suis parti à la rencontre d’un acteur majeur de cette considération alternative de la profession à saint-denis (93), pour tenter de comprendre quel jeu d’acteur permettait la mise en place d’un système collaboratif frugal et efficace pour un quartier qui se cherche. support d’un dynamisme nouveau, il sera question de redéfinir le rôle de l’architecte ainsi que le processus de projet lui-même, dans ce schéma différent des conventions habituelles. là où la commande n’existe pas, c’est comprendre comment se greffer autour de ces projets aux perspectives sociales par le spatial.
en somme, c’est comprendre par quels moyens faudrait-il aborder cette revalorisation du patrimoine afin qu’elle suscite de l’intérêt qui ré-engagerait une population et son territoire. en s’immisçant à l’endroit opportun, avec une démarche collective et partagée, mon but est de révéler l’intérêt de la notion collaborative pour fabriquer la vi(ll)e autrement. J’avance alors l’hypothèse suivante, l’économie collaborative serait une alternative vectrice d’un réengagement social par l’architecture de lieux.
3. extrait du texte de présentation de workshop rurbanite, publié sur le site internet de l’ensap http://www.bordeaux.archi.fr/formations/offres-de-workshops/5756-workshop-rurbanite.
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a la recherche d’un sens commun
1 de l’exode rural à la rural-attitude
au début du xxème siècle, deux français sur dix vivent en ville. au milieu du xxème siècle, c’est près de huit français sur dix. les raisons proviennent de facteurs divers, on parle de l’exode rural, du papy boom, du vieillissement de la population, ou encore de la disparition progressive des services et des commerces. une des raisons principales est le manque d’emplois dans ces régions là, se situant dans ou à coté de ces villes d’influence. sur les 36 529 communes de france métropolitaine, plus d’une sur deux comptais moins de 500 habitants au 1er janvier 2013. elles ne représentent plus que 7% de la population française, contre 11% en 1968. la france des villages devient la france des villes. ces communes françaises représenteraient environ 40% des communes existantes au sein de l’union européenne. au milieu de cette grande variété, leurs moyens d’intervention sont réduit, ce qui fragilise la cohérence entre chaque territoire. dans l’histoire de ces villes et villages, les visages se doivent d’évoluer, que ce soit par leur nombre que par leur fonction. depuis quelques années, l’état encourage donc l’association de communes entre elles au bénéfice de meilleures collaborations, diminuant l’effectif total.
dans un tel constat, qu’est-ce qui explique ce dé-intéressement de la population qui néglige et oublie une grande partie de ses territoires, sontils aveuglés par l’offre que proposent les grandes villes? a travers une théorie discutable, il s’agit de comprendre où se situe l’ouverture d’un champ d’action de possibles. il sera question de comprendre quels enjeux il faut défendre pour pouvoir valoriser un patrimoine, qui parfois pèse lourd dans un modèle aussi fragile quand il s’agit de s’inscrire dans une échelle plus petite, le rural. en somme, il sera question de comprendre comment penser une nouvelle économie des territoires, créative et partagé, qui créerai des richesses par d’autres systèmes beaucoup moins conventionnels. le but est d’identifier un futur possible de la fabrique de la ville et du territoire, pour rendre une ruralité désirable, et rompre cette dichotomie d’attractivité. ainsi pour débuter, la question est de comprendre ce que représente la ruralité pour la france, outre sa place considérable sur la carte. la conscience collective évolue mais à quel point ?
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carte du nombre de villages de moins de 500 habitants en 1962, d’après les données de l’insee.
carte du nombre de villages de moins de 500 habitants en 2013, d’après les données de l’insee.
carte du nombre de villes de plus de 2000 habitants en 1962, d’après les données de l’insee.
carte du nombre de villes de plus de 2000 habitants en 2013, d’après les données de l’insee.
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Un dichotomie lisible qui requestionne la cohésion territoriale
comprendre l’importance de ce que représente cette partie relativement caricaturale de l’image de notre pays, c’est dans un premier temps comprendre ce qui l’oppose. due à cette politique d’entités qui s’associent dans un soucie d’augmentation de « force de frappe », la métropole et la croissance qui en découle, dissèquent la france en deux. en effet, la « métropolisation » concentre l’économie mais aussi l’existence collective humaine dans les grands centre. elle engrange une urbanisation grandissante, qualifié souvent « d’hyper-urbanisation », qui concerne avant tout la périphérie des villes et serait responsable de la disparition d’un département agricole tous les 7ans. ce développement à double vitesse ne touche pas que spécialement le monde rural, mais l’ensemble de la france périphérique, celle qui regroupe aujourd’hui environ 60% de la population. trente ans après la « décentralisation », la majorité des maires se dit délaissée et menacée par cet élan à la « centralisation ».
depuis les années 60, ces derniers développent leur ville ou commune en bordure et ainsi, les centres de ces villes se désertifient, par réaction en chaîne. l’architecte urbaniste français, également enseignant en école d’architecture, david mangin porte un intérêt particulier pour les réflexions sur les grands territoires de l’urbanisation contemporaine. dans son ouvrage datant de 2010 intitulé la ville franchisée – formes et structures de la ville contemporaine, il milite pour une ville passante plutôt qu’en « cul-de-sac », métissée plutôt que mono-fonctionnelle et sectorisée. aujourd’hui, l’idée de territoire libre raisonne comme globalisation, uniformisation, mondialisation. ces franchises contemporaines envahissent le paysage et le vocabulaire, avec la présence constante de repère dans un paysage jalonné de marques, où tout un chacun reconnaît et identifie les couleurs et les formes, et ce dès notre plus jeune âge. mais l’idée de franchise ou d’uniformisation va au delà de ces premiers principes. devant l’impossibilité actuelle de densifier ces zones urbaines par manque de place, les maires multiplient les opérations de lotissements les uns après les autres. pour les villes et villages qui construisent ces architectures répétitives, le casse-tête se joue dans la course entre démographie scolaire, et nouveaux lotissements. l’étalement urbain, mis en cause dans le développement urbanistique des villes n’est que la résultante d’une expansion de foyers individuels.
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1 1.1
de l’exode rural à la rural-attitude
le sentiment de réussite personnelle et le rêve d’accomplissement se traduit de manière très stéréotypé par l’accès à la propriété, maison individuelle, zone pavillonnaire en situation périurbaine. il est rare que ce futur propriétaire, endetté pendant au moins dix ans, réfléchisse à l’effet boule de neige que suscite son envie personnelle. beaucoup traversent ces communes de plus en plus délaissées, victimes directes d’un grand manque de considération. pour les élus, il est donc plus facile de développer leur commune en extension plutôt que par un renouvellement urbain.
peu à peu l’agriculture disparaît, place à l’importation de produit venant d’ailleurs, à l’élevage d’animaux en batterie, bienvenus aux supermarchés de plus en plus imposants. c’est la transformation de la ville en dortoir. dans ces centres villes vidés de leurs activités industrielles ou simplement de leurs activités quotidiennes, prennent place de véritables cimetières architecturaux, toujours plus conséquent. il arrive de croiser des bâtisses avec des volets clos, sur lesquels nous pouvons lire une occupation lointaine grâce à des indicateurs de temporalité souvent naturels. en l’occurrence, ces lieux-ci ne sont occupés que de façon invasive, ressemblant de très près au comportement et à la manière de faire d’un squatteur. les animaux ou tout simplement la végétation s’installent puisque personne ne le fait, et jouent de la place disponible. une fissure, une fenêtre, une ouverture, tout est bon à occuper. drôle de paradoxe quand on voit ce qu’inflige l’étalement urbain sur la nature, sur sa faune et sa flore. n’y aurait-il pas ici l’illustration de possibles, par le biais poétique et léger de la nature ?
aujourd’hui de nombreux discours abondent autour de la transition, de la revitalisation, et il est clair que l’intérêt se déporte. les médias abordent de plus en plus cette thématique, s’intéressant à ceux qui sont représentés comme le négatif de ces centralités, appelé parfois « l’autre france ». chaque jour philippe b ertrand anime une émission radio à 12h30 sur france inter intitulée carnet de campagne. dans cette chronique d’une demi-heure, un département est choisi chaque semaine avec pour objectif d’identifier les diverses initiatives rurales pour les mettre en valeur.
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en Juillet 2014 le sénateur de lozère m alain b ertrand a été chargé par le premier ministre d’une mission concernant « l’hyper-ruralité ». c omposée de trois axes principaux, sa mission consistait à évaluer les dispositifs existants d’aide au développement économique applicables aux territoires hyper-ruraux, de proposer des évolutions de ces dispositifs afin de favoriser la mise en capacité des territoires. une fois ces propositions de mesures nouvelles formulées, il s’agit de leur donner la chance légitime d’être au service du développement national. ces territoires ont des atouts à faire valoir, à condition d’avoir des voies de communication qui existent.
a travers ces applications diverses s’illustre une volonté de prendre en compte ce monde rural jusqu’à présent délaissé. en tentant de le rallier à l’économie française, ces villes moyennes comme petites, conscientes de l’essor du phénomène de désertification ainsi que celui du dé-peuplement, tentent des opérations de séduction pour lutter contre cela. dans un contexte comme celui-ci, il faut à tout prix éviter d’entrer dans un schéma qui placerait ces territoires comme annexes de cette métropolisation. cependant il est évident que le monde rural ne peut rivaliser ni se comparer face à ces métropoles toujours plus compétitives. en devenant de vraies forces de proposition par leurs caractères identitaires identifiés, ces ruralités doivent pouvoir s’exprimer raisonnablement, sans forcement être dépendantes des grandes villes voisines. partant d’un constat simple, chaque lieu abrite une histoire, une culture, des acteurs qui transforment, parcourent et rêvent ces espaces, évocateurs à leur échelle d’une certaine identité. l’ensemble joue d’une étroite relation avec ce dernier, qu’il soit rural ou urbain. ces éléments sont essentiels dans l’aménagement et le développement du territoire à grande échelle. il faut alors proposer de nouvelles façons de vivre afin de réengager la population. Que ce soit par leur histoire ou au regard de leur environnement, de leur territoire, de leur culture, il faut trouver le moyen de sensibiliser ces habitants à s’intéresser. face à ce constat, je vais identifier une variété d’outils qui participent à cette nouvelle fabrique de la ville. serait il possible d’obtenir un équilibre entre métropole et périphérie, urbain et rural?
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le bonheur est dans le vert, illustration, 2009 ©govin.
1 1.2
de l’exode rural à la rural-attitude
Un retour aux sources, vers une image qui rassure
dans ce monde qui s’urbanise de plus en plus vite, nécessitant toujours plus de place et d’espace, les territoires ruraux demeurent une ressource en terme de foncier, de patrimoine et de savoir faire locaux. la ruralité se transforme maintenant au pluriel en une variété de nouvelles déclinaisons. fini le temps des agriculteurs comme stéréotype de la campagne, on assiste à une métamorphose de l’imaginaire général, illustrée par une vague de repeuplement d’une nouvelle population dans les années soixante-dix. appelé les « néo-ruraux », ces habitants de moins en moins agraires bousculent le monde agricole qui jouait un rôle constitutif de cette france rurale. elle devient un repli pour des urbains en difficulté, qui misent sur un fantasme : la campagne perçue comme un havre de paix. différent du village traditionnel, le « nouveau village » offre des valeurs dont les habitants des villes manquent. a l’heure de la globalisation, l’image du « village » rassure et persiste dans la conscience collective. c’est un véritable retour à la nature, à la terre, à nos racines, un agissement analysé comme un contre modèle de la société mobile et mondialisée. il y a là l’espoir de se relocaliser pour trouver un espace humanisé à sa mesure.
toutefois, il existe une fracture entre ce mythe est la réalité. la raison idéaliste qui attire cette population, une ancienne collectivité ardue et solidaire, est relayée par un monde beaucoup plus métissé. individus, catégories sociales et mœurs cohabitent dans un même espace, dénué d’un avenir commun. les « anciens » du village véhiculent l’impression d’être les derniers ambassadeurs d’une culture mise à mal face aux habitudes des nouveaux habitants, elle-même couplée au tourisme à grande échelle. entre les nouveaux et les anciens, il faut créer des liens et redéfinir cette solidarité. cependant le monde rural ne génère pas plus d’emploi qu’avant, la faute aux grandes villes et leur attractivité croissante qui «monopolise» l’ensemble des enjeux. ici se situe le rôle de ces nouveau arrivant! en créant ou en reprenant des métiers oubliés, allant jusqu’à en développer d’autre qui intégrerai cette démarche, il y a ici le besoin d’insuffler une dynamique nouvelle et mobilisatrice. en venant s’installer en pleine conscience de ce constat là, des besoins naissent et engrangent une démarche, notamment celui de service, qu’il soit exhaustif ou sommaire, avec une nécessité de création d’emploi.
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extrait conférence de patrick bouchain, cycle alter architecture, ensa strasbourg, 2017
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« l’architecture est l’art le plus usité. »
entreprendre de créer une nouvelle dynamique est parfois très complexe à mettre en place. cette vision anthropologique, celle de l’homme accordé à son environnement naturel et humain est compliqué à défendre face à une idéologie dominante de l’uniformisation. l’ancrage et la cohésion territorial se voit requestionné. l’enjeu principal liées à l’espace sur lequel cela à lieu est d’être capable de concilier diversité des territoires et réductions inégalités entre citoyens. la question est donc de savoir comment repérer, à différentes échelles, les inégalités sociales, l’accessibilité aux services de base ou la capacité à s’entraider et à partager des ressources. le besoin d’attractivité concerne quasiment l’ensemble des communes rurales. a travers différents axes comme celui de l’habitat, l’espace public, les commerces, le patrimoine, la mobilité, la transition écologique, etc, nombreuses sont celles qui tentent de nouvelles approches. néanmoins, la culture et ses expressions urbanistiques et/ou architecturales sont souvent mises à mal, aspirées par une forme d’uniformisation, de standardisation, et il est certain que ce futur ne dépend pas seulement d’une requalification par l’espace. l’architecture est un art qui suscite nécessairement un jugement de valeur. Que ce soit par sa forme, ses matériaux, sa disposition ou son esthétique générale, l’enjeu est de raconter une histoire à celui qui l’observe, afin de faciliter son appropriation. en ce sens le rôle de cette discipline dans ce genre de territoire est double, il faut porter en plus de la réponse formelle, une attention particulière à la manière dont est accepté/adopté une réalisation par les futurs usagers. généralement, un degré de sensibilité est franchi lorsque ces personnes sont touchés personnellement. elles seraient alors davantage capable d’accueillir d’autres interventions, voir de participer ou même de proposer de nouvelles actions, donc de créer une dynamique. en choisissant par exemple de fabriquer avec des matériaux locaux, cela participe évidemment à résoudre la crise environnementale, mais l’enjeu est d’avantage de créer un rapprochement entre des gens et leur environnement. influencer et inciter tout un chacun à changer de mode de vie mais aussi de conception de son entourage propre, en rappelant comment la nature peut être impliqué et sublimé par une disposition bienveillante. respecter l’humain, la nature et la terre.
vue comme une sorte d’acupuncture urbaine, cette façon de penser l’architecture comme catalyseur peut être relayée par différents acteurs voir par le citoyen lui-même. dans cette quête de solidarité au bénéfice de l’attractivité, très souvent les réels premières approches se manifestent par le biais de l’associatif et le bénévolat. par un engagement personnel gratuit, l’acte est perçu généralement et logiquement comme quelque chose d’engagé, dénonçant une certaine résistance. c’est un moteur de prise de conscience collective et bien souvent la base de nouveauté. alors en quoi cela représente de nouvelles perspectives ? Qu’est-ce qui permettrait de maintenir des activités présentent et qui, par effet d’accélérateur productif en amènerai de nouvelles ? le modèle économique actuel permet-il la revitalisation de ces villages délaissés ?
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a la recherche d’un sens commun 2 l a créativité, une alternative attractive
« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille, on choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. Être né quelque part, être né quelque part, pour celui qui est né c’est toujours un hasard».
comme le chante maxime le forestier dans sa chanson né quelque part, sortie en 1987, on ne choisit pas l’endroit de notre naissance. a l’inverse, et ce dans la mesure du possible, il est possible si l’envie nous vient, de « choisir » l’endroit où nous souhaiterions vivre. dans ce constat, le choix de telle ou telle ville repose sur une quantité de facteurs, aux analyses souvent subjectives. lorsque l’on pose la question « pourquoi résidez-vous dans cette ville ? » la réponse semble bien plus complexe que légitime.
dans la courte histoire des villes, environ 10 000 ans, des historiens repèrent des temps forts dans lequel une ville surplombe de fait les autres, qui s’en inspirent, la copient et rivalisent avec, espérant la dépasser. cette forme de compétition stimule l’ouverture de chantiers qui embellissent la ville tout en l’endettant, quitte à parfois la ruiner. c’est l’histoire de l’histoire, avec au xvème siècle florence qui s’impose comme « ville-monde » en occident. puis ce sera le tour de venise, anvers, amsterdam, londres pour laisser sa place au xxème siècle à new york. même si aujourd’hui la compétition n’est plus autant affirmée que cela, ce succès repose rarement sur la même recette. il s’agirait d’un doux mélange aux ingrédients subtils et au dosage savant, le résultat d’une alchimie qualitative où les individus sont aussi important que la liste d’atouts que peut se venter d’avoir une ville. Quels sont donc ces ingrédients et le dosage de cette recette qui font que la mayonnaise prend? conscient de la variabilité de la recette, y a-t-il une notion d’adaptabilité en fonction des différentes situations, qui pourrait se traduire comme une certaine méthodologie?
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couverture du livre The rise of the creative class and how it’s tranforming work, leisure and everyday life, basic books, 2002, new york
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2 2.1
l a créativité, une alternative attractive
La « ville créative », une théorie motif d’un certain renouveau
au début des années 1990, charles landry4 approche de façon innovante à travers ces travaux la notion de « ville créative » en abordant la régénération urbaine dans une économie mondiale très concurrentielle. l’intérêt politique et scientifique porté à la créativité et a son impact sur le développement économique et urbain s’amplifie avec la publication en 2002 du livre The rise of the creative class and how it’s transforming work, de richard florida. géographe de formation, né en 1957 aux états-unis, il est diplômé en aménagement urbain. dans ses ouvrages5, il provoque des débats qui opposent, avec une thèse qui est connue : une ville a d’autant plus de chance de connaître l’opulence qu’elle attire à elle le maximum de membres de la « classe créative ».
cela désignerait les populations dont l’activité professionnelle mobilise des connaissances pour produire des idées nouvelles. il distingue « les actifs directement engagés dans le processus créatif » qu’il considère comme le « noyau super-créatif », dans lequel on trouve les chercheurs, ingénieurs, artistes, architectes, designers, etc. il y ajoute une catégorie plus large d’actifs, issue généralement d’une formation dans l’enseignement supérieur, qu’il appelle les « professions créatives ». ces derniers travaillent à résoudre des problèmes nécessitant la mobilisation de savoirs complexes, les médecins, juristes, publicitaires, analystes, etc.
il évoque pour cela une combinaison qui se doit d’être la plus performante et exaltante possible, celle des trois « t » (technologie, talent et tolérance). pour lui, une ville est créative si les indices suivant sont respectés, celui concernant la haute-technologie et l’innovation (pourcentage des biens exportés de ce secteurs), celui concernant le talent (nombre de brevets par habitants et pourcentage de la population possédant un niveau scolaire bac+1) et celui concernant la tolérance (pourcentage dans la population de « gays » et de « bohémiens »). en somme, il faut donc assurer et offrir un cadre de vie indispensable à l’épanouissement afin d’attirer et de conserver ces « créatifs ». d’après ses estimations, en 2002 au états-unis la classe créative aurait représenté autour de 30% des actifs.
4. auteur, orateur et conseiller international sur l’avenir des villes, il questionne et popularise le concept de ville créative par son livre The creative city: a toolkit for urban innovators, paru en 1994.
5. The rise of the creative class and how it’s transforming work, leisure and everyday life, basic books, new york, 2002. The flight of the creative class : The new global competition for talent, harper business, new york, 2004. cities and the creative class, routhledge, new york, 2005. who’s your city, random house, canada, toronto, 2008. The great reset. how new ways of living and working drive post-crash prosperity, random house canada, toronto, 2010.
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photographie élicitative personnelle, fondation louis vuitton, paris, 2016, ©victor garriou
photographie architecturale, fondation prada, milan, 2015, ©titouan le gall--ladevèze
motivant l’enthousiasme de certains élus, le géographe est devenu un véritable consultant, proposant un modèle de développement territorial qui repose sur une idée simple : la croissance des villes réside dans leur capacité à attirer et à miser sur des effets d’entraînement pour le reste de l’économie régionale. couplé à cela, on constate qu’une tendance émerge depuis quelques années, celle de l’incorporation d’éléments immatériels dans la production contemporaine, et ce sous de diverses formes. on y trouve la valorisation culturelle des marques, avec la fondation louis vuitton à paris par exemple, qui va de paire avec l’adossement de l’industrie du luxe au secteur du patrimoine et de l’art contemporain. il y a également l’apport du design au processus de distinction de produits banalisés dans un marché mondialisé, ou encore les diverses actions de mécénats dans le secteur de la culture. pour couronner le tout, il y la montée en puissance de création d’événements artistiques dans un but de promotion, que ce soit pour une entreprise ou pour un lieu, à la recherche d’une image innovante et novatrice. mais cette revendication mythique de « ville créative » suppose de poser plusieurs questions. en quoi cette ville est-elle créative ? est-ce par l’accueil qu’elle fait aux chercheurs, aux artistes reconnus ou en devenir, ou encore à la présence de « talents » ? dans quel domaine plus précisément, le secteur social, celui de la formation, des nouvelles techniques, de la création artistique, sportive, etc ? au profit de qui se manifeste cette créativité ? des résidents, des touristes, des investisseurs, de la «classe créative» comme l’entend richard florida ?
a défaut de répondre précisément à chaque interrogation, cette théorie manifeste l’importance de l’économie immatérielle où la culture assure un rôle de poids à jouer. il serait donc question de la force des arts et la transversalité entre secteurs parfois compartimentés, au profit d’une réinvention du territoire. cependant, elle a aussi une visée instrumentale, une sorte d’argument de promotion et de communication avec comme souhait le rapprochement entre artistes et nouvelles techniques. on peut noter par exemple l’intrusion de l’artiste plasticien dans le secteur du luxe. cela conduit à une véritable reconnaissance du rôle de l’art et de la culture dans le bien-être de la société, dans la réponse aux besoins des citoyens, mais aussi dans un intérêt économique. il est possible de favoriser un soutient des pouvoirs publics et privées, ainsi que des initiatives citoyennes et associatives, au monde de la culture et de la création artistique. les politiques rurale sont séduites par ce concept de « ville créative », et mettent en place à leur échelle des stratégies culturelle dans le but d’attirer ce « capital humain ». dans cette quête, ces instances publiques sont consciente des enjeux, même si ils sont loin d’être comparables avec ceux des métropoles.
cela ouvre un débat plus général, qui concerne chaque ville. ne doiventelles pas prévoir les conditions permettant aux « créateurs » de s’exprimer? ne doivent-elle pas valoriser en toutes circonstances les atouts dont elle dispose en vue de susciter de l’attractivité ?
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illustration, magazine ideat, 2014, ©le duo
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l a créativité comme alternative
La course entre créativité et compétitivité
établir une théorie sur la ville et sa créativité instaure naturellement une notion de comparaison entre elles. sinon comment juger ? lorsque ces villes (souvent de grande métropole ou capitale) entre en concurrence et que les facteurs traditionnels de production ne suffisent plus, être créatif semble être l’alternative. la mobilité règne en maître, que ce soit pour l’homme ou pour les capitaux, et elle favorise le dynamisme. dans cette configuration, le rôle des équipements culturels tels que la salles de spectacles ou le musées occupent une place singulière dans le positionnement de nombre de ville dans le monde. littéralement explicite, la définition du mot équipement illustre son impact sur une ville : action d’équiper, de pourvoir quelqu’un ou quelque chose de ce qui est nécessaire6
il est souvent envisagé de deux façons. dans la première, leur présence enrichit le cadre de vie des populations résidentes, et cela renforce l’attractivité du territoire environnant. on constate une certaine élévation du niveau d’éducation qui favorise la consommation de produits culturels ainsi que la production artistique. dans la deuxième, lorsque l’un d’entre eux manifeste des qualités nouvelles, hors du commun, ce dernier devient un repère, il façonne l’image de la ville et renforce son attrait, notamment sur le plan touristique. pour cela, il suppose que leur élaboration s’insère de façon harmonieuse dans la stratégie de développement du territoire sans non plus l’instrumentaliser. dans cette perspective, l’enveloppe architectural, outre les qualités spatiales internes qu’elle propose, dont les villes sont souvent peu attentive, joue un rôle additionnel quand au rayonnement de l’institution dans la ville. cet élément supplémentaire sert de «teasing», véritable atout médiatique, qui aide à la diffusion d’une image séduisante, qui attise un effet de curiosité. « le syndrome de bilbao » en est le parfait exemple, avec la construction de ce musée phare, réalisé par l’architecte star frank gehry, qui a métamorphosé la ville qui l’accueille. d’autres villes se voient atteinte actuellement de ce symptôme comme metz, lens, athènes, le havre, etc, avec un « tourisme architectural » qui s’accentue, où des gens sont prêt à faire le tour du monde dans l’objectif de satisfaire leur passion.
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6. définition provenant du dictionnaire français, le larousse.
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illustration, magazine ideat, 2014, ©le duo
il faut cependant rester vigilant, ce coup de communication ne garantie jamais un flux de visite constant dans la durée. le choix du visiteur quant à la destination choisie est le résultat d’un ensemble complexe de considérations dans lequel l’icône architectural constitue un plus. dans le cas de l’opéra de sydney, l’un des édifices architecturaux les plus connus au monde, le choix sera généralement l’australie puis sydney pour l’essentiel des visiteurs. cette logique de bâtiment porte-drapeau s’extrapole et des pays jouent à la course de « l’armement culturel ». le contenu intérieur importe moins que l’enveloppe et le nom de son créateur, on accole un nom qui devient au fur et à mesure une marque culturelle, comme le louvre à abu dhabi. sur le long terme, cette stratégie fait gagner des années de communication à un territoire désireux de s’imposer, ici à l’échelle internationale, comme une destination touristique de premier ordre. de nombreux équipements confondent la création d’une demande durable avec l’existence d’une offre inédite. l’action publique commande en premier lieu une réussite artistique ou scientifique de la part de l’institution culturelle (pour un musée par exemple) en négligeant parfois le monde proche qui l’entoure (l’éducation et les scolaires, les associations, de quartier ou bien de professionnels du tourisme et du développement local). les retombées en terme de création de richesse et d’emploi sont donc à prendre avec prudence.
a défaut de cette ampleur politico-médiatique, la réussite d’un équipements culturels repose sur plusieurs éléments : le caractère global de la stratégie de développement dans lequel s’insère le projet, les liens de partenariat et de coopération avec les acteurs du territoire. mais l’élément à ne jamais négliger est la participation de l’équipement culturel à de multiples réseaux, sous différentes échelles, locale, territoriale, nationale voir internationale.
de cette manière, c’est un véritable plus qui est mis en place, œuvrant dans plusieurs domaines, urbain, touristique, économique et communication. paradoxalement, n’est-ce pas plutôt la prospérité économique qui favorise l’émergence d’équipements culturels de qualité, qui en retour favorisent l’attractivité de ces villes en termes d’afflux de population, d’investissements, de localisation d’entreprise? certaines villes jouissent d’un actif historique, patrimonial, artistique donc culturel présent dans leur territoire, sous la forme de système productif local : la dentelle à calais, la porcelaine à limoge, le design à saint-étienne, etc. dans ces cas bien précis, voici illustration de cette transversalité, d’un rapprochement de diverses entités, entre musée, écoles et universités, entreprises, centre de recherche, etc, des acteurs potentiels d’une économie productive.
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a la recherche du sens commun
3 Quand créativité rime avec culture
impossible alors de fonder intégralement le développement des villes seulement sur les équipements culturels. la culture a une place essentielle dans la créativité mais elle n’est pas capable à elle seule de susciter un réel développement économique. mais elle figure comme une source d’un raisonnement transversal, à travers ses liens avec l’éducation, la recherche, l’innovation, la créativité. c’est un facteur significatif d’une croissance future, qui constituent un réservoir illimité de formes et d’inventivité, pour contribuer à enrichir le contenue et l’image de toutes sortes de productions. cependant il est clair qu’ils agissent surtout comme facteur d’émancipation, d’enrichissement personnel, d’identité, de participation et d’échange.
cette notion a un pouvoir certain, se mettre au service d’une régénération urbaine que l’on pourrait qualifier « d’urbanisme culturel ». a des degrés divers selon les villes, lorsque de grandes opérations culturelles prennent place, elles se voient doubler d’un chantier urbain, comme si il fallait faire peau neuve afin d’être présentable aux yeux du monde lors de l’ouverture. oubliant cet effet de style politique, il s’agit de requalifier les villes avec des principes simples. victor hugo disait, « ... quand on ouvre une école, on ferme une prison ». cela s’applique certainement à la culture, « quand on ouvre un théâtre on ferme une prison ». pendant un temps, le ministère de la culture a voulu mettre l’art au service de l’image de marque de la france ce qui revenait à mettre le social de côté. encore aujourd’hui, les mondes du social et du culturel se regardent avec suspicion. l’arrogance et le conservatisme ne sont pas favorables pour faire émerger de nouvelles façons de pensée, de nouvelles collaborations. aujourd’hui, il faut plus que jamais se demander ce que l’on veut faire des maisons de culture, comment sortir des murs, comment arrêter d’être clivant.
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axonométrie, réhabilitation des halles alstom, nantes, 2011 ©franklin azzi architecture
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3
3.1
Quand créativité rime culture
La place de la culture, spéculation contre durabilité
souvent, ces villes qui n’animent plus ni l’activité, ni l’économie industrielle sont lestées d’imposantes structures de production, laissées à l’abandon. la culture et le tourisme s’y greffent pour diversifier et consolider les investissements fonciers, sur lesquels reposent une part importante de l’économie des villes. compris comme un facteur de changement, d’attractivité touristique et de tolérance, le dynamisme culturel d’une ville selon les thèses de richard florida aurait aussi pour effet d’attirer des groupes socio-professionnels à la fois plus fortunés et plus susceptibles d’instaurer dans la ville un mécanisme de rétroaction. la reconquête de friches industrielles et des fronts portuaires est un exemple d’occasion d’offrir des lieux recherchés par les « créatifs ». s’identifie alors des paradigmes connus du grand public, des murs soigneusement recouvert de tags, des entrepôts reconvertis en lieux branchés, des galeries d’art avant-gardistes, etc. la culture est par conséquent favorable à la valorisation foncière. sur les ruines de l’industrie, pour atteindre cet équilibre recherché qui permettrait d’obtenir un monde « meilleur », l’urbanisme culturel associé à l’urbanisme thématique disposent de quelques outils plus rarement utilisé par leur prédécesseurs, l’urbanisme fonctionnaliste. la marque, qui doit imposer l’image de la ville (big apple ou encore les signes du patrimoine mondial) mais aussi l’événement ou bien l’architecture iconique et stratégique (le guggenheim de bilbao) sont les plus connus parmi ces outils. ce facteur de changement perçu par richard florida est le marqueur de la limite de mon intérêt à ses recherches. vu comme un outils de spéculation, je me tiens à distance de cet intérêt économique, où le but est de valoriser l’attractivité pour l’aspect financier qu’il arbore.
outre cela, l’urbanisme culturel dispose aussi de patrimoine qui, en densifiant l’expression culturelle de la ville donne un sens nouveau aux anciennes structures industrielles. cela peut servir parfois d’instrument physique et réglementaire de découpage de la ville en zones, non plus fonctionnelles mais thématiques, dites des «quartiers», comme l’île de nantes par exemple. l’eco-système darwin à b ordeaux pourrait figurer comme un des exemples de cette spéculation par le modèle. en effet, ce lieu a participé à la densification de l’offre culturelle bordelaise, motivant tout un quartier autour, où plutôt une rive délaissée. dans l’application et l’usage, ce modèle s’éloigne de la visée transversale que peut apporter cette réflexion de comment construire la ville autrement. usant de label « écoresponsable » ou encore de notion comme « tiers-lieu » « écologique social et solidaire », un intérêt économique transparaît de manière trop présente à mon goût, ce qui réduit son souhait de durabilité. l’objectif au cœur des débats sociétaux actuel est la recherche de la notion de
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durabilité. mais une ville durable, à la fois désirable et économe, habitable et solidaire, nous impose de faire autrement. pour l’architecte urbaniste david mangin, il explique dans son ouvrage la ville franchisée que nous sommes devant trois scénarios d’urbanisme pour construire la ville de demain, avec seulement 2 possiblement envisageables pour un avenir plus sain :
« “l’urbanisme du réel“, celui du “laissé-faire“ qui consiste à poursuivre l’étalement urbain et le développement de la voiture, qui s’alimente l’un l’autre dans une échange de bon procédé. les produits immobiliers sont vendus clef en main, les responsabilités sont transférées du public au privé, et les règles de rentabilité et de privatisation des villes opèrent. vous l’aurez compris, celui-ci ne figure pas comme une solution envisageable.»
« “l’urbanisme du fantasme“ serait vertueux et écologique, il favoriserait les transports en commun et les modes doux, renforçant les poches urbaines près des gares. dans un contexte existant qui interdira encore pendant longtemps cette idée de ville sans voiture, cela reste de l’ordre du fantasme.»
« “l’urbanisme du possible“ qui lui consiste à optimiser les contraintes de déplacements et à inventer des formes urbaines moins productrices de dépendances automobiles et d’enclavements. rendre l’homme moins nomade dans son quotidien en lui proposant activités, travail, etc, à proximité du lieu d’habitation modifierai de façon radicale la manière de percevoir et de vivre son territoire7.»
arrêtons de bricoler les outils dont nous disposons, tous hérités d’une époque glorieuse d’hypercroissance. il faut se concentrer et interroger toute la chaîne de fabrication de la ville, de l’organisation politique territoriales à la gestion du patrimoine dans la durée, des stratégies foncières à la dernière brique mise en œuvre. il est clair que considérer uniquement la temporalité et la mobilité pour établir un projet urbain serait une erreur. on doit pour cela intégrer les pouvoirs publics et savoir garder l’humilité et un recul nécessaire pour penser le projet urbain, conscient que chaque époque est porteuse d’idéaux. ces dernier ne doivent pas nous rendre aveugle, en critiquant le passé, il est important de ne pas oublier que les choix qui nous ont mené à l’impasse urbanistique qualifié ici de « réel » ont été, à une époque, les idéaux de société qui collaient au contexte qui les a vu naître. dans un monde sectorisé où chacun est responsable de sont devant-
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7. mangin, david, la ville franchisée - formes et structures de la ville contemporaine, la villette eds de, sc, 2004.
de-porte technocratique, penser transversalement est une révolution. pour se faire, il faut repenser la répartition des moyens et la conception des coûts, construire autrement et transformer les méthodes. il faudrait pouvoir se libérer de certains automatismes qui orientent les dépenses des aménagements, à la pertinence aléatoire. un projet partagé et pensé à la bonne mesure permettrait dans bien des cas de mieux phaser les dépenses, de réduire les moyens affectés ou de cibler avec plus d’efficacité les investissements. accepter que les coûts soient variables en fonctions des usages et des intensités, ne pas banaliser les prestations les plus élevées, adopter des logiques extensives sur les grandes surfaces, discuter très en amont des niveaux de prix et de la justesse de leur répartition est une méthode de projet qui réduit globalement les sommes investir, et relativise le discours récurrent sur le pénurie de moyens.
cette absence de projet commun vient souvent d’une échelle territoriale inappropriée : en france la commune n’est pas la bonne échelle. en ce sens ce sont développé et solidifié des intercommunalité, moteur aujourd’hui de développement local. certaines de ces communauté de commune (cc) s’inquiètent du dé-peuplement croissant de leur bourg et du déclin économique qui s’accroît des aides de l’état. l’idée d’utiliser une politique proche de l’économie créative et durable permettrait de créer de l’attractivité, développant une attractivité touristique (patrimoine architectural et naturel, gastronomie, sport spécifique, événement local) qui permettrai de maintenir de l’économie. ce n’est cependant pas forcement un moyen favorable à l’amélioration du quotidien des habitants. d’autres cherchent à réactiver le territoire, et c’est cet angle qui m’intéresse. s’inscrire dans un souci de bien vivre, alliant la démarche éco-responsable au développement de la culture. l’intérêt en soutenant des initiatives culturelles, créer de nouvelle attractivité auprès des catégorie socioculturelle qui tentent de s’installer à la campagne. le progrès est notable, mais les effets de concurrence et les incohérences de choix distants de quelques kilomètre sont un handicap aussi bien à la durabilité qu’à l’économie du territoire.
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photographie personnelle, vue intérieure, silot à grain désaffecté, bordeaux, 2018, ©victor garriou
photographie, vue intérieure, manufacture de tabac désaffecté, tonneins, 2018, ©Jules garriou
3 3.2
Quand créativité rime avec sens commun
Vers une considération nouvelle de l’économie du territoire
aménager autrement c’est d’abord changer d’échelle. la répartition des compétences entre les collectivités (commune, intercommunalité, département, région) et l’état issue des lois de décentralisation successives est un obstacle manifeste. en france, à l’heure actuelle, le ministère de la culture donne et investi dix fois plus à paris que dans le reste du territoire français, en « province ». Que ce soit sur le plan de la transversalité ou bien celui de la cohérence des décisions de transformation et la gestion du territoire, actuellement le mot « ville durable » est une coquille vide. aujourd’hui construire bon marché c’est construire peu durable avec un bilan écologique médiocre. pour construire de meilleure qualité, où la matière est mieux utilisée, souvent plus solide et durable, il faut s’inspirer de procédés industriels utilisé hors frontières. dans une logique d’amélioration, il faut déroger au cadre très étroit de la loi sur les marchés publics qui ne tient pas compte de l’impact environnemental. la priorité des grandes logiques industrielles est claire, pas de favorisation des ressources locales, des savoirs-faire expérimentaux ou des matériaux à faible coût énergétique, ce qui va à l’encontre du sens de l’économie. il faut donc prendre en compte un «volet environnemental» car un risque plane concernant l’épuisement des ressources, mais aussi avec les tensions sociales liées à une ville insuffisamment équilibrée. aménager autrement c’est aussi changer de regard sur ce qui nous entoure. on oubli et ne favorise que très peu le déja là. en effet, ce n’est pas comme si nous débarquions dans un terrain vierge où tout est à construire. du bâti à l’abandon, esseulé, chacun a pu en croiser a un moment de sa vie lors d’une balade en campagne. les industries autrefois présentes et très souvent identitaires de certaines régions, se délocalisent majoritairement dans un souci de réduction des coûts de production. ce patrimoine est identifiable et reconnaissable, par des proportions propres à chacun, des types d’ouvrages structurels atypiques. support capable par le fait que l’enveloppe soit encore la, ou bien par le fait qu’un périmètre de possible soit dessiné, la reconversion n’est pas souvent mise en valeurs.
dans ce constat, il s’agit de questionner intégralement nos manières de faire. il faudrait transformer et adapter nos méthodes de travail et privilégier l’expérimentation interactive, au détriment de l’approche actuelle qui fige l’innovation. en notifiant que l’intervention ne peut être que radicale, des principes fondamentaux sont remis à plats, comme celui de la tabula rasa. si en aménageant autrement on se tourne vers ce qui nous entoure, en tenant compte du passé, chaque nouvel occupant de l’espace peut jouir d’une nouvelle interprétation. véritable anamorphose au domaine du théâtre, un texte ancien ou contemporain se voit revisité dans le temps, par la réécriture, ou bien rejoué par un metteur en scène différent, qui donne lieu à une nouvelle interprétation.
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si la formulation de richard florida est naïve, plusieurs critiques se sont fait entendre, allant de la difficulté à transférer ses résultats hors du contexte états-uniens, jusqu’à l’interprétation et la remise en question de certaines hypothèses. les notions de « ville » et de « classe » ne sont jamais clairement définies, précisées, analysées, elles demeurent vagues et incertaines. il ne démontre jamais que le talent générerait de la richesse sur le territoire, alors qu’il existe des études qui souligne l’inverse, montrant que l’individu talentueux est courtisé, et qu’il n’hésite pas à déménager pour une promotion ou un meilleur salaire. le talent représente une contribution indispensable à la richesse collective, mais additionné au capital et au travail. concernant la notion de « classe créatrice », elle est discutable lorsque l’on sait que diverses études pointent un clivage entre « le scientifique » et « l’artiste ». une certaine incompatibilité est identifié, en terme de loisirs, de goûts, de pratique culturelle quelque peu opposées. leur seul facteur d’unité réside dans leur capacité de mobiliser des connaissances complexes dans l’exercice de leur profession. pour le reste ce n’est que diversité, de leurs revenus, de leurs orientations politiques ou bien de leurs modes de vies, ce qui illustre que l’unité garanti au sein de cette « classe » n’est guère acquise. ensuite, la volonté d’identifier les population « gays » et « bohémiennes » pour définir une notion de tolérance est la aussi discutable. Quelle validité accorder aux statistiques censées décrire la part d’homosexuels ou de bohémiens dans la population d’une ville ? et que dire sur le fait que le nombre d’homosexuels indique un quelconque degré de tolérance dans tel ou tel territoire ? autre questionnement, avec l’avancé technologique qui accroît la possibilité de travailler chez soi en réseaux, la « classe créative » a t-elle une forme définissable ? n’échappe t-elle pas à la centralisation en un seul endroit, avec le souhait ou la nécessité à chacun de vouloir ou non loger à proximité les uns des autres. nombreux sont les artistes qui volontairement aime se renfermer dans une campagne lointaine pour créer, tout en communiquant avec leur partenaire sans forcement se déplacer. de plus, cette recette censée attirer les « créatifs » ne va pas sans engendrer des effets secondaire. dans les quartiers bénéficiant de politique de régénération urbaine, la priorité accordée aux stratégies foncières et immobilières alimente la fragmentation socio-spatiale que l’on vise à réduire, cela se nomme la gentrification. de nombreux quartiers populaires dans le monde entier ont vu arrivé des artistes, qui de part leur activités et leurs états d’esprits ont contribué à l’amélioration de l’image de la ville. ces comportements ont engendré une revalorisation foncière qui a pour résultante de voir ces mêmes artistes se faire déloger au profit de l’arrivée de « classes » plus aisées. enfin, il ne faut pas négliger le « reste » des actifs (qui correspondrait à 70% de la population des états-unis lors de son étude de 2002) qui ne contribuerait que marginalement à la création de richesse. le chauffeur de bus, l’infirmier, la nourrice participent eux aussi de l’efficacité économique des régions urbaines.
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il faut donc, pour toutes ces questions, considérer ces propos comme une approche, un positionnement. il a cependant le mérite d’émettre une réflexion sur un sujet que je partage, une base certaine de mon hypothèse de départ. il questionne le lien de causalité entre l’existence d’un «milieu culturel» et la réussite économique du territoire qui l’arbitre. depuis plus d’un demi siècle, beaucoup d’économistes, de géographes ou de sociologues se sont penchés sur le sujet. ce qui en découle est naïf mais lucide, les artistes ne peuvent faire des miracles, ils sont simplement une autre option, une alternative. avec l’urbanisation de toute la planète, avec la mutation du capitalisme industriel en un capitalisme de l’immatériel, avec des décalages, des résistances, il est certain que l’inégalité entre ces « zones » urbanisés sera de plus en plus évidente. c’est dans ce contexte que certaines villes, métropole comme urbain diffus, doivent miser sur leurs atouts culturels pour sortir du lot et attirer aussi bien des investisseurs que des habitants, résidents comme touristes. c’est en ce sens que sa théorie n’est pas dénué d’intérêt. elle a contribué à mettre en lumière non seulement le rôle des industries culturelles et créatives dans le développement des territoires, mais de manière plus transversale, l’imbrication croissante entre culture et économie. en effet, la créativité continuera de jouer un rôle clé dans le développement économique des villes par l’ensemble des éléments évoqués en amont. il faut donc dépasser la définition individualiste de la conception de richard florida et en tirer les bénéfices dans une dimension collective de l’urbain. cette mobilisation des réseaux présents et leurs articulation rappellent que c’est la qualité de la coordination collaborative et collective qui importe pour le développement économique et social des territoires.
on observe depuis peu le renforcement d’une innovation décentralisée, qui repose sur la participation des usagers-clients-citoyens et de groupes intermédiaires territorialisés (association, collectif, etc). l’espace urbain est décrit comme une « plateforme d’innovation ouverte » à la société civile, autrement dit, c’est la capacité à renforcer l’innovation décentralisée qui comptera dans l’économie de demain. il s’agit d’inventer des formes qui facilitent la créativité collective et la mobilisation des ressources disséminées dans la société urbaine.
alors je vais donc tenter de répertorier quelques exemples en france de projet qui approche et sculpte leur forme en fonction de ce désir de créer un lieu commun qui participe à un désir de fabriquer de la ville autrement. Je vais m’intéresser à comprendre dans quel contexte ces cas on put avoir le droit d’exister, mais également dans quelle logique d’acteur ces projets s’installent. mon but, repérer et comparer ces exemples sous plusieurs critères non exhaustifs afin d’en dégager une trame «méthodologique» et de tenter dans un second temps un expérimentation basé à partir de cette analyse.
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et si l’avenir était collaboratif ?
1 une nouvelle considération de l’architecture
vacance commerciale, dévitalisation des centres-villes, décroissance démographique, désindustrialisation, étalement urbain périphérique, la question de la fracture territoriale ne cesse d’être mise en avant par des parutions de géographes ou de journalistes. un champ lexical pour le moins pessimiste accompagne ces territoires, avec des ouvrages aux titres engagés comme la france périphérique, comment on a sacrifier les classes populaires de christophe guilluy (édition flammarion, 2014) ou encore comment la france a tué ses villes d’olivier r azemon (rue de l’échiquier, 2016). une caricature se dessine même, à en lire l’intitulé ce titre en france, le déclin des villes de province est celui d’un marqueur de son identité, article datant de mars 2017, rédigé par adam nossiter.
« La France perd, une à une, ses villes de province de taille moyenne, ces pôles de vie denses et raffinés, profondément ancrés dans le milieu rural, où les juges rendaient justice, où Balzac situait ses romans, où les préfets émettaient des ordres et où les citoyens pouvaient acheter une cinquantaine de fromages différents8. »
sans être un expert en la matière, ce constat est perceptible lorsque l’on pratique le territoire dans son ensemble. cependant ces villes moyennes et petites sont revenues dans le débat public pendant la campagne présidentielle de 2017, avec l’alerte de collectivités, d’experts et de citoyens sur l’urgence de lutter contre la dévitalisation de leurs centres. face à une crise de l’attractivité, ces derniers se tournent de plus en plus vers leurs richesses intérieures en privilégiant l’entrepreneuriat et la formation, pour accélérer la transition numérique des entreprises et générer de l’emploi. pourtant, la concurrence qu’impose la métropolisation est un véritable frein quant à la conservation des « talents » et des activités. en ce sens, mon intérêt s’est orienté sur la recherche de nouveau modèle de développement susceptible de faire émerger une transformation de la fabrique de la ville, par l’économie collaborative.
8. nossiter, adam, en france, le déclin des villes de province est celui d’un marqueur de son identité, The new york times, 7 mars 2017, https://www.nytimes.com/2017/03/07/world/europe/ france-albi.html
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photographie personnelle, vacances commerciales, 13 rue maréchal Joffre, 2018, ©victor garriou
photographie personnelle, vacances commerciales, 9 rue maréchal Joffre, 2018, ©victor garriou
photographie personnelle, vacances commerciales, 26 rue maréchal Joffre, 2018, ©victor garriou
carte postal, ancienne rue puyregaud, rue maréchal Joffre à marmande , années 1910, publié sur https://www.delcampe.net
photographie personnelle, vacances commerciales, 22 rue léopold faye, 2018, ©victor garriou
photographie personnelle, vacances commerciales, 6 rue léopold faye, 2018, ©victor garriou
photographie personnelle, vacances commerciales, 2 rue léopold faye, 2018, ©victor garriou
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1 1.1
une nouvelle considération de l’architecture
Révéler la misère comme un levier de conscience collective
irrigué par l’effet d’une telle dichotomie territoriale, ce climat n’est on ne peut mieux qualifié par l’emploi d’un terme devenu régulier lorsque aborde le sujet, la « dévitalisation » des centres villes.
« Action de dévitaliser, c’est à dire d’enlever à quelqu’un ou à quelque chose sa force vitale, sa vitalité.9 »
ce mot est employé de manière fréquente dans la profession dentaire. afin de dévitaliser une dent, munis de ces outils, le dentiste enlève la pulpe dentaire, élément vital de cette dernière. il est évident alors que cette action n’est nullement du à un phénomène naturel, elle est délibéré. dans un domaine plus sociologique, en relation avec ce mémoire, l’application semble être aussi radicale. a l’intérieur de ces villes moyennes et petites qui subissent depuis quelques années ce dit phénomène, des éléments considéré comme vitaux pour la ville se voient retiré, inhibant la « vie » dans leur centre. des rapprochements indéniables peuvent être établis avec des faits de société actuels, comme la fuite des commerces de proximités, l’étalement urbain, la désindustrialisation, etc… tout ce qui participait avant à ces temps d’échanges, de débat, de partage, galvanisateur d’une communauté, vecteur de sociabilisation.
mais ce dernier souffre d’une certaine raréfaction, se traduisant même au travers de l’évolution des comportements sociétaux. tutoyer sa boulangère, embrasser son coiffeur ou encore bénéficier des meilleurs morceaux de viandes chez votre boucher et ce par clientélisme, étaient des pratiques courantes. si on ajoute à cela la diminution des services publiques, le schéma s’auto-alimente, accentuant le seuil de pauvreté ainsi que de carence dans une société quelque peu bipolaire. non pas que ce discours soit taxé de passéiste, il illustre simplement une raréfaction logique de rapport humain, au bénéfice d’une consommation de masse.
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9. définition provenant du dictionnaire internet, l’internaute.
photographie, déchets et polution dans les rues, quartier de asuncion, paraguay, 2019, ©inconnu
photographie, youth orchestra uses instruments of landfill parts, instrument de musique fabriqué à base de déchets, asuncion, paraguay, 2019, ©inconnu
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considérés normalement comme des espaces qui donnent accès à une diversité d’expérience, les villes ont besoin de considérer leur climat de population encore plus qu’un climat d’affaires. il s’agit donc de requestionner cela et proposer des alternatives possible.
paru pour la première fois en 1978, le livre de l’architecte et sociologue yona friedman intitulé l’architecture de survie - où s’invente aujourd’hui le monde de demain10, pose une problématique sérieuse, et peut-être jugé avant-gardiste pour l’époque. faudrait-il dès aujourd’hui commencer à s’adapter à une pauvreté émergente ? il définit pour cela ce qu’est la pauvreté à ses yeux en expliquant comment il serait possible de s’en servir comme un atout. très peu considéré voir ignoré dans notre société actuelle, l’auteur vient rendre cette problématique positive, afin de peut-être mieux là faire accepter. il aborde des notions comme « l’auto-planification comme solution » et « comment la société pourrait-elle appréhender ces idées ».
son hypothèse, tout à fait relative, dit que le « pauvre » est indépendant et que part nécessité, il doit s’inventer des moyens de survie. Qualifié alors d’auto-planificateur, yona friedman émet une idée nouvelle pour notre société mais que l’on peut également jugé ancienne, où l’habitant pourrait devenir son propre architecte. en d’autre terme, c’est dire que la misère serait le berceau de l’innovation, lors de situation difficile, de pénurie, où tout un chacun deviendrai ingénieux par nécessité. souvent d’origine sociale et solidaire, la précarité est également génératrice d’intelligence collective.
il faudrait donc donner un nouveau rôle à l’habitant mais aussi trouver une place pour l’architecte. en remaniant ces standards, il s’agit de solliciter et de mettre en branle la conscience collective. pour le sociologue français emile durkheim, ce concept de conscience collective se définit par « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une société ». redéfinir ces intérêts communs, réintégrer l’usager au cœur des projets en tant que force de proposition, voila comment cette conscience collective se traduit en un terme, le collaboratif.
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10. friedman, yona, l’architecture de survie où s’invente aujourd’hui le monde de demain, casterman, 1978.
« … je ne veux pas être considéré comme un architecte atypique, car ce que je fait est une chose simple, que beaucoup d’architecte ne veulent pas faire. Mais ce n’est pas quelque chose pour contourner ou déroger à la règle, ou éventuellement faire le malin comme parfois on me qualifiait, mais c’est justement pour mieux connaitre la société dans laquelle on est, et se servir des outils que la société met en place (…) que ce soit par le droit, qui est très présent, j’ai essaye de voir si telle que la société est organisé et définis les règles de vies sociales, est-ce que à l’intérieur de cela on pourrait réintroduire un réenchantement, une imagination sociale, est-ce qu’on pourrait faire réapparaitre quelque chose qui à disparus aujourd’hui, la culture populaire. (…) dans une société très éclaté, très individualiste, est-ce que je peux arriver à réunir, élever de telle sorte que la chose que je vais faire va être visible, voir même elle va retourner des situations et des comportements habituels. »
extrait conférence de patrick bouchain, cycle alter architecture, ensa strasbourg, 2018
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illustration patrick bouchain, brochure exposition lieux infinis, biennale de l’architecture, venise, 2018, ©Jochen gerner