Du front urbain à l’interface métropolitaine : les limites métropolitaines comme espaces d’échanges
Frontière, limite, front. Historiquement, la ville est définie par ces remparts. Cette limite physique créer un cadre spatiale de développement, induisant une différenciation nette de ce qui est et ce qui n’est pas la ville. La limite est par ailleurs un sujet d’interrogation récurrent pour les institutions gouvernantes. Si initialement, la limite résout des questions de sécurité et de commerces (portes douanières), il s’agit désormais de mobilité ou encore d’étalement urbain. La construction de boulevards ou encore de périphériques a ainsi souvent joué le rôle des nouvelles limites de la ville, répondant aux enjeux contemporains des métropoles. Quoi qu’il en soit, la limite incarne une problématique majeure dans le développement des villes. Alors, dans un contexte de métropolisation, est-il toujours pertinent de parler de limites ? La métropolisation est en effet un processus qui concentre les populations, les activités, et qui met en tension des territoires de dimensions variables, dans un interêt commun. Le regroupement des territoires et les nouveaux liens créées entre eux reposent donc la question des limites sous un nouvel angle : celui de la transaction. Les métropoles ont en effet essayé de profiter des ressources multiples qu’offraient les territoires périphériques, avec comme objectif de rayonner à une échelle plus importante, en même temps que les périphéries ont tour à tour voulu s’insérer dans cette dynamique globale. Les limites historiques ont été par conséquent remises en question dans ce processus qui a multiplié les liens entretenus avec les territoires intra métropolitains et à l'échelle nationale voire mondiale également. Dans cette voie, les villes ont fait de la métropolisation une réelle stratégie urbaine, déformant et changeant l’idée même de limites. Et dans un même temps, ce dépassement des limites a fait émerger des nouvelles problématiques socio-spatiales, énoncées notamment par Jacques Donzelot, comme des effets négatifs et pervers de la métropolisation, souvent incontrôlables et fragilisant le processus. Ainsi, la métropole est aujourd’hui un espace multiscalaire qui cherche un nouvel équilibre, et également un nouveau modèle. En quoi la métropolisation a t-elle transformé les limites en interfaces ?
Limites de la ville et métropolisation, un débat erroné Passation entre la ville traditionnelle et l’urbain L’espace métropolitain, qui a succédé à la ville, a remis en cause les limites « traditionnelles », car l’espace n’a pas la même clarté qu’auparavant. L’urbain a ainsi pris la place de la ville (Paquot, 2003). À la lisière des villes, l’espace est fragmenté, délité, la ville historique se transforme en périurbains puis en rural. La ville est polycentrique, l’espace public remis en question. La métropole est ainsi cet enchainement complexe d’espaces différents. La dialectique rural-urbain, comme cadre d’analyse des villes, n’existe plus : elle a laissé place à un dialogue à trois, urbain - périurbain - rural où l’espace périurbain nommé « Tiers Espace » par Martin Vanier (reprenant le sociologue Jean Viard) tient désormais un rôle majeur, en tant qu’espace qui n’a pour modèle ni l’urbain ni le rural (Vanier, 2012). C’est donc dans un contexte où les échelles se percutent, où les enjeux locaux entrent en confits avec les enjeux globaux de la métropole que le regard sur les limites évolue.
Dénomination À l’instar de la question de la nomination du « périurbain » étudié par Bernard Henri Nicot notamment (2005) ou encore des différentes acceptations du mot « limite » (Brouet, 2003), la dénomination des nouvelles limites tient un rôle majeur. Aucun mot ne saurait illustrer une vérité plurielle et qui plus est dépendante d’un regard particulier sur une situation. Considérer les limites en références aux limites historiques conduit ainsi à stigmatiser le périurbain comme un espace à part. Or, le périurbain est en partie une conséquence de la mise en relation des territoires. Il n’est pas un espace autonome, étanche. Le débat semble ainsi s’essouffler dans la considération des limites, fronts urbains, fronts métropolitains, ou encore frontières, qui sont des termes qui renvoient à une question spatiale, quand la métropole tend à lier plutôt qu’a séparer. Ainsi, des limites contemporaines, métaphoriques des remparts historiques, telles que la ceinture périphérique ne sauraient réellement être de nouvelles limites à l’image des anciennes. La limite réelle se situe certainement plus dans l’administratif et la difficulté de gouvernance du projet interterritorial (Vanier, 2000) que dans une réalité physique. Les pouvoirs métropolitains ont rencontré des difficultés croissantes dans la capacité à traiter à la fois les questions locales, et les nouveaux enjeux de l’échelle globale. En effet, cette gouvernance urbaine s’est heurtée à des mécanismes administratifs inadaptés au modèle métropolitain, dans un schéma rendu complexe par une utilisation des espaces de la ville qui met en scène des acteurs venus de différents lieux. Le périurbain, dans sa généralité, en est l’incarnation. Du local au global Si la métropolisation a inventé une nouvelle dimension, une nouvelle échelle d’espace, elle a aussi remis en question l’échelle locale. La mise en perspective du local à cette nouvelle dimension métropolitaine à ainsi changé la sociologie de ces espaces, le rapport de voisinage, l’idée d’espace public, créant des doutes sur le rapport entretenue entre ces espaces domestiques et l’échelle globale. Les problématiques liées aux espaces périurbains, à l’isolement croissant des espaces ruraux, aux questions d’identifications ou encore des problèmes plus techniques comme l’accès parfois compliqué aux technologies et aux réseaux en sont la résultante. S’il subsiste de manière évidente des problématiques liées aux franges, aux lisières, aux vides, aux mobilités… il n’existe pour autant aucun remède capable de soigner ces maux sans une considération de l’échelle réelle du rapport à la métropole. La réalité des problématiques locales pourrait donc s’expliquer en partie dans la considération du global. Un nouveau débat doit ainsi dépasser la dimension intrinsèque des territoires pour mettre en lumière leurs liens. Questionner ces liens, leurs qualités, et comment ils se répercutent sur le local et le global. La métropole n’est pas la ville sans limites, qui entretiendrait des relations équilibrées avec ces territoires périphériques. Ce lien avec les périphéries, parfois rompu ou discontinu, caractérise ces nouveaux modèles de villes, dans leurs potentiels comme dans leurs inégalités. L’arbitrage des ces relations semble être alors une clé majeure pour questionner la qualité des liens.
L’interface : nouvelle clé de lecture des territoires métropolitains L’interface, lecture géographique Empruntant la définition chimique de l’interface, c’est à dire celle d’une membrane fine mettant en relation deux cellules différentes, les « limites » sont perçues sous un nouveau jour : il s’agit non pas d’un espace marquant la sortie ou l’entrée, mais bien un espace avec une réelle épaisseur spatiale et sociale. Il s’agit d’une approche géographique de l’espace, territoriale plus que
locale. La limite physique est une construction sociale, géométrique. L’interface constitue la relation des deux espaces adjacents de la limite. C’est un résultat de la discontinuité de l’espace (Lévy et Lussault 2003), nommé « Entre-ville » par Thomas Siervets (1999), mais qui offre des possibilités d’échanges. L’interface n’est donc pas l’interaction en tant que donnée spatiale sinon l’échange, la régulation et la valorisation de ces interactions par la considération en des lieux spécifiques et non pas uniquement les espaces étanches. C’est l’émergence d’une nouvelle hiérarchisation de l’espace, l’interface inclut autant qu’elle exclut, mais elle caractérise avant tout cette dimension de flux et de dynamique. L’interface donne une dimension nouvelle, méliorative, des espaces d’entre-deux et des espaces périphériques des métropoles. Outre leurs qualités ou défauts intrinsèques, les interfaces incarnent une dimension transactionnelle, plus en phase avec les objectifs de la métropole. Enfin, l’interface caractérise une attitude prospective, dans la mesure ou elle se détache du modèle de la ville dans ces limites, et qu’elle donne une nouvelle lecture des problématique liées à la métropolisation.
La métropole comme lieu d’échanges L’urbain est la ville qui a dépassé ses frontières. « L’urbain sans lieu ni borne » (Webber, 1964), traduit une société aux intérêts délocalisés. C’est « l’érosion de la ville » ou « la déspatialisation de la ville ». C’est en somme une ville qui, spatialement éclatée, délitée, étirée, ne s’affirme plus comme une entité unique mais comme une multitude de lieux mis en tension. La ville est devenu un « urbain relationnel » (Paquot, 2003), dans lequel les modèles anciens de villes ont été remis en cause d’une part par la multitudes de sous espaces rayonnant autour et dans la métropole, et d’autres parts par l’emprise croissante des échanges dans la métropole, entre les territoires périphériques et les centres. Une transformation qui, par ailleurs, a crée une multitude d’entre lieux, d’interfaces, et qui pose des questions cruciales de gouvernance. L’exemple du grand Paris démontre ainsi la difficulté de créer un schéma cohérent à la grande échelle, tant les barrières administratives sont importantes. D’une part, car les échanges entre Paris et ces périphéries posent la question de l’équilibre, constatant que la métropole à tendance à aspirer les ressources des périphéries, et d’autres parts car ces territoires périphériques n’ont pas toujours les mêmes enjeux que la métropole, ce qui tend à expliquer les méfiances de se subordonner à une gouvernance globale. S’il est vrai que les périphéries établissent des stratégies pour entrer dans les rayons d’influences administratifs des métropoles, afin de développer les transports en communs notamment ou encore d’essayer en retour de rendre leur territoire plus attractif, il n’en demeure pas moins que la barrière de gouvernance explique aujourd’hui les difficultés d’établir un schéma cohérent global et égalitaire. La ville ne serait donc plus qu’un idéal perdu (Henri Lefebvre, 1970), où le modèle déchue de la ville historique à cédé sa place à une ville en réseau. Qu’échange t-on? Avec un regard intra-métropolitain, les échanges sont constants : les travailleurs du périurbains qui rejoignent quotidiennement un espace de travail au centre, ou dans une autre partie de la métropole. Les échanges de ressources sont également essentiels, notamment l’eau et la gestion des déchets, mais aussi d’électricité, de réseaux de communication. Enfin, les échanges immateriels, culturels, touristiques, sont de plus en plus importants au sein des métropoles. Or, la pensée en réseau n’est pas la ville fonctionnelle des modernistes : il s’agit d’un modèle qui intercroise plus qu’il ne sépare, ou l’espace d’échange tient une valeur aussi importante que les espaces qui échangent. D’autant plus que la diversité de ces échanges doit créer une diversité d’espace. Ce sont donc ces multiples interfaces, identifiables comme des espaces concret ou virtuel, qui dessinent un ville nouvelle. Les liens fabriquent les espaces. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une ville sans
frontière, totalement débridée et incontrôlable, sinon une métropole faite d’échanges et d’interactions, créant parfois des inégalités fortes.
Quel équilibre dans ces rapports inter-territoriaux? L’urbain n’est pas la ville. La métropolisation généralisée a remis en question les limites historiques. Le débat sur les limites s’essouffle dans la compréhension des espaces qui constituent le maillage des métropoles, alors que les qualités intrinsèques de ces espaces sont à lire dans la perspective globale de la métropole. Rechercher une nouvelle limite aujourd’hui est contreproductif, dans la mesure ou la métropolisation vise a mettre en tension des territoires et non les séparer. S’il est vrai que les problématiques locales persistent dans des espaces comme le périurbain, ou encore que la limite la plus étanche reste administrative et de gouvernance, c’est la considération des échanges, sous l’angle d’un urbain transactionnel, qui offrent une perspective. Les interfaces plutôt que limites, ce sont ainsi les nouveaux liens. En quoi l’échange des ressources entres les territoires de la métropole permet de mieux comprendre et de mieux fabriquer les métropoles ? En prenant l’exemple d’une ressource essentielle comme l’eau, dans une ville moyenne des Pyrénées Atlantiques (Pau), quel arbitrage entre la métropole qui attise cette ressource et le village qui dispose de la source? Quelle contre partie? La ville de Pau vampirise t-elle cette ressource? Dans quel circuit et quelle dynamique s’inscrit cette relation? Créer t-elle des lieux intermédiaires particulier qui profitent de cet attrait? Quel jeu d’acteur, quel pouvoir, quel gouvernance? Et enfin, à travers l’eau, quel projet inter territorial ce lien peut-il incarner? En considérant ces questions comme des axes qui révèlent d’une part, comment le lien entre un centre et une périphérie peut générer des inégalités, et d’autres parts, être un potentiel fort de développement à la grande échelle comme à la petite, l’analyse comparative des deux territoires supposent à la fois un regard sociologique, démontrant comment se répercutent ces liens sur les espaces en question, et également un regard institutionnel, cherchant le rapport de force et les moyens d’actions des territoires.
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