De l’industrie à la culture, les friches comme outil de régénération urbaine

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De l’industrie à la culture, les friches comme outil de régénération urbaine

I.

Les effets de mondialisation sur la métropole

La mondialisation n’a jamais été autant d’actualité et ses effets se font ressentir sur les territoires. La métropolisation est la traduction urbaine de la mondialisation (Godier 2018). De nouveaux processus d’urbanisation prennent forme pour suivre des logiques de compétitions urbaines. Chaque ville est entrainée par un désir de distinction tout en souhaitant appartenir à la vague mondiale. L’imaginaire qui est porté autours des « villes idéales » se généralise. Créant ainsi des représentations mentales identiques sur des territoires, qui de base, sont biens différents. Les villes tendent à se ressembler, nous assistons à une standardisation de l’architecture mais également des espaces urbains. La globalisation de l’économie contribue aux dessins de nouvelles figures urbaines, comme le fait qu’elles aspirent à devenir polycentriques. (Nourrigat-Brion 2016) Toujours à la recherche d’une meilleure connexion entre les territoires, les métropoles sont composées de plusieurs villes reliées entre-elles par des axes de circulations intenses. Les différents quartiers qui structurent les villes sont liés à l’organisation d’un maillage urbain. Comme un palimpseste de différentes époques qui marquent le territoire par des couches superposées, les métropoles sont polarisées vers ces centres qui peuvent être dans les centres villes comme en périphérie.

II.

Etalement urbain vs durabilité

Mais comme nous sommes incapables de stopper l’étalement urbain d’une société en pleine expansion, le renouvellement urbain serait une solution pour le ralentir (Piron 2002). En effet, tout en ayant intégré la voiture comme étant le moyen de transport roi, l’urbanisme des 30 glorieuses était régi par la ségrégation spatiale des activités, soit la séparation des fonctions sur un plan de zoning territorial. Plutôt que de traiter le déjà-là, cet urbanisme s’orientait vers de nouvelles zones à bâtir, avec le rêve du pavillonnaire et les grands centres commerciaux en péri-urbain. Cela a conduit à l’augmentation des distances parcourues en voiture, donc à des consommations énergétiques importantes, à plus de nuisances sonores, à des congestions urbaines et à la pollution atmosphérique. Le gaspillage d’espace de cette époque a également demandé de fortes dépenses pour des travaux de superstructures et d’infrastructures (Guelton-Navarre 2010). Face aux multiples constats négatifs que l’étalement urbain de la société post industrielle a laissé sur le tissu urbain, les pays européens ont pour objectif, depuis une dizaine d’années de limiter cet étalement en densifiant les villes. En effet, afin d’éviter les problèmes environnementaux, socioculturels et économiques qu’engendre l’étalement urbain, les politiques publiques visent à promouvoir des stratégies territoriales basées sur la densification, soit une urbanisation de l’intérieur, ou comment construire la ville dans la ville (Rey-Lufkins 2015).


En règle générale, cette stratégie a pour but de mettre en place un système cohérent et structuré entre les différents quartiers, qui seraient reliés par un réseau de transport public à impact environnemental réduit. Dans l’intention de préserver la diversité des paysages, la qualité de vie, l’économie ou même la compétitivité internationale il parait indispensable de suivre cette logique (Rey-Lufkins 2015). Depuis les années 80, le tourisme urbain connait une croissance importante. Les pratiques ont changées, c’est-à-dire que les touristes ne cherchent plus à visiter une cité musée, mais plutôt de vivre la ville comme les habitants. Se mettre dans la peau des locaux pendant un laps de temps, pour bien comprendre leurs modes de vie. Les villes s’appuient alors sur ces nouvelles pratiques du tourisme pour développer leur attractivité. Ces dernières se transforment peu à peu en destinations touristiques. (Vles-Berdoulay-Clarimont 2005) Cette attractivité est avant tout recherchée au travers de la qualité de vie que chaque quartier propose. L’économie urbaine qui s’en découle se traduit généralement par une patrimonialisation des espaces urbains. Mais comme Olivier Mongin l’explique dans une interview sur France Culture, la muséification tend à standardiser ces espaces pour toucher le global. Ce qui peut provoquer des disjonctions entre les habitants et les touristes.

III.

Les villes créatives, utopie floue ou véritable outils de promotion ?

La compétition urbaine que la mondialisation suscite, pousse les métropoles à constamment chercher de nouveaux modèles urbains. C’est ainsi qu’intervient le concept très attirant de « ville créative ». Présenté la première fois par Charles Landry en 1980, il correspondrait à un modèle de développement territorial visant à attirer les investisseurs. Bien que le terme de créativité ait subi de fortes contestations dans ce domaine, plusieurs villes ont semblé s’emparer de ce mode d’urbanisme. En 2004 l’UNESCO va jusqu’à créer un réseau de villes créatives. Il s’agit bien souvent d’anciennes villes industrielles qui axent la créativité comme une stratégie de développement urbain durable. Il devient alors normal pour les villes de viser ce statut, dans une logique de marketing urbain, ou, la promotion par la culture. Richard Florida, autre figure emblématique de ce concept urbain, associe ce qu’il appelle la « classe créative » aux secteurs de recherches et de l’industrie de haute technologie et de l’innovation (Florida 2002). Il désigne la « classe créative » comme étant des acteurs principaux du développement économique des villes, qu’il regroupe en 3 T : technologie, talent (Bac+5) et tolérance (homosexuels, diversité culturelle, domaine artistique). En faisant intervenir ces trois indices, il y instaure une relation avec le développement économique des villes (Silvent 2019). Bien que ce regroupement d’individus aux profils sociaux économiques différents semble frôler l’amalgame, il estime que cette classe rassemblerait 30% de population active et représenterait environ 70% du pouvoir d’achat. Son étude porte donc sur l’identification des facteurs qui contribuent à cette attraction du capital social. Il arrive à la conclusion que cette classe est attirée par des villes tolérantes et diversifiées (Darchen-Tremblay 2008). Cultivés et attiré par la culture, on pourrait assimiler cette classe aux « gentrifieurs », acteurs déclencheurs de la gentrification. D’après une étude montée en 2007 par l’AMGVF (l’Association des Maires des Grandes Villes de France), les politiques culturelles constituent le principal budget des grandes villes (Destot 2010).


IV.

L’instrumentalisation de la culture par les friches

C’est dans cette optique, entre le désir de durabilité urbaine et d’accroissement économique, que les friches ont commencées à susciter la convoitise. Héritage de la société post industrielle, il n’est pas rare de voir des zones abandonnées en milieu urbain. Etymologiquement, le terme de friche provient d’abord du milieu agricole pour désigner une terre agricole non cultivée dans un cycle de jachère. C’est le géographe allemand Hartke qui a utilisé la première fois le terme Sozialbrache (friche sociale) pour décrire les terrains abandonnés, laissés en « friche » à proximité des villes, voire dans les villes (Raffestein 1988). Depuis, plusieurs adjectifs ont été accolés pour définir l’origine de la fonction de ces terrains en friches. L’INSEE définit les friches comme étant des espaces bâtis ou non, anciennement utilisé pour des activités industrielles, commerciales ou autres, abandonné depuis plus de 2 ans et de plus de 2 000 m². On peut ainsi distinguer un panel de friches comme les friches industrielles, militaires, commerciales, habitats, ferroviaires, portuaires, infrastructurelles ou des délaissés divers. En 2016, la France a répertorié pas moins de 2 500 friches (AUCAME-2016). Bien que plusieurs raisons puissent engendrer des espaces en friche, le prix de la décontamination des sols reste le principal frein pour leur réhabilitation. Mais récemment, la loi ALUR incite à la reconversion de friches polluées en assouplissant les règles juridiques de la dépollution. L’abandon de ces espaces est représentatif de l’inadéquation, à un instant précis, des changements de demandes entre « contenu et contenant » (Ambrosino, Andres 2008). En effet, le besoin des villes changent et le recyclage est rarement immédiat. En rappel des difficultés économiques, ces espaces délaissés n’ont pas toujours été bien vus. Pendant longtemps, ces derniers ont été perçus comme des portions problématiques, ou même comme un symbole de déclin. Cette perception négative est bien souvent en lien avec la contamination de leur sol. De leur abandon jusqu’à leur réinsertion, ce temps d’attente a pu paralyser les activités économiques du quartier. Durant cette période d’abandon, en dehors des institutions planificatrices, les friches urbaines ont été réinvesties temporairement. Dans un cadre légal ou non, ces activités, économiques alternatives, culturelles, socioculturelles ou artistiques, sont porteuses de nouveaux rapports sociaux (Ambrosino Andres 2008). Alors qu’elles peuvent renvoyer des images négatives, elles deviennent pourtant des lieux d’expression, potentiellement attractifs. En effet, avec l’effervescence de la culture hip hop, l’art urbain entre progressivement dans les mœurs. Réceptacles de diverses expressions urbaines, il n’est pas rare de voir des quartiers en processus de gentrification accueillir des signes de cette culture. Pour un public ayant un certain goût du pittoresque, les friches urbaines sont de véritables galeries d’art. Ces espaces profitent également d’une situation géographique intéressante à l’échelle du territoire. En effet, au moment de l’implantation du bâtiment, l’emplacement était minutieusement étudié pour pouvoir bénéficier d’une accessibilité intéressante. Ces espaces sont donc souvent correctement rattachés au tissu urbain et peuvent jouir du réseau de circulation existant (Rey-Lufkins 2015). Bien conscients des enjeux d’attractivité que cela pouvait générer, les politiques d’aménagements se sont donc orientées vers le réinvestissement des friches urbaines. La régénération de friche est la tendance actuelle. Chaque ville a sa friche dans un désir d’offrir un espace atypique, proche de l’informel. Souhaitant réintroduire et remettre en valeur le passé industriel, la mise en culture des


friches urbaines est fréquente. En vue des surfaces de sol importants, les institutions qui gèrent ces espaces proposent des programmes variés et séduisants, qui suivent généralement de belles valeurs humaines et environnementales. Pourtant, derrière de ces charmantes idées, se cachent bien souvent des intentions spéculatives. Marché bio, open space, lieux d’exposition, fab lab, centre d’accueil pour réfugiés, skate park… Le programme mixte que proposent ces friches rénovées, prend des airs de micro village indépendant presque en marge, mais appartient bel et bien à la société. Il s’agira de mettre en tension l’activité économique que peuvent générer les friches réhabilitées en lieux culturels, et leur aspect paradoxalement marginal, abimé, éphémère, en prenant pour exemple l’espace de Darwin Bastide Niel à Bordeaux.

Bibliographie

Livres: -

FLORIDA, Richard, « The Rise Of The Creative Class: And How It's Transforming Work, Leisure, Community And Everyday Life », Relié, mai 2002

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PIRON, Olivier, « Renouvellement urbain : Analyse systémique », Broché, sept 2002

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REY, Emmanuel, LUFKIN, Sophie, « Des friches urbaines aux quartiers durables », Société, nov 2015

URL :

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NOURRIGAT, Elodie, BRION, Jacques, « Influence du numérique sur le processus de conception. Smart city vers une nouvelle pensée du projet de ville ». Issu du livre Modernités architecturales: interdisciplinarité paru aux éditions de l'Esperou – 2016. URL : http://stud-io.com/Smart-city-vers-une-nouvelle-pensee-du-projet-de-ville

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DESTOT, Michel, propos recueillis par SAEZ, Jean-Pierre et en collaboration avec PIGNAT Lisa, Dans L'Observatoire 2010/2 (N° 37), pages 11 à 16 2010. URL : https://www.cairn.info/revuel-observatoire-2010-2-page-11.htm

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SILVENT, Laetitia, « La ville créative : quelle place pour la culture? » 2019. URL : http://www.mythe-imaginaire-societe.fr/?p=4352


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VLES, Vincent, BERDOULAY, Vincent, CLARIMONT, Sylvie, « Espaces publics et mise en scène de la ville touristique », Rapport final de recherche sous la direction de Vincent Vlès, oct 2005. URL: https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00694757/document

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DARCHEN, Sébastien, TREMBLAY, Diane-Gabrielle, « La thèse de la « classe créative » : son incidence sur l’analyse des facteurs d’attraction et de la compétitivité urbaine », 2008. URL : https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/503

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GUELTON, Sonia, NAVARRE, Françoise, « Les coûts de l'étalement urbain : urbanisation et comptes publics locaux » Dans Flux 2010/1-2 (n° 79-80), pages 34 à 53, 2010. URL : https://www.cairn.info/revue-flux1-2010-1-page-34.htm

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RAFFESTEIN, Claude, « Réflexions sur la notation de "friche industrielle" », Habitation : revue trimestrielle de la section romande de l'Association Suisse pour l'Habitat 1988. URL : https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=hab-001:1988:61::719

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AUCAME, Agence d’urbanisme de Caen Normandie Métropole, Les friches : entre contrainte et potentiel de renouvellement urbain, 2016. URL : https://www.aucame.fr/web/publications/OpenData/fichiers/ObsFoncier02_friches.pdf

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AMBROSINO, Charles, ANDRES, Lauren, « Friches en ville : du temps de veille aux politiques de l'espace », Dans Espaces et sociétés 2008/3 (n° 134), pages 37 à 51. URL : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2008-3-page-37.htm

Emission radio:

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MONGIN, Olivier, « Le développement des villes passe-t-il par leur muséification ? », Du Grain à moudre, France Culture, 27/03/2014. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre/le-developpement-des-villespasse-t-il-par-leur-museification

Cours: -

GODIER, Patrice, « Métropolisation des territoires et habitat », cours cycle de Master, 2018



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