Territoires périurbains, quelle représentation ? Fabienne Nal
Aujourd’hui, près d’un tiers des Français réside dans les territoires périurbains. C'est en 1966 que pour la première fois, le terme « péri-urbain » apparaît dans le dictionnaire, avec une définition simple : "qui entoure la ville". La périurbanisation désigne le processus d'extension des agglomérations urbaines, dans leur périphérie, entraînant une transformation des espaces ruraux, elle peut prendre appui sur des noyaux habités préexistants (villages, bourgs) et sur les grands axes de communication qui relient ces espaces aux pôles urbains. L'INSEE donne une définition à ce terme en 1999. La couronne périurbaine d’un pôle urbain est alors définie comme étant « l’ensemble des communes, présentant une discontinuité bâtie avec le pôle urbain, dont 40 % ou plus des actifs résidants vont travailler dans celui-ci » (Prost, 2001). Le rôle des acteurs politiques n’est pas à négliger dans le développement rapide du périurbain en France. Dans les années 1970 on observe une politique de mise en avant du périurbain par l’encouragement à l’accession à la maison individuelle, soutenu par les politiques du « tout voiture ». Ce n’est que plus tard, surtout depuis la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) de décembre 2000, que le mouvement s’inverse, qu’on légifère pour essayer d’enrayer la progression du périurbain et de l’étalement urbain qui en découle. C’est à cette période que le périurbain commence à avoir une image négative aux yeux du grand public, renforcée par des critiques sévères de la sphère scientifique à son encontre et des visions « clichées » qui apparaissent et sont véhiculées dans les médias.
Le périurbain dans l’opinion publique : une vision stigmatisée Le paysage du périurbain est souvent vu à travers le calque de nombreux préjugés. Les plus fréquents sont sur la qualité spatiale et esthétique des lieux, on les dit « sans qualité », « homogènes », sans urbanité », ou encore « moches ». Ils sont pointés du doigt comme étant l’exemple même du contraire du développement durable, les périurbains sont « des dévoreurs d’énergie », s’organisent selon « une dispersion anarchique », les habitants du périurbain sont enfin des « égoïstes » des « isolés ».1 Le tableau est donc plutôt négatif, et largement véhiculé auprès du grand public. Pour étayer mon argumentation je m’appuierai dans cette partie sur de nombreux exemples afin de faire un tour d’horizon des différents supports médiatiques qui relaient une image du périurbain. Parlons tout d’abord de la presse écrite. Dans une étude menée sur des articles parus entre 2005 et 2009 (Billard et Brennetot, 2010) dans 16 grands titres de la presse d’actualité en France, 480 articles contenant les formes « périurba-» ou « rurba- » ont été réunis. Dans l’ensemble, les jugements négatifs sont nombreux, 84 articles dénoncent de façon explicite les effets pervers liés à la périurbanisation, 36 articles mettent en cause la dépendance à l’automobile et 60 articles évoquent l’étalement pavillonnaire. Le périurbain y est aussi défini de diverses manières : « la 1
Ces expressions sont issues de multiples lectures sur le périurbain et son image.
gangrène urbaine » (Libération, 13.01.2007), « un no man’s land » (L‘Humanité, 11.06.2009), « un pays invisible » (L’Express, 30.03.2007) ou encore « la société barbecue » (Le Figaro, 05.05.2007). Ces qualificatifs peu élogieux renforcent donc le caractère stigmatisé du périurbain auprès du public. Un article paru dans Télérama en 2010 « Comment la France est devenue moche » de Jarcy et Remy, reprend ces visions négatives du périurbain et en dresse un portrait noir basé sur le pavillonnaire et les zones commerciales comme paysages « moches », emblématiques du périurbain. La presse n’est pas le seul média à transmettre une vision stéréotypée du périurbain, on le trouve aussi représenté dans des films ou encore des séries. Dans les séries télévisées françaises, le périurbain est plutôt montré comme un espace vide, où on ne croise personne, où tout peut arriver sans que personne ne le remarque car tout le monde est isolé dans son monde domestique (Exemple : Braquo, S2, E1). Dans les séries télévisées américaines c’est plutôt l’homogénéité qui est mise en avant, le périurbain est une suite de maisons identiques. Sa représentation la plus visible est dans le générique de début de la série Weeds, accompagné par la musique de Malvina Reynolds (1967), Little Boxes. Il présente un paysage où tout est cloné à l’identique (maisons, voitures, habitants). Il faut néanmoins nuancer la comparaison entre le périurbain présenté dans cette série et le périurbain auquel s’attachent les représentations de français, car c’est un périurbain beaucoup plus bourgeois qui y est représenté. Les représentations picturales du périurbain les plus récurrentes nous montrent des pavillons entourant des rues vides, des centre commerciaux composés de boîtes ou encore des routes bordées par des pylônes électriques, avec des successions de rond-points. On nous montre rarement les centres bourg anciens d’où est partie l’urbanisation, les zones de « nature » entrant en contact avec la ville, les habitants de ces lieux et leur vie quotidienne. Les contre-exemples existent mais ils restent rares. Raymond Depardon a réalisé un reportage photo sur cette France périphérique, exposé en 2010 à la BNF. Il a voulu au contraire montrer la diversité des paysages français. Les habitants n’apparaissent pas forcément, mais il photographie alors le paysage de leur quotidien. Il montre les conséquences de l’explosion des villes françaises durant la seconde moitié du XXe siècle qui a créé des usines à vendre en périphérie, des villes entourées de parkings, des zones périurbaines autour des petites villes et des villages. Cependant son regard n’est pas négatif sur ces lieux. Actuellement de plus en plus de travaux sont en cours sur le réenchantement du périurbain, pour mettre au jour ses qualités, ses possibilitées d’évolution, comme le livre Le périurbain, espace à vivre, sous la direction de F. Muzard et S. Allemand, paru en novembre 2018.
Le périurbain en débat L’image du périurbain a grandement été perçue en fonction de la manière dont ont été appréhendées les « classes moyennes » du point de vue social et politique ; inversement, la vision des classes moyennes a aussi été influencée par les travaux menés sur leurs espaces résidentiels, pavillonnaires et surtout périurbains (Girard, Rivière, 2013). Les discours sur le périurbain changent rapidement parmi les chercheurs en sciences humaines et sociales : les points de vus s’opposent, l’espace périurbain est encore aujourd’hui en débat.
La crise des gilets jaunes qui sévit depuis novembre 2018 a remis au goût du jour de nombreux argumentaires autour du périurbain. Le plus cité étant le géographe Christophe Guilluy et son concept de « France périphérique ». Il présente ces territoires comme étant relégués, oubliés et les oppose ainsi aux grandes métropoles où « tout se passe », la périurbanité serait donc « subie ». Il parle de territoires « méprisés » par les politiques, le mépris étant renforcé par les études tendant à montrer que le périurbain vote FN, qui sont apparues dès les années 1980. Le périurbain apparaît alors comme « l’émergence d’une contre société », qui espère échapper à la ville et à ses banlieues (Guilluy, 2015 et Cassely, 2014). Deux chercheurs débattent également régulièrement de la question du périurbain et de ses habitants. Il s’agit de Jacques Lévy et Éric Charmes. Jacques Lévy défend la thèse du choix d’habiter le périurbain. Ce choix serait alors fait pour favoriser le repli et l’entre soi, et serait propice au vote FN (Levy, 2013), tandis qu’Éric Charmes défend plutôt la thèse de la diversité des périurbains et invite à ne pas généraliser les propos sur ces espaces. Pour lui le périurbain n’est pas un lieu de refus de la ville (Levy parle d’un « gradient d’urbanité » plus faible dans le périurbain), y habiter peut-être subi ou choisi, les habitants peuvent y être de classes populaires ou aisées. Il rejoint cependant Jacques Levy sur le fait que ces territoires favorisent le repli et parle quant à lui d’un phénomène de « clubbisation » (Charmes, 2013). Tous ces travaux tendent cependant à comparer les zones périurbaines aux zones rurales et urbaines qui l’entourent, et donc à le dévaloriser car il ne présente pas les mêmes caractéristiques que ces deux zones. Le géographe Martin Vanier présente alors une posture intéressante face à ce débat. Pour lui le périurbain restera condamné si on continue de le comparer aux autres types d’espaces, il doit exister par soi-même. Le périurbain a ses caractéristiques propres, il faut donc l’assumer et arrêter de le considérer comme un espace semi-ville, semi-rural. Il parle d’un « tiers espace » entre ville et campagne qui n’est ni l’un ni l’autre. De plus pour lui une grande partie de la stigmatisation des zones périurbaines vient du fait que très peu de projets y sont portés par rapport aux zones urbaines. Pour lui, pour réconcilier la France avec son périurbain il faut qu’il apparaisse des « projets périurbains » (Vanier, 2005).
Le périurbain vu et vécu par ses habitants Ces dernières années sont apparues des études prenant en compte l’opinion des habitants des zones périurbaines françaises. On a par exemple une enquête audiovisuelle menée directement auprès d’habitants du périurbain commandée par le CGET (Commissariat Général à l’Egalité des Territoires) pour recueillir la parole de ceux qui vivent et pratiquent quotidiennement le périurbain. Elle a été réalisée à partir d’entretiens menés auprès d’une centaine d’habitants vivant dans des communes périurbaines des agglomérations de Rennes, Valenciennes, Toulouse, Dole, Brignoles et du Gâtinais français. Le court métrage qui en est tiré s’intitule « Vivre et habiter le périurbain aujourd’hui et demain ». Il a été projeté la première fois en 2015. Le film donne à voir les espaces périurbains dans leur diversité. La question de donner la parole aux habitants, aux citoyens, à ceux qui vivent quotidiennement le territoire est aujourd’hui au cœur de l’actualité avec le mouvement des gilets jaunes qui a
commencé en novembre 2018. Cette manifestation citoyenne est intéressante à observer à travers la notion de périurbanité. Les "classes moyennes", le vaste "périurbain"... Dans ces espaces à la marge de la grande ville, des métropoles, où tout paraît se dérouler aujourd’hui, la voiture joue un rôle pratique essentiel, vital : sans elle, ni travail, ni loisirs. Dans l’article Territoires : périurbain et zones rurales : un malaise plutôt qu’un déclin de Vincent Grimault (Alternatives Economiques, 01/2019), il cite le géographe Samuel Depraz pour illustre cela : « L’offre périurbaine a fixé dans la campagne une France contrainte, plus que tout autre sensible aux variations de ses conditions matérielles de vie ». Ainsi les législations récentes ont aggravé le sentiment de déclassement de parties entières de la population, tenues à l’écart des métropoles. Cette manifestation sonne un peu comme une « révolte des oubliés ». Le rassemblement est très disparate dans sa composition, il pourrait donc être le signe qu’un périurbain unique n’existe pas, que cette notion est très diversifiée selon les territoires, il y a DES périurbains en France. Pout mon mémoire, j’aimerai continuer à travailler sur cette question de la représentation du périurbain et de la façon dont il est vécu par ses habitants. Je voudrais pour cela mener une enquête de terrain dans une ville périurbaine de la métropole Bordelaise, auprès des habitants de Blanquefort, commune qui marque la fin de la Métropole au Nord-Ouest (et la fin de la ligne du tram C). Cette notion de bout de ligne, de fin de périmètre est intéressante à étudier car les mobilités vers le pôle urbain sont une des caractéristiques phares de la périurbanisation. Habitant cette commune depuis quelques années, il me sera possible de réaliser des entretiens et de faire passer des questionnaires, par exemple, pour étayer mon enquête.
Bibliographie
Anne Bretagnolle . 2015. « La naissance du périurbain comme catégorie statistique en France. Une perspective internationale », L’Espace géographique, (Tome 44), p. 18-37. URL : https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2015-1-page-18.htm Brigitte Prost. 2001. « Quel périurbain aujourd'hui ? / Periurbanisation today ». Géocarrefour, vol. 76, n°4. pp. 283-288 URL: https://www.persee.fr/doc/geoca_1627-4873_2001_num_76_4_2570 Christophe Guilluy. 2014. La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, Paris, Flammarion, Éric Charmes & Lydie Launay & Stéphanie Vermeersch. 2013. « Le périurbain, France du repli ? », La Vie des idées URL : http://www.laviedesidees.fr/Le-periurbain-France-du-repli.html Gérald Billard and Arnaud Brennetot. 2010. « Le périurbain a-t-il mauvaise presse ? Analyse géoéthique du discours médiatique à propos de l’espace périurbain en France », Articulo Journal of Urban Research URL : https://journals.openedition.org/articulo/1372 Jacques Lévy. 2013. « Liens faibles, choix forts : les urbains et l’urbanité », La Vie des idées. URL : http://www.laviedesidees.fr/Liens-faibles-choix-forts-les.html Jean-Laurent Cassely. 2014. « « La France périphérique » de Christophe Guilluy : la géographie est un sport de combat », Slate URL : http://www.slate.fr/story/92641/christophe-guilluy-france-peripherique Martin Vanier. 2005. « La relation ”ville / campagne” excédée par la périurbanisation ». Les Cahiers français : documents d’actualité, La Documentation Française, pp.13-17 Martin Vanier. 2011. « La périurbanisation comme projet », Métropolitiques, URL : https://www.metropolitiques.eu/La-periurbanisation-comme-projet.html Violaine Girard & Jean Rivière. 2013. « Grandeur et décadence du « périurbain ». Retour sur trente ans d’analyse des changements sociaux et politiques », Métropolitiques URL : https://www.metropolitiques.eu/Grandeur-et-decadence-du.html Xavier de Jarcy et Vincent Remy. 2010. « Comment la France est devenue moche », Telerama URL :https://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php