L’agriculture urbaine : une base pour une réelle alternative Amandine PANGON Aujourd’hui les métropoles occidentales aspirent à refléter la ville durable et écologique, au travers de la valorisation d’activités ciblées. L’une des pratiques les plus valorisées est l’agriculture urbaine, qui permettrait de répondre à des besoins alimentaires tout en exploitant la nature en milieu urbain. Comment et dans quel contexte peut-elle être qualifiée de réelle alternative ? Depuis plusieurs années, la dimension écologique est un nouvel enjeu à l’échelle mondiale. Ainsi des associations, des projets, des conférences, des accords traduisent cette nouvelle considération pour l’environnement, à travers la manière de consommer et de produire. En effet, à grande échelle, 195 Etats et l’Union Européenne ont signé la Convention Cadres des Nations Unies sur le changement climatique et comment y remédier. Cette convention amène à des conférences sur le climat (COP 21)1 qui réunissent les pays signataires afin de négocier des engagements dans le but de diminuer les gaz à effet de serre et ainsi permettre de ralentir le réchauffement climatique. Ces conférences attestent d’une prise de conscience de l’impact de l’Homme sur la planète et les limites de cette dernière, à l’échelle mondiale. Quel est l’impact de ce nouvel enjeu à l’échelle des villes ? Les métropoles, au travers de dispositifs législatifs, incitent les pratiques qui mettent en exergue la nature en ville et la dimension sociale qu’apporte ce type d’activité. Une loi qui reflète cette prise en considération des enjeux environnementaux est la loi SRU2 (solidarité et renouvellement urbains). Elle a été élaborée autour de trois points : une exigence de solidarité, le développement durable et le renforcement de la démocratie. Des questionnements s’articulent autour de la manière de faire la ville, notamment autour de l’étalement urbain, ce processus ayant ses limites. En effet la mobilité est un enjeu important des villes et plus la métropole s’étale plus la mobilité s’accroit augmentant la distance à parcourir des citadins en voiture. Cette prise de conscience des limites des ressources planétaires devient un réel sujet de société. A titre d’exemple, le mouvement des gilets jaunes met en lumière des problématiques actuelles (les inégalités, les enjeux climatiques, l’isolement social..) et critique vivement le sytème en place d’aujourd’hui. Ainsi une pétition qui ressort du mouvement des gilets jaunes prend beaucoup d’ampleur : « l’Affaire du siècle3 » (1,8 millions de signataires). Celle-ci consiste à soutenir un recours en justice contre l’Etat français pour non-respect de ses engagements climatiques. 1 Agence
Parisienne du Climat. « Qu’est ce que la COP 21 ? » Décembre 2018. URL : https://www.apc-paris.com/cop-21 2 3
https://www.ast-groupe.fr/contenu/promotion/reussir-son-achat/comprendre-les-differentes-regles/loi-sru
Cuordifede, C. 2018. « "L'Affaire du siècle" : le gouvernement désormais face à une pétition record contre son "inaction climatique » Marianne, 27 décembre. URL : https://www.marianne.net/politique/l-affaire-dusiecle-le-gouvernement-desormais-face-une-petition-record-contre-son-inaction
Ces exemples témoignent d’un contexte particulier où apparait une prise en compte croissante des nouveaux enjeux environnementaux dont découlent certaines initiatives et une remise en question du système où la question de la nature en ville a pris de plus en plus d’importances ces dernières années. Elle est désormais au coeur des enjeux urbanistiques, le milieu urbain étant apparu comme propice à la mise en place d’activités qui incarnent les enjeux de la ville durable (Tozzi, 2014). L’une des pratiques qui en ressort est l’agriculture urbaine. Cette action n’est pas un phénomène nouveau. En effet, les liens entre l’espace urbain et l’agriculture ont déjà existé, au travers des jardins d’ouvriers, apparus à la fin du XIX siècle par exemple (Déalle-Facquez, 2013). Aujourd’hui, les initiatives et expériences dans ce domaine sont diverses et multiples, que cela soit au travers de jardins partagés, des circuits courts, des serres sur les toits…Le développement et la diversification de l’agriculture urbaine valorise la nature et a pour volonté de la préserver, ce qui illustre un intérêt des citoyens, aux convictions écologiques, concernant les enjeux environnementaux, ceux-ci devenant pour eux primordiaux. L’agriculture urbaine : une symbolique forte Le concept de « Ville Durable » est devenue un pilier des métropoles dans les discours, les projets, les expérimentations pour la fabrication des zones urbaines. La « Ville Durable » incarne le développement durable tout en prenant en compte les enjeux sociaux, économiques et environnementaux de l’urbanisme pour les habitants. Ainsi les métropoles aspirent à refléter la ville durable. L’agriculture urbaine étant l’une des activités qui reflète les valeurs de la durabilité elle est donc mise en lumière par les villes. Au delà d’un effet de mode, ces initiatives témoignent d’une critique d’un système dominant et conventionnel. La production alimentaire de manière industrielle est vivement critiquée, que ce soit pour les conditions d’élevage des animaux ou des façons de cultiver. De ce fait, les entreprises alimentaires mettent en place un marketing publicitaire revendiquant une prise en considération des nouvelles attentes du consommateur (produits bio, locaux, respectueux de l’environnement, de qualité…). Ces nouvelles offres attestent du changement de la demande des consommateurs, qui ont aujourd’hui des attentes qualitatives, environnementales et sanitaires. L’agriculture urbaine est une notion complexe qui conjugue plusieurs critères, que ce soit sa localisation, sa raison économique ou son type d’activité (Duchemin 2012). En effet, les formes d’agriculture en ville sont extrêmement diversifiées, que cela soit pour les acteurs, les lieux, les supports de productions ou encore les types de productions. Cependant, ces projets partagent des fondements communs, comme d’être en rupture avec la production alimentaire industrielle et déterritorialisée. Environ 98% des produits consommés d’une ville sont importés alors que, dans le même temps, 97%4 des productions au sein de la 4
UTOPIES « Autonomie alimentaire » mai 2017. URL : http://www.utopies.com/wp-content/uploads/2017/06/ autonomie-alimentaire-des-villes-notedeposition12.pdf
ville sont exportés, un constat qui paraît irrationnel. L’agriculture urbaine peut donc être perçu comme un espace de résistance et d’alternative au système actuel. Elle revendique une consommation utilisant un système de circuit court qui rapprocherait le consommateur et le producteur, tout en créant du lien social. Ainsi, un mode de commercialisation qui s’effectuerait par la vente entre, au maximum, un intermédiaire dans le circuit producteur consommateurs permettrait de relocaliser la production alimentaire. La proximité étant l’un des enjeux commun de ce type de production en permettant une diminution de l’empreinte écologique qu’engendrent les transports alimentaires. L’agriculture urbaine serait ainsi multifonctionnelle de par sa prise en compte de l’environnement (recyclage, compost, transports…), de la santé (produits de qualités), du lien social qu’elle crée et du développement économique. Schéma : Multifonctionnalité de l’agriculture urbaine
Source : Duchemin et al. 2010.
L’agriculture en ville dépasse donc le cadre d’une simple « opportunité économique de mise en relation entre producteurs et consommateurs. » (Lequet 2013, p4). Toutefois, malgré un renouvellement intéressant de la nature en ville via l’agriculture urbaine, les projets restent toujours actuellement conceptuels et marginaux. L’agriculture dans les villes : une agriculture utopique Les métropoles valorisent les initiatives qui mettent en valeur la nature, la dimension écologique et sociale et plus largement le concept de « Ville Durable ». L’échelle et le
fonctionnement de la métropole semble peu compatible avec la durabilité et ce sont bien pourtant ces dernières qui désir refléter l’image de la ville durable. L’appropriation de cette image ainsi que des valorisations qui en découlent ne sont-elles pas seulement utilisés pour ce que cela reflète comme valeurs (social, éthique, esthétique, écologique…) plutôt qu’à la mise en place d’une réelle alternative et remise en question de leur système capitaliste. Certains projets concrets sont mis en place, comme par exemple les multiples initiatives de Paris pour développer l’agriculture urbaine. Que ce soit des légumes (courgettes,tomates…) sur les toits, des champignons cultivés dans un parking…La ville de Paris valorise ces initiatives qui permettent de réinvestir des lieux délaissés, de créer du lien social, d’amener des qualités paysagères et de prendre en compte l’écologie. Elle répond avec ces projets aux attentes de ses citadins qui aspirent à plus de nature dans la ville. Cependant ce moyen de production valorisé par la capitale à t-il pour vocation à terme de nourrir la population ? Certainement pas. Imaginer une métropole telle que Paris être en autosuffisance alimentaire au travers de l’agriculture urbaine est purement utopique. Aujourd’hui Paris a un ratio d’autonomie alimentaire de 1,3 % et si la Capitale interrompait du jour au lendemain les importations alimentaires, ses habitants manqueraient de nourriture en moins de trois jours. La superficie cultivable nécessaire afin d’approvisionner une ville comme Paris serait colossale (Sabine Barles, 2017). En effet, il faudrait une surface cultivable de 1,5 fois la taille de Paris pour tendre à une autosuffisance alimentaire de la capitale. Même si dans certains cas l’agriculture urbaine a pu avoir un réel rôle nourricier comme dans la ville de Détroit ou dans le Nord de Lisbonne (Torre et Bourdeau-Lepage, 2013), cela reste des espaces urbains en marge, dans un contexte singulier de pauvreté, où l’agriculture urbaine fût un moyen de pallier la crise économique. Plus globalement, l’échelle de la métropole ne peut pas aspirer à une quelconque autosuffisance alimentaire. Même si la Ville facilite les initiatives de l’agriculture urbaine, ce n’est en aucun cas dans le but d’une alternative alimentaire, qui reste de l’ordre de l’utopie. En effet, la densité d’une métropole offre trop peu d’espaces cultivables et la qualité déplorables des sols urbains limitent également cette pratique (Torre et BourdeauLepage, 2013). La métropole n’est sans doute pas la bonne échelle pouvant permettre une agriculture urbaine autosuffisante. Mais les villes périphériques, elles, sont moins denses et par conséquent offrent plus d’espaces cultivables. De plus le prix du foncier est plus accessible. Ainsi ces « petites villes » ont une échelle et des conditions bien plus propices à une réelle alternative alimentaire via l’agriculture urbaine. Des initiatives sont mises en place dans un réel but nourricier de la population, par exemple la commune de CussacFort-Médoc de 2200 habitants, souhaite un « village 100% bio et local ». Elle revendique donc du bio et du local dans un but de changement global économique, social,
environnemental et éducatif. C’est donc peut être vers ces dernières qu’il faut se tourner pour ce type de projet pour une réelle alternative.
Bibliographie : AFP, 2019. « Gilets Jaunes : une crise illustrant les limites de l’étalement urbain en France », Le Point, 18 janvier. URL : https://www.lepoint.fr/societe/gilets-jaunes-une-crise-illustrant-les-limitesde-l-etalement-urbain-en-france-18-01-2019-2286969_23.php Cuordifede, C. 2018. « "L'Affaire du siècle" : le gouvernement désormais face à une pétition record contre son "inaction climatique » Marianne, 27 décembre. URL : https://www.marianne.net/ politique/l-affaire-du-siecle-le-gouvernement-desormais-face-une-petition-record-contre-son-inaction
Devrre, C. et Traversac, J-B. 2011. « Manger local, une utopie concrète » Métropolitiques, 26 octobre. URL : https://www.metropolitiques.eu/Manger-local-une-utopie-concrete.html Déalle-Facquez, F. 2013. « L’agriculture en ville : un projet urbain comme un autre », Métropolitique, 16 décembre, URL : https://www.metropolitiques.eu/L-agriculture-en-ville-unprojet.html Donadieu, P. 2013. « Faire place à la nature en ville. La nécessité de nouveaux métiers », Métropolitiques, 11 février, URL : https://www.metropolitiques.eu/Faire-place-a-la-nature-enville.html Horny, G. 2012. « La croissance verte n’est-elle qu’une croissance de trop ? », Slate, 22 juin, URL :http://www.slate.fr/story/58195/meadows-croissance-verte
Le Velly, R. 2017 Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs Une promesse de différence.
Paddeu, F. 2017 « Sortir du mythe de la panacée. Les ambiguïtés de l’agriculture urbaine à Détroit », Méropolitiques, 13 avril URL : https://www.metropolitiques.eu/Sortir-du-mythe-de-la-panacee-Les-ambiguites-de-l-agriculture-urbaine-a-Detroit.html
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Tardieu, V. 2017. « L’idée de nourrir Paris grâce à une ceinture verte est une illusion », Usbek & Rica, 8 juin. URL : https://usbeketrica.com/article/l-idee-de-nourrir-paris-grace-aux-ceinturesvertes-est-une-illusion
Torre, A. Bourdeau-Lepage, L. 2013 « Quand l’agriculture s’installe en ville… désir de nature ou contrainte économique ? », Métropolitiques, 6 février URL : https://www.metropolitiques.eu/ Quand-l-agriculture-s-installe-en.html
Tozzi, P. « Ville Durbale », URL : http://www.hypergeo.eu/spip.php?article716