LE RECYCLAGE DE L’URBANISME MODERNE DE DALLE
Démarche vers l'évolution d'un modèle singulier - Le cas Lyon Part-Dieu
Séminaire "Repenser la métropolisation"
Anthony Sanchis X. Guillot, A. Couture, D. Willis et J. Ambal Février 2019 - ENSAP Bordeaux couverture : Dalle Front-de-Seine/Beaugrenelle de Paris, © Samuel Gazé, 2011LE RECYCLAGE DE L’URBANISME MODERNE DE DALLE
Démarche vers l'évolution d'un modèle singulier - Le cas Lyon Part-Dieu
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE ET DE PAYSAGE DE BORDEAUX
MÉMOIRE DE MASTER
SÉMINAIRE REPENSER LA MÉTROPOLISATION
XAVIER GUILLOT - JULIE AMBAL - DELPHINE WILLIS - AURELIE COUTURE
ANTHONY SANCHIS
2018/2019
Remerciements.
Je tiens à remercier l'ensemble de l'équipe enseignante du séminaire "Repenser la métropolisation", plus particulièrement mes directeurs d'études Xavier Guillot, Delphine Willis, Aurélie Couture et Julie Ambal pour leur encadrement, leur suivi et leurs conseils tout au long de la rédaction de ce mémoire.
Je remercie également les architectes de l'AUC et de l'Agence Passagers des villes qui ont su m'accorder du temps en me transmettant leurs expériences, qui ont contribué à alimenter ma réflexion.
Je voudrais enfin remercier amis et collègues qui m’ont apporté leur vision, leurs conseils et leur motivation tout au long de ma démarche de recherche.
Il y a des espaces dans la ville qui attirent plus que d’autres. Parce qu’ils renvoient à une vision historique, à un souvenir d’enfance ou à des habitudes que l’on ne veut pas perdre. Des lieux où l’on aime s’arrêter, se rassembler, se retrouver et profiter du calme qu’ils procurent. Puis il y en a d’autres qui repoussent, qui n’inspirent pas confiance et où peu de personnes osent s’aventurer. On les connait de nom, plus souvent de réputation ou simplement parce qu'ils figurent sur les cartes de transports en commun. Ils n’ont pas forcement pignon sur rue, les traces de vie et d’usures sont lisibles, la matière utilisée à outrance. Ils ne sont pas toujours la priorité des pouvoirs publics mais existent bel et bien.
Pour moi, ces endroits font référence à des ensembles architecturaux et urbains de la période moderne. Ce sont des espaces que j’apprécie, que je fréquente et qui m’intriguent. Issus de grandes théories, ces héritages semblent aujourd’hui s’essouffler, certainement dû à un manque de considération. Un d’entre eux attise plus particulièrement ma curiosité : l’urbanisme de dalle. Parce qu’en déambulant dans ces réalisations qui donnent une identité forte à leur quartier, un constat d’abandon confèrent à ces lieux un sentiment de désuétude, peinant à établir un dialogue avec le reste de la ville. Pour autant, elles donnent à voir un paysage différent de celle-ci en offrant une vision plus haute et en donnant libre circulation aux piéton sans qu’ils n’aient à se soucier de la voiture. Ce travail de recherche part alors d’une volonté de comprendre la place de cet héritage et ce qui semble l’avoir fait échouer.
La question de ces vestiges modernes s’ancre dans un contexte où les villes doivent repenser leurs modèles de renouvellement urbain. Plus que reconstruire des quartiers entiers, c'est opter pour des solutions de rénovation en incluant chaque élément existant comme des dynamiques de projet. C'est questionner la place de ce patrimoine et son potentiel pour éviter la table rase. Car face à cela, l’évolution des villes et la conquête à l’urbanisation des terres agricoles et/ou forestières repoussent sans cesse la limite urbaine de nos cités. Les constructions neuves émergent comme des champignons, dans une mécanique de surenchère où la relation au site et à son histoire semble se substituer à l'esthétique voulue par son architecte.
Je conçois la rédaction de ce mémoire comme un répertoire dans lequel serait analysées et confrontées différentes réalisations, de l’ébauche au concret, en favorisant les situations vécues. De plus, je suis régulièrement amené à me déplacer entre Bordeaux, Paris, Lyon et Montpellier. Chaque ville m’apportant un regard sensible sur son évolution.
De tout temps l’espace public a joué un rôle majeur dans la vie de la cité. Depuis l’agora grecque et le forum romain, ces lieux de rencontre, de partage et d’échange s’organisent autour d’entités propres à une ville ou à un de ses quartiers. La rue, la place ou encore le square représentent des lieux de passage, parfois de pause, à l’usage de tous. La ville est ce lieu où l’on marche, où l’on se déplace à vélo, où les différents transport publics se mêlent et se complètent. Aujourd’hui l’espace public représente un enjeu majeur du développement durable dont les trois piliers1 reposent sur des dimensions environnementales, sociales et économiques. Ces lieux fédérateurs de rencontres et d’interactions sociales doivent, pour perdurer, générer de la flexibilité. Ainsi ils peuvent s’adapter à travers le temps aux différents usages en s’appuyant, comme nous le rappelle E. Heurgon2 , sur les potentiels humains en intégrant les besoins d’écoute de dialogue et d’information
Cette notion d’«espace public», se substituant à celle d’«espace libre», est apparue dans les années 1970 au sein des ouvrages de R. Sennett3 et de J. Habermas4 en réaction à l’urbanisme moderne fonctionnaliste et rationnel. Ce dernier, issu de la Charte d’Athènes5 (Le Corbusier, 1942), systématisa les rues et places comme des espaces de stationnement et de circulation. D’une lecture horizontale de l’espace public répondant à un schéma « classique » de la rue (alignements, continuité avec les quartiers historiques), cette vision moderne a entrainé une conception verticale - en trois dimensions - permettant d’élargir l’espace de la rue. Cela aura pour conséquence de lui donner plus d’épaisseur, moins de limites et donc davantage d’espaces libres à l’image des Grands Ensembles. En créant de l’irréversibilité dans le paysage urbain par des « mégastructures », l’urbanisme sur dalle, par ses fondements et son trop rapide essoufflement, va alors apparaitre comme un terrain d’étude intéressant. Autrefois conçu pour la voiture, ce modèle doit aujourd’hui répondre à de nouvelles pratiques dans la ville qui se veut perméable, toujours plus verte et plus sensible aux modes de déplacement doux. En apparence figé, il semble légitime de s’interroger sur le devenir de ce modèle singulier d’espace public, véritable artefact qui persiste dans la ville.
1 Cf. schéma classique du développement durable est directement hérité du sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992.
2 HEURGON, É,. Les espaces publics urbains : un enjeu majeur pour les villes. In: Villes en parallèle, n°32-34, décembre 2001. La ville aujourd'hui entre public et privé. pp. 50-58.
3 SENNETT, R, Les tyrannies de l'intimité. In: Revue française de sociologie, 1980.
4 HABERMAS, J, L’espace public, archéologie de la publicité comme dimension constructive de la société bourgeoise, Paris, 1978, Payot.
5 À l'issue du IVe Congrès international d'architecture moderne, définit 95 points sur la planification et la construction des villes.
Réflechir aujourd’hui à la conservation et le recyclage de ce type de réalisation issu du mouvement moderne demande à s’intéresser de façon brêve à son histoire et ses prémisses.
L’utopique ville sur la ville. Traduction urbaine et architecturale de l’ère du tout-automobile au coeur des années 1960-1970, les constructions sur dalles vont profondément modifier en l’espace d’une décennie la morphologie des villes ayant fait le choix d’un urbanisme vertical. Cette nouvelle manière de concevoir l’espace public de toute pièce, en le dégageant des contraintes du sol naturel, aura pour but de donner un coeur vivant à la cité, lieu de travail, de transit et de loisir. Ce paradigme urbain exposé depuis sa fabrication, avec ses avantages et inconvénients, comme le produit d’une période de Reconstruction, trouve finalement ses fondements dans les grandes pensées modernistes du début du siècle.
Pour prétendre à une harmonie parfaite dans la ville, les architectes-urbanistes théoriciens représentés par Eugène Hénard (Rue future, 1910)6, Harvey Wiley Corbett (Ville du futur, 1913) et Ludwig Hilberseimer (Cité verticale, 1924) [fig.2] ou les cinéastes comme Fritz Lang (Métropolis, 1927) imaginaient d’ores et déjà au delà de leurs oeuvres, un paysage urbain démultiplié et rythmé par la superposition des voies de circulation. Au cours des différents CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) pour une architecture et un urbanisme fonctionnel, l’application concrète des représentations d’un Babylone moderne va être mis en pratique. Avec le Plan Voisin pour Paris (1925), la principale adaptation de la Ville Radieuse7 de Le Corbusier va explorer au maximum l’utopie réaliste d’une ville rationnelle. L'enjeu visait à atteindre un idéal d’efficacité grâce à la superposition et la séparation des circulations.
En contestation aux idées et réalisations modernes radicales et décontextualisées qui jonchent les villes, les groupements d’architectes/urbanistes8 pour une utopie non réalisable ont eux aussi mené des recherches sur la ville en trois dimensions, mobile et évolutive.
6 The cities of the future, Royal Institute of British Architects, Town Planning Conference London, 1015 Octobre 1910.
7 La Ville Radieuse (The Radiant City) est un masterplan urbain non réalisé de Le Corbusier,
présenté pour la première fois en 1924 et publié dans un livre éponyme en 1933.
8 cf. Yona Friedman (Ville Spatiale, 1959), Archigram (Ville vivante ou Living City, 1964), Superstudio (First City, 1971) ou Archizoom (No stop City, 1969).
Qu’est ce que l’urbanisme de dalle ?
Le groupe britanique Archigram développa entre les années 1960 et 1970 des structures aériennes facilitant leur mise en œuvre car plus légères et reproductible. Elles permettent ainsi à l’Humain de retrouver mobilité et flexibilité, comme un nomade. Purement idéologiques, ces travaux de recherches de villes verticales sans fondations remettront en question l’importance du rapport au sol naturel en architecture.
L’automobile en ville.
Le développement des industries et la mise en place de nouveaux principes d’organisation du travail9 ont permis de révolutionner les chaînes de production en faisant de l’industrie automobile le fer de lance des grandes nations occidentales. Le développement de la «voiture du peuple»10 ou «automobile populaire» va faire émerger dans la société moderne un nouveau besoin d’équipement : la voiture particulière. Face à cette évolution croissante du parc automobile en France courant XXème, le paysage des principales villes du pays va subir une importante métamorphose afin d’accueillir les véhicules qui affluent de jour en jour. En 1950, 2 310 000 étaient en circulation, 6 240 000 en 1960 contre 13 710 000 en 197011. Cet outil à l’importance sociale évidente va devenir le support programmatique des grandes opérations d’urbanisme durant ces décennies.
À cette période les philosophies économiques prônent l’argument «No parking, no business»12, cette politique du tout-automobile va transformer les centres-villes en lieux de circulation et de consommation intenses. L’implantation de parkings silos ou souterrains ici et là ont ainsi permis à chaque automobiliste de se rendre et de stationner aisément dans les centres, laissant pour compte les anciens réseaux de tramways urbains et suburbains voués à disparaître. Ainsi s’est imposée l’idée que la ville a du s’adapter à la voiture et non l’inverse.
Application d’une doctrine moderne.
Durant les années 1950, dans un paysage urbain abimé par la Seconde Guerre Mondiale, est naît le besoin de reconstruire sur ce qui se manifeste comme une tabula rasa2. Composés le plus souvent de friches ou d’anciennes casernes militaires désertées, ces espaces ont représenté des poches vides au sein des villes, devenant de véritables laboratoires urbains. Dans la période euphorique des Trente Glorieuses13, les architectes et urbanistes
9 cf. O.S.T Organisation Scientifique du Travail
10 Traduction du terme Volkswagen issu de la politique d’accession à l’automobile pour tous durant l’Allemagne nazie.
11 BARRÉ, A, Quelques données statistiques et
spatiales sur la genèse du réseau autoroutier français, extrait de Annales de Géographie, t. 106, n°593-594, 1997, P.229-P.240
12 Bernardo Trujillo à propos de la société de consommation et la grande distribution.
issus du mouvement moderne ayant foi en une organisation spatiale en rupture avec la ville classique, œuvreront vers une conception nouvelle de l’espace urbain : la dalle.
La décentralisation, le gonflement démographique des grandes villes et l’accroissement du secteur tertiaire vont amener ces dernières à se pourvoir d’équipements métropolitains (hôtels de région/département, centres de finances, préfectures, pôles culturels, …) et centres d’affaires. Ils prendront directement place dans ces quartiers sur dalle comme cela a pu être le cas à Bordeaux Mériadeck, La Défense, Lyon Part-Dieu ou CergyPréfecture. Ces « nouveaux centres » définissent des espaces dans la ville dont la centralité n’est pas géographique mais économique et politique14. Il contribuent à créer une identité et un rayonnement au travers d'artefacts concentrant toutes les fonctions sur deux ou trois plans en totale rupture avec la ville contiguë. Ainsi, la radicalité des principes mis en place par ce zonning vertical impose de toute part une nouvelle façon de concevoir, de se déplacer et de vivre la ville. En 1963, Colin D. Buchanan rédigea L'automobile dans la ville15, ou "Rapport Buchanan", pour le ministre des transports britanniques. Dans une volonté d’ordre et de clarification des flux dans la ville, les grands principes du dispositif de la dalle seront clairement identifiés. Extraits :
39. "Dans les grandes villes la seule chance de créer de véritables zones d’environnement capables d’absorber une circulation supérieure au minimum essentiel serait de les réaménager sur deux ou trois plans."
66. "Le contexte dans lequel, il nous faut, avant tout, considérer les problèmes de la circulation urbaine, est la nécessité de créer ou de recréer des villes dans lesquelles, au sens le plus large du terme, la vie vaille la peine d’être vécue; et ceci implique beaucoup plus que les libertés de se servir d’une automobile. C’est une combinaison de choses de toutes sortes : commodités, diversités, contrastes, architectures, histoire."
Organisée alors de façon à hiérarchiser par couches les différents modes de circulation, cette nouvelle écriture s’affirmera comme la traduction urbaine et architecturale de l’ère du tout-automobile. Au(x) niveau(x) souterrain(s) conçu(s) pour les transports en commun et chemins de fer métropolitains, se superposeront le niveau 0 (ou sol naturel) réservé
13 FOURASTIÉ, J, Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975, FAYARD, 1979.
14 OSTROWETSKY, S, Les centres urbains, in Penser la ville de demain : Urbanisme, Aménagement,
Sociologie urbaine, 1994.
15 BUCHANAN, C, Traffic in Towns : A study of the long term problems of traffic in urban areas (The Buchanan Report), Londres, 1963.
aux automobiles et le niveau 1 (ou sol artificiel) réservé aux piétons. Cette manière avantgardiste de concevoir l’espace public de toute pièce en le dégageant des contraintes du sol naturel aura comme volonté de donner un cœur piéton vivant à la cité. La création d’un nouveau sol «constituant le rez-de-chaussée de la future ville»16 permettra de relier infrastructures, immeubles de logements et tours de bureaux par des dispositifs aériens. Ce nouveau type d’espace urbain abstrait symbolisa une nouvelle relation entre la ville et son cadre bâti. La mise en place de ce nouveau socle va impliquer de la part de ses utilisateurs des nouvelles pratiques en rupture avec la ville ancienne.
Dalle technique et dalle idéologique : dalle des «riches» VS dalle des «pauvres»8 L’état de conservation du système de la dalle est pour beaucoup dû à son exploitation et le contexte dans lequel elle évolue. Bien que catégoriques, ces deux notions renvoient à des modèles urbains certes basés sur un concept d’urbanisme commun mais qui diffèrent par leur composition et le programme qui prend place dessus.
La notion de dalle «technique» renvoie à une mégastructure renfermant dans ses entrailles diverses infrastructures : pôles multimodaux, voies de circulation, parcs de stationnement, zones de gestion technique, ... À celles-ci se superposent centres d’affaires, espaces commerciaux, logements, hôtels, etc. Bien équipé, ce modèle de dalle génère donc de l’activité autour d'elle et ce, sur un espace relativement réduit, répondant ainsi aux enjeux de densité. Souvent mieux gérées, ces réalisations représentent aujourd’hui des espaces majeurs dans les territoires dans lesquels elles se situent. Prenons pour exemple La Défense à Paris ou la Part-Dieu à Lyon pour les cas français, à l’étranger le Centro Direzionale de Naples ou le Barbican Estate à Londres.
En opposition, la dalle dite «idéologique» représente purement et simplement l’adaption des principes de séparation des flux générés par l’urbanisme de dalle dans n’importe quel lieu, peu importe le contexte. Ces réalisations, comme l’on en repère bon nombre dans la région parisienne, ne jouissent pas d’un programme aussi riche que les dalles «techniques». Il est très souvent question d’un rassemblement de logements annexés de quelques commerces et/ou équipements sans grandes ambitions. Elles sont aujourd’hui dans leur territoire la manifestion de quartier populaires et semblent malheureusement peu apréciées.
Cependant, affirmer qu’une catégorie plutôt qu’une autre a su générer plus d’intérêt n’aura, en vain, permis de résoudre la problématique de rupture entre sol naturel et sol artificiel.
16 André Prothin, directeur de rétablissement public responsable de la construction de La Défense, en 1968
17 Ateliers d’Été de Cergy, « L’urbanisme de dalles
: continuités et ruptures », Presse de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, 1993
Pourquoi parler de recyclage ?
Parce qu’un «déjà-là» est symbole d’une histoire et vecteurs pratiques, recycler un objet, une architecture ou un urbanisme, c’est lui donner une seconde vie en le réintroduisant dans un cycle d’utilisation nouveau. En architecture la notion de recyclage se rapproche de celle du réemploi, de la réutilisation. Il y a, suivant l’échelle abordée, différentes manières de mettre en pratique cette démarche consistant à tirer profit d’une matière, d’un existant. Cette action s’inscrit dans une dimension inhibant l’économie linéaire au profit d’une économie circulaire. Elle vise à utiliser les ressources disponibles tout en diminuant les conséquences sur l’environnement. L’aménagement - ou le réaménagement - d’un territoire, d’un morceau de ville ou d’une parcelle, doit dans une volonté de recyclage interroger les potentialités pour consommer moins.
Comme le montre ci-dessus le schéma des sept piliers de l’économie circulaire selon l’ADEME, chaque domaine d’action impose des comportements nouveaux permettant notamment d’allonger la durée d’usage d’un «objet» en prenant en compte ses propres capacités. D’un point de vue architectural et ubain, dépassons la vision Moderne pour interroger dans notre société contemporaine l’impact des déchets liés aux activités du BTP, de leur stockage et par conséquent, de l’énergie et de la matière nécessaire à l’extraction et la mise en place de nouveaux matériaux. Alors réparer plutôt que jeter, remettre en état de marche ce qui a été dégradé pour donner une seconde vie en augmentant ou créant des usages. Ainsi se posent les questions suivantes : Que conserver ? Pourquoi conserver ? Comment conserver ?
La volonté de ce mémoire
Capturée en 2018 à Mériadeck (Bordeaux), la photographie ci-contre est en quelque sorte l'élément déclencheur de ce tavail de recherche. Étonné par tant d'abandon sur bon nombre d'autres réalisations, j'ai pour ambition de comprendre l'état d'obsolescence de ces espaces publics au sein de quartiers au rayonnement métropolitain. Il n'y aura certainement jamais d'équivalent à l'urbanisme de dalle et aux formes qu'il génère. Perturbant et envahissant pour certains, il est pour moi incontournable que ce modèle urbain doit survivre.
Hypothèse
Sujet indéniablement d’actualité, la thématique du recylage se veut cependant plus spécifique lorsqu'elle traite de l’urbanisme de dalle. Démontrer ainsi qu’il est possible, contrairement aux codes du Mouvement Moderne, de générer de la réversibilité en faisant évoluer un système en apparence figé. Tant sur le fond que sur la forme, tout n’est pas négatif dans la mégastructure de la dalle. Éviter la table rase et tirer profit au maximum du dispositif pour œuvrer vers une démarche de réparation. Le territoire de la dalle n’est pas inintéressant, c’est une situation singulière dans la ville qui attise la curiosité des plus aguerris et qu’il faut accroitre.
Problématique
Dans quelle mesure et sur quel(s) potentiel(s) peut-on baser le recyclage de l'urbanisme de dalle ?
Déroulé du mémoire
Je chercherai, dans une première partie, à aborder les différents facteurs qui ont pu mettre à mal ce modèle d'urbanisme. Il sera question d'évoquer le sentiment d'abandon et les différentes pathologies que présente le système. Cette partie sera aussi l'occasion de comprendre la concurrence que subit la dalle face au niveau de la rue, qui elle évolue sans cesse. Dans une dynamique de conservation, je consacrerai une seconde partie à distinguer les enjeux à recycler la dalle pour ensuite exposer les pour un renouveau. Ces dernières, classées par objectifs et par actions ciblées, permettront d'élaborer un répertoire de cas concrets en France et ce, sans dresser un inventaire exhaustif.
Enfin, j'exposerai dans une troisième partie le cas spécifique du quartier de la PartDieu à Lyon. L’analyse d’un cas d’étude, dont le processus de recyclage est engagé et non pas achevé, permettra de comprendre les différents mécanismes mis en place tout en observant l’évolution en temps réel.
De l’obsolescence de la dalle ..
état des lieux d’un objet technique : la raison du rejet
«- Mais il est où ce niveau d’accès aux tours !?!
- Voilà, je te présente l’urbanisme de dalle. La période actuelle est à la destruction des dalles, tours et autres barres, méthode radicale considérée par certains comme l’alpha et l’oméga des politiques de rénovation urbaine. Mesures souvent excessives, la violence de ces destructions dépassant celle des espaces censés être rénovés. Et puis cet urbanisme des années cinquante et soixante possède malgré tout des qualités. Qualités qui, pour être mises au jour, nécessitent de bien comprendre les raisons qui ont abouti à la faillite de cet urbanisme dit «moderne», sujet à critique dès le milieu des années 1970 18.»
L’érosion d’un système
Au cours des décennies qui ont suivi les premières opérations sur dalle (urbanisme opérationnel19) et malgré un rapide engouement pour ce système en apparence si novateur dans la forme et les usages, celui-ci va progressivement s’essouffler. Il manifeste une certaine obsolescence, tant dans la forme que de la fonction. De nombreux facteurs comme les chocs pétroliers de 1973 puis 1979 (remettant en question le modèle d’une croissance fondée sur une forte consommation d’énergie qu’il était possible d’acquérir à faible coût), le retour des transports en communs ou le développement des modes de circulation doux, renforçant l’attractivité du niveau 0, vont considérablement mettre à mal le mécanisme de la dalle. Moins séduisantes, parfois perturbantes voire envahissantes, difficilement accessibles et moins fréquentées, les rues hautes se sont vu amputées de leurs éléments fondamentaux. En supprimant certaines passerelles, en condamnant l'accès aux espaces propices aux attroupements par soucis de sécurité ou encore en fermant l'accès haut aux immeubles, la dalle se retrouve peu à peu vidée de ses utilisateurs.
Parce qu’elles créent une rupture avec la ville classique, l’application des théories modernes ne récolteront, dès leur début, les acclamations du publics. Jugées trop radicales, les formes brutalistes, bien que représentées sur le territoire
18 Les lignes de l’architecte, Libération, 7 juillet 2009
19 Regroupe l’« ensemble des actions conduites ayant pour objet la fourniture de terrains à bâtir, la construction de bâtiments ou le traitement de
quartiers et d’immeubles existants (recomposition urbaine, réhabilitation, résorption de l’habitat insalubre) » dé nition donnée par le Dictionnaire de l’Urbanisme et de l’Aménagement (éditions PUF).
français par des réalisations isolées, ont été ici mise en pratiques à plus grande échelle dans un ensemble urbain. L’exemple frappant de Mériadeck à Bordeaux comme application du Plan Voisin surprend par la discontinuité entre la ville de pierre et de béton. La fracture du style architectural couplée à une vision nouvelle dans la façon d’habiter ces quartiers laissera, un temps, logements et espaces publics vacants. La dalle est un objet technique ayant pour but de rendre service à l’Humain, celuici en assure sa pérennité. L’une des qualités d’un espace public étant basée sur les différentes pratiques possibles, le manque de flexibilité de la dalle a eu un impact fort sur l’appropriation de ces espaces. Ne s'assimilant pas au sol naturel, les individus s'y rendent pour une raison bien précise, sinon passent à côté, la contournent et l'ignorent. Même en rendant accessibles les logements et bureaux depuis le niveau 1, l’attractivité de la rue se veut toujours plus forte. Cette dernière oblige les bâtiments à revoir leurs accès car une fois de plus la personne qui marche et la même qui conduit. Les pratiques ont en quelques sorte renversé le système, brouillant la lecture que l’utilisateur doit se faire de la dalle.
Le manque de clarté et d’évidence dans l’appréhension de ce type d’urbanisme a vivement influencé les déplacements de ses utilisateurs. D’une culture horizontale de la ville classique, le passage soudain à une perception verticale combinée à un manque d’accessibilité et de lisibilité justifie le rejet du piéton. Rampes, escaliers ou emmarchements, ces circulations verticales qui représentent des organes vitaux en alimentant la dalle, semblent avoir été négligées. Elles n’assurent pas de continuité évidente depuis la rue traditionnelle. En résolvant les problèmes à long terme que pose l’augmentation de la circulation dans les zones urbaines et son impact sur les habitants, l’application du rapport Buchanan a paradoxalement eu tendance à générer danger et insécurité sur la dalle. Pourrait-on alors se questionner sur le fait qu'il existe une relation de cause à effet entre formes urbaines et l’insécurité ?
«Que ce soit à cause de la verticalité ou de l’horizontalité des bâtiments, de leur promiscuité ou de l’entretien des espaces ... Les dalles piétonnes sont souvent devenues des espaces sans contrôle, les sous-sols des lieux dangereux».20 Dû au fait que ces espaces soient en repli de la rue, du champ visuel et qu’ils développent une compléxité morphologique particulière qui a pour effet de créer des enclaves, des places entourées d’immeubles développant des "espaces de l'entre-soi 21" .
Ainsi les pratiques divergent et impactent le comportement social des utilisateurs.
Une des dernières raisons ayant causé l’échouage urbain de ces mégastrucutres est le temps. Un projet, quel qu’il soit, nécessite une certaine durée, non seulement pour être accepté mais surtout pour s’inscrire dans la continuité. Dans Le succès d’un échec, l’architecte Charles Delfante22 souligne la comparaison de l’incomparable. La société moderne a cette facheuse tendance à confronter des espaces urbains «réussis» à l’image des grands places italiennes comme la place Saint Marc à Venise ou Saint Pierre de Rome, respectivement vieilles de 8 et 5 siècles, aux réalisations récentes. Loin d’être terminés, les espaces de la dalle souffrent de jugements trop précoces fragilisant leur popularité. Outre les critiques, l’interruption du développement du modèle de la dalle pour des raisons politiques, économiques et financières n’auront su donner du temps au temps et laisser le modèle prospérer. Le retour à la rue dans les années 1980, par des opérations de Zone d’Aménagement Concertée (loi n°76-1285 du 31/12/1976) obligatoirement compatible au Schéma de COhérence Territoriale, mettra définitivement un terme aux réalisations urbaines, singulières à l’image des dalles. Il deviendra ainsi impossible de leur donner une suite, sorte de valeur ajoutée. Bon nombre d’entre elles basculeront péniblement dans une logique classique de la constrution de la ville par parcelles et plus dans un ensemble solidaire raccordé par un sol artificiel.
L'ensemble de ces constats ayant été fait prématurèment, un coup de frein a été donné sur des opérations en cours, réduisant pour certaines leur surface de manière significative. Certaines se sont radicalement vu annulées.
Face à la puissance de la rue
La concurrence établie entre la dalle et la rue n’a eu qu’un gagnant si ce n’est qu’un seul participant. L’urbanisme de dalle, comme son nom l’indique, renvoie à cette fabrication de la ville sur sol artificiel. Mais pour porter ce nouveau niveau, les infrastructures en sous face faites de parkings et d’espaces techniques sont les seules à communiquer avec la rue traditionnelle. Par conviction, ces rues «corridor» sont les espaces les plus empruntés par les piétons et les automobilistes souhaitant traverser le quartier. Peu stimulantes en terme de qualités urbaines, les plans de reconquête des rues opérés depuis la fin du XXème siècle, visant à rejetter la voiture en périphérie, vont œuvrer sur les jupes de la dalle, au niveau 0. Cette forme d’aménagement urbain consistant à rendre les centres anciens piétons vise à rééquilibrer le partage modal de la rue. Il aura eu comme impact de renforcer les liaisons urbaines avec la rue traditionelle en délaissant la dalle. Le retour du tramway en centre ville comme outil politique de reconquête urbanistique et de réaménagement des espaces publics, est issu d’une volonté de favoriser les transports collectifs après une période de recul, marqué dans
22 Architecte et urbaniste nommé directeur de l’atelier municipal d’urbanisme de la ville de Lyon en
1961, porteur du projet de restructuration du centre de Lyon qui aboutira au quartier de la Part-Dieu.
toutes les villes de province. L’implantation par exemple, à Bordeaux en 2003, de la ligne A au cœur du quartier sur dalle de Mériadeck a considérablement impacté les déplacements en rendant quasi unanime la non utilisation de la dalle. S’en suivent l’ouverture des accès aux immeubles institutionnels depuis le niveau zéro et, par conséquent, la fermeture des accès depuis la dalle, rendus insignifiants. Ainsi, la séparation des circulations déterminées à établir un retour au zoning horizontal ira péniblement à l’encontre de la densification recherchée par les géniteurs de l’urbanisme de dalle.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres Désertée par certains, la surface de la dalle devient le terrain d’appropriation pour des pratiques alternatives. Les artistes et sportifs urbains deviennent d'autres utilisateurs et trouvent en ces lieux une zone de liberté d’expression car peu fréquentée et isolée de la « rue basse ». Leurs actions viennent ainsi mettre en place de nouveaux rapports à la dalle, ouvrant les possibilités à des utilisations autres que la circulation. Ici à la Part Dieu, à Lyon, le garde-corps d’un escalier condamné sert de rampe à un groupe de skateurs, là-bas à Mériadeck le bassin asséché de l’esplanade Charles De Gaulle invite aux performances artistiques. Bien souvent les formes et les matières si « seventies » deviennent de véritables espaces d’expression, leur conférant une ambiance quelque peu hors du temps.
[Fig. 7] Parce que la dalle est composée d’éléments géométriques parfois trop abstraits qui ne renseignent aucunement leur fonction, ils deviennent des structures destinées à la pratique du skateboard et du BMX. Le temps d’une soirée ils se transforment en lanceur, rampe ou tremplin.
[Fig. 8] Parce que la dalle est un espace perché à 6 ou 8 mètres du niveau de la rue, elle représente un espace sécurisé pour les jeux de ballon et ce, malgré les panneaux qui l’en interdisent. Les parents, sans scrupules, laissent leurs enfants se dépenser dans cet espace où un lampadaire fera office de panier de basket, où une jardinière de cage de football.
[Fig. 9] Parce que le revêtement fait de dalles sur plot est un élément peu perein, facilement friable est souvent manquant, Pierre Lebon s’imagine un paysage de la dalle creusé, décomposé, décaissé, démultiplié laissant libre cours à sa créativité.
C’est en parcourant ces espaces singuliers que l’on se rend compte de l’intêret de ces nouvelles pratiques sur le territoire de la dalle. Ces activités alternatives aux usages initiaux donnent à voir un tout autre paysage. Autour des œuvres d’arts urbaines implantées dans les années 1970 mais aujourd’hui peu considérées, les pratiques artistiques et sportives sur la dalle semblent avoir le vent en poupe.