Quelles conditions pour un modèle alternatif d’habitat ?

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Quelles conditions pour un modèle

alternatif d’habitat ?

Des logements en autopromotion comme reflets de leurs habitants

Mémoire de Master

ENSAP Bordeaux

Janvier 2020

Séminaire

«Repenser la métropolisation : Construire un monde en transition»

Équipe pédagogique

Julie Ambal

Aurélie Couture

Xavier Guillot

Abdourahmane N’Diaye

Fabien Reix

Aubin Souday

En couverture, dessin d’un projet de tour résidentielle en semestre 5 de cours de projet, Bolueta, Bilbao

Aubin Souday 2015

Séminaire

Quelles conditions pour un modèle alternatif d’habitat ?

Des logements en autopromotion comme reflets de leurs habitants

Aubin Souday

Mémoire Master, janvier 2020

ENSAP Bordeaux

«Repenser la métropolisation : Construire un monde en transition»

Équipe pédagogique

Julie Ambal

Aurélie Couture

Xavier Guillot

Abdourahmane N’Diaye

Fabien Reix

Remerciements

Je tiens à remercier les enseignants du séminaire pour leur accompagnement et conseils avisés, tout au long de la rédaction de ce mémoire, Julie Ambal, Xavier Guillot, Aurélie Couture, Abdourahmane N’Diaye et Fabien Reix.

Le mémoire n’aurait jamais pu prendre de sens sans mes rencontres enrichissantes sur les habitats avec Roland Brefel, Phillipe Mollon-Deschamps, Sylvie, Yves Grossiord et Dominique Biellmann. Je les remercie encore pour leur accueil chaleureux, et leur gentillesse qui sont à l’image de chacune de leurs communautés.

Sommaire Introduction

Cas d’études

Méthodologie

Organisation du mémoire

I. Un mode de conception reconnu

et en évolution

A. Origines et qualification de l’autopromotion

- Une origine aux multiples influences de ce phénomène

- Approches théoriques

B. Tendance actuelle en France

- État des lieux

- Récentes évolutions juridiques

- Adéquation avec de nouvelles valeurs montantes

II. Des exemples d’habitats variés

L’Ouvert du Canal dept.(31)

Lavoir du Buisson Saint-Louis dept. (75)

K’Hutte dept. (67)

Comparaison thématique des trois habitats

- 18 16 17 18 21 - 37 21 - 31 21 - 27 28 - 31 32 - 37 32 - 34 34 35 - 37
- 93 41 - 55 57 - 71 73 - 87 88 - 93
9
39

III. L’autopromotion, un modèle unique?

A. Des groupes sociaux uniques qui forgent le caractère idéologique et spatial de chaque habitat

- Quel idéologie et gestion pour quel groupe ?

- Constat d’un groupe social qui oscille entre voisins, amis, et militants

B. D’un modèle complexe à mettre en œuvre, à un mode de fonctionnement qui trouve son propre équilibre

- Difficulté de constitution d’un statut qui reflète l’aspiration collective et frilosité des banques

mode

gestion collectif qui peut fonctionner socialement

C. L’appropriation des logements, et l’adaptabilité urbaine comme base d’un modèle qui s’ouvre

- L’appropriation et l’organisation spatiale des logements, témoignage d’une méthode qui fonctionne ?

Table des figures

Annexes

- Un
de
- Adaptabilité urbaine ou rurale des projets Conclusion Bibliographie
95 - 103 95 - 97 95 - 97 97 98 - 99 98 99 100 - 103 100 - 101 102 105 - 111 112 - 116 117 - 118 120 - 127
«Quai d’hiver», Aubin Souday, 2018

Introduction

Un idéal de la maison ancré dans l’imaginaire collectif

L’habitat est un sujet qui permet de refléter de nombreux aspects de la population. Inhérent à nos modes de vie, il évoque nos pratiques quotidiennes et illustre notre rapport à la société par son agencement, son décor, ce que l’on y expose volontairement ou non. Le logement traduit aussi une part de notre culture. À titre d’exemple, 69% des Français vivent dans une maison quand 67% des Espagnols vivent en appartement 1 . Le cas ibérique est lié à un mode de vie, par quartier ; d’une population qui perçoit son espace de vie quotidien avant tout dans l’espace public, plutôt que chez soi. Avec l’Italie, il ne s’agit cependant que des seuls pays occidentaux où la population vit majoritairement en appartement.

Depuis la fin du XIXème siècle, le mythe du pavillonnaire s’est largement répandu comme un idéal. Le mouvement anti-urbain combiné à la pensée hygiéniste visait essentiellement à loger les employés et les ouvriers dans des cités-jardins tout en prônant un « retour à la terre ». Ebenezer Howard (fondateur du modèle autosuffisant des cités-jardins2) et Theodor Fritsch (essayiste allemand antisémite3) sont les premiers à deux ans d’intervalle qui abordent l’idée de la ville à la campagne. Cette tendance se combine à la pensée d’un « urbanisme de secteurs » qui répond à l’essor annoncé de l’automobile. « L’urbanisme des 7V », expérimenté par Le Corbusier en pensant la ville de Chandigarh en est un exemple concrétisé. Différentes mesures politiques en faveur de l’accession à la propriété ont favorisé l’essor de l’habitat pavillonnaire suite à la première crise pétrolière de 1973. La loi du 3 janvier 1977 introduit notamment l’aide personnalisée au logement (APL) qui améliore considérablement l’aide au financement des logements en proposant des crédits incitatifs4.

1. GROLLEAU V. « 12 choses que vous ignoriez sur le logement en Europe », L’Obs, 14 novembre 2016 13h13. URL : https ://www.nouvelobs.com/logement/20161114.OBS1152/12-choses-que-vous-ignoriezsur-le-logement-en-europe.html

2. «HOWARD EBENEZER - (1850-1928) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 janvier 2020. URL : http ://www.universalis.fr/encyclopedie/ebenezer-howard/

3. SCHUBERT D. DIRK SCHUBERT. «Theodor Fritsch and the German (völkische) version of the Garden City : the Garden City invented two years before Ebenezer Howard», Planning Perspectives, Editions Routledge 2004, 19 :1, 3-35

4. DRIANT J-C. « 1850-1995 – Les étapes de la politique du logement en France », Réalités Familiales, n°98-99, 9 juillet 2012, Source : Union Nationale des Associations Familiales. URL : https ://www.unaf.fr/ spip.php?article14718

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On peut corroborer l’attrait pour le pavillon avec d’autres facteurs moins conjoncturels, et financiers. Sur des questions de perception, la maison est associée positivement à l’image du village et d’un retour à une vie plus saine, où la nature est plus accessible. En effet, trois quarts des Français préféreraient vivre dans un village5 ou une petite ville6. En contraste des immeubles résidentiels, le jugement esthétique d’une maison parle plus à l’imaginaire collectif des Français. On oppose et apprécie plus spontanément la toiture en double pente au toit-terrasse ; la brique, la pierre et le bois au béton, et un style régional à une écriture moderne7.

Ainsi, l’idéal de la maison prévaut toujours actuellement. En France, cet habitat n’a jamais autant été plébiscité ; 71% de la population considère le pavillon comme l’idéal en 2016 quand elle était à 58% en 20118. Cette préférence historique se retrouve toujours dans des pays anglo-saxons, par l’idéal de la cité-jardin en Grande-Bretagne ou de la « Prairie House » de Frank Lloyd Wright. Actuellement, 77% des États-uniens vivent dans une maison non mitoyenne9 quand 80% d’entre eux aspirent à ce mode d’habitat10

Par opposition à l’habitat individuel, les habitats collectifs ont connu de nombreuses formes depuis le XIXème siècle de l’immeuble de bourg avec le commerce en rez-de-chaussée, en passant par l’architecture moderniste qui caractérise les grands ensembles. Selon l’Article R*111-18 du Code de la construction et de l’habitation « […] est considéré comme un bâtiment d’habitation collectif tout bâtiment dans lequel sont superposés, même partiellement, plus de deux logements distincts desservis par des parties communes bâties11. » Cette façon d’habiter reste toutefois moins appréciée que le pavillon par son manque d’espace extérieur, de commodités pour garer son véhicule, ou à cause du manque de quiétude. Pour 58% des Français, le calme est ce qui est

5. MANGIN D. La ville franchisée formes et structures de la ville contemporaine, Edition de la Vilette, 2004, p.166

6. TARDIEU B. « Les français et le logement », BVA, 22 juin 2017. URL : https ://www.bva-group.com/ sondages/les-francais-et-le-logement-2/

7. TAPIE G. Sociologie de l’habitat contemporain Vivre l’architecture, Edition Parenthèses, Collection eupalinos, 2014, p.154

8. LITZLER J-B. « Voici à quoi ressemble le logement idéal des Français », Le Figaro immobilier, 9 juillet 2018. URL : https ://immobilier.lefigaro.fr/article/voici-a-quoi-ressemble-le-logement-ideal-des-francais_ a3ff8754-e95e-11e6-b71d-891f4c05b256/

9. GRUMBINE J. « What percentage of the American population lives apartments, and what percent in houses », Quora, 8 mars 2018, Source : US Census Bureau. URL : https ://www.quora.com/Whatpercentage-of-the-American-population-lives-apartments-and-what-percent-in-houses

10. O’MALLEY C. « 80 percent of Americans prefer single-family homeownership », Builder, 13 août 2013, Source : 2011 Community Preference Survey, National Association of Realtors. URL : https ://www. builderonline.com/money/economics/80-percent-of-americans-prefer-single-family homeownership

11. CHANTALAT M. « Définition de l’immeuble individuel ou collectif », Smartloc, 19 mars 2018. URL : https ://www.smartloc.fr/blog/definition-de-limmeuble-individuel-ou-collectif/

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d’abord recherché dans un logement12

Le désintérêt pour l’habitat collectif peut être aussi lié à un manque d’appropriation due à leur standardisation et le peu de lien dans le processus de conception avec les professionnels. Il est plus aisé de contribuer à la création d’une maison neuve que d’un appartement. Les seules tendances que l’on voit émerger dans la personnification d’appartements se limitent aux choix de revêtements intérieurs, de matériaux et ne relèvent pas de choix d’organisation spatiale. En plus de la question de l’appropriation, l’essor d’une société de plus en plus individualiste n’expliquerait-il pas en partie le choix de la maison ?

En allant par-delà cette supposition, on constate qu’il est relativement moins coûteux d’habiter dans une maison qu’en appartement sur l’ensemble du territoire. La situation géographique joue en réalité sur ce facteur de coût puisqu’on retrouve logiquement moins de maisons et plus d’appartements proches des centres-villes. Acheter un pavillon est accessible pour la majeure partie de la population si l’on isole le fait d’acquérir un bien proche d’un littoral, d’une station de montagne ou d’un centre d’une grande ville. Cette tendance s’accentue à proximité des métropoles où les écarts de prix au m² peuvent être multipliés par cinq en Gironde par exemple ou par dix en Île-de-France. Par comparaison Ambès, à 30km de Bordeaux, se situe en moyenne à 1764 € quand on est à 4580 € pour une maison dans le quartier de Saint-Seurin. (meilleursagents.com, 01/12/2019)

Divers phénomènes viennent ainsi renforcer l’attractivité de ce mode de vie. On assiste dès lors à un réel paradoxe; celui d’une prise de conscience de la société des enjeux environnementaux et une aspiration toujours plus importante à vivre en pavillon. Selon un sondage de septembre 2019, « 72% des Français indiquent avoir accru leur intérêt pour ces enjeux écologiques au cours des derniers mois13 ».

12. TARDIEU B. « Les français et le logement », BVA, 22 juin 2017. URL : https ://www.bva-group.com/ sondages/les-francais-et-le-logement-2/

13. « Les français et l’écologie », Harris Interactive pour M6 et RTL, 2 septembre 2019, URL : https :// harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-lecologie/

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Des évolutions sociétales qui font écho à la philosophie des habitats participatifs

Il n’est pas incompatible d’être soucieux de l’avenir de notre planète avec le fait de vivre dans une maison, mais si l’on se réfère à des standards reconnus, cette forme d’habitat a bel et bien un impact néfaste sur l’environnement, si on le perpétue à grande échelle. On peut prendre un exemple caricatural d’une maison située au milieu d’un jardin d’un demi-hectare, pour un foyer de quatre personnes disposant de deux véhicules polluants dont ils se servent quotidiennement. Il est important de différencier de nombreux éléments quand on parle de pavillon. On se retrouve dans un schéma avec une empreinte carbone bien moindre quand il s’agit d’une maison mitoyenne, peuplée de quatre personnes, avec un véhicule électrique (hors prise en compte du recyclage de batterie) utilisé quelques fois dans la semaine.

Chaque mode de vie combiné avec une typologie de bâti spécifique induit un impact différencié, et les deux exemples cités précédemment visent à relativiser l’image que l’on peut donner à la maison. L’incommensurable variété d’habitats dans le monde induit systématiquement qu’il faille remettre en perspective plusieurs domaines d’analyses entre-eux. Cette comparaison passe par la pratique culturelle, la limite entre espace public et privé etc. Ce qui ressort fréquemment dans les sociétés occidentales demeure le fait que la maison est un lieu privé, réservé au cercle plus ou moins proche de la famille qui y habite.

Les habitats participatifs viennent remettre en cause ce paradigme car leur procédure de conception et organisation spatiale vise à mutualiser des lieux avec les voisins, penser son logement avec tout un collectif et non seul à seul avec un maître d’ouvrage. La notion de partage se trouve être en adéquation avec un certain nombre de principes écologiques sur le partage des ressources, des espaces, combiné avec une réalisation d’un bâtiment composé de matériaux biosourcés, et passif énergétiquement.

Cette caractéristique participative entre en corrélation avec des valeurs montantes. Le développement de la société du « Share14» est notamment l’un des facteurs qui peut se retrouver dans ce type de projet alternatif. Cette tendance se traduit par l’essor des plateformes numériques qui proposent des échanges de services, d’objets entre divers particuliers. Aussi, on l’observe spatialement à travers la démultiplication des tiers-lieux qui visent à mêler les usages, ou le développement de nombreux espaces de co-working, ou co-living. Ce qui est d’autant plus marqué dans un habitat groupé est que cette notion de partage ne se limite pas à des échanges de services, mais à une réelle mutualisation de lieux de vie quotidiens pour les habitants.

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14. BENCHOUFI M. « La société du share », France Culture, été 2011.

On observe dans ces habitats des aspirations qui induisent de profonds changements dans notre rapport à la vie en communauté, partage de ressources et d’espaces, à la nécessité de limiter les déplacements et les flux de marchandises. Ce souci de redonner du sens à sa façon de vivre et d’habiter induit par sa démultiplication d’exemples, l’apparition de groupes de citoyens divers tant par leurs besoins que par la forme que prend leur habitat. Les traductions spatiales variées illustrent les différentes opportunités et limites avec lesquelles les habitants doivent composer dans leur recherche d’habitat idéal. Ces lieux doivent jouer sur un équilibre à trouver entre la concrétisation de cette aspiration, et le maintien de valeurs partagées par le groupe.

Il semblerait a priori impensable qu’un schéma économique de construction puisse suivre un modèle qui se perpétue par sa muabilité plus que par ses règles préétablies. On se trouve là, en face d’un modèle qui prône un habitat qualitatif par la maturation du processus de conception, par opposition à un schéma de promotion immobilière axé sur une grande quantité de logements construits en un temps record.

Ce qui est assez remarquable est de constater qu’un schéma de promotion immobilière plus long dans sa mise en œuvre, qui nécessite un très grand nombre de réunions avec les clients parvient malgré tout à se développer. Divers facteurs, qu’ils soient macroéconomiques ou sociologiquement liées à standard de mode d’habitation, viennent constituer des freins à ce modèle. Malgré son essor encore marginal par rapport à l’ensemble du secteur de la construction, rares sont les habitats en autopromotion qui ne parviennent pas à se pérenniser suite à leur construction. On se rend compte, d’un habitat à un autre, de points communs et de différences qui s’inscrivent dans les mêmes catégories. Celles-ci se caractérisent par la façon de faire le projet, l’idéologie d’un groupe ou par exemple son rapport au quartier. Ce sont ces spécificités ou similitudes issues de domaines récurrents qui permettent de saisir les rouages de leur fonctionnement.

Pourquellesraisonsleshabitatsenautopromotionparviennent-ilsàseconstituer par leur propre diversité?

Ce modèle alternatif s’oppose au schéma classique de conception de l’habitat. Il combine les savoirs entre citoyens et professionnels pour concevoir des espaces qui répondent avant tout aux envies des futurs habitants. La mutualisation s’opère aussi dans la création d’espaces communs, librement appropriables par la collectivité, qu’il s’agisse d’ateliers, d’une cuisine, ou d’un jardin par exemple. Cette forme d’habitat peut se décliner sous différentes formes règlementaires.

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Les habitats participatifs ne constituent pas qu’un mode de promotion alternatif à la maison individuelle, ils sont un réel mode de vie qui se lie à la démarche de vouloir vivre avec une collectivité. À des degrés différents d’intégration de valeurs de partage, production d’aliments, méthodes de construction, les groupes d’habitants constituent les logements en adéquation avec l’esprit général du collectif. Les profils variés des foyers qui y logent, illustrent la diversité de raisons qui poussent à choisir cette façon de construire. On peut tout aussi bien retrouver une femme âgée en quête d’interactions sociales qui loue un appartement, une famille soucieuse des questions écologiques qui désire construire une maison passive en lien avec un potager, ou couple de jeunes bricoleurs qui désirent participer pleinement à la fabrique de leur logement tout en partageant des savoir-faire dans un atelier partagé.

Dès les années 1970, l’approche de l’habitat participatif a connu un regain de visibilité par les travaux de Lucien et Simone Kroll. Cette méthode de co-conception des logements part de l’idée que chaque habitat est le reflet et doit s’adapter aux spécificités des modes de vie de chaque personne ou ménage. Lucien Kroll prononce cette phrase : « Pas d’habitants, pas de plans!15», dans le cadre projet du quartier des vignes blanches à Cergy-Pontoise. Ils incorporent à cette idée des espaces mutualisés autour desquels les individus peuvent se retrouver pour discuter, organiser des événements, manger, débattre etc.

Plus récemment, l’autopromotion s’est progressivement développée dans plusieurs pays européens. La région du Bade-Wurtemberg en Allemagne offre un grand nombre d’exemples en commençant par le quartier Vauban de Fribourg, terminé depuis bientôt trente ans. Les individus se regroupent par coopératives, collectifs, (Baugruppen) et engagent des discussions avec les différents acteurs pour la mise en place de leur projet d’habitation et de vie dans le quartier. Ces démarches sont très souvent soutenues par des organismes d’autopromotion et des collectivités publiques qui communiquent et accompagnent ce type de projet encore considéré comme novateur et alternatif. Ainsi à Fribourg ou Tübingen, 30 à 90% des acquisitions de terrains peuvent être dédiées à de l’autopromotion16

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15. BOUCHAIN P. Simone & Lucien Kroll une architecture habitée, Edition Actes Sud, 2013, p.148 16. « Eco-quartier », Dossier éditorial, Urbanisme, 2006, n°348, p. 37-71

Cette procédure remet en cause un système d’organisation de projet jusque-là très hiérarchisé, de l’architecte au maître d’œuvre en passant par les acteurs institutionnels. La réintroduction des citoyens, futurs habitants au cœur des débats, est une tendance qui se multiplie depuis une vingtaine d’années 17. Elle permet de donner une plus grande importance au mode de vie quotidien de chaque individu et ainsi donner plus de sens à la conception de leur logement.

Le développement et la mise en lumière progressive de l’autopromotion précise peu à peu des prises de positions alternatives que prennent des maîtres d’œuvre, architectes comme des habitants. Ces phases de co-conception comportent de nombreuses contraintes juridiques, foncières et financières qui allongent le temps de création du projet. Les professionnels qui effectuent ce type de démarche, qu’ils soient dans la maîtrise d’ouvrage ou d’œuvre, portent ainsi leurs projets en adéquation avec l’idéal des citoyens impliqués. On découvre aujourd’hui un panel de discours allant d’une revendication d’une démarche militante, écologique et collective, à des propos qui visent à illustrer que ce mode d’habitat ne se limite pas qu’à une population « d’idéalistes ».

17. NEZ H. « Les savoirs et savoir-faire des professionnels face à la participation : entre aptitude au dialogue et communication graphique », L’implication des habitants dans la fabrication de la ville Métiers et pratiques en question, Edition de la Villette, Réseau Rameau, 2013, p. 151

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Cas d’études

Les terrains d’enquête sont de nature différente et permettent d’illustrer le lien profond qui existe entre le projet, les résidents et leur idéal d’habitat. Ces caractéristiques permettront de relever les spécificités de chaque projet tout en ouvrant sur des questions du rapport au reste de la société, ou de développement du modèle. Il s’agit de l’habitat groupé de l’Ouvert du Canal à Ramonville-Saint-Agne, de l’immeuble K’Hutte à Strasbourg et du projet du Lavoir du Buisson Saint-Louis à Paris.

D’un point de vue des positionnements idéologiques des acteurs et des habitants on observe des différences. On passe d’une démarche qui semble plus militante collective et écologique pour l’Ouvert du Canal, à une approche qui vise à se détacher d’une image d’habitants trop idéalistes dans la K’Hutte.

Les différentes situations géographiques, permettent une meilleure compréhension des profils des habitants et de la logique architecturale des logements. L’exemple de Ramonville s’insère en lointaine banlieue pavillonnaire toulousaine, celui de K’Hutte dans un quartier neuf strasbourgeois, et le Lavoir du Buisson Saint-Louis dans un îlot parisien dense avec du patrimoine industriel.

L’Ouvert du Canal et Le Lavoir sont nés d’un groupe d’individus, qui aspirent tous à une accession à la propriété dans un collectif quand K’Hutte est initié par un urbaniste, avec une planification de différents types de logements, en accession, en locatif, pour handicapé tout en proposant des espaces de bureaux.

Leurs démarches environnementales différent également, du réemploi, pour l’exemple parisien, à des matériaux alternatifs pour la construction à Ramonville et des éléments performants techniquement sur le projet alsacien.

Enfin, les époques différentes permettront d’expliquer un certain nombre d’évolutions dans la démarche d’autopromotion. Le Lavoir du Buisson Saint-Louis à ce titre permet une bonne prise de recul car le projet a été achevé en 1983. Pour le retour des habitants sur le processus d’autopromotion et le bilan de logements, des entretiens semi-directifs ont été conduits.

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Méthodologie

Le mémoire se nourrit de plusieurs approches pour faire ressortir les éléments de réponse sur les caractéristiques propres à chaque habitat, et de fait, les conditions de leur essor actuel. Dans le cadre de mon enquête auprès des trois formes d’habitats participatifs, j’ai effectué des entretiens semi-directifs et des observations in-situ

L’enquête sur le terrain se caractérise par la visite des projets. Ces découvertes me conduisent à repérer des éléments architecturaux et une organisation spatiale qui se corrobore avec les propos des personnes que je questionne. De plus, ces lieux ont parfois suscité des rencontres opportunes avec des habitants, d’amis extérieurs, ou personnes intéressées par l’approche participative.

Le travail de recherche d’informations peut se synthétiser en deux phases, la récolte de données, puis leur analyse et retranscription. Pour les entretiens semi-directifs, j’ai d’abord commencé par l’accumulation d’informations données par les habitants, ou architecte qui m’ont reçu. L’avantage de cette méthode est qu’elle permet d’ores et déjà de trier les informations par catégories prédéfinies tout en laissant libre court au déroulement des discussions. Par ces ouvertures on peut recueillir d’autres données que l’on n’aurait pas pu avoir si l’entretien suivait un questionnaire plus resserré. Ce type d’entretien est, de manière générale, agréable autant pour l’enquêteur que pour les personnes interrogées par son aspect plus informel.

Les données recueilles sont ensuite réorganisées selon les mêmes parties et sousparties pour chaque étude de cas. Une fois le développement et le tri des informations effectués, elles sont remises en perspective par des tableaux, des organigrammes, ou des éléments graphiques qui simplifient la compréhension de chacune de leurs composantes et rendent l’analyse globale plus claire. Les éléments similaires sont enfin relevés, quand les points qui caractérisent chaque habitat servent d’amorce à la troisième partie.

Les éléments développés pour les différentes comparaisons seront appuyés par des croquis, et diagrammes personnels qui viendront illustrer des cas, ou des évolutions spatiales fictives. Ceci permettra de démontrer comment un projet peut se décliner sous une multitude d’aspects.

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Limites de la méthodologie

Les personnes avec qui j’ai pu découvrir les habitats étaient systématiquement âgés de plus de 50 ans et malgré leurs parcours de vie différents, je me suis trouvé en face d’une parole issue d’une même génération. À l’Ouvert du Canal j’ai cependant pu échanger avec des habitants âgés de 30 et 40 ans ayant de jeunes enfants à l’issue de la projection du documentaire.

Enfin, des entretiens spontanés dans la rue auraient pu renforcer des postulats sur la question du mode d’habitat idéal, ou relever des aprioris qu’ont les personnes sur les habitats participatifs en général.

Organisation du mémoire

L’objectif est d’expliquer dans un premier temps la situation l’autopromotion dans les processus globaux actuels de production de logements par son origine et sa définition. Cette partie contextualise ce modèle dans des exemples de la seconde moitié du XXème siècle, en France, en Belgique et en Allemagne. Puis elle retrace en France ses récentes évolutions juridiques et démultiplications d’exemples en adéquation avec les évolutions sociétales de partage, d’implication citoyenne et de conscience écologique.

Ensuite, l’analyse se portera sur les trois cas d’études. Il y sera développé les positions des citoyens dans leurs projets, de leurs aspirations et constitutions en groupes, à leur retour d’expérience sur le processus de conception et le bilan de leur habitat. L’intérêt principal est de soulever l’importance de la dimension idéologique pour les habitants dans les constitutions de leur habitat tout en mettant en parallèle le bilan de satisfaction de l’ensemble du projet de sa conception à sa viabilité. Des aspects, spatiaux, techniques viendront évaluer le degré d’appropriation des habitations. Les cas d’études, complémentaires, par leurs différentes tailles, période de réalisation, contexte urbain ou type de population ; permettent de mettre en lumière le fait qu’il n’existe pas un seul modèle d’habitat en autopromotion. Leurs réussites respectives, selon les critères instaurés par les groupes, conduisent aux hypothèses développées en troisième partie.

Enfin, l’étude croisée des études de cas se structurera selon trois dimensions qui viendront illustrer les caractéristiques intrinsèques à chaque projet et ses habitants. L’appropriation et l’adaptation de ces projets, constituent le premier point qui sera développé. Ensuite sera étayé le fait qu’un équilibre doit être trouvé entre un modèle peu reconnu mais qui fonctionne malgré tout selon la constitution de chaque groupe. Puis, il sera analysé le fait que les habitants se constituent par des idéologies variées tout en constituant des groupes sociaux à part entière.

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19
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«Planète», Aubin Souday, 2017

I. Un mode de conception reconnu et en évolution

A. Origines et qualification de l’autopromotion

Une origine aux multiples influences de ce phénomène

Origines historiques et le mouvement des Castors

Pour remonter à l’origine des premières expérimentations en matière d’habitat collectif, on peut s’appuyer sur différents mouvements qui ont mené à des évolutions majeures de l’habitat.

Sur la notion de confort et d’habitat collectif planifié, on peut évoquer succinctement l’idée des cités-jardins du début du XIXème siècle. La nouveauté de ce modèle de logements réside dans le fait qu’une entreprise veille au confort de son personnel en désirant les loger dans un ensemble qui réponde à certaines normes de confort. La quête de confort en question s’appuie sur les pensées du paternalisme, et de l’hygiénisme. Cette dernière notion sera reprise par le mouvement moderne en articulant des espaces qui visent à maximiser la luminosité et offrir des espaces extérieurs aux logements collectifs par exemple18

L’organisation fondatrice à relever ; qui se rapproche le plus de la notion actuelle d’habitat participatif est celle des Castors à l’après-guerre. Ce mouvement a pour origine des groupes composés d’ouvriers nommés les « cottagistes » qui construisaient des logements sur leurs temps libres. Ces groupes apparaissent en 1921 impulsés par la théorie de « l’apport travail » de l’ingénieur et anthropologue Gëorgia Knap. Cette notion correspond à la quantité de travail que s’engage à fournir un ouvrier en remplacement de son temps de travail. Plus de 1000 demeures sont bâties jusqu’aux années 1940, portées par 22 groupes qui construisent essentiellement ces habitats dans des communes

18. DUCHÊNE F., LANGUMIER J., MOREL JOURNEL C., « Cités ouvrières et patrimonialisation : d’un modèle à ses multiples transformations », Espace et Société, 2013, p. 152-153. URL : https ://www.cairn. info/revue-espaces-et-societes-2013-1-page-35.htm

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 21

industrielles de l’est de la France. Le mouvement coopératif des Castors, à proprement parler, s’est fondé dans une période de manque de 5 millions de logements, et où l’État peine à accélérer un processus de reconstruction. La première opération eut lieu à Pessac sur un terrain de 12 hectares en 1949. S’ensuivent des projets à Rezé et Montreuil.

Face aux difficultés de contracter un emprunt, la notion « d’apport travail » constitue l’alternative adoptée pour pallier au manque de capital. Ce temps de présence peut consister en des tâches très variées dans la viabilisation des terrains et la construction. De fait, les savoir-faire des ouvriers se combinent, se partagent et créent une émulation qui facilite la répartition des tâches tout en permettant de développer ses propres compétences.

La reconnaissance de la notion « d’apport travail » par le ministère de la reconstruction va mener au développement de cette méthode dans le secteur public et privé. En l’espace de deux ans, 214 chantiers vont se faire dans toute la France que ce soit à Lyon, Bayonne ou Montluçon par exemple. Les 10 000 logements créés permettent à des foyers de propriétaires aux revenus modestes, d’accéder à des conforts qui n’étaient pas encore systématiques à l’époque, comme l’eau courante ou l’électricité. Ce modèle conduit ponctuellement à mutualiser diverses ressources comme des bibliothèques, des

Fig. 1 : Castors devant un atelier de menuiserie de la cité du Tromeur, Landerneau.
I. Un mode de conception reconnu et en évolution 22
Source : Le Télégramme. Photo DR. (collection particulière)

coopératives d’approvisionnement d’aliments, des machines à laver itinérantes etc. La mise en place des politiques de construction massive des grands ensembles, va peu à peu faire décliner ce modèle. Les coopératives actuelles des castors, sont plus portées sur de l’accompagnement, de la gestion, et de la mise en relation de particuliers qui désirent constituer un ensemble d’habitat groupé19

On assiste par ce mouvement à la caractérisation d’espaces partagés, de mises en commun des ressources, non pas pour des questions écologiques mais initialement bel et bien pour des questions de subsistance post-guerre. À ce besoin s’ajoute le partage de savoir-faire constructifs liés à une économie de moyens nécessaires pour une population de propriétaires à revenus modestes. C’est au fil des Trente Glorieuses (Jean Fourastié 1979), que la dimension participative évolue avec le développement économique, pour passer d’une nécessité d’économie de moyens, à une approche plus idéologique, portée sur des valeurs sociales et écologiques.

Le modèle de conception architecturale se développe en France appuyé par les évènements de «mai 6820». Cette envie de construction d’une société différente passe, là encore, par une nouvelle façon d’habiter. Cette tendance coïncide aussi avec un profond rejet du modernisme qui aurait fini par annihiler l’humain dans une industrialisation toujours plus poussée de la fabrique de logements.

Ainsi, diverses disciplines ont pris une place plus importante dans l’enseignement et la pratique architecturale. La compréhension de l’évolution des Hommes et leur maîtrise de leur environnement passent ainsi par l’étude de la sociologie, la psychologie, voire l’anthropologie, ou plus généralement les sciences sociales.

Des architectes se sont plus volontairement penchés sur la question de l’intervention d’un futur habitant dans la conception de son habitat par l’approche participative. Il s’ensuit de multiples projets d’habitats d’échelle variée qui se développent avec des retentissements différents, portés par de nombreux architectes comme Claude Guislain sur « les Jardies » en 1975, Jacques Bon pour « la Maison du Val » en 1980, deux projets situés à Meudon, ou encore le « Kholkoze » de Claude Bouvier à Saulxles-Chartreux en 1978. On trouve dès lors une forte concentration d’exemples situés en région parisienne, portés par des architectes qui ne font qu’un à deux projets de ce type, car ils nécessitent un gros investissement de temps.

19. LÉVÊQUE J-B. « Castors », ARTE, [durée 3 :30], 28 octobre 2018. https ://www.arte.tv/fr/ videos/078724-034-A/karambolage/

20. LOEGLER T. Habiter, c’est agir sur son cadre de vie, Habitat & Expérimentation, Cahier du LHAC, 2015, p.94

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 23

Contextes internationaux variés

Depuis près d’un demi siècle, les processus de participation citoyenne ne s’appliquent pas uniquement sur des questions d’habitat. Outre-Atlantique, des courants de pensée ont eu pour objectif d’intégrer les citoyens dans des réflexions portant sur l’évolution des villes et leurs impacts sur la population. Les deux exemples suivants visent avant tout à illustrer le fait que la question participative sur les disciplines d’aménagement de l’espace était déjà existante il y a soixante ans, et même hors d’Europe.

On observe aux États-Unis dans les années 1960 un phénomène qui cherche à incorporer la population dans des projets de planification urbaine. Les « Model Cities » ont pour objectif de pallier aux graves crises communautaires qui se développent dans les ghettos. Cette situation se combine avec une hausse des revendications sociales pour une ouverture plus large des droits civiques, au même titre que les manifestations contre la guerre au Viêt Nam. Pikeville dans le Kentucky est un exemple de ville qui a bénéficié de ce programme « PikevilleCutThrough » pour le détournement d’une rivière ayant permis de limiter les inondations, et contribué au développement économique par des infrastructures routières21. D’autres villes plus importantes ont bénéficié de ce type de programme comme Detroit, Atlanta ou Seattle.

Dans la même décennie, le mouvement « Advocacy planning » porté par Paul Davidoff est, quant à lui, porté sur les minorités ségréguées. Cette approche globale vise à se détacher d’une approche trop technique, faite de spécialistes sur les questions urbaines en intégrant les citoyens dans les réflexions. L’objectif est d’offrir les outils de plaidoirie à des populations qui subissent les décisions de planification urbaine radicales altérantes, ou supprimant des quartiers entiers. Ce processus tend à passer d’une simple acculturation aux enjeux de la ville à une constitution beaucoup plus organisée de groupe de défense22. Ces schémas de conception cesseront, par faute de financement, et de complexité bureaucratique.

On observe dans le monde occidental une tendance à vouloir impliquer les individus dans les réflexions spatiales à plusieurs échelles. Ce qui est assez curieux est d’observer cette volonté d’inverser le cours des prises de décisions pour intégrer les premiers concernés par les projets architecturaux et urbains, les citoyens eux-mêmes. Pour les logements conçus en groupe, c’est essentiellement en Europe que l’on va observer sur cette période le développement des habitats en autopromotion. On est là, moins dans une démarche militante Top-Down de vouloir lutter contre de grands

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 24
21. « PIKEVILLE, KY : Appalachia’s Model City », Apalachian Magazine, 25 janvier 2015, URL : http :// appalachianmagazine.com/2015/01/25/pikeville-ky-appalachias-model-city/ 22. KATAN R. « Vers une architecture appropriée », Technique et architecture, 1982 dec-jan, n°345, p. 68

processus de planification, mais plus dans un souci de vouloir vivre différemment, de créer une architecture alternative par une approche Bottom-Up.

Cette adéquation de projets avec le vieux-continent est en lien avec des pays qui offrent déjà des modèles redistributifs de protection sociale, basés sur le partage, modèle quasi-inexistant aux États-Unis. On peut y ajouter une certaine préoccupation et émulation concernant les questions environnementales dès les années 1960 -1970. Enfin, spatialement, les projets d’habitats groupés sont bien plus adaptés aux villes européennes qui offrent une mitoyenneté historique, des voiries plus étroites ; contrairement aux villes états-uniennes, majoritairement adaptées à l’usage de l’automobile et composées de vastes parcelles zonées par programme résidentiel ou commercial.

Les premiers écrits et expérimentations de l’habitat participatif tel qu’on l’entend aujourd’hui remonteraient aux années soixante, dans la moitié nord de l’Europe, au Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni et Belgique. Par militantisme, ou simple aspiration à vivre différemment, l’envie de création d’un habitat fait par et pour ses habitants se développe dans sur le vieux continent. Plus globalement, cela coïncide avec une tendance générale de ces décennies, à une aspiration de vie en collectivité, dans une mouvance plus soucieuse de l’environnement. Ce mode d’habitat s’avère novateur à cette époque par l’aspiration collectiviste qui vise à optimiser le partage des ressources quand, parallèlement s’ancre le modèle consumériste pendant les Trente Glorieuses.

Par-delà cet idéal montant, ces réflexions portent sur la prise en compte de l’habitant dans sa constitution de son propre habitat, la construction de son cadre vie par l’architecture. « L’architecture participative » qualifie dans ce contexte la contribution de l’habitant comme essentielle.

John Habraken, l’un des architectes initiateurs de l’architecture participative publie en 1961 «De Dragers en de mensen het einde van de massawoningbouw» qui sera traduit en anglais dix ans plus tard sous le nom de «Supports : An Alternative to Mass Housing». Ce manifeste aspire à mettre en lien la participation des habitants dans la constitution de leur habitat avec la nécessaire mise en place d’une ossature structurelle, d’un bâtiment ouvert.

Son groupe de recherche Stichting Architecten Research (Fondation pour la Recherche Architecturale) avait théorisé le fait de distinguer une part une «structuresupport», qui peut accueillir des «éléments de remplissage». Cette catégorisation primaire distingue ainsi les espaces collectifs avec l’ossature initiale quand les lieux plus privatifs personnalisables par les habitants, font office de remplissage23. L’habilité du

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23. LOEGLER T. Habiter, c’est agir sur son cadre de vie, Habitat & Expérimentation, Cahier du LHAC, 2015, p. 95

groupe de recherche réside aussi dans sa capacité à amener les autorités publiques à suivre des plans constitués très librement par les architectes et les habitants, notamment sur le projet de Molenvliet en 1974 à Papendrecht près de Rotterdam. John Carp, un chercheur du groupe explique que les instances avaient vérifié la mise en place fictive de plans et de répartition de lots, tout en garantissant les financements. Cette promesse tenue, la structuration spatiale voulue par les futurs habitants, accompagnés par les architectes, a pu se composer librement24

Ralph Erskine, membre de la Team Ten, a été aussi l’un des architectes précuseurs de l’approche participative dans l’implication des habitants sur le projet. Pour la première phase du projet de réhabilitation de Byker à Newcastle de 1970 à 1974, il installa un bureau avec son équipe dans une ancienne boutique du quartier. S’agissant d’une réhabilitation progressive, les habitants pouvaient ainsi consulter les architectes sur les changements à venir directement sur place25

Une seconde phase de regain d’intérêt pour l’habitat participatif, a lieu à la fin des années 1990 début 2000. Ce phénomène est avant tout visible en Suisse et en Allemagne à travers le projet Kraftwerkà Zurich et Vauban-Fribourgen Bade-Wurtemberg par exemple. Dans cette même région allemande, la ville de Tübingen offre un exemple complet de développement d’habitats en autopromotion combiné à une logique globale de projet urbain. Le quartier français est l’un des quartiers conçus dans ce cas de figure, au même titre que Loretto et Südstadt.

Plutôt que de laisser les parcelles d’une ancienne caserne à de la spéculation foncière pour constituer un quartier, la mairie décide en 1993 de prendre en main la gestion de ce quartier avec ses compétences propres (transports, culture, éducation etc. )26. Cette prise d’initiative publique est fondamentale pour assurer le développement de cet écosystème qui se met en place. Le projet avait pour objectif d’offrir 2000 emplois, et les logements pour 6500 habitants27

Chaque architecte conçoit son îlot avec les habitants qui se sont groupés, les « Baugruppen ». Les projets allient méthodes constructives qui offrent de grandes

24. LÜTHI S. ; SCHWARZ M., «De Drager / a film about Architect John Habracken», Schwarzpictures. com, Vimeo, [durée 1 :00 :44], 9 mars 2013. URL : https ://vimeo.com/61410893

25. BLUNDELL JONES P. ; CANNIFFE E., «Modern Architecture Through Case Studies 1945 to 1990», Elsevier, Amsterdam, 2007, p. 8

26. STEFFEN G., « Urbanisme démocratique : le quartier Français de Tübingen », Pensons le matin, 25 mai 2013, URL : http ://www.pensonslematin.fr/processus-damenagement-democratique-le-quartierfrancais-de-tubingen/

27. Eco-quartiers, URL : http ://www.eco-quartiers.fr/#!/fr/espace-infos/etudes-de-cas/sudstadt-11/ pensonslematin.fr/processus-damenagement-democratique-le-quartier-francais-de-tubingen/

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 26

performances énergétiques, mixité programmatique avec l’incorporation de commerces et services dans les bâtiments. Les coopératives propres à chaque groupe ont ainsi pu constituer des habitats adaptés aux besoins et goûts de chaque foyer tout en incorporant la végétation en cœur d’îlot grâce aux expertises des paysagistes. La crainte initiale de voir se développer des typologies architecturales trop hétéroclites ne s’est finalement pas vérifiée grâce à un travail de concertation entre habitants et professionnels.

Les logiques de déplacements et structuration spatiale sont optimisées pour les flux domicile - travail, tandis que les lieux dédiés aux espaces culturels offrent une grande modularité programmatique. Le patrimoine bâti est conservé pour être employé différemment, en témoignent les halles, restaurées pour accueillir le marché mais aussi des évènements culturels. Il s’agit de composer le cœur des espaces publics, comme un lieu d’échanges entre les habitants du quartier et ceux de la ville. Cette composition mixée des programmes facilite également les circuits-courts au sein du quartier, le slogan du projet est « la ville des courts chemins ».

Tübingen est un cas unique par son ampleur, son mode de gestion unique. Cet exemple poussé d’habitat s’est réalisé grâce à un savant mélange de volonté publique (ayant plus de pouvoir local qu’en France), de nombreux groupes d’habitants impliqués, et un système économique qui s’adapte à ce mode de fonctionnement alternatif.

Fig. 2 : Aixer Straße, Quartier français, Tübingen
I. Un mode de conception reconnu et en évolution 27
Source : Ville de Tübingen

Approches théoriques

La façon de faire, et de penser l’approche participative peut être liée à des théories qui recoupent plusieurs domaines. L’analyse qui va suivre est composée de théories de Félix Guattari, Lucien Kroll, et John Habraken, de façon à comprendre à quels enjeux globaux peuvent être liés les principes de l’habitat participatif.

Lucien Kroll est avec sa femme, Simone Kroll, sont des figures parmi les plus emblématiques de l’habitat participatif. L’architecte belge met en exergue que les habitants doivent évoluer dans un environnement étant le plus favorable, adapté aux personnalités de chacun et permettant l’épanouissement personnel. Ils adoptent volontiers une vision onirique du paysage et sociologiquement opposé à la place de l’habitat de l’homme dans le modernisme, même s’ils portent des idées globalement complémentaires avec celles de John Habracken. L’architecte néerlandais voue son intérêt pour l’habitat, d’abord par une approche géographique du site du projet et par la façon dont les villes se sont constituées suite à une accumulation de décisions humaines28. Il lie ce hasard à une forme d’urbanisation historique, avant de se concentrer sur l’architecture d’un bâtiment en elle-même.

Lucien Kroll rejette plus franchement le modernisme, vision trop simpliste du monde, qui vise à standardiser des principes architecturaux d’habitat quand en réalité chaque individu est unique. Il est pour lui inconcevable de rendre acceptable aux habitants de simples barres d’immeubles, un peu modernes, avec quelques codes de couleurs complémentaires en façade, quand ces ensembles nient fondamentalement leur « être social », ce qui caractérise chacun d’entre-nous29. L’appropriation des habitats prend ainsi le contre-pied d’un modernisme qui standardise en prônant la complexité du monde et des individus.

L’approche de Félix Guattari est plus portée sur une nécessaire reprise en main de la part créatrice de chaque individu plutôt que de se laisser dicter une vision du monde globale. Son approche de philosophe et psychanalyste est de fait plus globale et moins technique que celle de Lucien Kroll sur les questions architecturales. Sa vision tend à remettre en cause le rapport de la société à la question écologique.

L’architecte belge, ajoute à cela le fait de se servir du mode de production industriel pour composer ses projets de façon adaptée. En plus d’une critique des évolutions sociétales, il parvient à mettre en œuvre spatialement ses désirs en se jouant du modèle économique. Il emploie par exemple cette méthode en partant d’une trame régulière sur le projet de la « Mémé » de 1970 à 1972, et en catégorisant des châssis de fenêtre type, qu’il agence de façon totalement adaptée à chaque étudiant30

28. LÜTHI S. ; SCHWARZ M., «De Drager / a film about Architect John Habracken», Schwarzpictures. com, Vimeo, [durée 1 :00 :44], 9 mars 2013. URL : https ://vimeo.com/61410893

29. KROLL L., Tout est paysage, Paris, ed. Sens & Tonka, p.51, 2001

30. BOUCHAIN P., Simone & Lucien Kroll une architecture habitée, Edition Actes Sud, 2013, p.112-114

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 28

Il remet aussi en perspective que les « auto-constructeurs » existent depuis des millénaires, tandis que la question de l’habitat n’est traitée que depuis bien moins de temps par les architectes. La multiplicité architecturale des habitats est un concept qui n’a été effacé que récemment par l’industrialisation des modes de construction. Le mouvement postmoderne embrasse une forme de mise à distance des codes techniques établis par le modernisme, tout en intégrant la « biodiversité urbaine », et la « multiplicité culturelle contemporaine » du monde actuel31. Il est nécessaire de se saisir de cette acceptation de la complexité pour la coordonner avec les compétences des architectes, et la mettre au service de la population.

Félix Guattari évoque dans son essai « Les Trois Écologies », les questions urbaines et architecturales au même titre que l’économie, les interactions sociales ou l’influence des médias par exemple. Par la notion d’« écosophie », il utilise les différents points sur lesquels il faut agir pour arrêter de minimiser les questions environnementales, par rapport à des enjeux technocratiques. Ceux-ci sont trois registres écologiques dits de l’environnement, les rapports sociaux et la subjectivité32

31. KROLL L., Tout est paysage, Paris, ed. Sens & Tonka, p.69, 2001 32. ibid. p.69

Fig. 3 : Dessin axonométrique de la «Mémé», Woluwe-Saint-Lambert, Belgique, 1970-1972
I. Un mode de conception reconnu et en évolution 29
Source : Lucien Kroll, Tout est Paysage. 2001

Le philosophe soulevait le paradoxe entre des capacités technico-scientifiques toujours plus performantes pour résoudre les problèmes environnementaux et le manque de prise en main sociale, collective de ces sujets-là. Le caractère de l’« écologie subjective » ne doit pas être un modèle imaginaire fait de concepts abstraits imposés, mais doivent être intégrés dans les subjectivités collectives, sur des domaines allant de l’économie à la culture en passant par l’architecture33. Quarante ans plus tard, on constate un développement accéléré des formes alternatives de consommation, production, contestation sur les questions environnementales ou de justice sociale. De la même façon, cette prise de conscience collective se heurte encore à ce que qualifie le philosophe de « Capitalisme Mondial Intégré »34

Cette tendance à la démultiplication des solutions apportées se retrouve aussi dans l’habitat participatif à travers des formes juridiques et des groupes d’individus aux profils toujours plus variés. Mais là encore, le fonctionnement global de nos sociétés occidentales ne permet pas la généralisation d’un modèle qui nécessite du temps, un travail très approfondi d’échanges entre praticiens et particuliers, et une recherche d’équilibre social et culturel complexe à trouver.

Qualification de l’autopromotion

Lorsque l’on se renseigne sur ce type de promotion immobilière, on retrouve systématiquement des dénominations qui font référence à ces habitats de diverses façons. La liste suivante vise à clarifier le lexique qui a trait à l’autopromotion afin d’éviter toute confusion.

// L’autopromotion

Ce terme désigne avant tout la démarche constructive. Il fait référence à une forme de promotion immobilière organisée par des particuliers qui s’organisent en groupe.

// L’habitat participatif

Cette dénomination renvoie à toutes les notions de partage, participation des habitants dans la conception et le fonctionnement des différents lieux de l’habitat. L’ambiguïté du terme repose dans le fait que l’habitat participatif ne peut entraîner qu’une simple collaboration dans la conception, alors que d’autres notions induisent un rapport plus fort qu’une simple consultation.

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 30
33. GUATTARI F., LesTroisÉcologies, Paris, ed. Galilée, p.54, 1989 34. ibid. p.17

// L’habitat groupé

La qualification par le « groupe », se focalise sur les espaces partagés par le groupe et met l’accent sur l’importance du collectif qui a conçu l’habitat.

Que l’on parle d’autopromotion, d’habitat participatif ou groupé, on revient fréquemment aux même principes globaux de conception de l’habitat, par concertation, constitution d’un groupe autour d’un architecte avec des acteurs intermédiaires ou non. Ces terminologies flottantes varient pour rendre une qualification d’habitat participatif plus précis selon un statut juridique, ou plus simplement pour des questions de préférence nominative que choisissent les habitants pour illustrer l’âme du projet collectif.

Ces dénominations se retrouvent à plusieurs reprises à des degrés différents d’importance dans divers habitats, notamment dans ceux que j’ai étudiés. L’habitat groupé de l’Ouvert du Canal de Ramonville, emploie aussi la dénomination d’habitat participatif, ce qui met l’accent sur la dimension collective des habitations. Pour le Lavoir du Buisson Saint-Louis, on retrouve majoritairement l’habitat participatif dans les articles, et les témoignages, alors qu’« autopromotion » revient plus dans les articles scientifiques ou revues spécialisées (au même titre que l’Ouvert du Canal). Enfin pour K’hutte, même si on retrouve succinctement « habitat participatif […] groupé », autopromotion est le mot qui revient le plus souvent. Cela est lié au principe de conception atypique, plus encadré et soutenu par divers acteurs, et l’ampleur inédite du projet en France.

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 31

B. Tendance actuelle en France

On assiste à un développement des habitats participatifs depuis le début des années 2010. Cette tendance est portée par une population toujours plus soucieuse des questions environnementales, de partage de ressources, mais aussi des normes de construction toujours plus strictes avec les RT successives et le développement de la construction bois.

État des lieux

On retrouve une répartition assez hétéroclite des projets en France que ce soit sur le territoire, ou dans des contextes allant des métropoles aux campagnes. La première vague est partie en région parisienne dans les années 1970-1980. Cette phase s’est dans un premier temps caractérisée par l’organisation d’ateliers communautaires dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Ce mouvement des ateliers communautaires s’est mêlé à celui des architectes de «Mars 1976» qui seront à l’origine d’un des premiers groupes de maisons d’habitat participatif à Jouy-le-Moutier, La Hayette 1 et 2. La majeure partie des projets de cette époque s’est faite en Île-de-France, appuyée par le réseau du Mouvement de l’Habitat Groupé Autogérée (MHGA), communauté fondée en 1977 qui démarchait auprès des collectivités pour ces projets expérimentaux35. C’est cependant à cette époque, que quelques habitats groupés à travers la France voient le jour et se retrouvent pour les journées nationales de l’habitat autogéré (dont la première eut lieu en novembre 1977 à Nantes.) On compte par exemple La Soléane à Poitiers, La Claria à Toulouse, Le Hamel à Alençon; puis en région parisienne, Le Kolkoze à Saulx-lesChartreux et les Jardies à Meudon36

Pour l’Alsace, l’avant-gardisme s’explique par la proximité avec le Bade Wurtemberg et la Suisse, des territoires en avance sur les projets d’habitat participatifs, mais aussi un cadre public favorable. Certains projets existent depuis plus de vingt ans dans la région. L’Écolieu de Leymen de 1993 est un exemple d’habitat qui pousse la personnification des habitats très loin dans l’organisation spatiale et l’emploi de matériaux.

Malgré l’influence des voisins allemands, des projets en autopromotion seront retardés par une municipalité de droite réticente dès 2001. C’est en 2005, sous l’impulsion de l’architecte Bruno Parasote, que se débloque la situation du projet de l’Eco-logis en

36. ibid. p.71

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 32
35. LEFEVRE P., L’habitat participatif 40 ans d’habitat participatif en France, Rennes, ed. Apogée, p. 187, 2014

préconisant à l’association « Écoquartier » de se concentrer sur ce projet-là. C’est aussi impulsé par une municipalité de gauche que ce projet unique en France va construire, et entrainer dans sa lignée une dizaine d’autre projets strasbourgeois actuels.

La société d’économie mixte, le SERS, est l’organisme lié à la ville de Strasbourg qui encadre, porte et communique sur l’autopromotion dans la métropole. La société est en lien avec les organismes qui gèrent les contacts entre architectes, futurs habitants, et préservent le foncier pour qu’il demeure dédié à de l’autopromotion.

Deux éléments ont accéléré le processus de développement cette dernière décennie : la loi ALUR en 2014, mais aussi les rencontres à Grenoble de 2012. Cet évènement a été l’occasion d’accroitre la mise en relation de différents groupes et de relayer beaucoup plus rapidement les informations via internet. Le discours de Cécile Duflot, alors ministre du logement et de l’égalité des territoires, marque un changement clair de paradigme politique qui vise à ne plus marginaliser les projets d’habitat groupés37.

La régionalisation du phénomène demeure concentrée dans certaines zones en fonction des stratégies publiques employées. En plus de la région parisienne et de l’Alsace, on peut désormais compter le territoire montpelliérain, l’ex région Rhône-Alpes, la Bretagne, les Pays-de-la-Loire, ainsi que la métropole de Lille ou de Toulouse comme des territoires incubateurs de projets d’habitats en autopromotion.

1970-1980

1980-1990

1990-2000

2000-2010

2010-2020

Fig. 4 : Principaux foyers d’apparition d’habitats participatifs depuis

1970 en France

Aubin Souday, 2019

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 33
37. LEFEVRE P., L’habitat participatif 40 ans d’habitat participatif en France, Rennes, ed. Apogée, p. 210211, 2014

Dans la lignée du développement des projets d’habitats en autopromotion, de nombreux organismes coopératifs viennent s’inscrire dans le cadre de la maitrise d’œuvre, pour porter conseil auprès d’habitants potentiels ou gérer des négociations par exemple. En lien avec la mise en place de différents organismes d’économie mixte rattachés à des municipalités actives en matière d’autopromotion, cet écosystème commence à constituer un cadre politico-juridique qui semble favorable à l’implantation de projets de ce type.

Récentes évolutions juridiques

En France, l’habitat groupé a pu s’institutionnaliser par l’encadrement législatif de l’habitat participatif dans la loi ALUR de mars 2014. Ce mode d’organisation se développe par plusieurs outils juridiques qui sont dédiés à cet effet.

- La société d’habitat participatif est un organisme qui gère la construction et la gestion des logements groupés. Elle constitue une activité qui peut se développer, offrir des services aux associés et définit une charte qui précise les règles de fonctionnement dans le bail destiné aux locataires.

- La coopérative d’habitants destinée à gérer un ensemble de façon démocratique, dans le cadre d’un contrat coopératif. Elle permet la jouissance d’un logement à titre de résidence principale en cas d’occupation de huit mois minimum et son fonctionnement se fait par acquisition de parts.

- La société d’attribution ou d’autopromotion permet à un groupe la conception, le financement et la gestion d’un ensemble immobilier. Elle attribue la propriété de la jouissance d’un logement à titre de résidence principale en répartissant les lots dès la phase de conception.

Ce schéma d’autopromotion a pour bénéfice de laisser une grande liberté de conception des logements avec les architectes et de gestion juridique et financière pour les habitants. L’autopromotion constitue ainsi une méthode alternative qui vise à pallier le manque d’appropriation spatiale tout en répondant avant tout à un idéal de mutualisation de certaines ressources.

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 34

Adéquation avec de nouvelles valeurs montantes

L’écologie de la prise de conscience aux applications constructives

Avec la prise de conscience collective des enjeux environnementaux, ces projets d’habitation trouvent un écho grandissant.

L’écologie devient décennie après décennie une composante fondamentale de l’avenir de nos sociétés. On constate une démultiplication et une intensification des mouvements. Les marches pour le climat à travers le monde en témoignent, comme les poursuites judiciaires attaquant les gouvernements pour inaction, le tout étant relayé par des médias de plus en plus diversifiés. Malgré les nombreuses conférences climatiques depuis Genève en 1979, et la prise en compte pas à pas de ces enjeux par des gouvernements « progressistes », on observe bel et bien une exaspération grandissante d’une opinion publique toujours plus informée et soucieuse de notre avenir. Selon un sondage de France Bleu, sept Français sur dix considèrent que l’économie nuit à l’environnement38.

Dans le monde du bâtiment, on assiste également à une plus grande prise en compte de la nécessité de limiter les déperditions énergétiques. La règlementation thermique de 2020 marque un tournant en la matière car elle induit que les bâtiments doivent être à énergie passive ou positive (BePOS). Le souci de trouver des méthodes alternatives de construction avec des matériaux renouvelables est toujours plus grand. Ainsi la filière de construction bois commence à connaître un réel essor en France depuis cette décennie.

Certains chiffres illustrent cette tendance, en témoignent les 9000 logements collectifs qui ont été construits en bois en 2016 contre 5220 en 2014 ou bien, le fait que le marché des extensions-surélévations soit à 28% constitué de projets en bois en 201639

38. BARBE V. « SONDAGE – Environnement : pour sept Français sur dix, l’économie nuit à l’écologie », France Bleu, 4 octobre 2019. URL : https ://www.francebleu.fr/infos/environnement/sondage-sur-lenvironnement-7-francais-sur-10-1570183840

39. Enquête nationale de la construction bois, activité 2016, https ://d472a293-b267-4dd9-b02d2a1c0cf2759f.filesusr.com/ugd/6a1068_7352573fc2e5493086fc8f1acde52b44.pdf

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 35

Société du Share

On assiste à un changement de notre rapport à l’individualisme, à la possession de biens. Une envie de mutualisation directe des savoirs, des biens, sans passer par des intermédiaires apparaît et se développe. La « société du Share », voit son essor grâce aux nouveaux outils numériques. On partage des photos, découvertes ou idées sur Instragram et Pinterest, on accumule des connaissances gratuitement sur Wikipédia, on divise les frais de déplacement et utilise des moyens de transport moins chers grâce à BlaBlaCar, on trouve un hébergement économique pour une courte période sur AirBnb etc. On assiste au développement de sites de partage demanière générale. Cette capacité numérique facilite la mise en relation des personnes désirant constituer un habitat partagé.

Néanmoins, le bénéfice réel que l’on tire de la plupart de ce partage revêt une nouvelle forme de reconnaissance qui ne passe plus directement de « soit par les autres, mais de soit par soit au travers des autres »40. On se retrouve encore dans une situation où l’on peut contribuer à nourrir à nouveau une forme d’individualisme, de narcissisme par ses outils, tout dépend de l’attitude et du ressenti de chaque individu. Par exemple on attend après un trajet en covoiturage un commentaire et une note positive de nos passagers, le plus de « likes » sur des réseaux sociaux et ainsi de suite. On se retrouve finalement parfois loin d’une idée de partage simple et de solidarité entre personnes.

En plus de pratiques comme le covoiturage, cette tendance se carcatérise par la création de nouveaux espaces. Il commence à se dessiner de plus en plus des espaces partagés au sein d’habitats collectifs avec les notions de « coliving » ou de « coworking » pour le travail. La démultiplication de tiers-lieux de différentes échelles et à vocation culturelle, sociale, ou de restauration, illustre également cette tendance forte à occuper des espaces où l’on mutualise des fonctions, tout en ayant des fonctions informelles. Un tiers-lieu entre en résonance avec le nomadisme que nous procurent les nouvelles technologiques, et l’envie par exemple de travailler dans le salon d’un café, tout en bénéficiant d’outils de reprographie. Ces dispositions peuvent favoriser les rencontres en constituant un écosystème informel qui démultiplie les interactions potentielles entre individus. On se trouve dans une tendance globale de flexibilité des usages des espaces, de mutualisation de ressources et de connaissances, qui entrent en adéquation avec les habitats partagés.

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 36
40. BENCHOUFI M. « La société du share », France Culture, été 2011. URL : https ://www.franceculture. fr/emissions/azertyqwerty-les-chroniques-numeriques-ete-11/la-chronique-de-mehdi-benchoufi-la-societe

Déjà depuis quarante ans, les logements en autopromotion offraient la possibilité d’avoir en commun une buanderie, une cuisine, une cour, un jardin, un atelier et plein d’autres salles de ce type. Pour la caractérisation précise de ces espaces, leurs dispositions spatiales, leurs degrés de partage, il en va systématiquement de chaque groupe constituant un habitat. Au-delà même de la division des espaces, le partage foncier est un facteur essentiel qui tend à aussi à se sophistiquer par les nombreux exemples qui apparaissent.

Le récent redéveloppement de l’autopromotion permet d’offrir un panel toujours plus diversifié d’architectures, de constitutions de groupes en lien avec des idéologies, des envies qui leur sont spécifiques. Cette démultiplication induit une prise de confiance progressive de potentiels futurs habitants, des praticiens du bâtiment, mais aussi d’acteurs économiques, juridiques et publiques. Par l’illustration des trois cas d’études qui vont suivre, je vais étayer quels éléments sont à prendre en compte dans la constitution d’un habitat et de son groupe afin de les remettre en perspective avec les enjeux qui garantissent leur développement.

I. Un mode de conception reconnu et en évolution 37
Dessins schématiques des habitats étudiés L’Ouvert du Canal Lavoir du Buisson SaintLouis K’Hutte
Souday,
38
Aubin
2020

II. Des exemples d’habitats variés

Pour trouver une ébauche de réponse au développement de l’habitat en autopromotion, il est important de comparer les différents cas d’études. Leurs analyses ont permis de relever comment ces projets illustrent des groupes d’habitants et leur rapport spécifique à la société. Les études de cas suivront chacune une organisation globale qui décompose les éléments relevés suivant le même ordre. Chaque étude de cas décryptée comprend ainsi les mêmes parties et sous parties que les deux autres. Les trois catégories principales qui trament les analyses sont les suivantes :

• Des origines et un contexte qui traduisent les aspirations des citoyens impliqués

• L’importance du débat idéologique pour maîtriser le degré de mutualisation du groupe

• Des logements adaptés et à l’image du groupe

II. Des exemples d’habitats variés 39
Fig. 5 : Jardin commun de l’Ouvert du Canal Source : mccouthenx.fr

L’Ouvert du Canal, Ramonville Saint-Anne (31)

Habitat participatif groupé en autopromotion (2013)

Architecte : Marie-Christine Couthenx

Visite à la journée portes ouvertes 19 mai 2019 : 14h - 17h30

> Visite de l’îlot et de deux logements

> Diffusion du documentaire retraçant l’évolution du projet « Rue de l’Utopie »

> Débats et discussions ouvertes avec les habitants

À mon arrivée, je rencontre plusieurs personnes dans la cuisine de l’espace commun à l’entrée de l’îlot. En échangeant, je m’aperçois que Roland Brefel Brefel est l’habitant qui sera notre guide à travers la parcelle. Les autres personnes présentes sont des personnes intéressées par le processus d’autopromotion, et de l’habitat participatif en général.

Deux d’entre-elles portent un projet participatif à Bérat, une dame est actuellement dans une phase d’enquête publique pour la pérennisation d’une ZAD de 1200 personnes et trois autres aspirent à constituer un mode d’habitat similaire dans une périphérie pavillonnaire d’une petite ville.

II. Des exemples d’habitats variés 41

Contexte géographique

L’Ouvert du Canal de Ramonville Saint-Agne est situé en Occitanie, une région qui comporte beaucoup de projets d’habitats participatifs. Ils sont essentiellement apparus dans les années 2010 et dans des milieux ruraux. Les groupes altermondialistes, écologistes, de la région contribuent à nourrir une aspiration commune à vivre différemment, que ce soit par l’agriculture, ou l’habitat par exemple. Divers évènements importants en France de cette nature ont eu lieu dans ce territoire, en témoignent le démantèlement du McDonald’s de Millau orchestré par José Bové en 1999, le rassemblement du Larzac de 2003 réunissant 250 000 militants altermondialistes ou bien plus récemment la ZAD et les incidents du Barrage de Sivens en 2014 dans le Tarn41

Les personnes présentes à la journée porte ouverte me témoignaient que leurs lieux d’implantation sont essentiellement situés en milieu rural ou proche d’un bourg ou d’une petite ville. L’implantation de l’Ouvert du Canal en banlieue toulousaine relève plus d’une opportunité foncière, que d’un choix militant dans le tissu pavillonnaire d’une métropole.

L’exemple de Ramonville Sainte-Agne, est dans un contexte périurbain qui comprend des maisons construites des années 70 à nos jours. Son implantation joue sur un cadre de cœur d’îlot végétal, proche des jardins voisins. L’ensemble offre au final une densité bien plus supérieure aux habitats voisins (réf. annexe 1 p.120). Aussi, sa disposition menant à une succession d’espaces clos, l’allée, le cours, le jardin, génèrent à la fois une sensation de quiétude protectrice, mais qui peut mener à une sensation de repli sur le quartier.

II. Des exemples d’habitats variés 42
• Des origines et un contexte qui traduisent les aspirations des citoyens impliqués
41. «Retour sur 20 ans d’actions anti-mondialisation en Occitanie», France 3, https ://france3-regions. francetvinfo.fr/occitanie/video-retour-20-ans-actions-anti-mondialisation-occitanie-1709836.html

Contexte d’époque

Cet habitat s’est constitué par la loi ALUR en 2014. Les témoignages issus de l’Ouvert du Canal m’ont fait part de leur scepticisme quant à un réel impact de cette loi pour le développement des habitats participatifs.

Le regain de popularité de ce modèle, dans les années 1990 en Suisse et en Allemagne, puis au courant des années 2010 en France, semble quant à lui se porter davantage sur des questions environnementales. Les personnes habitant les nouveaux habitats participatifs mettent en pratique dès la conception des espaces un cercle vertueux d’entraide, avec des questions de consommation en circuit-court, réutilisation de matériaux etc. Le projet de l’Ouvert du Canal est en ossature bois, implanté dans un environnement résolument tourné sur la nature, avec un potager partagé dans le quartier et une cour qui accueille des maraîchers d’AMAP hebdomadairement par exemple.

II. Des exemples d’habitats variés 43
Fig. 6 : Vue 3D de la parcelle modification Aubin Souday, 2019 Source originale : google earth

Aussi, la volonté de vivre en collectivité s’inscrit à contre-courant d’une société de plus en plus individualiste, mais qui voit aussi l’essor de nouvelles formes de partages, plus caractérisées par de simples échanges de services ou de biens, via des plateformes numériques. Actuellement, l’autopromotion correspond à une concrétisation spatiale de la notion de « partage » à laquelle tend la « société du Share ». Cette dernière ne se voit appliquer en général que par des échanges de bons procédés.

On se rend bien compte que par le développement d’exemples d’habitats participatifs en autopromotion, on semble assister à une augmentation de la prise de conscience collective des enjeux environnementaux, de partage des ressources, de recyclage etc. Celle-ci est combinée à des moyens de communication numériques toujours plus simple et plus rapides pour la mise en réseau de personne qui désirent vivre en communauté.

Les valeurs fondamentales sont toujours au cœur de ces principes de développement des groupes qui constituent un habitat participatif depuis les années 1970. Les dimensions de solidarité, d’écologie, de partage se retrouvent à des degrés différents selon les habitats. Néanmoins, le regain d’intérêt pour ce mode de promotion immobilière semble être d’autant plus accéléré par l’urgence environnementale à notre époque. C’est dans cette veine de vivre différemment que s’incorporent les nouveaux outils de la société du « Share », comme vecteurs d’un mode de vie et de consommation plus soutenable. Le partage des espaces de vie est une étape plus avancée qui n’est pour le moment pas majoritaire pour la population.

II. Des exemples
variés 44
Fig. 7 : Vue des terrasses des habitations, Source : Zeste.coop
d’habitats

Des statuts juridiques qui expriment déjà des stratégies d’organisation de groupe

Ce groupe a effectué le montage du projet par une Société Civile Immobilière d’Attribution (SCIA). Roland Brefel, au début de la visite, nous explique le choix de constitution juridique du groupe en SCIA. La stratégie est de donner « le choix d’abord aux habitants ». En outre ce qu’elle permet de plus par rapport à une SCI classique est une répartition de la parcelle, de biens immobiliers en lots définis entre associés. Ce choix dont parle Roland Brefel Brefel est une capacité pour chaque foyer de gérer librement l’usage de son habitat tout en restant dans un cadre de prises de décisions faites par le groupe. Les négociations s’effectuent directement entre habitants sur les extensions ou cession de parties de logements.

Datant de la loi du 16 juillet 1971 (version en vigueur 8 juin 1978) (art.L 212-1et suivants du Code de la Construction de l’Habitation (CCH), la SCIA est ainsi une forme dérivée de SCI (Société Civile Immobilière). Elle a donc pour vocation de statuer sur « les sociétés ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance peuvent être valablement constituées sous les différentes formes prévues par la loi, même si elles n’ont pas pour but de partager un bénéfice. L’objet de ces sociétés comprend la gestion et l’entretien des immeubles jusqu’à la mise en place d’une organisation différente.42»

Par-delà des avantages financiers, la SCIA a permis de garder la liberté de prises de décisions des habitants sur leur parcelle commune43. L’avantage principal de cette constitution réside dans la grande liberté des membres fondateurs pour la gestion des montages financiers, du règlement du groupe d’habitat ou dans la répartition des parts sociales. Ces parts sont proportionnelles à la surface des logements. Cette forme de constitution induit un devoir de décision du collectif sur le départ ou l’arrivée de nouveaux arrivants. La réussite de la SCIA réside dans la capacité d’entente que les habitants on

42. Legifrance, URL : https ://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.

do?cidTexte=LEGITEXT000006074096&idArticle=LEGIARTI000006824415&dateTexte=&categorieLien=cid

43. ôFIL des voisins, 22 septembre 2017, URL : http ://ofildesvoisins.house/les-statuts-juridiques-danslhabitat-participatif/

II. Des exemples d’habitats variés 45
• L’importance du débat idéologique pour maîtriser le degré de mutualisation du groupe
Le statut juridique et les débats portant sur les stratégies financières à aborder

eu dans les négociations des différentes conditions de la mise en œuvre de leur projet collectif.

Un mode d’habitat qui comporte des difficultés par manque de références mais intéressant financièrement

La concrétisation de ce type de projet n’est jamais un processus rapide et sans encombre. Le manque de visibilité et de retours des habitats participatifs qui ne se constituent pas en copropriété au début des années 2010, rend systématiquement les banques frileuses. À l’Ouvert du Canal, après avoir essuyé de nombreux refus, c’est le Crédit Mutuel qui a pris en charge le projet comme beaucoup d’autres de ce type. Cette organisation a permis une baisse du foncier sur la parcelle. Ce modèle rend l’accession possible des personnes qui n’en auraient pas eu la capacité sur un projet plus standard. En effet, le coût d’un projet immobilier (prix du terrain et de la construction) sur les sites voisins se situent aux alentours de 3500€/m² TTC alors que le projet de l’Ouvert du Canal a coûté 2800€/m² TTC. La réussite du projet a rendu aussi possible la renégociation des taux d’intérêt auprès des banquiers.

Le processus de conception du projet, des moments fondateurs pour le collectif

Des projets aux origines diverses

Diverses méthodes existent pour le début de la constitution d’un groupe. La principale est actuellement de type Bottom-Up, faite d’individus qui se regroupent au fur et à mesure tout en cherchant une parcelle puis un architecte. C’est par cette approche que l’Ouvert du Canal, en 2011, signe la promesse de vente en se constituant en Société Civile Immobilière d’Attribution, et que le groupe composé de personnes de milieux socioprofessionnels différents obtient le permis de construire. C’est à cette période que commence à intervenir l’architecte Marie-Christine Couthenx.

Initialement, le terrain voisin de 4000m² était convoité par Roland Brefel Brefel. Les discussions avaient lieu avec le bailleur social «Les Chalets de Ramonville». Les difficultés financières et l’aspect expérimental de ce mode d’habitat ont porté atteinte au bouclage avec ce maître d’ouvrage sur cette parcelle. C’est sur le terrain voisin que l’acquisition se fait par un heureux hasard. Pierre Moticka vend son verger de 1921 m² au groupe de citoyens. Il décide de passer le prix de vente de 200€/m² à 180€/m² pour le projet d’autopromotion, au lieu de le céder à un promoteur. C’est par son soutien à un idéal de vie que le terrain a ainsi pu être attribué. Il suit de près le processus de construction avec le groupe et l’architecte, dans les phases d’élagage notamment.

II. Des exemples d’habitats variés 46

Les débats, clef de voûte de la constitution d’un groupe d’habitants

Pour l’ensemble des projets de ce type, de nombreuses réunions sont nécessaires pour coordonner les habitants dans la répartition des espaces, savoir quelle pièce sera située à côté d’une autre dans un logement voisin, quel fonctionnement pour l’espace commun. Sur le projet de Ramonville, une centaine de réunions ont été nécessaires pour préciser quels seront les habitants par égrainage, et par la suite, débattre du statut à adopter. Un groupe de médiateurs en communication non violente a été engagé durant les négociations. La forme des habitats pensée par l’architecte, adopte une façade qui emploie le même style face au jardin commun, signe d’une unité de groupe. En revanche, tous les espaces intérieurs des logements sont dessinés selon les envies des habitants.

Les sujets qui perdurent entre habitants

Les sujets de l’Ouvert du Canal, concernent des projets d’extensions qui pourraient gêner le voisin. La démarche participative ne se limite pas dans la conception des maisons mais aussi dans l’implication des résidents dans les travaux de leur maison qui s’effectuent progressivement, ou s’ajoutent. La proximité et le vis-à-vis des séjours par leur disposition en triangle génère des problématiques de voisinage lors de projets d’agrandissement.

Par exemple, la mise en place d’une véranda dans l’excroissance triangulaire a nécessité de longues négociations entre les habitants concernés, une partie désirant plus de luminosité, l’autre craignant un fort vis-à-vis. Un autre cas concerne un projet de création de terrasse d’un simplex au-dessus d’une terrasse existante, questionnant ainsi le besoin d’un espace extérieur pour l’un, qui diminue l’apport solaire extérieur pour les autres.

Un autre débat était celui du passage de la SCIA en copropriété au non. Les sujets principaux se développaient entre les résidents durant les négociations avec les banques pour obtenir des avantages. La limite entre un idéal de vie en collectivité, plus poussé au niveau du statut juridique, s’oppose à des avantages plus économiques et d’indépendance qu’auraient les propriétaires. Ces débats ont mené à une clarification de la charte du collectif dans la gestion de L’Ouvert du Canal tout en prolongeant la SCIA de dix ans. Ce maintien de statut permet selon Roland Brefel de préserver l’esprit initial du projet.

D’autres débats de statuts, de gestion en collectivité, relèvent le fort degré d’idéologie du mode de vie de l’habitat participatif dans sa propre gestion. Une habitante témoigne : « Pour moi, ce n’est pas un habitat, c’est une manière de vivre. »

II. Des exemples d’habitats variés 47

La vie en collectivité au quotidien

Les espaces partagés, et leurs activités

Les ateliers, la salle commune, et la cour de l’Ouvert du Canal sont les espaces centraux de la vie collective et associative de l’habitat. Ce lieu de rencontre pour les habitants permet, entre-autres, l’organisation d’événements. La salle commune suit un planning qui permet d’organiser l’accueil de différentes associations locales tout au long de la semaine, tout en s’adaptant aux besoins des habitants. On retrouve des activités yoga, un café du «tiapas», la venue d’un boulanger et des ventes d’AMAP tous les mercredis de 18h30 à 20h.

Les fonctionnements des habitants au sein des espaces collectifs

Sur l’étude de Ramonville, si l’ensemble peut sembler replié sur lui-même par son implantation, on constate une ouverture vers la vie associative locale par le prêt de l’espace commun auprès de diverses associations. Certains habitants sont impliqués dans les circuit-courts d’alimentation et disposent d’une parcelle de potager dans le terrain voisin. Globalement le positionnement des citoyens de l’Ouvert du Canal vis-à-vis du reste de la société comporte un certain nombre de nouveautés dans son approche associative engagée en partageant sa salle commune. La notion de débat influe même la vie des plus jeunes qui, dans leur quotidien, se trouvent systématiquement en interaction avec les enfants des voisins. La question de la frontière de l’intimité familiale se pose quand par exemple les enfants les plus jeunes viennent spontanément manger avec les voisins. Cela est lié à la mise en partage des terrasses de chaque habitat.

Fig. 8 : Allée d’entrée sur l’habitat, Aubin Souday, mai 2019
II. Des exemples
variés 48
Fig. 9 : Placette et en arrière plan, l’entrée du jardin Aubin Souday, mai 2019
d’habitats
Fig. 10 : Placette et atelier en arrière-plan, Aubin Souday, mai 2019
II. Des exemples d’habitats variés 49
Fig. 11 : Placette commune, Source : Zeste.coop

Rue

Accès depuis la rue

Espace collectif

Espace privatif

eSpaceS collectifS epaceS privatifS

Fig. 12 : Schéma de fonctionnement global de l’Ouvert du Canal
II. Des exemples d’habitats variés 50
Fig . 13 : Plan de rez-de-chaussée, Source : mccouthenx.fr

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