01/l'image reste !

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l’image reste !


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mémoire de licence d’architecture semestre 6 (2013 2014) dirigé par Hervé Dubois écrit par Matthieu Samadet école nationale supérieure d’architecture de marseille


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l’image reste ! (livret texte) de l’attitude à l’image (2012-13) suivi de les images mnémoniques (2013-14)


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sommaire

avant propos----------->7 introduction générale---------->11 de l’attitude à l’image---------->15 les images mnémoniques---------->67 épilogue--------->183 bibliographie--------->188


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avant-propos - l’étoile mystérieuse -

Les images restent. Je pense en image, je ne pense pas en mot. J’ai besoin de voir la chose dont on me parle, d’en voir une représentation ou alors d’en faire une moi-même. J’ai tendance à penser que les images ont cette force incroyable, qu’elles restent à l’endroit même où on les a placées. Elles rassurent ou effraient quand elles se chargent du passé, dans ce cas-là on les appelle souvenirs. Parfois, les souvenirs surgissent sous forme de rêves, les images se superposent, elles deviennent floues et difficiles à reconnaitre. Même mêlées, elles ne disparaissent que très rarement. C’est par l’expérience physique que l’image se fixe, par le regard intense, par la curiosité et l’intérêt que l’on porte à une personne, un objet, une matière ou un détail que l’on ne veut pas oublier. On va alors fixer un visage, pour qu’il s’imprime


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dans notre tête. Mais pourquoi certaines images s’en vont-elles, pourquoi est-ce les plus belles images qui s’estompent ? Je me rappelle avoir été passionné par les étoiles enfant, je voulais, comme sans doute des millions d’autres enfants, aller dans l’espace. Je voyais que des hommes y étaient allés, que la lune était cartographiée, ce n’était pas juste un croissant, ce n’était pas non plus du fromage comme certains s’amusaient à dire. Non, je savais que la lune était faite de poussière, et c’est de làbas que je voulais observer ma maison, comme je l’avais vu dans les bulles d’Hergé. Les étoile représentaient pour moi le véritable mystère. Je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas les regarder, je n’arrivais pas à saisir leur lueur avec mes yeux. Il fallait forcément que je regarde juste à côté. Dans ce cas et uniquement dans ce cas, je pouvais apercevoir leurs contours. J’ai alors compris que je ne pouvais pas les regarder « dans les yeux ». Il me restait plus qu’à faire comme tout le monde, comme Hergé justement : imaginer les étoiles. Cette chose impalpable, qui disparait quand on la fixe demeure une des réalités de l’étoile, celle qui répond à la question : comment est-elle « en vrai » ? Bien évidemment plus tard en grandissant j’ai découvert que ce mystère n’en était pas vraiment un et que de grands hommes avaient inventé il y a de nombreux siècles la


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lunette astronomique, malgré cela le véritable œil, lui, reste faible, nu. L’œil ne voit pas, il permet de distinguer les silhouettes, il stimule l’imagination et la créativité, mais il ne voit pas, il n’y a rien à faire. Et cette image de l’étoile qu’il est si facile de mettre sur le papier est une image mentale de l’étoile, c’est ce qu’il en reste. Mes yeux me trompent, mes mains ont tremblé, mais malgré cela les images restent.


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Vous trouverez mon mémoire se présentant comme deux livrets distincts, d’un côté le texte, de l’autre les images. Pour que l’un et l’autre puissent dialoguer et que les images aient la même importance que le texte. Les images seront notées en notes de bas de page de la façon suivante : img. x, suivi du nom de l’œuvre et de la référence de l’image.


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introduction générale

Vous allez lire ici un mémoire divisé en deux. Un travail que j’ai effectué en deux ans entre 2012 et 2014. J’ai longtemps hésité à montrer la première partie de ce mémoire écrite en 2012-2013 que j’ai appelé « de l’attitude à l’image », travail que je n’avais pas pu présenter à la fin de l’année 2013. Aujourd’hui, pourtant, elle est là et constitue une base critique essentielle pour la partie écrite cette année 2013-2014. Je vais reprendre alors ce que j’ai écrit quelques lignes plus haut sans pour autant me contredire. Il reste certainement un mémoire divisé en deux, mais par sa structure uniquement. Le fond se présente comme une continuité, un approfondissement et les thèmes centraux sont restés les mêmes. Cependant j’ai eu la chance de pouvoir bénéficier d’un temps supplémentaire pour corriger, revoir, critiquer, définir à nouveau ce que j’avais dit lors de mon premier travail


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dans un nouveau document, ce temps je l’ai aussi personnellement éprouvé. En effet je me suis éloigné de l’architecture dans le but d’écrire la seconde partie de ce mémoire avec plus de recul. J’ai effectué pour cela un an de licence cinématographique mention image. C’était l’occasion pour moi d’expérimenter personnellement ce phénomène d’images persistantes, de voir ce qui allait ainsi que ce qui n’allait pas dans la première partie, pour ne plus refaire les mêmes erreurs. Et comme il est question d’image dans la totalité de ce mémoire, je peux dire avec un certain amusement que le texte constituant la première partie avait plus pour but de fixer une image mentale tandis que celui de la seconde partie tente de fixer durablement cette image et de bien l’analyser. Globalement j’ai voulu éviter les rapports trop simplistes entre architecture et image, et si parfois ils le sont c’est parce que je me suis laissé aller à écrire avec plus de plaisir que de structure. J’espère juste que ce plaisir sera, lors de la lecture, un plaisir communicatif. Ainsi j’ai voulu parler d’architecture et j’ai voulu parler d’images. Puis de l’architecture comme support d’image et enfin de l’architecture comme sujet de l’image. Je pense d’ailleurs que c’est cette dernière idée qu’il faut retenir comme étant le centre de ma réflexion. Lors


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de la première partie l’architecture s’efface au profit de l’image et de l’architecte. Tandis que dans la seconde c’est bien d’images d’architecture dont il est question et non d’images et d’architecture. Dans cette même seconde partie, ne soyez pas trop étonné de lire quelques aller-retour avec la première partie, pour moi c’était un simple exercice critique, ça a finalement été, avec le recul, un voyage dans le temps et une introspection enivrante.


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de l’attitude à l’image (2012-13)


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Je trouve ce monde rempli d’images fascinantes. Le monde des images : il n’est pas unique, il est multiple. On parle alors d’Images. Aujourd’hui, nous sommes littéralement bombardés d’images, elles deviennent un besoin pour l’homme occidental qui n’apprend plus sans elles, qui ne mange plus sans elles, qui ne réfléchit plus sans elles. Par ailleurs, le monde est entouré de concepts, de penseurs et de mots. L’image est parmi eux la petite sœur bruyante. Le film, la photo de journalisme, la publicité, tous revendiquent, sous fond de progrès, des images surexcitées d’un monde en mal d’excitation. Ce mémoire s’interroge sur le statut et le rôle de l’image en architecture. Et si l’image était plus qu’un outil de création, mais la création elle-même ? Le seul geste de création qui persiste. Le geste de l’architecte est sans cesse relié à l’image qu’il crée. Il n’a aucun moyen de s’en détacher. La différence se fait dans l’évolution de cette image à travers le temps et l’espace. Je vais essayer ici d’établir un traçage de l’image à travers la pensée en architecture. Cette pensée est évolutive tout en gardant un grand équilibre. La définition de


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l’architecture pourrait être celle que Lavoisier1 a donnée pour la chimie. Dans toutes ses transformations, elle dépend d’un créateur et faiseur d’images. En architecture même les choses perdues persistent par l’image. En comparant une fois de plus l’architecture à un art majeur2, nous pouvons dire qu’elle s’éloigne de la musique qui peut être mise en œuvre de manière directe. La main du pianiste de jazz bouge suivant les flux rythmiques, rien n’est écrit pendant l’improvisation, mais le pianiste visualise tout. La sculpture, la poésie et la peinture quant à eux ont une géométrie posée sur un brouillon mental. C’est du cinéma, comme art de l’assemblage d’images, que l’architecture se rapproche le plus par son processus de pensée et de création. Le cinéma expérimente et possède une large période préalable de projet, de visualisations et de tests. L’architecture est régie par les mêmes lois. À la manière du cinéma l’architecture est soumise au temps. Et c’est ici que les différences se notent. Le temps va abîmer le cinéma, dans la destruction des bandes magnétiques, dans la fin des modes, dans l’oubli total de certaines œuvres. 1. LAVOISIER Antoine, «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», Traité élémentaire de chimie, 1789

2. LESCOURET Marie-Anne, Introduction à l’esthétique, 1994, p171.


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Le temps abîme l’image du cinéma, parce que l’image du cinéma est le cinéma. Tandis que l’image d’une œuvre architecturale est dissociée de l’œuvre architecturale. Elle est sa représentation et la représentation ne vieillit pas, car elle n’a pas de fin, dépassant le simple support physique. Nous n’avons pas oublié les sept merveilles du monde, nous n’oublierons pas les futures merveilles. Mais tracer l’origine de la représentation en architecture permet d’installer un point médian. On sait que les Grecs connaissaient la perspective grâce au théorème des milieux de Thalès3. C’est donc par les mathématiques et par l’imitation du monde que dans l’Antiquité quelques idées furent développées. Et aujourd’hui, mêlées aux idées, il reste les images de l’architecture. Cette réflexion est divisée en trois grandes parties toutes relatives au temps, au regard et à l’utilisation des images en architecture. L’origine correspond au point de départ, l’invention de la perspective architecturale par Brunelleschi et à sa perversion dans le mouvement. Mais elle correspond aussi à la branche médiane des architectes qui utilisent

3. Soit un triangle ABC, et nommons D et E les milieux respectifs de [AB] et [AC]. Alors les droites (DE) et (BC) sont parallèles et on a : 2DE = BC.


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aussi bien le plan que la perspective dans l’objectif de construire. L’immortalité correspond à la quête qu’on eût certains architectes pour rendre leur image ou celle de leur bâtiment immortelle, comme celle d’une histoire. Une histoire par le plan. La perspective correspond au point tangent c’est-à-dire à l’architecte qui est à la limite de la fiction, qui ne pense pas — ou peu — en plan, qui s’autorise à manipuler directement des images et qui iront peut être corrompre ses projets, un architecte issu du dessin et empreint de cinéma.


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origines


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la folie de Brunelleschi « Da lui è nata la regola »1. Quel noyau, quel moment ? Florence, autour de 14152, est dans une conjoncture parfaite, propice à une réinvention : c’est l’instant même de la renaissance des arts. Et cette renaissance s’opère par la main d’un constructeur, Brunelleschi3, qui déchire le rideau obscur du Moyen-âge. De là naît l’image rationnelle qui se déleste de l’icône religieuse, l’image idéale du bâtisseur et faiseur de villes. En parlant d’origine, l’historien Hubert Damish n’oublie pas le théorème de Thalès, il explique comment Brunelleschi 1 DAMISH Hubert, L’origine de la perspective, 1987, p 98, à propos de Brunelleschi. 2 URBAIN Pascal, De la désillusion, 2001, p43, « En 1415, sous le portail de Sainte Marie de la Fleur, Brunelleschi avait fixé une tavoletta. » (img.1)

3 Filippo Brunelleschi (1377-1446) - (img.2 : Chiesa san Lorenzo, Firenze)


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le transforme en outil de réalisation concret et utile : la perspective. À travers laquelle Brunelleschi démontre la révolution par l’image. Le rideau obscur est tiré par l’image, et par l’image seule. Et la rationalité s’exprime à cet instant-là par le spectacle de la tavoletta. Prouver ainsi, par l’illusion, une règle viable et applicable à l’art. Tout est de l’autre côté du miroir, comme Alice. Cette situation deviendra un moment historique. Le réveil des artistes désirant s’inscrire dans une histoire commune ayant comme base la géométrie centrée sur la science des bâtisseurs. Mais Brunelleschi démontre qu’il va plus en avant que ses contemporains, il utilise la perspective, il n’est pas son esclave. Il s’en sert d’outil de rêve et surtout d’outil de conception. Son but étant l’édification de la cité idéale, perspective et porte entrouverte au point de fuite4. Ce qu’il reste de ses travaux aujourd’hui prouve qu’il pensait aussi en plan tout en étant cet inventeur que nous avons évoqué. Il possède ainsi cette double capacité, celle d’un concepteur total. Tout se fait en même temps, le plan, la coupe, la perspective, l’ingénierie, le concept, tout étant au service de l’image postérieure.

4 img.3 : Panneau d’Urbino attribué à Francesco Laurana, vers 1470


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Ce qu’il va rester plus tard, c’est la persistance de l’image. De plus, lorsque l’image reste, le cheminement qui y a mené reste aussi. Cependant seul l’architecte peut décider de cela, rendant clair son cheminement à la manière de Brunelleschi démontrant la perspective et créant de magnifiques compositions en plan qu’on lui connait. Brunelleschi est un homme de son temps tout en possédant un regard avant-gardiste. Régis Debray parle dans La vie et la mort des Images des « trois âges du regard ». Le regard change avec l’invention de la perspective, sa visée change avec lui. La maîtrise de l’image devient influente et académique oubliant ainsi sa part religieuse inspirant la crainte. Lacan parle de « drame »5 au sujet de cette invention. Ce qui est dramatique c’est le caractère terrible et irréversible de la redécouverte de la perspective. Tout est là. Pour les sciences et les techniques, un nouveau chemin est tracé. L’immobilité est interdite. Il y a là ce que Milan Kundera appelle un geste6. Dans l’attitude théâtrale des

5 ZIZEK Slavoj, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Lacan sans jamais oser le demander à Hitchcock, 2010, p67.

6 KUNDERA Milan, L’immortalité, 1990, p18.


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architectes, il faut réussir à capter l’image et le geste au service de cette image.

le cinéma et les images, la trahison du mouvement L’architecture — à travers l’image de fiction du cinéma — ne se réalise pas dans sa totalité. Il lui faut l’iceberg7 de la conception. L’architecture de Brunelleschi n’est pas seulement visuelle, elle est aussi racontée. En revanche l’architecture décor est en partie opposée. Par exemple celle de Stanley Kubrick, dans ses films, est à la fois visuelle et irrationnelle. L’architecture dans son immobilité pesante est comme une condamnation. C’est un cinéma maudit d’une réalité palpable qui reste et s’éternise jusqu’à la destruction de l’histoire. C’est par cet angle que la représentation de l’architecture en perspective n’est que pur mensonge, une trahison au service d’une politique. Les images du cinéma racontent une histoire que l’on sait montée de

7 Une face visible et une face cachée.


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toute pièce. Les images de l’architecture racontent, elles, une histoire potentielle. On ne sait rien de ce qui va se passer et concrètement c’est une idée qui ne passionne principalement que les architectes. Les représentations perspectives ne sont vraies qu’accompagnées d’imagesvérités, comme des images prospectives — plans, coupes, élévations, axonométries. L’architecture se doit de ne pas tromper celui qui observe son image. C’est ainsi que certains se sont perdus à vouloir retracer le plan du manoir de Shining8 de Stanley Kubrick, voyant après plusieurs essais que ce n’était en rien un décor plausible. Le décor n’est pas une vérité en architecture9. Le cinéma est une folle illusion après laquelle courent les architectes romantiques10. Il n’est pas le socle solide de l’architecture, dans son traitement des images c’est un art incertain sur lequel les constructeurs, dans leur manière d’envisager des scénarios, ne peuvent pas s’appuyer. 8 Film d’horreur réalisé en 1980 par Stanley Kubrick avec notamment Jack Nicholson. (img.4)

9 Maquette du décor de Rear Window (trad. Fenêtre sur cour) d’Alfred Hitchcock, 1954, avec James Stewart et Grace Kelly. img.5 10 À prendre au sens que lui donne les historiens de l’art.


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Si dans le cinéma, l’image constitue l’objet, dans l’architecture elle en est le moyen nécessaire et séducteur pour concrétiser un projet. Il y a un point à marquer comme le point médian, le 0. C’est le temps de la livraison d’un édifice. Après ce temps court et résultant de l’histoire, il y a la vie et l’accomplissement de l’image de l’édifice en tant que vérité tangible. Avant la livraison il y a l’image en mouvement, apparenté ici au cinéma, le projet et le flou perspectif. L’architecte rationaliste, comme Brunelleschi, va utiliser les images perspectives comme résultantes d’une réflexion plane et applicable. L’image perspective est une image qui parle, qui inspire et qui traduit à la fois une impression et une volonté. L’image prospective, détaillée, cotée et ainsi mesurable sera utilisée pour réaliser un élément du réel.


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deux grandes attitudes d’architecte À travers cette histoire de la perspective et ce lien non formel avec le cinéma, on retrouve les deux branches d’un arbre généalogique complexe ou l’image joue avec les lois du réel. Dans cette idée tout se résume. L’image serait un geste11. On parlera donc de la gestuelle des architectes. Certains revendiquent la perspective comme un outil de conception12 et l’utilisent pour traduire leur vision d’un projet à des personnes extérieures. D’autres l’utilisent en vue de convaincre et de séduire, de flatter leur propre ego et ainsi d’interpréter et d’imposer eux-mêmes l’image de leur création ; contrôlant de ce fait ce que l’on pensera de leur architecture plutôt que ce que l’on sentira par nous-mêmes. Il y a les architectes planificateurs et les architectes romantiques. Le mélange des deux est un architecte rationaliste. L’architecte que nous plaçons comme le modèle académique dans l’apprentissage du regard est Brunelleschi. C’est le point médian qui 11 KUNDERA Milan, op.cit, 1990, p29 12 SIZA Alvaro, Imaginer l’évidence, 2006, p56


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permet de prendre la température des autres. Il s’élève en toute subtilité au-dessus des formes, des espaces et des ordres et invente au moment le plus impossible les lois de la perspective.

ce que le voyeur croit voir c’est ce qu’il veut voir Le curieux en architecture est un voyeur. Il pousse à bout les matières assemblées et il dépasse la vision du concepteur. Il se moque des gestes. Il ne prend que ce qu’il veut prendre. Ainsi le voyeur dira, non sans une certaine finesse : « Le Corbusier, Docteur Purisme. Il montra à tous comment devenir un architecte célèbre sans construire de bâtiments. Il construisit une Ville radieuse dans son crâne. »13. Il court il court le Bauhaus. Il y a dans ce livre une dureté de l’attaque, une image à ne pas montrer. Et s’il y avait des impostures ? Et si notre crédulité avait des limites ?

13 WOLFE Tom, Il court, il court le Bauhaus, 1981, p33


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Si on glissait, un œil vide d’émotion, à travers la Cité Radieuse pour y voir seulement ce que l’on veut y voir, l’image d’un rêve qui a mal fini : une image de cinéma. Dans un film il n’y a que des acteurs bons ou mauvais, dans la Cité Radieuse il n’y a que des architectes bons ou mauvais.

ce que le voyeur croit voir c’est ce que Siza veut lui cacher Dans l’apprentissage que l’on nous donne de l’architecture on nous parle peu ou pas de l’illusion de l’architecte. De l’illusion des plans14. Ce n’est pas un métier de cinéma. Cependant les artifices de son enseignement nous poussent à photographier les erreurs et le détail, nous poussent à enquêter, à voir ce qui s’est passé, à imaginer ce qu’il va se passer. L’architecte ment, et souvent il assume ses mensonges en toute dignité comme des arguments. Le mensonge devient un camouflage et le camouflage devient un

14 LE CORBUSIER, Vers une architecture, 1923, p141


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savoir-faire architectural. Alvaro Siza est passé maître dans l’art du camouflage. Il dessine ses plans pour laisser croire ceci, laisser penser cela. Ainsi, pour ne pas se perdre dans les interprétations, il se fait complice des voyeurs et organise lui même le voyeurisme dont seront sujet ses constructions. Les murs que bâtit Siza laissent imaginer une pesanteur certaine, ils sont recouverts d’épaisseur. Alors qu’en réalité, ils sont d’une légèreté folle, souvent creux, souvent de structure métallique comme à l’intérieur de son pavillon du Portugal de l’exposition ’98 de Lisbonne. Il pousse les sceptiques à aller vérifier son point médian15, l’utilisation du plan dans la conception et la tromperie des images. Siza, avec son savoir-faire, maudit le cinéma et revendique une architecture saine qui ne se laissera pas berner. Malgré l’épaisseur des murs quand on visite ce bâtiment c’est avant tout la légèreté qui en ressort, et cette opposition devient la tromperie du voyeur.

15 Son aptitude à penser à la fois en plan et en perspective, aptitude à utiliser les images pour ce qu’elles sont.


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ce que le voyeur croit voir c’est ce que Hitchcock veut bien lui montrer Le voyeur de cinéma entre dans le mensonge à pieds joints et se laisse porter. Fenêtre sur cour16 en est un bon exemple. Hitchcock met le cinéma en abyme, le spectateur-voyeur, regarde James Stewart voyeurspectateur. L’architecture est le personnage essentiel de ce film. Ce que l’on comprend d’elle, son image, sa représentation mentale, est la base sur laquelle le film s’appuie. Si le spectateur-voyeur arrive à imaginer la construction du décor, il peut appréhender et réfléchir sur les évènements du film et ainsi effectuer une sorte de reconstruction active. C’est un voyeur actif. Regarder Fenêtre sur cour pourrait être comparé à visiter un bâtiment de Siza17 avec un plan d’exécution et des croquis. Dans le film, l’élément prospectif est le film lui-même. Ainsi l’image qui en résulte est déduite du sentiment du spectateur. Fenêtre sur cour est une 16 Rear Window (trad. Fenêtre sur cour) - (img.6 : sur le tournage de Rear Window).

17 Pavillon de l’expo 98 à Lisbonne (img.7)


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image totale, de son titre au générique en passant par son interprétation. L’architecture y est utilisée pour ce qu’elle représente en soi. C’est à dire bien plus qu’un simple décor en carton-pâte, c’est un facteur de réalité.


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immortalitĂŠ


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fixer les voyelles et les idées « Face à l’immortalité, les gens ne sont pas égaux. Il faut distinguer la petite immortalité, souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui l’ont connu, et la grande immortalité, souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui ne l’ont pas connu. Il y a des carrières qui, d’emblée, confrontent un homme à la grande immortalité, incertaine il est vrai, voire improbable, mais incontestablement possible : ce sont les carrières d’artiste et d’homme d’État »1. L’architecte court parfois après cette immortalité. Par ailleurs dans le mot « artiste » qu’utilise Kundera on pourra mettre certains architectes. L’immortalité est une notion plane. Elle est accompagnée par l’ambition parfois non désirée. C’est d’ailleurs en parlant du plan que Le Corbusier est devenu immortel. 1. KUNDERA Milan, op.cit., p80.


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« Dans un grand établissement public, l’École des BeauxArts, on a étudié les principes du bon plan, puis au cours des ans, on a fixé des dogmes des recettes des trucs. Un enseignement de début utile est devenu une pratique périlleuse. (...) Le plan, faisceau d’idées et d’intention intégrée dans ce faisceau d’idées, est devenu un feuillet de papier où les points noirs qui sont les murs, et des traits qui sont des axes, jouent à la mosaïque, au panneau décoratif, font des graphiques aux étoiles étincelantes, provoquent l’illusion d’optique »2. Ces deux extraits sont générateurs de questions. Kundera ne cite pas l’architecte dans sa liste. L’a-t-il oublié ? Si Le Corbusier lisait le texte sur l’immortalité de Kundera il reconnaîtrait sans doute sa propre quête, mais aucunement la liste des « élus ». En effet l’architecte n’est pas un élu typique. Il gagne son immortalité par les images du sérieux. Des images incontestables et salvatrices — pseudo salvatrices3. Des images ou des poèmes. De la lumière, de la matière, du dessin ou du rêve. 2. LE CORBUSIER, Vers une architecture, 1923, p145, (img.8) 3. Des images qui se réalisent.


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Ce qui a rendu Le Corbusier immortel c’est sans doute sa soif d’irréalité. Il veut raser le centre de Paris, créant des tours de 40.000 voisins4. Qu’est ce que cela représente si ce n’est une image de science-fiction ? À sa manière Le Corbusier crée des images de cinéma, un cinéma de l’immortalité, car réel. Ainsi il fixe, comme Vitruve, Alberti et les autres avant lui des voyelles et une théorie. Rimbaud de retour réédite ses couleurs folles5, Le Corbusier et sa ville radieuse dans la tête. Car Le Corbusier parle avant tout en poète. « Nous avons raison de nous attaquer au poète, car au regard de la vérité, il fait des ouvrages aussi vils que le peintre. »6. Le rêve de Corbu va être contagieux. Il va se décliner, changer les images. Les architectes vont s’inspirer ouvertement, non plus de l’histoire et de sa réinterprétation concrète, mais de la traduction bâtie des abstractions de la peinture européenne du début du XXe siècle. Pour assoir son image, il fixe les voyelles sans 4. LE CORBUSIER, Urbanisme, 1924. p171 5. RIMBAUD Arthur, Voyelles, (img.9) 6. DEBRAY Régis, Vie et mort de l’image, 1994, p 231


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pour autant en écrire l’alphabet complet7. Le Corbusier construit peu, mais son influence est grandissante, une architecture blanche, une architecture de papier. Et c’est cette architecture semi-alphabétisée qui lui offre peu à peu l’immortalité, de son vivant. Frank Lloyd Wright le romantique est jaloux. Il déclare à ses compagnons « Eh bien, maintenant qu’il a fini un bâtiment, il va écrire quatre livres pour en parler. »8 Et c’est ce qu’il fera. Et dans ses livres, il va dessiner autant qu’il va écrire, sinon plus. Il dessine et il montre : il montre des avions, des plans de villes nouvelles, des ébauches de projet, des photos d’architecture agricole. Il stimule l’imagination de son lecteur, le rendant actif. Le Corbusier est un provocateur. Aidé par la pensée allemande du Bauhaus et après quelques années, le monde se retrouve empaqueté dans l’immortalité certaine de Le Corbusier. Lui-même est devenu une image. Un caméo9. Un 7. Il ne fait pas toujours ce qu’il écrit. 8. WOLFE Tom, op.cit, p51 (img.10) 9. Apparition du réalisateur dans le film qu’il a créé, comme A..H.itchcock (img.11)


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trompe-l’œil. Que sait-on de lui ? De sa jeunesse ? Pas grand-chose autant le dire. On ne sait rien au sens collectif du terme. La jeunesse de Le Corbusier n’existe pas dans nos esprits, elle n’existe pas en dehors des biographies spécialisées, Charles-Édouard Jeanneret n’existe pas non plus. L’immortel c’est le personnage fictif et extrême, la figure devenue lambda de l’architecte moderne, Le Corbusier en minuscule. De sa jeunesse on s’en moque ! Il a fixé les voyelles du lexique de l’architecte, il en a fixé une partie de la panoplie de son temps. « Faire un plan, c’est préciser, fixer les idées. C’est avoir eu des idées. C’est ordonner ces idées pour qu’elles deviennent intelligibles, exécutables et transmissibles. »10

10. LE CORBUSIER, Vers une architecture, 1923, p145


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L.Vacchini architecte de la mort Livio Vacchini11 a pris l’immortalité au sens le plus pur du terme. Trivialement l’immortalité est la faculté de ne pas mourir. À l’inverse de Le Corbusier qui a laissé une immortalité « Kunderrienne » derrière lui — il n’est pas mort dans les esprits —, Vacchini a multiplié les expériences physiques de l’immortalité, en construisant pour la mort. Vacchini est devenu immortel pour les architectes en se jouant de l’image de la mort. S’inspirant d’un savoir-faire suisse, il a milité avec Luigi Snozzi pour une meilleure finition des édifices tessinois. Caractérisé par sa minutie, par un rapport à la lumière tranchante, il s’élève au-dessus du lot des architectes du Tessin. Sans doute qu’il devait s’intéresser à autre chose. Il a écrit des textes sur des bâtiments qui l’inspire, ils les appellent alors chefs-d’œuvre, capolavori, il les met en lien dans le recueil du même nom. Ces Chefs d’œuvres ont tous sans exception un rapport direct à la vie et à la mort, donc à la question intrinsèque de l’immortalité.

11. né à Locarno, 27 février 1933 - mort à Bâle, 2 avril 2007 (img.13)


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Il s’y intéresse avec amusement, fascination et infini respect. Dans ses travaux cet intérêt se ressent. Il dessine le plan comme premier vecteur de pureté formelle, ses œuvres sont imbibées de cette théorie manichéenne. Il va plus loin que Le Corbusier dans sa quête de l’immortalité s’intéressant à l’essence même de cette notion, à sa forme et aux sensations qu’elle procure, à travers elle, à l’architecture. « Tout à coup apparaît la Pyramide de la Lune, celle du Soleil se soustrait à la vue ; c’est une danse, les monuments dansent, tout bouge contre le ciel. Une fois arrivé au fond, je monte sur la pyramide. J’ai le vertige. L’architecture est une chose inutile, pourrait-elle n’être que vertige ? »12. Cet architecte ne se disait pas savant, mais chercheur et admirateur à travers ses textes. Il gère une immortalité solennelle, comme un grand politicien entrant au Panthéon regardant avec respect les grands noms de la politique13. 12. VACCHINI Livio, Capolavori, 2006, p 33. (img.14) 13. KUNDERA Milan, Op.cit, 1990,


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Il va tenter à plusieurs reprises de fixer cette notion non pas sur le papier, mais dans le concret, par la forme. Essayer de comprendre la pensée des maîtres de l’immortalité tels que les Aztèques de Teotihuacan. Il retourne alors sur les lois de l’Histoire, sur le divin, sur la composition, sur le plan, sur les tracés régulateurs. L’architecture que dessine Vacchini n’est-elle pas un geste au service de l’image de la mort ? C’est le deuxième âge du regard, un regard nostalgique — le terme nostalgique est employé ici dans un sens positif, homérique — il y a dans la nostalgie de Livio Vacchini une beauté suspendue, de la désillusion du temps mal employé. Le gymnase de Losone est un monument d’immobilité, ancré comme rarement dans la terre suisse. Ornementé de rien, la lumière découpant les volontés du plan. Le basketteur14 ne peut que se poser des questions sur les motivations du concepteur. « On ne cultivera pas en effet la même attente envers une interprétation (ère 1), une illusion (ère 2) et une expérimentation (ère 3) (...) la première vise à refléter l’éternité, la seconde à gagner l’immortalité, la troisième à

14. Le gymnsase de Losone est principalement dédié au Basket.


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faire événement. »15. L’immortalité dans laquelle s’inscrit Livio Vacchini est sans doute la deuxième16, mais dans un geste homérique, nostalgique d’Ithaque, démonstratif et intensément imagé. Dans la recherche qu’il a eue, il est revenu à ce que nous savons de la mort. On sait que l’on meurt. Cette simplicité glaçante est une des certitudes sur laquelle se structure l’humanité. Vacchini sait qu’il mourra, il connaît les archétypes, il connait les trilithes du Stonehenge.

l’image arrêtée de stonehenge « Du point de vue de l’architecture, mais pas de celui de l’histoire, on peut regarder Stonehenge comme une œuvre actuelle qui nous parle autant qu’un projet contemporain.

15. DEBRAY Régis, Vie et mort de l’image, 1994, p291 16. L’immortalité de l’objet construit et non du corps. Une immortalité non personifiée.


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What will be has always been, ce qui sera a toujours été, disait Louis Kahn affirmant ne s’intéresser, dans l’histoire de l’architecture qu’au chapitre zéro, celui qui n’a pas encore été écrit »17. Stonehenge est un symbole. Symbole de temps révolus, inconnus ou peu connus en dehors des cercles fermés d’archéologues. Aujourd’hui c’est surtout une image, un fond d’écran, un lieu touristique, une curiosité, du cinéma et même du mauvais cinéma. Mais c’est aussi le symbole de la simplicité de l’architecture, de la nécessité de l’image et de ce qu’elle représente. Stonehenge inspire, mais laisse indifférent, il ne nous fait plus peur. Nous pouvons alors parler de son architecture. « Le public, quand il vaque à ses occupations, est souvent indifférent à l’architecture. Son indifférence est une conquête libératrice. L’architecte, quand il conçoit un projet, est souvent indifférent à l’existence de l’ouvrage. Son indifférence est nécessaire à la conception. Les indifférences conjointes du public et de l’architecte fondent leurs rapports contractuels. »18 17. VACCHINI Livio, op.cit., 2006, p8, (img.15-16) 18. URBAIN Pascal, Op.cit, 2001, p 20


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Sa simplicité est vertigineuse dans l’élaboration théorique, un trilithe composé de deux colonnes et d’un linteau. L’élément premier qui fait architecture dans un geste que l’on retient. Un geste qui, ici appliqué à Stonehenge, dans sa monumentalité et dans sa primauté, rend immortel un lieu. Tout est dans la gestion, très calculée, de la lumière naturelle, dans l’expressivité monolithique de chaque bloc et dans la vérité mathématique. C’est une image pure qui ne ment pas, qu’on ne peut pas dénaturer.

Psycho et Philip johnson

Quel est le lien ? Le lien c’est l’image. L’image de celui qui se déguise. Cette comparaison permettra d’aborder un des aspects les plus subtils de l’immortalité des architectes. L’immortalité par la force et la transgression de son image. L’immortalité par stratégie et apostat.


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Architecte américain de l’époque moderne, Philip Johnson19 a appris à suivre les pas « non-bourgeois »20 des architectes européens issus du Bauhaus, Gropius et les autres princes21. Il a appris à faire comme beaucoup d’autres22, c’est-à-dire de parfaites boites de verres. Mais Philip Johnson a bien senti qu’il n’aurait jamais la reconnaissance du temps en continuant comme cela. Il a compris qu’il devait travailler son image et s’inspirer de celle d’un architecte immortel et neutre, Le Corbusier, évidemment, qui a laissé lunettes et costumes vacants. En juin 1978 Philip Johnson décide de poignarder tous les sérails américains23, de poignarder les toits plats et de prendre les traits de Le Corbusier, tout comme 19. né en 1906 à Cleveland, mort en 2005 à New Canaan 20. WOLFE Tom, Op.cit, 1981, p 21, «Ciel que c’est bourgeois !» 21. ibidem, p 15 22. nota : issus de la pensée du Bauhaus, la théorie less is more de Mies van der Rohe.

23. WOLFE Tom, op.cit., p 24, «Un manifeste, ce n’était rien de moins que les

dix commandements d’un sérail : Nous avons gravi la montagne et nous avons rapporté le Verbe et nous déclarons maintenant que...»


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Norman Bates poignarde Janet Leigh en prenant le soin de se vêtir des habits de sa mère morte24. « Philip Johnson ! Il s’était enfin relevé. Après quarante années passées à genoux ! Il était une leçon que Johnson avait bien apprise. Il avait fini par comprendre que dans une ère de compétition ésotérique, intra-muros, entre artistes, il était fou de chercher à contrer de front un nouveau style, de le qualifier de “laid et ordinaire”. L’astuce était de jouer à saute-mouton, de passer par dessus le nouveau style et de dire : “Oui, mais regardez donc ! Moi j’ai établi un nouvel avant-poste... Là-bas, plus loin...” »25 Dans Psychose Hitchcock organise un florilège d’images trompeuses. On ne sait pas qui est véritablement le meurtrier. La célébrité du film n’a en rien entaché le mystère qui l’entoure, et ce, grâce à la maîtrise des images. Dans la scène du meurtre, on ne voit que la silhouette, que la panoplie en filigrane, couteau aiguisé

24. Psycho (trad. Psychose) Film à suspens d’Alfred Hitchcock, tourné en 1960, avec Anthony Perkins et Janet Leigh. 25. WOLFE Tom, op.cit., p 128.


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pointé vers la future victime, nue sans défense. Johnson s’élève au-dessus de ses contemporains dans la pensée des images et dans la pensée individuelle relative à son immortalité par son physique et par le dessin de façade. L’élévation du siège de AT&T à New York est édifiante. Lisse, monolithique, étrangement sculpturale, d’une ornementation en bas relief étonnante et surtout elle arbore fièrement un fronton classique percé d’un cercle en son sommet. Rien de très Bauhaus26. Rien de très Américain. Rien de très respectable théoriquement. Pourtant Johnson en revêtant les lunettes du maître suisse assoit son projet de tour dans le monde et se donne son immortalité. Une immortalité voulue, déguisée27. Devenu le « non bourgeois » par excellence. Prêt à reprendre clé en main le motel Bates, son ancien costume dans l’étang boueux28. 26. Le Bauhaus n’acceptant principalement que des toits terrasses. 27. Philip Jonson a gardé les lunettes de Le Corbusier jusqu’à sa mort. (img.18)

28. Référence à Psychose où la voiture de Janet Leigh est retrouvée dans l’étang après son assassinat. (img.17)


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perspective


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imitation suspendue Finalement la manipulation d’images est dangereuse1. L’image est séductrice, elle est perfide. On peut s’y perdre. L’architecture vend des images, des « on dirait presque la réalité », des perspectives ou « pers », créées non plus par des architectes, mais par des perspectivistes. Mais ces images, quand on les utilise pour vendre, ne font qu’un temps, celui du projet2. L’exécution de ce même projet est un chemin très long et très différent de la création de cette image indépendante. Et c’est au moment de la livraison par un jeu des perceptions que parfois l’on se dit que l’image n’est pas la réalité, comme

1. Il est difficile d’atteindre le point médian de maîtrise du plan et de la perspective. (img. 19)

2. de la vente du projet.


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une prise de conscience que l’illusion3 platonicienne peut s’appliquer à la représentation de l’architecture. « L’Étranger. — Et alors ? Ce qui a l’apparence de ressembler à ce qui est beau, tout simplement parce qu’il est contemplé selon une mauvaise perspective, mais qui, s’il était regardé par quelqu’un ayant la capacité de le voir nettement, perdrait cette apparence, cette image, comment doit-elle être appelée ? Si elle a l’apparence d’une copie, sans y être semblable, n’est-elle pas une illusion ? Théétète. — Bien sûr. L’Étranger. — Or, cette illusion constitue une partie considérable non seulement de la peinture, mais aussi de l’imitation en général. Théétète. — C’est évident. L’Étranger. — Ne serait-ce donc pas tout à fait juste de qualifier “d’illusionniste” cette technique, qui produit non pas des copies, mais des illusions ? Théétète. — Si, absolument. L’Étranger. — Voilà donc les deux formes de la technique de production d’images dont je parlais : celle de la copie et celle de l’illusion »4. 3. Voir la citation ci-dessous 4. PLATON, le sophiste, 235b-236d, tard. N.cordero. GF-Flammarion, 1993, p. 120-123. tiré de LAVAUD Laurent, L’image, 1999. (img.20)


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La copie est le plan et l’illusion est la perspective. Mais le tout est une imitation de la réalité, une réalité qui préexiste ou qui existera un jour. Voilà une chose qui témoigne à nouveau des deux attitudes d’architectes en engendrant automatiquement une troisième, résultante des deux précédentes. Mais l’illusion est là, de plus l’illusion est politique. Et c’est une illusion qui a dépassé l’illusion des plans5 de Le Corbusier, si on prend le sens premier du titre. C’est une illusion perspective, celle d’un point de vue, d’une image sexuée, qui plait. Et cette image d’une façon ou d’une autre quand elle n’intervient pas dans la phase de conception du projet ne fait que le dénaturer. Seuls quelques romantiques s’en sortent en portant haut l’illusion de l’image de projet. Ainsi à l’instar d’un Dieu contrôlé par un consensus, l’architecture peut être non imagée, elle peut rester loin des trompes l’œil, loin des théâtres, plus près des hommes, dans la concrétisation.

5. LE CORBUSIER, Vers une architecture, 1923, p145


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l’illusion des plans

« Un jeune architecte vint me parler. Je rêve d’espaces pleins de merveilleux. Des espaces qui s’élèvent et enveloppent de façon fluide, sans commencement, sans fin, faits d’un matériau sans joints, blanc et or. Quand je trace sur le papier la première ligne pour capturer mon rêve, le rêve s’affadit »6. Le rêve n’a pas de mesure. C’est le plus haut, l’impalpable, l’image pensée et déjà oubliée. Le mettre sur un papier, en créer l’image, serait comme dessiner de l’air. Le résultat de ce rêve une fois dessiné est forcément dénaturé aux yeux du concepteur. C’est la frustration qui émane de cette dissemblance7 qui va pousser le concepteur, ici l’architecte, à le développer, le rendre réalisable. C’est une vengeance contre le rêve que de le construire et de le montrer au monde.

6. KAHN Louis, Silence et Lumière, Éditions du Linteau, 1996, p41 7. Comme le monstre de Frankenstein (img.21)


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L’intention de l’architecte doit aller dans le sens de cette vengeance, comme un axe. C’est à celui qui interprète le projet, qui s’en détache, celui qui le visite, qui l’utilise de s’en désaxer. Il s’agit d’aller au-delà de la simple illusion des plans, d’être subtil. Comme la maison du poète tragique dont parle Le Corbusier. Un axe central existe, mais personne ne le traverse par son centre. L’axe du plan n’est qu’une illusion, et celui qui s’en détache parfois sans le savoir, c’est celui qui ne l’a pas conçu, celui qui ne le regarde pas. C’est une sorte de désillusion8. L’image découle parfois du rêve, l’image n’est pas un rêve et ne doit surtout pas l’être en architecture, au risque de n’être qu’une illusion, un point de vue et souvent un vil mensonge.

8. URBAIN Pascal, op.cit., 2001.


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c’est tout ce qui reste En attendant l’arrivée d’un autre élément, c’est tout ce qui reste. L’image perspective reste et s’ancre ailleurs que dans la tête des architectes. Puisqu’elle est politique, que c’est une image de projet, elle est affichée publiquement hors de l’enfer de l’architecture. Alors les gens la retiennent beaucoup mieux que les plans d’ailleurs. C’est une image qui s’imprime facilement dans les circuits de la mémoire. Et c’est une image qui n’est pas souvent remise en question. Cet état des choses9 est le résultat du dur labeur de certains faiseurs d’images accompagnés de leurs promoteurs. Et encore une fois l’origine est un rêve ou un geste, le résultat quant à lui reste un geste, mais n’est plus du tout un rêve. Où est Archigram ? Où est Superstudio ?10 Ceux qui pensaient l’utopie sombre avec le cœur lourd et les yeux cernés. Les réalistes. Ils ont été battus par les vendeurs d’images, les menteurs et les trompes l’œil de papier, PITCH PROMOTIONS and co. qui écrivent et qui 9. LESCOURET Marie-Anne, Introduction à l’esthétique, 1994, p171. 10. img. 22


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mentent pour séduire au lieu de réfléchir. « Septèmes-les-Vallons se situe au cœur de la Provence, pays de traditions et de coutumes. Un lieu qui a inspiré les plus grands hommes, de Cézanne à Marcel Pagnol en passant par Alphonse Daudet. La région offre un art de vivre envié, le respect des traditions et celui de la nature. Les paysages sont variés, lumineux, tantôt méridionaux avec la mer à perte de vue, tantôt montagneux avec des massifs calcaires. Les saisons façonnent les paysages et révèlent la beauté des sites. »11. Septèmes-les-vallons, n’est pas une commune qui transpire la tradition des peintres, ce texte est un mensonge, une image du plus mauvais effet. C’est tout ce qui reste. Le geste au service de l’image, une image de cauchemar quand on y réfléchit bien.

11.www.pitchpromotion.fr/programmes/les-2-moulins (img.23)


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Piranese et Jean Nouvel : des mondes d’effets Piranese est allé très loin en son temps dans l’exploration de la puissance architecturale à travers des imagesvisions. Il a dessiné des prisons12, les prisons de l’âme. Où plutôt l’image de ces âmes projetées et amplifiées sur les murs d’une prison. François Béguin l’explique très clairement dans la partie « Les Nouveaux Mondes » de son essai de littérature grise, Architectures de la modernité. Au sujet des prisons de Piranese : « Bien sûr tout y est déjà plus grand, plus inquiétant, plus profond et plus sombre que ce à quoi l’on peut s’attendre d’une prison. Surtout, c’est un peu comme si Piranese n’avait pas dessiné une prison, mais plutôt son effet sur l’âme. Autrement dit, il nous donne l’image d’une prison à laquelle sont restituées ses véritables dimensions, ses dimensions mentales : celles qu’un photographe pourra ne pas voir, mais qu’un prisonnier ou un peintre tel que Piranese voient. Déjà à ce stade nous comprenons que Piranese est parti d’un

12. Carceri de Piranese, 1750, (img.24)


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effet pour concevoir une forme, et s’il s’est inspiré de formes existantes pour concevoir et matérialiser cet effet. »13 L’effet est donc un point de départ, un outil formel indéniable et sa projection sur le monde tel qu’on le perçoit serait une façon de concevoir l’espace en trois dimensions, une façon de faire des perspectives. La perspective étant ici plus que la simple image du projet, elle est le projet. Mais l’art de l’image-à-effet chez Piranese va plus loin, il se déleste parfois du monde réel en empruntant les effets dans sa propre pensée, il devient alors un peintre, un génie — à l’inverse de Pitch Promotion — agissant comme un libérateur. Piranese libère de l’image par l’image. Jean Nouvel, par ses images, essaie d’appliquer la technique de Piranese, il joue dans le plus et dans l’irréel. Il cherche l’effet plus que le concept. Il n’a pas forcément le temps ni le talent de Piranese, mais l’architecte faiseur d’image qui est en lui — si on exclut totalement l’homme d’affaires très loin de la table à dessin ou de l’ordinateur — est enclin à interpréter un

13. BEGUIN François, Architectures de la modernité, 1981, p95


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projet naissant par l’image à effet. Par exemple le projet de Tour sans fin14 dans le quartier de la défense à Paris. La « tour » correspond à l’image, « sans fin » correspond à l’effet recherché. On ne peut pas vraiment lui jeter la pierre du faussaire menteur que certains lui lancent. C’est un architecte romantique, qui cherche à transformer certains projets en icônes. Et la dimension que François Béguin aborde à travers l’analyse du travail de Piranese est intrinsèquement liée à la façon dont quelques architectes, dont Jean Nouvel, font du projet. Le projet comme « projection » de l’effet. Cette addition donne une image, l’image donne un bâtiment et pour finir le bâtiment donne un sentiment.

14. Projet non réalisé de Jean Nouvel à Paris, 2000, (img.25)


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mourir deux fois, les sueurs froides de l’amour De la pensée chronologique du projet s’élève un ordre qui est empreint de cinéma, par l’indifférence et la mise à distance. Le concepteur et les gens qui traverseront son architecture, reliés par un bras de fiction, pourront commencer les choses plusieurs fois, par liberté, comme au cinéma. Dans le film Sueurs froides15, John « Scottie » Ferguson ( James Stewart) souffre d’acrophobie, la peur du vide, plus forte que le vertige classique. Étant policier, il doit démissionner parce que sa phobie nouvelle est un frein à sa vie professionnelle. Malgré tout il se laisse embarquer par sa curiosité. Sa curiosité est tout aussi maladive que son acrophobie. S’il ne se doute de rien, le spectateur ne se doutera de rien. Son image du monde devient la nôtre 24 fois par seconde.

15. VERTIGO (trad. Sueurs froides) Thriller américain réalisé en 1957 par Alfred Hitchcock. Avec James Stewart et Kim Novak


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La structure et le caractère du personnage de Scottie poussent à penser comme lui, à être terre à terre, à ne croire que ce que l’on voit, ce qu’il voit. Il croit au geste. Il suit, sur demande d’un ami revenu d’on ne sait où, Madeleine Elster (Kim Novak) qui saute dans la baie de San Francisco. James Stewart croit à la tentative de suicide et nous aussi. Il la sauve, et il en tombe amoureux. Malgré tous ses efforts, Madeleine est possédée par l’esprit de son ancêtre, à nouveau elle saute, mais cette fois du haut d’une église. Elle est retrouvée morte. Le parallèle avec la représentation de l’architecture se fait grâce au geste. Scottie ne peut pas la suivre en haut du clocher parce qu’il a le vertige. Les images de l’architecture quand elles mentent, rassurent celui qui croit ce qu’il voit, celui qui ne se comporte pas en enquêteur, celui qui tombe amoureux. L’architecture trompe et elle trompe deux fois, comme Kim Novak. Scottie est désespéré, il est enfermé et rien ne semble pouvoir le faire sortir de cet état dans lequel l’a plongé la perte de sa bien-aimée16. Quand soudain il croit 16. Dans le film il reste à l’hôpital pour suivre une cure de musicothérapie

totalement inutile dans son cas, il a besoin de revoir le clocher, de vaincre son vertige lié à l’architecture.


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la revoir dans le visage d’une autre femme17 — Judy Barton. Pris par l’espoir de recréer son amour perdu, il va faire en sorte de reconquérir la nouvelle jeune femme. Il l’habille comme Madeleine. Il la coiffe comme elle. Il attend qu’elle soit prise de folie, mais elle ne l’est pas. Puis un soir elle porte un collier, le même qu’avait Madeleine. Scottie ne croit pas que ce qu’il voit, nous aussi. Il n’y pas de doute revoilà Madeleine dans tout son mensonge. Et voilà James « Scottie » Stewart en architecte qui veut lui faire comprendre qu’il sait tout de cette histoire, tout de son mensonge. Il l’emmène voir le clocher, il l’emmène en haut de la tour, il arrive à vaincre son vertige, quand une religieuse sortie comme une ombre effraie son amour retrouvé. Kim Novak trébuche et tombe, une deuxième fois. L’architecture mise en parallèle des images qui lui sont reliées, peut laisser perplexe. Dans la compréhension d’un projet, on peut retrouver ces deux temps, ces deux illusions : l’attitude et l’image. Toutes deux naissent d’un geste, toutes deux meurent deux fois. Comme Kim Novak dans Vertigo.

17. Les deux personnages féminins sont joués par la même actice : Kim Novak. (img.26).


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Seul reste James Stewart, l’image persistante de celui qui a eu le grand geste de vaincre son vertige et de tomber amoureux dans l’escalier d’un clocher mexicain.


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les images mnĂŠmoniques (2013-2014)


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Nous voyons notre monde noyé sous les images, ou du moins la société occidentale le voit. C’est une affirmation que l’on peut souvent lire ou entendre. J’ai moi-même écrit cette phrase lors de l’introduction de la première partie de ce mémoire.1 C’est donc dans cette optique autoréflexive que j’en viens ici à me contredire. Faudrait-il déjà définir le simple mot « image ». Qu’estce qu’une image ? Quand la rencontrons-nous ? S’agitil d’images télévisuelles, cinématographiques, textuelles, mentales ou encore d’architecture ? Le complément que l’on peut rattacher au mot image est assimilable à une variable x. Dans presque tous les domaines de la pensée nous pouvons parler d’images de même, il n’est pas faux d’affirmer que dans tous les domaines de la pensée on « imagine ». Il est important de rappeler dans cette introduction que l’on se place dans un des domaines de la pensée précis : 1. Environ -30 000 jusqu’à -15 000 avant notre ère. (img.29)


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l’architecture. Oscar Nieymeyer se plaisait à dire que l’architecture lui servait à exprimer le monde2. Étant expressive, elle contient des idées et des concepts. L’architecture représente un système autonome, et si c’est une représentation c’est qu’elle est composée d’images. Ici, l’image nous intéresse, mais pas n’importe laquelle, l’image correspondant à une base théorique dont Platon parle en ces mots : « j’appelle image d’abord les ombres ensuite les reflets qu’on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants et toutes les représentations de ce genre »3 Mais c’est la définition de Jean-Paul Jungman qui va véritablement correspondre à ce que nous allons essayer d’étudier : « L’image en architecture est un terme qui regroupe l’ensemble de la représentation architecturale, c’est-à-dire tout ce qui participe de près ou de loin à son mode de production et de consommation, les représentations textuelles, spatiales,

2. NIEMEYER Oscar, Paroles d’architecte, «L’architecture est un moyen d’exprimer le monde

3. PLATON, la république, livre IV, p 210


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graphiques, filmiques ou autres, indispensables pour d’abord concevoir, dessiner et édifier une construction, puis pour en parler, la faire connaitre et aussi s’en souvenir. »4 De même, nous voulions éclaircir, dans cette introduction, la notion d’imagerie architectonique mise en évidence par le même auteur : « représente tout ce qui participe directement techniquement, professionnellement et culturellement au mode de production et de consommation de l’architecture. » 5 Ces deux définitions seront le socle véritable de la réflexion qui va suivre, réflexion autour du statut de l’image certes, mais aussi sur ce quelle génère à travers le prisme de l’architecture, prisme éminemment temporel. Lors de la précédente partie, j’ai choisi de ne parler principalement que de deux types d’images. J’en parlerai encore, mais cette fois en distinguant cinq types : 4. JUNGMANN Jean-Paul, L’image en architecture, p. 5 5. Ibid, p. 5


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Les images mentales (images pré-projet) Les images prospectives (images du projet) Les images perspectives (images post-projet) Les images fantastiques et celles de l’architecte Les images du projet théorique Ces différents types d’images vont structurer ce mémoire et émerger pour finalement créer un tout homogène. Ces notions tourneront autour d’un questionnement principal : En quoi certaines images de l’architecture se placent-elles hors du temps ? Peu à peu, devant l’image mentale, la réalité construite a tendance à s’effacer. Comment se réalise cet effacement, de quelle réalité parle-t-on, de quelle vérité ? Car, bien que souvent menteuse, l’image offre pourtant une des vérités les plus chères, la vérité perceptive. Une vérité que tout le monde peut exprimer.


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tripartie introductive - origine Le point de vue semble essentiel à la question de l’origine des images, il en va de même pour la question de la représentation. Ces deux notions sont traversées par le regard. Depuis l’art pariétal1 des premiers hommes, la question de la représentation et celle de l’habitat sont liées. L’art pariétal ne représente pas l’architecture, mais il représente le plus souvent des animaux sauvages sur des parois. Sur cette enveloppe, il permet aux premiers hommes de s’approprier un espace par la trace, de laisser une image. Autour de cette question de l’image persistante qui-y a-t-il justement plus persistant que l’image du passage de l’homme dans les cavernes, l’échelle marquée, le contour, comme celui de l’étoile, reste là, seul. 1. img 29 - main de l’homme dans la grotte Cosquer.


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C’est l’image qui reste. Mais ce n’est pas une image d’architecture. Or, ici, c’est l’image d’architecture qui devrait faire sens, c’est bien parce que ce type d’image crée un problème. En effet, il n’y a pas d’image d’architecture, ayant l’architecture comme sujet jusqu’ au XIIIe siècle : « Jusqu’au XIIIe siècle, on ne trouve aucune trace de représentations d’édifices qui pourrait être assimilables ou directement comparables à ce que nous entendons aujourd’hui par dessin d’architecture. C’est-à-dire non seulement aucune image où l’édifice est dessiné en plan ou en élévation relativement stricts, en géométral, mais encore, et surtout, aucune image où l’édifice est le sujet unique de la représentation (…) Ce n’est que vers 1250 que commencent à apparaitre des dessins approchant des critères de comparaison que nous avons donnés, et tout au long des XIVe et XVe siècles ils vont se multiplier. »2 Nous pouvons ici parler de cette absence d’image comme d’une disparition caractérisant notre incapacité à voir ce qu’il en reste. Nous pouvons par ailleurs relier

2. SAVIGNAT Jean-Marc, Dessin et architecture du moyen age au XIIIe siècle.


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cette note à ce que disait Jean Baudrillard à propos des signes « La plus haute fonction du signe est de faire disparaitre la réalité, et de masquer en même temps cette disparition. »3. Cette trace de l’homme qui s’apparente à une image de l’homme n’est que le contour de sa main, son but est de marquer un territoire, un espace. Quand les premiers hommes ont commencé à penser cet espace, à sortir des grottes et à construire des habitats primitifs, ils ont fixé ce que Léonard de Vinci dit à propos de la peinture et qui peut aussi, par extension, s’appliquer à l’architecture c’est-à-dire que l’architecture est une cosa mentale4, elle est dans l’esprit de l’homme, fixée par cette nécessité qu’il a eue de survivre pendant des siècles. Il n’y avait pas de dessins, pas de représentation de ces habitats, cette science de la survie était dans la tête de ceux qui l’organisait. Ainsi l’architecture n’avait peut être pas besoin d’être écrite. Elle se suffisait à la cosa mentale. Il est intéressant de noter que seul un plan demeure

3. BAUDRILLARD Jean, Le crime parfait, p.76 4. DA VINCI Leonardo, Trattato della pittura, « La peinture est une chose de l’esprit », 1651,


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intact de la période de sept siècles allant de la chute de l’Empire Romain au XIIIe siècle. Il fait office d’exception : le plan de l’abbaye de Saint-Gall5 effectué aux alentours de 820. C’est l‘image retrouvée. Cette image marque ainsi plus une disparition qu’un véritable départ de l’utilisation de l’image d’architecture. Pas de plan durant sept siècles, pas d’image, comme si la fonction même du plan de l’abbaye de Saint-Gall était de souligner une disparition, une absence. Ainsi l’origine n’est pas ici, mais bien là où Hubert Damish, comme d’autres, la note, au début du quattrocento. Cette période porte bien son nom, la Renaissance. Mais pour ce qui est de la question de l’image d’architecture, je parlerai d’une naissance. Le fait de placer le point d’origine est important pour plusieurs raisons. D’un point de vue symbolique, ce point de l’histoire est le point de fuite. Les lignes perspectives partent de ce point constitué de cathédrales, de basiliques, de grands et petits manifestes de cette cosa mentale. Tout au long de ce mémoire nous n’aurons de cesse de revenir à ce point. Il est aussi possible d’en

5. img.30 : plan de l’abbaye de Saint-Gall


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faire aussi une interprétation historique. Ce moment où l’obscurantisme du moyen-âge s’amenuise, où l’homme commence à douter des absolus, c’est le moment historique de la remise en question. Ce qui a certainement eu l’effet de la foudre pour les renaissants, et même pour nous aujourd’hui, pourrait être, justement, le poids de cette disparition des images du passé. La disparition pèse lourd, comme on peut le voir dans le roman du même nom de Georges Perec6, ici, dans ce mémoire il sera aussi question de disparition. 7

6. PEREC Georges, La Disparition. - Écrit sans la lettre «e». 7. CHRISTO, pont neuf, disparition. img 31-img 32


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- le double cœur C’est aussi à partir de ce point de repère historique qu’apparaissent ce que Baudrillard appelle « les états intermédiaires »8 appliqués à l’art ou à l’architecture, ces « états » constituent le cosmos de l’œuvre et composé lui aussi d’images. Christian de Portzamparc définit l’architecture comme étant présente sous deux « formes »9, — « formes », ici, est à comprendre en un sens qui exclut la part esthétique du mot — une forme construite et réelle, ainsi qu’une forme en image. L’architecture d’image existe donc selon Portzamparc au même titre que l’architecture construite. D’un point de vue historique, l’élément parait plus complexe, comme entremêlé. Les outils de

8. BAUDRILLARD Jean, op. cit., p. 60 9. DE PORTZAMPARC Christian, Comment marche Hubert Tonka, p5


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représentations de l’espace sont connus et identifiables très facilement aujourd’hui, mais la question du quand et celle du comment persistent. On peut de même se demander en quoi y a-t-il ici une énigme. De même, on peut voir cette division brutale de l’architecture entre deux états principaux faite par Portzamparc comme une tentative de réponse. L’image d’architecture a aujourd’hui un statut particulier, elle est codifiée pour renseigner sur l’édifice et pour transmettre des informations, mais il n’en a pas toujours été ainsi, à la fin du Moyen-âge, elle servait à donner une idée de l’apparence future d’un bâtiment, mais n’était pas un langage nécessaire au chantier. « Pendant les périodes féodales quelques simples dessins schématiques (en plan par exemple), des croquis d’intention et des devis sans dimensions cotées suffisaient, car ils correspondaient nécessairement à un savoir-faire traditionnel (…) L’apparition du dessin en élévation ou en façade serait la conséquence d’une fonction plutôt représentative que technique et d’une volonté d’être compréhensible, de plaire et de donner à voir au commanditaire, à des clients ou public plus large de fidèles, pour les intéresser au projet et provoquer leurs dons lors des


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quêtes. Ensuite ces dessins et ces maquettes, offrant aussi une somme d’informations architecturalement opératoires, furent destinés au chantier et prirent un caractère technique et une fonction d’étude pour juger des propositions, de la modelure à la décoration. »10 Aujourd’hui, c’est finalement dans le cadre du chantier que ce rencontrent ces deux mondes, que l’image se transforme, s’épaissit. Ainsi la question de la représentation est très importante. Jean Paul Jungman disait s’intéresser à « la représentation qui n’est pas encore ou plus totalement l’œuvre »11. Je vais éviter la question de la construction, celle des méthodes ou encore celle des lieux, et tenter de tourner autour de l’objet construit avec la logique d’une partition de jazz, pour laisser deviner les contours de la note juste, ici de l’architecture construite, celle d’aujourd’hui représentant notre futur passé. Il sera donc question de représentation et des distinctions que l’on peut faire dans la représentation elle-même autant d’un point de vue historique que stictement typologique. Approcher ce double cœur. 10 JUNGMANN Jean-Paul, op. cit., p28 11 Ibid, p.28


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- la reproduction « Ainsi, grâce à un progrès scientifique et technique enrichissant le patrimoine spirituel d’un nombre d’hommes toujours croissant, la poésie, la littérature, la peinture, la sculpture et la musique acquirent les moyens d’une diffusion à grande échelle. »12 Comme le résume le paragraphe de Bruno Zevi, l’architecture est restée absente de cette course à la reproductibilité technique. Par ailleurs, ce ne sont pas véritablement l’imprimerie, ou avant elle la gravure, qui ont diffusé des images d’architecture, et plus tard, la photographie et le cinéma on posés des bases réflexives se servant de l’image comme structure, mais n’ont pas pour autant débloqué le problème de la représentation dans l’espace. Bien entendu, notre discours se place 12. ZEVI Bruno, Apprendre à voir l’architecture, p.21


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derrière un point de vue historique, il n’est pas question dans ce paragraphe d’analyser le potentiel des maquettes 3D, mais peut-être de le poser comme un contrepoint actuel. L’analyse de l’évolution de la représentation dans l’espace est un sujet en soit, ce qui semble nourrir ce mémoire est d’autant plus l’image comme intermédiaire universel à la diffusion des idées, et la première de ces images, c’est l’image mentale, celle du créateur. Pour revenir sur la reproductibilité, Walter Benjamin proposait de distinguer quatre types de (re) productions artistiques : l’œuvre réalisée par l’artiste ainsi que la réplique, la copie réalisée par l’élève et enfin le faux réalisé par l’homme avide de reconnaissance et d’argent.13 On peut retourner cette distinction aux moyens de représentation de l’architecture, mais le problème de l’image du photographe, peintre ou cinéaste, images à point de vue et post-projet (postérieures), rentre en conflit avec la vision catégorisée de Benjamin. L’architecte autorise des photographes à prendre des

13. BENJAMIN Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, p. 30


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photos de sa réalisation, mais autorise-t-il un « élève » à en réaliser la copie ? La copie en architecture ne semble pas être du même ordre que la copie en peinture, mais plus souvent une réinterprétation — en tout cas pour connaitre de l’estime —, à la manière de Alvaro Siza et de Fernando Tavora ou encore de Tadao Ando et de Le Corbusier. Ainsi il n’y a pas copie, mais seulement source d’inspiration. Encore une fois, le parallèle entre les arts et l’architecture est difficile à établir, car bien qu’ayant une importance capitale dans le développement des arts, l’architecture fait figure de discipline marginale, utilisant l’image au service d’une cause sociale et d’une inspiration très personnelle se collectivisant au fil de la réalisation. Parfois, j’imagine les arts représentés par les planètes du système solaire, malgré son importance je ne peux m’empêcher de voir l’architecture comme l’on voit Pluton, c’est à dire n’étant plus vraiment une planète, pas encore totalement une lune, revêtant le mystérieux habit de l’ancestral et la robe de la disparition. Dans ce mémoire, il sera aussi question d’imaginaire.


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les images antĂŠrieures


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« Mais en cette aventure, l’architecture reste isolée. Le problème de la représentation de l’espace, loin d’être résolu, n’est même pas posé… Essayons d’analyser les moyens de cette représentation »1 Ce qu’il y a avant

les images mentales Il est par définition impossible de décrire une image mentale. C’est le rêve, l’impalpable, l’inconscient. Il encore une fois préférable de tourner autour. La notion d’image mentale est toute relative en architecture. Elle désigne à la fois l’intention et le sentiment premier vis-à-vis de la conception d’un projet d’architecture, mais aussi l’idée. L’image mentale est un de ces lieux de l’esprit où les idées ont des formes, l’inverse de la réalité où l’idée y est gazeuse, l’image mentale est la 1. ZEVI Bruno, op. cit., p21


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résultante de notre camera obscura2. La camera obscura est un très ancien principe physique qui permet, grâce à un ingénieux jeu de forme et de lumière, de voir une projection d’ombres. La camera obscura n’est pas le centre de notre sujet, mais peut servir à baliser celui-ci. L’image purement mentale ne peut être analysée, elle est enfouie dans la tête, en revanche, la projection de cette image est analysable. Des architectes comme Louis Kahn3 ou encore Yona Friedman préfèrent cette phase de la conception à toutes les autres il dira même : « imaginer un projet d’architecture peut parfois être plus important que sa réalisation même. »4 D’ailleurs, c’est aussi pour cela que j’ai comparé à ces architectes et le réalisateur Alfred Hitchcock qui disait préférer la phase de préparation à celle de tournage et de montage, de surcroît c’est un point de vue qui divise de nombreux réalisateurs. Quel est l’instant le plus 2. img.33 : principe de camera obscura. 3. KAHN Louis, op. cit., p.259 : « j’aime les commencements » 4. FRIEDMAN Yona, image et théorie, p. 45


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important dans la conception d’un projet ? C’est une question parallèle et transdisciplinaire. Ici, pour fixer cette image, il faut des outils, le corps seul ne peut pas le faire, tout comme l’œil nu reste limité devant la lumière lointaine des étoiles. Ces outils sont, le plus souvent, des outils graphiques : crayons, règles, encre, ordinateur, calque, papier blanc ou noir. Commence alors un long moment de recherche. Il est très difficile de retrouver instinctivement l’image mentale, il faut la travailler, la reprendre, la chercher. Alberto Campo Baeza préconise pour cela de « penser avec les mains »5, de redonner une échelle humaine à l’image, de contrôler l’outil, et ce dès le début. Le terme d’image mentale n’est pas employé comme synonyme d’intuition, il signifie plus que cela, c’est l’intuition et la pensée qui résulte de l’intention. Louis Kahn a longtemps prévenu ses élèves : « Tout ce que nous désirons créer trouve son commencement dans la seule intuition. C’est vrai pour le savant. C’est vrai pour l’artiste. Mais je mis le jeune architecte en garde : s’en

5. CAMPO BAEZA Alberto, penser l’architecture, p. 10


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tenir à l’intuition loin de la Pensée signifie ne rien faire »6. Ce que dit L.Kahn peut avoir sa traduction dans la volonté de travail. Une des meilleures façons de fixer l’image mentale est de la travailler, de dessiner, de la pousser parfois même trop loin, l’assistant de Louis Kahn, August E. Komendant, dans son livre Dix-huit années avec Louis I.Kahn, décrit cette volonté obstinée qu’avait son maître de travailler l’image première d’un projet : « (a propos de la first unitarian church de Rochester) Tout le monde rit parce que chacun savait que pour Kahn la première image d’un projet était presque toujours la meilleure, mais que d’habitude, s’il avait le temps, il se mettait à « l’améliorer ». L’image améliorée était rarement meilleure que la première mais il insistait toujours. « peu importe les changements, la forme de l’image est conservée » »7 Durant cette phase, où le projet n’est encore qu’une vague idée, l’architecte dessine dehors, in situ, il regarde

6. KAHN Louis, op.cit., p.42 7. KOMENDANT August E., dix huit années avec Louis I. Kahn, le linteau, 2006, Paris, p.68 (img.34: First Unitarian Church, Rocherster)


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et dessine ce qu’il a vu, ce qu’il faut retenir, une fois de plus c’est ce qu’il reste. Le croquis est une des premières vues de l’image mentale. Il est souvent tremblant, il ne résonne parfois que dans l’esprit de celui qui l’effectue, mais il est nécessaire : « Que ce soit pour garder une trace d’un moment de réflexion, pour fixer le principe fondateur auquel on pourra se référer en permanence, ou tout simplement pour approcher les conséquences inévitables d’une forme sur l’ensemble des questions qui se posent, ce passage à l’acte est indispensable. »8 On peut voir par exemple les croquis de Alvaro Siza comme étant des références9. Car, en tant que trace, ils permettent de revenir sur la conception d’un projet fini, essayer de mieux la comprendre. L’esquisse ou croquis témoigne de la présence de la pensée, et de l’architecte. L’architecte suisse Luca Merlini exprime cette idée de façon très poétique :

8. DURAND Jean-Pierre, la représentation du projet, p.82 9. img.35 : croquis de Siza


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« Derrière chaque mur, il y a une forme de société. Et derrière chaque mur, il y a aussi un architecte. L’architecte est multiple, c’est un personnage qui passe sa vie à se glisser dans la vie des autres et qui a le pouvoir — aussi énorme que dérisoire — de la transformer. »10, Michele Tadini, quant à lui « voit à travers les yeux du maître »11. Ces témoignages attestent de l’importance du premier dessin, pour retracer, pour archiver, pour comprendre. Il y a ici comme une grande volonté de garder l’image mentale, ce dont nous avons été privés jusqu’aux plans de l’abbaye de saint Gall. C’est fixer des idées, « c’est avoir eu des idées » 12. Bien entendu, il est question ici de représentation de l’espace dans l’immédiateté du regard et de l’action de dessiner. Il n’existe pas vraiment de règle pour le croquis, l’exercice est libre. Il n’obéit pas forcément à des normes perspectives, mais il se doit de transmettre et d’entrer en relation avec celui qui essaie de l’interpréter. Historiquement, le dessin préparatoire n’a pas toujours été respecté autant qu’aujourd’hui, 10. MERLINI Luca, Film Luca Merlini-architecte, 2007 11. TADINI Michele, Cahier de théories n°1, p.15 12. LE CORBUSIER, Vers une architecture, p.145


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c’est pourquoi on ne retrouve que très peu de dessins préparatoires d’artistes. J’ai toujours été frappé par les dessins13 de Michelangelo cherchant la forme de son escalier pour la bibliothèque laurentienne, appelé « lo scalone » par les Italiens, situé dans l’enceinte du monastère San Lorenzo à Florence et réalisé entre 1519 et 1534. Cet escalier fait figure d’exemple dans le saisissement de l’image mentale, par ailleurs c’est cette image mentale qui dépasse les autres types d’images. Ici, c’est la photographie qui peine à être utilisée, en effet, le grand angle est obligatoire pour pouvoir saisir cet escalier dans sa totalité sur une photo. L’image antérieure à toute autre image a été représentée, dépassant la réalité, l’ordre et la mesure. Cet escalier n’est pas « normal », mais son image, elle, est la pure projection des pensées, des intentions et des intuitions de Michelangelo. Le passage de l’idée originale au papier fait disparaitre, par définition, l’image : « l’image donne une ressemblance avec la chose représentée,

13.img.36-37 : dessins et l’escalier de la bibliothèque laurentienne, Michelangelo


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ressemblance pour nos sens ou notre intellect. »14 Ce que l’on voit en revanche c’est ce que Yona Friedman appelle « le modèle » qui n’est pas ressemblant, mais qui décrit le fonctionnement ou la forme de la future réalisation. Cette notion de disparition est fondamentale, et ce, à tous les niveaux de l’analyse. La disparition de l’image mentale. L’effort du concepteurarchitecte sera de la retrouver, de lui donner son lot de consolation : de nouvelles représentations et fictivement de nouvelles images, mais cette fois ci, construites. Mais comme le dit Bruno Zevi : « non-finies ». Et la première de ces nouvelles images, c’est le texte.

les textes et l’intention « Sans mots, sans textes, l’image d’architecture ne serait qu’une image muette, du graphisme, du modelage, de la figure incomplète, insensée et même incompréhensible. »15

14. FRIEDMAN Yona, L’ordre compliqué, p.36 15. JUNGMANN Jean-Paul, op. cit., p.110


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C’est par le texte que le projet est déclenché, par la commande et par le programme. En effet, ce texte qui est écrit à l’avance annonce la part sociale du projet, son but ou sa finalité. Ce texte répond à la question du chantier, celles des délais, des moyens, des entreprises, du site. Mais ce texte n’est pas unique, il y a le programme et la commande. Le programme répond à un besoin théorique de fixer le contenu et les contours du contenant, tandis que la commande est la traduction d’une volonté, d’un choix. Du point de vue de l’histoire, la commande constitue l’ensemble des rapports humains et commerciaux qui lient l’architecte et son client. On retiendra ainsi les relations privilégiées de Frank Lloyd Wright et d’Edgar Kaufmann pour la célèbre maison sur la cascade, ou encore l’amitié de Le Corbusier et de Claudius Petit. Ce texte préalable, créant l’idée et la volonté première dans la tête du concepteur, se doit donc d’être traduit en image puis en texte encore. L’architecte doit à la manière d’un égyptologue transcrire le programme et la commande, les rendre personnels, leur donner un concept, un titre, des commentaires et un surtexte tant d’éléments théorique qui compose en partie l’imaginaire architectonique relatif à chaque projet.


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Le mot «architecture» lui-même suppose un système nouveau et autonome en soit, chaque projet est un recommencement, mais la répétition et l’imitation demande de recommencer. Le texte de traduction du programme n’intervient pas à un ordre précis vis-à-vis des premiers dessins, et c’est cette indétermination qui fait que l’on peut considérer le texte comme une des images du projet ou du moins une de ces représentations. C’est aussi que certains architectes parmi les plus connus ont utilisé le mot comme une image et le texte comme une sorte de manifeste visuel. Ce mot-image dans le domaine du projet architectural est appelé concept. Rapidement sur ce point, plusieurs théoriciens ne sont pas d’accord avec l’utilisation de ce mot, Gilles Deleuze soutiendra que seul le philosophe peut inventer des concepts16. Néanmoins, en architecture ce mot défini davantage un principe, une image justement, qu’un pur concept abstrait. En architecture, comme partout ailleurs, le mot «concept» est dangereux. Et c’est sans doute conscients de ce danger que les architectes s’en sont saisis jusqu’à le pousser à sa démocratisation. On parle d’architecte « concepteur » et non principeur

16. DELEUZE Gilles, Conférence à la FEMIS (vidéo), 17/03/1987


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ou imageur — faiseurs de principes architecturaux ou faiseurs d’images architecturales —, c’est-à-dire que l’on sous-entend ici que l’architecte qui crée un principe ou image crée avant tout un concept. Et parmi les faiseurs de concepts, on trouvera en chef de file encore une fois Le Corbusier. Il est parmi les premiers à avoir fait du mot-image un principe applicable et appliqué : — Architecture ou révolution — une maison est une machine à habiter — la maison palais — le sport au pied de la maison — l’immeuble villa — l’unité d’habitation de grandeur conforme — la rue intérieure — l’unité ville radieuse — la ville radieuse sans classe — la ferme radieuse — le village radieux — la ville ouverte — la ville viaduc — la ville qui dispose la vitesse dispose du succès — le gratteciel cartésien — les deux jambes de la maitresse de maison ou de l’urbanisme à domicile — la règle de la 7V (voies de circulation) — les trois établissements humains — la main ouverte — (et à propos de l’urbanisme de Paris) chirurgie ou médecine, le passé répond : chirurgie et médecine, chirurgie au centre et médecine au dehors — structure dom-ino17

17. img.38 structure dom-ino, Le Corbusier


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On pourra de même retenir de Louis Kahn d’autres mots-images comme : espaces servants — espaces servis — espace maîtres — plafond respirant — colonne creuse — appareils à lumière naturelle — éléments donneurs de lumière — puits de lumière — modificateur de lumière — dispositif à air — pièce fenêtre Le titre tente d’exprimer l’image du projet de façon à en faire sortir la clarté et la simplicité, c’est le prix de la complexité. Le moyen pour parvenir à cela avec un texte est l’intention. Erwin Panofsky a défini l’intention comme étant un critère essentiel à la phase de projet, ce serait cette intention qui ferait devenir un simple urinoir une œuvre d’art : « La ligne de démarcation entre œuvres d’art et objet pratique dépend d’une “intention” qui ne peut être déterminée de façon absolue ». 18 Cette intention peut se lire dans l’objet livre. L’intention

18. PANOFSKY Erwin, La perspective comme forme symbolique, p.30


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en architecture est fortement liée au texte de l’architecte, dans lequel il est censé livrer une vérité sans image, un fonctionnement scientifique et précis de ce que sera le projet. Il est temps de piéger Christian de Portzamparc qui écrit à ce sujet : « Peut-être alors dans le livre nous est restituable une cohérence globale qui touche à la vérité du projet (un mauvais projet peut faire une image saisissante, mais pas un livre). Peut-être est-ce même seulement dans le livre que toute relation entre projettation et perception peut s’établir ». 19 On pourrait voir alors qu’à chaque fois que Christian de Portzamparc n’a pas fait de livre à propos d’un de ses projets, il considérait celui-ci comme mauvais, ou en tout cas dénué de toute image juste. Ici, la phrase de Frank Lloyd Wright à propos de Le Corbusier que nous avons utilisée dans la partie « de l’attitude à l’image (2012-13) » « … »20 à une autre résonance, c’est à dire qu’en prenant en compte la façon radicale de poser 19. DE PORTZAMPARC Christian, op.cit., p.5 20. Partie 1 : de l’attitude à l’image, p.40


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les vérités de Portzamparc, en prenant cela pour vrai justement, FLW de cette façon avoue que Le Corbusier ne fait que de bons projets, puisqu’à chaque projet il fait 10 livres derrière ! Les mots et les images font bon ménage. Mais ne seraitce pas l’amour de la fiction qui parle parfois ? Les mots rendent ce que la reproduction fait perdre aux images, de l’authenticité ainsi que de la crédibilité. Dans le livre « image et théorie », Yona Friedman présente son principe de « ville spatiale »21 qui se développerait vers le haut utilisant les mégastructures. C’est un principe qu’il présente depuis les années 60, mais dans ce livre — donc dans ce bon projet ? — les images et les mots veulent nous convaincre que c’est la seule solution pour sortir l’humanité des limites des politiques expansionnistes. Les frontières ne sont plus horizontales, mais verticales. Dans ce livre, Yona Friedman se sert autant des images schématiques, comme tout droit sorti de sa tête, que des mots écrits dans un français simple et enfantin

21. img.39 : ville spatiale de Yona Friedman


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pour proposer un projet délirant. Il le rend nécessaire et évident grâce au texte soulignant l’image. Mais ce texte, pour être efficace, doit être publié, diffusé. Et ce n’est qu’après le projet, après tout, que l’on pourra lire ce genre de texte en y croyant. La portée du livre de Yona Fiedman est pour cette raison étendue à d’autres champs de réflexion, rangée dans d’autres éditions, plus philosophiques qu’architecturales. C’est là la limite du texte. C’est la limite de l’intention. Pour le livre de Y.Friedman il n’y a eu ni programme, ni commande c’est ce qui fait de lui le parfait outil de pensée, et qui, fatalement le déshumanise par une décontextualisation évidente. Le contexte, c’est le site et l’image mentale qui est travaillée par le texte comme par l’esprit et avec les mains se doit d’être contextualisée. Il existe d’autres formes de texte que le livre, le titre ou le concept (mot-image) en architecture, et je finirai par cela. Le poème manifeste. La volonté de justifier une image mentale, de rendre poétique une image sousentendue technique pousse les architectes à écrire des listes de mots d’esprit. C’est le contenu de l’utopie au service de l’objet architectural concret, au service de la forme du projet, en guise d’exemple :


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« L’habitat oblique, un cadre de vie. Vivre à l’oblique, c’est maintenir son corps dans la pratique quotidienne de son existence, sans même le vouloir, spontanément. Vivre à l’oblique, c’est avoir la possibilité de refuser la canalisation. Vivre à l’oblique, c’est retrouver la vacuité de l’espace habitable. Vivre à l’oblique, c’est chasser définitivement le meuble de l’habitation, c’est rajeunir dans la mesure où l’héritage mobilier, le poids du passé et des habitudes sont récusés par l’architecture du lieu. Vivre à l’oblique, c’est retrouver l’esprit d’aventure et de conquête. Vivre à l’oblique, c’est être libre »22 La notion de texte intervient comme étant l’outil le plus formalisateur que l’architecte possède. Il pousse à penser, il incite à faire des scénarios ainsi qu’à rendre crédible une théorie. Et si certains s’entraînent à mentir avec l’aide d’un texte, d’autres s’en servent pour dire leur vérité. Cette fameuse vérité perceptive.

22. PARENT Claude, entrelacs de l’oblique, (éd. Le moniteur,) (img. 40)


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les déclinaisons de la perspective Le dessin s’applique dès le début à montrer une mesure, une échelle. L’échelle peut être grande, celle de la ville, même celle de la région. Le dessinateur alors décide à main levée de ne représenter que quelques éléments marquants. Puis il effectuera un rapprochement caractérisé par le changement d’échelle. Ce moment de la représentation du projet est très important, c’est ce moment où les principes se déforment et s’adaptent selon la volonté de l’architecte au contexte. La perspective, la vue, les maquettes, l’axonométrie. Ces mises en forme parlent de l’espace, mais surtout de la perception vis-àvis de celui-ci. Cette perception engendre des ambiances qui vont générer elles même de nouvelles images. Les échelles et les images à se stade se géométrisent, se rationalisent, tendent vers la représentation géométrale. Le dessin va être tracé à la règle ou à l’ordinateur, les mesures et les données du site apparaissent. Dans tous ces cas-là il sera question d’espace. De la représentation et de la perception de l’espace. Une fois le principe et sa contextualisation établis, la notion d’image mentale revient, mais sous une autre forme, comme un souvenir, témoin d’un espace. À un espace nommé x on associera


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sans peine un autre espace ou plutôt l’image d’un autre espace que l’on nommée y’. y’va nourrir l’image de l’espace x, logiquement appelé x, par le jeu du souvenir et de l’expérience personnelle. Le souvenir est une image poétique, il n’est par ailleurs pas étonnant de lire dans la poétique de l’espace de Gaston Bachelard que le souvenir prend part dans la perception de l’espace, non dans sa rhétorique, mais bien dans sa poétique platonicienne. « Mais, dans la rêverie du jour elle-même, le souvenir des solitudes étroites, simples, resserrées nous sont des expériences de l’espace réconfortant, d’un espace qui ne désire pas s’étendre, mais qui voudrait surtout être encore possédé »23 Nous avions tenté de parler de l’image perspective dans la partie « de l’attitude à l’image », en faisant attention de la distinguer, grâce aux mondes d’effets présentés par François Béguin, de l’image prospective qui veut avant tout renseigner sur le projet. La perspective, bien qu’outil roi de la représentation architecturale pendant

23. BACHELARD Gaston, la poétique de l’espace, p.29


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plus de six siècles, ne voulait pas renseigner, mais mettre en scène un point de vue. Aujourd’hui, elle est remise en question, surtout à propos de son utilité préalable. La perspective c’est l’image -non finie par excellence. L’image obéissant à une règle, celle des points de fuite, et subissant une autre règle, celle du point de vue. C’est l’image qui donne l’illusion que le sujet représenté dispose des mêmes caractéristiques physiques que celles existantes dans notre monde. Les peintres s’en sont rapidement saisis pour à leur tour saisir celui qui regarde l’œuvre. Donner l’illusion de la réalité sans pour autant qu’elle existe, qu’elle existera ou qu’elle n’a jamais existé. En architecture, c’est à ce moment-là, quand le projet a été fixé, que l’espace devient peu à peu relativement visible et lisible, qu’intervient un retour vers l’image mentale, celle où x=x+y’+…, l’image personnelle de l’architecte, finalement, celle qui reste dans sa tête. Il est question de beauté aussi, de beauté de l’observation des architectes vers les autres architectes. Parce que l’image antérieure à un projet se nourrit de souvenirs certes, mais aussi d’images fortes qui ont frappé par une émotion certaine l’observateur architecte. Ainsi l’architecte tessinois,


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Luca Ortelli, fervent admirateur dans sa jeunesse d’Aldo Rossi, raconte sa passion pour le maître, mais surtout sa passion pour les dessins du maître, le dessin dépassant tout, l’image reine : « Quand j’étais étudiant, j’admirais les écrits d’Aldo Rossi. […]Quand j’étais étudiant, j’admirais aussi les bâtiments d’Aldo Rossi. […]Quand j’étais étudiant, j’admirais surtout les dessins d’Aldo Rossi. J’y voyais une nouvelle manière de traiter l’architecture, simple et méticuleuse. […]Ainsi, j’observais les dessins, en essayant d’en imiter les techniques : la liberté d’invention ; le trait incertain, mais insistant des croquis ; les ombres fortes du projet pour le Palazzo della regione à Trieste ; les visions romantiques, presque néo-doriques, de la place de Segrate ; les perspectives de la casa della studente à Trieste ; les couleurs intenses du cimetière de Modène, avec ses perspectives infantiles et ses ombres irréelles ; les mille lignes croisées des ombres de tous les projets… Imiter ses dessins est à l’origine de ma passion pour l’architecture »24 24. ORTELLI Luca, Aldo Rossi, autobiographies partagées, p.47 img.41 : plan du cimetière de Modène, Aldo Rossi


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Maintenant, d’autres problématiques entrent en jeu. Notamment celle de la rentabilité, de la vitesse d’exécution et du réalisme de cette exécution perspective. Pour cela il faut une base qui soit une miniaturisation de la réalité. La réalisé mise à l’échelle de la pensée de l’homme, pour reprendre cette expression de Baeza, « l’architecte doit penser avec les mains »25. Cette mise à l’échelle en maquette par exemple permet la manipulation de l’image résultante du travail d’étude de projet. Ce n’est pas la réalité, ce n’est pas construit, mais la maquette n’est pas directement une image non plus, ce n’est pas aussi simple. La maquette est un objet qui implique un regard est un point de vue. Ainsi on va regarder dans la maquette, on va la manipuler, on va regarder les effets de lumière, les formes, la volumétrie et enfin l’intégration au site, la contextualisation. Donc, la maquette va devenir l’image du projet aspirant les autres et générant de nouvelles perspectives possible, la maquette intègre celui qui regarde dans un regard collectif sur l’image mentale. L’exercice de la maquette est aussi vieux voire plus

25. CAMPO BAEZA Alberto, op.cit., p.21


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encore que celui de la perspective. Certaines maquettes sont exposées, célébrée, comme la maquette de Antonio Da Sangallo le jeune26 [exécutée de 1539 à 1546] pour Saint-Pierre de Rome ou encore celle de Michelangelo [de 1558 à 1561] qui reste comme étant parmi les plus beaux documents se référant à la phase de projet de ce bâtiment aussi beau que démesuré — dans le sens où la mesure n’est plus l’homme, mais bien une entité divine, grande, très grande —. La maquette est dans un renouveau, les avancés technologique ont permis à des ingénieurs de mettre au point pendant plus de 20 ans des outils de modélisations 3D qui sont aujourd’hui démocratisés et quasi normalisés. L’utilisation de ces logiciels remet la question de la perspective à la main au plus haut point. Car le moment de la perspective étant aussi celui où le projet s’ouvre au reste du monde, où l’architecte cherche à montrer son image, sa perspective. Les attendus actuels sont de l’ordre de l’image instantanée, très réaliste et de synthèse. Sortant de ces normes, résultant aussi de techniques issues de la mondialisation de masse, il ne

26. img.42 : Maquette de Da Sangallo le Jeune pour St.Pierre


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demeure plus que quelques exceptions. Ainsi quelle est la différence fondamentale entre une maquette 3D et une maquette en carton ? Au-delà du fait trivial que l’une est une série binaire transmise à un écran et que l’autre est un assemblage de colle et de carton, il n’y a pas différences notables dans la relation à l’espace, en revanche vis-à-vis de l’expérience relative à cet espace, la différence est énorme. C’est sans crier « avant c’était mieux » que j’avancerai le fait que seule la maquette en tant qu’objet et non la maquetteimage-surface peut transmettre une juste perception de l’espace, dans l’image maléable et libre qu’elle donne, dans la mesure où la maquette ne ment pas, les défauts y sont visibles. Si nous revenions, un instant à Walter Benjamin : « Ainsi la réplique fut pratiquée par les maîtres pour la diffusion de leurs œuvres, la copie par les élèves dans l’exercice du métier, enfin le faux par un tiers avide de gain. »27 La notion même de maquette 3D, qui ne veut rien

27. BENJAMIN Walter, op.cit., p. 35


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dire en soit, desservirait l’œuvre elle-même. L’image antérieure, perdue d’avance, maudite, pousse l’architecte à la rechercher au plus profond de sa créativité, au moment de la fixer, il faut en faire le dessin. Il ne faut plus parler une langue élitiste et individualisante, mais la langue universelle du dessin géométral. Il faut parler plans, coupes et élévations et ce que nous allons tenter de faire.


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les images du projet


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« Le concept est le commencement de la philosophie, mais le plan en est l’instauration (…) Il faut les deux, créer les concepts et instaurer le plan, comme deux ailes ou deux nageoires. »1 Ce qu’il y a pendant

le plan en contour Le monde autour de nous est soumis à des lois physiques très strictes telles que la gravité terrestre ou encore celle des gaz parfaits : la loi est dure, mais c’est la loi, on peut bricoler cette loi, on peut la fabriquer parfois. Le plan est une illustration de ces lois par l’architecte, c’est une loi fabriquée. Il est concrètement la matière à penser de l’architecture, c’est l’image du projet la plus importante. On peut se demander si le plan, dans sa capacité à préciser une pensée architecturale, dans son 1. DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Qu’est ce que la philosophie ?, p44


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caractère mesuré, possède les mêmes caractéristiques que les autres images du projet comme la coupe ou l’élévation ? Bruno Zevi disait « ils constituent un des moyens fondamentaux de la représentation architecturale. »2. C’est le moyen de représentation des formes construites à la fois le plus répandu, mais aussi le plus incompris. Il y a plusieurs types de plans, des centaines, et il n’y a pas de plan pur. Le type de plan le plus visible et le plus utilisé est le plan coupé à 1m du sol ou de la dalle, même s’il n’y a aucune règle qui l’impose. Ce plan est en regard perpendiculaire avec une section dont la surface de coupe est horizontale. Ce type de plan est réservé à celui qui s’intéresse à la construction, à l’intérieur des murs, au contrôle de la chose construite ou en construction. Le monde autour de nous est aussi vide de construction humaine, rempli par la nature et par la vie, l’homme a rempli au fil des siècles une grande absence humaine, il a voulu par la construction se mettre à l’échelle de la nature. Aujourd’hui, faire un plan est un passage à l’acte compliqué, il demande une bonne connaissance

2. ZEVI Bruno, op.cit., p.21


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du site ainsi que des choix parfois difficiles à prendre, comme celui de couper un arbre, ou de raser une ancienne construction. Il ne peut être transposé d’un endroit à un autre sans créer d’importants problèmes. Par définition, le plan est une limite. C’est une frontière entre l’humain et le non-humain, le plan est une matière qui se pense. Néanmoins, il reste un simple outil de représentation du monde ainsi que de la vie humaine. En effet, le monde occidentalisé que nous connaissons aujourd’hui (a permis) le développement des villes ainsi que leurs concentrations au détriment de la nature qui s’aligne bien sagement dans les trous. L’origine de certaines de ces villes est un plan, à plus grande échelle, un plan des contours comme le plan de Chicago de Burnham, celui de Barcelone de Cerda ou encore celui de Paris d’Haussman. Le travail en plan met aussi en évidence une tendance que possède depuis des siècles la société occidentale qui est de contraindre trop souvent la nature. Car le plan de ville engendre l’inverse de la nature : l’urbanité. Qu’y a t’il de plus manichéen que le plan. Noir sur blanc, lignes tranchantes. Cependant qu’y a t’il de plus clair et de plus humain qu’un plan ? Attention tous les plans, ni tous les tracés ne sont pas humanistes, certains


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ont été les idées fixées des plus horribles tyrans. Revenons à la conception architecturale. Le plan n’est pas seul, mais il constitue une image décalée vis-à-vis de la coupe, de la façade ou de l’élévation. Il n’oriente pas le regard dans le même sens, on pourrait dire qu’il constitue, pour emprunter un terme d’analyse cinématographique, le « god’s eye »3 architectural, perpendiculaire au sol, dénué de perspective, dénué d’ombres humaines, le plan n’est que de la matière représentant de la matière. Il y a aussi une possibilité, un refuge, ce serait de dire qu’il n’y a pas de formule secrète pour dessiner un plan, mais étant une entité dessinée aussi importante que l’image mentale, toute l’attention de l’architecte va aller dans la formulation de la règle qui va diriger le plan. Cette règle délimite des contours, mais fait aussi le constat d’un vide intérieur, le vide dans lequel l’homme circulera peut-être et paradoxalement c’est sur celui-ci que se base l’architecture. Ce vide est délimité du monde autour par un passage, dans le vocabulaire architectural ce passage est appelé

3. ZOLLER SEITZ Matt, The Wes Anderson collection, 2013


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le seuil, par ailleurs, c’est un mot qui est partagé avec la philosophie ainsi qu’avec la psychanalyse. Le Corbusier dans son manifeste « Vers une architecture », compare un objet construit à une bulle, bien entendu voilà ici l’image de la règle qui va régir le plan : « Un édifice est comme une bulle de savon. Cette bulle est parfaite et harmonieuse si le souffle est bien réparti, bien réglé de l’intérieur. L’extérieur est le résultat d’un intérieur. »4 Le Corbusier, en grand professionnel du concept et de l’image, propose ici une méthode pour la construction du plan, «il faut procéder du dedans vers le dehors »5, d’autres bien entendu proposeront le contraire ou sortirons la phrase de son contexte théorique et manifeste. Mais il y a tout de même dans cette phrase la volonté qu’il devrait y avoir dans chaque plan, le travail de l’intérieur devrait être une mise en scène. Si le site, la ville et le contexte géographique, émettent des règles et des lois, qui s’ajoutent aux lois de la nature, d’esthétique et de 4. LE CORBUSIER, op.cit., p146 5. Ibid, p.146


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normes, le plan, lui, est presque libre contrairement à l’élévation par exemple. Bien entendu, il obéit aussi à des normes strictes, notamment aujourd’hui en France, mais il constitue un espace clos est caché du regard de la ville donc en effet presque libre ou en tout cas libre du regard extérieur, même si malgré cela « l’architecture à des limites »6. Le plan fait partie de ces images qui renseignent exactement la nature de la construction, c’est une image qu’il est difficile de décontextualiser, qui appartient au projet et à lui seul. Il n’appartient à l’architecte que pour un temps très bref, celui du projet justement, après il ne peut le réutiliser totalement. Il peut par contre en prendre des attributs, des détails qui ont précédemment fonctionnés - c’est l’image qui se réutilise, on pourrait dire une image qui reste-. Mais ils ont autant de liberté avec les plans des autres, dans une certaine mesure, sur son propre plan, l’architecte n’a pratiquement aucune liberté de reproduction possible, son intégrité ne vaudrait plus rien. Que vaudraient les cités radieuses de Le Corbusier si elles avaient été identiques et non

6. KAHN Louis, op. cit., p.49


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repensées en fonction de leur propre site ? Par ailleurs, ce plan souvent rencontré, coupé à un mètre, nécessite d’être mis en regard d’autres images pour être sain, d’autres plans, façades, élévations, coupes, axonométrie ou perspectives. Le plan est un langage autonome qui sert l’architecte, mais aussi le client, c’est l’image qui fait lien avec la philosophie complète du projet. Mais c’est aussi tout simplement l’image d’architecture qui fait le plus le « pont »7 avec la philosophie en tant que science des concepts. C’est un mot qui existe en philosophie et qui a le même statut que celui dont il profite en architecture. Deleuze et Guattari ont appelé « plan d’immanence » cette condition initiale de la pensée qui lui permet de s’orienter : « l’image qu’elle se donne de ce que signifie penser »8, les deux philosophes rejoignent ici Le Corbusier et la phrase que nous avons déjà citée « Faire un plan, c’est préciser, fixer des idées. C’est avoir eu des idées. C’est ordonner ces idées pour qu’elles deviennent

7. ATTALI Jean, Le plan et le détail, p. 18 8. DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, op.cit., p.20


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intelligibles. »9, c’est dans l’illusion des plans que Le Corbusier écrit cette célèbre phrase, le plan illusion serait selon lui le plan que l’on croit suffire à lui tout seul, sans autre image, l’image seule. Or l’architecture est faite d’images au pluriel, d’un collage d’échelles et de réflexions, l’architecture, même la plus pure, reste composite. Il y aura toujours un plan, une coupe et quatre élévations au minimum et non un tout comme une toile cubiste. Le fait que Gilles Deleuze ou Felix Guattari aient réfléchi au plan pose un problème très simple : le plan ne serait-il pas strictement qu’un cadre dans lequel se croisent et s’entrecroisent les idées, voire la lumière et le mouvement des personnes ? Néanmoins, qu’en serait-il si Le Corbusier et les deux philosophes avaient tort ? On retiendra ce que Pascal Urbain disait à-propos de cette phrase : « et bien non ! l’architecte peut être tout à la contemplation des plans, sans souci pour les idées qu’il eut et pour l’ouvrage qu’il aura. Comprendre l’architecture, c’est raconter l’histoire

9. LE CORBUSIER, op.cit., p.145


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des indifférences réciproques de l’architecte, de l’habitant, et de leur mutuelle indifférence à l’architecture construite. ». 10 C’est-à-dire que l’architecte ou le simple spectateur ne font pas attention à l’architecture construite, ne la regardent pas, se penchant davantage sur les actions humaines. Par ailleurs, le ton qu’utilise Le Corbusier dans Vers une architecture, et celui de la plupart des autres théoriciens de l’architecture, suppose que la notion de plan intervient dans d’autres domaines de la pensée et plus encore induit une idéologie fondamentale à l’architecture : l’idéologie du plan. Le plan tend alors à « absorber l’architecture comme l’une seulement de ses fonctions : le plan saute les traces de l’histoire et de sa typologie, il précède désormais ses propres tracés comme cadre préalable. »11. À travers cette réflexion brève autour du statut du plan dans les diverses représentations de l’architecture, il est aussi important de parler en images.

10. URBAIN Pascal, op.cit., p.21 11. ATTALI Jean, op.cit., p.24


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Ainsi, mieux que n’importe quelle autre image, le plan permet d’illustrer la pensée d’un architecte et par la même montrer que le plan génère d’autres images prospectives. Prenons une planche de croquis12 de l’architecte portugais Fernando Tavora, chef de file du renouveau de l’architecture portugaise du siècle dernier et maître de l’architecte Alvaro Siza. Il dessine tous les éléments prospectifs sur une même planche, dans un ordre que Yona Friedman appellera « l’ordre compliqué »13. L’odre compliqué est assimilable à l’ordre alphabétique, appris par cœur dans l’enfance mais qui ne relève pas d’une extrême logique en soit, à l’inverse de l’ordre simple des chiffres et des nombres. Tavora dessine le plan, puis la coupe, il barre le plan, recommence, met en couleur, effectue les façades, les façades deviennent perspective. Ses dessins tendent à représenter la complexité du mouvement constant de la pensée, combien il est difficile de fixer des idées, de décréter qu’elles sont finies. Tout ces choix s’effectue dans ce même ordre compliqué. 12. img.43 : croquis de Fernando Tavorà 13. FRIEDMAN Yona, op.cit., p.15


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C’est du plan, malgré les mises en garde de Le Corbusier que naissent les éléments géométraux qui rendent un projet d’architecture constructible. Face au plan on est forcé d’observer la mesure ainsi que d’essayer de comprendre l’image mentale de son (ou ses) créateur(s). Face au plan on comprend l’ordre et la dimension des choses. Le plan représente par ailleurs deux dimensions, il n’est pas une image finie en ce sens qu’il a besoin de la façade, de la coupe et enfin de la perspective axonométrique pour être complété. Enfin, face au plan, l’œil se nourrit d’informations. Dans « Apprendre à voir l’architecture », Bruno Zevi, prend l’exemple du plan de Saint-Pierre de Rome de Michelangelo, tracé par Bonanni. Zevi critique le plan de Bonanni, lui reprochant son détail trop élaboré et son manque de lisibilité directe causé par sa volonté de représenter un tout. Zevi propose de décomposer ce plan, de le simplifier.14 Finalement de lui rendre son statut d’image à travers un équilibre entre informations relatives au plan en lui-même et celles relatives au

14. ZEVI Bruno, op.cit., p.23-28, img.44 : plan de Bonanni


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programme du projet. On peut aussi se demander quel est le statut réel du plan en tant qu’image face à des production plus complexe ? Plus largement qu’en estil de cette cosa mentale emplie de sobriété face à une facilité de l’image qui se livre en entier et directement comme par exemple la perspective de concours.

le négatif, l’élévation, la coupe et le détail L’élévation est l’image du projet qui complète le plan. Elle ne prévaut pas sur lui, mais elle lui ait nécessaire pour finir son propos. J’ai en tête quelques images justement, des façades d’Aldo Rossi entre autres. Les façades colorées et vivantes qui remplissait un livre qui n’avait rien a faire dans cette bibliothèque de quartier. Aldo Rossi, dessins, 1990-199715, j’ai retrouvé ce livre et je trouve qu’il vibre autant qu’auparavant, voire plus encore. D’ailleurs, Paolo Portoghesi décrit lui même les élévations d’Aldo Rossi comme étant :

15. img.45 : façade perspective du projet du cimetière de Modène, Aldo Rossi


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« une manière d’exprimer pour lui-même le flux incessant des idées qui alimenterait une vie de recherche et, quarante ans plus tard, une floraison d’œuvres aussi magnifiques qu’inattendues, éparses dans le monde entier, tel du pollen déplacé par un ouragan. ». C’est une manière très poétique de voir le dessin d’architecture, une manière très belle de voir l’élévation. De façon plus pragmatique, qu’est-ce que l’élévation ? Par définition : (dessin d’architecture) « L’élévation est une projection sur un plan vertical d’une face de l’objet à représenter ». Il n’y a pas de coupe dans la représentation du projet en élévation, c’est une simple vue, sans perspective, plate, parfois ombrée, où l’on voit l’échelle quand on voit l’homme en contours. L’élévation se réalise en fonction du plan, suivant une échelle et un mode de représentation, elle est issue du plan et par cette ascendance elle est moins libre que lui. De même, elle représente l’ouverture ou la fermeture vers un extérieur. Pour illustrer cette phrase, on pourra voir la maison


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Latapie16 à Floirac de Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, qui comme un chevalier fermant son heaume, permet aux habitants de fermer (ou ouvrir) totalement la façade côté rue, tandis que celle, à l’ouest, côté jardin, s’ouvre comme une serre joyeuse sur l’intimité familiale. Ce parti-pris dénote l’importance de l’élévation dans la conception d’un projet au niveau de son intégration visà-vis du monde autour. L’exemple de Lacaton & Vassal fait intervenir la notion de mise en scène qui est très proche de celle de l’élévation. Ce type de projet justifie ici que le rôle de l’élévation, loin d’être surestimé, est déterminant. Le dessin de façade est directement issu, dans l’histoire de l’architecture, de cette idée de théâtralité urbaine. l’édifice fait face, et il fait face à celui qui le regarde. L’élévation s’oppose clairement au plan d’un point de vue strictement perceptif. On est à l’extérieur, on observe l’édifice sans y pénétrer, on y pénètre par la coupe, ou par le plan. Parfois l’élévation va parler seule, unique, quand le plan lui devra se multiplier dix voire quinze fois, c’est le cas pour notamment les élévations

16. img.46 : Maison Latapie, Lacaton et Vassal, Floirac


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de tours ou de monuments, pour prendre un exemple de l’histoire de l’architecture du début du siècle assez représentatif de l’idée de l’effacement du plan devant l’élévation : la tour Tatlin17, de Vladimir Tatlin (1920). De même, lors d’un chantier ou pendant la période de livraison du bâtiment, on pourra voir l’élévation ou la perspective affichée sur les bardages en tôle provisoires . Le regard se confronte à une enveloppe extérieure, par analogie l’image engendrée par ce regard reste au-dehors. Plus simplement, l’élévation permet de comprendre la dimension extérieure du bâtiment. Ainsi, on peut dire que c’est une image qui renseigne plus sur la perception urbaine que sur la perception d’un vide habitable. Cependant, bien qu’apportant à l’échelle du bâtiment une dimension verticale nécessaire, elle ne permet pas d’apréhender une dimension de profondeur comme pourrait le faire le plan ou la coupe. C’est pourquoi, accrochées sur les barrières d’un chantier, les plaquettes d’élévations font office de préparation visuelle et mentale aux futures façades. En ce sens on peut dire que l’élévation représente un document

17. img.47 : élévation de la tour Tatlin, 1920


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prospectif, qui renseigne sur des dimensions, utilisé comme un document simplment perceptif, de l’ordre des perceptions, du moins pour le public extérieur. Toute ironie mise à part, il y a un art dans lequel excellent les nouveaux livres de banalisation de l’architecture contemporaine, c’est celui de la comparaison des façades et plus précisément de leurs contours, leurs silhouettes. L’analyse de la silhouette des tours par exemple pour en confronter leur hauteur. Ici, l’élévation a perdu presque toutes ses richesses, elle garde une ou deux informations, comme sa hauteur et son contour, anecdotiquement placés ensemble, alignés sur le mur des tours prisonnières. La coupe en revanche reste un type de représentation très utilisé dans le bâtiment, notamment lors du chantier, pour renseigner sur la mise en œuvre d’un élément architectural mais aussi lors du projet théorique. La coupe permet, encore davantage que l’élévation, de mettre en évidence la notion corbuséenne de « bulle de savon » qui enveloppe l’espace vide. C’est une vue en eclaté de l’image mentale, une image totalement contrôlée. En effet, la coupe n’est pas une image qui ment comme pourrait l’être l’élévation ou


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la perspective, car tout y est visible  ! Les matériaux contenus dans l’épaisseurs des murs, ceux du plafond et du toit, leurs dimensions, c’est en quelque sorte la carcasse ouverte de l’édifice. À l’inverse de l’élévation, elle ne renseigne cependant pas sur la perception que l’on pourrait avoir des éléments architecturaux, mais plutôt sur la démystification de l’objet en gestation : on peut dire qu’elle dévoile un secret de la façade. La casa das historias Paula Rego18 d’Eduardo Souto de Moura en est un exemple, la coupe permet de comprendre le fonctionnement des cheminées rouges, en vérité puits de lumière. On entre alors dans la matière même. Ainsi, lorsque la perspective, le plan de toiture et l’élévation tournent autour de l’objet, la coupe et le plan d’étage rendent compte, quant à eux, d’un intérieur et d’un vide prédominant : le regard est aspiré dans les entrailles du projet. La coupe met en évidence l’élément coupé, souvent en gris, mais encore plus souvent en noir, par ce qui s’appelle le trait de coupe. Le trait de coupe est une

18. img.48 : coupe et photo de la casa das historias Paula Rego.


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entité importante du dessin d’architecture, il représente la limite entre ce qui est modifié et pensé. On pourrait aller jusqu’à dire que tout ce qui est coupé est en quelque sorte pensé, de même que le contraire est vérifiable. Ainsi, plus que l’inverse du plan d’étage et de l’élévation, la coupe est un négatif hybride qui rassemble le renseignement vertical de l’élévation ainsi que la notion d’espace vide intérieur du plan. Mais comme nous l’avons dit, la coupe dépasse largement ces deux entités «parentales» par son traitement intense de la lumière. Cela se ressent dans le travail de certains architectes comme encore une fois Souto de Moura ou bien l’espace tranché par la lumière de l’architecte espagnol Alberto Campo Baeza, de Louis Kahn ou de Le Corbusier - et sans aucun doute de beaucoup d’autres-. La coupe est un des meilleurs outils de représentation de l’effet de lumière en architecture. On pourra dire que ce qu’il reste de la coupe serait une certaine idée de la lumière légère ainsi que l’ombre occupant le vide d’un projet entouré par des masses lourdes et solides. C’est aussi ce que l’architecte suisse Peter Zumthor tente d’exprimer à travers ses


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croquis en coupe des thermes de Valls19 notamment, des dessins qui par ailleurs dépasse le simple projet, le chantier ou autre, des dessins - et des desseins - en coupe qui s’imposent au même titre que le bâtiment lui-même dans le domaine de la perception, c’est ça aussi une image qui reste, mais nous y reviendrons. À Braga, au Portugal, Souto de Moura réalise le stade de football20 de la ville comme on réalise un exploit. Il colle littéralement cette entité artificielle, à la paroi rocheuse et dense de la colline le surplombant. Le stade est en béton, il ne fait pas pâle figure face à la roche, on dirait qu’il en sort. Pour accéder au gradin, Souto de Moura, met en évidence un escalier dont il prolonge les paliers pour laisser comprendre leur logique. L’escalier, plat, et non accessible orne les bords du stade, la coupe représentée sur l’objet construit, comme principe fondateur de celui-ci. De même, la casa Guerrero21 de Alberto Campo Baeza est basée elle aussi sur un principe formel en coupe, un principe invisible en 19. img.49: coupe des thermes de Valls, Peter Zumthor 20. img.50: escalier-coupe, stade de Braga, Portugal, E.Souto de Moura 21. img.51 : croquis de la coupe, casa Guerrero, A.C. Baeza


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réalité, mais ressenti. La lumière souligne ce principe. On peut dire que l’élévation présente une perception sur le papier, en dessin, mais une fois réalisé on la comprend scientifiquement et on en établi le lien direct avec le plan, la coupe de principe, elle, s’exprime de l’intérieur pour un rendu invisible, mais perçu de manière subtile. Plus simplement, un projet peut se comprendre comme une composition de documents prospectifs et perceptifs (plans, coupes, élévations, axonométries, perspectives). Cependant, on remarquera souvent qu’un document parmi tous supplente les autres, la coupe souligne parfois des projets intéressants par leur structure ou par le traitement qu’ils vont faire de la lumière. Comme exemple, on pourrait citer entre autres la coupe de la cité radieuse22 de Le Corbusier à Marseille. Ou encore dans la first unitarian church23 de Louis Kahn. Pour ce dernier, c’est la coupe du projet théorique qui s’exprime et par elle une certaine idée de la lumière. On peut alors se demander : quelle serait l’échelle idéale pour que la coupe exprime au mieux le principe central d’un projet ?

22. img.52: principe de construction en coupe, cité radieuse de Marseille 23. Cf : img.34


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La coupe est aussi la base théorique du principe du détail. Le détail appartient au projet, mais n’y est pas aussi attaché que les autres points de vus. Il est plus libre, car il représente une autre échelle, on pourrait presque dire un autre monde. Rem Koolhass dira « Les critiques disent que les détails de (nos) projets sont tout simplement mauvais, et moi je dis qu’il n’y a pas de détail, il n’y a que le pur concept »24, on le sent, c’est le talon d’Achille de l’architecte. C’est aussi là-dessus que son œuvre sera jugée, sur le détail, non en tant que représentation, mais qu’exécution, à la manière d’un sculpteur. Or, l’architecte n’est pas sculpteur, et même si Rem Koolhass va vite en disant que le détail n’existe pas, nous avons du mal a être en total désaccord avec lui, mais il parle plus du détail une fois mis en œuvre que du dessin même de ce détail, nous c’est le dessin qui nous intéresse. Ici, l’image pose problème, l’échelle aussi. Parce qu’ici se rencontrent l’architecture d’image et l’architecture construite. Le point médian de l’architecture que nous avions pensé être la perspective lors de la première partie de ce mémoire serait plus proche du détail. Plutôt que point

24. ZAERA POLO Alejandro, finding freedoms : conversations with Rem Koolhaas, El croquis, 53, 1992


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médian et d’équilibre, le détail serait un point tangent et de rencontre de deux mondes totalement différents. La théorie et la pratique. Jean Attali appelle le détail « un espace entre architecture et construction »25 pour souligner justement ce fait qui est que le détail fait le lien entre le domaine du construit et celui de l’image. Le détail en cela n’est plus vraiment une image et il n’est pas encore un objet construit, c’est un trait d’union. L’échelle particulière du détail architectural fait que parfois l’homme n’y apparait pas26, il n’y a que de la matière, en cela le détail est à rapprocher du plan, mais on voit aussi, légendé, l’intérieur des murs, cette matière même. Le détail dépasse la simple coupe et devient une coupe technique. Comme la coupe le choix de l’endroit où le trait de coupe va faire effet est très important. Il faut couper sur un endroit remarquable, il faut prendre des risques et encore une fois prendre des décisions. Avec le détail, on est très loin de l’image mentale vague et à la fois très proche, il marque une limite dans l’échelle comme le plan de masse avant lui. On peut se 25. ATTALI Jean, op.cit., p.160 26. img.53: Détail de la casa Guerrero, A.C. Baeza


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rendre compte aussi que lors de la démarche de projet, nombreux sont les architectes qui pensent aux détails, notamment Alvaro Siza, le détail est représenté chez lui avec la même importance que des vues aériennes ou des plans de masse. C’est le choc de l’échelle et aussi la grande difficulté du métier d’architecte : de jongler du micro au macro mais aussi du vide à la matière. En effet, si la coupe à grande échelle exprime un vide - «bulle de savon» - le détail, lui, exprime un plein fait de matière.

les points de fuite Et puis il y a la fuite. La fuite aussi architecturale qu’homérique. Là où l’architecte se fait faiseur d’images. Le moment de la perspective de projet, celle dite « montée » et sérieuse est un moment pour ainsi dire très spécial. Le projet en est encore au stade du plan et du détail quand l’image se réalise. Aujourd’hui, de manière très simple, un modèle 3D issu du plan, un point de vue, un outil de rendu, quelques heures d’attente et pour finir, Photoshop. Cela ressemble à une recette de cuisine mais après tout la perspective n’a t-elle pas toujours été « la regola » dont parle Damish dans l’origine de la perspective ? C’est une règle claire du point de vue, en


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cela les perspectives actuelles sont construites selon une méthode du passé. Il est intéressant de remarquer en revanche le retour à un certain académisme de la perspective, de façon massive, mais si les exceptions ont toujours existé, la perspective de concours est souvent très Beaux-arts. Je me souviens d’un cours de théorie de première année dans lequel mon professeur, Pascal Urbain, nous faisait remarquer à quel point il existe une ritournelle dans l’histoire de l’architecture entre autre. Un cycle qui peut se vérifier dans d’autres disciplines, mais avec parfois moins de constance et de visibilité. Plus qu’un cycle, c’est un véritable rythme entre les périodes classiques, renouveau baroque, et interprétation maniériste et réinterprétation néo-classique. Je pense qu’aujourd’hui nous traversons une période académique et classique au niveau de l’image perspective. Le meilleur endroit pour vérifier cela reste le concours. Il y a de la diversité dans les formes, dans les matériaux, dans les sites choisis, mais souvent on peut confondre une image avec une autre, le point de vue est identique, le traitement de la lumière est similaire. Plus simplement, le sujet de l’image change mais la forme, elle, se standardise. De la même manière je me souviens de l’évocation du


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concours de l’arche de la Défense27 - en voilà une autre d’image qui reste ! - ce dessin à l’encre de Johann Otto von Spreckelsen, choisi parmi les kilomètres de planches de projets. Je trouve cette image magnifique. Malgré tous les efforts que l’on peut faire pour travailler un projet, le rendre réalisable, intelligible, et beau si l’image mentale disparait : il n’y plus rien. Or le projet de l’arche de la Défense était juste une image mentale, un rêve, la géométrie asservie dans les nuages de Paris, aujourd’hui ce que l’on voit à la défense, devant l’arche ce n’est pas la poésie du dessin, mais plutôt la brutalité des matériaux d’un rêve pas préparé à devenir réalité. Le concours c’est le lieu de l’image, la perspective de concours se doit d’être exigeante, mais aussi libéré des carcans de représentation classiques, la perspective de concours doit juste être libre où alors donner l’impression de l’être, mais dans ce deuxième cas le résultat ne sera peut être pas l’équivalent de l’image. « Il y a deux gros types de concours en France : Le concours ouvert, national ou international, non rémunéré, anonyme ou non , qui permet théoriquement

27. img.54 : Dessin de concours pour l’arche de la Défense, 1982


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et démocratiquement l’émergence de talents nouveaux et inconnus, mais où l’on se prive très souvent des meilleurs et donc à priori des architectes connus, car ces derniers sont très demandés par ailleurs et ne désirent pas être mis en concurrence avec n’importe qui par le processus de sélection de l’anonymat. Le concours restreint, rémunéré mais où il faut d’abord être choisi, donc connu par les médias lus et regardés par les responsables ou décideurs. »28. Dans de nombreux cas l’image de concours est effectuée par une agence indépendante de perspectivistes. Une des plus connue en France est Luxigon. Luxigon fait des images, de belles images au sens où on l’entend dans le domaine du concours aujourd’hui, mais ce n’est encore une fois qu’un point de vue. Qu’est ce qu’il fait que les perspectives de Luxigon soient de «belles images»29 ? Elles sont acceptées par l’administration et valorisées par les architectes, des architectes qui délèguent leur image. En revanche, l’agence Norvégienne, MIR30, produit des 28. JUNGMANN Jean-Paul, op.cit., p120-121 29. img.55: Projet de l’avenue Foch, perspective de Luxigon, 2014 30. img.56 : Waste City, projet théorique, perspective Mir, 2014


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images d’une extraordinnaire qualité de rendu, réaliste au point que ça en devienne troublant, mettant une fois de plus l’accent sur le rapport étroit qu’entretiennnent les images de rendu avec leur modèle qui est la réalité. Brunelleschi a montré l’efficacité de son outil perspectif, la tavoletta, grâce à un monument construit : le baptistère du Dome de Florence. Ici, l’effet recherché est le même seulement il n’y a pas d’objet construit. L’image de concours sert de support à notre perception future, à la tavoletta contemporaine. Cette fuite peut aller jusqu’à l’infini, lignes parallèles quelque soit l’univers, quelles que soient les dimensions. C’est l’axonométrie : image inverse de la perspective de concours par son caractère à la fois prospectif et perspectif. L’axonométrie est une image du projet qui renseigne sur une certaine idée de l’assemblage du bâtiment. Elle est spéciale cette image, elle est le plus souvent issue du plan et de l’élévation, mais parfois aussi de la coupe ou du détail. La règle de construction axonométrique est simple, les lignes de fuites rejoignent un point de fuite situé à l’infini. Elle se pose donc comme contrepoint


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théorique de la perspective. L’axonométrie est encore une image prospective comme le plan, la coupe et l’élévation. Il est étonnant de voir que l’usage que l’on fait aujourd’hui de l’axonométrie comme moyen de faire du projet est un fait assez « récent », « On peut en effet dater très précisément la naissance moderne de l’axonométrie : elle a lieu à l’exposition De Stijl tenue en octobre-novembre 1923 à Paris (galerie de l’effort moderne), où les dessins de Van Doesburg31 et van Eesteren provoquent la stupéfaction générale. L’exposition des mêmes dessins quelques mois plus tard à Weimar, lors de la rétrospective de van Doesburg au Landesmuseum, engendre la même surprise émerveillée, et c’est à bon droit que van Doesburg souligne leur effet immédiat sur le dessin architectural du Bauhaus. Certes, cette institution avait déjà produit de très belles planches axonométriques : c’est qu’au Bauhaus l’influence d’un autre défenseur de l’axonométrie s’était déjà fait sentir, celle de Lissitzky, qui l’utilisait dans sa peinture Proun32 dès 1919. C’est lui qui confirme la naissance de cette image éblouissante qu’est l’axonométrie »33. 31. img.57: counter construction, Theo Van Doesburg, 1923 32. img. 58 : Proun, Lazar Lissitzky, 1919 33. BOIS Yves-Alain, images et imaginaires d’architecture, avatars de l’axonométrie, éditions du centre Pompidou, Paris, 1984


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En effet l’axonométrie est apparue plus ou moins en même temps que le cinéma, c’est une des représentation dite « moderne » de l’architecture. Aujourd’hui on parlera ou on entendra parler de réminiscence moderne sans pour autant noter que finalement dans les représentations actuelles il y a davantage de réminiscence Beaux-art. En revanche, cette forme de représentation de l’architecture, qu’est l’axonométrie, se limite strictement à la mise en forme volumétrique. Ici, pas de séquence, pas de mise en scène, pas de lumière, pas d’échelle humaine et pas vraiment de masse. Dans cette limite il y a la forme et il y le volume. Certains architectes se sont essayés à mélanger les types de représentations avec l’axonométrie que cela soit le plan, la coupe ou encore le détail voire les trois ! L’axonométrie permet de fusionner sans accroches les différentes représentations du projet, elle permet l’hybridation, mais en effet, on est de plus en plus loin de l’image mentale initiale. Et c’est cela qui créer un moment intéressant dans l’analyse. L’axonométrie pour un novice en architecture est une image assez difficile à comprendre, il en va de même, en pire, pour l’axonométrie de détail en coupe. Mais pour l’amateur d’architecture qui voit ce document c’est tout sauf abstrait.


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L’axonométrie permet de constituer l’image mentale chez l’autre, celui qui regarde. Elle met la précision du détail, la sensibilité de la coupe au profit de la représentation mentale du projet. L’axonométrie de ce point de vue ressemble à une maquette plane et à la maquette 3D, mais se différencie de la maquette classique. L’axonométrie ne représente une réalité toute relative, rappelons-le, les points de fuite sont à l’infini, elle est donc aussi crédible vis-à-vis de la réalité pure que la fameuse tentative de Yona Friedman de rejoindre l’infini mathématique en additionnant le chiffre +1, c’est impossible, il le dit lui même : « en effet par l’addition nous restons toujours dans le fini. En partant de l’infini, à l’aide de soustractions, nous ne pourrons pas quitter l’infini. Il n’y a pas de pont entre le fini et l’infini »34, l’axonométrie, pur produit géométrique appliquée à l’architecture, cultive cette tendance dualiste vis-à-vis de l’infini et de la réalité. Les lignes de fuites le sont jusqu’à l’infini. Et le fait de se rapprocher de cet infini théorique ne metil pas à distance celui qui va observer l’axonométrie au même titre qu’une perspective ? L’axonométrie n’est pas une perspective.

34. FRIEDMAN Yona, op.cit., p. 40


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On peut dire que l’axonométrie ne renseigne pas le domaine du visible, c’est une non-image, elle met en forme des dimensions - elle les déforme ?- pour qu’elles soient lisibles dans le cadre purement théorique et mathématique. C’est une image du projet si et seulement si on la place dans la théorie de ce projet, dans la phase de conception. Pour simplifier, c’est une image d’avant qui arrive presque après.


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les images d’après


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« Le visible n’est que le dernier échelon dans l’évolution d’une forme historique. Sa révélation. Son accomplissement véritable. Ensuite elle se brise. Et un monde nouveau apparait. »1 Ce qui suit

le cadre composé « Je passe la journée à prendre des photos. Ô le miracle de la photographie ! Brave objectif, quel œil surnuméraire précieux. Je me suis offert un fameux appareil. C’est toute une histoire que de travailler avec. Mais les résultats sont parfaits et depuis avril, je n’ai pas raté une plaque. »2

1. Mies Van der Rohe, vers 1950, l’art difficile d’être simple, 2001 2. Lettre à l’Eplattenier, 18 juillet 1911 à Istanbul, in Le Corbusier, Lettres à Charles l’Eplattenier, Paris, Le linteau, 2006, p.278


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Le Corbusier l’avait bien compris, la photographie est un médium plus qu’intéressant vu à travers le prisme de l’architecture. C’est un moyen de diffusion des œuvres, un moyen de diffusion d’un point de vue, d’une idée, de concept et j’en passe. Au départ Le Corbusier se suffisait d’images mentales : « Les images mentales qu’il accumule semblent cependant lui suffire, puisqu’il ne paraît pas ressentir le besoin d’en conserver un témoignage tangible sous la forme de tirages. »3 Il y a donc dans cette volonté de photographier l’architecture qu’on eu les architectes, une seconde volonté, plus puissante, de vérifier cette image mentale et ce qu’il en reste, de vérifier la persistance de l’image. L’image d’après projet est fascinante. Elle fait, comme celle qui précède le projet, état d’une présence, elle fait trace. Tout d’abord comme toutes les images dont nous avons parlé, l’image d’après possède un caractère multiple. Elle est à la fois photographie, texte, film, peinture, dessin, poème voire chanson. Nous ne pourrons pas nous intéresser de manière exhaustive à chacune d’elles, mais nous essaierons d’établir au moins quelques présentations. Bien qu’il ne soit pas question ici de faire des parallèles en surface entre les arts, mais plutôt de montrer en quoi certaines images ont 3. HERSCHDORFER Nathalie, Construire l’image, Le Corbusier et la photographie, textuel, Paris, p.17


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participé à la persistance d’une image en architecture. La faisant sortir du temps. Par définition, la photographie d’architecture est au service de l’architecture pas de l’architecte, pourtant pendant longtemps et parfois encore aujourd’hui l’architecte a voulu contrôler le droit à l’image de sa réalisation, à juste titre, ce contrôle est ce que les modernes appelaient « le contrôle total du point de vue », une photographie ordonnée, qui n’est finalement qu’une variante de la photographie enchaînée, en deux mots : non libre. Pour en revenir aux définitions, la photographie d’architecture se compose de la même manière qu’un plan — par ailleurs, nous y reviendrons, mais le mot « plan » est utilisé au cinéma pour parler d’un cadre composé —, se construit suivant des règles très strictes, des lois. La loi pour le photographe est aussi sa limite, c’est le cadre de l’objectif. Son point de vue est orienté, et limité, en cela une photographie n’est pas comparable à la complexité d’un regard elle en est son schéma, sa simplification. Elle est un regard choisi et découpé. Ce n’est qu’avec le mouvement moderne que la photographie sera intégrée réellement comme outil de compréhension de l’architecture, finalement comme image importante. Des revues d’architectures s’ouvrent à la photographie,


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comme Domus4 ou l’esprit nouveau5 qui l’utilisent à de nombreuses reprises. La photographie donne la possibilité à ces artistes ou architectes de revendiquer le domaine du construit et celui du faisable, car par extension, ce qui a été photographié a été construit donc faisable. Mies Van der Rohe et Le Corbusier construisent très peu au début de leur carrière, c’est avec les premiers manifestes du mouvement moderne que leurs édifices seront photographiés, plus que les autres, sous-entendant qu’il y a quelque chose à voir, qu’il faut venir voir. C’est la diffusion moderne de l’architecture. Une architecture futuriste appelée « moderne », construite, à l’image d’une société qui va de l’avant, une société « en progrès », une architecture qui se propage plus aisément par le papier que par le construit. C’est une architecture qui s’est exprimée par le papier. Je pense que c’est là la grande erreur des modernes. Ils ont voulu changer le monde en criant « Tabula rasa ! », refusant de montrer le passé en image, montrant seulement le futur, ce futur était devenu une fiction. C’est la fiction qui c’est installé la faute à une volonté de diriger le regard des photographes de la première heure du siècle 4. img.59: une de Domus, 1930 5. img.60: photographie du siège de la rédaction de l’esprit nouveau


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dernier. Ainsi, Le Corbusier, pour contrôler son image, contrôlait aussi ses photographes et ce n’est qu’à partir des années 50 qu’une poignée d’entre eux ont pu jouir d’une meilleure considération de la part de l’architecte suisse, notamment René Burri, Pierre Joly,6 Véra Cardot et Ernst Sheidegger, mais d’entre tous c’est Lucien Hervé7 qui va s’imposer comme étant l’œil pensant de Le Corbusier, ce photographe libre qui fige la lumière dans le mouvement et l’architecte dans la pensée. Le photographe libre part en chercheur, découvreur. Il veut saisir l’image mentale, il ne veut pas embellir une chose, il veut lui rendre sa potentialité mentale, rendre justice à une idée. Pour cela le photographe va souvent s’attarder sur le détail de l’architecture, la petite échelle ou bien encore la grande, le photographe va analyser à quel moment l’édifice « fonctionne ». Mais aussi la beauté d’une matière ou d’une vue. De cette manière aussi l’architecture se diffuse et aujourd’hui on visite certains bâtiments non pas parce que l’on en a vu le plan, mais parce que l’on a pu voir une image de celui-ci. Le cadre photographique n’est donc par définition pas réellement différent des contours d’un plan, de ceux d’une feuille ou ceux d’une parcelle. « Cadre » est un 6. img.61: Photo d’une cité radieuse, Pierre Joly 7. img.62: Photo d’architecture, Lucien Hervé


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mot de vocabulaire, qui circule et qui symbolise la bonne entente dont font preuve l’architecture et la photographie. Un cadre est issu d’une composition théorique et spontanée à la fois. L’influence de l’image photographique est telle que certains bâtiments vont être préservés de l’oubli du temps par la simple image, sans retouche, sans enjolivure. La photographie parfaite. C’est aussi à travers cette illusion de la photographie que les artistes et les architectes vont se reconnaitre. Il y a t’il un point de vue en photographie ? Par définition, oui. Mais en théorie, la photographie brute est censée rendre compte d’une réalité, en donné la reproduction parfaite par l’image. C’est une course contre le vent. Les architectes comme les cinéastes ont souvent voulu prouver leurs points de vue objectifs par le médium photographique. Ces tentatives font d’eux des menteurs, ou des dupés. Rien n’est libre en photographie, pas même le point de vue, pas même les doigts du photographe, tout obéit à la loi du cadre et celle du choix du moment d’obturation. En ce sens, la vidéo brute comme moyen de représentation de l’architecture est plus soumise à des surprises et au hasard, mais la perfection objectiviste n’est pas pour autant atteinte, et dans ce cas, seraitelle une perfection ? L’intérêt que l’on porte à l’image n’est-il pas dans la trace que le faiseur d’image a laissée en son sein, comme le peintre préhistorique et les


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contours rouges de sa main ? Jean Baudrillard dira avec véhémence et radicalité : « Il y a toutes sortes de modalités de cet effet pervers dans la relation de l’image à son référent, de cette confusion virtuelle de la sphère des images et de la sphère d’une réalité dont nous pouvons de moins en moins saisir le principe, de cette séduction diabolique des images. Nos images techniques, nos images modernes, photo, cinéma, télévision, sont dans leur immense majorité beaucoup plus figuratives et réalistes que celles des cultures passées. Mais c’est précisément là où elle prétend à l’équivalence, à la ressemblance analogique, à la vérité objective que l’image est la plus immorale et la plus perverse. Déjà le miroir et son apparition ont introduit dans le monde des perceptions un effet ironique de trompe-l’œil, et on sait quel maléfice s’attache à l’apparition du double. »8. Bien entendu, le point de vue de Baudrillard est extrêmement violent, mais ses mots et son vocabulaire entrent en résonnance avec le questionnement qui précédait cette référence, lui portant un reflet « maléfique ». Parmi les photographes ayant intégré l’idée de limite et de rapport à l’infini il y a l’étonnant

8. BAUDRILLARD Jean, La transparence du mal — essai sur les phénomènes extrêmes, éd. Galilée, Paris, 1990, p.15


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Massimo Listri9 qui tente de se mesurer aux panneaux italiens de perspectives classiques comme celui d’Urbino dont nous avons déjà parlé. Massimo Listri centre ses photos tout en laissant apparaître une très importante profondeur de champ. L’infini y est représenté, inaccessible, par la profondeur. Ces photos sont froides et belles, elles portent aussi avec elles cette charge de l’infini, comme une malédiction, ces photos sont aussi angoissantes qu’un manoir sanglant et kubrickien. On ne parle pas d’architecture, on n’écrit pas sur l’architecture, les bibliothèques d’architectures sont vides, les architectes se raréfient, les chantiers s’organisent, s’arrangent, pourquoi devrons-nous nous intéresser encore à ce vieux savoir-faire ? Parce qu’il nous nourrit d’une substance essentielle à notre bienêtre, « ce vieux savoir-faire » nous donne à voir des choses de l’espace et du temps. Sans architecture comment ressentir le temps ? Deux phénomènes naturels sont à l’origine de la représentation mentale de l’architecture, le silence et la lumière pour reprendre le titre du célèbre livre de Louis Kahn. Le silence et la lumière soulignant les sons et les ombres, créant profondeurs et réalités humaines, réalité

9. img.63: Photographie «infinita», Massimo Listri


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de l’imaginaire de l’architecte. Si personne ne regarde attentivement l’architecture, c’est qu’il y autre chose à regarder. L’homme qui se rend à une exposition de photos d’architectures voit des photos d’architectures prises par des photographes d’architecture à travers l’objectif de leur appareil. L’œil est nu, une fois de plus. Ce qui nous intéresse dans la représentation de l’architecture c’est cette capacité éminemment humaine qui est de pouvoir diluer en quelque sorte notre regard dans celui d’un autre, cet autre ici est inconnu. Un autre lui-même dilué à l’intérieur de lui-même. Plus simplement, et dans le sens inverse, l’architecte concevant un projet s’inspire, regarde, sent des éléments influents autour de lui, du sourire furtif d’une belle personne, aux mouvements de guerre télévisuelle pour finir sur la texture d’un béton haute capacité. Cet architecte, comme tous les architectes, comme tous les « concepteurs », a un regard dilué. Dans la même logique, le spectateur de l’exposition profite de cette multitude infinie de regards, la synthèse photographique : la photosynthèse végétale n’est pas loin en principe. On pourra noter à titre d’exemple ce peintre rococo,


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Gian Paolo Panini10, qui peignait indéfiniment des galeries de musées remplies par des œuvres en tout genre. Certaines d’entre elles représentent des édifices, représentent l’architecture en mise en abyme. Il y a des hommes dans ces tableaux, et parmi eux personne ne regarde les tableaux d’architecture, ils regardent leurs portraits. Ils regardent leurs statues, leurs silhouettes grecques et leurs yeux blancs, lointains et froids. Personne pour l’architecture. Pour revenir à une expression relevée lors d’un le cours de Pascal Urbain, c’est « l’indifférence » vis-à-vis de l’architecture, et cette indifférence désillusionnée a le goût d’une tragédie. D’autre part, le peintre Français Hubert Robert, réputé lui aussi pour ses tabeaux ayant comme sujet la galerie de musée, est allé plus loin que son homologue italien. Les tableaux de Hubert Robert représentent une image postérieure du musée, mais aussi une image rêvée, car souvent, la grande galerie du Louvre est représentée en ruine11. La trame de fond est donc menée par une problématique architecturale, le premier plan quant à lui traite de l’homme ayant oublié l’architecture. Ses tableaux sont aussi composés d’effets de (silence et) de lumière, ils 10. img.64: Galleria di quadri con viste dell’antica Roma,GP. Panini, 1758 11. img.65: Grande Galerie du Louvre en ruine, H.Robert, 1798


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restent totalement incompatibles visuellement avec le vocabulaire architectural actuel, toutefois en faire une confrontation peut-être intéressant. L’image folle. C’est volontairement que nous avons que très peu écrit à propos des photomontages exceptés les quelques lignes sur l’académisme des images du concours d’architecture. Car c’est d’une forme atypique de photomontage qui va nous intéresser ici. Le photomontage fait à partir de photo existante, celui qui déforme l’image finale d’un édifice, jusqu’à, dans certains cas, le rendre méconnaissable. Certaines images iront même jusqu’à faire disparaître l’édifice ou la ville représentée, par la surabondance d’un même motif. La théorie de la rue classique, de la perspective, poussée à l’infini. On a déjà pu voir Massimo Listri pour la photographie brute, cadrée, mais pour le photomontage il faut intégrer l’influence d’une autre école que celle de la renaissance. Une école qui ne se revendique pas classique, celle du surréalisme et dada. Le type de photomontage qui va nous intéresser, l’image folle questionnant les fous, n’est autre qu’un cadavre exquis dénué de vulgarité — ce n’est pas un « patchwork » : misère du vocabulaire — dans ce


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cadre le travail de Jean-François Rauzier12 est tout à fait surprenant. Il nomme ses images « Paris », « Château », « Montjuic », « Time Square », des noms de lieux qui appellent des images très précises chez chacun de nous et il les déforme, il les pousse jusqu’à leur paroxysme, leur ultime limite, il en fait même parfois un peu trop, mais ce « trop » est justifié par le fait qu’il souligne un trait de caractère de nos sociétés et notamment notre société occidentale : l’exubérance héritée du Rococo, dans nos villes comme dans nos frigos.13 Rauzier remet en cause le consumérisme en montrant une architecture mutante, cellulaire, où l’haussmannien construit sur l’haussmannien, vue qui, sorti de la photographie, nous permet de relativiser les théories de villes spatiales de Yona Friedman, « L’architecture ne progresse que par les projets imaginés. Quand un projet imaginé se réalise, il perd toute sa valeur : le projet se banalise »14. Pour illustrer, mais pas seulement, cette phrase de Yona Friedman, nous pouvons évoquer un projet de Peter Cook, leader du groupe d’utopistes Archigram durant 12. img.66: Chateau de Versailles, photomontage de JF Rauzier, 2010 13. img.67: Skyline à étage dans un frigo. 14. FRIEDMAN Yona, op.cit., p.41 ,

img.68: architecture without building, parfois l’intérieur de nos frigo est plus rationnel qu’une représentation de l’architecture.


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les années 60, le Kunsthaus15, de Graz en Autriche. L’image de ce bâtiment semble être une utopie d’Archigram réalisée, et après coup justement, comme le dit Friedman « le projet se banalise », maintenant le projet fait penser à des choses16 et à travers ce phénomène il disparaît. Par ailleurs, le photographe français Simon Boudvin17 compose lui aussi des paysages et des architectures nouvelles à partir de photos existantes, remettant en cause la possibilité même du projet, l’existence même du projet. Il y a une fois de plus un air de monde disparu, l’interprétation d’un monde fini de la part de celui, non-architecte, qui s’en rappelle. Une disparition qui a fait du chemin.

le mouvement concerné Le cinéma propose depuis sa standardisation dans les années 30, un format de 24 images par seconde. Il met par définition bout à bout originalement, le long

15. img.69: Photographie du Kunsthaus, Graz, Peter Cook, 2003 16. img.70: Nausicaa, Miyazaki, «les omous» 17. img.71 : immeuble Parisien, Photomontage, Simon Boudvin, 2013


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d’une pellicule des images qui s’enchaîne à travers la lumière d’un projecteur de façon que ne voit pas les interstices, le cinéma donne l’illusion du mouvement, grâce à la lumière et aux avancées techniques. Très vite, le cinéma a eu besoin de décors, les premiers cinéastes ont créé des artifices, peu réalistes, mais en accord initial avec le simple fait que le cinéma n’est pas la réalité, mais un point de vue fictionnel sur celle-ci. Les cinéastes de la fin du muet, ceux des années 20, touchés par la Première Guerre mondiale et par les expérimentations des artistes contemporains ont voulu sortir des studios. Certains l’avaient déjà fait avant, mais de manière très marginale. Puis au-delà de l’idée de décor, le cinéma s’est intéressé à l’architecture en tant que sujet, en tant que personnage. Dans la fiction comme dans le documentaire, l’architecture a tissé peu à peu des liens avec l’homme de cinéma de la décennie 1930-40. Les architectes s’intéressent au cinéma et les cinéastes à l’architecture, c’est une sorte de période dorée dans leur biographie partagée. Il est assez important d’illustrer cette idée du “cinéma architecturé” avec un exemple par décennie, des années 20 aux années 60. Durant la période d’après-guerre, on pourra citer le film


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Métropolis18 de Fritz Lang, l’action se déroule dans une ville futuriste du même nom que le film dans laquelle les clivages sociaux n’ont fait qu’empirer au fil du temps avec la présence de deux villes, celle du haut et celle du bas. Les années 30 sont plus théoriques moins fantasmagoriques que les années 20, le film Berlin, symphonie d’une grande ville19 n’invente pas de ville, mais filme une journée à Berlin bien avant la prise de pouvoir d’Hitler en 1933, quand la création et la vie étaient les deux principes fondamentaux de la ville. Le film Le Rebelle20 de King Vidor, avec Gary Cooper dans le rôle-titre, Howard Roark, est un véritable chefd’œuvre d’un genre qu’il a généré, le thriller d’architecte. Le héros est un architecte moderne voulant construire des tours sans aucun ornement classique autour, c’est un film qui vente les vertus, les qualités et les tendances radicalistes des architectes du mouvement moderne, n’écoutant qu’eux seuls.

18. img.72 : Metropolis, Fritz Lang, UFA, 1927 19. img.73: Berlin, symphonie d’une grande ville, Walter Ruthmann, 1927-30 20. img.74: Le Rebelle, King Vidor, 1949


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En France, pendant la construction à Marseille de “la maison du fada”, les théories architecturales de l’avantgarde européenne commencent à intéresser le grand public à tel point qu’un docu-fiction sera tourné autour de ce chantier, La vie commence demain21 de Nicole Védrès porté par toute une pléiade d’acteurs artistes ou architectes jouant leur propre rôle, mais jouant tout de même, entre autres Le Corbusier, Jean-Paul Sartre et Picasso. Le film ayant eu un succès tout relatif à l’époque est aujourd’hui quasi introuvable. Enfin pour terminer ce cycle d’exemples, le film Playtime22 de Jacques Tati, dans lequel il monte en plus d’une ville nouvelle, à l’échelle 1:1, un discours très solide contre les absurdités des résultantes architecturales des théories du mouvement moderne et du style international. Il n’est pas très utile d’analyser tous les exemples simplement présentés ici, seul le dernier est nécessaire à la structure de ce mémoire. Car tout de même, le cinéaste français, Jacques Tati, à bâti une “ville” faite pour l’image. Une ville de carton-pâte, comme un décor de western, mais ne se limitant quant à elle pas à la rue unique. Cette ville Jacques Tati l’a appelée

21. img.75: La vie commence demain, 1950, Nicole Védrès 22. img.76: Playtime, 1967, Jacques Tati, Projet Tativille


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Tativille23, il dira par ailleurs lui-même plus tard, une fois ruiné et ayant perdu la propriété sur ses films que « ce système en faveur de l’architecture internationale m’a volés deux choses : le droit d’auteur sur certains de mes films ainsi une idée critique de l’architecture qui était empreinte d’ironie, ils ont construit la Défense en copiant Tativille.»24 Avec Playtime, Jacques Tati montre son point de vue sur la forme de l’architecture contemporaine, qu’il trouve éprouvante, ce film est réputé pour éprouvé de la même façon le spectateur avec de très longues séquences sonores dans les longs couloirs modernes25, rythmées par des bruits de pas, qui à l’image des photos de Massimo Listri, tentent de montrer la mesure de l’architecture à travers le temps, cette quatrième dimension qui n’est pas réellement représentée explicitement avec de simples photos. En effet, si le cinéma doit apporter quelque chose à l’expérience architecturale, c’est bien cette notion de temps. Le temps au cinéma correspond à un découpage, un montage, une triche temporelle qui ferait passer en

23. img.77: Construction de Tativille pour Playtime, 1967 24. INA 1975 — ressortie nationale de jour de fête, J.Tati, 1949. 25. img.78: Scène du couloir dans Playtime, J.Tati, 1967


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2 heures de film parfois des millénaires. Un cinéaste célèbre rêvait de tourner un film en une prise unique, en un plan-séquence, encore une fois c’est Alfred Hitchcock. Il a approché cette prouesse en trichant avec le film The Rope.26 Le film est coupé à deux endroits de manière très habiles, tellement que l’on ne voit presque pas les raccords. Hitchcock s’est résolu à triché à cause d’une raison très simple l’avancement technique du matériel cinématographique ne lui permettait pas de tourner des plans de plus de 30 minutes. Un seul cinéaste à réussi aujourd’hui cette prouesse, c’est Alexander Sokurov avec son film L’Arche Russe27 tourné en 90 minutes dans l’immense musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg, durant toute cette durée, pas une coupe, pour autant le héros travers les époques et voyage dans l’histoire artistique de la Russie des Tsars. Ce film permet d’évoquer une problématique intéressante, celle du mouvement et du vocabulaire. Le film est un planséquence. Un plan/séquence. Parmi ces deux mots, un appartient à la discipline architecturale, l’autre à la mise en scène. Ce film tente de représenter l’architecture de la manière la plus juste qu’il soit possible aujourd’hui, et ce grâce à une structure complexe exprimant une idée 26. img. 79-80: The Rope, 1948, A.H, avec James Stewart, principe de tournage 27. img. 81: l’Arche Russe, 2002, Alexander Sokurov, Film-plan séquence


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simple. Je vais tenter de l’expliquer : le film s’allonge sur un temps réel de 90 minutes, pourtant le réalisateur effectue un retournement dans sa mise en scène, il fait vivre à son personnage près de 300 ans d’histoire. Sokurov ne cède donc pas à la tentation romantique de faire un film/réalité en temps réel. Il intègre de manière honnête le fait que le cinéma ne représente pas le temps dans sa vérité strictement temporelle, mais plutôt dans sa réalité spatiale. En cela ce film se rapproche au plus près du schéma parfait de l’image terminale d’un édifice. Il fixe l’image et à travers elle le mouvement et la lumière qu’elle engendre. C’est un film solaire. En revanche ce n’est pas un film centré. Il serait tentant de penser que si un architecte faisait un film il tenterait de traiter cette image en mouvement de la même manière que les images du projet, en mouvement constant elles aussi. Il n’y a bien entendu aucune règle et je n’ai aucune réponse valable à ce sujet. Je peux juste écrire quelques lignes à propos de la sensibilité que certains cinéastes apportent à l’image en tant que composition. Souvent ces cinéastes ont un œil de photographe sensible aux formes architecturales. Il est facile en cinéma de filmer la courbe, le mouvement, le non aligné, en revanche il est techniquement beaucoup plus difficile de réussir un beau plan centré. Deux cinéastes illustrent cette volonté architecturale, celle du tracé régulateur. Au cinéma ce tracé peut s’exprimer par le plan centré, tendant vers


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une symétrie, ce type de plan au cinéma à tout d’une coupe perspective et à tout d’une photo de Massimo Listri. Ces deux cinéastes sont Stanley Kubrick et Wes Anderson. Nous parlerons uniquement du second28. D’une manière assez unique Wes Anderson joue avec le rapprochement que l’on peut faire du cinéma et de l’architecture. Surnommé le conteur fantastique, il raconte des histoires remplies de personnages profondément humains, au caractère très directs, se réfugiant des microcosmes, dans une maison dans le film. C’est-àdire qu’au niveau de la narration deux des fonctions vitruvienne de l’architecture sont illustrées : firmitas et utilitas — soit pérennité et utilité. Ensuite il n’utilise que très peu de plans différents, il cadre par échelle, comme un architecte et dans la même logique, plus il se rapproche de son sujet, plus les détails sont grands. Il a élaboré un vocabulaire très clair dans l’échelle de ces plans, on pourrait même dire que c’est un alphabet. C’est sans doute dans cette rationalité de la forme qu’est ébauchée son idée de la beauté, la venustas29, qui d’après moi ne sera terminée qu’avec l’intervention fantastique du jeu des acteurs. À la manière de Kubrick dans un autre registre, les personnages entrent en collision avec 28. Stanley Kubrick Cf : de l’attitude à l’image p. 27 29. img.82: Fantastic Mr.Fox, 2009, Wes Anderson, Les animaux se cachent, sous terre pour survivre à une attaque humaine.


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une architecture de projet, très rigide, comme un dessin à l’encre, ils sont agités et énervés, ils font l’équilibre. Dans les images de l’architecture, cette image filmée joue le rôle d’un mouvement concerné, leur histoire d’amour n’est pas finie.

les images mnémoniques Les images mnémoniques30 sont le lot d’images que l’on accumule utilement, celles qui nous viennent à l’esprit quand l’on parle d’un sujet ou d’un autre. Elles constituent un bagage essentiel à l’imaginaire, à ce catalogue d’images mentales qui compose le cosmos de la pensée humaine. Il y a d’un côté la réalité construite et de l’autre le papier. On voit un architecte ou un étudiant faire le croquis d’un bâtiment. Ce croquis est très réussi, il vibre avec la même puissance que le bâtiment lui-même. Ainsi, comment faire la différence entre l’image et sa réalité, outre l’évidence physiologique ? 30. Du grec ancien, mnêmonikós (« qui a une bonne mémoire, qui est concerné par la mémoire »).


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« La confusion entre l’image et sa réalité, largement dépassée au profit évident de l’image, reste cependant problématique dans certains domaines artistiques et architecturaux notamment, où l’original, ainsi que nous l’avons dit plus haut, reste fondamental, surtout pour l’apprentissage, pour les étudiants et les gens de métier qui participeront à la production et à la création des choses et de l’art. On peut apprendre à faire que si l’on comprend comment les choses ont été faites et le seul rapport direct à l’œuvre, à la chose construite confrontée à son contexte et son environnement permettra cette connaissance. » 31 Il faudrait donc toujours aller voir ce qui se passe. Quand on observe l’attitude des architectes comme Le Corbusier ou Louis Kahn on peut voir qu’ils ont toujours revendiqué le in situ comme le voyage en Orient de Le Corbusier par exemple. Les voyages ont été formateurs pour ces architectes et c’est par le voyage qu’ils purent se forger leurs propres images mentales32. En voyant le Parthénon d’Athènes pour la première fois sur une image celui-ci par le poids culturel et historique qu’il porte va se fixer comme une puissante image. Mais c’est dans ces cas-là une image résiduelle, qui n’est pas 31. BAUDRILLARD Jean, op.cit. p. 40 32. img.83: forum de Pompei, Le Corbusier, Vers une Architecture, p.157


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issue d’une réalité construite. C’est l’image qui émane de l’image. Pour ma part je n’ai jamais vu le Parthénon, l’image que je m’en fais dans la tête est un assemblage d’image, de films, de textes, de rêves, de dessins et de panorama sur celui-ci. Par définition : « Tout voyage représente un déplacement, un mouvement du moi vers un ailleurs, animé par le besoin de connaître un lieu autre, apte par la confrontation à stimuler la mise en discussion des valeurs héritées de sa culture d’origine. »33 Le voyage ou même le simple déplacement permettrait de vérifier, de rendre l’œil utile. En effet, il n’y a qu’à travers cet effort de vérification que notre œil peut apercevoir le contenu d’une chose construite et physique et non justement son contour. Il faut éprouver cette chose pour se constituer la seule image valable en terme théorique, cette image mnémonique, celle qui dépasse le temps, celle qui reste. Il y a deux sortes d’images mnémoniques. Celles d’objets détruits aujourd’hui et celles d’objets existants34. Dans la seconde catégorie, on pourrait nuancer le propos en mettant l’accent sur les images qui dépassent l’objet construit et celles qui 33. GRAVAGNUOLO Benedetto, L’invention de l’architecte Le voyage en orient de Le Corbusier, ed de la villette, 2013, Paris, p77

34. img.84 : Les cigares du Pharaon, Tintin, HERGE, p 27, L’architecture détérée


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appellent à voir et à vérifier. L’image qui reste du Crystal Palace35 de Londres, détruit lors d’un grand incendie, est cette image dénuée de froid ou de chaud, vaporeuse et légère d’un bâtiment de verre et d’acier, une immense serre. On peut vérifier, les plans, vérifier les perspectives, des dessins de presse cependant aucun de ces documents ne pourrait donner la force d’exactitude qui se crée dans l’esprit de quelqu’un qui voit de lui même la chose construite, l’œuvre. L’image qui reste du Crystal Palace par le devoir de l’histoire, il n’y a pas de réel contenu, aucun souvenir personnel n’y est lié, on peut dire que c’est une image de l’architecture qui persiste dans la mémoire collective. Il y a aussi Babylone et ses jardins. Ce n’est qu’une expression, Babylone et ses jardins sont pour moi qu’un empilement incertain de plantes grimpantes et d’éléments urbains à la fois fait de pierre et de verre. Babylone a tout d’un mythe et pourtant il génère des images. Piranese a montré des ruines, des vues d’architectures qui restent par ce qu’elles représentent, c’est à dire : le temps qui passe36. Une des principales différences que l’on peut trouver entre une image d’architecture et sa réalité construite c’est leur rapport 35. img.85: perspective du Crystal Palace début 1900. 36. img.86: Ruines de Babylone, Piranese, 1758


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au temps. La réalité vit le temps présent, sans passé, sans futur, sans projet. Une réalité construite n’est que matière. Tandis qu’une image se place autour, soit dans le passé, soit dans le futur, l’image n’est pas soumise au temps de la même façon et encore plus aujourd’hui avec l’avènement des nouveaux médias et des nouveaux moyens d’archivage de l’image. On pourrait dire que ce que l’image laisse fonctionne comme un autocollant mental, ou même encore comme un collage. Le collage par sa confrontation des formes et des textures pourrait ressembler à l’image mentale que l’on se fait de l’image mnémonique. Plus simplement et sans torture : la première image que l’on se forge de la dernière image. Une ville célèbre entre autres pour être un véritable collage irréfléchi de monuments a donné lieu à des réflexions d’architectes sur le statut du signe, cette ville c’est Las Vegas. Robert Venturi a publié en 1972 un constat architectural de cette ville Learning From Las Vegas, dans ce livre il dit une chose très juste « le symbole de l’espace passe avant la forme de l’espace »37, c’est comme si l’on avait voulu représenter par l’architecture, l’esprit est donc de mauvais goût, et

37. VENTURI Robert, Learning From Las Vegas, p.8


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l’architecture devient « canard »38, la représentation du monde par le globe. Las Vegas n’est pas uniquement une ville d’argent, c’est aussi la réalisation d’une ville empruntant tout son patrimoine dans un ailleurs. C’est la ville invivable de celui qui ne veut pas voir le monde, à chaque coin de rue, un collage : Tour Eiffel, pyramides, Venise ou Monte-Carlo... On pourrait se demander quelle serait l’image mentale que l’on peut retenir de Las Vegas, selon moi pas grandchose, le déchet bien pauvre d’images déjà résiduelles, comme une image de la tour Eiffel39 vue à travers l’image d’une tour Eiffel échelle 1:2 vue elle même par quelqu’un qui n’a fait sans doute que copier la véritable tour Eiffel, sans pour autant la regarder. À quoi correspond exactement cette volonté humaine de retenir un élément vu par un souvenir ? Pourquoi cet effort a-t-il lieu ? Il semble que cela soit dû à une envie de tout voir qui a été engendrée par les avancées techniques et théoriques ainsi que part les massacres guerriers du siècle dernier. Comment représenter l’infini avec les objets du fini ? Comment parler de ce qui ne se représente pas ? La curiosité religieuse due à 38. img.87: Architecture Canard. 39. img.88: Tour Eiffel, Las Vegas


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la disparition de Dieu et de ces traces sur terre a poussé quelques philosophes à réfléchir à cette question, à remettre en question justement l’infini. Cette notion d’infini omniprésente dans nos sociétés, comme celle de limite. Nous avons autant de limites que d’infini. L’architecte doit pouvoir reconstruire ce qu’il voit à la manière des jeux de pliages de papier pour les enfants40. Il faut qu’il regarde l’espace en vue éclatée, expliquée et démystifiée. L’image mnémonique sert aussi à effectuer cet exercice. Parmi les peintres de la fin de l’impressionnisme, il y a Cézanne. Paul Cézanne peint l’infini. Le dessus, le dessous, le dedans et le dehors, le yin et le yang, mais cette fois nuancés et remplis des couleurs qu’on assimile directement à sa peinture. Je me souviens avoir vu un tableau41 de Cézanne représentant une vue de Gardanne avec son éternelle Sainte-Victoire en fond. Sur ce tableau, peint en 1885, on peut lire une géométrie différente, une absence de perspective traditionnelle. L’image travaillée disparaît presque devant l’image mentale. Ce tableau préfigure le cubisme de Braque, Léger ou Picasso, de même que ce phénomène de mélange entre la première 40. img.89: Papertown, 2014 41. img.90: Montagne Sainte-Victoire, Cézanne, 1885, Pré-cubisme


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image et la dernière peut être associé l’ambiguïté même de la mémoire des images architecturale. On maîtrise ce que l’on représente avec l’esprit, Cézanne maîtrise ces paysages et Picasso maîtrise parfaitement l’image de la femme qu’il représente, il dépasse cette représentation par la représentation mentale et l’évocation de l’image qu’il lui reste. Dans le cas de Cézanne l’espace provençal est aspiré comme un vortex autour de la Sainte-Victoire, cette immuable montagne. Les tableaux de Cézanne sont des images au sens large du mot et l’image est rare, Jean-Luc Godard disait par ailleurs que « l’image n’existe quasiment pas aujourd’hui. Par contre existent beaucoup de mots sur une image et le commentaire (…)On dit qu’on voit des images, partout, mais on ne voit pas des images qui nous parlent. Disons une chose simple : vous êtes une fille et vous êtes amoureuse d’un garçon. Si vous le voyez embrasser une autre, vous n’avez pas besoin de mots : c’est ça une image. Et on en voit très peu. »42 Cette différence entre mot et image peut s’expliquer grâce à la définition d’une troisième notion liée aux deux premières, celle de représentation : « Rendre présent… Faire apparaitre… Présenter à l’esprit,

42. GODARD Jean-Luc, Au nom des larmes dans le noir, échange sur l’histoire l’engagement et la censure, édition du centre Pompidou, Paris, p401


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rendre sensible (un objet absent ou concept) en provoquant l’apparition de son image au moyen d’un autre objet qui lui ressemble ou qui lui correspond »43 à ne pas confondre avec reproduire : « Répéter, rendre fidèlement, donner l’équivalent… faire qu’une chose déjà produite paraisse à nouveau ; créer faire exister des choses semblables ou identiques à (un modèle). » À ce sujet, Magritte peut nous éclairer grâce à un de ses tableaux mystérieux. Outre la célèbre « trahison des images » (1929) avec son slogan « ceci n’est pas une pipe » — c’est une image de pipe —, le tableau qui va nous intéresser est « la condition humaine »44 peint en 1935 sur le modèle d’un tableau qu’il avait déjà peint auparavant. C’est une réplique du maître. De façon plus appliquée à notre sujet, c’est une interprétation de l’image persistante par celui qui détient l’image mentale de l’œuvre, de la même manière que la série de 4 cités radieuses de Le Corbusier issue de celle de Marseille, Le Corbusier a dû à l’époque réfléchir sur la répétition d’un motif et sur l’effet de réplique.

43. Définition du Petit Robert. 44. img.91: La Condition humaine, René Magritte, 1935


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Images mnémoniques et non pas mnémotechniques, la fixation de l’image dans l’esprit est un phénomène purement conscient et mental, encore une fois una cosa mentale, ce n’est pas une gymnastique ni une chose mécanique.


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tripartie conclusive - fantaisies architecturales Qu’est-ce qui fait dire à certains « L’architecture avance ! » ? L’exploit technique ? L’audace d’un projet ? La clarté de l’intention ? L’architecture « avance », selon Yona Friedman, grâce à des utopies réalisables qui ne se réalisent pas. Et souvent ces utopies se limitent à des images dessinées, ne s’aventurant que très peu dans le domaine du volume et encore plus rarement dans celui du construit. C’est l’image de la fantaisie. Il sera l’occasion ici, dans cette partie qui clôt ce mémoire de la façon douce, de donner à voir des images. Ces images qui constituent des projets en elles-mêmes, en leur état frôlant l’infini car non construits donc parfait par définition. On se rapproche de la définition de l’art conceptuel dans lequel l’idée prime avant tout, par idée il faut entendre image mentale. L’image mentale sera le seul point de repère critique que l’on peut avoir pour ce


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type d’image, des images qui n’ont pas besoin de mot pour générer des idées. Les liens entre ces exemples seront d’ordre thématique et non pas chronologique. Ainsi nous parlerons brièvement du travail de l’artiste Joseph Albers et l’absolu de ses formes géométriques se tournant autour comme si elles voulaient représenter elles aussi l’infini inaccessible. Albers réalise un dessin1 très simple sur un papier quadrillé, à l’encre et à la règle. Il ne dessine pas, il trace un motif. Je ne peux m’empêcher en voyant ce dessin de penser à une image très simple : au plan d’une pyramide Maya2 et à celui d’un Baori indien3. Il est étonnant que l’on cherche toujours à voir quelque chose même quand il n’y a rien. Comme quelqu’un qui force sur ses yeux aveugles. C’est ce que j’ai tout de suite vu dans ce dessin, au-delà du rien, le plan d’une pyramide en surface, qui déforme en positif (+x) la croute terrestre et celui d’une pyramide en profondeur qui la déforme, mais cette fois en négatif (— x). 1. img.92: Dessin, Joseph Albers, 1950 2. img.0 et 93: Pyramide de Tikal, empire Maya, 200 après JC 3. img.94: Raniji ki Baori, Bundi, Inde, puit religieux


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L’image mentale est représentée par le dessin d’Albers et l’image mnémonique, persistante est celle composée des monuments sacrés des civilisations mayas comme celle de Tikal ou encore du Baori indien de Bundi. C’est la force d’une image mentale pure et géométrisée, de pouvoir représenter sans le vouloir, chacun voit quelque chose, tout est dans la potentialité imagée. Lebbeus Woods est un dessinateur d’architecture, il représente celle-ci comme explosée, un ami me disait en voyant un de ces dessins, en faisant l’exercice du « cela ressemble à… », que cela lui faisait penser à une chronophotographie d’un endroit calme de type classique sur lequel on aurait envoyé par les airs l’architecture biscornue de Frank Gehry4. Mais ma volonté ici est plutôt de le rapprocher, non pas par la forme, mais par l’intention du dessin, de Piranese. Nous en avons déjà parlé lors de la première partie de ce mémoire. Les images et surtout les prisons de Piranese montrent une architecture sombre, vidée de la nature, une architecture dans laquelle il y a tellement

4. img.95: Lebbeus Wood, Composition city, 2005


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d’architecture que l’homme a totalement disparu5. Et Woods à sa manière représente l’architecture dans la négation totale de l’homme, dans un dessin partition au trait dans lequel même l’espace à disparu. C’est l’homme savant qui ne se regarde plus et qui ne se représente que par le prisme de son invention. Cependant, comme toujours le jeu de miroir est de mise. Piranese représente aussi l’empilement du temps en architecture et cette représentation, elle, se rit du temps qui ne l’atteint pas puisqu’elle est faite de papier, paradoxalement plus pérenne que fragile. De la même manière avec une distorsion de l’échelle en plus, Aldo Rossi crée la Città Analoga6 avec des amis illustrateurs. C’est un empilement d’outils graphiques architecturaux. Du plan de territoire à la coupe en passant par le détail sur un ange. M.C. Escher quant à lui représente un hommage intéressant au rapport image/réalité en faisant se mélanger justement en une image les deux entités

5. img.96: Lebbeus Woods, Black & white, 2000 6. img.97: Città Analoga, Aldo Rossi, 1980


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d’un point de vue théorique.7 Aldo Rossi et Escher maîtrisent l’espace par leurs stricts dépassements dans l’image. Ils induisent dans leurs réflexions une certaine idée de l’infini, comme principe créateur. De même que Yona Friedman et sa ville spatiale, qui relativement à l’infini permet son développement sur toute la surface du globe, au-delà de notre monde. C’est ni plus ni moins que ce que fera Superstudio avec leur ville Continuum.8 Une immense dalle au-dessus de New York permettant la vie au-dessus des nuages. Ces fantaisies donnent à voir l’architecture.

7. img.98: Print Gallery, 1956, MC. Escher 8. img.99: Superstudio, Continuous monument, 1969


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- les images du projet théorique Les Architectes du Siècle des lumières ont été des architectes du principe en image. D’une part parce qu’ils rêvaient d’une nouvelle société basée sur la raison et sur l’universalité. D’autre part parce qu’ils avaient une fois en l’image — unique médium visuel à l’époque — qui dépasse toutes les civilisations. En effet aujourd’hui, vis-à-vis de l’image nous sommes beaucoup plus méfiants. Nous nous intéresserons ici au rapport à l’image de Étienne-Louis Boullée, architecte habité par la raison des lumières. Ayant relativement peu construit, Boullée s’impose comme théoricien et pédagogue, durant la Révolution, mais déjà bien avant 1789 à l’époque où les idées de progrès influençaient la politique des arts de la monarchie française, sous Louis XV et Louis XVI. Avec son confrère Claude-Nicolas Ledoux, qui lui est un grand constructeur, également théoricien visionnaire, Boullée souhaitait que


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l’architecture agisse sur les sentiments et la conscience morale des citoyens. Mais parmi ces théories, il y a les images qu’il a laissé. Sachant que c’est un architecte qui a été totalement oublié jusqu’à ce qu’on le redécouvre au siècle dernier. Ces dessins, dans le pur style BeauxArts, montrent avec une énorme audace formelle des solutions architecturales. Boullée, spécialisé dans le monument, va vouloir représenter l’image mentale dans la forme finale du projet pour que l’image mentale et l’image mnémonique se regroupent en une unique image. On retiendra ses formes géométriques pures et l’échelle monumentale de ses projets, notamment le Cénotaphe9 — tombeau sans la dépouille — pour Isaac Newton. Plus généralement, le travail Étienne-Louis Boullée résume l’idée de ce mémoire poussée à son paroxysme.

9. img.100 : Projet utopique de Cénotaphe pour I.Newton, de E.L.Boullée, 1784


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- l’image mentale de Frank Lloyd Wright l’image mnémonique de Paul Simon En image des paroles de la chanson qui vont suivre, d’autres paroles, cette fois de l’architecte Frank Lloyd Wright10.

So long, Frank Lloyd Wright. I can’t believe your song is gone so soon. I barely learned the tune11 So soon So soon.

10. img.101: Work Song, Frank Lloyd Wright 11. «Je ne peux croire que ta chanson soit partie si tôt. J’en ai à peine appris l’air.»


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I’ll remember Frank Lloyd Wright. All of the nights we’d harmonize till dawn. I never laughed so long So long So long. Architects may come and Architects may go and Never change your point of view. When I run dry I stop awhile and think of you So long, Frank Lloyd Wright All of the nights we’d harmonize till dawn. I never laughed so long So long, So long. 12

12. So long, Frank Lloyd Wright - 1970 - Bridge Over Trouble Water Simon & Garfunkel


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J’ai des images mnémoniques plein la tête, ce mémoire étant un cycle à double voie. Les images resteront. Je ne sais pas s’il est bien de tout dire, de tout donner, il faut en garder un peu. Et je suis heureux d’avoir garder quelques idées non-finies comme des ébauches lors de mon premier travail pour pouvoir commencer sur de bonnes bases le second. De même ce texte n’est pas une conclusion générale mais plutôt une introduction poursuivie, j’espère que je continuerai ce présent travail jusqu’à la fin de ma vie et j’espère que je me souviendrai de cette envie de la même manière que l’on fixe un souvenir.


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épilogue - On a marché sur la lune Entre le je, le on, ou le nous utilisés dans ce mémoire il n’y a que très peu de différence. J’ai voulu raconter et analyser une expérience. Combien dure le regard ? C’est beau de voir que même à la fin d’une vie, l’œil persiste, vivant et inventif. Je pense à ce magnifique film, le scaphandre et le papillon, où le paralysé écrit un livre en clignant les paupières. Le regard, le point de vue et la curiosité c’est ce que je trouve de proche à la définition illustrée de la vie. C’est l’image qui reste avant d’être partie, je sais que celle qui restera, a toujours été là, j’espère qu’elle restera. Le regard permet la sensation, les frissons, les couleurs, l’émotion, le choix et la créativité entre autres. Il faut cultiver son regard pour être libre, pour pouvoir choisir quelque chose que l’on pense juste. Je suis étudiant à l’école d’architecture de Marseille, je m’y suis absenté une année pour faire une année de cinéma, et de cette manière j’ai essayé de voir ce qui me


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restait de cette école. Contre toute attente, l’odeur de carton me revenait parfois comme un refrain vite rangé, l’image de la passerelle impossible entre les beaux arts et l’école d’architecture, les passerelles impossibles entre l’administration et les étudiants, les passerelles impossibles entre les étudiants. Avec le recul, toutes ces passerelles fictives ou réelles, quand elles étaient réussies permettaient à tout le monde d’être heureux, encore une image qui reste. Parmi toutes, je choisis celle qui me rend heureux et je la garde loin de mon cœur, en sécurité, pour l’instant du moins, dans ma tête. Malgré tout, je signe pour la ville radieuse.


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remerciements Hervé Dubois (pour ses sages conseils), Élise Gautier (pour sa présence irremplaçable), Aline et Marc Samadet (pour la précieuse lecture et le soutien indémontable), H et Y (pour le courage), E. (pour son aide et sa gentillesse), C (pour ses colis et ses pensés), et Romain et Victor (pour l’amitié).


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table des matières avant propos----------->7 introduction générale---------->11 de l’attitude à l’image(2012-13)---------->15

origine--------------->22 immortalité--------------->36 perspective--------------->52

les images mnémoniques(2013-14)---------->67

Tripartie introductive--------------->73 Les images antérieures--------------->84 Les images du projet-------------->110 L’image après-------------->142 tripartie conclusive-------------->173

épilogue--------->183 bibliographie--------->188


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bibliographie complète ANTONIONI Michelangelo, Scenarios non réalisés, Images Modernes, Paris, 2004, ISBN 2-913355-22-6 ATTALI Jean, Le plan et le détail, une philosophie de l’architecture et de la ville, Éditions Jacqueline Chambon, Nîmes, 2001, ISBN 2-87711-232-2 BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, PUF, 2009, ISBN 213057596X BARICCO Alessandro, City, Gallimard, Paris, 1999, ISBN 978-2-07-041957-9 BAUDRILLARD Jean, le crime parfait, éditions Galilée, Paris, 1995, ISBN 2718604484


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195


196

l’image reste !


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