COMÉDIE CLASSIQUE AMÉRICAINE SABRINA - B.WILDER - 1954 MATTHIEU SAMADET - L3CAV M.O.
SABRINA - BILLY WILDER (Sabrina) (en GB : Sabrina Fair) USA. 1954. 1 h 50. Noir et blanc. Dist. :Paramount (CIC). prod: Billy Wilder/Paramount. Scn. Samuel Taylor, Ernest Lehman, Billy Wilder, d’après la pièce de Samuel Taylor. Op. : Charles Lang Jr. Mon. : Arthur Schmidt. Dir. art. : Hal Pereira, Walter Tyler. Déc. Sam Comer, Ray Moyer. Cos. : Edith Head. Mus. : Frederick Hollander. Son : Harold Lewis, John Cope. Int. : Audrey Hepburn (Sabrina Fairchild), Humphrey Bogart (Linus Larrabee), William Holden (David Larrabee), Walter Hampden (Oliver Larrabee), John Williams (Thomas Fairchild), Martha Hyer (Elizabeth Tyson), Joan Vohs (Gretchen van Horn), Marcel Dalio (le baron), Marcel Hillaire (le professeur), Nella Walker (Maude Larrabee), Francis X. Bushman (Mr. Tyson), Ellen Corby (Miss McCardle), Marjorie Bennett (Margaret), Emory Parnell (Charles), Kay Riehl (Mrs. Tyson), Nancy Kulp (la bonne), Kay Kuter (houseman), Paul Harvey (médecin), Emmett Vogan, Colin Campbell (membres du conseil), Charles Tray (Spiller), Maria Ross (Amie de Spiller), Harvey Dunn (un homme).
Cela suffit pour les présentations. Nous ne parlerons pas ici des films autres films de BW, il n’est pas question de faire état de sa vie, de son œuvre ou de sa filmographie. Il est question du film Sabrina. Nous nous risquerons en revanche a le comparer à d’autres films de la période classique. Comme on peut le lire ci-dessus c’est une comédie légère de 1954 avec principalement Audrey Hepburn et Humphrey Bogart. Pour parler de ce conte de fées moderne, nous avons pensé réaliser un plan suivant deux axes illustrant la problématique suivante : en quoi le film Sabrina est plus qu’une comédie légère ? 1— Sabrina, la petite aux pieds nus 2— Analyse d’une scène
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1— Sabrina, la petite aux pieds nus Audrey Hepburn a des yeux de biche. Qui n’a pas entendu cette expression ? Qui en doute ? Celui-là doit voir les premières images de Sabrina. Là sont les yeux de biche de Audrey Hepburn — Enfant perchée sur son arbre elle guette le prince charmant, David Larrabee, elle le veut. Mais il se trouve qu’elle est invisible pour lui. A.Hepburn a été révélé par le film Vacances Romaines de William Wyler de 1953 elle y jouait une princesse. Ici, socialement parlant, elle est tout l’inverse. Mais ce qui est intéressant c’est justement cette potentielle grâce princière déjà vue dans vacances Romaines est palpable ici sans pour autant être le cas. Dès le générique on sent que le ton se veut être comme une monstration de l’héritage Lubitsch et des comédies comme Ninotchka. On comprend assez vite l’histoire et on comprend aussi qu’elle ne représente pas la partie la plus importante. La grandeur du film repose sur sa mise en scène. Qui est exécutée avec une grande intelligence mettant en avant les charmes de Audrey Hepburn — nous ne reviendrons pas sur les yeux de biche —. Il y a dans ce film un mouvement général sous-entendu, un renversement constant, comme dans de nombreux films de Billy Wilder. Il y a aussi la présence du gag, mais ici seulement pour illustrer le récit et la mise en scène, il n’est pas un but en soit. La question est de savoir comment Wilder fixe le cadre. Il nous montre les personnages comme un tableau de famille avec en voix off, Sabrina, et en dernier le chauffeur et sa fille, Sabrina, pieds nus observant la fête. Il nous présente les réflexes physiques des uns, les obsessions des autres. Sabrina aime David, mais David ne l’aime pas. Dans son désespoir elle ira jusqu’à tenter de se suicider, pas vraiment sérieusement puisqu’elle ouvre la fenêtre. Comme dans de très nombreux films de son cru Wilder utilise cette fameuse technique du « petit poucet », où le premier tiers du film tient lieu d’introduction visuelle et sonore dans laquelle il égraine des indices comme la queue de cheval de Sabrina, la voiture de David, le terrain de tennis, les coupes de champagne, le comportement passionné de Sabrina et le fait que Linus joué par Humphrey Bogart la sauve de son suicide et qui va se révélé plus tard comme personnage masculin principal de cette romance à retournement.
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Au sens de l’histoire du cinéma Wilder est un classique parce qu’il invente sans pour autant tenter la lourde citation. En revanche au sens de l’histoire de l’art il serait baroque, voire maniériste, jouant avec les codes dictés par ces maitres et la censure en vigueur et réinventant sans cesse, ici et ailleurs.
2— Analyse d’une scène Nous allons tenter d’analyser une scène qui illustre le film tout entier dans sa tension, dans son humour, dans sa mise en scène et dans sa trame narrative. C’est la séquence du retour de Sabrina chez elle après avoir passé deux ans à Paris à apprendre la cuisine dans une grande école en face de la tour Eiffel. Sabrina prévient son père, peut être qu’il ne va pas la reconnaitre. Chez Wilder le changement est primordial, un personnage ne peux pas arriver à ses fins sans changer que cela soit par stratagème à l’image de Joe et Jerry de Some Like it Hot ou encore pour ne citer que ces deux exemples, Nestor dans Irma la douce. Ici c’est Sabrina qui a changé, elle a muri, c’est « la plus sophistiquée des voyageuses ». Son père est censé venir la chercher. On la voit nous aussi changer. Elle revient de Paris. Dans ce film Paris semble être le parfait lieu pour les âmes en peine, être à Paris c’est grandir, vivre et apprendre à être heureux. C’est bien évidemment là un cliché conte de fées totalement voulu par Wilder qui a souvent séjourné à Paris connait bien cette ville — aussi bien qu’un natif du vieux continent avant la guerre, qu’il est. Clairement ici, et dans tout le film par ailleurs, il est fait référence au Paris de Ninotchka, le Paris romantique correspondant à la vision du cinéma classique américain. Ce qui illustre le mieux qu’une femme a changé d’après Wilder serait sans doute la robe et la coupe de cheveux et la satire serait le caniche au collier de perles, le parfait chien de fille « sophistiquée » parodié un millier de fois. Donc, elle revient de Paris — par avion et par train — comme si elle sortait de chez le coiffeur et habillée par un couturier et c’est « la vie en rose » que l’on entend qui pourrait être une référence sous-entendue à Hitchcock et à son
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film le grand alibi (1950) avec Marlène Dietrich que Wilder admire, mais soutenant aussi la vision romantique de Paris, c’est le leitmotiv français par excellence dans ce film et par extension de Sabrina. Revenons à l’analyse, son père n’est pas le premier à arriver, car il travaille, c’est David Larrabee qui est de passage avec son bolide qui le précède dans chaque scène. Le personnage de David est très exagéré, il participe au système d’autocritique américain, il critique la haute bourgeoisie qui ne participe pas à la vie de la ville, qui dépense et qui ne voit dans la vie aucune ombre, ni pour lui ni pour les autres. Quand il voit Sabrina, il freine, il roule vers elle. On peut penser qu’il l’a reconnue alors que c’est la pulsion de David qui parle « Taxi, miss ?? ». Sabrina est réjouie, mais ce n’est qu’une illusion encore. Plutôt que d’être triste à cause du fait que David ne la reconnaisse pas, Sabrina va prouver une fois de plus qu’elle a changé et va jouer avec lui, elle va guider le jeu. David dans sa grande Naïveté et en parfait anti-physionomiste va insister pour la ramener chez elle. Wilder égraine d’autres éléments cette fois, il distille des détails du conte de fées, où tout tourne bien, Sabrina folle amoureuse de David et David ayant un coup de foudre pour Sabrina. Mais le film en est qu’au début cela ne se peut. C’est ici que Wilder va ruser et va reprendre en main la structure du film. Ce film est une comédie qui se permet des envolées naïves empruntées au registre du conte. Mais tout se retournera comme toujours. C’est le moment de la comédie, on croit les deux allant dans le même sens et tout à coup Sabrina prend clairement les commandes. « Come on David ! » en parlant a son caniche. Ainsi Wilder se joue encore du personnage de David, animal séducteur peut-être, mais aussi aventureux qu’un caniche en laisse perlée. Le chien vient faire basculer la romance en comédie et créer une ambiguïté, une des spécialités de Wilder, qui va falloir résoudre au plus vite. « Is he name David ? Yes it is ! Oh that’s funny it’s my name too » et à Sabrina/Wilder de commenter « That’s it funny, isn’t it ? ». Comme si Wilder avait anticipé avec ce gag que certain critiques auront vite fait de taxer de vulgaire lui donnant une teinte autoréflexive. C’est une blague ratée qui se transforme en jeu d’esprit tout à fait passionnant !
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Le trajet commence avec le sympathique « are you sure you don’t want to tell me your name ? » Sabrina jubile et elle ne veut pas que cela s’arrête. C’est un élément récurent du film que de faire durer certaines scènes, ou certains gags un instant encore comme par nostalgie, comme quand on regarde une étoile et que l’on sait celle-ci déjà éteinte depuis longtemps. Le gag sur l’identité de Sabrina est révolu, le spectateur a assimilé, mais il apprécie tout de même être en terrain connu et c’est dans ces momentslà que Wilder se rapproche de la Lubitsch’ s Touch. S’intéresser plus qu’au gag, au résidu du gag et a l’atmosphère allègre que celui-ci génère, un pur plaisir, nous pensons que c’est là que ce trouve le réel cinéma classique de Wilder, faire que le temps soit un bonheur. L’objectif de Wilder est de rendre le spectateur complice de la taquinerie de Sabrina de la même manière que Hitchcock peut nous rendre complices d’un crime. Sabrina refuse donc de dévoiler son nom. Pourtant le très naïf David est certain de l’avoir déjà vue quelque part. Elle lui montre son profil et ça y est enfin il est sur la voie ! Il l’a déjà vue avec son père. Cette idée du « déjà vu » est clairement l’explicitation consciente du jeu de petit poucet effectué par Wilder tout au long du film. Ici c’est dans le film même qu’ils jouent, peut-être pour nous faire oublier le fait qu’à ce moment de l’histoire David s’apprête à se marier de force pour faire gagner de l’argent à la riche compagnie familiale gérée par son frère Linus qui est lui « indatable ». Encore une fois Wilder crée l’illusion d’une fin possible, il serait en effet tout à fait possible que David réponde « Sabrina ?! » qu’elle dise « Yes ! I am ! » qu’ils s’embrassent et qu’ils vécurent heureux jusqu’à ce que la mort les sépare. Non il n’en est pas question. Il ne faut pas oublier Linus et en même temps c’est ce que Wilder nous oblige à faire : oublier Linus qui a sauvé Sabrina du suicide il y a deux ans. Mais revenons sur le gag en cours. David s’écrie : « Is your father the amiral Staratt ?! », Sabrina tendue qu’il apprenne la vérité de lui même se détend comme un élastique. Elle retrouve confiance en elle et elle retrouve le sourire. C’est ainsi que le gag commence, cette fois un gag presque extradiégétique dans le sens où il critique aussi la condition sociale très fermée de David qui ne voit comme possible père de Sabrina que des PDG d’entreprise de Transport, avion, train, bateaux. Bien évidemment
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c’est Sabrina qui le met sur la voie de l’automobile. Il est plus occupé a s’inquiéter a propos de la soi-disant fortune du père de Sabrina plutôt de réfléchir réellement à la route, l’idée simple que Sabrina, sa « voisine » serait la fille du chauffeur que son père a depuis 25 ans est impensable. Et pourtant « personne n’est parfait ». Cette réplique pourrait être utilisée ici et on peut voir à quel point elle découle de l’art de la perfection chez Wilder. « Straight to the garage please ! » David ne remarque même pas qu’il rentre dans son propre garage. Il ne comprend pas jusqu’au moment de la chute de tension. Quand Sabrina Klaxone, cela fait l’effet d’une sonnerie de round en boxe. L’effet de gag est fini. Nous avons choisi de terminer l’analyse avec ce même bruit de Klaxon et l’allégresse générale qui se dégage des retrouvailles chaleureuses entre les domestiques et Sabrina. Tandis que David tient David le caniche dans les bras.
* Wilder, dans ce dernier film produit chez la Paramount, montre qu’il est entré dans une nouvelle phase. Une ère de la comédie du renouveau, où tout change, où tout trompe, mais pour la bonne cause, pour rendre le spectateur heureux. Mais Wilder ne se soumet pas à la loi du bonheur publicitaire, il offre du sentiment de cinéma et une critique acide du système américain et plus particulièrement du système hollywoodien.
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