DOSSIER CINÉMA ESPAGNOL MATTHIEU SAMADET L3CAV - 2013 - PIETSIE FEENSTRA
PARTIE I - ANALYSE D’UN FILM ESPAGNOL - TALONS AIGUILLES Comment le film Talons aiguilles (1991) de Pedro Almodovar cartographie-t-il la mémoire par une voix filmique, un corps-témoin, dans un certain paysage de la mémoire ? 0/ introduction
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Le style lourd de sens d’Almodovar - l’espace, les angles et les couleurs
2/ Le cinéma espagnol comme héritage d’une mémoire - la citation douloureuse du souvenir et du traumatisme.
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L’image de la famille : torture sensuelle.
4/ Conclusion
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PARTIE II - COMPTE RENDU DE LECTURE DU LIVRE - MEMOIRE DU CINEMA ESPAGNOL En quoi les violences de la guerre civile et la longue dictature franquiste décrivent-elles les réactions cnématographiques entre 1975 et 2007 ? Comment cette question est-elle traitée dans le livre mémoire du cinéma espagnol ? 0/ Introduction
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1/ L’Espagne - long délire à travers le siècle
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2/ L’obsédante mémoire filmique
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3/ Les thèmes, les méthodes, les personnages, les cicatrices
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4/ Conclusion
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PARTIE I ANALYSE D’UN FILM ESPAGNOL TALONS AIGUILLES extrait : 0:34:26 - 0:37:22 Scène de l’interrogatoire des trois femmes
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À PROPOS DE TALONS AIGUILLES DE PEDRO ALMODOVAR
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AEROPORT LONGUE ATTENTE SAC LEVRES LUNETTES ROUGES CHAPEAU SOUVENIR JEUNE CORPS FEMME ENFANT DROGUE PRISON MERE HOMMES PEUR FUITE TRANSSEXUEL MEURTRE JUGE POLICE ENQUÊTE COULEURS TROMPERIES MENSONGES EXCUSES PILULES DEUX TROUS ROUGES AU CÔTÉ DROIT SOUFFRANCE PLEURS EVANOUIR TÉLÉVISION ENCEINTE LIBERATION PISTOLET ENIGME PHOTOS JUNKI DANSE FAUTEUIL PSYCHIATRE TRIPLE PERSONNE VISAGE INFARCTUS VERITÉ HOPITAL JUSTICE HUMAINE JUSTICE DIVINE CONFESSION REPENTIR MASQUE POUR RESPIRER PEINE PRIÈRES MORT.
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- LE CINÉMA ESPAGNOL - COMMENT VISUALISER LA MÉMOIRE
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Il y a dans ce film - comme dans beaucoup de films en général et plus précisément, dans beaucoup de films espagnols résistants au système - plusieurs niveaux de lecture. Le film est très esthétique, il possède une grande force formelle qui se repère assez rapidement et même à dire vrai dès le générique très travaillé façon Saul BASS ou encore nouvelle vague française, la trompette bouchée de Miles Davis derrière fait penser au jazz des rues de Paris dans A bout de Souffle de J.L. Godard. Mais tout ceci n’est que entre-autre. Il y a un profond discours rhétorique et poétique qui transparaît des images. L’omniprésence de thèmes (d’où la liste de mots fort - plus haut) chers à Almodovar et la maîtrise de ceux ci dans le récit pousse à regarder derrière à analyser une séquence avec une profonde attention. La séquence qui m’a intéressé plus que les autres et dans laquelle, je pense, se trouvent rassemblés tous les éléments nécessaires à faire le liens entre le corps-l’espace-le son est la séquence de l’interrogatoire des trois femmes que fréquentait le mari de Rebecca - dont Rebecca (Victoria Abril) - pour le meurtre de celui-ci. Interrogatoire mené par élimination par le juge qui se trouve être un pivot de l’histoire, un personnage hybride, possédant une triple personnalité - au sens de personnage qui essaie de délier l’énigme. Cet extrait est riche à tous les niveaux de l’analyse: la mémoire brouillée, la vérité, l’Espagne, le crime, la femme, la drogue, l’amour, l’image de la famille, la confrontation homme/femme, la justice, la prison… Ces thèmes, ce vocabulaire propre à une méthode du récit bien espagnole nous amène vers une question, une problématique : Comment le film Talons aiguilles (1991) de Pedro Almodovar cartographie-t-il la mémoire par une voix filmique, un corpstémoin, dans un certain paysage de la mémoire ? C’est à travers le plan explicité un page 3 que nous allons tenter par une analyse d’un extrait du film de déterminer une réponse juste à cette problématique.
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À PROPOS DE TALONS AIGUILLES DE PEDRO ALMODOVAR
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L’analyse toute entière portera sur la séquence de l’interrogatoire de la police judiciaire mené par le personnage du JUGE DOMINGUEZ/LETAL devant trois femmes à propos du meurtre du mari de l’une d’elle.
I. Le style lourd de sens d’Almodovar - l’espace, les angles et les couleurs. Après avoir fait une constatation du corps rouge de Manuel étendu sur le côté droit, le juge arrive, fraîchement barbu, dans la salle d’interrogation - ou plutôt son bureau - et il décrit la situation tout d’abord au spectateur avec un plan frontal, puis grâce à un travelling d’une grande fluidité, on s’aperçoit qu’il parle à trois femmes, trois femmes que l’on a au moins déjà vu. De cette manière le spectateur est dans l’intrigue au même titre que les protagonistes du film. Je parlerai pour ce genre d’effet de mise en scène d’expression de la rhétorique générale chez Almodovar et ainsi de l’introduction d’un nouveau niveau de lecture. C’est aussi une façon de présenter des personnages et surtout le personnage hybride, cher à Almodovar, en quelque sorte le personnage interdit. C’est le cas de celui du Juge Dominguez - joué par Miguel Bosé - Il est à lui tout seul le symbole de l’électricité nouvelle insufflée par Almodovar dans le cinéma espagnol. Un cinéma rempli d’acteurs et de personnages capable d’une grande habileté de déguisement. Le déguisement, lui aussi, à tous les niveaux de lecture. Car les envies et les vérités entre le récit et les personnages sont aussi déguisées, juste déguisée car si on analyse bien quelques indices perce tout de même la surface des choses. Par exemple, sur cet extrait de l’interrogatoire c’est le personnage hybride qui va alerter subtilement le spectateur, en effectuant presque un clin d’œil d’instinct d’une façon subliminale. Il va présenter les faits à la manière d’un procès (c’est un juge) : « selon le légiste don Manuel est mort entre 9H et 11H du soir, 3 femmes lui ont rendu visite. Une lui a fait l’amour. (à cet instant le juge tourne la tête et regarde la première femme à gauche, l’interprète de la langue des signe au journal télévisé de Rebecca) L’autre s’est disputée avec lui. (Maintenant il regarde, comme un balayage panoramique du regard, Becky la mère de Rebecca mais aussi diva célèbre, amante de Manuel)
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- LE CINÉMA ESPAGNOL - COMMENT VISUALISER LA MÉMOIRE
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la troisième l’a retrouvé mort (pour finir il regarde Victoria Abril qui joue Rebecca, le personnage central). L’instinct du juge se vérifie à la fin du film où le mystère s’éclaircie. Rebecca à bel est bien tué Manuel. Le juge l’avait dit du regard seulement. Le réalisateur, Pedro Almodovar, va jouer avec les outils de mise en scène pour d’autres indices, notamment les couleurs et la géométrie des plans. Manuel a été retrouvé mort dans son peignoir rouge dans une position précise et précisé. Il est mort en bas de l’écran, de dos au spectateur. Le juge n’est pas rouge ce qui signifie qu’il est innocent il n’a pas de lien sanglant avec Manuel, les deux enquêteurs non plus d’ailleurs. En revanche un peu après, dans la séquence qui nous intéresse, celle de l’interrogatoire, la même couleur rouge est présente en bas de l’écran, comme une réminiscence de la mort dernière. En effet le personnage de l’interprète en langue des signes est innocente - elle est donc en noir - tandis que les deux personnages de droite, la mère Becky et la fille Rebecca sont responsables de manière plus ou moins nuancé, tout comme la couleur rouge qu’elles portent. Ce genre de séquence fait intervenir la mémoire visuelle, comme pour ne rien rater et reconnaître les faux, comme dans le jeu des 7 erreurs ou dans le cluedo. Cela montre bien une chose du moins, que Almodovar, même dans ses récits, se place vers l’avenir. Ainsi pas question ici du fantôme du franquisme, mais plutôt de la disparition de Franco, comme s’il n’avait jamais existé. Dans le livre - dont nous ferons le compte rendu un peu plus loin - Mémoire du cinéma espagnol Bénédicte Brémard cite le cinéaste à ce propos : « Mes films n’ont jamais été anti-franquistes car je n’y reconnais tout simplement pas l’existence de Franco. C’est un peu ma vengeance contre le franquisme : je veux qu’il n’en reste ni le souvenir, ni l’ombre.» (extrait de conversation avec F. Strauss pour les cahiers du cinéma). C’est aussi par les formes et les couleurs que le film s’exprime. Et même que le sens du film s’exprime. Le sens du film est composé d’indices mémoriels, par exemple on a vu une forme rouge en bas de l’écran se mêler une autre forme rouge, sans doute ont-elles un rapport intrinsèque, on a vu un regard, on a vu des costumes. Et si tout était faux. Si c’était du cinéma, comme la mémoire, comme le spectacle de la mémoire. On aperçoit déjà d’une certaine manière la façon dont Almodovar travaille la mémoire à travers la géométrie des plans comme paysage mental du spectateur. C’est une déclaration d’amour à
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À PROPOS DE TALONS AIGUILLES DE PEDRO ALMODOVAR
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l’instinct aussi, qu’il existe ou non, on écarte très rapidement la culpabilité de la jeune interprète au delà de ses mots, ce sont les couleurs qui nous font penser cela, les couleurs et le souvenirs des rancœurs de Rebecca, des regards et des échappées folles. Dans le paysage mental du spectateur, une carte plus ou moins fine commencent à se dessiner à partir de cette scène charnière où le film, en tant que concept cinématographique, est expliqué. II. Le cinéma espagnol comme héritage d’une mémoire - la citation douloureuse du souvenir et du traumatisme. Dans tout le film la citation du souvenir fait mal. Alors même si Almodovar veut rompre avec une certaine existence d’un passé, il reste sur le plan psychanalytique lié à une certaine conception du souvenir souvent rattaché dans ses films - et plus particulièrement dans celui ci - à un traumatisme certain. On pourrait chercher la symbolique de chaque plan chez Almodovar tellement la précision est le maître mot dans la conception de ses images, chaque plan offre une réponse à une question. Celle du souvenir et de la mémoire peut être symbolisé par le plan ci-contre - même s’il sort de l’extrait en question - Rebecca se souviens, enfant, elle a peur à nouveau. Chez Almodovar quand un personnage se souviens il ne regarde pas la caméra, ou du moins il ne regarde pas droit devant lui. Il regarde de côté, d’une certaine manière ce mouvement de tête active le souvenir, la culpabilité, le passé et désactive le présent et l’intrigue. Pour revenir sur l’extrait présenté, on peut voir un plan tout à fait fantastique. Le contre-champs sur les trois femmes soupçonnées. Le juge leur demande « L’une de vous l’a-t-elle tué ?». S’en suit la surprise pour les deux personnage en rouge, mais avant la surprise il y a une image, encore, qui se faufile et obsède. Rebecca et Becky regardant en bas à gauche - elle n’assume pas la vue de leur «Manuel» , rappelons nous, en bas à droite - elles activent le souvenir, désactivent le présent. En revanche l’innocente n’est pas torturée, elle n’a rien à se reprocher, elle regarde la justice et les jurés (spectateurs) dans les yeux. Ainsi ce serait aussi par le regard que le traumatisme du passé serait exprimé, par le regard que l’on aurait peur de la vérité. Car elles ont peur de la vérité toutes les deux - l’une à peur de ce que l’autre à fait - l’autre à peur de ce qu’elle à fait. Le spectateur lui ne comprends plus, il a peur tout simplement, on a peur, j’ai eu peur. Ainsi on peut dire que le paysage de la mémoire, pour reprendre la formulation de la problématique est révélé par un corps
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- LE CINÉMA ESPAGNOL - COMMENT VISUALISER LA MÉMOIRE
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témoin, une façon de tourner la tête, de tourner le dos, un geste qui traduit une réflexion profonde sur le sujet de la mémoire et du passé, car c’est un geste répété, réccurent. III.
La voix de la famille : torture sensuelle.
Si le jeu d’acteur stimule la mémoire et que la géométrie des plans crée un espace filmique assimilable à un paysage de la mémoire, le sons en tant que voix filmique et tout aussi important. La voix de la mère déjà, rien que cela c’est une formule frappante dans le schéma de la mémoire chez Almodovar. Rebecca elle ne maîtrise pas sa voix, elle ne joue pas avec sa voix, la voix de Rebecca a disparu, elle est éteinte, essoufflée. En revanche Becky donne de la voix, elle protège, elle chante.. Elle représente un certain passé. Sur notre extrait, Becky, s’oppose à la gênante déclaration de la jeune interprète en langue des signes, elle donne de la voix, alors que Rebecca elle utilise encore son corps et baisse la tête pleine de culpabilité, Becky refuse de se laisser faire et demande de la pudeur - peut on avoir de la pudeur ? La situation est terrible. Pour une mère qui aime sa fille et une fille qui aime sa mère - même si elle dit la détester. Ce que l’on appelle - suite au cours - la voix filmique, c’est une façon d’utiliser la parole chez un personnage, mais une façon rhétorique de la comprendre. Quand Becky s’exprime, c’est le passé qui parle. Le passé et les souvenirs qui sont de retour. Elle prend l’avion pour venir, elle prend l’avion et reste. Comme les souvenirs peuvent se réinstaller après des années. Cette voix obsède Rebecca - qui ira jusqu’à vouloir la faire taire sur le poste radio de la prison quand sa mère et une vieille chanson s’allient pour former le passé total - Benédicte Brémard parle de moment où la mémoire individuelle rejoins la mémoire collective. Ici dans Talons Aiguilles c’est surtout par le son que cela s’opère, par la voix de la mère. La voix du passé, de la famille, de l’histoire, des aveux et de la culpabilité. Le personnage le plus parlant reste pour autant le personnage hybride du juge qui explique la situation, qui dénonce, qui pose les questions que l’on se pose - comme une métaphore du spectateur multiple, homme, femme, enfant. Dans l’extrait comme dans le film dans son ensemble, ce personnage s’échine à se transformer il représente le spectateur en général. Et c’est ici que son statut de déguisé prend toute sa puissance, toute sa profondeur. A propos du schéma familial le personnage hybride
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représente l’électron libre, l’arbitre, l’ami, le neutre, jusqu’au moment où il découvre qu’il est le père de l’enfant de Rebecca. Il entre dans la famille et le spectateur avec lui. C’est un moment du film au delà de l’extrait présenté, mais qui sert à appuyer le caractère neutre du personnage du juge. Le juge n’est pas si neutre, le spectateur non plus, il est le père de l’enfant de Rebecca, le spectateur aussi. Et c’est ici que doucement le ton du film fonctionne le plus. Le mélange total des codes. Au deuxième visionnage de l’extrait que nous analysons ici, ce rôle d’hybride - multi-sexe -, de spectateur, est mis en parallèle avec ce que l’on sait de lui. Il est le père. La seule figure du père vivant. Et il imite d’un autre côté Becky, en chantant. Il devient la voix du père qui imite la voix de la mère. Nous appellerons cela la TORSION chez Almodovar. Le cinéaste se plaît à tordre la famille dans tous les sens. Et le fait de faire parler cette famille tordue (dans le sens de torsion) c’est la voix filmique du réalisateur, la rhétorique totale.
En conclusion, on peut dire que la mémoire est cartographiée dans se film grâce à plusieurs médiums comme la voix filmique chant, chanson-souvenir, voix de la mère/père - le corps témoin - petits mouvement de tête, regard distant vers le souvenir difficile, vêtements et couleurs symboles - créant ansi un certain paysage de la mémoire, une carte formelle et sensorielle. C’est une torture douce traversée par le thème de la famille et celle de spectateur.
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PARTIE II COMPTE RENDU DE LECTURE DU LIVRE MÉMOIRE DU CINEMA ESPAGNOL (1975-2007)
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LECTURE DU LIVRE MEMOIRE DU CINÉMA ESPAGNOL
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Le livre dirigé par Pietsie Feenstra est une œuvre collective autour de la question de la mémoire au cinéma et par le cinéma espagnol entre les dates clés de 1975 et 2005. Ce livre dégage des questionnements et des analyses de grande précision. Comment l’Espagne a-t-elle réagit à ce quasi-manque du franquisme ? Comment s’effectue le retour de la vérité, ainsi que le retour des violences, l’arrivée du sida, de la drogue, de la mort visible ? Nous prendrons comme problématique principale de ce dossier de compte rendu, en lien avec l’analyse précédente du film Talons Aiguilles de Pedro Almodovar : En quoi les violences de la guerre civile et la longue dictature franquiste décrivent-elles les réactions cinématographiques entre 1975 et 2007 ? Comment cette question est-elle traitée dans le livre Mémoire du cinéma espagnol ? Et c’est à travers un plan en trois partie que nous allons rendre compte de la lecture de ce livre, tout d’abord l’analyse de l’Espagne sur le plan chronologique grâce à la construction du livre même. Ensuite nous étudierons la notion de mémoire dans le livre, où se trouve le début de cette maladie de la mémoire. Enfin nous verrons les thèmes principaux commentés et illustrés dans le cinéma espagnol de cette période ainsi que les méthodes de récit, les personnages types et les cicatrices ouvertes d’un tel cinéma.
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I. L’Espagne - long délire à travers le siècle C’est un pays qui joue un drôle de jeu avec son histoire. On comprends dans la démarche du livre Mémoire du cinéma espagnol (1975-2007) la volonté de faire émerger l’ordre de l’histoire, la régularité des cycles et des dates ainsi que la précision absolue des faits. Mais quels sont ces faits ? Où est l’origine ? Nous nous arrêterons au XXème siècle, siècle de la modernité - quel mot dangereux - et du progrès - en voilà un autre - l’Espagne comme puissance européenne possède la caractéristique du petit frère, du marginal, de pays qui croit a ses propres espagnolades. Tel est l’Espagne d’avant Franco, d’avant guerre, d’avant le traumatisme d’une division et d’une dictature. En opérant un violent bond en avant, sans raconter Franco, nous voici dans les textes qui nous placent en 19751982, période dite de transition, on pourra même aller jusqu’à parler d’accoutumance. Il faut que l’Espagne devienne un pays européen en soignant les blessures, en s’en rappelant - et c’est par le cinéma que cette lente guérison va s’effectuer. Le rôle de ce livre est «d’étudier le dialogue entre les mesures politiques gouvernementales et le rôle du cinéma, qui analyse le passé sur grand écran» a. Ainsi petit à petit à partir de 1975 se sont installé dans les esprits espagnols ce que les auteurs en accord appellent des lieux de mémoireb. Le livre rend hommage à l’auteur de la guerre d’Espagne au cinéma, Marcel Oms. Plus précisément, un des auteursc parle de l’arrivée de la démocratie en Espagne en 1978, résultat d’une politique de réconciliation. Certains anciens politique ont eu assez d’influence à cette époque pour influer une sorte de honte de la mémoire. Pourquoi se rappeler de la guerre civile, une sorte de non-dit, on parle de «pacte du silence»d. Et dans cette analyse des pensées des masses le cinéma prend toute son ampleur, car dans son essence même il est qualifié par son caractère social et partagé. Ainsi un peuple, ici le fragile et nouveau peuple espagnol oubli comme un seul homme. Comme le nom d’un homme que l’on veut faire disparaître. En revanche le cinéma en parle, sans le montrer, ce cinéma là garde son ampleur métaphorique. On dit que Franco a disparu. Non. En vérité on ne le dit pas. Il a juste disparu. Comme dans les films d’Almodovare. a b
FEENSTRA Pietsie, page 15 « ce sont des films qui ont marqué le public (succès d’entrée en salles), la vie politique (mesures de commémoration, les commissions de censure (après sa suppression en 1977)»
c BRINKMANN Sören, page 20-25 d «On dénonça un «pacte du silence» ou «une amnésie collective» et même «une tyrannie de l’oubli»»(p24)
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CF analyse de séquence en PARTIE I
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LECTURE DU LIVRE MEMOIRE DU CINÉMA ESPAGNOL
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Finalement avec le recul des années, il est vrai que l’on peut considérer chaque films, de chaque réalisateurs de cette époque comme un outil sociologique sans impasse, mais possédant un point de vue. Le travail du chercheur est de trouver ce point de vue. Celui du réalisateur est de le cacher ou de le mêler au concept formel, esthétique. A travers l’histoire c’est de nombreux thèmes qui s’érigent comme un slogan, nous y reviendront dans la troisième et dernière partie de ce dossier. Dans ce livre, à travers par exemple l’entretien avec Basilio Martin Patino on apprend le lourd passé conservateur de la ville de Salamanque et à travers lui on se rappelle - ou en tout cas notre mémoire agit comme un simulacre de mémoire espagnole - et on partage ce que l’on n’a pas vécu, une sorte d’immortalité de la mémoire comme en parlait Milan Kundera dans son livre L’immortalité. En définitive, l’Espagne entre dans une sorte de silence à l’internationale d’où elle a du mal à sortir, sa politique, son art et sa vision des choses ne s’exporte et ne voyage que très peu. Oui. Il reste les espagnolades - présentent avant Franco et qui sont plus forte que lui. On ne se souviens plus de Franco ni même de son visage - il a disparu de la mémoire collective française du moins en revanche on connait l’Espagne des taureaux et du flamenco et des claquettes. L’Espagne américaine de Zorro, John Wayne ou de l’italien Sergio Leone. Dans le passage «Les traces de la guerre, les enfants sans père, à partir du cinéma de la transition» l’auteur José Luis Castro de Paz analyse un film nommé «Sur le Balcon vide»f. Un chef d’œuvre sur l’Espagne en exil, l’Espagne qui s’en va, ou mieux, qui s’absente. Ce segment parle d’une notion essentielle pour comprendre à la fois cet ouvrage et l’histoire de l’espagne : de l’importance de la dissociation en Espagne de l’esprit et du corps, de la mémoire et de l’espace pour aller vers un regroupement programmé. Une fusion finale et obsédante. La mémoire retrouvée II. L’obsédante mémoire filmique Le film fixe le temps sur pellicule, on n’oubli pas le film, on le revoit avant de l’oublier. Dans «Mémoire et histoire dans l’œuvre courte de Luis G. Berlanga» les auteursg affirme de la grandeur de ce cinéaste - qualifiant son œuvre de courte dans le sens de méconnue - représentant de la mémoire espagnole, collective et individuelle, s’adressant au spectateur avec un grand courage qui dans chaque film retrouve un souffle. f g
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film de Victor ERICE Eduardo Rodriguez Merchan et Elena Galan Fajardo
- COMPTE RENDU DE LECTURE -
«Ses films, comme des témoins dignes de foi de tous ces changements, reflètent par un portrait social précis mais aussi ironique, la vie vécue sous la dictature et la démocratie.»h Luis G. Berlanga incarne une certaine forme de mémoire. La mémoire-image. En effet l’image en tant que notion de lutte est très présente dans l’œuvre de Berlanga. Le chapitre sur Berlanga n’a pas la prétention d’offrir un passage en revue exhaustif de l’œuvre du maître espagnol mais de pointer du doigt à travers l’analyse de quelques uns de ses films une méthode de monstration de la mémoire filmique. Berlanga s’imposant ainsi comme un marginal, en dehors de tout système, mais participant pourtant à une composition commune d’une mémoire collective. Il participe, avec d’autres comme Carlos Saura et Bardem, à appuyer là où ça fait mal. L’Espagne au plus mal devient son sujet de prédilection, sa mission, tout comme Saura - qui sera par la suite critiqué quand son œuvre se dépolitisera. On peut, au niveau de leur histoire personnelle et de leur venue au cinéma, rapprocher Basilio M. Patino et Luis G. Berlanga. Ils sont tous les deux ici de familles aisées, bien placées. Tous les deux vont se distendre de leur noyaux familiaux pour des raisons politiques et en venir au cinéma. En quelque sorte régler les comptes avec le père avec l’œil et la caméra. «Les débuts : guerre et cirquei» pour Berlanga et «un voyage à Salamanque»j pour Patino. On voit bien que l’intérêt du livre ne se place pas dans sa forme mais plutôt dans son contenu, dans lequel on peut piocher. Il est fait comme la mémoire, on doit le lire comme tel. La mémoire possède elle aussi une structure, un idéal, un ordre. Mais pour la consulter, tout se tort - on retrouve là la TORSION d’Almodovar - c’est ainsi que l’on découvre que la mémoire de la guerre et du traumatisme du passé vont devenir des figures du cinéma espagnol d’après la transition. Et la libération des mœurs, la confusions des esprits vont apporter la touche épicée et le caractère cru de la plupart des films espagnols du début des années ‘80. Dans Sketches of Spain, un album de Miles Davis, Davis et ses musiciens tournent autour d’une histoire, d’une note interdite, d’une folie. Ce n’est que du jazz - cela n’a pas de rapport ? dans Sketches of Spain Miles Davis parle de la même mémoire que Berlanga, il fait intervenir les espagnolades, les claquettes, et c’est par cette utilisation et avec sa trompette bouchée qu’Almodovar n’hésitera pas à utiliser par la suite - qu’il va faire transparaitre la frustration d’un peuple qui se force à oublier. h i j
Eduardo Rodriguez Merchan et Elena Galan Fajardo, p76 idem, p77 Anne-Marie JOLIVET, p33
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LECTURE DU LIVRE MEMOIRE DU CINÉMA ESPAGNOL
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- même si à l’époque de cet album, Franco était encore au pouvoir - L’originalité de cet album appuie dans ce dossier la force artistique et sensorielle du travail des réalisateurs-auteurs s’inspirant du courage de certains grands hommes. L’Espagne après la transition décide de raconter. Et c’est par le documentaire qu’elle va le faire et notamment le film «La vieille mémoirek» dont il est question dans la partie rédigée par Jaume Peris Blanesl. «la vieille mémoire s’attaquait à la période républicaine et à la guerre civile de face et de manière globale, en mettant l’accent sur les aspects politiques du conflit.»m Ainsi au travers de tous les aspects de la mémoire - sociale, historique, ... - le caractère espagnol se transforme en obsession, en valeur, en thème. Comme une mémoire personnifiée. III. Les thèmes, les méthodes, les personnages, les cicatrices Et quand la mémoire se transforme en personnage, certains concepts, notions et thèmes s’imposent comme des personnalités de cette mémoire. Le thème de l’absence du père, celui de la réflexion sur la mort, les torsions de la famille, les images de la révolutions édifient ensemble une sorte de laboratoire de la mémoire d’après Jorge Novoan. Le cinéma va, en utilisant ces outils et ces thèmes, devenir le lieu de la mémoire par excellence. Le ton lui va varier selon les auteurs, soit comédie, soit drame, soit farce noire. Inmaculada Sanchez Alarcon parle d’une démystification de la guerre à travers la comédieo. Dans ce chapitre Alarcon étudie notamment le film Dragon rapidep. Le film offre une vision plus intime du dictateur Franco, la référence historique dans cette comédie est très forte, créant une sorte de profondeur noire au ton de la comédie. Le cinéma espagnol joue avec l’image de la dictature, avec l’image de la famille, avec les images en général et tout ça avec un grand méthodisme. La structure est très importante, comme dans un édifice, il faut que ça tienne ! Ensuite, il y a l’enveloppe. Dans les films d’Almodovar pour y revenir encore une fois la part formelle est très grande. k l
réalisé en 1977 par Jaime CAMINO La «vieille mémoire» du témoin : le statut des témoignages dans les documentaires contemporains sur la guerre civile, p99
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idem, p99 images de la révolution, fragments de guerres, enjeux de mémoires
La guerre est (presque toujours) une affaire sérieuse : la comédie espagnole des années 1980.
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réalisé en 1986 par Jaime CAMINO
- COMPTE RENDU DE LECTURE -
Mais aussi dans les films surréalistes du Mexicain Guillermo del Toro comme le Labyrinthe de Pan,q ou après en grand trou temporel le fantôme de la violence de la guerre civile sort comme un monstre ridé. Dans les films de G. del Toro la part réservé au fantastique, au décor, au fluides est très importante. Ainsi on peut se demander si le paysage de la mémoire collective espagnole va encore évoluer vers une accalmie stylistique ? Dans le film de del Toro l’imaginaire devient mémoire d’après l’article de Verena Berger il «oscille entre réalité historique et fantaisie».r EN CONCLUSION Les réalisateurs restent des enfants traumatisé par le réalisme de l’histoire Espagnole. La mémoire de leurs familles, de leurs parents, des films de leurs enfances restent eux aussi. Et sur un fond de musique pour une après guerre le monde du cinéma Espagnol ne peut que grandir, la cartographie totale de la mémoire et le rétablissement d’une histoire étant un objectif plus que convaincant et motivant même pour les jeunes réalisateurs comme Del Toro et Cuaron - pour n’en citer que deux - le cinéma Espagnol n’a plus qu’à grandir. «Si, au fil de ses films il a su retrouver la mémoire de sa jeunesse dans ce qu’elle a de plus sombre, l’histoire qui l’intéresse le plus est sans doute celle qui reste à écrire - sinon pourquoi tant de ses films s’achèveraient sur un enfant à naître, un rideau à lever, un couple à former, du temps à rattraper ?»s
q r s
réalisé en 2006 p 176 Bénédicte BREMARD à propos de Almodovar et de ses films, p87
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