MUR MURS
Mon enquête sera linéaire, elle part d’une curiosité et finit sur un constat.
MURS SEULS Mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur, mur,
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Mais tous les murs ne se ressemblent pas.
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Mais tous les murs ne se ressemblent pas. Ceux qui ouvrent et d’autres qui ferment, Ceux avec vue sur la mer et ceux avec vue sur le dedans des choses, Ceux qui séparent et d’autres qui réunissent, Ceux transparents mais infranchissables, Ceux qui sont des ponts, Ceux pour s’embrasser, ceux pour écrire, d’autres pour uriner, Ceux au pluriel, d’autres dans leur solitude, Ceux avec des fenêtres, et d’autres avec des trous, Ceux qui s’appellent richesse et pauvreté ou nord et sud, il y a des murs proches et d’autres cachés, il y a des murs qui font de l’ombre et des murs faits pour la lumière, Ceux pour faire des maisons et les maisons font parfois des villes, Ceux et-cætera. Le personnage fou qui les transperce, qui explose l’ordre établi et dérange l’insupportable tranquillité, je l’attends. Jusqu’au moment où je décide d’aller enfin le chercher. Il n’est pas seul comme un mur, il est multiple. Pour le trouver malgré tout, je longe, je roule ou je marche, je suis presque un homme horizontal. Est-ce que le mur crée l’horizon ?
J’ai commencé à enquêter à partir d’une curiosité cartographique. Le mur unique existe-t’il ? Car lui seul pourrait transformer l’horizon théorique en réalité palpable. Alors, b ien évidemment, le mur le plus long existe dans les livres et sur le réseau. Le mur le plus haut aussi, le plus gros et le plus large. Mais tout ces murs ne sont que des anecdotes touristiques à côté du mur unique. J’entends par mur unique l’horizon total. Est-ce que l’homme est arrivé à cette perfection ? Est-ce qu’un jour quelqu’un l’a cherché ? L’enquête a commencé par une recherche de murs, elle se termine par une recherche d’horizons humains.
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Yolande Rosso est une grande blonde marquée par la vie. Elle porte toujours un chapeau quand elle sort. Elle a quelque chose de magnétique. Elle n’a pas tout de suite compris pourquoi je voulais la rencontrer. Je lui ai expliqué que je faisais une enquête sur les murs, mais cela ne l’a pas du tout éclairée ; alors, plus simplement, je lui ai parlé de son lierre à travers l’entrebâillement de la porte. Je lui ai demandé pourquoi elle l’avait laissé proliférer, il était tellement lourd qu’il faisait des trous dans la paroi. Quand elle m’a invité à entrer, son regard était miamusé, mi-dubitatif. Elle m’a offert un jus d’orange. A première vue, son intérieur était très meublé et chargé. Elle m’avoua qu’elle habitait dans cette maison depuis les années soixante - à vrai dire ça n’avait pas beaucoup bougé depuis. Mais le lierre, pourquoi m’a-t-il attiré dans cette maison ? Clairement, il occupe le mur de bas en haut, imposant. Il occupe l’espace vertical qui est le décor. Je lui ai demandé si elle avait un avis sur le sujet. Ce mur a-t’il de l’importance pour elle ? Elle m’a répondu de manière étonnante, elle m’a dit, très directe, qu’il n’était pas plus important pour elle que les autres, mais qu’elle l’aimait bien quand même, à cause de ce lierre tenace qui prolifère. Qu’elle aimait sa façon de grandir, de s’éparpiller, sa liberté. Tellement qu’elle ne m’a pas du tout parlé du mur en tant que tel ; ce mur n’existait pas pour elle, il était le lierre. Elle aurait aimé, me dit-elle, vivre à la ville parce qu’il y a de beaux murs, grands et hauts. Son mari était allé à New York une fois, sans avoir pu l’emmener. Elle a toujours regretté son mal de l’air. Et si Yolande avait vraiment vécu en ville ? Où sont les murs en ville ? Elle a sans doute raison, le mur vaut mieux que sa disparition dans le reflet indifférent d’une tour. Le mur est beau s’il est un support, le support d’un être vivant qui grandit et s’anime contre le flan de la maison rouge brique. Et si Yolande avait vraiment vécu en ville ? Aurait-elle vu les murs lorsqu’ils sont dénués de verdure ? Les murs sont partout et nulle part ; on les voit quand on y pense. Le mur de Yolande est intéressant parce qu’il est purement vertical et statique, malgré sa situation en campagne : la vie rampe sur lui. Et s’il devait monter jusqu’à la Lune alors il est fort probable que la vie l’aurait suivi de la même façon. C’est pour cela que j’aborde l’idée du décor vertical et à vrai dire c’est Yolande qui m’y a fait penser. 9
Je lui ai montré les photos que j’avais déjà fait de son mur rouge - l’autre décor vertical de la maison. Je suis resté stupéfait de trouver autant de poésie dans l’ordinaire. Parce que Yolande est ordinaire, elle n’a pas d’idées folles sur les murs mais elle met le doigt de façon juste sur la question : Un mur ça sert à se protéger, pas de mur c’est comme si on était tout nu ! Dans ce cas-là, les murs épais de chez cette dame témoignent qu’elle est très habillée, très protégée, peut-être trop. Son rêve d’Amérique est depuis longtemps mis au placard, et les tours sans fin sur
lesquelles un lierre infini pourrait pousser ne sont véritablement plus d’actualité. Par ailleurs ses murs intérieurs, bien qu’ils ne soient pas le sujet central de ce dossier, étaient surchargés aussi, de la même manière, recouverts par-ci d’une épaisse couche de peinture, voire d’une tapisserie, par là d’un tableau ouvrant sur un quelconque paysage, sur une photo de famille.. C’est, chez elle, cette surprotection qui l’empêchera de s’échapper. Mon mari est décédé il y a cinq ans, me dit-elle.
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Et d’une façon défnitive, comme pour appuyer le pressentiment que je commence à avoir, elle me lance un glaçant : C’est devenu comme une prison ici.
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Je suis resté gêné, ne sachant quoi répondre. J’ai siroté mon jus de fruit, j’ai changé de sujet. Et pour aller mieux, sans doute aussi pour fuir, on ne parle pas des sujets qui fâchent, je ne parle plus des murs qui enferment.
Longeur. J’ai eu la chance d’en rencontrer un par l’intermédiaire de mes études, il cherche ce qu’il appelle l’horizontalité croissante pour marcher, pour parcourir. Il reste dans la ville, il ne va pas dans les forêts qu’il s’amuse à qualifier si justement d’inhumaines car non créées par l’homme. Alors, il marche quand il peut, et quand il ne peut pas, il marche quand même. Pour suivre le mur infini. C’est un défenseur de la fascinante cité linéaire. Il aime à penser que la ville est sans limite, d’une horizontalité parfaite. Il est quelque part le pendant horizontal de Yolande, il ne jure que par la prolifération horizontale d’un centre-ville continu. Il est architecte mais il n’a jamais construit, il vient parfois dans l’école d’architecture, juste comme ça. Il s’appelle Claude Vallard. Je ne supporte pas l’idée de filer toujours vers le haut. Multiplier les voisins, quelque part habiter un mur géant, tu aimerais habiter avec 20 000 voisins ? 20 000 problèmes en plus ! Pour moi le mur ne s’habite pas il se parcourt, il se longe, on le saute, et je fais volontairement l’amalgame entre le mur et le muret ! L’idée de mur unique est vieille, elle s’appelle cité linéaire ! C’était une belle idée mal appliquée, comme beaucoup de belles idées. Los Angeles est horizontale mais elle est tout sauf un horizon. Je le trouve un peu radical. Mais il est aussi scientifique qui se veut total. Avec une ligne de conduite littérale et concrète, Et insatiablement, il suit cette direction, cette recherche. Une question me vient. Édifier un mur est l’acte premier de civilisation. Le rapport de la vie et de la mort. Stonehenge, le trilithe, est la superposition d’une poutre sur deux murs. Le mur est par essence intrinsèquement lié à la vie humaine et inévitablement à sa chute. Le mur est un support de vie. À partir de ce moment je suis heureux de discuter des murs parce que mon enquête prend trois dimensions. Le mur horizon, le mur vertical et les deux réunis dans un décor infini qui n’est autre qu’un espace où les gens se projettent. Une ville. Je demande alors à Claude Vallard de me parler de cette cité linéaire.
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C’est un projet architectural âgé de plus de cent ans. Il est le résultat d’une longue étude sur les us et les mœurs des habitants de l’Espagne du début du XX ème siècle. C’est un concept de ville idéale mis au point pour résoudre la question de la densité des villes et de leur absence de lien avec la campagne. L’inventeur du concept est un espagnol - d’après Claude c’était un radical, sauveur des villes - Arturo Soria y Mata. Il disait cette phrase : Ruralisons les villes et urbanisons la campagne. J’aime ce credo. Cette transformation est possible avec l’aide de deux éléments essentiels. La nature et le mur. Par là, on obtient une ville et une nature maîtrisées. C’est aussi un peu avec cette nostalgie que je vis en croyant qu’il est toujours possible de penser ainsi. Je trouve toujours que c’est une belle façon de penser. Il m’explique aussi que le projet était irréalisable tel qu’il était écrit, mais que c’est une porte de sortie pour les mégalopoles. Mais cela passe par une réorganisation des murs. Le mur horizon offre le voyage, il me fait penser aux murets de l’autoute au Nord de Marseille qui soulignent doucement le paysage lointain et l’Orient. Les murs dont parle Claude Vallard sont bien de ceux-ci. Mais cette idée est folle. Comment cet architecte espagnol a t’il pu imaginer cela en 1882 ? Il devait quelque part être fou. Et courageux. Claude Vallard lui aussi est courageux, mais à retardement, presque par optimisme. Cet architecte est celui que je cherchais pour exploser les limites du mur. Alors Claude Vallard commence à s’agiter, lui qui au début était si calme. je lui ai demandé de poser dos à un mur blanc, sur lequel j’ai projeté une photographie de ville. Comment serait cette cité linéaire ? Un couloir habité et infini, faisant le tour d’une Terre uniquement définie par ces deux murs. Un poème de la perspective à un seul point de fuite, une perfection pour les marcheurs monotones. C’est la question initiale qui a attisé ma curiosité, et c’est en parlant de cette question à un de mes professeurs que j’ai finalement rencontré Claude Vallard, apparemment spécialiste local de la cité linéaire. Si je n’ai pas la qualité pour déterminer s’il est spécialiste ou non, je peux au moins reconnaître que son expérience concrète a donné à mes questions une autre perspective, un relief différent. 14
Je suis parti il y a trente ans environ dans une sorte de randonnée géante. À l’époque, j’étais un jeune architecte trentenaire et je voulais construire, mais j’avais peur et pour ne plus avoir peur je suis parti en voyage pendant six mois. Je suis parti de Marseille vers l’Est sans grand calcul de destination. Je voulais savoir ce que ça faisait de voyager. Je me suis retrouvé vers l’Albanie six mois plus tard, parce que là-bas, il n’y avait pas de mur. Je n’ai jamais pu construire. Je ne sais pas ce qui est vrai ou faux dans cette histoire ; mais ce que je retiens du témoignage de Claude Vallard, c’est qu’il faut parfois près de six mois pour accepter une vérité dure à entendre, et qui ne devient véritablement audible qu’au pied du mur.
A ce point de mon enquête, j’ai la sensation que les deux personnes que j’ai rencontrées jusqu’ici composent malgré eux les deux branches complémentaires, et nécessaires, d’un équilibre quasi-immuable. Ceux qui vont trouver le soleil au bout du monde, cherchant sa lumière au bout des rues, et ceux qui pensent l’attraper quand il est à son zénith en prenant de la hauteur sur les choses, ou ceux qui rêvent de l’attraper. Le mur est la constante. Car dans les deux cas il est présent soutenant les deux idées, les deux philosophies.
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Il serait curieux d’imaginer leur rencontre, j’ai l’impression que ce n’est pas possible. Que l’enquête s’arrête là. Ce serait comme voir le mur en trois dimensions : x, y, z. Mais l’une des pièces du puzzle est manquante. Je m’aperçois comme tombé du nid, qu’il y en même quatre si le temps est compté. Le mur existe creusé, bifurquant, changeant, courbé, tendu, petit, gros, troué... Tout ces changements impliquent des interstices – des marges d’erreur. Ces gens comme Yolande et Claude sont des murals. Ils sont comme les peintures que filme Agnès Varda à Los Angeles dans son film mur murs. Ce mur, ils l’expérimentent et surtout, ils l’habitent. Et par là même, par cette simple action quotidienne, ils sont la projection de la vie sur lui, comme le lierre rampant sur la brique à Gardanne. Le mur est, avant tout, un support de projection de vie humaine. Le terme support de projection peut être compris de deux manières. Le support concret, réel et le support métaphorique. A ce point de mon enquête, j’ai longé les murs : j’ai trouvé quoi, et qui chercher. D’abord la jeunesse. Comme un miroir un peu inexact et fluctuant, une projection dédoublée d’elle-même, à la fois horizontale et verticale. Delphine est une amie de mon frère et c’est une fille drapeau. Elle est la projection d’elle même, elle est présente sur la photo comme elle est dans la réalité, le drapeau américain projeté sur le mur en plus : extrêmement assortie. Cette photo fait écho au mur comme espace de projection de fantasme. Delphine rêve d’amérique exactement comme Yolande. Yolande fait pousser indéfiniment un lierre grimpant sur sa façade et Delphine rêve. Delphine ira en Amérique je pense tandis que Yolande ne l’a jamais fait. Le mur est là derrière, comme une constante. Sur cet exemple, le mur support de projection rejoint le mur décor.
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Puis j’ai parlé avec un italien, lui aussi architecte, qui vit chez ses parents en Italie. Il est est venu voir Marseille qui tente une fois encore de renaître, il a été très intéressé par ces histoires de murs verticaux et horizontaux, ces histoires de supports de vie. Il s’appelle Alberto Pistoni, il est fraîchement diplômé de l’université de Parme et comme la pensée italienne le veut, son coeur balance vers les murs ornementés.
Sa vision du mur est très politique. Pour lui, construire est uniquement un choix politique au sens large du terme. Et il y a deux manières selon lui de contrôler l’avenir proche d’un mur. Soit en le concevant, le concepteur peut choisir la forme, les matériaux, l’orientation, les dimensions de l’objet construit. Soit en étant ce qu’il appelle un mauvais peintre, celui qui dessine les trompes-l’œil sur les murs nus - ou murs aveugles. Dans les deux cas c’est un acte politique. Sa théorie est un peu complexe mais j’ai eu de la chance de me retrouver avec un homme qui a réfléchi à la question. Ainsi il voit le concepteur d’un côté, qui serait l’allié d’un pouvoir politique A et d’un autre côté le décorateur ou le mauvais peintre - mauvais parce que politisé allié avec un pouvoir politique B. Les politiques A et B veulent avoir le mur, parce qu’avoir le mur depuis des milliers d’années signifie avoir le pouvoir. Ces deux forces s’affrontent constament parfois elles trouvent un terrain d’entente et travaillent ensemble et cela donne souvent des murs paisibles, reposants et même beaux, comme par exemple le tout récent mur du musée des civilisations à Marseille.Parfois l’affrontement reste un affrontement, les métiers se tapent dessus, le mur est un conflit une séparation, véritablement politique et rien d’autre. C’est le mur John Lennon de Prague que j’ai vu il y a quelques années, entièrement peint, décoré, tagué. Et si le mur avait toujours été le résultat d’un choix politique. Depuis les fondements de nos sociétés le choix de la construction est politique et ce qui est par-dessus, ce qui l’enveloppe, va dans la plupart des cas à contre-courant du pouvoir en fonction. Mais cela reste de la politique. C’est tourner autour du soleil. J’ai rencontré Alberto lors d’une conférence à l’école d’architecture de Marseille. Pour pouvoir y assister on était obligé d’emmener du mobilier - tables, chaises, hamac,... - On a apporté une vieille table en bois avec des amis de l’école et Alberto avait apporté une chaise. Je l’avais déjà vu un peu plus tôt dans la journée, je suis aller lui parler parce que j’avais cru entendre qu’il venait de Parme en Emilia Romagna la région natale de mon grand père. Je suis d’abord aller lui parler pour l’anecdote, puis la conversation a dérivé sur ses travaux et finalement sur les miens. Alors on a parlé des murs avant de parler de politique. Un mur pour un architecte doit avoir une épaisseur,
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une matérialité. C’est au départ le dessin qui détermine l’épaisseur et avant ça l’intention mise dans le dessin. Le mur épais correspond à une structure, c’est un mur mère qui peut soutenir la vie. Un mur fin est une cloison, une séparation et pour être extrême une triche, car il ne tient rien, il ne fait que séparer des espaces. C’est Alberto qui m’a parlé de cette manière. Le mur est un mur par son épaisseur et son ornement lui apporte son orientation intellectuelle, son orgueil ou son humilité. Après tout, je peux affirmer avoir redécouvert ce que je savais mais que je ne voyais plus, que ce que j’ai trop nommé est indispensable, autant aux rêves qu’à la vie concrète.
En français pour tous les murs il n’y a qu’un mot et ce mot comme ce qu’il désigne est LA CONSTANTE de notre civilisation et le sera sans doute toujours, en tout cas tant que les boucliers structurels magnétiques n’ont pas été inventé ou que les humains ne soient plus pudiques, ce qui ne risque pas d’arriver. Alberto m’a parlé d’une chose encore ; un flm d’Agnès Varda, que j’ai déjà évoqué plus haut, et qui sera ma seule référence cinématographique dans ce dossier. Ce flm, c’est Mur murs, tourné au début des années 80 à Los Angeles. Il tourne autour des murs détournés, des murs longs, courts, épais, hauts, des murs qui représentent ce que je cherche à exprimer. Maintenant que j’arrive à la fn de ce dossier, je peux dire que ce flm a été une révélation pour moi. Yolande a fait pousser sa décoration sur son mur rouge, Claude m’avait parlé de Los Angeles comme d’une cité linéaire, Delphine se balade comme une fille drapeau rêvant d’Amérique et pour finir Alberto me parle de l’acte politique avant de m’achever en synthétisant mon embryon d’idée dans un film existant. Ils sont des murals tout comme leurs idées.
Le mur est un horizon mais c’est aussi une absence d’horizon, c’est le soleil et l’ennemi du soleil, c’est la transparence et l’opacité, c’est la prison et la sécurité, c’est le froid et le chaud, c’est ce que l’homme a fabriqué de plus civilisé mais c’est aussi ce qu’il déteste le plus, c’est beau et c’est laid, c’est le mur et-cætera.