Sparse 05 (déc. 2013)

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sparse | numéro 05 | trimestriel | déc. jan. fév. 2013-14

guide moderne de dijon | gratuit

CRASH TEST TU T’ES VU QUAND T’AS BU ? DOSSIER LE FOOTBALL COMME JAMAIS ON NE VOUS L’A RACONTÉ IMMERSION UN MERCREDI SOIR AVEC LE CLUB DE SCRABBLE LOCAL LA TOISON D’OR OU LE SUMMUM DE L’ENNUI PIQUE-ASSIETTE LES MEILLEURS SPOTS POUR MANGER GRATUITEMENT SERGUEÏ BUBKA UN EXTRATERRESTRE À GASTON GÉRARD OUVERTURE DE LA CHASSE À TABLE, LE GIBIER EST SERVI DIAPORAMA LES CABINES TÉLÉPHONIQUES EN VIE BERNARD ZÉKRI LE DIJONNAIS QUI A RAMENÉ LE HIP-HOP EN FRANCE + NATHALIE KOENDERS SUNLESS MEHDI BELHAJ KACEM TIM SWEENEY TOP/FLOP ROMAN-PHOTO GUESTLIST COURRIER DES LECTEURS


Cette année,

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« Sparse ? La moitié j’ai pas compris, l’autre j’ai cru que vous vous foutiez de ma gueule » Philippe M., collègue d’un ami à moi - octobre 2013

édito. Salut, c’est Sparse. « Franchement, au lieu de galérer tous les mois à gratter de la pub aux structures que je subventionne, tu voudrais pas le faire payer aux lecteurs ton magazine ? », me glissait François R., voyant la CB de Sparse à nouveau refusée à la caisse de Pink Plaisir, célèbre magasin de Chenôve. Vendre Sparse ? What the hell ?! Est-ce qu’on doit faire payer cet indispensable périodique que tu as entre les mains ? Ou est-ce que tu récupères ce torchon au kébab du coin quand tu n’as plus de PQ chez toi ? Et s’il n’est plus gratuit, tu te rabattras sur La Gazette ? Qui paierait pour Sparse ? Ma mère assurément. Mais toi, lecteur passionné, serais-tu prêt à dépenser ne serait-ce qu’un centième de ton budget apéro dans le mois pour ce brûlot hypie ? (Bon si ton budget apéro c’est 2.000 euros, ça peut être compliqué c’est sûr...) Tu as dû le remarquer, si Sparse peut sortir en papier c’est jusqu’à présent grâce à la publicité. C’est une réalité, même s’il y en a très peu. Ça permet juste de payer l’impression du magazine et l’abonnement à BeInSport du rédac’ chef. Et comme on n’est pas des commerciaux, c’est à chaque fois compliqué de boucler le budget. La crise, tout ça... Entre deux réclames, donc, découvre dans ces pages façonnées à la sueur de notre front des enquêtes plus captivantes et sexy qu’un SAS époque « Piège à Budapest ». Pénètre le vrai football, loin de la taxe à 75% et de la Champion’s League, mais avec autant de gel dans les cheveux. Retrouve cet escroc de Nicdasse Croasky dans ce qui est devenu la série culte de la jeunesse dorée dijonnaise, visite le temple de la consommation bourguignonne, ou tapes-en cinq à Sergueï Bubka. Un programme aussi alléchant, ça donne envie de dépenser son pognon, hein ? Sachant surtout que la lecture de ce magazine est recommandée par l’UFMI-TRC* et qu’il est désormais prouvé scientifiquement qu’elle augmente considérablement le pouvoir de séduction. Mais en réfléchissant... Les annonceurs sont presque tous des structures subventionnées à but non lucratif... donc, c’est tes impôts. En fait, tu payes déjà. Prélèvement à la source... bien joué. FREE SPARSE ! Je suis prêt à réduire ma rémunération pour l’écriture de cet édito, qui défie à chaque numéro les standards de la littérature moderne, pour ne pas avoir à faire de publi-reportages. Et de toute façon, à la compta, ils sont déjà assez occupés avec les notes de frais de Tonton Stéph. Putain de foire gastro. Ton Sparse. Zéro euro. Avec au moins 50% de matière grasse. Chablis Winston *UFMI-TRC : Union française des mecs intéressants, tout en restant cool.


sommaire AMUSE-BOUCHE 3. ÉDITO 5. GUESTLIST 6. OK PODIUM Je fais du vélo à Dijon. 7. CONTRIBUTEURS 8. THE PULITZER SESSIONS 10. TOP / FLOP 11. COURRIER DES LECTEURS 12. STORY Sergueï Bubka, tsar shooter. IMMERSION 14. VIENS CHÉRIE, ON VA À LA TOISON Chroniques de la vie ordinaire.

DOSSIER 20. VIS MA VIE DE FOOTBALLEUR AMATEUR

ours Ce magazine est édité par Sparse Média. Siret : 750 725 806 00012 - APE : 9499Z www.sparse.fr - contact@sparse.fr

Et un, et deux, et trois zéros... Voire beaucoup plus. 28.

LES MOUT’HARD BOYS, C’ÉTAIT MYTHIQUE

Portrait d’un historique fan du DFCO. 32.

LE FOOT, LE JEU, LA PHILO

Entretien exclusif avec Mehdi Belhaj Kacem.

DIRECTEUR DE PUBLICATION ET RÉDACTEUR EN CHEF Pierre-Olivier Bobo

LIFESTYLE 36. MOT COMPTE DOUBLE DANS TA FACE

CONTRIBUTEURS Alice Chappau, Antoine Massot, Arthur Gérard, Chablis Winston, Estelle Vonfeldt, James Granville, Jeff Buckler, Kevin Quigagne, Lilian Elbé, Marie Tello, Martial Ratel, Mireille, Mr. Choubi, Nicdasse Croasky, Sophie Brignoli, Thierry Binoche, Tonton Stéph, Valentin Euvrard

DIAPORAMA 40. LES CABINES TÉLÉPHONIQUES

DIRECTION ARTISTIQUE INTERNETINTERNET

PHOTOGRAPHIES Alexandre Claass, Antoine Massot, Louise Vayssié, Renaud Monfourny ILLUSTRATIONS David Fangaia, Estelle Vonfeldt, Hélène ‘Microbe’ Virey, Pierre Roussel DÉVELOPPEMENT COMMERCIAL Romain Calange RELECTURE Sophie Brignoli, Lucie Desbrosses COUVERTURE Belles daurades, Carrefour Quetigny Photo : Alexandre Claass IMPRIMEUR Chevillon Sens Dépôt légal : à la sortie du magazine ISSN : 2260-7617 La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, cellesci n’engagent que leurs auteurs. Tous droits réservés © Sparse 2013 Merci à nos partenaires et annonceurs, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont permis la réalisation de ce numéro.

Mon mercredi soir avec le Scrabble-Club dijonnais.

On est allés traquer ces vestiges du passé.

CONTRE-CULTURE 46. BERNARD ZEKRI

L’histoire du mec qui a ramené le hip-hop en France. 50.

LE TAG PARFAIT

J’ai enfin compris pourquoi des mecs taguaient les TER Bourgogne, les arrêts de bus et les poubelles. 54.

DANIEL LINUESA

Pink Floyd, Bob Marley ou Lou Reed en concert à Dijon ? C’était lui.

MUSIQUE 56. TIM SWEENEY

Rencontre avec l’homme derrière l’émission de radio dont les new yorkais raffolent : Beats In Space. 60.

SUNLESS

On a voulu en savoir plus sur les secrets de fabrication de la pop de Sunless.

FOODAGE DE GUEULE 64. ENQUÊTE SPÉCIALE GIBIER 68. PROFESSION : PIQUE-ASSIETTE DESSERT 70. ROMAN-PHOTO 74. SÉLECTION DE DISQUES 76. MÉDIAS Alain Delon, Miss France et le Zénith. 77. SÉLECTION DE FILMS 78. CRASH-TEST Tu t’es vu quand t’as bu ? 80. ME, MYSELF & I Plaisir d’offrir, joie de recevoir. 82. CARTOGRAPHIE Ces gros engins qui nous font peur.


GUESTLIST PAR LA RÉDACTION PHOTOS : DR

NATHALIE KOENDERS

CHRISTOPHE TASSAN ALEXIS DORE

FRANCESCA SEBASTIANI BERTRAND CARLIER

Plutôt parc de la Colombière ou jardin de l’Arquebuse ? Parc de la Colombière, j’y vais régulièrement faire des footings et le week-end je me balade en famille.

Parmi les 148 festivals dijonnais, c’est lequel ton préféré ? Dièse. Pour son éclectisme et sa gratuité. Et le futur Oenomusic festival de Dijon.

Tu les trouves bons, les churros et les croque-monsieurs vendus par tonnes à la Foire gastronomique, toi ? J’essaie d’arrêter.

La dernière fois que tu es allé au Zénith, c’était pour voir qui ? Damien Saez, j’étais en classe musicale avec lui au collège Marcelle Pardé.

La Toison d’Or a maintenant un logo orange. Un complot du MoDem selon toi ? Peut-être… le MoDem aurait-il enfin eu une bonne idée ?

Kir, pour toi, c’est avant tout un lac ou une boisson? Un lac, en tant que kayakiste, j’ai dû faire le tour au mois 3.000 fois….

Toi aussi, tu te sers du papier de La Gazette pour faire la litière de ton cochon d’Inde ? Non, mais celui du BP comme papier toilette.

Où as tu rencontré ton conjoint ? Au Palais des Sports de Dijon.

Et si on ouvrait enfin les portes de la Chartreuse, bordel ? Ça ferait un 149ème festival.

Adjointe au Maire de Dijon déléguée au Commerce, à l’Artisanat et à la Démocratie Locale

Où est-ce que c’est le plus facile de voler des trucs à Dijon ? Pour apprendre à voler, je choisirais plutôt l’Aérodrome de DijonDarois. T’as envie de dire quoi aux blaireaux qui ont l’inélégance de vivre dans un autre patelin et te disent « han, Dijon c’est la moutarde » ? Penser que Dijon se limite à la moutarde, c’est penser que le cinéma français se limite à Camping ! Il t’inspire quoi le nouveau revêtement rue de la Lib’ ? Je l’agrémenterais bien de belles chaises… La dernière création artistique qui t’a donné des frissons ? Yves Jamait chante Guidoni : « Tout va bien » au Théâtre Dijon Bourgogne. Plutôt Olympia, Darcy ou Cap Vert ? Olympia et Darcy : c’est au centre ville.

Gérants d’Alchimia, café & galerie

As-tu laissé allumée ta télé sur Voo TV pour leur donner de l’audience lors de tes vacances ? Oui, et sur Radio Campus aussi. Tu vas culpabiliser de rouler en bagnole polluante au lieu de prendre le tram ? J’ai un scooter couleur cassis, c’est pas trop mal, nan ? Pourquoi certains mecs portent encore le bouc ? Si tu parles encore une fois de mon père comme ça... Tu t’es déjà fait piquer ton vélo ici ? Oui, sur les halles mais c’était déjà un vélo volé alors… La 8.6° est plus consommée que le crémant de Bourgogne par ici, non ? Oui et tiède si possible.

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Fondateurs de Jondi.fr

Pourquoi a-t-on l’impression que le site Jondi.fr a un design qui date de 1994 ? Parce que c’est l’année où on a arrêté de parler le verlan. C’est un hommage. Pourquoi a-t-on l’impression que le site Infos-dijon.com n’a pas de design du tout ? Probablement un hommage au Minitel. Plus sérieusement, je préfère voir un site d’actu locale produit à Dijon par un vrai journaliste, qu’une resucée d’articles compilés depuis Madagascar ou Tunis comme ça se fait dans d’autres villes. Plutôt kébab ou McDo ? Ça fait 15 ans que je n’ai pas mangé chez McDo. Depuis que les Ricains boycottent le Roquefort en fait. Quelle main faut-il placer sur la chouette pour que ça marche ? Aucune. C’est la salamandre à côté qui porte bonheur. Si tu devais remplacer la chouette comme symbole de la ville, tu choisirais quoi ? Ben du coup, la salamandre. Faudrait-il installer une tente de la Croix-Rouge rue Berbisey du jeudi soir au dimanche matin ? C’est déjà le cas, il me semble. Tu les aimes, toi, les contrôleurs de Divia ? Oui mais je n’ose pas leur dire, je suis timide. Tu étais invité à la dégustation du beaujolais nouveau au Bien Public toi ? Je ne bois plus de ce vin-là.


OK PODIUM

LES QUINZE RAISONS QUI ME FONT DIRE QUE...

JE FAIS DU VÉLO À DIJON PAR JEFF BUCKLER

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Parce que je n’ai pas peur de mourir.

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Parce que ça me permet de faire la Une du journal local une fois par mois. Pour offrir aux lecteurs une alternative aux Roms.

Parce que la voie en contre sens de la rue Piron. Merci André Gervais.

Parce que depuis que je ne fume plus de shit, c’est un de mes derniers moyens de me confronter à la maréchaussée sur la voie publique.

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Parce que tous les trois mois, je permets à quelqu’un de jouir de ma bécane pour rentrer chez lui. Sans mon accord.

Parce que l’écologie. Parce que je tiens à garder la forme. Parce que je ne travaille pas à Genl is.

Parce que ça fait toujours plaisir d’all monture pas chère à Emmaüs tous leser chiner une nouvelle trois mois.

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Parce que les Vélodi. Merci André Gervais.

Parce que mon premier vélo venait de la boutique du père de notre seule gloire locale. <3 David Derepas.

Parce que le Critérium de Dijon sur les allées du Parc. Prends ça, le Tour de France.

Parce que je n’ai plus le permis.

Parce que je déteste autant que je respecte ces putain de hipsters en fixie.

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Parce que je n’ai pas le

permis.

âge, j’ai encore la Parce que vu monendre Divia City. décence de pas pr

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Parce que j’adore ressem Non je déconne, je ne bler à un Playmobil. mets pas de casque.


CONTRIBUTEURS PAR LA RÉDACTION PHOTOS : DR

Martial Ratel C’est le spécialiste bédé de Sparse, car il ne sait pas lire. Il écrit ses articles phonétiquement et la rédation corrige. Dernier fan de handball et de new-wave en France, cet ex-revolutionnaire rêve de consacrer un dossier spécial dans Sparse au port de la marinière.

Lilian Elbé Se fait appeler Elbé pour ne pas confondre avec Lilian Melet, le journaliste de France 3 Bourgogne. Déteste l’injustice et préfère l’amour à la guerre. Du moins devant les caméras. Parce qu’en privé, son trip, c’est surtout d’infiltrer le plus sale du genre humain. Undercover.

*photo : merde, on a confondu.

Badneighbour Ah ben non ! Badneighbour n’écrit plus dans Sparse. Après s’être fait traquer sur les réseaux sociaux par des metteurs en scène insatisfaits de ses critiques au vitriol, il est parti écrire pour Viande Magazine. Moins dangereux.

Jeff Buckler Jeff est un mec plein de haine. Il peut tuer n’importe qui en un coup. On sait juste qu’il est né dans une tranchée à Verdun en 1916. C’est tout. Et ça fait flipper. Tonton Stéph Tonton Stéph est, comme son nom l’indique, l’oncle du rédacteur en chef de cette revue. C’est pour ça qu’on le laisse écrire ses brûlots dans ces pages. Aussi bien fan de rap sudiste surcodéiné que de philosophie, Tonton Stéph n’en a absolument rien à branler. Actuellement recherché par le gérant de Pizza Happy depuis son article sur ce lieu, Tonton Stéph est en planque au comptoir d’à peu près tous les troquets de la ville servant du gin & juice. Christophe Barbier Christophe Barbier est un journaliste passé par Europe 1, Le Point, i-Télé. Rédacteur en chef de L’Express et recordman des passages dans C’est dans l’air, je ne vois pas pourquoi il ne contribuerait pas à Sparse s’il le souhaite. Chablis Winston Se fait appeler ainsi parce qu’Antoine Gauthier c’est tristement banal et que John Mc Lane, c’était déjà pris. Il est fan du FC Sochaux depuis que son père conduisait une 305 dans les 80’s. Mais il ne peut pas le dire, c’est trop 20ème siècle pour Sparse. Il aime rencontrer ceux qu’on appelle les vrais gens pour que ceux-ci puissent lui renvoyer au visage l’image de bobo arrogant qui transpire dans chaque page de ce magazine. Putain de maso. Alexandre Claass C’est le photographe officiel de Sparse. Enfin, en général, rien n’est signé. Crème de jour / crème de nuit. Le mec est soin, comme on dit dans le rap game. Et c’est pour ça que son travail est lêché. Alexandre Claass n’est pas un pseudo. Fou. C’est son vrai nom. Begrijp je ?

Pierre-Olivier Bobo Ce mec a monté Sparse avec ses petites mains, un sourire « Email Diamant » et des valises pleines de cash. Il dirige paraît-il la rédaction de ce magazine. Pierre-Olivier Bobo n’est pas un pseudo. Incroyable. C’est son vrai nom. Après ça, rien à ajouter.

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TOP / FLOP LE MEILLEUR ET LE PIRE DE CHEZ NOUS PAR LA RÉDACTION ILLUSTRATION : PIERRE ROUSSEL

flop

top

5. Laurent Bourguignat. Ce mec a 33 ans. 33 ans nom de Dieu... c’est quand même fou.

5. William Rémy. Le défenseur du DFCO survole le twitter-jeu : « Chicha times mais il mettent du rai jsui blazer de la life. »

4. Le bar du (nouveau) musée de beaux-arts. Y’a pas un chat, les serveuses s’emmerdent et le demi coûte 3,20 euros. Rien à ajouter.

4. La Minoterie. Un nouveau lieu culturel, pôle de création jeune public et d’éducation artistique s’ouvre à Dijon. Mieux qu’un Burger King à Beaune. 3. Le bijoutier de Dijon. 19 septembre 2013 : cambriolage dans une bijouterie. Police. Cordon de sécurité. Traumatisme du bijoutier de Nice. En fait le bijoutier en question, il est bourré, dans sa bijouterie. Et tout le monde l’emmerde. On peut plus être tranquille chez soi avec son flingue…

3. Brazey-en-Plaine. Un protocole « voisins vigilants » signé en mairie. L’incitation à signaler à la gendarmerie tout comportement louche. Des panneaux « attention aux cambriolages ! » partout dans la commune. Y’a pas de doute, la Côte d’Or a peur.

2. Le (nouveau) musée des beaux-arts. Classieux, tout simplement. Et toujours gratos.

2. Emmanuel Bichot et Alain Houpert. Best friend forever. Le droite dijonnaise n’a jamais été aussi belle.

1. Brazey-en-Plaine. 20 octobre 2013 : la commune voit naître une petite Rihanna, 3,435 kg, soeur de Djaysie. La Côte d’Or est sur le toit du monde.

1. Renève, Côte d’Or, 434 habitants. Un sanglier rentre chez un quinquagénaire et le blesse. On peut vraiment plus être tranquille chez soi...

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COURRIER DES LECTEURS

VOUS AUSSI, ÉCRIVEZ-NOUS : CONTACT@SPARSE.FR ILLUSTRATION : ESTELLE VONFELDT

« Bonjour Sparse, Je vois qu’on ne se refuse rien. New York dans le dernier mag. Bande de bourgeois. Et après ? Sidney ? Buenos Aires ? Pour le prochain numéro, je vous livre un spécial St Jean de Losne, ça va vous changer... » - Jean-Luc M., Dijon

Réponse de la rédaction Merci beaucoup Jean-Luc. Sache que nos reporters ont voyagé en clandestins sur un cargo jusqu’à New York et ont survécu là-bas en faisant des choses qu’ils veulent désormais oublier. Autrement pour le Dijon / St Jean de Losne, on est sur le coup.

« Cher Sparse, Je suis toujours très attentive à tous ces conseils musicaux que tu peux nous distiller avec intelligence. Grâce à toi, j’ai découvert que James Blake n’était pas qu’un tennisman et que « la minimale allemande » n’était pas seulement le surnom de mon grand-père biologique. Cependant, comment ça se fait que je ne comprenne absolument rien aux critiques musicales dans le mag ? Pourquoi est-ce que c’est écrit tout bizarre, avec des mots que je ne connais pas ? Et pourquoi le dernier album de Marc Lavoine, petit bijou s’il en est, n’est pas chroniqué ? » - Marie Bertille, Fontaine-lès-Dijon

Réponse de la rédaction Tu sais, égrener tout plein de noms d’artistes, de styles et de labels que même nous on ne saisit pas, ça en jette toujours aux yeux des gens qui du coup se disent qu’on s’y connaît trop bien en musique. Marc comment ?

« Salut les hipsters, Alors dans votre torchon de merde, vous vous la jouez grave en méprisant tout et tout le monde, et en en plus vous vous prenez pour des journalistes ? Alors que vous faites partie de la mafia culturelle dijonnaise qui prend tout l’argent de nos impôts. » - Nicolas, Dijon

Réponse de la rédaction Oh ! Toi tu as dû essayer d’organiser des événements et tu n’as pas réussi à obtenir des subventions. Désolé pour toi. On n’a pas de subvention chez Sparse. Et pas de journaliste non plus. Par contre, c’est vraiment trop classe de faire partie de la mafia. Surtout quand elle est aussi dangereuse que celle-là.

« Cher Sparse, Je crois bien t’avoir croisé dans une soirée au Berro et j’aimerais te revoir vite... » - Fabian, Dijon

Réponse de la rédaction Tu dois certainement confondre avec un certain Jérôme, qui se fait passer pour nous depuis quelques mois. Dont voilà le contact: 555 21 294

« Cher « Tonton Stéph », Alors comme ça, moi « l’employé de bricolage », j’ai la « lose » d’amener mes gosses à Pizza Happy ? D’abord, sache que mon patron c’est pas Sparse, qu’il me lâche pas 2.000 boules par mois pour grailler à l’œil dans des endroits avec des « sets de table ». Sache aussi que je n’ai pas les moyens d’emmener mes gosses au zoo de l’Auxois toutes les semaines (surtout depuis que ces connards de flics m’ont retiré le permis). Et que voir un iguane, même de banlieue, leur file des étoiles dans les yeux. À cause de toi et tes amis bobos, le Pizza Happy de Marsannay vient de fermer. Déjà qu’on était sur la liste noire du bowling depuis que Kevin a pété le parquet de la piste 12... Voilà, c’est dit. La prochaine fois tu réfléchiras peut-être à deux fois avant de péta les deux dernières parts de la « Fruidemèr ». Et toi et ton Raymond Depardon, vous avisez pas à pointer votre nez un jour au Leroy, sinon vous aurez de mes nouvelles. » - Bruno, Quetigny

Réponse de la rédaction Cher lecteur, Tonton Stéph est malheureusement porté disparu depuis une enquête gastronomique à la Villa Chen, restaurant chinois près de la gare de Dijon.

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STORY

TSAR SHOOTER PAR JAMES GRANVILLE ILLUSTRATION : DAVID FANGAIA

Pendant toute sa carrière, Sergueï Bubka n’aura finalement eu qu’un seul adversaire : lui-même. À Dijon en 1992, il se lance un nouveau défi. Le ciel du stade Gaston Gérard en frémit encore. Retour sur une performance à la fois hors du commun et banale pour l’Ukrainien volant.

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SERGUEÏ BUBKA

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n utilise bien souvent le terme « extraterrestre » pour qualifier à peu près tout et rien, en parlant de musique, d’art contemporain ou de gastronomie. Or, on peut affirmer sans risquer de se tromper que Sergueï Bubka, lui, vient vraiment d’une autre planète. Une planète sans gravitation bien évidemment. Pourtant notre ukrainien volant n’a pas commencé sa carrière sportive par le saut à la perche, il préfère alors le football et il fera même un peu de gymnastique avant qu’on lui tende une perche à l’âge de 12 ans. Il rejoint alors son frère Vassily et surtout le sorcier Vitaly Petrov à Donetsk. En Ukraine à l’époque, les deux maîtres-mots sont : musculation et vitesse. Bubka apprend vite et travaille dur, rapidement il court le 100 mètres en dix secondes et trois centièmes. Les aînés de Bubka commencent à le prendre au sérieux, et on les comprend, à 16 ans il dispute sa première compétition internationale et franchit d’emblée plus de cinq mètres et ne s’arrêtera plus, son credo : être le premier, partout. En 1983, alors qu’il n’a que dix-neuf ans, il est déjà aux championnats du monde en Finlande où il représente l’URSS. Les conditions sont dantesques : pluies torrentielles, vents tourbillonnants, le concours du saut à la perche va durer sept heures. Et Bubka l’emporte, à la surprise générale avec un saut à 5 mètres 70. La légende peut commencer. Bubka va alors très rapidement imposer sa domination, quelques perchistes essaient de lui tenir la dragée haute mais la maîtrise de Bubka est impressionnante. En 1985, il accepte au dernier moment de participer au meeting de Paris. Il faut dire que les organisateurs lui proposent la somme de 10.000 dollars s’il bat de nouveau le record du monde. Bubka passera ce jour-là la barre mythique des 6 mètres à son troisième essai, plus personne ne va l’arrêter. A TSAR IS BORN. Le temps de la domination totale arrive, Serguei Bubka truste tous les titres, le français Thierry Vigneron essaie de lui tenir tête, mais le Russe augmente la pression à chaque concours. En 1988, il porte son record à 6 mètres 05, puis à 6 mètres 06. Vertigineux. Au finale, entre 1984 et 1988, Bubka va améliorer le record du monde de saut à la perche de vingt-etun centimètres. Tous les plus grands perchistes même en se liguant entre eux n’auraient pas fait mieux, Bubka devient un personnage hors norme.

TREIZE JUIN 1992, DIJON, STADE GASTON GÉRARD. Aujourd’hui certes, c’est là où vous vous rendez pour encourager le DFCO afin qu’il décroche la 7ème ou 8ème place de Ligue 2, mais dans les années 90, le stade comptait encore une piste d’athlétisme. Serguei Bubka, comme a son habitude, arrive simplement deux heures avant le concours, pas vraiment un caprice de star, juste une habitude afin de garder tout son influx. Star et Tsar, à désormais 28 ans, l’Ukrainien l’est depuis longtemps. En arrivant dans la capitale de la Bourgogne, il compte déjà vingt-neuf records du monde. Alors un trentième, pourquoi pas, quitte à rester dans l’irréalité. Des sommes astronomiques circulent dans tout Dijon, Bubka aurait demandé une fortune pour aller chercher 6 mètres 11. Alain Bulot, un des organisateurs du meeting, rétorque qu’il ne s’agit là que de rumeurs infondées : « Lorsqu’il a battu le record du monde à Dijon, cela a vraiment été un grand moment. À cette occasion, j’ai rencontré un Monsieur, quelqu’un de parole qui s’est comporté avec nous comme un grand seigneur. Contrairement à ce qui a été dit et écrit, il a touché dix fois moins d’argent que la somme annoncée pour une telle performance. » Dont acte. Bubka vient d’effacer 6 mètres 12 à Berlin en indoor, il est au sommet, il s’élance donc sur la piste dijonnaise sans aucune pression, même si deux perchistes accrocheurs sont annoncés dans le programme : Igor Pitapovitch et Jean Galfione. Avec le recul, on plaint sincèrement ces deux athlètes majeurs : mauvais timing, il ne faisait pas bon avoir affaire à Sergueï. Potapovitch franchit 5 mètres 82, Galfione restera lui à 5 mètres 80. Le Tsar va donc lutter une fois de plus contre lui-même. Le stade frémit, Sergueï Bubka s’élance, sa course est parfaite, il plante la perche et s’envole littéralement. La barre est effacée avec brio, son corps est à dix centimètres plus haut. Le stade explose de joie. Le trentième record de Sergueë Bubka vient de tomber, soit quatorze records en salle et seize en extérieur. À chaud, l’Ukrainien déclare simplement : « C’est bien de faire une bonne performance comme celle-ci, surtout lors d’une année olympique… J’ai encore un peu mal à mon pied, c’est pourquoi j’ai essayé de faire le moins de sauts possibles aujourd’hui.. » La routine. Par la suite, Sergueï Bubka continuera sur sa lancée, son record aujourd’hui encore inégalé est à 6 mètres 15. Durant sa carrière, il aura battu trente-cinq records. Ce jour de juin 1992, Dijon avait rendez-vous avec l’extraterrestre du saut à la perche. // J.G.

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BOULEVARD DES AIRS LA VAPEUR - 31/01/14

THE DOORS ALIVE LA VAPEUR - 02/02/14

OLDELAF LA VAPEUR - 06/03/14



VIENS CHÉRIE ON VA À LA TOISON CHRONIQUES DE LA VIE ORDINAIRE

45.000 personnes samedi 10 novembre à la Toison d’Or. Un record. 45.000... À titre indicatif, c’est l’équivalent de la population de la ville de Chalonsur-Saône. La Toison d’Or, c’est relativement grand mais bon... 45.000, même étalées sur la journée, c’est beaucoup. Combien on a fait à la dernière soirée Sparse à l’Eldo ? 60 personnes ? Pas mal. PAR CHABLIS WINSTON PHOTOS : ALEXANDRE CLAASS

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LIFESTYLE

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a Toison d’Or a été inaugurée en 1990. Un mall à l’américaine au bout de Dijon. Pour rameuter les clients de Chaumont jusqu’à Vesoul. Et ça marchait déjà plutôt pas mal. Cette année, ils ont réussi à faire dire à tout le monde que c’était « l’inauguration de la Toison d’Or ». Pour un truc qui a déjà 25 ans. Bref... La nouvelle Toison d’Or, malgré la propagande massive dans toute la ville, ça ne m’intéressait pas trop. Je n’y étais pas allé depuis au moins quatre ans, une veille de Noël. L’erreur classique qui peut coûter cher. Jusqu’à ce que le rédac’ chef de Sparse me propose de passer avec lui à l’inauguration. Et au buffet. Manger gratuitement ? Avec ce qu’on me paye mes articles ? Comment résister à ça ? On débarque, forts de nos invitations, à la petite sauterie. Sécurité en costard trois pièces, hôtesses à gogo, bar à crémant, podium pour les huiles, pianiste de jazz qui joue sur une fontaine (un mec qui a fait deuxième à l’Eurovision pour l’Italie, quand même, tu vois la star), chorégraphie aérienne de ballons, 200 ou 300 happy fews. C’est brillant, ça sent le neuf. On se croirait au Nakatomi Plazza dans Piège de Cristal. On se demande où est Hans Gruber. Ceux qui n’ont pas eu la chance d’être invités au buffet parce qu’ils ne sont pas assez importants sont derrière des rideaux blancs. Et une heure avant l’ouverture officielle au public -le temps qu’on soit repus de petits fours et cocktails- ils sont déjà nombreux à attendre impatiemment pour découvrir de nouveaux... magasins. Ça met un peu mal à l’aise ces gens massés de l’autre côté qui passent la tête pour te regarder et t’envier. Tu te sens un peu crade. Mais ça passe après la deuxième coupe de crémant.

en marchant. Mais l’important, c’est pas la taille, me glissait un collègue de Sparse dont je tairai le nom. L’important, c’est qu’il y a de nouvelles marques. Inédites dans l’inter-région. L’inter-région ? Oui, la Toison d’Or, ça pèse dans l’inter-région, nous apprend le big boss de la chaîne (Unibail-Rodamco) qui détient la Toison d’Or, dans son discours inaugural. Tu vois la notion géographique d’inter-région ? C’est pas la France, pas non plus le Grand Est, mais c’est plus que la Bourgogne, quand même. « Comment on va dire ? Le Centre Est ? C’est pas très beau. On n’a qu’à dire l’inter-région. » On voit pas vraiment où c’est... mais c’est grand. Oulah ! Vaste. Le lieu doit être important. La Toison d’Or c’est LE centre commercial de l’inter-région. SHOPPING 4 ÉTOILES. Le centre commercial a aussi été agrandi. Pour passer à la qualité shopping « 4 étoiles ». La qualité shopping « 4 étoiles », qu’est-ce que c’est ? Alors c’est bien simple : c’est tout un tas de standards que le client mérite déjà, et qui sont jugés ultra-qualitatifs, selon un cahier des charges établi par... le propriétaire de la Toison d’Or, Unibail-Rodamco, qui possède tout un tas de centre commerciaux en France. C’est pas non plus du label Max Havelaar... On a rarement vu un proprio dire aux clients : « N’y allez pas, c’est de la qualité « 2 étoiles », pas plus, faut rien acheter dedans. » Le proprio est à deux doigts de nous foutre les larmes aux yeux pendant son discours : Dijon, c’est presque aussi important que Los Angeles avec ce nouveau centre commercial. Il en a inauguré un autre à Rennes la veille, mais il était moins bien. Celui là, c’est vraiment du « 4 étoiles ». « Un instant shopping où votre seule contrainte est de penser à votre bien-être. Un moment rien qu’à vous, relaxant et pratique où tout est fait pour répondre à vos attentes. » On se croirait au spa. Et puis s’ils l’ont fait, c’est pour l’emploi. Pouvoir embaucher c’est le but premier : Primark embauchera 250 personnes à lui seul, bing, argument massue. Donner du bonheur aux gens, avant tout. La Toison, tu crois que c’est un centre commercial, mais non. C’est un lieu de vie, de rencontre et de culture. C’est Matthieu Gally, le directeur de l’établissement, qui te le dit. C’est fait pour le bien-être de tous. Limite tu voudrais vivre dedans mais tu peux pas... parce qu’ils ont mis des magasins, pas des appartements. Oh, pas pour se faire de l’argent, pour que tu sois heureux. C’est un putain de phalanstère le truc. La cité idéale. En plus, ils ont la certification BREEAM « very good » : développement durable et tout le tintouin. Ils ont planté des arbres et installé des emplacements de vélos... Bref, la Toison d’Or sauve la planète. Et puis consommation, achats à crédit, sortie de crise, la Toison d’Or sauve la France ou au moins l’inter-région. Putain, bien vu les gars.

- « Mais y’a pas moyen de voir la nouvelle Toison d’Or ? » - Ben si, t’es dedans. - « Oh. J’avais pas remarqué. » Oui, les pauvres de l’autre côté du rideau sont dans l’ancienne Toison. En fait, la nouvelle Toison d’Or, c’est exactement comme la première. En plus propre. Sauf qu’au lieu d’avoir des angles, les couloirs ont des arrondis. Ce qu’on appelle dans le milieu un design exceptionnel. Remarque, pour les travaux, le proprio est allé chercher les mêmes architectes qu’en 1990. Ils ont fait la même chose, en plus arrondi. Pas cons les mecs. La nouvelle Toison d’Or, c’est un grand couloir sur deux niveaux. Et deux ronds points, pour 47 boutiques en plus. C’est tout. Ah... et une arche (pas encore finie à l’heure actuelle) qui représente une aile de mouette, pour que le tram puisse passer dessous. Pourquoi ? Je ne sais pas. Tu traverses la nouvelle Toison d’Or en deux minutes

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LIFESTYLE

Et là mon pote tu vas être heureux et tu vas le sauver le pays, parce qu’il y a de nouvelles enseignes exclusives dedans ! On se dit qu’on va aller les découvrir tranquillement. Mais c’est à ce momentlà que les rideaux blancs tombent. La meute, la vague, le tsunami. Un public plus chaud qu’à un concert de Fauve. Ça jaillit même de derrière moi, d’un passage que je n’avais pas remarqué. Le monstre absorbe la foule. C’est fascinant comme danse. Les gens font le tour comme au musée et observent les nouveaux magos en prenant un maximun de photos.

réduc’ pour 150 euros d’achats ou une boisson offerte pour l’achat d’un menu. Le plus balaise étant quand même Leonidas, pour citer une marque. « Un sac shopping offert pour tout achat ». Wahou ! Un sac shopping ! J’ai très envie d’acheter, là, d’un coup ! On se cale dans l’espace restauration. Dans la nouvelle Toison d’Or, ils ont mis tous les restos du même côté, vers l’entrée du tram. Comme ça, ça ne sent pas le graillon dans les magasins plus chic. La plupart des restos sont tenus par enseignes dijonnaises, nous dit-on. Comme Casino par exemple ? Pas que. On a aussi Little Italy qui a ouvert. Les serveurs sont barbus et tatoués, les consos trop chères et c’est trop cool. Et les gens font la queue pour s’y installer. Parce qu’il y a des mecs qui disent à leur copine : « Viens chérie, on va boire un coup à la Toison d’Or. » Le mec se pointe, boit un coca avec sa meuf et repart. Le gars est venu boire un coup à la Toison ! Nous, on va chez Tran. Le nouveau Tran, qui a décoré, pardon scénographié, son restaurant à la 2001, l’Odyssée de l’espace. Tube blanc. On dirait une clinique du futur. On se pose en terrasse. Enfin en terrasse à l’intérieur. On regarde. Le centre commercial n’est pas tout à fait fini, il y a quand même deux ou trois fils qui dépassent. En couple ou en famille, les gens se baladent. Ils observent, ils ont emmené leurs gamins. Ils n’ont pas l’air de beaucoup acheter. On en voit peu avec des sacs de courses. Ils visitent. On se rend compte que la mode est encore à la crête gélifiée sur la tête. Mais aussi au léopard... y compris pour les hommes. On voit plusieurs joggings léopard... l’école Djibril Cissé.

- « C’est beau, on dirait le Carré » - La discothèque ? - « Oui » - Ah d’accord, bonne soirée ! » Trop tard pour aller faire du lèche-vitrine. C’est plein, c’est désagréable. On tient pas longtemps. On va faire un tour dans l’ancien centre commercial où il n’y a pratiquement personne. Ça nous rend un peu triste. Le pauvre. Sauf à l’Apple Store, un magasin qui rend mes collègues tweetos de Sparse heureux, c’est beau et épuré. C’est un peu le Consortium de la Toison d’Or. ET SI ON ALLAIT BOIRE UN COUP À LA TOISON ? On revient le samedi suivant en se disant qu’on a raté quelque chose. Faut voir les exclusivités ! J’habite dans la capitale inter-régionale et j’irais pas voir les exclusivités ?! En plus il me faut un sweat. Samedi. T2, place de la Répulique. Le tram est blindé. On a le temps de regarder les plaques des voitures coincées dans l’embouteillage pour rentrer dans le mall. Ça vient en effet de toute l’inter-région : 70, 52, 39... Dans le tram, tout le monde descend à la Toison. D’ailleurs, qui va plus loin ? Qui va parc Valmy ? Quest-ce que c’est que le parc Valmy à part un chantier ? La Défense à la dijonnaise ? C’était pas le centre Clémenceau ça ? En arrivant, comme tout le monde, on prend la « carte Toison d’Or » pour avoir l’impression d’être des clients importants. Ça apporte des réductions. Des réductions sur des trucs que tu as déjà acheté. Genre 20 euros de

UNEXPECTED SHOPPING. On apprend que la Toison peut garder ton gamin pendant tes courses, retrouver son doudou ou que tu peux prendre des cours de cuisine. Ça, c’est le côté « lieu de vie ». On croise des jeunes, instruments à la main. Vous allez jouer ? « Oui, on attend qu’ils arrêtent la fontaine pour utiliser le piano. Oh, ça a été compliqué, on sent que c’est pas trop leur truc la musique. On joue pour des gens qui font leurs courses... mais on est bien payés. » Le piano sur la fontaine, ça c’est le côté « culture ». À part ça, c’est des magasins, quoi... Alors allons les faire, les magasins. Les « exclus » inter-régions. Primark : sorte de H&M irlandais. Pas encore ouvert, 18


TOISON D’OR

C’est l’effet unexpected shopping, c’est marqué dessus, c’est le slogan de la Toison d’Or : shopping inattendu. Tu achètes des trucs que tu croyais que t’allais pas acheter, parce que t’en as pas besoin, mais tu les as achetés quand même. Unexpected fucking ? Tu t’es fait baiser.

ça arrivera au printemps 2014. Comme ça prend un cinquième de la nouvelle Toison d’Or, c’est ennuyeux pour l’ambiance. Desigual : du post ouaouach apocalyptique. Sarouels et bolas. Les mecs prennent un tissu et se demandent comment imprimer le plus possible avec le plus de couleurs possible. Psyché-trans-de-teuf dans les bois en 98. À t’en filer la nausée. Marque espagnole, ça ne m’étonne pas. JD Sports : tu connais Intersport ? Ben c’est pareil, mais c’est anglais. Hollister : alors ça c’est bien, Hollister. C’est une sous-marque d’Abercrombie & Fitch. Si tu ne sais pas ce que c’est, dis-toi que n’importe quel teen américain en veut absolument. Le magasin n’est pas encore ouvert, mais la manageuse accueille déjà les aspirants vendeurs à coups de « hey ! what’s up ? », le bonjour maison obligatoire. La stratégie marketing de l’enseigne est intéressante : deux éphèbes se tiennent à l’entrée de la future boutique. Grands, beaux, minces et balaises. Ils t’énervent, forcément. Les mecs font de la salle, c’est sûr. Doudoune rouge sur torse nu, sourire Email Diamant. Christophe Rippert style (tu te rappelles, Luc dans Premier Baiser). « On nous a fait descendre de Paris pour l’occasion, on est mannequins. » « Moi j’ai pas de poils naturellement, mais mes collègues qui en ont doivent s’épiler, oui. » « On n’est pas vendeurs, on est bien payés. » Nos mannequins se font prendre en photo par plein de minettes aussi étonnées que ravies de croiser ce genre de bestiaux. Là au moins il y a du spectacle, faut reconnaître. Autrement, bon... c’est la même que partout ailleurs : ton bon vieux Go Sport, une boutique SNCF, Kaporal (une expression du bon goût), des opticiens, des pompes avec un espace Crocs pour les infirmières... J’ai même pas trouvé de sweat. Y’a que des imprimés Rivaldi dégueulasses. J’aurai dû me faire accompagner par un personnal shopper, que la Toison d’Or peut mettre à mon service. Un mec qui m’accompagne dans mon shopping et me conseille, au cas où je serais trop con pour savoir quoi acheter. Ou pire, quoi ne pas acheter.

PARKING OBSESSION. Ça ressemble à un centre commercial de Nantes, de Bourg-en-Bresse, de Boston ou de Munich. C’est pareil. En quoi tu remarques que t’es à Dijon plus qu’à Dublin ? Parce que les gens sont moins roux ? Ok, mauvais exemple. Alors disons, Le Mans ? En rien. Pas d’aspérité. Pas de charme. Encore, aller à la Toison d’Or pour acheter à manger à Carrefour, ça passe. Mais pour flâner ou aller boire un coup... en matant les vitrines... Pourquoi ils ne vont pas en ville ? « Ici il y a des vigiles et des caméras. » Le centre-ville, ce coupegorge. « Ici il y a tout sur place, en ville il y a des feux et c’est difficile de se garer. » Quand on demande aux gens pourquoi ils viennent à la Toison d’Or, la plupart nous répondent qu’ils viennent parce que c’est facile de se garer. C’est ça l’important. Pouvoir se garer. Tu sais pas pour quoi faire mais au moins, tu peux te garer. Hé ouais, y’a 4.000 places de parking maintenant. De fait, tous les malls à l’américaine ont été faits pour que les gens puissent y aller en bagnole. Tu leur fais un tram, des voies cyclables, des rues piétonnes... mais les mecs, eux, il veulent se garer. Quand j’étais petit, on allait à la Toison d’Or, mais au parc d’attraction. Celui qui était à côté, de 90 à 93. Quand tu vas à la fête foraine, t’essaies de t’amuser. À la Toison, le loisir, c’est faire les courses. Ça fait du bien d’aller faire les courses. Ça permet d’oublier les tracas du quotidien. T’es à la Toison d’Or, dans ton cocon, tu ne vois rien du mauvais monde dehors, avec tous ces impôts et cette insécurité qui t’apportent bien des soucis. Donc tu achètes, tu fais peau neuve. Tu es comblé. Je suis con, moi, le samedi à aller aux concerts boire des coups ou faire du sport en ville, comme une saleté de bobo. Alors que je pourrais faire les courses et me garer. Peinard. // C.W.

- « Oh, je sais pas si je dois acheter ce blouson à 800 euros. » - Si, si, il vous va à ravir. - « Vous êtes sûr... ? Allez, je le prends. »

À lire, ce très bon article du laboratoire d’urbanisme insurrectionnel (sociologie de l’urbanisme qui fait flipper). Ils nous parlent de l’histoire des malls. http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2013/05/mall-centre-commercial.html

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ET UN ET DEUX ET TROIS ZEROS (VOIRE BEAUCOUP PLUS) Vis ma vie de footballeur amateur. PAR KEVIN QUIGAGNE PHOTOS : ALEXANDRE CLAASS

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DOSSIER

C

omme l’affirmait Michel P. : « Tu vois Kevin, le monde du football se divise en deux catégories : il y a ceux qui gagnent un max de pognon en faisant rêver les gens, et ceux qui rêvent. Toi Kevin... tu rêves. » Ou un truc dans le genre. Y’a pas à dire, vu le poste qu’il a Michel P., big boss de la planète foot, il s’y connaît rayon ballon. Tout ça pour te situer, lecteur de Sparse, quel type de footballeur tu

es. Amateur, anonyme, pas forcément doué, volontaire, un peu con, persévérant (ça y est, t’as enfin obtenu ta licence vétéran, le Saint Graal de tout footballeur, comme la retraite pour un travailleur), physiquement pas au top, mais surtout de mauvaise foi, comme le reste de tes partenaires et adversaires du dimanche. Voici une semaine type de footballeur des champs où tout le monde, pour faciliter les choses et respecter l’anonymat, s’appelle Kevin.

Lundi, 19h15

question, t’avais complètement oublié que vous jouiez les premiers du classement à dix pour un sport qui se pratique habituellement à onze. Et que vous n’aviez pas gagné un match depuis le début de l’année suite à votre montée au niveau supérieur. « On en a pris huit.» Pas si pire. Et d’enchaîner : « On en met combien ? » De nouveau, regards croisés et étonnés, mutisme. « Kevin. Contre notre camp. » C’est pas faux que qu’en t’en prends huit, t’en marques rarement six. On n’est pas au handball. « Y’avait qui ? » Moment de réflexion. « Kevin, Kevin, Kevin... Kevin. Y’a Kevin qu’est pas venu, il était à la chasse. » Stupeur dans tes yeux. Tu te rends compte que tu joues depuis quatre ans avec un mec amoureux de la gâchette. Comme quoi dans un vestiaire à part te la montrer, tu te parles pas forcément.

Bar L’Équipe, rue du Faubourg Raines.

Débriefing du week-end avec tes coéquipiers autour d’une pinte. Direct, tu leur poses la principale question qui te taraude depuis ce matin, le site Internet du district n’ayant pas été mis a jour. « Qu’est ce qu’ils branlent au district ? » Autre question fondamentale que se posent tous les adversaires des terrains côte-d’oriens : « On a gagné ce week-end ? » Regards croisés et étonnés de tes comparses. Mutisme. C’est vrai qu’en prononçant ta

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FOOT AMATEUR

Mardi, 21h

de la fenêtre. À tout’. » Voilà, c’est le football pognon avec des commentateurs bidons mais, aujourd’hui respect, c’est Auxerre qui joue la coupe aux grandes oreilles. Auxerre en Champion’s, de quoi raviver tes vieux souvenirs de gosse. Remember. Auxerre vs Dortmund, saison 1996/1997. Lilian Laslandes. Ou comment rouvrir une vieille blessure de guerre. Kevin, le mec qui chasse dans ton équipe, s’est déjà pointé à un entrainement avec le maillot de Dortmund. Tu l’as pourri verbalement en mode blitzkrieg dès qu’il touchait le ballon. Comme quoi on peut cumuler plusieurs tares. Forcément, défaite d’Auxerre, mais ils se sont bien battus. C’est là que tu fais corps avec ton club de cœur. Ça t’a permis de revoir Guy Roux, vu que la dernière fois il t’avait posé un lapin. Prends-ça, journaliste prétentieux. Après le direct de l’Abbé Deschamps. Résumé des 27 autres rencontres de la soirée. T’es saoûl. Dodo.

Bar Le Crockodil, rue Berbisey.

T’auras remarqué qu’un footballeur amateur passe pas mal de temps dans les bars, d’où un physique altéré par des années de pratique. Ce soir, combo pub / foot sur grand écran. Pour toi le foot, c’est comme les films de cul. Toujours plus intéressant de participer que de regarder. Mais là c’est différent. Y’a Champion’s League. Tu sais, le foot qui te fait rêver, ou pas. C’est quand même plus convivial de mater un match entre potes dans un lieu collectif que seul face à son écran d’ordinateur en streaming. « Kevin ! Pointe ta gueule au Crocko pour le match. On est tribune sud, près

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DOSSIER

Le stade Paul Doumer, son poteau de corner et son sponsor Patrick

Mercredi, 21h

phares certaines espèces de la faune locale. Famille de sangliers ou biches égarées. Véridique. Pour les infrastructures, t’avais pas misé sur l’entraînement pour prendre ta première douche de la semaine : y’en a pas. Ici, le vestiaire se résume à un Algeco, trois bancs, une chaise. Point barre. Pour te désaltérer, tu dois aller chercher de l’eau à une fontaine sous une grange qué s’appellorio Quézac. Heureusement, après avoir tripoté du ballon dans la boue avec tes petits copains, tu fonces direct au Club House te descendre une bonne bière au chaud. Plaisir. Le tien de Club House, c’est pratique, c’est un bar caché au cœur du quartier Berbiz’ où le patron exhibe vos trophées. « Ils étaient pas un peu cons les gars d’en face ce weekend ? » Le décor est planté. « Tu dis ça parce que le 9 d’en face t’a dit ‘Bienvenue dans la planète football’ après avoir tenté de te découper les deux jambes ? » Bières, charcuterie, fromage, une vraie hygiène de sportif. « Kevin il a pris un grand chelem par sergent Garcia ?» Arbitre sosie officiel du compagnon de Zorro. « C’est quoi un grand chelem ? » Variante du terme employé au tennis. « Carton blanc, jaune et rouge à la suite dans la même action, ça va lui coûter un bras. » Dans ton équipe, y’a jamais eu l’ombre d’un Qatari au bord du terrain. Chacun paye ses cartons. D’ailleurs, y’a jamais eu d’ombre non plus. « Au fait, il est encore avec sa meuf Kevin ? »

Stade de la Combe à la serpent, Fontaine D’Ouche.

Soir d’entraînement. Premier moment de ta semaine footballistique où tu vas toucher du ballon. Y’a encore des mecs qui refusent de jouer dans un hangar surchauffé à cinq contre cinq pour 75 boules de l’heure. On n’a pas tous été élevés à FIFA Football. Avec le début de l’hiver autour de la mi-octobre quand t’habites à Dijon, les joies du football en plein air sont toutes relatives. Tu te rends compte que finalement, les premiers entrainements de l’année où tu te retrouvais à 40 avec des mecs que tu connaissais pas, c’est fini. Tu te retrouves à 7. Faut dire que depuis cette année ton équipe a changé de standing. Plutôt un nivellement vers le bas pour les conditions d’entraînement. T’es passé du terrain synthétique des Poussots, celui-là même où s’entraînent les pros du DFCO, au terrain de la Combe à la serpent. Celui-là même où s’entraîne... ton club. Environnement pourtant bucolique. T’es au cœur d’une réserve naturelle où tu peux apercevoir en arrivant dans la lumière de tes

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FOOT AMATEUR

Jeudi, 00h27 Dans ton lit.

T’as merdé. T’as complètement oublié d’envoyer le Doodle pour savoir qui serait susceptible de jouer samedi. De sûr, il y a Kevin, Kevin, Kevin, Kevin et Kevin qui t’avait prévenu à l’entraînement hier. Kevin peut pas. Il est de mariage au château de Gilly, l’enfoiré. Et Kevin est au ski pour les vacances scolaires. Putain de prof. Tu joues où ? Tu joues qui ? Tu reçois ? Tu te déplaces ? C’est pas que t’as peur du jetlag sachant que ton plus grand déplacement de la saison est à Longvic, mais quand tu reçois tu te dois de fournir un délégué de match, genre Maître Capello de la rencontre, et un juge de touche. Et quand t’as déjà du mal à être 11 pour jouer...

Vendredi, 15h Au taf.

T’es au boulot. T’es pas là pour faire chier tes collègues avec du foot. « On se retrouve où pour l’apéro Kevin ? »

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DOSSIER

Samedi, 14h27

tu viens ? » Silence « Quoi ? T’as ton gosse ? Cool il va pouvoir faire la touche ! » Le fils de Kevin a 6 ans. Bip dans ta poche. SMS de Kevin. « J’arrive à la mi-temps. Inscrivez-moi sur la feuille de match. » Bel effort pour un mec qui doit encore avoir deux grammes. Cuite 2 - Football 1. Kevin t’avait prévenu qu’il avait un repas avec ses beaux-parents. Tu le supplies. Tu lui fais squeezer le dessert et la balade autour du lac Kir. Famille 0 - Football 1. Tu négocies avec tes adversaires pour savoir si c’est possible qu’ils te prêtent un mec. Réponse négative. T’en attendais pas moins de mecs coiffés en brosse portant des joggings aux couleurs de leur club. Flippant. Début du match... Coup de sifflet final. Match forcément sans intérêt footballistique, fait de passes ratées, de courses ratées et de tirs ratés. Ou presque. L’intérêt n’est pas là. Tu t’en fous de gagner ou perdre. T’étais là et c’est déjà pas mal. T’as essayé. T’as transpiré. T’as fumé des clopes au bord du terrain pendant le match. T’as joué sous la pluie contre un mec qui porte le blaze de « Paupiette ». T’as revu Kevin. T’as rigolé avec tes potes. T’as pris une douche. T’étais pas à la Toison d’Or. Tu t’es pas blessé. T’as rêvé. « Kevin ! T’as pas oublié la buvette ? »

Stade Jean Mazingue.

D-Day. Jour de match contre les mecs que tu détestes le plus au monde, avec les banquiers : les joueurs de la Simel. Le stade Jean Mazingue, c’est comme ton terrain d’entraînement. En pire mais avec des douches. Larme à l’oeil. T’es pas Pythagore mais t’as clairement remarqué qu’il y’a un côté qui est beaucoup moins large que l’autre. Inéluctablement comme tous les samedis depuis 6 ans, tu te rends compte que t’es pas le seul à être à la bourre. On est quatre. T’avais rendez-vous à 14h00... Ton échauffement se fera pendant les 10 premières minutes du match en mode diesel. Angoisse devant la feuille de match que te demande de remplir l’arbitre. Quels noms inscrire sur cette liste ? Kevin était complètement cramé hier à La Vapeur. Il dort encore. Merde. Il était avec Kevin et Kevin. Cuite 3 Football 0. Appel de dernière minute. « Allo, Kevin, on est que sept,

Le stade Paul Doumer, en train de connaître sa plus grosse affluence de la saison

Dimanche, 13h

France n’avait jamais gagné de Coupe du monde. Nostalgie. Pour perpétuer un rituel inexorable, tu chopes L’Équipe et L’Équipe Mag. Direction les chiottes. Intense. T’as pas eu le temps de goûter le bon petit plat réparateur que déjà la réalité te rattrape. « T’as joué hier ? Tu bossais pas ? Ton frère Kevin jouait ? », demande ta mère. « Vous avez perdu », répond ton père. Implacable. Tu lui fais pas. Le gratin dauphinois pas encore servi, t’as des crampes. Douleur. Tarte aux pommes. Politique. Café. Travail. Neveux. Canapé. Re L’Équipe. Sieste. « Kevin, tu ronfles. » // K.Q.

Chez ta mère et ton père.

Paix des braves. Repas dominical. Fumet agréable qui se porte à tes narines. La demeure familiale est l’endroit où tout a commencé. Le seul lieu où t’as cru voir ta carrière décoller. T’avais 8 ans et la

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Euromuses, en accord avec JPC, présente :

ZENITH de DIJON Vendredi 21 février 20h30

1ère partie : S.E.A.R. x JACQUES JUPITER Aftershow : BOOM BAP SELECTOR Informations et réservations : Euromuses - 03 80 30 61 00 - www.euromuses.fr

et points de vente habituels : FNAC - CULTURA - DIGITICK ...


DOSSIER

«LES MOUT’HARD BOYS, C’ÉTAIT MYTHIQUES» Comme un bon vieux Footix, t’as vibré pour le DFCO en Ligue 1 il y a deux ans, et depuis t’es retourné au chaud encourager la JDA au Palais des Sports. Sparse te rappelle quand même que certains n’ont pas attendu les paillettes, les caméras et Pierre Ménès pour arpenter les travées de Gaston Gérard. Dijon vibre football par intermittence, mais pas lui : Patrick reçoit chez lui. Pas d’affiche ni d’écharpe rouge au mur. Sobre. Un stylo qui traîne, deux-trois maillots dans le placard et pas mal de souvenirs rangés dans des cartons. 30 ans de foot au GG : le cercle, Eric Carrière, la tribune de Furiani et même Jean-Pierre François... Rencontre avec un historique, entre passion et désenchantement.

PAR CHABLIS WINSTON PHOTOS : DR

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1999, les débuts du DFCO. Avec le mégaphone : Patrick. Avec le tambour : Philippe (R.I.P.)

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atrick va au stade pour la première fois en 1985. À l’époque, c’est le Cercle Dijon Football (CDF). L’équipe est en Division 3, l’équivalent de National. Patrick, la vingtaine, découvre l’antre du foot dijonnais avec son beau-frère, Philippe. « On aimait le football. C’était pas cher et ça faisait une sortie entre mecs . On s’est pris de passion pour l’équipe. Et pour la tribune. Le stade était à côté. Auxerre c’était loin. Même si on y allait de temps en temps quand on gagnait des places avec Canal +. » Patrick et son beauf ’ sont très vite avec tambours et mégaphones en tribune. Et font pas mal de déplacements. « On n’était pas tant que ça mais il y avait une bonne ambiance. » Vite repérés pour leur puissance vocale, ils intègrent les « Mout’hard Boys » (c’est autre chose que les « Dogs » comme blaze pour un crew de supporter). « Ça c’était mythique ! Qu’est-ce qu’on a pu déconner. Y’avait du beau jeu à la fin des années 80. » C’est à ce moment là que le CDF a connu son heure de gloire. Aventure en Division 2, match de gala contre le Marseille de Bernard Tapie en coupe de France. « Il y avait des panneaux partout en ville : en 1990, Dijon en D1. On a attendu 21 ans, ouais ! » Puis le club s’effondre aussi bien sportivement que financièrement. Faillite. Relégation en D4. « Là c’était la merde. Plus grand monde dans les gradins. Mais on est restés. On était entre potes. »

« Un jour en rentrant d’Epinal, le bus a percuté un mulet, j’te raconte pas le bordel » 29

LA CRÉATION DU DFCO. « Nous, on était CDF. On n’était pas spécialement pour la fusion avec le Dijon FC. Mais les deux clubs étaient au même niveau (CFA), il fallait bien le faire. » Vient la période DFCO en 1998. Ils font les déplacements avec « les Téméraires », le club de supporters. « Un jour en rentrant d’Epinal, le bus a percuté un mulet en plein milieu des Vosges. J’te raconte pas le bordel. » Ils essayent même de créer un club de supporters après le clash avec les Téméraires. Un clash ? « Pfff... je préfère pas t’en parler ou citer de nom. Le Chouet’club dure un an. On était plus de 100 adhérents. On s’entraînait à chanter dans la cave d’un des mecs du club. On était complètement débiles quand j’y repense. Après, c’est compliqué, fallait de l’argent pour les déplacements et tous le reste. » Ils s’arrêtent. « À la fin des années 90, le club cherchait des gens pour s’investir dans le club. On a fait les bénévoles pendant des années. » Philippe, le beau-frère, a fait la mascotte. C’était lui dans la chouette sur le terrain. « On se cassait le dos pendant des après-midis entiers à tout installer au stade. Ils nous remerciaient avec un sandwich. Qu’est-ce qu’on en a chié. Un jour, ils nous ont envoyés calmer les supporters grenoblois. Nous, les bénévoles ! Tu vois comment ils sont les mecs de Grenoble ?! Un con de la sécurité a lâché son chien tellement il a pris peur. Le clébard m’a sauté dessus et m’a bouffé le bras... Ils m’ont pas soigné. Pas un merci. Rien. » Patrick enchaîne. « Y ’a pas de côté humain, c’est dommage. Le club, on le suit depuis 30 ans. On s’est donnés à fond. Dans le temps, ils envoyaient une carte aux bénévoles pour leur anniversaire... Depuis cette année, tu reçois même plus les résultats sur ton téléphone. Y’avait personne du club à l’enterrement de mon beau-frère. Ça, ç’a m’a fait mal. »


DOSSIER

NOUVELLE GÉNÉRATION. En 2006, Patrick cesse de s’investir. On sent le gars blasé. « Mais je vais toujours au stade. Abonné. C’est ma passion. Je ne fais plus les déplacements, c’est tout. On est plein dans la tribune à être des anciens. On nous connaît. Même Tony, le speaker actuel, un ancien des tribunes. On soutient l’équipe quoi qu’il arrive. L’équipe, oui. Le club... qu’ils nous demandent plus rien. » C’est vrai que quand Patrick parle des supporters et des joueurs, il dit « on ». Quand il parle du club ou des dirigeants, il dit « ils ». « On vient pour le foot. Encore maintenant, je prends mes vacances en fonction du calendrier du club. »

remontée contre Epinal en... J’sais plus quand exactement... Bref, on perdait 3-1 à trois minutes de la fin, on est revenu à 3-3. La montée en national, en 2000. On avait fait le déplacement à Calais, énorme ! Le parcours en Coupe de France en 2004-2005, on perd la demifinale contre Châteauroux. La période Rudi Garcia (entraîneur de 2002-2007 passé par Lille, aujourd’hui à l’AS Roma, ndlr) : il y avait une âme, un style. Rudi Garcia, c’était le top. Super respectueux avec les supporters. Ça se perd. Après Rudi Garcia, il y a eu une période difficile. On a retrouvé un peu de gueule avec Carteron. Mais il faut être honnête, on en a vu des matchs où on s’est fait chier. » RÉCITAL. Les joueurs qui t’ont marqué ? « Stéph Mangione (1999-2003 puis 2004-2009), un gars du cru. Un bon gars. Il connaissait les supporters. Samuel Lobé (1988-90), un grand Africain. Attaquant, il en plantait des buts ! Michel Angel, un libéro qui marquait des coups francs. Antoine Di Fraya et Jean-Roch Testa (1989-91), belle époque. Arnaud Caron (1993-2001). Un pote, il me filait ses maillots. Mickaël Tacalfred (2004-2008), l’arrière droit époque Rudy Garcia. La première année, il défonçait tout le monde, incapable de se retenir, je l’adorais. François « Zizou » Masson (20022007) de l’époque Garcia aussi, meneur de jeu (celui là, c’est le préféré de la rédaction, ndlr). Et celui qui était clairement au-dessus du lot, c’était Eric Carriere (2008-2010). Dans le temps, on avait une chanson par joueur. Maintenant, ils ne restent plus, y’a pas mal de mercenaires. »

« On en a vu des matchs où on s’est fait chier » Et justement, sur le terrain ? « Ah ! Y’a eu plusieurs périodes. C’est sûr que le niveau et l’ambiance de la Ligue 1, c’était du bon. En plus, l’équipe n’a pas été ridicule, loin de là. 10.000 spectateurs au moins à chaque match. C’était quelque chose. On y a pris goût. Ça fait chier que les gens viennent que quand il y a des résultats. Les gars, ils ont porté l’écharpe du club une saison. Pas avant, plus après, pfff... Mais on n’a pas attendu la Ligue 1 pour voir des trucs de fou. La Coupe contre Marseille en 1991. Mozer, Boli et tous les autres. Ils avaient monté une tribune en plus pour l’occasion. La même qu’à Furiani. La

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Déplacement à Avignon en 1991


FAN DU DFCO

En bas : Cadeau, Jean-Pierre François est en haut à droite (saison 88-89). Le mec n’a pas été retenu dans l’équipe, mais il a porté le maillot – « Je te survivrai, d’un amour vivant » En haut : François « Zizou » Masson. Putain d’artiste (francoismasson.e-monsite.com) À droite : Mickaël Tacalfred, dit « Le Tac » (tacforever21.skyrock.com)

CARTONS ROUGES ET BONS POINTS. Les flops ? « Ah... j’en ai vu pas mal. Mansouri (1990-91), ce gars fait une main volontaire dans la surface : on perd le match à Avignon. On avait fait le déplacement à 1.000 supporters. » Un dur souvenir qui date de... 1991 et que Patrick sort instinctivement. « Dimitrievich, un Roumain, pour le voir il fallait aller au bar des Abattoirs, en face du stade des Poussots. Cramé le mec. Une esbroufe. » Ah, c’était quand, ça ? « Attends. » Quand il ne se rappelle pas d’une date, Patrick appelle ses potes, « la classe » ou « le toutouille », pour lui rafraîchir la mémoire.

contrats mirobolants pour des seconds couteaux... et qui ne jouent pas. Faut les dégager. J’aime bien Dall’Ogglio, l’entraîneur, et le mec qui vient de Niort : Johan Gastien. Benjamin Lecomte, le gardien, fait le taf. Et Cédric Varrault bien sûr, je l’adore. Maintenant, dans le football d’aujourd’hui, y’a pas à tortiller : faut prendre un nom. Comme Eric Carrière à l’époque. Un mec qui fasse venir les gens au stade. Faut dépenser quoi... J’aurais bien vu Giuly, enfin y’a quelques années. C’est dommage parce qu’il y a un potentiel de supporters dans la ville et un stade qui a de la gueule maintenant. Là on a fait un bon début de saison mais faut pas s’emballer. » L’ambiance au stade ? « Heureusement qu’il y a les p’tiots en bas de la tribune Est, les Lingon’s Noys. Les Téméraires font plus beaucoup de bruit et les Dogs... je t’en parle pas. On n’est plus 10.000 c’est sûr, mais même si on était cinq j’irais encore au stade. Jusqu’à mon dernier souffle. Cette équipe je l’aime. » // C.W.

« Rudy Garcia, c’était le top » Et l’équipe d’aujourd’hui ? « J’te le disais, y’a plus de joueur du coin. On verra ce que donne le centre de formation. J’espère qu’ils les vendront pas à 19 ans. Le président, Delcourt, c’est un gestionnaire, c’est tout. Gnecchi, l’ancien président, lui, il avait la passion. Mais il a fait signer des joueurs qui nous coûtent cher encore maintenant, des

Pour tous ceux qui veulent un peu d’histoire du foot à Dijon, vous pouvez aussi aller sur le forum du site dijonfoot1998.com, rubrique histoire. Très instructif.

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LIFESTYLE

MEHDI BELHAJ KACEM IT’S IN THE GAME 36


DOSSIER : FOOT - PHILO

Un week-end à la maison avec Mehdi Belhaj Kacem, pour parler sport, jeu, poker et football. PAR TONTON STÉPH PHOTOS : ALEXANDRE CLAASS

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ehdi Belhaj Kacem n’est plus le « jeune philosophe autodidacte » célébré par Libé, en Une des Inrocks aux côtés de Bowie ou interviewant David Cronenberg. Il a désormais de la bouteille et fait partie du paysage intellectuel français. Honni par les uns pour son refus des conventions philosophiques, des académismes et pour son côté franc-tireur, célébré pour la profondeur de ses spéculations et la richesses de ses vues par d’autres, il est à l’origine d’une pensée tout à fait novatrice qui clive, tout en laissant indifférente l’institution universitaire. Un signe de qualité. Un de ses prochains ouvrages publiés (il le sera d’abord dans les pays anglo-saxons), s’intitule La transgression et l’inexistant. C’est un abécédaire où il présente ses principaux concepts. Parmi ceux-ci, on trouvera une entrée pas si courante en philosophie : le jeu. Il y est beaucoup question de football et de poker. Quel rapport avec la recherche philosophique, plutôt censée frayer de nouveaux chemins pour la politique ou l’esthétique de demain ? Qu’est-ce qu’une réflexion sur le jeu pourrait apporter à notre société morne et désabusée ? Sparse, grâce à son carnet d’adresse digne de celui d’Alain Minc, l’avait initialement fait venir à Dijon pour une rencontre avec un autre grand spécialiste du mal et de la tragédie, le cinéaste Gaspar

Noé (qui a commis des oeuvres puissantes telles qu’Irréversible ou Enter The Void). Le réal’ devait passer à la diffusion d’un de ses films au Devosge. Il n’est pas venu. Bon, depuis le lapin posé par Guy Roux, on commence gentiment à s’habituer à se prendre des vents. On a donc changé notre fusil d’épaule. Bien heureusement, celui surnommé depuis déjà 15 ans « MBK » par les médias est bien venu nous voir à Dijon, pour une interview. Et il a plus d’un tour dans son sac. S’il est un des rares philosophes pouvant sans difficulté nous tenir un propos digne d’Adorno ou de LacoueLabarthe sur l’oeuvre d’un Wagner (la Tétralogie étant à l’affiche début octobre dernier à l’Auditorium), nous avons plutôt décidé de l’emmener sur un terrain plus jovial et faussement trivial : celui du jeu et du sport. Développant un modèle de pensée très riche, se mettant à hauteur de tous les plus grands philosophes du dernier siècle (Heidegger, Schürmann, Blanchot...), Belhaj Kacem est pourtant le seul à prendre au sérieux un paradigme ludique, où le poker et le football seraient ni plus ni moins porteurs d’une certaine éthique. Comme tu t’en souviens, ἦθος (èthos) signifie en grec « manière d’être ». Qu’est-ce que le jeu pourrait apporter à la cité, qui dépasserait son ravalement à un simple divertissement par la société du spectacle ?

« L’homme ne joue que là où dans la pleine acception de ce mot il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue ». Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique.

Peux-tu nous résumer ta thèse principale concernant la place du jeu et du sport, leur possible rôle à l’heure de tous les désenchantements politiques ? Mon approche est de type postkantienne. À mes yeux, il faut comprendre l’homme comme celui qui se donne des lois qui ne se trouvent pas dans la nature. C’est là d’ailleurs la définition moderne de la liberté. En s’appropriant les lois de celle-ci – ce qui revient à fonder la « science », l’homme se place dans un réseau infini de règles qui n’existaient pas avant, qui se surimposent au règne de la simple vie animale : le monde des conventions, comme s’habiller, aller travailler, s’imposer une hygiène, payer les facture et les impôts, etc. Or, nous savons tous d’expérience que l’essentiel de l’obéissance à ces lois, ce que Kant appelle simplement le devoir, n’a rien d’agréable, s’accompagne d’un fort taux de pénibilité, même si ces lois sont nécessaires pour réguler la violence que permet justement le fait que l’homme étant l’animal de la science et de la technologie, dispose d’une puissance incommensurablement supérieure à celles des autres êtres animés. Or, le jeu, tous les jeux existants, sont le seul espace anthropologique où la libre acceptation de règles conventionnelles s’accompagne de plaisir. Mon raisonnement « utopique » est donc axé là-dessus : et si le devenir de la société devait être ludique ? Et si toutes les lois de la coexistence civique se « ludicifiaient » ?

Pourquoi, malgré les perspectives d’émancipation qu’il pourrait laisser espérer, le jeu est-il une dimension laissée de côté voire délibérément méprisée par la tradition philosophique ? Elle ne l’a pas toujours été. Pas pour les philosophes qui ont précédé Platon, lequel lance pleinement le paradigme « scientifique » de la pensée occidentale. Les penseurs grecs considéraient non seulement les Olympiades comme un des beaux-arts, mais même comme le summum de tous les arts, au dessus de la tragédie, de la poésie, de la sculpture et de la musique ! Platon prescrit biensûr, dans la République, la gymnastique comme élément majeur de la Païdeïa, comme stade nécessaire de la formation de la jeunesse – à l’exclusion justement des autres arts dont il se méfie. Mais il n’analyse pas spécifiquement la «forme-jeu». Aristote non plus d’ailleurs (il le fait quand même un peu dans son Ethique à

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« Parce qu’il s’est approprié, seul, les règles pérennes de la Nature et de l’être, l’homme, seul, peut en édicter de nouvelles : ça s’appelle le politique, pour le pire, mais ça s’appelle aussi le jeu, pour le meilleur. » Mehdi Belhaj Kacem, La transgression et l’inexistant.

à Nicomaque, ndlr) ; or, sa manière de philosopher aurait été beaucoup plus adaptée au thème du jeu que celle initiale de Platon. Le présocratique Héraclite, dont il ne reste que des fragments, l’évoquait plus franchement.

mise en forme qui le sublime. C’est du reste ce que lui reprochait déjà Platon. Si les gens aiment tant le sport, c’est tout simplement que, peut-être, les autres arts ne lui apportent pas une sublimation aussi réussie des affects de violence et de meurtre, à part peut-être le cinéma et les séries TV. Ou bien les jeux vidéos, dont je ne doute pas qu’un jour ils seront considérés comme une forme d’art à part entière, comme le cinéma aujourd’hui ou bientôt la BD, à laquelle le grand philosophe Tristan Garcia s’apprête à consacrer un livre référence, comme jadis Gilles Deleuze sur le cinéma.

Comment contrer l’argument traditionnel selon lequel le jeu ne serait guère que divertissement, sous-entendant que la politique, elle, est une affaire sérieuse ? Il faut savoir que les Olympiades étaient justement politiques, au sens le plus aristotélicien de la fonction de l’art. Ce qui permet d’opérer la Katharsis : l’épuration qui sublime les passions négatives qui ne manquent pas d’advenir dans la cité. Les jeux et notamment les sports n’occupent pas une fonction différente dans nos cités : ils sont la Katharsis des pulsions guerrières. Le sport est une sublimation des instincts de rivalité, d’hostilité, qui précisément empêche de s’entretuer : la violence y est dépassée et comme canalisée dans une saine émulation.

Qu’est-ce qui t’a mis sur la voie d’une pensée cherchant un «devenir-ludique » de la société ? Comment abordes-tu le jeu dans ta philosophie ? Mon approche ne se limite pas à proposer une théorie politique du jeu. Je suis moi-même un gamer. J’ai toujours été attiré par les jeux, jusqu’à passer des jours entiers sur Tomb Raider, à l’époque... Je me suis beaucoup adonné à des jeux de rôle lorsque j’étais adolescent, au foot, aux jeux vidéo. Dans mon travail philosophique, je me suis en fait très vite rendu compte que la tradition philosophique avait proposé peu de réflexions sur cette forme de vie qu’on pourrait aussi, à l’instar des poètes et philosophes grecs, considérer comme un art supérieur.

Tu nous proposes quand même une vision quelque peu idyllique de ce pouvoir de sublimation, non ? Le jeu ne pourra pas supplanter la politique... Évidemment, le jeu ne va régler toute la négativité qui résulte de la vie politique. Cela n’empêche pas les pays en crise de faire la guerre par ailleurs ; et d’aucuns diront que pour cette raison, le sport est « l’opium du peuple », nous divertissant des vrais enjeux... Mais je ne suis pas sûr qu’on aille bien loin dans cette direction qui plaît tant à un gauchisme vertueux, toujours prompt à dénoncer les excès liés au sport, excès bien connus qu’on ne va pas énumérer ici. L’art, en général, a toujours eu pour fonction d’être cet opium du peuple, de le purger de ses passions politiques négatives, d’orienter la violence vers une

Tu comprendras qu’on peut trouver nébuleuse l’idée d’une « société plus ludique » : à quoi pourrait-elle ressembler au juste ? Et n’interviendrait-elle pas uniquement une fois que les principales inégalités auraient été gommées ? Bien entendu, j’en conviens : on est encore très loin d’une société égalitaire ! La crise est telle que la violence ne sera pas sublimée par un devenirludique des principales formes de vie communautaires : le travail, 34


DOSSIER : FOOT - PHILO

la politique, etc. On peut quand même remarquer que dans la sphère privée, dans le sexe et dans l’amour, nous assistons déjà à des mises en forme très ludiques des échanges. Alors certes, je le répète, c’est une utopie, mais qui a justement le mérite d’être réaliste, contrairement aux utopies égalitaires des deux derniers siècles, qui n’ont donné d’égalité politique que dans la mort. L’idée, c’est d’assumer que l’être humain soit un être foncièrement inégalitaire*, autrement sanguinaire que les autres animaux à cause de la puissance technologique. Il s’agirait dès lors de chercher à limiter, par le jeu les effets inégalitaires nécessaires apportés par cette puissance technologique. C’est une utopie, mais réaliste. Pourquoi les gens ne prendraient-ils pas du plaisir à leur travail ? Tout travail pourrait être organisé de manière ludique ; il n’y a aucune raison transcendante pour qu’il ne s’inspire pas des formalismes ludiques, pour qu’il cesse enfin d’être enfin la corvée qu’il est presque toujours. Ce n’est pas un secret, du reste : les meilleurs travailleurs dans tous les domaines sont ceux qui prennent plaisir à ce qu’ils font, qui pratiquent leur métier comme un jeu.

Comme l’annonçait déjà Lautréamont, l’art doit être fait par tous, non par un. Je n’ai aucun doute sur le fait que le vingt-et-unième siècle va réaliser cette prophétie annoncée par toute l’avant-garde du vingtième, notamment les situationnistes, qui ont pratiqué la politique comme un art et l’art comme de la politique, le tout sous une forme toujours ludique. Mai 68, c’était justement « la révolution comme grand jeu. » // T.S. Derniers ouvrages publiés : Être et sexuation, septembre 2013 (Stock) ; Opéra mundi, la seconde vie de l’opéra (Léo Scheer). À venir : L’effet Meillassoux ; La transgression et l’inexistant.

Tu vois dans le jeu une sorte d’art supérieur à l’usage du peuple mais le sport, en particulier, n’invite-t-il pas avant tout à la passivité, celle d’un citoyen plus que jamais soumis au spectacle ? On te sait grand lecteur de Debord... C’est une question clé, et c’est pour cela que je m’intéresse tant au poker. Dans ce jeu, on ne peut vraiment s’y intéresser et assister aux grands tounois sans y jouer soi-même. Les jeux vidéo ont une ambiguïté à ce propos : à la fois intéractifs puisque c’est soi-même qui joue le personnage du jeu plutôt que de le contempler dans un film, et passif puisque tout y est souvent téléguidé par le scénario écrit à l’avance... On reste quand même dans son canapé. Les jeux de l’avenir, qui sont aussi les arts majeurs de demain, seront de plus en plus participatifs. Toutes les avant-gardes du vingtième siècle ont annoncé cela. Que l’art sera de plus en plus démocratique. C’est l’idée d’esthétique relationnelle qui avait fait florès à Paris à la fin des années 2000.

«Le foot représente à l’heure actuelle l’oeuvre d’art totale, comme c’était le cas pour l’opéra au XIXe siècle. À travers lui, les nations se racontent à elles-mêmes leur destin. » Mehdi Belhaj Kacem, extrait d’une interview pour Philosophie magazine.

* Mehdi Belhaj Kacem cherche à penser de nouveaux modèles de pensée pour une gauche qui ne laisserait plus berner par les miroirs aux alouettes criminels des divers communismes : « J’ai préféré là-dessus prendre mes responsabilités, lassé des platitudes dépressives du petit milieu intellectuel gauchiste qui était ma « famille » non reniée, quoi qu’on en dise. Oui à l’équité, à la justice, à l’abolition graduelle de la propriété privée. Mais que les amoureux sincères de l’émancipation renoncent, et dans les meilleurs délais, à un mot aussi creux qu’« égalité », car c’est les chances de leur politique qui seront pour longtemps hypothéquées, s’ils le maintenaient. C’est là qu’intervient décisivement la pensée du jeu. Elle est bien moins aléatoire politiquement que les tirages de chèque en blanc « égalitaires ». in La transgression et l’inexistant, p. 82.

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LIFESTYLE

MOT COMPTE DOUBLE DANS TA FACE Des fois c’est toi qui descends le Scrabble, et des fois c’est le Scrabble qui te descend. Mon mercredi soir à la maison de retraite des Marguerites avec le Scrabble-Club dijonnais. PAR ANTOINE MASSOT, À DIJON PHOTOS : A.M.

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LIFESTYLE

À

quand remonte votre dernière partie de Scrabble ? La mienne date de l’époque où mes yeux dépassaient à peine la table du salon de mes grands-parents. Je devais prendre appui sur le rebord pour mieux apercevoir mes lettres, ces petits carrés blancs disposés sur ce qui ressemblait à un minuscule banc gris. Etrange support tournant le dos aux joueurs trop curieux mais surtout à ce plateau imposant, rempli de cases vides n’attendant plus que nos ingénieuses trouvailles orthographiques. La guerre des mots commençait ici et autant vous dire que mes grands-parents étaient des champions. Pas facile de se faire sa place quand ton pépé jongle avec les consonnes et les voyelles sous tes yeux pour en faire un mot que tu n’entendras qu’une seule fois dans ta vie. Même si le but du jeu consiste à scorer un max et traumatiser ses adversaires à coups de vocables bien placés, il résidait un esprit d’entraide indéniable. Ensemble, nous cherchions à maltraiter ce croupier invisible mais coriace : la langue française. La partie venait de commencer et pourtant j’avais la forte impression que nous étions assis là depuis trois jours. Un vrai calvaire. Je priais de toutes mes forces pour qu’un léger tremblement de terre vienne inopinément défoncer la partie et plonge ces foutues lettres dans un monde post-apocalyptique où les lois linguistiques seraient réduites à néant : « Bon j’ai pas trouvé mieux que « ejzokrpzrae » en 11 lettres, aussi synonyme de « ripejkrjakper. » Le deuxième Z compte double, à toi mamie ! ». Voilà mes derniers souvenirs scrabblesques et peut-être avez-vous les mêmes… Qu’on se le dise, ce jeu nous a tous rendus cinglés à un moment ou à un autre, quitte à jouer à celui qui osera poser « e.n.c.u.l.e.r », mot en sept lettres, (on appelle ça faire un Scrabble, NDLR), ce qui fait 59 points tout de même. DROGUÉ PAR LES LETTRES. Aujourd’hui, les choses ont changé. Je ne collectionne plus les cartes Pokémon mais les refus des recruteurs, le chômage quoi. Et ce qu’il y a de troublant pendant cette période délicate, c’est le fait de se focaliser sur des choses pour le moins inhabituelles. Un peu comme dans le film Paranoïak où un ado purge sa peine à domicile, bracelet électronique sur la cheville : le jeune malfrat joue avec sa bouffe, geek comme un malade et espionne ses voisins. Assurément, je n’en suis pas à ce stade mais c’est de cette

manière que mon intérêt pour le Scrabble a dépassé les soixante secondes. J’avoue que ma nièce de dix ans n’y est pas non plus pour rien. C’est elle qui m’a récemment initié à ce Léviathan du jeu de société dans sa version junior. Les règles sont à peu près identiques, à la différence qu’un mot ne peut pas excéder cinq lettres. Pas si évident que ça mais je suis parvenu à faire mes preuves avant que ma nièce n’ait trouvé l’idée de se prendre pour Zorro, armée des fameux supports à lettre. Je pouvais la comprendre, elle perdait et moi je claquais du compte double sans scrupule. Je devenais bon et j’adorais ça. L’addiction se faisait sentir à tel point que si un pote sortait un mot improbable, je comptais les points dans ma tête. Les lettres n’avaient jamais eu une telle signification pour moi, elles s’accompagnaient désormais d’une gymnastique neuronale et d’une légère pensée : «Ah ouais, il pourrait pas mal rapporter ce mot-là ! »

« On ne t’a jamais vu toi ! Tu es quelle série ? » Après ma nièce et sa version junior, je me suis rapidement mis à défier tout le reste de la famille sur le modèle Deluxe à cases creuses (les lettre ne se baladent pas sur le plateau, c’est hyper pratique). Ça envoie du compte triple et du compte double dans tous les sens, un vrai carnage… Mais très vite, les choses se sont essoufflées. Mon entourage en avait ras-le-bol de ce challenge constant et quelque part de moi et du Scrabble. Il était temps de changer d’arène, de me mesurer à des pros. « Les Marguerites », maison de retraite pas très loin de la place de la République, accueille le club de Scrabble dijonnais du même nom. Ce mercredi, l’entraînement est à 20h15. « Le lundi après-midi il y a plus de monde mais ce soir on aura d’excellents joueurs ! » m’assure Huguette, présidente de l’asso et arbitre de la partie. En poussant les portes de l’arène, je suis tout de suite interpelé par Armelle, une habituée. « On ne t’a jamais vu toi ? Tu es quelle série ? » Euh, j’ai peur de ne pas bien comprendre, c’est ma première fois. « Alors tu es série 7, moi je suis en 3B. Tu joues beaucoup ? Je connais un site web super pour s’entraîner. »

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J’ai cette sensation d’être dans ce club depuis toujours avant même d’avoir pu poser ma première lettre. On m’accueille comme le nouveau, celui qui doit se présenter au groupe. Je ne déroge pas à la règle et me tiens debout devant la vingtaine de participants. Assis face à moi, chacun est équipé d’un curieux Scrabble miniature... Je suis inquiet. La confusion s’empare de moi mais je m’en tiens à ma présentation sans omettre de raconter l’anecdote de la partie endiablée avec mes grandsparents. « Tu prononces mal le mot Scrabble ! » me coupe Bernard, un moustachu planqué au fond de la salle. Je corrige mon erreur (je prononçais à l’américaine) et j’annonce mes victoires en précisant que ma nièce ne s’en remet toujours pas. Tout le monde éclate de rire, on s’installe sans plus attendre et personne ne m’a encore dit pourquoi leurs Scrabbles sont rétrécis. C’est là que Mireille entre dans la partie, elle est ma coach attitrée pour la soirée. Pendant les préparatifs, Mireille démystifie tout. Je la blinde de questions : pourquoi nos lettres sont toutes petites ? C’est quoi ce plateau géant au milieu de la pièce ? À quoi servent les ordinateurs ? T’es quelle série ? Elle prend le temps de tout m’expliquer. MIND-FUCKING GAME. Il existe deux types de Scrabble. La forme la plus commune est celle qu’on connaît tous mais elle ne se pratique que très rarement en entraînement. Doté d’un facteur chance et laissant place à la stratégie et autres fourberies, le Scrabble classique s’apprécie plutôt en compétition à en croire les adeptes. Pour s’entraîner efficacement, il existe une deuxième façon de jouer : le Duplicate. Ce soir, c’est à ce jeu auquel je vais m’initier. On m’apporte un mini plateau et l’intégralité des lettres de l’alphabet qui n’ont plus de secret pour moi. Les règles sont similaires au Scrabble classique à la différence qu’ici, chacun joue les mêmes lettres tirées par un arbitre. On ne joue pas les uns contre les autres mais on se mesure aux résultats de l’ordinateur. En gros, le but est de taper un max de points grâce aux lettres tirées, jusqu’à ce qu’un logiciel calcule le mot qui fera le meilleur score. Chacun pose alors le mot de l’ordi sur son mini Scrabble personnel et l’arbitre tire de nouvelles lettres. Le logiciel établit les meilleures solutions possibles et imaginables pendant que les joueurs tentent de s’en approcher. Un énorme plateau est disposé dans la salle afin que personne ne soit perdu. BIENVENUE DANS LA MATRICE. Avant que la partie ne démarre, on applaudit tous Guy pour une raison qui m’échappe encore. J’ai souvenir qu’il était question de « rang n°103 », de «qualif » et de championnat de France. Maintenant qu’on parle palmarès, j’apprends qu’un jeune de 17 ans présent dans la salle a participé au championnat du monde au Québec. Respect ! Mireille a fini d’installer son environnement de jeu confectionné par ses soins (lettres aimantées, plateau customisé), on peut commencer la partie. Tout de suite, les trois minutes accordées permettant de constituer son mot paraissent trois secondes. A ce moment précis, je perds mes moyens en oubliant que « BAFFLE » prend deux F, qu’il n’y a pas de E à YETI et que YOLO n’apparaît pas dans le dico officiel du Scrabble bien que WECH et KEUF soient tout à fait acceptés (selon le petit livret des nouveaux mots 2012 de Mireille). « La technique c’est d’abord penser aux terminaisons, 75% des mots posés sont conjugués, ne l’oublie pas ! » déclare ma coach tout en posant KEA (nom d’un perroquet de Nouvelle-Zélande, ndlr), trois lettres disposées de façon précise qui récolteront 41 points. Une feuille permet d’écrire ses mots, son score et le cumul des points. J’ai vite abandonné l’idée de cumuler les points pour me focaliser sur les lettres. Je n’ai pas le temps de réfléchir, ça fonce à toute allure, le Scrabble junior me manque. Une heure de jeu et mon cerveau subit déjà les dommages collatéraux. Je bois les généreuses paroles de ma coach mais devant moi, les chiffres et les lettres se mélangent. Mireille voit clair dans son jeu et ne panique à

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« Je pensais que DELUTIVE passerait, mais non... » aucun moment. De mon côté, je vois une putain de matrice défiler. « INQUILIN ! » martèle l’arbitre. Mireille lève les yeux et fronce les sourcils. « Je ne le connais pas celui-là ! », elle s’empresse de le noter, je fais de même. Agitation dans la salle, tout le monde veut connaître la signification du mot. L’arbitre calme la foule en promettant de divulguer sa définition à la fin de la partie. Je ne suis absolument pas rassuré mais Mireille me conforte et m’assure que c’est normal. Un papier est déposé sur notre table, il est sèchement marqué d’un trait rouge. Le mot qu’avait trouvé ma coach a été refusé par l’arbitre, il n’existe pas. « Je pensais que « DELUTIVE » passerait, mais non… » Elle se mange un zéro qui ne la pénalisera pas pour autant, croyez-moi. La partie se déroule et je me sens comme enfermé à l’intérieur d’une bulle. J’ai des pulsions destructrices qui surgissent mais heureusement, une panne informatique transformée en pause bonbon viendra écourter mon angoisse. « Alors, tu te sens comment ? » me demande la présidente du club en me tendant un bec. Je sens que je vais claquer au deuxième round et vomir quelques voyelles. Malgré tout, on attaque la deuxième heure qui s’avère moins chaotique. Je place un petit « MARCHA » à 24 points, suivi de « NOYÉE » rapportant 34 points et une « LOUVE » à 10 points. Ça score ! Mais, je suis encore très loin derrière Mireille qui fait de l’ombre aux algorithmes du logiciel, occupé à produire des mots qui me sont tout bonnement inconnus (MOYEU, NIMBER, LLOYD, AFAR, BAROUFE et j’en passe). Il est 22h30 et il ne reste pratiquement plus de lettres à placer. L’arbitre annonce la fin de la partie. Certains se félicitent, échangent leur score avec le voisin, se complimentent d’un joli coup, se disent déçus d’un autre… Mireille range ses lettres et comprend ma surprise quant à la difficulté et la rapidité d’une telle performance. « Au début, c’est pas évident ! Mais en persévérant ça porte ses fruits. » Après l’annonce du classement où ma coach aura frôlé les 1000 points, des joueurs s’impatientent de connaître mes impressions. Je leur témoigne mon admiration et avoue vivre un certain traumatisme. Chacun repart le Scrabble sous le bras, quelques retraités regagnent discrètement leur chambre et moi je ressors de là complètement vidé. Des consonnes plein la tête et ce surprenant sentiment de rupture. Celui de m’être fait plaquer par la langue française. // A.M.


DIAPORAMA PAR MARTIAL RATEL, À DIJON PHOTOS : ALEXANDRE CLAASS

Depuis quelques semaines, il a été décidé à Dijon de démonter les cabines téléphoniques. Ces espaces publics tellement prégnants et habituels, qu’on oublie de voir qu’ils sont là. Sauf bien entendu quand on est le quinze du mois et qu’on a déjà fumé tout son abonnement. Un scoop pour les plus jeunes : jusque dans les années 1980, les cabines fonctionnaient avec des pièces. On s’armait de pièces de cinq francs qu’on engouffrait dans cette goulue machine, et on contactait au choix ses parents ou ses potes. Avantage : les toxicos ou les voyous en herbe se faisaient les cabines pour assouvir leurs besoins. Pour la science et pour l’histoire, on a donc traqué les dernières survivantes, ces vestiges du passé des années Tam Tam ou de l’ère pré-BeBop.

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VESTIGES DU PASSÉ

REMPART TIVOLI (À COTÉ DE L’ENTRÉE DU PARKING)

Cette cabine est encore là parce qu’elle est planquée. Les types chargés de démonter les cabines l’ont très certainement oubliée. Côté pratique, elle n’est pas bien loin de la place Suquet, si par hasard celleslà sont toutes occupées. Complément : voir place Suquet.

CABINE DU PETIT CÎTEAUX (EN FACE DE LA STATUE 1% ARTISTIQUE)

Dans ce quartier construit sur un principe d’espace collectif, on a gardé un peu de social à travers cette cabine. Tout le monde n’a pas d’iPhone 5, on a trop tendance à l’oublier. En plus, cette cabine vous offrira une vue imprenable sur un des bureaux de tabac les plus étranges de Dijon.

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DIAPORAMA

PLACE SUQUET (C’EST LE COMMISSARIAT)

L’endroit multispace. Top confort. Les cabines spéciales gard’av’. Il est 9h00 du mat’, tu sors du placard pour dégrisement, ton père t’attend à la maison depuis minuit et tu t’es fait piquer ton portable au Carré. Ces cabines sont ta dernière chance de ne pas rentrer en stop à Brazey-en-Plaine. Ah non, tu t’es fais chourer ton larfeuille avec ta CB aussi. Complément : voir Rempart Tivoli.

POSTE GRANGIER

Il reste encore quelque chose de la grandeur du monopole des télécommunications françaises. Les démonteurs de cabines n’ont pas osé toucher à ces splendeurs du passé. On remarque qu’il n’y a pas de sol ajouté à la cabine, on est donc en prise directe avec les pavés. Les seules où on a la droit de dire qu’on appelle avec les deux pieds en Bourgogne. Sur les quatre, il paraît qu’une est directement reliée à la NSA.

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VESTIGES DU PASSÉ

LA CABINE AU PIED DU LYCÉE SAINT JOSEPH

Les portes sont toujours grandes ouvertes, ce qui lui donne au premier abord un côté très convivial. À la réflexion, ça fait de cette cabine l’espace le moins confidentiel de Dijon. En journée, les kids les plus pauvres -on oublie trop souvent qu’il faut un iPhone 5 en plus d’un sac Eastpak pour être accepté au sein de cette élite privée- appellent leurs parents lorsque la prof de SVT est absente. En soirée, ce sont les pauvres tout court qui l’utilisent.

LA CABINE DE LA PISCINE DU PARC

La cabine qui sent le chlore. La seule cabine où t’as le droit de rentrer en maillot de bain. Très pratique, la cabine est dans la piscine. Forcément, t’as pas ton portable sur toi quand t’es en slibard mais depuis le lycée t’as toujours ta carte à puce dans ton maillot. Sinon, on ne voit pas l’intérêt de cette cabine.

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DIAPORAMA

RUE BERBISEY (VERS LE BAR LE SHOOTERS)

Une trace au sol, c’est tout ce qu’il reste de cette cabine qu’il était convenu de considérer comme une colonne Morris. Où est-ce qu’on va pouvoir coller nos affiches maintenant ? Ah, ouais, en face sur la vitrine de l’ancien Salsa Pelpa. Les choses sont bien faites quand même.

PLACE EMILE ZOLA (VERS LE BAR LES AVIATEURS)

Plus de cabine. Fini les conneries à pas d’heure, les coups de fil anonymes à ton ex et tous ces petits jeux. Ceci dit, ce petit carré au sol te permettra de briller avec ta nouvelle copine ou les touristes de passage. Comme la place Émile Zola était avant la place des exécutions publiques, tu pourras toujours dire que là, pile à cet endroit (d’où la marque), se tenait la potence.

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VESTIGES DU PASSÉ

PARC DARCY (À COTÉ DE L’ANCIEN OFFICE DU TOURISME)

La cabine rouge, anglaise. J’ai toujours trouvé cette cabine british ridicule. Il paraît qu’elle a été offerte à la ville. Une preuve de plus que certains cadeaux se refusent. Aujourd’hui, elle est toute pétée. Il n’y a même plus de combiné à l’intérieur. D’autres cabines trônent derrière, elles aussi vidées des appareils téléphoniques. Elles servent peut-être de modèles pour les touristes ou pour les générations futures. À moins que ce soit des espaces pour s’abriter quand on téléphone avec son... portable.

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PORTRAIT

ZEKRI CE MEC ? Gérant d’une petite librairie rue Chabot-Charny dans les années 70-80 à Dijon, Bernard Zékri est ensuite parti à New York. Pour y faire quoi ? Pour ramener le hip-hop en France.

PAR MARTIAL RATEL PHOTO : RENAUD MONFOURNY

C

il y en a un !), ancien directeur de la rédaction des Inrocks, ex-boss de CapaTV-presse (il a démissionné le 04 novembre dernier), ex-rédac’ chef d’i-Télé et ancien d’Actuel. Lui, c’est Bernard Zekri. Enquête sur ses années dijonnaises.

omme quoi un scoop, niveau « top important », ça tient à rien. « Top important » chez Sparse, ça veux dire que potentiellement en plus du contributeur, le sujet peut intéresser au mieux une vingtaine de personnes, dont dix de notre entourage. Deux ans que ce sujet traîne dans les tuyaux. Deux ans de glandouille, deux ans qu’on repousse à plus tard un pan entier de l’histoire des musiques qu’on écoute tous les jours. Imaginer qu’une partie de la musique découverte et écoutée par une partie de la jeunesse depuis le début des années 1980 à travers le monde s’est jouée en partie à Dijon est juste hallucinant. Deux ans et puis, d’un coup le courage ou la vacuité aidant, on se lance tête la première dans ce qui deviendra à coup sûr le scoop du mag’. Le truc n’étant connu à Dijon que par un quarteron d’aficionados, de diggers fous des histoires parallèles à la musique. Et puis au moment des premiers contacts avec notre interlocuteur, une évidence vous éclate comme une grenade à plâtre à la figure : un bouquin, tout ce qu’il y a de plus grand public va sortir deux-trois semaines après, sur disons, trois-quatre années qui vous intéressent. Ce bouquin s’appelle Le Plein emploi de soi-même. Le scoop est éventé. Même les médias populos se saisiront de l’info parce que « c’est du local ». La lose. Mais quand même. Maintenant qu’on est lancés, on ne va pas faire demi-tour. Alors, quelle est cette info tant attendue ? Le début de l’histoire du hip-hop en France s’est joué dans le tout début des années 1980 grâce à un Dijonnais. Un type qui n’avait au départ pas grand-chose à voir avec Afrika Bambaataa ou Futura 2000 a, à la fois, sorti le premier disque hip-hop en français, Une sale histoire de Fab 5 Freddy, et fait venir pour la première fois en Europe en 1982, une ribambelle de légendes du rap, du break dance ou du graff dans le New York City Rap Tour (Phase 2, Futura 2000, Dondi, Afrika Bambaataa, Grandmaster D.ST, le Rock Steady Crew, Rammellzee, les Buffalo Girls et Kool Lady Blue). Ce type à Dijon était libraire et fan de post-punk. Ce type aujourd’hui est un tycoon des médias français : rédac’ chef de Groland (oui apparement

LA LIBRAIRIE À DIJON. Les premiers renseignements sont pris auprès de gens qui l’ont fréquenté à son époque dijonnaise. En gros, 1975-1978. Ils gardent de lui un excellent souvenir, même si Zekri avoue n’être revenu qu’une seule fois à Dijon depuis cette époque. « Dites-lui que je l’aime », nous glisse Xavier Douroux, co-directeur du Consortium et connaissance des premières heures. Ah ouais, rien que ça. Quand on contacte Zekri, on s’imagine, comme il était jusqu’à novembre à la tête de Capa, que la prise de rendez-vous sera compliquée. Que les filtres et les portes d’accès seront doublement cadenassées. Bah, non, en fait. À part sa sympathique collaboratrice-secrétaire, il n’y a pas d’interface. Quand on l’a au téléphone la première fois, Zekri nous remercie chaleureusement, est emballé et flatté par l’idée qu’on s’intéresse à lui depuis notre chapelle dijonnaise. On hallucine, c’est le monde à l’envers. Arrivé à Dijon dans le milieu des années 1970, le jeune Bernard est inscrit en fac de droit, après un bout d’enfance passée du côté d’Avallon. En 1975, en face de la fac Chabot-Charny, il ouvre une librairie, « Les Doigts dans la tête ». « On était quatre dans l’aventure de cette librairie : Christian Simon qui faisait des études de psychiatrie. Il était très politique, engagé dans l’anti-psychiatrie. Marc Pifou qui était un passionné de jazz et Brigitte Courtois qui avait fait des études de Lettres et de Langues Orientales à Paris. Elle, c’était la littéraire de la bande. » Quand on lui demande ce qu’il était lui, le quatrième, il répond : « J’étais un peu le rigolo en dilettante, mais c’est moi qui avais trouvé la boutique. » Magasin finalement composé de deux boutiques : libraire d’un côté et disquaire de l’autre. Le shop ouvre après avoir racheté le stock d’un magasin parisien pour se faire un fond et être tout de suite une librairie professionnelle.

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PORTRAIT

Elle offre alors pas mal d’ouvrages de la littérature de gauche ou d’extrême-gauche de l’époque, et d’écologie dont c’est le début du versant politique. Pour ce positionnement, la librairie est même victime d’un attentat au cocktail molotov par des fachos. Pour Zékri, il s’agit d’un acte isolé : « C’est vrai qu’il y avait des gens qui venaient à la librairie et qui commentaient l’actualité, des gens qui étaient assez actifs politiquement mais il n’y avait pas une vraie tension autour du magasin, il ne faut pas exagérer. D’ailleurs, c’était moins tendu à l’époque que maintenant. » L’idée du magasin était certes de vendre des livres, mais assez vite la librairie devient un lieu de polarité des cultures alternatives. Comme à l’étage il y a un petit appartement, des groupes viennent l’occuper. Comme le groupe Femmes (MLF ?) de Dijon qui s’y réunissait une fois par semaine. « Très vite, il y a eu de l’interactivité. On a démarré avec une très belle collection de disques de jazz et finalement ce sont nos clients qui allaient régulièrement en Angleterre qui nous ont ramené les premiers disques de new-wave, de reggae, de punk dont c’était l’explosion là-bas. Le magasin a un peu réveillé la ville qui, comme la plupart des villes de province, était endormie. » Si le lieu est certes un espace de vente, les tauliers ne sont pas chiches et on pouvait aussi simplement écouter les nouveaux disques si on n’avait pas les moyens de les acheter. Le lieu étoffe son activité : des concerts, des festivals de cinéma ont lieu dans la boutique et en dehors, comme à l’amphi Aristote où le 26 novembre 1979, le groupe new-yorkais de post-punk Circle X était venu jouer.

Madonna, encore simple danseuse, qui vient de passer la nuit avec son coloc’, qui n’a plus d’argent à l’heure du petit déj’ et à qui Zekri offre cinq dollars pour qu’elle se paye un taxi. Zekri new-yorkais devient même un fixer pour les journalistes américains qui n’osent s’aventurer dans le Bronx mais qui veulent en savoir plus sur cette musique émergente. Enfin, l’année 1982 et l’arrivée du hip-hop en France grâce à la tournée qu’il organise et le maxi en français de Fab 5 Freddy, dont il écrit les paroles. ON FAIT LE BILAN, CALMEMENT. Que retenir de tout ça ? D’abord, si Zekri n’était pas là pour témoigner de ce passé dijonnais, qui pourrait le transmettre ? Quand on s’étonne qu’il ne reste aujourd’hui pas de trace de cette librairie-centre d’activités, Zekri, lui, n’est pas surpris. « C’était il y a presque 30 ans, c’est normal que les jeunes ne sachent pas. » Oui, mais quand même. Peut-être alors est-ce parce qu’en définitive cela ne touchait que quelques branchouilles ? « Combien de personnes ? Dur à dire mais il y avait du passage dans la librairie, forcément on était en face de la fac. Mais c’est sûr que ça ne touchait pas qu’un noyau dur. » Un jour, il faudra s’interroger. Pourquoi l’histoire des cultures alternatives, contre-cultures ou cultures « jeunes » semblent avoir si peu d’histoire à Dijon, alors que les expériences depuis les clubs de jazz des années 19301940 sont nombreuses. Évidemment, il y a le côté escargot-rico, la fierté du Dijonnais qui a pesé lourd, mais alors très très lourd, dans le game musical. Imaginez quand même que c’était la première fois que ces artistes américains quittaient le sol US ! On pourrait dire que Zekri a juste du bol, sauf que son parcours semble prouver le contraire. Où a commencé à se former, à prendre forme concrêtement son envie de nouveauté, voire de hype ? Dans l’aventure « Les Doigts dans la tête ». Un jour, Xavier Douroux nous confiait à quel point eux-mêmes « futurs Consortium » avaient été formés, élévés à l’école de la discussion, de l’argumentation de Zekri qui n’aimait rien de plus que négocier, encore et toujours. Donc au delà du « j’ai raison parce que je suis le dernier à parler », il y avait l’envie de la fulgurance, de l’idée forte, de l’idée neuve qui pourrait faire basculer la décision. La recherche musicale de Zekri à New York devait ressembler à ça. « Est-ce que la no wave est l’idée musicale neuve ? - Bah non mon pote », a-t-il sûrement entendu entre deux breaks et deux scratchs. It’s rap time ! Et bim, lui s’est engoufré dedans. Pour bien comprendre cette connexion, il ne faut pas oublier que le hip-hop new-yorkais est fortement lié aux sphères de l’art contemporain. Après quelques universitaires ou travailleurs sociaux, ce sont les galeries d’art et le milieu des cocktails art contemp’ qui sortent le hip-hop du ghetto. Avant de s’en désintéresser au début et milieu des années 1980. Des questions à Bernard Zekri, on en aurait encore des dizaines à lui poser, sauf qu’avant le bouclage du mag’, il n’était plus dispo. Pas grave, ça sera peut-être pour une autre fois. Vous avez toujours son bouquin pour en savoir plus. Nous, on l’a pas encore lu, on peut pas vous dire. Mais pour terminer sur un vrai scoop, un truc que le Nanard n’a sûrement pas mis dans son bouquin et qu’il ne crie pas dans tous les médias : à l’époque, son blaze, c’était « biquette ». Mimi, nan ? « Mais.. mais comment savez-vous ça, nous glisse-t-il mi-amusé mi-surpris, ça date de l’époque d’Avallon. Ce n’était plus mon surnom à Dijon ! En fait, plus jeune vers 14-15 ans, j’avais une veste en peau de bique que je trimballais tout le temps... » Voilà, prends-ça, la concurrence ! On a les scoops qu’on peut. // M.R.

NEW YORK BIG CITY OF DREAMS. Pour les expos, les libraires confient l’organisation à de jeunes gens réunis dans l’asso « Le Coin du Miroir », structure qui gère aujourd’hui Le Consortium, centre d’art contemporain dijonnais et mondialement reconnu. Autour de 1977, ce collectif occupe (aussi) l’appartement au-dessus de la boutique. Les jeunes Xavier Douroux et Franck Gautherot, à la recherche d’un lieu fixe d’exposition, sympathisent avec Bernard Zekri qui leur offre cet appart’ qu’ils transformeront en galerie. « Ils viennent me voir, on discute, on sympathise et très vite j’adhère à leur discours, à leur vision de l’art. Il y a un truc qui se fait au quotidien. On s’apprécie, on va jouer au foot (!) et puis voilà, ils repeignent eux-même cet appartement, en font une galerie. À l’époque, ils étaient vraiment fauchés. La grande sortie c’était le resto U. » Fermeture de la boutique autour de 1978-79, la gestion n’était pas forcément le point fort de la bande des quatre. Eux s’étaient d’abord lancés dans une aventure, pas dans une entreprise. Bien que le magasin soit fréquenté et fasse du chiffre, les comptes ne sont pas équilibrés. La rumeur qui court encore aujourd’hui dit que la fauche, le vol, en plus d’être considéré comme un art, pouvait être revendiqué comme geste politique, ce qui expliquerait les mauvais comptes. Zekri dément : « Non. Il faut dire que la période était dure pour les librairies. Et puis sur les quatre, deux suivaient leurs études de médecine. Les deux plus impliqués étaient Brigitte et moi. Et moi, je ne me destinais pas à être libraire toute ma vie. Je trouvais ça super de faire bouger Dijon mais je ne me voyais pas faire ça tout le reste de ma vie. C’était un moment comme ça, j’avais d’autres projets. » Notamment à New York, centre d’attractivité pour le jeune Bernard qui imagine la fin des années 1970 comme les années post-punk / no wave par excellence (Suicide, DNA). Lors d’un premier voyage, il rencontre les Circle X qui, eux, n’oublieront pas la visite du Zek’ puisque quelques mois après ils débarqueront chez lui, à Dijon, à l’improviste pour... jouer. Ne s’était-il pas déclaré manager du groupe ? Et puis, deuxième voyage et la découverte de la culture hip-hop naissante. L’appart’ partagé avec le graffeur Futura 2000, la fameuse anecdote sur

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CULTURE

LE TAG PARFAIT J’ai enfin compris pourquoi des mecs taguaient les TER Bourgogne, les arrêts de bus et les poubelles. PAR LILIAN ELBÉ PHOTOS : ALEXANDRE CLAASS

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on. Je dois vous avouer un truc. Niveau expression artistique et rébellion, personnellement, je me suis arrêté aux bites peintes au Tippex sur les bancs de la fac. Et encore, beaucoup étaient ratées. Peut-être par jalousie et parce que je viens d’un quartier résidentiel, j’ai longtemps eu les mêmes a priori sur le graff que mes vieux. Qui ne différencient pas un graff d’un tag et craignent encore aujourd’hui de se lever le matin « avec marqué ‘ziva’ sur le portail », comme ils disent. Bref, longtemps j’ai cru comme la presse locale que le graff était une pratique de « vandales ». Du niveau d’intérêt des « Paul a pissé ici le 17/10/1996 » ou encore « je suce gratui, appelé moi au 06 12 69 14 27 », gravés sur les portes de chiottes de bar, façon gogues de Lascaux. Mais deux éléments ont tout remis en cause. D’abord un mur oublié des coulisses du palais des ducs de Bourgogne sur lequel je suis tombé un soir en traînant : celui de l’escalier menant autrefois au balcon de la salle de Flore. Gravés à l’ongle, des dizaines de noms :

« Duprez, 1912 », « La p’tite George, 1948 ». Les noms du public venu assister au conseil ou aux concerts organisés là. Les bourgeois de l’époque étaient-ils déjà à considérer comme des salauds de vandales ? Et puis un mystérieux inconnu a réussi à me toucher. Dans les rues de Dijon au printemps, vous l’avez peut-être lu, il a tagué à l’arrache des dizaines de messages absurdes. Moches et mal écrits, mais beaux tant ils égayaient soudain une avenue de Stalingrad ou une rue Guillaume Tell franchement grises et immondes. Lui-même le marquait : « Ecrire sur les murs, c’est mal. » Et quand il ratait une fresque, il barrait et laissait à côté, à la bombe, un gentil message d’excuse. « Pardon, j’ai raté. » Alors j’ai commencé à me dire qu’il fallait que je reconsidère mon point de vue. Et j’ai fini par rencontrer un mec qui graffe et tague dans Dijon depuis pas mal d’années. À presque trente ans, lui se place du « côté clean du tag ». Qui « a un peu niqué », mais pas trop. Bon, par contre je peux pas vous dire son nom ni son blaze, il passait quelques jours plus tard devant le délégué du proc’.

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LE TAG PARFAIT

Salut. Comment t’en es venu au graff ? J’ai fait mon premier dessin vers 11 ans, sur papier au collège, pour imiter un de mes meilleurs potes qui était en 3ème. À l’époque, on faisait tous ça en cours, on écrivait tous les mêmes mots. À cause de Cynik. Une légende sur Dijon. Petit à petit beaucoup ont lâché, mais moi j’ai continué. Je me suis passionné pour la calligraphie, l’écriture. Je n’ai jamais su dessiner, par contre j’aimais bien travailler les lettres avec un crayon. C’est ça que j’adore. Mettre de la vitesse, rajouter des formes, les modifier, les embellir... D’autant que les filles aimaient bien ça. Ça, c’était dans tes cahiers, mais à quel moment tu es devenu un vilain méchant à salir les murs ? Les vrais tags, c’est quand j’ai commencé à rencontrer mes vrais potes au lycée. Tags sur les arrêts de bus, sur les trains... pour rigoler quoi, pour le fun. Y’en a qui cassent des rétros de voiture, moi c’étaient les tableaux EDF. Quand t’es jeune, tu penses à laisser des « messages », plus tard, c’est juste pour le kiff. Plus tôt, ado, quand j’ai déménagé à la campagne avec mes parents, j’ai fait deux trois tags dans mon village, mais ça s’est grillé direct ! Même ma mère savait que c’était moi qui les avais faits. Et mon premier vrai graff, style fresque, n’est venu qu’en 2002.

Ça vient comment, l’idée de laisser ton blaze au hasard d’une poubelle d’arrêt de bus Divia ? Je te dis, c’est ta propre pub. Soit tu le fais le dimanche matin, en rentrant chez toi de soirée. T’as pas dormi de la nuit, t’as un marqueur dans la poche, boum. Soit tu prévois ça avec tes potes, tu te bourres la gueule et tu ravages tout un quartier. Y’a différentes façons de voir le truc. Des machins pourris, j’en ai tagué. Mais j’ai jamais tagué de camions, je suis un tagueur assez clean. Même si je passe devant le délégué du procureur mardi prochain ! (rires) Sincèrement, j’ai toujours essayé de respecter un peu les gens. C’est vrai que j’en ai fait deux-trois, des portails, mais j’ai vraiment essayé d’axer mes tags sur l’espace public.

Donc c’est la rue et les tags d’abord, puis les grands graffs ? C’est un peu dans la loi du tag. Si t’as pas fait tes preuves dans la rue, faire des fresques sur un mur ça sert à rien. D’abord tu tagues dans la rue et après viennent les graffs. Il y a toujours des gens qui prendront ça pour un pur truc de rue et d’autres uniquement comme un art de fresques. Mais les vrais graffeurs, il faut vraiment qu’ils aient un début, un passé dans la rue. C’est une façon de se faire connaître, c’est une publicité.

En faisant du graff ’, tu revendiques quelque chose ? Moi, personnellement, non. C’est juste ma façon de faire de l’art... et un peu de provoc’. Les vieux qui sont cons, qui n’ont pas envie de réfléchir, je leur dis « merde ». Les autres, avec qui je peux débattre, je leur explique que ça me saoûle aussi de voir autant de pubs partout dans la rue, ou de mur blancs, froids. C’est la théorie du hip-hop : la réappropriation de la ville. Quand tu graffes, tu te réappropries les murs blancs, ceux pollués par la pub. En tant que tagueur, j’essaye soit d’embellir les choses, soit de leur donner un peu de vie. En faisant ça, je décide en quelque sorte d’où vont mes impôts, de ce à quoi ressemble ma ville.

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Page de gauche : yo! Page de droite : arbres!


LE TAG PARFAIT

Pour moi, tout ce milieu est super opaque. Le principe du tag, c’est bien de compliquer l’écriture pour crypter, donc la rendre illisible. Au final, c’est juste un dialogue entre gens du même monde, où il y a une véritable volonté de s’exprimer auprès du grand public ? Quand tu fais une fresque, c’est différent d’un tag. Une belle fresque aux Tanneries est facile à comprendre. Un tag, dans la rue, y’a pas de message. Être illisible, ca évite de se faire trop choper par les flics. Parce que le jour où tu te fais choper, c’est sûr que tu vas prendre pour tout ce que t’as déjà fait. Mais remarque, souvent la BAC est incapable de lire un nom... La première fois que je me suis fait choper, j’ai pas eu de suite parce qu’on nous a fait effacer. Là, je vais prendre un peu plus, avec des travaux d’intérêt général. Je pense que je suis bon pour repeindre les merdes qui restent le long de la rocade. Après, il suffit de prêter un peu l’œil et tu vas vraiment pouvoir lire tous les tags. Il faut juste y prêter un peu attention, d’intérêt, et tu reconnaîtras les noms de chacun, qui reviennent partout.

Tu en penses quoi du service « Allô mairie » de la ville de Dijon, qui s’engage sur un simple coup de fil à effacer un tag signalé, en moins de 48 heures ? (rires) Mais j’adore ! Je l’utilise pour tous les autres tags que ceux de mon crew ! Dès que j’en vois un, j’appelle ! Non sérieusement, c’est de la merde, je savais même pas que ça existait... Allo Dijon quoi ?

Dans tout ça, c’est si important d’appartenir à un crew ? Bien sûr, c’est la famille ! Quand tu poses ton tag, tu poses à côté le nom de ton crew. C’est comme un sport co’, tu veux agir en équipe. Même à quinze piges, quand j’étais tout seul, je voulais un nom de crew pour faire comme les autres. Alors j’en ai inventé un pour le poser à côté. Petit à petit, mes vrais potes et d’autres que j’ai rencontrés m’ont rejoint.

Quand je vois le prix d’une bombe de peinture à Norauto, je me dis que ça doit faire un sacré budget de graffer. C’est un truc de riches en fait ? Pas du tout ! Le gars qui est vraiment vénère, qui n’a pas d’oseille, il va aller péter des bombes à la Foir’Fouille et tout ruiner, tu vois. Nan, franchement, c’est vraiment pas un truc de riche. Aujourd’hui, les « grands » du graff semblent prendre de l’âge. Tu as le sentiment que le mouvement s’essouffle, ici ou ailleurs ? Moi, je taguais pas mal entre 2003 et 2006. Mais dès Sarkozy, avec le nombre de flics dans la rue, ça nous a refroidi un peu. Quand il y avait Ozer et Cynik à Dijon, il y avait un vrai mouvement. Il y a des graffs d’Ozer sur les murs des Tanneries qui ont plus de cinq ans, que personne n’a encore osé recouvrir ! Aujourd’hui, tu as toujours des petits jeunes qui adorent le truc, mais notre génération, on n’est pas comme Cynik et les autres. Ça s’essoufle, parce qu’on n’est pas de leur trempe. Après, les villes ne jouent pas toutes le jeu. A Dijon, la mairie ne subventionne rien. À Chalon par exemple, c’est plus ouvert, la mairie respecte plus. Même si personnellement je ne réaliserais pas un « graff subventionné », il y a une belle démarche municipale derrière ça. Je pense par exemple au passage souterrain de la place du 1er mai, qui aurait pu être conservé et légalisé, mais ils l’ont bouché... Tu sais qu’il n’est que recouvert, et qu’il existe encore sous le tram ? Ah ouais ? Putain c’est dingue, ce sera comme les grottes de Lascaux dans 1000 ans ! // L.E.

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LE CONCERT DE PINK FLOYD À DIJON EN 1974 ? C’ÉTAIT LUI. BOB MARLEY EN 1980 ? ENCORE LUI. IN BED WITH... DANIEL LINUESA voir ce qu’il se passait. Quinze jours apres je commençais. Seul. » Il imite son boss : « Linuesa, vous avez un spectacle au théâtre. Vous y allez et vous demanderez. » « Tiens, cette fois vous irez à Châtillon-surSeine avec ce pianiste. » Il apprendra jour après jour. À l’époque, l’ABC est une machine de guerre. 25.000 adhérents. Une présence dans 65 localités de Bourgogne, un délégué dans chaque. Des conférences, de la musique, du théâtre, etc. « On réunissait chaque fois 300-400 personnes dans la salle des États, pour des grandes conférences. J’ai côtoyé des personnalités exceptionnelles, j’ai tout appris du directeur de l’époque, celui qui avait monté l’ABC. »

PAR PIERRE-OLIVIER BOBO PHOTO : ALEXANDRE CLAASS

I

l fait déjà nuit à 18h30 ce mardi 15 octobre. Ce soir, l’Olympique de Marseille reçoit Naples au stade Vélodrome, pour le compte de la troisième journée de Ligue des Champions. Dans l’hypercentre, nombreux sont les citadins qui se pressent pour se ravitailler à la superette. Faudrait pas manquer de préparer l’apéro et de mettre les pizzas au four. Loin de cette petite agitation, s’il y a bien un Dijonnais qui n’en a rien à secouer du match, c’est Daniel Linuesa. « Je préfère le rugby, trop de pognon dans le foot », nous confiera-t-il. Du haut de ses 68 ans, cet artisan du spectacle dirige la société de production Euromuses. Anne Roumanoff à Auxerre, Serge Lama à Besançon, Nolwen Leroy à Chalon-sur-Saône, IAM, Frédéric François ou Chantal Goya au Zénith, c’est lui. Bob Marley, Pink Floyd, Genesis, Lou Reed à Dijon dans les années 70-80, c’est lui aussi. Bien installé dans un confortable bureau de la rue Amiral Roussin, il nous reçoit chaleureusement, calculette à la main et bouteille de blanc au placard. Suivront deux heures d’entretien, cinq anecdotes par minute, malheureusement bien trop difficiles à relater en deux pages seulement. Les débuts avec l’Association Bourguignonne Culturelle, l’explosion avec Pink Floyd, les embrouilles avec Le Pen, la politique, le système, la finance… Voici une partie de l’histoire du spectacle à Dijon, de 1969 à 2013, racontée par Monsieur Linuesa.

ENTREPRENEUR DE SPECTACLE. Arrive ensuite la musique anglo-saxonne et l’envie de tracer sa route, seul. « Il y a eu un probleme de génération. Le directeur n’a pas vu que cette musique débarquait en France. Avec un ami, on a pensé qu’il y avait un truc à faire. Alors on s’est dit qu’on allait faire ça nous-mêmes. » Une page se tourne. Place à Loisirs-Action, société qu’il monte en 73 avec son associé de l’époque, Fernand Royer. L’affaire se lance doucement, quelques concerts s’organisent à Dijon mais le duo ne dégage pas encore un salaire et galère dans un local de 8 m 2. Un jour, ils rencontrent un producteur parisien qui leur demande s’ils n’ont pas un endroit très grand à Dijon. « Bah oui, il y a la foire, 12.000 m2. » L’homme veut savoir si le lieu est disponible le 20 juin 1974. « On se renseigne au Parc Expo. Il n’y avait jamais eu de concert là-bas auparavant. Bon hé bien on va le louer. » Mais au fait, c’était pour faire quoi ? « Le groupe Pink Floyd. » Ah ! À partir de là, l’aventure prend une autre dimension pour Linuesa et son associé. Il fallait être crédible auprès des autorités locales, de la police, du préfet… « Vous imaginez, deux jeunes gens comme nous, à qui on demande « vous comptez accueillir combien de personnes ? » Plusieurs milliers ». Il y en aura 10.000. « On aurait pu en faire le double. » Sur une date qui aurait pu jamais se dérouler. La police avait des craintes, elle voulait mettre sur place deux compagnies de CRS, à la charge des

« Tout a commencé en 1969. J’avais vu une petite annonce de l’Association Bourguignonne Culturelle. Moi, j’avais fait des études musicales, et aussi un peu de sciences économiques, en diagonale. Ils avaient besoin d’un responsable des manifestations, alors je suis allé 54


PORTRAIT

organisateurs. Jusqu’à ce miracle, un beau jour. « On reçoit un appel du cabinet du préfet, qui nous demande s’il y a un espace réservé pour des personnalités. Madame la préfète et ses filles souhaitent assister au concert. Là, les portes se sont ouvertes. » À l’époque, Pink Floyd est dans toutes les radios. Ce fut un énorme carton. Ils feront ensuite Genesis, Supertramp, Dire Strait. Tout le monde est passé. « On n’a jamais attendu qu’un Zénith ouvre pour accueillir les grands groupes anglo-saxons. » Tout ça a duré une quinzaine d’années. « Puis j’avais l’impression d’avoir fait le tour. On a fait 4-5 millions de spectateurs, aucun pépin, aucun problème, mais j’ai eu un moment de flottement. J’ai décidé d’arrêter et de partir sur quelque chose plus en accord avec mes goûts musicaux. On s’est quittés avec mon associé. »

relations étaient plutôt cordiales durant toutes ces années. « Je me suis entendu pendant 30 ans comme cochon avec cette municipalité de droite. Alors que j’étais et que je suis toujours de gauche, bien engagé. Malgré tout, on m’a toujours aidé à faire mon métier dans de bonnes conditions. » Linuesa explique cette bonne entente avec la mairie de droite, à l’époque, en partie grâce à l’ouverture d’esprit de ses interlocuteurs. « Un jour, l’adjoint au maire, un universitaire très distingué, me dit : Monsieur Linuesa, j’ai juste un reproche à vous faire, votre guinguette avec vos merguez, quand le vent est du mauvais côté, ça rentre dans mon appartement. Mais bon, si ça amuse tout le monde, c’est pas moi que ça va déranger. » La politique, autre sujet qui tient à cœur à notre homme. « Je ne vous ai pas raconté ? Jean-Marie Le Pen ? Je l’ai fait au Forum aussi. » Pardon ? « Je vais vous expliquer. » Un matin, il reçoit un coup de fil de Pierre Jaboulet-Vercherre, ancien patron du FN en Bourgogne. Le parti d’extrême droite veut louer le Forum à Linuesa pour un meeting avec Le Pen. Refus catégorie. « Ah non, ce n’est pas possible, vous savez moi je fais des concerts et des brocantes, Monsieur Jaboulet-Vercherre. » Quelques jours plus tard, nouveau coup de téléphone. C’est sa collaboratrice de l’époque, Corinne, qui décroche. On lui demande des dates sur un dimanche, pour l’organisation d’une assemblée générale quelconque. Elle leur propose quatre, cinq dates. « Dans la foulée, j’ai à nouveau Jaboulet-Vercherre qui m’appelle et me dit : on prend le 8 mai. » « Bah non, vous prenez rien du tout, c’est pas libre ». « Si si, c’est libre le 8 mai, je le sais. » « Ah bon, mais moi je ne suis pas d’accord, en plus un 8 mai ! » L’ancien boss du FN menace. « Si vous refusez, je vous mets à genou, vous savez ce que c’est, le refus de vente ? Je vous envoie au tribunal, car j’ai la preuve que la date est libre. Vous n’aurez pas les sous pour payer les dommages et intérets que vous me devrez. » Ça ne sent pas bon. Linuesa est dans l’obligation de louer sa salle… à JeanMarie Le Pen. « J’appelle tout le monde, la préfecture, mon avocat, la mairie. Personne ne peut m’aider. Aucun recours possible. » Ce moment fut catastrophique pour Linuesa. « Le jour du meeting, je suis comme un con. Mes copains de la CFDT étaient venus manifester, ils se sont ramassés les CRS quand ils ont voulu se rapprocher. C’était terrible. Ils savaient que j’avais pas le choix, mais d’autres gauchistes qui ne me connaissaient pas ont défoncé ma vitrine. Elle a fini caillassée. C’est un des jours où j’ai été découragé. C’était pas juste. »

BUSINESS IS BUSINESS. Le Zénith, un mot qui revient souvent dans la bouche de Daniel Linuesa. Une manière pour lui de parler du modèle économique dans le spectacle qui a considérablement évolué en 40 ans. « Mon regret, c’est cette avancée inéluctable de la finance, qui submerge notre secteur d’activité. On est confronté à deux-trois grands groupes de taille internationale qui vont nous éliminer à moyen terme. Aujourd’hui, on met 9.000 personnes dans un Zénith et tout le monde pleure, il ne reste plus d’argent ! C’est grave ce qu’il se passe. Tout est tenu entre quelques mains. The Voice, Nouvelle Star, ça marche parce que les gens le voient à la télé. » Mais, Daniel, vous faites bien Nolwenn Leroy vous aussi ou j’ai mal vu ? « Dans ce système, il y a des choses qu’on a envie de faire et qui sont détenues par les mêmes personnes. C’est aussi simple que ça. Par exemple, moi j’ai plaisir à faire Laurent Gerra. Bah je n’aurai pas Laurent Gerra si je ne fais pas aussi Nolwenn Leroy, parce que c’est le même producteur. On est dans un business. Bon, je vais me mettre mal avec beaucoup de monde, vous me ferez relire l’article. » D’accord. Il passe la cinquième. « Un Zénith, c’est détenu par un financier. Je donne de l’argent à un financier. Je m’en cache pas, de ça, j’ai aucune animosité d’ailleurs envers les gens du Zénith, qui font bien leur travail. Mais sur le principe j’estime que la gestion devrait être sous le contrôle de la collectivité. » Linuesa fait son job avec amour. « Holiday On Ice, on a au total 12.000 spectateurs qui viennent voir le show, des gens qui sont éblouis, qui sortent avec les larmes aux yeux. J’ai du respect pour ces gens qui dépensent un billet pour voir Holiday On Ice, ou Michèle Torr, des artistes qui leur font penser à une jeunesse, à des moments heureux... C’est notre métier. Je fais ça sans état d’âme. »

LA MUSIQUE, LA PÊCHE, LA RETRAITE. Le flot de parole est continu, on aurait encore pu retranscrire dix pages d’anecdotes sur la vie de ce bonhomme. L’heure tourne, on aborde le futur. La retraite, c‘est pour quand ? « Mon épouse est décédée l’an dernier. J’ai une grande maison, deux chiens, pas de gosse. Si j’arrête, que je vais acheter ma petite baguette et mon Bien Public tous les matins, dans trois ans je suis un vieux machin. » Toujours présent dans le circuit après toutes ces années, un record d’amplitude de spectateurs à la clé (pire score : 2 entrées payantes avec un artiste urugayen apatride ; meilleur score : 12.000 avec Jean-Jacques Goldman), Daniel Linuesa a su s’entourer des bonnes personnes pour rester dans le coup. « Là je suis content, j’ai deux jeunes, je transmets le flambeau. » Alors il arrive au bureau tous les jours à 9h. « Avant c’était 8h30.» Continue d’organiser des spectacles. Prend du plaisir dans son potager ou à la pêche. Et nous parle musique. « J’aime le rock bien gras. Bien consistant. Des vieux machins de mon âge aussi, comme Léonard Cohen. Bon, Léo Ferré est au dessus de tout. J’aime Schubert, mais les trucs subtils. Parfois, je me ressors un Boby Lapointe. Et tu connais la chanson ‘Magouille Blues’ de François Béranger ? Ella a 50 ans et est toujours d’actualité. Tiens va l’écouter, mets-là dans ton Internet. » On va faire ça, ouais. // P.-O.B.

LE FORUM, LES BROCANTES ET JEAN-MARIE LE PEN. Entre deux envolées passionnées, Linuesa se rappelle qu’il avait oublié de nous parler d’une autre grande période de sa carrière : le Forum. « En 1983, on n’avait plus de lieu, le Parc Expo se développait sur les salons ou les congrès. Au palais des sports, c’était l’entraînement du basket, du handball et les matchs. On ne pouvait pas bosser. » Coup de bol, un local métallique dans l’enceinte du Parc Expo va se libérer. Seulement il y a des travaux à faire, estimés à deux millions de francs. « Alors on va à la banque. Bonjour monsieur, on va faire une salle de spectacle. On a quelques travaux à faire, mais ça va marcher du tonnerre ! Une semaine après, on avait le financement. Si on se plante, on se plante. Et on ne s’est pas plantés. » En revanche, Linuesa ne gagnera pas un rond grâce au Forum. Les coûts d’exploitation sont énormes et ils ont un emprunt bancaire sur le dos. « On a fait plein de trucs. Des brocantes, des meetings politiques, des concerts ; tout ça pendant 17 ans, avec une soixantaine de manifestations par an et des moments exceptionnels. » Les souvenirs affluent. Les plaintes et pétitions des riverains à cause du son, les convocations dans le bureau du maire, avec qui les 55


MUSIQUE

BEATS IN SPACE O D Y S S E Y PAR SOPHIE BRIGNOLI, À PARIS PHOTO : MARTIN LABELLE POLAROIDS : TIM SWEENEY

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TIM SWEENEY

Depuis 14 ans, Tim Sweeney anime l’émission Beats In Space sur WNYU, la radio étudiante de l’université de NY. Véritable phare dans le paysage radiophonique américain, l’émission réunit chaque semaine des dizaines de milliers d’auditeurs. Depuis son minuscule studio situé dans le sous-sol de la fac, il reçoit tous les producteurs de musique électronique de passage dans la ville et inonde la bande FM de raretés musicales. Patron du label BiS, à qui l’on doit notamment les premières sorties de Paradis, il passe le reste de sa semaine à mixer aux quatre coins du globe. Mais comment devient-on un mec aussi cool ? Rencontre avec l’homme qui avait un réseau plus vaste que le subway new yorkais.

A

fier de cette collaboration, même si je me suis tout de suite rendu compte que je ne pourrais jamais faire partie d’un groupe cool en jouant de cet instrument. »

u départ fan de jazz, jouant à la fois du piano et du saxo, c’est son grand frère qui va lui faire découvrir la musique électronique dans les années 90 en ramenant d’Angleterre des cassettes pirates des premières sorties du label Warp. « À l’époque on ne s’aimait pas beaucoup, lui écoutait du métal et moi en signe de contestation du jazz. La musique électronique de mecs comme Aphex Twin nous a permis de nous retrouver », raconte Tim. Lycéen à Baltimore, il apprend alors à mixer dans son garage et sèche déjà les cours pour se rendre à la radio étudiante voisine de l’université du Maryland. À son arrivée à la fac de New York en 1999, il lance son émission Beats In Space sur WNYU. Tous les mardis soirs, de 22h30 à 01h00 du matin, il invite des DJs pour parler de leurs actualités et offre à ses auditeurs des mixes scrupuleusement préparés. « Le concept n’a jamais changé mais à partir de 2001, tout s’est accéléré. »

SPACE ODDITY. Les deux patrons du label finissent par se brouiller : Tim Goldsworthy retourne en Angleterre et James Murphy se concentre sur les tournées avec LCD Soundsystem. « Ils ne s’entendaient plus vraiment et moi-même je me suis un peu détaché de tout ça. Tu ne peux pas toujours te reposer sur les autres, il faut savoir avancer seul. » Beats in Space fait déjà un carton à New York : c’est la seule émission dédiée aux musiques électroniques dans toute la ville, une des rares au niveau national. « Aux États-Unis, Clear Channel détient l’essentiel des radios et au rayon musiques électroniques, il est difficile de trouver autre chose que Swedish House Mafia ou des vieux tubes dance des années 90. » C’est ainsi que tous les DJs et producteurs internationaux se pressent pour faire une apparition dans son show : Cosmo Vitelli, Carl Craig, Lindstrom, Laurent Garnier, Superpitcher… Avec plus de 700 émissions à ce jour, la liste des invités est impressionnante. Et ce qui fait avant tout la singularité de l’émission, c’est son éclectisme : Tim Sweeney invite les stars du moment mais aussi des producteurs méconnus. Au même titre que Gilles Peterson ou Pete Tong sur la BBC, il devient le parrain d’artistes naissants, certains d’ailleurs -comme Tensnake- vont percer grâce à lui.

ENDTRODUCING. Jouissant déjà d’une certaine notoriété à New York, Tim commence à assurer les warm up au Plant Bar, où il va rencontrer un soir Tim Goldsworthy (cofondateur du mythique Mo’Wax puis, plus tard, de DFA) et James Murphy (co-fondateur de DFA). « J’étais fan du travail de Tim chez Mo’Wax, alors je suis allé leur demander s’ils avaient un quelconque travail pour moi. À l’époque, je venais de terminer un stage avec Steinski, un pionner du hip-hop. » En sa qualité d’assistant de studio, Tim Sweeney va alors monter et couper les premières productions du futur label. Un an plus tard, lorsque l’équipe lance DFA, le succès est fulgurant grâce aux sorties de LCD Soundsystem et The Raptures. Tim se retrouve aux premières loges. « J’ai eu la chance de pouvoir passer en avant-première tous les remixes de ces morceaux dans mon émission, ce qui m’a clairement aidé à faire connaître Beats In Space. » Il devient alors un membre à part entière de la famille DFA : il part avec eux en tournée, signe quelques compiles mixées et se retrouve même à jouer du saxophone sur un remix de Dance to the underground de Radio 4. « Je suis très

HUSTLER. Passionné d’électro, Tim passe beaucoup de temps à sélectionner les morceaux qu’il diffuse tous les mardis soirs. « Je continue à me rendre chaque semaine chez mon disquaire favori A1 Records, même si l’on m’envoie énormément de digital maintenant. Je suis encore très sensible à ce rituel : être attiré par le visuel d’une pochette et prendre le temps de découvrir un artiste restent pour moi quelque chose d’essentiel. » En presque quinze ans d’existence, il n’a jamais tiré le moindre sou de son émission. Sur son site, où l’on retrouve l’intégralité des 14 saisons, aucune publicité ne vient entacher le contenu.

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MUSIQUE

Ci-contre : Tim à Paris pour la soirée anniversaire des 14 ans de Beats In Space

« Beats In Space est ma vitrine mais ce sont mes sets en tant que DJ qui me permettent de vivre correctement. Et je suis persuadé que la longévité de l’émission tient aussi au renouvellement constant des musiques. En tant que DJ, je ne m’imagine pas non plus proposer la même chose d’une date à l’autre. » HÉMISPHÈRE. En 2011, il lance le label Beats In Space (BiS) avec Matt Werth, patron du label RVNG, et signe pour la première sortie le duo français Paradis. « Simon et Pierre m’avaient envoyé quelques démos, j’avais trouvé ça vraiment différent et déjà très bien produit. Je voulais quelque chose d’inconnu pour marquer le lancement du label. » Dès sa sortie, le premier maxi Parfait Tirage crée l’événement, surtout en France où l’on salue la reprise du morceau d’Alain Souchon, La Ballade De Jim. Entre cosmic disco, acid techno et house rêveuse, BiS révèle des artistes tout à fait surprenants. Que ce soit avec le vétéran de Secret Circuit ou de jeunes producteurs comme l’Australien Tornado Wallace et le japonais Crystal, Tim Sweeney va très souvent chercher lui-même les artistes. « Ce sont des personnes avec qui je m’entends bien et avec qui il est facile de travailler. Le label, comme l’émission, sont une passion et doivent rester quelque chose d’amusant à faire. Raison pour laquelle je ne veux travailler qu’avec des mecs détendus, sans problème d’égo ! »

devenu un des intervenants réguliers de l’émission, au même titre que ses potes Juan McLean et Dj Harvey. « La plupart du temps c’est Victor qui appelle, il a dû laisser plus de 300 messages. Avec lui, je ne sais jamais à quoi m’attendre. » Et depuis que la radio diffuse sur la bande FM, le nombre d’auditeurs a explosé, les appels de stalkers aussi : « Hélas, ce sont toujours des mecs au bout du fil, jamais des filles. » Entre les émissions et les voyages hebdomadaires en tant que DJ, l’animateur trouve néanmoins le temps de travailler sur de nouveaux projets. « Je veux arriver à programmer plus de soirées Beats In Space et peut-être même en faire un festival. Sélectionner les bonnes personnes, choisir le bon style musical, c’est vraiment ce que je fais de mieux. » À 32 ans, il n’envisage pour l’instant pas d’arrêter l’émission : « Je me sens un peu vieux quand je rencontre chaque année les nouveaux arrivants sur le campus, mais je ne me suis pas lassé du format. Les styles musicaux peuvent parfois m’ennuyer, mais le répertoire est tellement vaste qu’il me suffit alors de privilégier un autre genre. Et sur WNYU, je suis totalement libre en matière de programmation musicale et de sélection des invités. Donc même si l’on me proposait un vrai contrat pour animer un show sur une autre radio, je pense que je resterais dans mon sous-sol !» Avec ses disques et sa hotline. // S.B.

89.1 FM. Curieux et volubile, l’animateur est un véritable animal social. Lorsqu’on écoute son émission, on réalise à quel point il aime échanger sur la musique... avec à peu près n’importe qui. Depuis quelques années, il a même créé une hotline afin que les auditeurs puissent y laisser leurs messages. « Je voulais leur donner la possibilité de me faire part de leurs remarques, ou simplement de me parler d’eux. J’ai beaucoup de mal avec les critiques souvent négatives laissées sur Internet.» Ainsi, Victor de Washington Heights, étrange auditeur qui peut aussi bien appeler pour le menacer que pour le féliciter, est

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SUNLESS IS SHINING Rencontre en deux temps, entre la Péniche Cancale et les studios de La Vapeur, pour en savoir un peu plus sur les secrets de fabrication de la pop de Sunless.

I

Cinq garçons plein d’avenir (1997) TF1 Films Productions

PAR MARTIAL RATEL, À DIJON PHOTOS : ALEXANDRE CLAASS

Comment s’appelait votre groupe de reggae ? (Randy) Non, non ne le dis pas, il va le mettre dans l’article. (rires)

l sont cinq, venus presque de nulle part. Disons plutôt que personne n’attendait les Sunless. Bien cachés dans leur chambre et leur studio de répètes entre Paris et Dijon, via un détour par Bordeaux, Pierre (chant), Maxime (clavier/machines), Gaëtan (guitare), Randy (basse) et Thomas (batterie) sont arrivés dans le game musical dijonnais par la grande porte avec un excellent EP : quatre titres d’une pop aérienne classe à la production lêchée. Dès la première écoute on aimait leur musique et on avait envie de les rencontrer. Après plusieurs mois à se décider, une date à la Péniche Cancale a fini de nous convaincre qu’on tenait là un vrai groupe taillé pour convaincre bien d’autres scènes que les dijonnaises.

Depuis quand est-ce que le groupe existe ? (Pierre) Sunless existe depuis un an. (Gaëtan) Il y a deux ans et demi, on s’est vraiment retrouvés autour d’un projet qu’on avait envie d’inscrire dans la pop et l’électro. On a commencé à faire des compos et en même temps on découvrait la musique assistée par ordinateur. On a essayé de polir nos premières maquettes juqu’en septembre 2012 où on a fait notre première vraie maquette. Et Randy, à la basse, est arrivé à ce moment. On s’est très vite rendu compte qu’on faisait beaucoup de compos avec de la vraie basse et qu’on avait pas de bassiste. (rires) Comme on est tous les deux dans le même cursus à la fac, je lui ai quasiment sauté dessus quand j’ai appris qu’il était bassiste. (rires) On avait vraiment envie de mener un « live » humain, pas juste avec des machines. (Maxime) Certains membres du groupe se connaissent depuis une dizaine d’années. On avait un groupe de lycéens, de découverte de la musique, de première scène… Du coup, quand on a décidé de remonter un groupe, on a pris notre temps. C’est aussi pour ça qu’on a attendu avant de faire notre premier concert. On voulait avoir plus de trois morceaux à proposer. On voulait investir du temps, de l’argent dans l’enregistrement, dans les studios pour avoir quelque chose de carré. (Gaëtan) Randy est arrivé exactement au bon moment quand tout s’est vraiment mis en place. On a restructuré nos morceaux avec lui et on est parti à Sore, pas loin de Bordeaux pour enregistrer.

Votre premier concert à Dijon date du 03 octobre dernier. Ça faisait quelques mois qu’on avait entre les oreilles vos premiers morceaux sous le nom de Badlands. La matière n’était pas si différente que ce vous proposez maintenant. Pourquoi avoir mis si longtemps à monter sur scène ? (Pierre) On a mis longtemps à arriver parce qu’on a mis longtemps à se préparer. Ce sont des compositions qui nous ont demandé beaucoup de boulot pour être transposées en live. Il nous a donc fallu beaucoup de temps de répétition. Le début de Sunless ? (Gaëtan) Sunless, pour bien faire dans le cliché, c’est une aventure de potes. C’est l’histoire de mecs qui ont fait ensemble pendant des années du reggae roots et qui se sont arrêtés, qui se sont retrouvés et qui ont commencé à faire deux, trois compos.

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SUNLESS

retiennent. On retient ce que nous-mêmes on se surprend à chanter, à avoir en tête un peu trop longtemps.

Tel que vous le racontez, on a l’impression que tout s’est passé assez vite entre les répètes et les premiers enregistrements en studio. (Gaëtan) Oui, c’est vrai, c’est allé vite avec le travail qu’on avait fait en amont. On avait des idées mais tous les morceaux n’étaient pas composés quand Randy est arrivé. (Randy) Il y avait déjà beaucoup de maquettes. Des choses étaient là mais toutes n’ont pas été réutilisées. (Gaëtan) On avait tout, c’est ça. On a recomposé depuis que Randy est là mais tous les morceaux qui sont dans l’EP, à part Daydream qu’on a vraiment réarrangé, étaient là. Bien carrés. (Randy) On a quand même pris quelques semaines à travailler tous les cinq pour apprendre à se connaître, à répéter... Enfin, surtout moi, pour apprendre à jouer avec eux. (Gaëtan) Randy est arrivé au moment où on appréhendait de jouer de la pop.

Le côté finalement pop. (Gaëtan) C’est ça. Du coup quand on se pose, on fait quelques lignes sur Ableton, on ajoute un truc, hop, on rajoute ça... Randy vient mettre la basse, son groove... (Randy) Depuis que je suis arrivé, il y a une touche un peu plus rock dans leur musique, une touche un peu plus sale. (Gaëtan) C’est cet équilibre-là dans le groupe qui est super. Maxime est un gros moteur de notre musique, il a beaucoup d’idées et une grosse culture en pop-électro et du coup, c’est lui qui leade un peu. Il sait très bien équilibrer les choses. Si Randy n’était pas venu avec sa touche rock, si moi à la guitare je n’étais pas à la base très blues et si Pierre n’était pas très Michael Jackson (rires) on ferait de l’électro, comme Maxime aime en faire avec des guitares très sèches, très cristallines. Petit à petit on rentre dans un processus de création où on s’équilibre les uns et les autres.

Vous l’avez dit mais ça se voit aussi au premier coup d’œil grâce aux magnifiques dreadlocks des membres du groupe, le reggae roots était votre premier horizon musical. Qu’est-ce qui explique cette bascule vers la pop ? D’autant plus qu’il n’y a aucun élément reggae dans votre musique. (Maxime) En effet, on a nos dreadlocks depuis le lycée, au moment où on avait le groupe de reggae, c’était « la marque ». Mais au-delà de ça, on a gardé nos dreads comme nos envies de musique et de scène. En fait, on fait de la pop sans forcément tous écouter de la pop dans le groupe. On a tous nos oreilles qui traînent à droite à gauche et finalement quand on met tout cela en commun, ça fait de la pop. (Gaëtan) Le reggae c’était une grande passion mais à côté de ça, on ne faisait pas partie des « rooticals ». On écoutait beaucoup de hiphop et puis il ne faut pas oublier qu’avant de faire du reggae, on était tous bien fans de Daft Punk. Donc forcément après sept, huit ans de reggae on n’en pouvait plus. Et puis très rapidement, peut-être avec l’âge, avec la fin de l’adolescence, on s’est à nouveau intéressés à d’autres genres musicaux et évidemment on a presque retrouvé les genres qui nous intéressaient avant. On n’avait pas envie de faire une espèce de pop avec des influences reggae. S’ouvrir à la pop, c’était s’intéresser à plein de choses : au rock, à l’électro... (Randy) Par définition, la pop est au centre de tout... (Gaëtan) Oui, voilà c’est ça. Par exemple, le premier truc pop, que j’ai vraiment réécouté, c’est Metronomy. Maxime et Pierre sont un peu des siphonnés, des rois du blog. Maxime suit tout le temps l’actu musicale, et lui qui justement a été un adorateur du dub à l’époque, à tout de suite fait le pont avec l’électro et il est devenu fan de house, de techno. Pierre est un fan absolu de Michael Jackson. En fait, tous, nous sommes en admiration devant ce type. (rires) Dans le même temps, Pierre est aussi fan de Bobby McFerrin. Et de fil en aiguille, chacun amenant ses influences, on s’est dirigés vers la pop.

En fait pour nous, à l’écoute c’est cohérent. (Gaëtan) Et avec la résidence qu’on a à La Vapeur, on va essayer de prendre une direction un peu plus électro avec les synthés mais en gardant toujours, nous les rockeurs on y tient, du crunch. Il faut qu’il y ait des basses qui te tapent dans la gueule, des basses acoustiques. C’est pour cela que sur notre set live, il y a des morceaux avec un Korg et avec une basse qui tape derrière. Mais ce n’est pas parce qu’il y a une basse qui tape qu’il n’y a pas, des fois, une guitare qui vient te faire de gros accords saturés. On va essayer de travailler encore plus cela, de mettre les choses encore plus en place.

Du coup avec tout ça, est-ce que la direction artistique de Sunless est claire pour vous ? En tout cas, pour nous auditeurs, elle semble évidente. (Randy) Concrètement, on ne compose pas tous. Ce sont Pierre, Maxime et Gaëtan qui s’en occupent. Ensuite, on remodèle ce qu’ils font. La base vient d’eux, ils savent ce qu’ils font, ils se connaissent bien, ensuite le groupe c’est la touche finale. (Gaëtan) Pour la cohérence de notre musique, on a de la chance, on compose et ça vient tout seul. On a des perspectives musicales. On aime faire des morceaux entêtants, des mélodies que les gens

Est-ce qu’avoir des membres du groupe à Dijon et à Paris, ça ne complique pas trop les choses pour composer ? Ça vous oblige à une gymnastique, à une dynamique ? (Gaëtan) C’est exactement ça. On est entre Dijon et Paris. Vous êtes à Auxerre alors ? (rires) (Gaëtan) Ce que je veux dire

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MUSIQUE

« Le studio de Denis Barthes ? C’était une putain d’ambiance là-bas : des grands corps de ferme, avec les oies, les chevaux, des poules, des lapins, une mare avec des poissons rouges dedans... »

par là, c’est qu’on n’a pas un vrai point fixe. C’est pour cela qu’on ne peut pas dire qu’on est un groupe cent pour cent parisien ou dijonnais. On va souvent composer à Paris, tout le réseau de notre manageuse est à Paris. Et puis, toutes nos répétitions, et notre résidence sont à Dijon à La Vapeur. Randy et moi, nous faisons nos études à Dijon mais on va faire nos stages ailleurs... Du coup, on tient à notre identité : entre Dijon et Paris. (Randy) C’est assez sympa de changer souvent d’environnement, c’est juste compliqué économiquement.

Pour les prochains enregistrements vous retournerez là-bas ? Est-ce que dans votre mythologie propre, ça fait partie de Sunless ? Est-ce que dans cet endroit, il y a quelque chose du son de Sunless ? (Randy) C’est indéniable ! (Gaëtan) On a un premier son qui est là. On voit ce que ça a donné sachant qu’on ne l’a même pas mixé là-bas. On se dit qu’en mixant là-bas, ça peut être encore plus fou. C’est un lieu qui a de l’histoire... (Randy) Qui a du cachet. On s’y sent à l’aise. Après, est-ce que ce sera possible d’y retourner, on ne sait pas forcément.

Sur votre EP, le morceau Belle-île est sûrement un des plus tubesques. Vous l’avez composé dans ce sens, vous l’avez mis sur votre EP parce qu’il fallait un tube ? (Gaëtan) Non, grosso modo pour l’EP, on s’est dit qu’on avait des morceaux dont on souhaitait garder une trace et Belle-île en faisait partie. Même si on savait qu’il y avait d’autres morceaux qui arrivaient, peutêtre mieux ou peut-être moins bien. Mais honnêtement, Belleîle est loin d’être notre morceau préféré. Les arrangements, la composition sont quand même très simples. D’habitude, on est plutôt dans des compos en mineur et là pour le coup, c’est du majeur ! Pour nous, dans nos démarches promotionnelles, c’est le morceau Daydream qu’on mettait en avant. Et c’est le morceau dont les gens nous parlent le moins !

C’est un endroit secret, presque personne n’y a enregistré à part Noir désir et le groupe de Denis Barthe. (Gaëtan) Oui, c’est un endroit secret, c’est hyper confidentiel. Et puis, là-bas quand tu pousses deux-trois flyers et que tu découvres qu’il y a un super ampli Rhodes... (Randy) Ou une fois, je farfouillais et Denis Barthe me dit : «Tiens, regarde, il y a deux, trois basses qui trainent. » Je sors un fly et je trouve une Rickenbacker, la basse de mes rêves. (Gaëtan) Il y a une super vibration dans ce lieu. Après, c’est une histoire de thunes, même si c’est loin d’être l’endroit le plus cher. Mais s’il y a la possibilité d’aller là-bas, on y retourne.

Le 16 septembre sortait votre EP. Racontez-nous sa genèse, surtout que vous êtes allés l’enregistrer de l’autre-côté de la France, vers Bordeaux, à Sore. Est-ce que c’était nécessaire d’aller là-bas pour enregistrer vos morceaux ? (Pierre) Oui, c’était nécessaire d’aller à Bordeaux pour faire un album grâce à Guillaume Delors-Aprile, notre ingé son, qui est devenu notre producteur musical. Il nous a emmenés à Bordeaux pour enregistrer ce que l’on voulait. C’était une occasion rêvée. On y est allés pendant une semaine et demie avec nos maquettes faites dans notre chambre, et on a enregistré là-bas.

Un mot sur Guillaume Delors-Aprile, ce fameux ingé son. Pourquoi avoir travaillé avec lui ? (Pierre) C’est d’abord une affaire d’affect, on avait envie de travailler avec lui. Il se trouve que nous cinq, on avait besoin d’un sixième élément qui pouvait avoir un regard extérieur sur notre musique et qui pouvait nous calmer dans nos envies et des fois nous pousser à aller plus loin. On lui doit une bonne grosse partie du son de notre album. On a trouvé avec lui le son de Sunless. (Gaëtan) C’est un collègue de travail et un ami de Maxime. Il a écouté ce qu’on avait en maquette. Il nous a dit : « Bon, la mise en place de vos morceaux est pas top. Le son est dégueulasse. Par contre, vous avez des titres. Là, il vous faut des gros moyens et il faut qu’on travaille dans un vrai studio pour que vous sortiez quelque chose. » Il nous a amené le matos et de sacrés conseils artistiques.

Aller à Sore, c’était aussi aller enregistrer dans les studios de Denis Barthe, l’ancien batteur de Noir Désir. Vous l’avez croisé là-bas ? (Gaëtan) Oui, on l’a vu donner à manger à ses oies. (rires) C’est tout ? (Gaëtan) Non, il est aussi venu nous dire « Bonjour ». Après, on ne souhaite pas trop tourner l’histoire de cet EP autour de Denis Barthe. Il nous a ouvert son studio parce que Guillaume Delors-Aprile le connaît très bien pour avoir travaillé avec lui sur les derniers enregistrements de Noir Désir et de son groupe The Hyènes. Il a dit à Guillaume : « Qu’ils viennent, je te connais. J’ai confiance dans ce que tu fais, c’est bon. » Mais il n’a jamais porté un jugement sur un morceau, il n’a jamais écouté. Et Guillaume nous avait prévenu que notre musique, ce n’était pas sa came. Il est quand même venu écouter de loin. Il disait à Thomas notre batteur : « Ouais, c’est bien, faut taper comme un bourrin ! » (rires) Son studio est très bien, très agréable, très voodoo child avec plein de souvenirs de Noir Désir partout, plein de vieux instruments. Et c’est un mec avec une belle grandeur d’âme, il nous filait des conseils, des desserts. (rires) C’est une putain d’ambiance là-bas : des grands corps de ferme, avec les oies, les chevaux, des poules, des lapins, une mare avec des poissons rouges dedans... et toi, tu es dans ton petit studio, dans une bicoque landaise. Le top !

De notre côté, on a senti depuis septembre grandir l’attention des « pros » de la musique à Dijon, avec comme premier point d’orgue votre concert en octobre à la Péniche Cancale. Comme on avait la chance d’avoir votre disque/démo entre les mains avant tout le monde, les gens venaient nous voir en demandant qui vous étiez. Vous aussi vous avez senti monter ce buzz ? (Randy) Des pros ? Oui et non... (Gaëtan) Surtout après la Cancale. On s’en doutait parce qu’on était dans le processus d’accompagnement avec La Vapeur. On montait dans la voiture, on entendait que notre EP était dans le podium de la semaine sur Radio Campus. On entendait deux62


SUNLESS

Juste derrière le groupe, c’est le musée de l’électricité, ouvert les 1er et 3ème mercredis du mois de 14h à 17h30

Randy, ils t’ont dit : « Viens, on t’emmène dans un gîte » ? (Randy) Oui. La première fois, ils ont été gentils, je n’y suis allé qu’un week-end. C’est vers Bèze, dans la bonne campagne, on est bien isolés, c’est très bien.

trois bruits autour de nous. Mais à la Péniche Cancale et après, on s’est rendus compte que les gens attendaient quelque chose. Et du coup, à la fin, tout le monde est venu nous voir. Ça fait plaisir parce qu’on bosse comme des bourrins. On va au feu et on a des retours super sympas, de super encouragements. Donc on a envie d’aller dans cette dynamique !

Mais ça vous isole de quoi ? Vous avez besoin d’être coupés du monde pour bosser ? (Gaëtan) Je ne pense pas que ce soit le besoin d’être coupé du monde. (Randy) Je pense que c’est une raison presque pratique, c’est un gîte où il n’y a pas de vis-à-vis, pas de voisins juste à côté. On peut donc se mettre les horaires que l’on veut pour travailler. Souvent on se décale... (Gaëtan) Et on peut jouer à balle ! (rires) (Randy) Au fur et à mesure, on se décale. On commence à jouer à midi et on finit à quatre cinq heures. (Gaëtan) Et l’idée du gîte est kiffante. On est tous des gars de la ville. Ça a un petit côté colonie de vacances... (Randy) Oui, on est tous ensemble et ça participe à créer une ambiance de groupe. Dans le gîte, on a que la musique : on en écoute, on en compose. Il n’ y a que ça à faire. (Gaëtan) Et en un an, depuis que Randy est arrivé, ça nous a permis d’avancer et de créer une cohésion de groupe.

Qu’est-ce qu’il s’est passé après la publication d’une chronique très positive et très emballée des Inrocks sur votre EP ? Des labels, des tourneurs vous ont contactés ? (Maxime) Non, pour l’instant, ça nous a fait surtout plus de like et plus de suivis sur Facebook et Soundcloud. Mais ça fait plaisir, et puis on essaye de s’en servir pour rebondir, pour faire chambre d’écho, on espère surtout qu’il y en aura d’autres… On espère que ça nous fera jouer un peu plus mais pour l’instant les labels, les producteurs ne nous ont pas contactés. Est-ce que cet EP va vous servir à chercher un label ? Pour l’instant, vous faites de l’autoprod’ avec vos sous. Est-ce que cet EP doit aussi servir à cela ? Ou au contraire, vous allez continuer à enregistrer et « advienne que pourra » ? (Maxime) Le choix qu’on a fait, déjà, sur cette première production, c’était de l’assurer à cent pour cent pour avoir quelque chose de très solide à présenter dès le départ. On cherche et on va peut-être trouver des portes pour aller un peu plus loin, un peu plus haut, un peu plus cher. (Randy) Pour l’instant, on continue à faire tourner cet EP, à le défendre en live. On réfléchira plus tard à faire un deuxième support. (Gaëtan) Ce sont des discussions qu’on commence à avoir avec notre toute nouvelle manageuse. Pour l’instant elle nous dit : « Continuez à faire des maquettes propres parce que ça a déjà une valeur en soi. » On attend de voir ce qu’il arrivera. Nous, en tout cas, on a toujours envie de créer, de composer sur logiciels en marge de nos résidences. On a réservé une semaine au gîte...

Au moment où on publiera cette interview, vous aurez fait la première partie de Fauve au festival GéNéRiQ. Qu’est-ce que vous attendez de cette date ? (Randy) Déjà, je suis content que Yann, le directeur de La Vapeur, nous ait fait confiance en nous plaçant sur cette date, nous ayant vu juste une fois à la Péniche Cancale. On est supers contents de jouer dans ce cadre : première grosse scène, avec du gros son, des lumières, du monde... (Gaëtan) Ce qui nous plaît avec cette soirée-là, c’est qu’on va jouer dans une soirée pop et ça va nous permettre d’avoir un vrai retour. L’horizon 2014, pour Sunless, c’est quoi ? (Randy) Jouer, jouer et jouer. Partager notre musique, notre son. (Gaëtan) Et puis, continuer à créer, à amener des nouveaux titres. Mais on a du mal à réfléchir sur une année entière. //

C’est quoi ce gîte ? (Gaëtan) C’est un endroit très très important pour le groupe. C’est l’endroit où on a commencé à se connaître avec Randy. C’est un endroit où il fait très sombre et où il y a plein de mouches l’été. (rires)

M.R. // À écouter : soundcloud.com/wearesunless

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FOODAGE DE GUEULE

OUVER TURE DE LA CHASSE Après les hamburgers, les brunchs et les restos à volonté, foodage de gueule te propose, en cette veille de Noël, une enquête spéciale gibier. Salut les maigrichons !

PAR TONTON STÉPH ILLUSTRATION : PIERRE ROUSSEL

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GIBIER

A

lors je vois déjà ce que chacun va penser. Je vais donc m’armer d’une référence adaptée pour envoyer chier tous les maigrichons. Voilà ce que note le philosophe de la cuisine, Brillat-Savarin -qui a d’ailleurs étudié à Dijon- dans sa célèbre Physiologie du goût (p.235) : « Les chétifs sont de tous les poils et de toutes les formes. On les distingue en ce qu’ils n’ont rien de saillant, ni dans les traits, ni dans la tournure ; qu’ils ont les yeux morts, les lèvres pâles, et que la combinaison de leurs traits indique l’inénergie, la faiblesse, quelque chose qui ressemble à la souffrance. On pourrait presque dire d’eux qu’ils n’ont pas l’air finis, et que chez eux le flambeau de la vie n’est pas tout à fait allumé. » Une fois que tu auras constaté la maigreur insigne de ceux qui se nourrissent de graines et de tofu, tu pourras te ragaillardir en songeant à ce propos et tu relèveras les yeux face aux végans des Tanneries qui t’accablaient de mépris quand tu avais l’audace d’évoquer ton goût pour le gibier, alors même que tu n’apprécies pas plus les chasseurs

qu’eux. Tu ne mangeais guère qu’à Noël ces sangliers qui n’ont rien de sauvages, ce qui a malheureusement tendance à standardiser leur goût. Lorsque je lui ai fait comprendre que le mets était de saison, le rédac’ chef de Sparse, toujours aussi diabolique, a sauté sur l’occasion pour me demander si je n’avais pas envie de rejoindre des chasseurs un dimanche matin pour un reportage immersif. Non merci, ça ira. Il se trouve qu’en France, il n’y a toujours pas de permis de « conduire-bourré ». En revanche, il est encore tout à fait loisible de s’armer jusqu’aux dents, dévoré au Pinot noir, pour aller tirer des perdrix, des faisans, ou son petit neveu. Et puis ça ne me motive pas : il faut bouger, se rendre à la campagne que j’exècre. J’ai aussi en tête cette image à la con de la chasse à courre avec le clairon grolandais, qui n’a évidemment pas lieu en France ; ou bien encore le sketch des Inconnus avec la galinette cendrée. Et surtout les souvenirs des ball-trap pathétiques quand j’étais gosse dans mon patelin du Dirty-Val-deSaône. Bref, je souhaite plutôt du mal à ces gens-là. Les statistiques qui les concernent

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ne me plaisent guère : on ne compte que 21 accidents mortels dans le pays, bien trop peu pour venger ces dimanches où tu ne pouvais pas aller dans la forêt parce que les excités de la gâchette défonçaient le règne animal. Bon, la bonne nouvelle, c’est que grâce à ces braves beaufs campagnards, tu vas pouvoir te péter la panse avec des plats en sauce délicieux. Que les végétaliens deep-ecology se rassurent, dans la mesure où je risque de le payer cher à long terme : il paraît que les gibiers, à force de se nourrir de certaines végétations proliférant dans les forêts, avaleraient les diverses retombées radioactives. Tu sais, celles censées s’arrêter aux frontières. Je ne vais donc pas faire cette chronique au risque d’un désormais bien habituel infarctus du myocarde, mais plutôt avec la perspective de sympathiques cancers, pour changer. Heureux, les wawash ? Allez, lâche ton quinoa et tes salades de mâche, Sparse te propose de découvrir ces mets faisandés, indigestes et remplis de Celsium, qui n’appellent rien tant qu’un bon cru de la côte et des blagues de merde bien méprisantes à l’endroit des chasseurs.


FOODAGE DE GUEULE

« Sous les ordres d’un chef instruit, le gibier subit un grand nombre de modifications et de transformations savantes, et fournit la plupart des mets de haute saveur qui constituent la cuisine transcendante » Brillat-Savarin, Physiologie du goût, p. 62

LA FINE HEURE (34 rue Berbisey, Dijon) On l’avoue, on aime bien le lieu et le concept. Pour ceux qui ne l’auraient pas compris, cette chronique est une ode à la mauvaise foi ; elle en est également une au parti pris. Et je rappelle à toute fin utile que comme la majorité de l’équipe de Sparse, je suis salement corruptible et pas du tout favorable à l’objectivité (et à peine à la crédibilité). Je suis donc venu à La Fine Heure car je savais d’avance, outre du gibier, ce que j’allais trouver : une équipe qui se met en quatre et s’enquiert avec pertinence du client, une décoration moderne sans être tapageuse, et la certitude de boire du vin bourguinon pour accompagner mon mets. En effet, pour ceux qui ne connaissent pas encore, il faut rappeler le concept du restaurant : proposer des bouteilles de vin -de tous horizons- à prix caviste. Me rendant un midi dans l’établissement, je ne me suis pas pété ma petite ‘teille tout seul, mais ceux qui me connaissent savent que j’ai été tenté. Un Monthélie tout à fait abordable ayant d’habitude mes faveurs, je me suis montré aujourd’hui fort petit joueur en m’offrant un simple verre de Hautes-Côtes de Nuits, qui au finale accompagnera à merveille mon gibier. Le

restaurant proposait du « Pavé de sanglier de nos contrées, sauce aux airelles » : autant vous dire que c’est à peu près la seule fois où j’ai pu admettre avoir aimé les cranberries. Servie sans tarder, la viande se veut tendre, très légèrement rosée et à mille lieux des clichés faisant du gibier une viande trop forte, à moitié faisandée ou soulevant les coeurs. Il faut aussi dénoncer l’idée selon laquelle le gibier serait gras ; c’est peut-être parfois lourd, mais la teneur en graisse est relativement limitée, et cela se sentait dans ce plat par ailleurs délicieux. Pour donner un ordre d’idée à ceux qui n’en consomment guère, la viande se rapprochait davantage du goût du boeuf, avec un léger fumet faisant toute la différence, surtout dans le sympathique contraste créé par la sauce aux airelles. D’inspiration scandinave, elle s’adressera certes à ceux qui tolèrent le sucré-salé. Le patron nous a assuré que le charmant animal provenait de la chasse de Côte d’Or. Libre à toi de rendre hommage à ces FDP de chasseurs. Cela signifie surtout que t’es pas au courant que la plupart des sangliers sont presque domestiques aujourd’hui, en tout cas d’élevage. Bon, le tout était servi avec des pommes grenailles -choix

LA NOTE : 4/5

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judicieux, bien supérieur au recours habituel à des tagliatelles, pas exemple- et dans une sympathique assiette à la forme originale, avec un compartiment exprès pour cette sauce. Contre toute attente, la venaison ne suffit pas à notre satiété. Une assiette de fromage viendra achever toute vélléité de perpétuer le festin. La Fine Heure proposant à cet égard une spécificité intéressante, laissant un grand choix au client qui souhaite se faire des fromages affinés. Dans la plupart des établissements, aucune décision ne revient au consommateur, alors qu’ici vous êtes soumis à rude épreuve lorsque viendra le moment de choisir entre une vingtaine de possibilités, notamment locales, allant de l’Époisses au Soumaintrain, du crottin de Chavignol fermier à la Tomme basque ou au piment d’Espelette. Le tout étant bien sûr affiné, de qualité. À noter, pour terminer, que le sympathique restaurant, outre sa carte de bar à vin composée de diverses planches hautement recommandables, tente de proposer des soirées originales avec des menus spéciaux afin d’égayer la monotonie de ta vie de merde. Et ça, c’est cadeau.


GIBIER

PAVILLON BACCHUS (54 route de Langres, Dijon) De l’abnégation ? Du professionnalisme ? De la curiosité ? Ou bien recherchais-je ce sentiment d’abandon lorsque il fallait rejoindre Antipodes au fin fond de la fac? Qu’est-ce qui a bien pu m’éloigner à ce point du centre-ville pour que je me rende dans ces coins reculés de Dijon, où traîne la vraie racaille : celle des conseillers de clientèle en costard Célio ? Valmy est encore plus loin que la Toison d’Or ou le Parc Technologique, quartiers nihilistes s’il en est. Je le confesse : pour faire cette chronique, j’ai pris le tram jusqu’au bout, et au finale il n’y avait plus que moi dedans. Je me méfie des véhicules sans terminus : sur un malentendu, ils pourraient m’emmener dans des contrées dégueulasses sur la même route, type Issur-Tille ou Langres. Cauchemardesque. Un restaurant avec un nom pareil suscite l’imaginaire. « Pavillon » fait tour à tour penser à une Maison Phénix de lotissement beauf ou bien à un drapeau. Quand à Bacchus, c’est le saint patron des alcoolos qui veulent donner un tour poétique ou mythologique à leur pathologie, avec moult recours à son autre nom (grec, celui-là) : Dionysos. On est donc en droit d’espérer du bon vin pour accompagner

les produits de la chasse. Même si ça raquait quelque peu (7,20 euros), on ne s’est pas fichu de moi avec l’unique vin au verre proposé : un Pernand-Vergelesses « Les belles filles » encore un peu jeune (2011) mais suffisamment charpenté et tannique pour affronter un sanglier. Le Pernand, en vieillissant, prend d’ailleurs des arômes de cuir tout à fait étonnants. Celui-ci versait pour l’instant encore dans le fruit noir. La carte propose un autre gibier célèbre en la figure d’un « Pavé de cerf aux senteurs des vignes bourguignonnes » (16,90 euros), mais un menu « Sélection Bacchus » invitait à rester sur le bestiau déjà baffré la veille en ville. Celui qui peut se targuer d’avoir un quotient intellectuel supérieur à nos actuels bonnets rouges. Et puis, belle maman n’acceptant guère que la sempiternelle dinde de Noël, c’est le moment ou jamais de regoûter cette viande qu’on imagine forte, lourde, alors qu’elle ne l’est au finale pas tant que cela. Le menu invite au passage à manger un autre gibier en entrée : « Compotée de lapin des bois, oeuf poché & chips de lard ». L’ensemble formait un fameux contraste et était joliment présenté : l’oeuf

poché dégoûlinant sur l’espèce de terrine de lapin. Auparavant, les serveuses aux petits soins nous avaient curieusement servi deux fois de ces petits encas gratuits dont les radins raffolent - de la rillette océane pas très raccord mais toujours bienvenue. Quand au « Cuissot de sanglier », il s’est avéré étonnant, ressemblant davantage à une espèce de filet. Là encore, le goût se rapprochait quand même beaucoup du boeuf, avec une sauce au vin assez discrète. Je ne m’avoue pas persuadé qu’accompagner du sanglier avec des « légumes du soleil » (le petit gratin dauphinois, lui, était très bon) soit une idée fantastique, puisque le gibier fait plutôt songer à l’hiver. Celui-ci est originaire de France. On m’a précisé que les conditions sanitaires pour en servir sont drastiques. C’est sans doute pour cela que certains concurrents, qui ont des plans grâce à tes potes-tout-rouges les chasseurs, n’avouent peut-être qu’aux habitués qu’ils ont bien du gibier à vendre. Tape ton Époisses, quitte cette salle circulaire parfaite pour la Bar Mitzvah du petit cousin et rentre donc au centre-ville. Rien d’exceptionnel par ici, rien de honteux non plus.

LA NOTE : 3,5/5

ON Y A BIEN SÛR SONGÉ, MAIS ON A QUELQUE PEU ÉTÉ REFROIDIS Le Chapeau Rouge (5 rue Michelet, Dijon) C’est qui ce William Frachot ? Il se la pèterait pas un petit peu à proposer son « Cuissot de Biche Rôti, Sauce Poivrade, Conchiglioni Farci aux Champignons » dans un menu à 75 euros ? Et pourquoi il met des majuscules à chacun des mots de ce plat ? Comment ? Ce type a conquis de haute lutte sa deuxième étoile au Michelin ? Oups, au temps pour moi. En ce cas il a tous les droits. Tout comme Stéphane Derbord (10, place Wilson à Dijon), qui propose tranquillou son « Filet de Cerf Mariné au Moment Poivrade à la Crème de Cassis, Chutney de Coings, Scorsonères au Jus de Viande » à 42 euros et avec autant de majuscules. Mettons donc en majuscule ce qui est rare et

bon, cela ne coûte rien au moins. Allez, rembourse ton crédit Cofidis et repointetoi ici dans dix ans, tocard. Le Saint-Fiacre (15 rue Vauban, Dijon) Bien placé, il n’en reste pas moins que cet établissement n’a pas grand’chose d’autre d’original à proposer que sa belle terrasse lors des beaux jours (et encore, ce n’est pas non plus la rue Amiral Roussin, faut pas déconner). On a donc trouvé plutôt bien vu de leur part de proposer dans leur menu bourguignon du sauté de sanglier. Mais on se met à la place des touristes qui comme nous ont dû se voir proposer un autre plat à la place, faute de stock. Bad news, on se casse.

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La Brasérade (5 rue Gagnereaux, Dijon) Il est de notoriété publique que ce restaurant discret est avant tout fréquenté par des habitués, dont on peut imaginer qu’ils ont la primeur de certains plats auprès du patron. Il n’empêche qu’en trois coups de téléphone, ils n’ont jamais admis avoir de gibier à proposer, eux qui proposent de griller vos viandes à volonté dans une espèce de caquelon à la con. Or, manger du poulet ou de la dinde grillée à volonté ne nous met pas de putain d’étoiles dans les yeux. Testez de votre côté en décembre. Nous, on a lâché l’affaire. On va devenir végétaliens, tu crois ? // T.S.


ÉCRAN

PROFESSION : PIQUE-ASSIETTE Vernissages, conférences de presse, inaugurations, vin d’honneur... Top 4 des meilleurs spots pour manger gratuitement à Dijon.

PAR VALENTIN EUVRARD ILLUSTRATION : HÉLÈNE VIREY

M

anger, ça coûte de l’argent. Bien manger, ça coûte un peu plus d’argent même. Le premier élément est un besoin naturel et vital, le deuxième est un bien fabriqué pour couvrir nos besoins vitaux. La logique humaine. Or, c’est la crise. Or, tu es pingre. Ça tombe plutôt bien pour toi, cher lecteur, parce que moi aussi. Si ça se trouve, comme ton aimé rédacteur, tu bosses dans le fabuleux monde des médias et/ou de la communication. À Dijon. Si c’est le cas, alors on s’est sûrement déjà croisés à un buffet. Ô joie de me côtoyer et moi de te découvrir. Peut-être avons-nous même déjà discuté gastronomie. T’ai-je dis à quel point les critiques bouffe me gavent ? L’exercice de la critique est compliqué, c’est pourquoi il est en général réservé aux connaisseurs, qui sont plus à même de juger de la qualité de telle ou telle chair de boeuf. Pour autant, je mange depuis que je suis tout petit. Mon expertise n’est plus à démontrer maintenant que j’ai 22 années d’expérience dans la mastication. D’ailleurs, ma grand-mère me disait souvent de finir mon assiette sans quoi « les loups me mangeraient. » Hé bah il est toujours là le gros. Alors, où étaient les bons plans bouffe gratuits du trimestre ?

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ASTUCE

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LE BUFFET DU FESTIVAL LES ÉCRANS DE L’AVENTURE. Yes ! L’aventure c’est des trucs complètement exotiques. Je sens déjà l’odeur des brochettes de crevettes/kangourou/koala en salle 1. Avec un jus de papaye, ou une connerie du genre. Voire du rhum, parce que c’est ce que boivent les putains de pirates, et les pirates c’est l’aventure. Bon. Des gougères et du crémant à l’ouverture du festival. Ça se passe de commentaire. Le jour de la fermeture ? Du rouge au cyanure, du blanc à la chaux et du pâté. Putain, elle est belle l’expédition culinaire.

LA CONF’ DE PRESSE DU FESTIVAL GÉNÉRIQ. Wowowow ! J’ignorais que les bobos et les hipsters qui écoutent de la musique dont tout le monde se contrefout se mettaient cher bien quand il est question de passer à table. L’intérêt que je porte pour le dernier artiste à la mode dans le Nord du Dakota, États-Unis, est inversement proportionnel à ma curiosité pour savoir comment Pierre Pierret a réussi ses macarons ce jour-là. Sans déconner, orange + carotte + encre de seiche + gingembre + vanille = orgasme buccal. Ouais, la seiche c’est le délire du festival, puisque cette année leur mascotte est un mollusque. D’ailleurs, pendant toute sa durée, le chef était au Parvis Saint-Jean pour régaler tout le monde. En plus des macarons, il y avait de sa terrine homemade au veau, au cochon et au porto. Du lourd. Dommage que cela ait été servi sur de tout petits toasts. Heureusement que je campais devant les tables et que je récoltais tout dès que le service arrivait. On a terminé sur des toasts de poulpe, assaisonnés comme des escargots. Le poulpe a pas trop de goût, l’assaisonnement, si.

Le mec n’a pas les mêmes sens que moi, son odorat n’est pas assez aiguisé par la radinerie. En entrée, on avait une cinquantaine de brochettes tomates-mozza, des wraps au poulet, quelques délicieux mets plus ou moins orientalisés. En revanche, le problème c’est qu’il y avait tellement de bouffe alignée que la tentation de se resservir était immense. Or, on ignorait alors qu’un plat de résistance allait sortir. Ainsi, on se retrouve à se forcer pour avaler une sorte de gratin de purée de pomme de terre avec du poisson tout en piochant dans les sandwichs pain de mie qui traînaient çà et là. J’ai pas pu tenir jusqu’au dessert.

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LE LANCEMENT DE LA SAISON DU DFCO. Là, c’est le pied. T’as beau ne pas aimer le foot, si tu vois une invitation à un repas du club à la chouette dans ta boîte mail, n’hésite pas. Fonce. On s’y met bien. En l’occurrence, ici c’était la présentation officielle du nouveau staff du club. Etonnamment, on ne met pas les petits plats dans les grands, mais on ne dispose que des flûtes et des verres. C’est bizarre. Il y a des dizaines de tables rondes installées dans le grand chapiteau planté à côté du stade. Il y a une bouteille de crémant et de Coca. C’est tout. En fait, il faut attendre la présentation et tout le pataquès des officiels avant de se remplir la panse. C’est long. C’est très long. Mais vu que j’aime le foot, j’oublie un peu ma faim. Finalement, les speechs sont terminés, tout le monde descend de l’estrade et… les joueurs choisissent une table où grailler. Je me retrouve donc à côté de Benjamin Lecomte, le nouveau gardien de but. La bouffe arrive. Parfait. Tout en discutant de son parcours –le bonhomme vient de Lorient, était titulaire chez les Bleuets et connaît pas mal Christian Gourcuff– des serveurs garnissent par services la table. Le coup d’envoi est donné par des verrines qui ressemblent vachement à des desserts. On dirait des tiramisus aux fruits. Mais c’est aux légumes et c’est pas dégueu. On a aussi des mini brochettes de « chocolat ». Vous devinez que c’était tout sauf du cacao, mais là encore des légumes ou je ne sais quoi. Bonnes aussi. Allez, plats de résistance maintenant. Là encore, des verrines. Pendant ce temps-là, Benji me dit qu’il « est comme tout le monde » et qu’il fait ses courses à Aldi. « Des gens comprennent pas trop pourquoi, surtout quand j’y vais en Audi. » Tu m’étonnes. Mais est-ce que tu comprends ce plat de riz au pesto ? Moi non plus. C’est fat, mais merde, ça rend addict. Essayez à la maison. Vous ne craignez (pratiquement) rien*. En dessert, on a eu droit à des trucs aux trois chocolats et d’autres bidules colorés. Mais je dois tout vous dire. La double ration de riz vert m’a un peu bloqué le transit. J’ai pas un seul souvenir du goût que ça avait. En fait, je ne sens plus qu’une seule odeur depuis. Cette sauce… // V.E.

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L’INAUGURATION DU (NOUVEAU) MUSÉE DES BEAUX-ARTS. En seconde place de ce top, on mise tout sur la culture. Culture artistique mais aussi culture du goût. Après une matinée réservée aux journalistes pour l’inauguration du musée, on s’est tous retrouvés dans la cuisine ducale. À l’intérieur, à la fraîche, nous attendait quantité de boissons. De l’eau, du jus, du jus, encore du jus et du kir. À côté de la table aux centaines de verres en plastique, une autre, bien plus longue, consacrée à un buffet à volonté. Souvenezvous. C’était il y a 3 mois. Dans ces pages, mon collègue Tonton Stéph se plaignait de ne pas trouver de tel buffet en centre-ville.

*L’auteur de cet article décline toute responsabilité si vos artères se sont bouchées en préparant de tels repas.

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SÉLECTION MUSICALE PAR ARTHUR GÉRARD

LAUREL HALO – CHANCE OF RAIN. Avec Chance of Rain, nous entrons avec Laurel Halo dans le monde de l’expectative, de la probabilité. S’il se peut qu’il pleuve, sans qu’on en soit pour autant certain, il y a tout autant de dancefloors potentiels qui flottent autour de ses morceaux. Un kick arrive, un rythme semble affleurer, mais tout a l’air de se dissoudre ou se déconstruire avant d’arriver à son terme. Les premières écoutes sont donc jalonnées de frustrations légitimes, mais laissent ensuite place à de petites révélations, nous indiquant qu’à l’avenir il faudra désormais compter la new-yorkaise comme un membre sérieux de la scène techno érudite.

CUT COPY – FREE YOUR MIND. On pourra reprocher à certains albums chroniqués ici le manque d’évidence ou d’immédiateté, mais pour Cut Copy, sachez qu’il n’en est rien. Ça fait des années que ces Australiens sortent à peu près le même album de dance-pop, et c’est pourtant toujours aussi incroyable. C’est même pire car le groupe paraît avoir régressé vers une attitude de bonheur quasiment fasciste, tant les drogues semblent avoir eu raison de toute pudeur dans leur hommage à la house de Manchester. C’est pas pour rien qu’en écoutant leur album, j’explose nerveusement de rire toutes les deux minutes tellement ces mecs en font des caisses.

HUBERT VIEL – VARIATIONS SUR ARTÉMIS. En 2006, le label Institubes triomphait, nous voulions tous nous habiller en Bape et en polos fluos. L’esthétique crue des « bâtards sensibles » avait des accents de vérité sur le jeune con que j’étais. Mais en fait, j’écoutais moins Epiphanie, l’usine à tubes de Para One, que sa BO cafardeuse pour le film Naissance des Pieuvres. Nous voici en 2013 : autre film initiatique entre filles, Artémis, cœur d’artichaut, dont le jeune réalisateur Hubert Viel a aussi composé la musique synthétique désuète au spleen semblable à Naissance, et au charme fou. Ajoutons à cela un remix de Jean Nipon, et la boucle est bouclée.

BLOOD ORANGE – CUPID DELUXE. La vie de Devonté Hynes va trop vite. Depuis 2004, le wunderkind fut d’abord sale gosse chez les punks Londoniens de Test Icicles, puis chanteur de folk embarrassante en tant que Lightspeed Champion. Depuis 2011, on le connaît comme Blood Orange, icône new-wave androgyne ne se déplaçant qu’en esquissant des pas de voguing, et producteur génial de muses en mal de reconnaissance. Sur cet album, il y a de la basse slappée, des solos de saxophone, plein de reverb et des vrais slows ! Vu sa carrière, d’ici trois ans, il devrait être devenu une abstraction, un ectoplasme qui provoquerait des orgasmes quand bon lui chante.

ARCADE FIRE – REFLEKTOR. D’un côté, nous avons Les Inrocks qui proclament ce groupe comme étant les « sauveurs du rock », mais on peut raisonnablement se demander qui n’a pas encore eu droit à cette pesante distinction de la part de ce mag. De l’autre, nous avons le Washington Post, pour qui la musique des Montréalais trahit une « vie sexuelle probablement très chiante. » Je pense que Reflektor montre un groupe indé gonflé aux stéroïdes. On croit qu’on va avoir affaire à un redoutable molosse, mais quand on dope un gentil toutou au poil soyeux, il devient encore PLUS GENTIL et vous LÈCHE ENCORE PLUS le visage avec sa gigantesque langue.

OMAR SOULEYMAN – WENU WENU. Prenez un Gérard Jugnot, époque Pinot simple flic que vous aurez pris soin de lâcher seul dans le désert syrien, simplement muni de cassettes d’acid house et d’un stock illimité de pillules. Oubliez le 20 ans. Non seulement vous verrez que le mec a survécu, mais qu’il est devenu une sorte de légende produisant une trance-folk dansante dans tous les banquets et mariages du croissant mésopotamien. Demandez-lui de vous présenter sa discographie, il reviendra avec une brouette lourde de 500 cassettes, toutes différentes. Vous verrez alors sa moustache frétiller, car il sait que la planète est maintenant à ses pieds.

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Ă Dijon Du 24 janvier au er 1 fĂŠvrier 2014

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08/11/2013 09:24


MÉDIAS

Octobre 2013. Alors président d’honneur du comité Miss France et chaque jour un peu plus vieux, Alain Delon se lâche et déclare sa flamme au Front National. Retour sur une sortie médiatique bien crade. PAR MARIE TELLO ILLUSTRATION : HÉLÈNE VIREY

« Le Front national, comme le MCG à Genève (le Mouvement citoyens genevois, ndlr), prend une place très importante et ça, je l’approuve, je le pousse et le comprends parfaitement bien […]. Ils en seront capables s’ils arrivent à avoir derrière eux un électorat solide. On ne peut pas le faire sans l’appui du peuple et sans l’appui de ceux qui sont leur soutien. Depuis des années, Le Pen père et fille se battent, mais ils se battent un peu seuls. Là, pour la première fois, ils ne sont plus seuls. Ils ont les Français avec eux. C’est important. » Sacré Alain. Il en faut des couilles, ou de l’inconscience, pour dire un truc pareil quand on est président du comité Miss France. Y’en a qui se sont fait huer pour du lait concentré, tu te doutais quand même bien que ça, ça allait pas passer. Et voilà, encore un pavé jeté dans la mare de nos 33 petits canards, et qui fait qu’une fois de plus, c’est le buzz qui prend le dessus sur la beauté des jeunes femmes. Après « Qui va se mettre à poil cette année ? » (c’est Miss Roussillon, elle a déjà été destituée, de rien, bisous), voici le nouveau feuilleton : « Qui va se casser du comité cette année ? » La grande Geneviève avait déjà claqué la porte du prestigieux concours en 2010 pour des raisons diverses, mais surtout dénudées, et c’est aujourd’hui le président d’honneur qui posera un lapin à monsieur Foucault cet hiver. Alors, quid de ces propos malvenus ? Il s’agit, à la base, d’une interview accordée au journal suisse Le Matin et publiée le 09 octobre 2013. Le quotidien n’avait apparemment pas saisi l’ampleur des propos qu’il rapportait puisque l’article est titré : « Alain Delon : Ma fille, mon plus grand amour. » Certes, oui. Alors, on passe sur sa fille, sur le cinéma, Romy Schneider… Et voilà donc LA question : « Dimanche (6 octobre 2013, ndlr), Genève a vu une percée du MCG. En France on constate celle du Front national. Vous êtes franco-suisse, que vous inspire cette droite extrême ? » Et voilà ! Une question bien tournée ! En somme, le journaliste connaissait son gaillard, s’attendait à cette réponse, la réclamait même, et il n’a pas été déçu. À noter que le journaliste, Didier Dana, s’inquiétait des rapports entre Alain Delon et son fils, ce à quoi le paternel assure que ça se détend et qu’il est fier de tout le monde. Quelques jours plus tard, le fils se détache des propos politiques de son père en envoyant un sms à Canal +, le père lui demande de « fermer sa gueule », puis critiquera ouvertement le premier film de son fils. Heureusement que c’est détendu, ça aurait pu mal se terminer. Mais revenons aux Miss. Comment un tel incident a-t-il pu arriver ? Geneviève de Fontenay (car oui, elle est vivante) s’est exprimée sur le sujet, rappelant aux journalistes que, bien que son cœur soit à gauche, elle s’en tamponnait gentiment le coquillard puisque ce n’est plus de son ressort. Mais qu’elle rejette quand même la faute sur le comité Miss France, qui n’avait qu’à pas le nommer président d’honneur à vie. Et sur ce point, elle n’a

peut-être pas tort. Le reste du jury fait ce qu’il veut à longueur d’année, mais désigner un représentant à vie, c’est s’attendre à ce qu’à un moment ou à un autre, il fasse une gaffe. Il vaut mieux porter son choix sur quelqu’un à la santé fragile ou sur le départ, le risque est moindre. Pis surtout Alain Delon, quoi. Il en est pas à son coup d’essai, l’homme qui pense que « l’homosexualité est contrenature ». Et enfin, il aurait peut-être mieux valu ne pas s’exprimer du tout. Il ne reste qu’un président d’« honneur », c’est pas comme s’il organisait tout et ne vivait que pour ça. Si on peut l’associer aux Miss France, ce n’est pas le chemin le plus court qu’on peut prendre pour penser à lui. Alors, oui, Sylvie Tellier rappelle que les Miss sont tenues « de ne pas faire état de leurs préférences politiques ou religieuses », mais Alain n’est pas une Miss et le scandale aurait très bien pu n’éclabousser qu’une seule personne si l’on était restés discrets. « Aurait pu », hein, mais bon, ça se tentait. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le comité Miss France tient sa position : « Alain Delon ne se remplace pas. » Point de président d’honneur cette année donc, et il va encore falloir sourire de toutes ses dents pour faire oublier ça aux spectateurs. Show must go on ! Mais qu’ont pensé les Dijonnais de ces mésaventures ? Si on s’en tient aux commentaires qu’on peut trouver sur les articles en ligne du Bien Public, c’est le soutien sans faille. Liberté d’expression, chacun pense ce qu’il veut. Un certain « Albert Einstein » (chacun son pseudo, liberté, liberté !) publiera même : « Alain Delon n’est pas acteur, Alain Delon est le cinéma. Alain Delon n’est pas président d’honneur de Miss France, Alain Delon est Miss France. Heureusement, il lui reste Miss Suisse. » Et les billets pour le concours, qui aura lieu au Zénith le 07 décembre prochain, se sont tous vendus en une demi-heure, un record d’après Sylvie Tellier. Alors, un concours de beauté qui devient un concours de scandales ou une prise de position bénigne que le monde des médias se plaît à relayer ? Peu importe, 33 canons vont sonner aux portes de la maîtresse Burgonde cet hiver, et même en boots et fourrures, il ne faut jamais rater une occasion de se rincer l’œil. // M.T. 76


SÉLECTION CINÉ 2014

PAR ALICE CHAPPAU PHOTOS : DR

AMERICAN HUSTLE de David O. Russell (sortie le 15 janvier 2014)

X-MEN : DAYS OF FUTURE PAST de Bryan Singer (sortie le 21 mai 2014)

On n’arrête plus le réalisateur de Fighter et Happiness Therapy. Il revient déjà avec ce qui semble être un film choral assez délirant. Suffit de voir toute la panoplie seventies de costumes et de coiffures, disons, recherchées. On pourra admirer l’énième transformation de Christian Bale, tout en bedaine et crâne dégarni, sans oublier Bradley Cooper bronzé avec une coupe afro. Sinon, ça parlera d’arnaque mêlant un escroc à la petite semaine, un agent du FBI et un politique corrompu. On a hâte.

Doit-on se réjouir d’un énième retour de Wolverine dans la saga des mutants ? Le 1er volet de cette saga « retour aux sources » n’était-il pas justement très bon sans lui ? Bryan Singer, déjà responsable des deux premiers volets, fera-t-il mieux que le réalisateur de Kick-Ass ? Omar Sy avec ses dreadlocks gagnera-t-il un oscar comme la grande Marion ? Réponses dans les salles le 21 mai.

12 YEARS A SLAVE de Steve McQueen (sortie le 22 janvier 2014)

LES GARDIENS DE LA GALAXIE de James Gunn (sortie le 13

Après les claques Hunger et Shame, on attend forcément chaque film de cet ancien plasticien et documentariste irlandais. McQueen, soutenu par Brad Pitt (qu’on retrouve dans le film), se lance dans la fresque historique. Il s’arme d’un récit véridique, celui de Solomon Northup, devenu esclave dans les champs de coton en 1841. Un calvaire qui dure, comme son titre l’indique, 12 longues années. On retrouve aussi l’acteur fétiche de McQueen, Michael Fassbender, aux côtés du rôle principal tenu par Chiwetel Ejiofor. Un Django Unchained beaucoup plus sérieux.

août 2014) Ceux qui sont restés jusqu’à la toute fin du générique de Thor 2 le savent déjà. Tous les fans geeks de Marvel l’attendent de pied ferme. Ce sera sans aucun doute le blockbuster de l’été, en sachant que maintenant, les films Marvel, DC Comics et Disney vont s’enchaîner. Avant Batman vs Superman et la nouvelle saga Star Wars, il faudra donc compter sur un groupe d’aliens super-héros qui protègent la Terre contre une invasion imminente, dont l’infâme instigateur est joué par Benicio Del Toro, la crinière peroxydée. Attention, Javier Bardem, tu as un sérieux concurrent capillaire.

LA GRANDE AVENTURE LEGO de Phil Lord et Chris Miller

MAPS TO THE STARS de David Cronenberg (prochainement)

(sortie le 19 février 2014) Non, ne rigolez pas. Je suis sûre que vous avez autant envie que moi de découvrir ce premier film consacré aux Lego, l’un des nombreux jouets que ne connaîtront pas vos futurs bambins. Qui n’a jamais adoré jouer aux Lego, franchement ? Et en voyant la bande-annonce totalement délirante, on a hâte de découvrir le nouveau long-métrage des créateurs du non moins loufoque Tempête de boulettes géantes.

Cosmopolis est certainement le film qui m’a le plus pris la tête lors de débats entre amis (chef-d’oeuvre ou grosse bouse ?). Alors qu’attendre de ce film sur une dynastie, la famille Weiss avec encore une fois Robert Pattinson mais aussi Julianne Moore et John Cusack ? À première vue, une plongée dans l’univers so fake d’Hollywood et l’obsession de la célébrité. Si c’est dans les yeux d’un ancien médecin aussi dingue que Cronenberg, alors je veux bien.

ONLY LOVERS LEFT ALIVE de Jim Jarmush (sortie le 19 février

LE HOBBIT : HISTOIRE D’UN ALLER ET D’UN RETOUR de Peter Jackson (sortie le 17 décembre 2014)

2014) Après une sélection en compétition à Cannes in extremis, le dernier film de Jim Jarmush va enfin sortir en février. Jim nous raconte sa version, forcément mélancolique, d’une histoire d’amour entre deux vampires. Une relation tourmentée sur plusieurs siècles entre une mystérieuse femme aux cheveux décolorés (Tilda Swinton) et une star du rock (Tom « Locki » Hiddleston) dans les villes de Detroit et de Tanger. Ces lieux n’ont certainement pas été choisis au hasard.

Ton prochain film de Noël inévitable, surtout si tu attends le 2 comme un matin de Noël justement (on veut voir le dragon !). L’ultime épisode de la saga de la trilogie du prequel du Seigneur des Anneaux. Point.

NYMPHOMANIAC de Lars Von Trier (sortie le 1er janvier 2014,

paraît-il... Mais et Cannes alors ?) On termine cette sélection avec un film de cul pour bobos intello. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Lars a le chic pour susciter l’attente, surtout avec ce dernier film dont la campagne de com’ est savamment orchestrée. Les affiches des acteurs en plein orgasme plus les teasers hot ne sont pas passés inaperçus sur la toile. Charlotte Gainsbourg retrouve une troisième fois le réalisateur danois pour incarner une héroïne nympho. Il y aura un second volet fin janvier, même si Lars n’a pas eu le final cut et sa version avec de vrais acteurs porno. On n’est plus à une provoc’ près. // A.C.

THE ROVER de David Michôd (prochainement)

Avec un excellent premier film qui avait fait sensation il y a plus de deux ans (Animal Kingdom), l’un des nouveaux piliers du cinéma australien retrouve l’acteur Guy Pearce et engage Robert Pattinson, définitivement débarrassé de la saga Twilight. Rover sera, à première vue, un survival dans la désert australien, un duel entre un homme attaqué par un gang, dépouillé de ses biens et contraint de faire équipe avec un des membres du gang, blessé pendant l’attaque et abandonné par les siens.

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CRASH TEST

TU T’ES VU QUAND T’AS BU ?

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CRASH TEST

PAR JEFF BUCKLER, AU BAR ILLUSTRATION : ESTELLE VONFELDT

Descriptif faussement sociologique de vos modes de consommations lors de vos beuveries. De bon ou de mauvais goût, petit récapitulatif des boissons préférées des Dijonnais lorsqu’ils sortent. Sache, jeune ou moins jeune buveur, que derrière tes pratiques un être se révèle. Je sais qui tu es quand tu bois...

UN GET 27

UNE 8.6°

Parce que t’aimes pas la bière. Parce que t’aimes bien l’alcool. Parce que t’as un chien, voire plusieurs. Parce que ton camion est toujours en rade. Parce que la Maximator 11° ça taboule. Parce que les Tanneries à pied c’est loin. Tu es : perdu. Ou ça ne saurait tarder.

Parce que tu veux principalement cacher ton penchant pour la boisson face à ta compagne quand tu rentres tard le soir en gardant une haleine fraiche. Parce que ça te rappelle ton week-end entre collègues à Marrakech, l’alcool en plus. Parce que tu n’hésites pas à boire avec un chewing gum dans la bouche. Tu es : un banquier de la rue du Bourg. Ou sa meuf.

UN VERRE DE ROUGE

Parce que quand même le pinot noir, c’est ton patrimoine. Parce que le lendemain tu sais ce que t’as bu en contemplant ton t-shirt. Parce que t’as encore mal au dos de tes dernières vendanges. Parce que y’en a du bon, d’ici. Et du moins bon, d’ailleurs. Tu es : une belle gosse. Ou un pochetron.

UNE PINTE DE BLONDE

Parce que tu sais que la soirée va être longue. Parce que c’est ton seul point commun avec les Anglais. Parce que t’as pas que ça à foutre de commander au bar. Parce que finalement t’aimes bien aller pisser toutes les dix minutes. Tu es : un hipster qui lit Sparse. Ou un vieux de la vieille.

UNE BOUTEILLE DE CHAMP’

UN KIR

Parce que t’as aucune honte à boire un bon Aligoté avec de la crème de cassis. Parce que pour toi mélanger les torchons et les serviettes n’est jamais un problème. Parce que t’as hésité à demander un demi cerise. Parce que c’est quand même un fleuron local. Tu es : une étudiante Erasmus à Sciences Po. Ou une personne âgée.

Parce que t’as les moyens, ou pas, de fêter ton anniversaire tous les week-end. Parce que t’as aucun respect pour le vin. Parce que t’as une Golden Card et qu’il faut bien s’en servir ailleurs que chez The Kooples. Parce que t’es incapable de faire la différence entre un bon Crémant et un mauvais Champagne. Parce que merci papa. Tu es : David Lanaud du Gray. Ou t’aimerais être David Lanaud du Gray.

UN RICARD

UN COCA

Parce que l’alcool c’est mal. Parce que toi t’as toujours préféré la musique. Parce que Sam c’est souvent toi. Parce que boire ou conduire, il faut rentrer dans la vallée de l’Ouche. Parce que tu crois encore au Père Noël. Parce que putain les States. Tu es : un straight edge. Ou encore bourré.

Parce que bien qu’habitant à Dijon, tu sais mettre du soleil dans ta vie. Parce que le ratio prix acheté / taux d’alcool absorbé est toujours très intéressant. Parce que ça te rappelle tes plus beaux festoches. Parce que tu crains dégun. Tu es : un nostalgique de tes vacances au camping de la Grande Motte. Ou un faluchard.

UN TI PUNCH

UN WHISKY-COCA

Parce que tu te souviens plus de rien. Tu es : ....

Parce que dans la vie, t’as pas d’idées. Parce que le Chat Noir. Parce que le Hit Club. Parce que l’Amour est dans le pré. Parce que t’en as rien à branler de perdre ton permis. Parce que tu ne sors ton tatouage tribal que le samedi soir. Parce que tu préfères ta caisse à ta meuf. Tu es : un beauf. Ou Sidney Govou.

PS : Mon honneur m’a imposé de ne pas vous parler du Mojito. // J.B.

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ME, MYSELF & I

Plaisir d’offrir, joie de recevoir Dans ce nouveau numéro, Mireille se lâche. C’est l’instant girly de Sparse.

PAR MIREILLE ILLUSTRATION : HÉLÈNE VIREY

I

l est des blagues qui font partie de vous, comme votre couleur d’iris ou votre goût pour la lecture. À tel point que vous ne savez plus très bien depuis quand vous les faites ; mais vous prenez toujours autant de plaisir à les évoquer devant un public averti. Celle dont il est ici question est très ancienne dans mon répertoire amoureux. Ils auront donc été plusieurs à l’entendre. Mais cette année, pour mon anniversaire, mon mec a décidé de me prendre au mot (enfin si j’ose dire…).

job) et à laquelle je ne manque jamais de rajouter en dernière ligne : « et un godemiché ! » Je ne vais pas m’étendre ici et maintenant sur le comment du pourquoi de cette connerie récurrente mais je me souviens même que je disais gode-ceinture quand j’étais plus jeune… dans la vie, on est une fille qui en a ou pas. Il m’est d’ailleurs aussi arrivée de le rajouter dans la liste de courses pour faire rire celui qui la tenait, une première fois à la lecture et une seconde fois quand il s’apercevait qu’il avait perdu le papier au rayon biscottes. Bref, cette fois encore, je rédige ma petite liste d’anniversaire que je donne à mon copain et qui ne devrait en principe servir qu’à ma mère (au cas où elle s’y prenne à la dernière minute comme toujours) ; et puis j’oublie. De toute façon, mon amoureux a décidé de m’offrir une sublime paire de bottes que j’ai déjà repérée...

Dans ma famille, quand vient le temps de Noël ou des anniversaires, chacun est invité à faire une petite liste d’envies. Comme ça, si quelqu’un est en manque d’inspiration, il peut toujours trouver un truc qui ne sera pas complétement horssujet. Voilà comment je me suis retrouvée début octobre en train de noter sur un papier tout un tas de choses susceptibles de me plaire. Liste longue et fantasmagorique où je rajoute souvent des objets hors de prix (comme un nouveau canapé) ou inachetables (comme un nouveau

Le jour fatidique arrive enfin, avec un rendez-vous prévu au restaurant après le travail. Une fois rentrée, c’est donc en quatrième vitesse que je prends ma douche et revêts mon habit 80


PLAISIR D’OFFRIR cette demande. » Oui, peut-être, mais nous n’aurons pas cette discussion toutes les deux... Et à nouveau gros fou-rire quand mes parents m’offrent un pouf pour le salon, car il est bien rembourré et « ma foi, ça peut toujours servir quand on a mal au cul ! » Merci papa, je sais aujourd’hui de qui je tiens mon humour borderline. La soirée se termine en raccompagnant mon frère aîné à sa voiture qui se targue d’un : « Vous êtes quand même ouverts tous les deux. » Alors oui, c’est vrai, je ne l’imaginais pas lui, offrir un vibro fluo à son ex-femme !

de lumière pour aller fêter cette nouvelle année d’existence avec mes amis. Je suis juste en train de mettre des boucles d’oreilles quand celui qui partage ma vie me tend un paquet cadeau avec un grand sourire, en me précisant : « Celui-là, je préfère te l’offrir maintenant. » Je prends le paquet en riant et lui lance : « C houette, un godemiché !!! », pensant bien évidemment que c’est tout autre chose… Je déchire le papier et aperçois un truc rose vif en silicone que je prends tout simplement pour des moules à pâtisserie funky (oui, j’adore mettre la main à la pâte !) avant de réaliser que, non, c’est vraiment un vibromasseur. J’hésite entre le rire et la stupeur car au-delà de l’idée, je le trouve, comment dire, légèrement surdimensionné. Au moins, j’en connais un qui n’a pas de complexe à se mesurer à plus fort que lui ! D’ailleurs c’est le moment qu’il choisit pour me dire : « Ça faisait tellement longtemps que tu en voulais un ! » Oui, effectivement, sur le papier ça sonne juste, mais c’était pour rire, pas un truc comme ça… Car en plus de la partie oblongue que tout le monde s’imagine aisément, un véritable mini lapin est fixé à la base pour, disonsle poétiquement, s’occuper de votre petit bouton de rose. Alors, je ne sais pas pour vous, mais pour moi faire l’amour avec un lapin ne fait pas partie de mes fantasmes n°1. Zoophilie non merci ! Les lapins roses ça rend morose... Je rigole franchement en regardant mon amoureux qui ne sait plus très bien si c’était une bonne idée et je lui dis : « Alors toi, tu es énorme. » Ce à quoi il me répond : « Désolé mais ce n’est pas moi qui suis énooorme !!! » Gros fou-rire… C’est vrai qu’il ne faut pas avoir peur pour ses amygdales pour s’enfiler un truc pareil. Mais apparemment c’est la vendeuse qui lui a conseillé ce modèle, car « c’était un peu ce qui se faisait de mieux. » Je la retiens, celle-là ! Mais au fait, « t’as payé ça combien ? » « Je ne te le dis pas, c’est un cadeau. » « Oui, mais comme je vais certainement le rendre dis toujours. » Et là, je ne rigole plus du tout. J’ai l’impression que j’aurais pu avoir au moins l’accoudoir du canapé à la place. Mais bon, ce n’est pas n’importe quel sex-toy non plus : il comporte trois moteurs (deux rotatifs dans le corps et un autre offrant sept modes de vibrations différentes pour le mini « bunny »). De quoi varier inlassablement les plaisirs, explique la notice. Je hasarde un : « Est-ce qu’il fait taille-haie pour le prix ? » « Non. » En résumé, mon copain m’a offert la Rolls des vibros, car il voulait ce qu’il y a de mieux pour moi ! J’ai d’ailleurs appris par la suite en lisant un magazine que c’était celui que préféraient les héroïnes de Sex and the City !

Je n’avais bien évidemment pas du tout prévu de parler de cette aventure siliconée dans le cadre de mon activité professionnelle (qui n’a rien à voir avec ce domaine de compétences), mais quand une de mes collègues m’a demandé ce que mon amoureux m’avait offert, j’ai beaucoup trop ri en répondant « une paire de bottes ! » Donc re-rebelote : cette idée de cadeau bonus a une fois encore déclenché un vif débat. Et le fait que je veuille rendre l’ustensile en question m’a positionnée direct en « coincée du cul » alors qu’avec toutes les conneries que je débite au quotidien, « on n’aurait pas dit pourtant ! » Bref, entre celles qui en rêvent mais à qui personne n’en offre, celle qui en ont un « nul » car offert lors d’une fête à la con entre filles (ouah, le jeu de mot !), celles qui ne disent rien car ça les choque ou les indiffère et toutes celles qui en ont plusieurs, les utilisent souvent mais n’en parlent pas à la terre entière (contrairement à moi)… Chacune a un avis sur la question et je sais que certaines essayeront bientôt le coup de la liste de courses ! Pour conclure cette affaire, sans être coincée du cul, ni grosse chaudasse, j’aurais bien aimé assister à la conversation avec cette vendeuse. « Votre amie, elle est plutôt clitoridienne ou vaginale ? » Ça, ça change de « fromage ou dessert ? » Vendeuse que j’ai ensuite eu la chance de rencontrer lors de la remise en main propre du godemiché de luxe, que la dame a bien voulu reprendre car elle se souvenait avoir discuté avec Monsieur… Alléluia ! Et surtout parce que nous n’avions pas décollé les pastilles de sécurité collées sur l’emballage de l’engin. « Car d’habitude on ne reprend jamais les sex-toy. » Ah bon... ? Bon, je l’avoue, une partie de moi (oui, vous aussi vous savez laquelle) aurait bien aimé essayer ce jouet au moins une fois pour mourir moins bête. « Catch me if you can ! » qu’ils disaient sur la boîte… Mais nos complexes et nos inhibitions ne sont pas toujours où on le pense. Je trouvais cet objet beaucoup trop « encombrant » et surtout hors de prix. J’ai sans doute été élevée dans une famille où le corps et la parole sont libres, mais où on ne dépense pas autant d’argent pour des choses « futiles ». Parce que si je mets de l’argent dans une énième paire de chaussures, je sais malgré tout que je les mettrais souvent (voire pour aller au boulot). Alors que le « sexy bunny 2 » … va le mettre pour aller au travail ! Mais comme ce sex-shop moderne et décontracté (j’y ai croisé un couple d’étudiants de 20 ans qui sortaient de la BU) ne pratique pas le remboursement, me voilà aujourd’hui en possession de nombreux bons d’achat Pink Plaisir à dépenser prochainement. Vive Noël ! J’hésite donc encore entre des nippies (ces trucs qui se collent sur le bout des seins), mais c’est un peu comme les bijoux d’anus, on ne sait pas trop à quelle occasion les porter ; ou plein de trucs à offrir aux autres… car là, qui est-ce qui aura l’impression d’être cool et décomplexée ? C’est bibi ! // M.

Nous filons ensuite vite au restaurant car l’heure tourne. Je n’arrête pas de rire ; et ayant l’autorisation express de dire ce que je veux, je mets rapidement tout le monde au courant du cadeau spécial que je viens de recevoir, ce qui déclenche rires et passion dans l’assemblée. Et la soirée ne fait que commencer, car mes copines m’offrent un moule à pop-cakes en silicone de la couleur exacte de l’objet du délit et un paquet d’un mètre de long, contenant des questions de culture générale que nous trouvons tous très long et très très gros avant de le déballer. Mon amie de toujours parvient quand même à glisser dans la conversation que c’est vraiment gentil de la part de ma moitié et qu’on ne peut lui reprocher de ne pas être à l’écoute. OK, message reçu cinq sur cinq, nous sommes trois à nous tourner vers son amoureuse pour lui dire : « Tu sais ce qu’il te reste à faire ! » On lui propose même de leur offrir le « sexy bunny » pour Noël… Le lendemain, rebelote avec ma famille qui rigole en imaginant ma tête au déballage. J’ai même droit à une réflexion maternelle du style : « Il devait bien y avoir un fond de vérité dans

PS : Pour ma liste de noël à moi, par contre va falloir être drôlement sérieuse.

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CARTOGRAPHIE

CES GROS ENGINS QUI NOUS FONT PEUR AUBE

Quatre pelleteuses incendiées en six jours

Pothières : un tracteur détruit par le feu 13 juillet 2013 (Pothières)

16 juin 2013 (Belfort)

HAUTE-MARNE Yonne : ils attaquent à la pelleteuse un supermarché, où il n’y avait pas d’argent 06 avril 2013 (Villeneuve-la-Guyard)

Châtillonnais : la moissonneuse tombe en panne et bloque la circulation 20 octobre 2013 (Châtillon-sur-Seine)

Accident de tracteur près de Quincyle-Vicomte : un blessé grave 29 octobre 2013 (Quincy-le-Vicomte)

DOUBS

Il défonce au chariot élévateur la palissade que sa voisine érige

Selongey : un nouveau tracteur 28 mai 2013 (Pin) pour la commune Un tracto-pelle de 11 juin 2013 (Selongey) 19 tonnes tombe dans le Doubs

CÔTE D’OR

YONNE Vic-sous-Thil : un tracteur se retourne

17 septembre 2013 (Ougney-Douvot)

09 août 2013 (Vic-sous-Thil)

HAUTE-SAÔNE Veaux, vaches, moutons et tracteurs à Dijon 13 avril 2013 (Dijon) Haute-Saône : il étrangle sa maman pour un tracteur Gevrey-Chambertin : un nouveau tracteur aux services techniques

Genlis : une pelleteuse derrière l’autel

24 septembre 2013 (Framont)

29 janvier 2013 (Genlis)

01 juin 2013 (Gevrey-Chambertin)

JURA NIÈVRE Un chauffeur de tracteur interpellé avec une alcoolémie de 3,54 g 12 mars 2013 (La Pesse)

Pierre-de-Bresse : le coffre arraché au tracteur

SAÔNE-ET-LOIRE

18 juillet 2013 (Pierre-de-Bresse) 82


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