Sparse 26 (mar. 2019)

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sparse magazine mieux

Réchauffement climatique, gnôle et taille de sexe 84 pages d’enjeux majeurs + Jenny d’Héricourt • François Patriat Pierre Corbi • Ammar 808...

sparse | numéro 26 | trimestriel

mar. avr. mai. 2019 • www.sparse.fr imprimé à 200 millions d’exemplaires à lire aux cagoinces

GRATUIT • BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ


Écrite dès 2002 à travers un plan de rénovation de grande ampleur, une nouvelle page se tourne dans l’histoire du musée des Beaux-Arts de Dijon. Avant la réouverture, seule la salle des tombeaux reste accessible aux visiteurs. entrée libre et gratuite

© Musée des Beaux-Arts de Dijon

(RÉ)OUVERTURE 17 MAI 2019

MBA.DIJON.FR

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photo : Louise Vayssié *Là où ça se passe

Wohin es geht*

sparse magazine

À Dijon, un palais, un musée, un destin

De l’autre côté. avec le soutien exceptionnel de


édito. Sparse est un magazine édité par le bureau d’édition Sparse Média. 39 salariés, des locaux spacieux dans le centre historique de Dijon. Un happiness manager récemment recruté, veillant à cette bonne humeur enivrante qui règne dans l’open-space. Une nouvelle conf’ room tout juste inaugurée, lumineuse à souhait et orientée plein sud, avec ses plantes du Nicaragua qui lui donnent ce petit côté #urbanjungle, idéale afin que les collaborateurs se sentent dans l’entreprise comme à la maison. Chez Sparse Média, on aime que nos clients soient heureux. On aime imaginer pour eux des concepts disruptifs. Breaker le marché ? C’est ce qui est écrit sur le petit tableau blanc disposé face au large canapé de la salle de baby-foot. C’est l’objectif vers lequel il faut tendre, qu’on aime se rappeler chaque jeudi matin, avant d’entamer notre petit déj’ d’équipe. Notre morning routine, en quelques sortes, pour ceux qui parlent le même langage que nous. Les entreprises qu’on accompagne suivent un idéal progressiste et cherchent à valoriser toutes les actions qu’elles développent pour le bien-être de leurs usagers. Nous sommes là pour elles. J’ai personnellement une petite anecdote que je veux bien partager. En arrivant au bureau, à 6h, lorsque les locaux de Sparse Média sont encore très calmes, j’aime prendre quelques minutes pour moi et poster sur mon profil perso Instagram (@pob_officiel) une courte vidéo prise généralement la veille lors d’un déj’ d’affaires avec un client. J’y ajoute un filtre et un petit mot positif, comme par exemple : « Délicieuses ces huîtres, en route vers un nouveau projet avec le groupe Brioche Dorée, campagne digitale + naming. Merci pour la confiance les amigos ! » (là, je mets en général le smiley biceps pour conclure). Puis je pose mon smartphone, j’ouvre mon ordinateur et je découvre le post-it que mon associé m’a laissé. Dessus, un dessin. Une bite. Sparse Média, en avance depuis 2012. Par Pierre-Olivier Bobo Photo : Louise Vayssié


sommaire ÉDITO CONTRIBUTEURS 8. GUESTLIST 10. LOOSER/WINNER 12. LE FOND DE L’AIR EST FRAIS 14. PORTFOLIO 3. 6.

ours Ce magazine est édité par Sparse Média. Siret : 750 725 806 00038 - APE : 5814Z www.sparse.fr - contact@sparse.fr www.sparsemedia.fr

REPORTAGE GNÔLE

DIRECTEUR DE PUBLICATION Pierre-Olivier Bobo

18. LA

RÉDACTEUR EN CHEF Antoine Gauthier

24. JENNY

CONTRIBUTEURS Badneighbour, Pierre-Olivier Bobo, Mister B, Sophie Brignoli, Alice Capezza, Nicdasse Croasky, Delphine Fresard, Erika Lamy, Franck Le Tank, Cédric de Montceau, Aurélien Moulinet, JC Polien, Martial Ratel, Augustin Traquenard, Chablis Winston, James Granville forever DIRECTION ARTISTIQUE INTERNETINTERNET

PHOTOGRAPHIES Alexandre Claass, Raphaël Helle, JC Polien, David Meugnot, Édouard Roussel, Louise Vayssié, Chablis Winston ILLUSTRATIONS Mr. Choubi, Michael Sallit, Hélène Virey, Louise Vayssié COMITÉ DE RELECTURE Alix Blk, Martin Caye, Marion Godey, Lise Le Joncour, Alice Capezza, Aline Chalumeau, Cyrille Pichenot COUVERTURE Photo : Léa Singe (jan. 2017, Paris) IMPRIMEUR Est Imprim (25) Dépôt légal : à la sortie du magazine ISSN : 2260-7617 Tous droits réservés © 2019 Merci à nos partenaires ainsi qu’à celles et ceux qui ont permis la réalisation de ce numéro. Prochain numéro : juin 2019 Sparse bénéficie du soutien du Ministère de la culture et de la communication, fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité.

LA MARCHE DE L’HISTOIRE P. D’HÉRICOURT PORTRAIT CORBI

30. PIERRE

ENQUÊTE SÉCHERESSE DU DOUBS

36. LA

INTERVIEW 46. F RANÇOIS PATRIAT COUP DE COEUR LAURENÇOT

52. CHRISTOPHE

MUSIQUE 56. AMMAR

808

LIFESTYLE 62. EMPOWERMENT PÉNIEN 70. ROMAN

PHOTO

76. PSYCHO-TEST 78. HOROSCOPE 80. COURRIER 82. FROM

DES LECTEURS HELLE



contributeurs

Par Chablis Winston Photos : DR

Nom : Fresard Prénom : Delphine Âge : à peu près. Fonction : journaliste hydraulique. Signe particulier : s’inquiète de ne pas arriver à faire, puis y arrive, en fait. Spécialité : la panne de batterie. Fait de gloire : 8 Sapont dans la même soirée sans avoir mal.

Nom : Ratel Prénom : Martial Âge : facile 16. Fonction : testeur de vin nature diurne. Signe particulier : ne connaît pas l’existence de la Franche-Comté. Spécialité : revenir de Cholet avec des baskets neuves. Fait de gloire : une paire de Ellesse à 9 euros.

Nom : Vayssié Prénom : Louise (aka Zelou) Âge : tu veux pas son numéro de carte bleue, non plus ? Fonction : je sais plus vraiment, là. Signe particulier : une canne. Hop, plus de canne ! Spécialité : avant c’était la photo, mais maintenant, c’est le dessin, mais elle fait encore de la photo, et elle écrit

aussi... Faut suivre. Fait de gloire : Shtanpukkyt au Scrabble en compte double. 221 points d’un coup ; même si ça n’est pas un mot qui existe. Nom : B Prénom : Mister Âge : 24 à tout jamais. Fonction : phraseur de l’extrême. Signe particulier : ne s’arrête jamais de phraser. Fort, très fort. Spécialité : arriver quelque part, et t’hurler dessus. Fait de gloire : a interviewé bien plus de stars que Philippe Manœuvre sans se la craquer pour autant.

Nom : Benalla Prénom : Alexandre Âge : 28. Fonction : lobbyiste-garde du corps. Signe particulier : un monotesticule. Spécialité : mentir, pas super bien, mais mentir quand même. Fait de gloire : être allé en taule avant même son premier article pour Sparse.

Nom : Bobo Prénom : Pierre-Olivier Âge : 200 K$. Fonction : patron. Signe particulier : un petit short turquoise. Spécialité : compter les liasses, dire qu’il en manque, et tuer son interlocuteur. Fait de gloire : le mec vit tellement dans le speed qu’il a eu un enfant en 6 mois seulement.

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&

n o i t i d 9 é e

D OeLt 9Ejuin 7, 8

2 019 AL FESTIV

www.cirqueetfanfaresadole.com Festival cirque et fanfares

GRATU

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guestlist

Par Alice Capezza, Cyrille Pichenot, Pierre-Olivier Bobo et Chablis Winston Photos : Stéphanie Durbic (David Demange), DR

Laurence Favier |

La Recyclade, Dijon

Laurence est valoriste à la seule recyclerie de Dijon. Oui, valoriste. Ça en jette, hein ? Les objets dont tu ne veux plus, elle peut les transformer en trésor. Alors, arrête de tout balancer à la déchetterie, c’est sale. Ces trésors, on peut les découvrir rue du Nuits-Saint-Georges, à Dijon.

Le sportif le plus classe de la région ? Bobby Allain, gardien de but du DFCO. Il pratique la langue des signes pour ses parents sourds, ça c’est classe ! Pourquoi, dans leur revival 90’s, les jeunes oublient-ils le serre-tête ? Et quid des tétines acidulées en pendentif ? Ou du Kiki en porte-clés ? Comment réconcilier les gens de la ville et ceux de la campagne ? Grâce aux mariages mixtes. L’amour est dans le pré, l’amour est partout. T’es plutôt à voler le savon de l’hôtel ou les verres sur le comptoir du bistrot ? Plutôt à fournir les verres des bars à la Recyclade ! Bilal Hassani, il va encore finir dans les derniers de l’Eurovision, comme tous les Français, chaque année ? Vous marquez one point.

Le prochain concert que tu comptes faire ? Plein avant celui de Manu Chao à Lons ! Tu préfères marcher en dansant ou parler en chantant ? Les deux ! Parler en chantant, hommage à Michel Legrand et marcher en dansant, rapport à Stanley Donen, réalisateur de Singing In The Rain. Rock fort ou rap afro-mage ? Musique bas rock. La moutarde, classique ou à l’ancienne ? Je fuis tout ce qui est classique en général. La potée, avec ou sans navet ? J’aime pas perdre du temps avec un navet ! Carlos Ghosn, coupable ou cabale ? Coupable.

Lætitia Déchambenoit |

Directrice d’ODIL

Montceau-les-Mines

ODIL, ce n’est pas ta tante, ni même Chantal Lauby dans La Cité de la peur. C’est de la télé. L’observatoire des initiatives propose tout un tas de programmes sur la vie ensemble en Saône-etLoire. Culture, sport, bouffe, éducation... Des émissions en plateau, des clips, des reportages, des débats. Tu vois NRJ12 ? Hé ben rien à voir. Odil.tv.

Être végan, c’est... Tendance et compliqué. Si tu portes des chaussures en fibre de bambou importées de Chine pour ne pas porter de cuir et que tu t’offusques du traitement des animaux mais que tu craques sur des Haribo, ça doit être dur de vivre avec toute cette culpabilité et ces contradictions…

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Crocs à talons ou cuissardes Air-Max ? Ça dépend du contexte. Mon papy rockeur m’a dit que quoique je fasse, il faut que je le fasse avec style.


Crochet du gauche ou uppercut droit ? Crochet du gauche, je trouve ça plus franc. Et je penche jamais à droite. Michel Gondry ou Xavier Dolan ? Michel Gondry. Pour son univers. Et parce que j’aimerais que son projet d’Usine de films amateurs voit à nouveau le jour.

Pacino Ou De Niro ? Pacino pour Scarface et Serpico, De Niro quand il insulte Trump sur CBS pendant la cérémonie des Tony Awards. Bilal Hassani, il va encore finir dans les derniers de l’Eurovision, comme tous les Français tous les ans ? En vrai, l’Eurovision, c’est un super concept marketing pour remplir les colonnes des médias et des réseaux sociaux en panne d’inspiration, non ? J’ai pas d’avis sur la question ou sur son talent mais je suis fan de sa perruque et je respecte les gens qui font et qui s’assument.

David Demange |

Directeur du Moloco, Audincourt

Il vient des Alpes mais officie dans le pays de Montbéliard depuis presque 10 ans. Toujours collé à la frontière, celui-là. Le sourire aux lèvres, il peut à tout moment envahir la Suisse mais se concentre, en attendant, sur son écrin musical, le Moloco.

Dans quel rade on peut te croiser ? Essentiellement au bar du Moloco ! J’avoue bien apprécier Le Local, à Montbéliard, et Marcel & Suzon, à Belfort. Question piège : musée des Beaux-Arts de Dijon ou musée des Beaux-Arts de Besançon ? Je préfère ne pas rentrer dans les rivalités entre villes de la banlieue sud de Montbéliard… Donc, je dirais plutôt le Musée Courbet à Ornans. En plus, c’est le bicentenaire de sa naissance en 2019 ! Tu faisais partie de la Ligue du LOL, toi aussi ? La seule ligue dont j’ai été membre pendant quelques années fut la Ligue Rhône-Alpes de Tennis, il y a 20 ans. Qui peut encore s’offrir un billet de TGV ? C’est sûr que ça devient un peu compliqué d’afficher « À nous de vous faire préférer le train » quand on vend des billets aller/retour Dijon-Belfort à plus de 70 €… Rire et chansons ou Nostalgie ? Nostalgie ! Il se dit que c’est l’une des stations les plus écoutées par les groupes en tournée dans leurs vans. Quelle est la révélation musicale 2019 selon toi ? 2019 sera l’année de Rosalía, une jeune chanteuse espagnole qui est en train de conquérir le monde.

Être vegan, c’est... Incompréhensible pour un Franc-Comtois. Ton meilleur moment passé en BFC, c’est... Mes premières Eurockéennes en 1997, à 16 ans. On s’est pris en pleine face Radiohead et The Smashing Pumpkins. Je crois que c’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je voulais bosser dans la musique. Pourquoi de plus en plus de gens pensent que les médias sont des gros enfoirés à la solde des puissants ? Peut-être en partie parce que des puissants (dont quelques enfoirés) rachètent certains médias ! La concentration est une menace pour la diversité. C’est le cas aussi dans l’industrie musicale. Dans le genre, « il faut partir en retraite maintenant monsieur », tu es plutôt Clint Eastwood ou Alain Finkielkraut ? Même si j’ai beaucoup aimé ses films par le passé, je pencherais plutôt pour la retraite de Clint Eastwood. Bizarrement, j’ai toujours pris du plaisir à lire Alain Finkielkraut, même si je ne suis à peu près d’accord sur rien avec lui… Je dois avoir un côté un peu « réac refoulé ».

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la hype Par Augustin Traquenard Photos : DR

LE WINNEUR DU PRINTEMPS Joram van Klaveren (vrai cinglé) S’il y avait un championnat du monde de retournage de veste, Joram serait un athlète de haut niveau. Ancien député du Parti de la liberté dirigé par l’extrémiste de droite néerlandais Geert Wilders, il s’est récemment converti à l’Islam. Très joli revirement pour celui qui qualifiait il y a peu Mahomet de « bandit », l’Islam de « mensonge ». Van Klaveren est donc l’ancien fidèle lieutenant de Wilders qui souhaite, lui, faire interdire le Coran et les minarets dans l’autre pays du fromage. La lune de miel entre entre Wilders et van Klaveren avait du plomb dans l’aile depuis un moment, ce dernier ayant fondé son propre mouvement (Pour les Pays-Bas), jugeant le Parti pour la liberté « trop à gauche ». N’ayant reçu aucun siège lors de l’élection de 2017, il semble donc tenter une nouvelle stratégie que l’on résume au café du commerce par « y’a que les cons qui ne changent pas d’avis ». Par mimétisme ou par épidémie de grand n’importe quoi, le co-fondateur de son nouveau parti s’est lui converti au Taoïsme. Au café du commerce, la nouvelle maxime est désormais « les cons aussi changent d’avis ». On attend avec impatience la conversion de Trump au Bouddhisme et celle de Dieudonné au Judaïsme.

LE LOOSEUR DU PRINTEMPS La cité internationale de la gastronomie de Dijon (gros projet)

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Quoi de mieux que la bouffe et le pinard pour attirer le touriste ? La Foire gastronomique de Dijon n’ayant lieu qu’une semaine par an, l’idée de construire une Cité internationale de la gastronomie valorisant « le repas gastronomique des Français » à Dijon date de 2010. Un lieu regroupant commerces, supermarché, restaurants, école de cuisine, cinoche de 9 salles, écoquartier et hôtel 4 étoiles de 125 piaules. On nous l’assure, ça ne sera « ni un musée, ni un parc d’attractions », grâce à une « approche pluriculturelle mélangeant histoire, pédagogie et immersion ». Bon, c’est pour les touristes qui ont du pognon quand même, hein… La loose, c’est que pour l’instant, seul le parking (Monge) est opérationnel et seule la construction de quelques bâtiments de l’écoquartier est en cours. La faute à un recours posé par Emmanuel Bichot (LR) et le groupe d’opposition municipal « Agir pour Dijon » à la cours administrative d’appel de Lyon. Selon Manu, en attribuant au groupe Eiffage la totalité du site lors d’un contrat privé, François a perdu le contrôle, est responsable d’un véritable gâchis et a transformé le projet en simple opération immobilière. Heureusement, la loose de l’hiver pourrait bien se transformer en win de l’été, faut voir, puisqu’Emmanuel Bichot a été débouté par la cours d’appel administrative de Lyon le 28 février. Le mec a même été condamné à payer 1.500 euros à la ville de Dijon. Lui aussi, il nous fait un beau looser...


DU JEU. 30 MAI AU DIM. 2 JUIN, DIJON

24 MARS

MUSIQUES & SPORTS CONCERTS | PERFORMANCES | PROJECTIONS | ANIMATIONS | INITIATIONS SPORTIVES | RENCONTRES |


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2 > 30 AVRIL 2019 DIJON Mètropole

#4 FESTIVAL BFC DES MUSIQUES ÉLECTRONIQUES

aèroport dijon-bourgogne - la vapeur pèniche cancale - cellier de clairvaux Boulodrome couvert - lieux secrets

@LeSirkFestival riskparty.com/le-sirk-festival #LESIRKFESTIVAL #LESIRK4

TEMPS FORT HIP-HOP STORM HIP-HOP ÉVOLUTION MAYOTTE ÉTIENNE ROCHEFORT DAVID COLAS / SANTIAGO CODON GRAS AMALA DIANOR / BBOY JUNIOR POCKEMON CREW EDA CHALON BATTLE #2 Tremplin régional Ateliers hip-hop – Block Party Training – Expo graf’ ESPACE-DES-ARTS.COM

© Jérôme Corgier / www.pariri.com

DIMA AKA VITALIC LIVE STERAC AKA STEVE RACHMAD DAN SHAKE - SHLØMO LIVE FRANCESCO DEL GARDA CAMION BAZAR ARK LIVE - ART OF TONES THE MAGHREBAN SECRET VALUE ORCHESTRA LIVE LA FRAICHEUR DJ NORMAL 4 - LOWKEY OXYD - LB AKA LABAT LIVE ALEX & LAETITIA KATAPULT CORNELIUS DOCTOR & TUSHEN RAÏ PEDRO PEREZ & AYHASCA ERNESTO WILT - LIZ COPPER BERNADETTE - SERIOUS A LATEP - BIATCH - FABZEU LUCIANO - DOCTEUR J ANDREAS. - KONIK P’TIT LUC


TURBO DIESEL SPORT INJECTION Texte et photos par Édouard Roussel

Malgré deux chocs pétroliers, les normes anti-pollution et les trottinettes électriques, la Peugeot 205 refuse obstinément de disparaître de la circulation. Plus stylée qu’un Bic 4 couleurs et solide comme un tank, cette petite bagnole est même devenue culte, une icône française comme le jambon persillé ou le commandant Cousteau. Pour Peugeot, la « deux cinq » fut même un putain de miracle, produite à plus de 5 millions d’exemplaires entre 1982 et 1998, elle a sauvé la marque au lion de la faillite. La 205, c’est en quelque sorte la Jeanne d’Arc de l’automobile française. Complètement obsolète, il y en aurait encore 600.000 en circulation. C’est petit, ça pollue, mais c’est devenu une vraie madeleine.

Un sacré numéro !

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« La Peugeot 205 est à l’automobile ce que la Joconde est à la peinture » Herbert-Leonard De Vinci.

Aujourd’hui, elle fait même partie de ces youngtimers que les connaisseurs s’arrachent. En 2017, une 205 GTI a même atteint les 43.000 € lors d’une vente aux enchères.

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Les séries spéciales de 205 se déclinent comme un poème à la Prévert : 205 Sacré Numéro, 205 Élégance, 205 Automatic, 205 Color Line, 205 Diabolo, 205 Auto-école, 205 Lacoste, 205 Cabriolet Roland-Garros, 205 GTI, 205 Forever…

L’INSEE confirme que 2 enfants sur 5 nés entre 1983 et 1999 ont été conçus sur la banquette arrière d’une Peugeot 205.

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Par Chablis Winston, dans l’Auxois Photos : Chablis Winston et David Meugnot

L’ALCHIMISTE C’est doux comme du miel et dangereux comme du poison. On est allé faire de la gnôle. Du marc. Pour connaître les secrets de ceux qui aident la nature à transformer le fruit en nectar des dieux. 18


« Une bonne goutte, pas besoin de la garder 10 ans. Si les fruits sont bons et que le distillateur n’est pas mauvais, on peut la boire de suite » Christophe Masson, distillateur.

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U

n petit local de 20 m 2 pas loin d’Alésia, en bord de route au cœur d’une petite vallée, collé à la ferme familiale. Devant, une tonne de raisins qui attendent. À l’intérieur, un petit bonhomme trapu et une ambiance digne des forges de vulcain. On se croirait dans un haut fourneau à Florange. Du feu, de la fumée, mais aussi des alambics et une odeur d’alcool à faire tituber. C’est pour ça que l’antre de Christophe ne possède pas de porte. Faut aérer, sinon on s’évanouit. Pendant la journée, les gens passent. Des voisins, des amis venus discuter ou s’en coller un p’tit derrière la cravate, des clients venus récupérer leurs bouteilles ou encore la factrice du coin, tout simplement, qui repartira sans boire, je le précise. Christophe Masson est bouilleur ambulant. C’est pas le plus causant des types qu’on ait croisés mais il a le sourire du gars qui prend du plaisir à partager son savoir-faire. Christophe est artisan. Et presque artiste, car faire de la goutte, c’est comme peindre une toile, ça demande du temps, de l’inspiration. Et l’amour du travail bien fait. Christophe n’est pas bouilleur de cru. Première info : le bouilleur de cru (cf. lexique en fin d’article), c’est celui qui amène ses fruits à distiller. Donc vous et moi. Enfin surtout vous, parce que j’ai pas de jardin. Si vous avez un jardin avec des arbres fruitiers, vous pouvez apporter vos fruits au bouilleur ambulant, qu’on appelle aussi plus simplement le distillateur. On n’a pas actuellement besoin d’être exploitant agricole pour avoir ce droit d’être bouilleur de cru. Il suffit d’avoir une petite récolte, même amateur. On s’imagine souvent que le droit de bouillir se passe de père en fils, mais c’est une légende. Le droit de bouillir se passait souvent dans les campagnes de père en fils, quand ce dernier reprenait l’exploitation familiale. C’est de là que vient le mythe. Mais si t’as du fruit, tu peux y aller. Comme on est France, on ne fait pas n’importe quoi avec l’alcool (ou on le fait croire). Le truc est hyper contrôlé, et hyper taxé. Si on a des fruits, on a le droit de les apporter à un distillateur pour en faire de la gnôle, pour peu qu’on le déclare aux douanes, mais pour sa conso familiale, pas pour le commerce. Et on est exonéré de 50 % sur les taxes pour une quantité maximum de 20 litres d’alcool par an (c’est ce qu’on appelle le privilège). Après, on peut en faire plus, y’a pas de quantité limitée, mais alors, faut payer les taxes plein pot. Et oui, les taxes, le bouilleur de cru et le distillateur en payent. 4,20 euros du litre en moyenne pour le bouilleur, qu’il doit aux douanes (8,40 à partir du 21ème litre, 50 % obligent). Ce régime date de 2003. Avant les années 60, y’avait carrément pas de taxe sur les 20 premiers litres. Une boucherie... Les douaniers passent chez les distillateurs régulièrement, relèvent les cahiers (que le distillateur doit tenir à jour pour chaque étape), les identités des bouilleurs de cru, contrôlent le taux d’alcool... C’est mieux de ne pas déconner avec ça. D’ailleurs, je me permets d’ouvrir une parenthèse : faut pas déconner avec la gnôle, en général. C’est de l’eau de feu. Y’en a qui ont perdu leur âme avec ça… Christophe ne boit pas, ou très peu. Faut bien ça pour ne pas tomber dedans. Et on en a vu des très bien tomber dedans, y’a des

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Avant.

clients qui devenaient aveugles, comme disait l’autre… Pour aller voir le distillateur, le bouilleur doit avoir préparer ses fruits. Bernard, un des clients fidèles de Christophe, prend un soin tout particulier à le faire : « Je prends mes fruits, je les ouvre en deux. Ensuite, j’y ajoute un petit sirop, un peu de sucre et d’eau dans le fond d’un fut, ou d’un bidon (le sirop n’est pas obligatoire selon Christophe. Si les fruits sont bons, ils seront suffisamment sucrés, ndlr), je remue tous les jours et je laisse bouillir (fermenter, ndlr) tranquille. » Au bout d’une paire de mois, ça commence à être bon. Bernard peut les laisser fermenter une bonne année pour les poires, deux pour les prunelles, c’est jamais trop. Il faut aussi apporter ses bouteilles. « En ce moment, je me torche au rosé, faut que je descende des bouteilles pour les avoir pour la goutte ». Mais oui Bernard, faut pas gâcher. « Quand on était petit, on allait chercher les vieux chez le bouilleur du village. Ils nous filaient à boire. Ça va te faire pousser les moustaches qu’ils nous disaient », nous avoue Bernard. « Dans l’ensemble, les gens en font de moins grandes quantités que dans le temps, et la veulent moins alcoolisée qu’avant » précise Christophe. Et oui, les gens se la collent moins. « Y’a encore 30 ans, les gens se faisaient 50 litres pour l’hiver, fallait tenir en bossant dehors... Maintenant, c’est très rare que je fasse plus de 10 ou 12 bouteilles par personne et par an ». Bon, on en connaît qui ont largement plus dans le grenier (parce qu’il paraît que ça se conserve mieux au sec du grenier), mais ça, c’est pas des choses qui se disent aux non-initiés.


Pendant.

« Quand on était petit, on allait chercher les vieux chez le bouilleur du village. Ils nous filaient à boire. Ça va te faire pousser les moustaches qu’ils nous disaient » Bernard, bouilleur de cru, fidèle client de Christophe. Après.

À droite, Christophe.

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Si c’est simple de devenir bouilleur de cru, qu’en est-il pour devenir distillateur ? Là aussi, on entend tout et n’importe quoi : que plus personne ne peut se passer le droit hormis un père à son fils. Mais c’est faux. Bien que Christophe tienne son savoir-faire de son grand-père. Selon Matthieu Frécon, dans son livre L’Alambic, l’art de la distillation - alcools, parfums, médecines, « il faut aller voir les douanes de sa juridiction avec un projet professionnel et une bonne dose de patience. Le projet professionnel est la condition sine qua non (on ne peut pas être distillateur amateur). Vous aurez droit à une petite enquête fiscale et beaucoup de recommandations et de formulaires à tenir à jour ». Mais ça se fait encore tout à fait légalement de nos jours. Désolé pour ceux qui imaginaient des mecs planqués en fond de cave essayant d’échapper aux condés. Bon, les douanes ne sont pas non plus assaillies de demandes, mais si vous cherchez, vous risquez de trouver un bouilleur ambulant pas loin de chez vous. Christophe a reçu deux alambics de son grand-père et en a racheté un autre. Il a commencé sa carrière de distillateur dans les années 80. À l’époque, il est agriculteur en parallèle. Maintenant, il est à la retraite mais l’activité de bouilleur ambulant lui prend la moitié de l’année à (presque) plein temps. Il est artisan. Parfois les distillateurs se regroupent en syndicat, ce qui est rare dans nos coins. On a fait du marc de Bourgogne. Calmons-nous tout de suite, le marc, bien qu’ayant une réputation de produit classieux car issu des vignes du plus beau terroir (surcoté) du monde, est fait comme n’importe quelle gnôle lambda. Il n’est pas doré à l’or fin, ton marc. C’est de la gnôle de raisin, point barre, faut arrêter de faire les snobs. On peut en faire avec tout, même avec des nèfles. Pour peu qu’il y ait un peu de jus. Alors justement, concrètement comment ça se passe une fois que les fruits fermentés par les bouilleurs de cru arrivent chez Christophe ? Ça se passe en deux temps. En deux cuites (on ne dit pas cuisson, d’où l’expression prendre une cuite). D’abord, on fout le fruit fermenté dans l’alambic. Un alambic ? C’est en cuivre et ça se compose de deux cylindres fermés reliés par un tuyau. Pour la première cuite, on cuit le fruit dans un des cylindres (Christophe cuit au bois. Pendant la saison – qui va de la Toussaint à Pâques – il passe un stère par jour, fourni par le client la plupart du temps). La vapeur de la cuisson passe dans l’autre cylindre via le tuyau (cf. photos) et se retransforme en liquide. Alcoolisé. À la fin de la première cuite, on obtient l’eau des anges (ou petite eau), à environ 30°. La première cuite peut prendre jusqu’à 4 heures et demi. Quand la première cuite coule claire avec de fines bulles, comme le champagne, on dit qu’elle épreuve. C’est signe de bonne qualité des fruits, de pureté, c’est ce qui donnera une bonne goutte. « Je travaille au nez, et à l’oreille », nous explique Christophe. « En fonction de l’odeur du fruit fermenté quand il arrive, je sais ce que ça va donner. En fonction du bruit que ça fait en coulant aussi. » Pour la 2ème cuite, qu’on appelle la repasse, on attend le lendemain et on cuit la petite eau dans un autre alambic. Qui nous donnera l’eau de vie, en fin de processus. Plus on cuit longtemps, plus on perd d’alcool. Au début de la repasse, ce qui coule est à presque 80°. Christophe passe son temps à peser la goutte, c’est-à-dire à contrôler le degré d’alcool,

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et à noter les différentes étapes du process sur un cahier pour les douaniers. Quand il est redescendu au degré désiré par le bouilleur de cru, il stoppe la cuite. Et c’est bon. « Faut y faire doucement. Si tu vas trop vite, l’eau de vie prend le goût de l’alambic. Faut pas la bourrer... » Donc je résume : première cuite, on chauffe le fruit. Deuxième cuite, on chauffe le liquide issu de la première cuite. Ça a l’air simple, mais c’est un travail d’orfèvre. Le rendement est à peu près de 10 %. Pour 100 kg de fruits, on va pouvoir faire 10 litres de gnôle à la fin. Ça fluctue un peu en fonction des fruits. Le temps de cuite peut varier aussi un peu en fonction du fruit. Christophe a trois « alambis » (il ne prononce pas le « c » final) qui datent des années 30, qu’il fait réparer par des chaudronniers régulièrement, des objets de collec’, beaux comme des bijoux, mais bien cabossés. Dedans, il distille essentiellement de la prune, mais aussi un peu de poire et, comme aujourd’hui, du raisin pour le vignoble d’à côté. Un marc de Bourgogne à pas piquer des hannetons, un pur produit du terroir. Le vignoble vend ce marc, alors autant te dire qu’ils sont plus contrôlés par la douane qu’un black par la BAC à la tombée de la nuit. On est venu, on a vu, maintenant va falloir vaincre. On a tout suivi comme de bons élèves, maintenant il va falloir goûter... Les risques du métier. En sortie d’alambic, c’est très... bon. Ça sent le fruit, c’est assez doux, ça n’a rien d’une eau de feu. On se ferait piéger facilement, ça n’a pas le goût de ses 50 degrés. Christophe nous tue le mythe en une phrase : « une bonne goutte, pas besoin de la garder 10 ans pour la boire. Si les fruits sont bons et que le distillateur n’est pas mauvais, on peut la boire de suite ». Mais mollo sur le destroy et surtout sur la bagnole. J’en ai bu deux verres, je ne savais déjà plus où j’étais. Du soleil, des fruits, du temps, de l’amour… Et quelques taxes. C’est tout. Santé. // C.W.

Et au milieu coule de l’alcool.


Lexique Bouillir : faire fermenter les fruits. Bouilleur de cru : mec (ou meuf, y’a pas de raison) qui a des fruits et qui va voir un distillateur pour en faire de la gnôle. Bouilleur ambulant (ou distillateur) : mec (ou meuf, y’a pas de raison) qui distille dans ses alambics les fruits fermentés apportés par le bouilleur de cru. C’est un pro. Le privilège : droit à distiller ses fruits. Peser : contrôler le niveau d’alcool pendant la distillation. La cuite : se bourrer la gueule. Désigne également la cuisson produit. Un lien ? La repasse : petit nom de la 2ème cuite. Ça épreuve : ça coule très clair et ça bulle un peu en sortie de première cuite. Signe de pureté. Le péteux : ça, c’est le Bernard qui m’a dit ça au sujet de ses fruits en train de fermenter, mais je suis pas sûr que ça soit une expression consacrée. Bourrer : se prendre un cuite. Désigne également le fait de mettre trop de fruits dans l’alambic pour aller plus vite. Souvent le signe de gnôle ratée. La gnôle : goutte, eau de vie, tord-boyaux, vitriol...


Par Sophie Brignoli, à Besançon Illustrations : Zelou

Les idées de Jenny Une rame du tram, une salle de l’université et une rue portent son nom à Besançon, mais peu de gens connaissent véritablement l’histoire de Jenny P. d’Héricourt, remarquable franc-comtoise du XIXème siècle. Il faut dire que les historiens n’ont pour la plupart retenu que ses passes d’armes avec Proudhon. Pourtant, à la fois docteure en médecine, écrivaine et militante socialiste, elle est l’une des pionnières du féminisme social. Portrait d’une femme moderne et audacieuse, à une époque où, reléguées à leur rôle d’épouse et de mère, elles étaient privées de droits politiques et civils.

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Née en 1809 à Besançon, Jeanne-Marie Poinsard est issue d’une famille luthérienne travaillant dans l’horlogerie. Suite au décès de son père, à l’âge de huit ans, elle part vivre à Paris où elle reçoit une éducation républicaine. C’est en hommage à ce dernier qu’elle adoptera des années plus tard le pseudonyme de Jenny P. d’Héricourt, du nom de son village de naissance, en Haute-Saône. Évoluant dans un milieu bourgeois, elle obtient à dix-huit ans son diplôme d’institutrice et épouse, en 1832, un professeur de langues. Quatre ans après ce mariage, Jeanne-Marie se sépare, mais ne peut divorcer. En effet, rendu possible une première fois en 1792, le divorce a depuis été aboli par Louis XVIII en 1816. Dès lors, elle décide de défendre sa légalisation. Ce

sera son premier cheval de bataille. Lectrice attentive des écrits de Saint-Simon, elle publie son premier roman de critique sociale Le Fils du réprouvé sous le pseudonyme masculin de Félix Lamb (1844). Elle y aborde certains problèmes sociaux de l’époque comme l’illégitimité des enfants, la peine de mort et la question de la réinsertion des prisonniers. Lors de la révolution de février 1848, elle rejoint les insurgés et crée avec d’autres femmes la Société pour l’émancipation des femmes « dans le but de demander leur affranchissement, de les aider à socialiser le travail, d’établir une école pour les ouvriers des deux sexes, et d’influencer les élections », peut-on lire sur le manifeste.

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Cette société se fait le porte-parole du combat des ouvrières à Paris pour leur accession aux ateliers nationaux. La question ouvrière est alors étroitement liée à l’histoire de ce mouvement féministe naissant. Membre du Club des femmes, elle y fréquente Eugénie Niboyet et Jeanne Deroin, les fondatrices des journaux La Voix des Femmes et L’opinion des Femmes. Collaborant à ce dernier en 1849, elle y expose son attachement à l’« indépendance matérielle et morale » des femmes. Travail, instruction, droit de vote et plus largement égalité des droits ; nombreuses et radicales sont les revendications de celles que l’on nomme « les femmes de 1848 ». Hélas, cette courte période de grande liberté d’expression ne dure pas. La répression s’abat. De nombreuses femmes sont emprisonnées, elles ont désormais l’interdiction — comme les enfants — d’être membres d’un club ou d’assister à une réunion publique. Et bien que le gouvernement provisoire établisse le suffrage universel, celui-ci en exclut les femmes, soit 17 millions de Françaises. Pour autant, cette période marque un véritable tournant dans le combat pour l’égalité des sexes. Pour la première fois dans l’histoire, elles se sont rassemblées pour passer à l’action. Suite au coup d’état de LouisNapoléon Bonaparte en 1852, Jenny reprend ses études,

obtient son diplôme de sage-femme et travaille comme gynécologue et pédiatre dans les années 1850. Passionnée de sciences, elle suit des cours privés et étudie, en autodidacte, l’anatomie, la physiologie, l’histoire naturelle et revendique le droit des femmes à devenir médecin. En parallèle, elle côtoie également le salon philosophique et libre penseur de Charles Fauvety à Paris. Créateur de la Revue Philosophique et Religieuse, il va donner à Jenny l’opportunité de s’exprimer dans ses colonnes. Excédée par les propos misogynes de Pierre-Joseph Proudhon, penseur qu’elle admire par ailleurs, elle se lance dans une critique dans l’article, paru en 1856, M. Proudhon et la question des femmes. Se basant sur ses connaissances physiologiques et philosophiques, Jenny d’Héricourt met en place un argumentaire solide et démonte méthodiquement chacune de ses affirmations sexistes.

« Vous affirmez que

la différence de sexe met entre l’homme et la femme une séparation de même nature que celle que la différence des races met entre les animaux. Alors prouvez : que la race n’est pas essentiellement formée de deux sexes. Que l’homme et la femme peuvent se reproduire séparément. Que leur produit est un métis ou un mulet. Qu’il y a entre eux des caractères dissemblables en dehors de la sexualité. Et si vous vous tirez à votre gloire de ce magnifique tour de force, vous aurez encore à prouver que la différence de race correspond à une différence de droit... »

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Piqué au vif, Proudhon ne manque pas de lui répondre, dans cette même revue, de manière brutale : « Vous m’avez interpelé, Madame, avec une brusquerie toute franc-comtoise... ». Il écrit même : « Il y a chez vous, au cerveau comme dans le ventre, certain organe incapable par lui-même de vaincre son inertie native et que l’esprit mâle est seul capable de faire fonctionner, ce à quoi il ne réussit même pas toujours », réduisant son opposante à sa condition de femme, inférieure intellectuellement et donc incapable de débattre avec lui. Michel Antony, historien franc-comtois spécialiste des utopistes du XIXème siècle reconnaît que « Proudhon est indéfendable tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, son caricatural antiféminisme, maintes fois répété, est une faiblesse énorme pour un penseur qui a lutté avec de si belles et puissantes convictions contre toutes les dominations. Sur la forme, son refus de considérer Jenny comme son égale ou un pair est une honte indélébile. » Mais bien qu’elle n’ait pas réussi à faire évoluer Proudhon sur la question des femmes (dans La Pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, il écrira plus tard « La femme ne hait point d’être un peu violentée, voire même violée »), elle est arrivée à faire entendre sa voix, à s’imposer dans le débat, et ce, bien au delà des frontières. Ses différents écrits sont publiés à travers l’Europe, à Genève, à Londres, en Allemagne, en Russie et en Italie. Elle publie, en 1860, son œuvre majeure La femme affranchie : réponse à MM. Michelet, Proudhon, É. de Girardin, A. Comte et autres novateurs modernes dans laquelle elle réfute leur vision d’une femme physiquement et intellectuellement inférieure. Dans le deuxième volume, elle propose des réformes très concrètes devant conduire à l’émancipation des femmes telles que la création d’un institut polytechnique pour la formation des institutrices ou la création d’un journal défendant les intérêts de la femme. L’ouvrage est traduit en anglais et publié aux EtatsUnis en 1864, Jenny part alors s’installer à Chicago. Après sa rencontre avec Elizabeth Cady Stanton et Susan B. Anthony, fondatrices du National Woman Suffrage Association, elle s’emploie à resserrer les liens entres les féministes des deux continents. Continuant d’écrire pour la presse étrangère, elle est invitée à prononcer un discours en français lors du congrès de l’American Equal Rights Association

«

Proudhon est indéfendable tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, son caricatural antiféminisme maintes fois répété est une faiblesse énorme. Sur la forme, son refus de considérer Jenny comme son égale est une honte indélébile »

Michel Antony, historien

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Elle laisse derrière elle un ouvrage colossal qui a exercé une influence décisive sur la pensée féministe du XXIèmesiècle. où elle propose la création d’une ligue internationale des femmes. De retour en France en 1872, elle reste très active dans le cercle formé autour de Léon Richer, journaliste et féministe de la première heure, jusqu’à sa mort en 1875. Elle laisse derrière elle un ouvrage colossal qui a exercé une influence décisive sur la pensée féministe du XIXème siècle. Mais, pour la sociologue Caroline Arni, ses contributions notables en matière de sociologie ont été ignorées. « Lorsqu’on analyse le discours social et théorique du XIXème siècle dans toute son envergure comme précurseur de la sociologie moderne, il s’ensuit qu’un Comte devient le ‘père fondateur’ et qu’un Proudhon est lui aussi classé parmi les sociologues. On cherchera en vain le nom de Jenny d’Héricourt dans cette pré-histoire de la sociologie ». Ironie du sort, alors que Jenny a dédié sa vie à la lutte contre ce qu’elle appelait l’« annihilation de la femme », elle a vu son histoire comme bien d’autres artistes, écrivaines, scientifiques, résistantes se faire escamoter.

Aujourd’hui encore, les travaux relatant son courageux parcours restent rares et sont, pour la plupart, le fruit du travail de chercheuses ! La question de la représentation des femmes dans la société alimente quant à elle, toujours le débat. Une étude sur les manuels de français menée en 2013 par le Centre Hubertine Auclert montre que « les femmes auteures (3,7%) et artistes (6,7%) sont très peu citées par rapport à leurs homologues masculins (96,3% et 93,3%). Le plus frappant est le très faible nombre d’occurrences de femmes philosophes (0,7%) ». Déjà dans les années 80, les travaux de l’historienne Margaret Rossiter démontraient sous le nom d’Effet Matilda le fait que les contributions des femmes scientifiques à la recherche faisaient l’objet d’un déni ou d’une minimisation « récurrente sinon systémique ». Jenny d’Héricourt était convaincue que l’émancipation de la femme passait par l’éducation. Plus d’un siècle après, son constat est toujours criant de vérité. Cette éducation doit aussi mettre en lumière l’histoire de ces femmes oubliées. Elle doit les faire rentrer dans les manuels scolaires et dans nos mœurs pour que les modèles féminins puissent enfin enrayer le phénomène endémique de sous-représentation des femmes. Que ce soit en politique, dans les domaines techniques et artistiques, et dans les médias, à commencer par la rédaction de Sparse. // S.B.

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11/02/2019 19:30


Par Erika Lamy, Ã Montceau-les-Mines Photos : Thomas Lamy

UNITED COLORS OF PIERRE CORBI 30


Philippe Katerine voulait « faire un film avec des handicapés » ? Pierre Corbi, lui, fait de la musique avec eux. La culture pour tous, il y croit. Une succession de petits et de grands pas. Sa part à lui, la pédagogie. Portrait d’un convaincu.


valide ne sait «pasLeêtre libre.

L’improvisation au début c’est angoissant. On veut reproduire ce que l’on a appris, on se juge. Les handicapés mentaux eux n’ont pas de filtre. Ils sont ouverts à tout ce que tu proposes et se lancent » Pierre Corbi, musicien

24 Par contre, si t’es daltonien, c’est la merde !

C’est jeudi, le jour J. Le groupe arrive au Conservatoire, s’installe, prend ses repères. Ils sont habitués maintenant, les 8 du centre d’accueil de jour des Papillons Blancs. Ils viennent ici chaque jeudi s’initier à la musique avec Pierre Corbi. Ils se placent en cercle. Chacun a son instrument, des tambours notamment. Le premier contact est important. La découverte passe par l’ouïe certes, mais aussi par le toucher. Pierre donne une instruction. L’un doit taper une fois, l’autre deux. Ils se trompent. Pierre reprend, patiemment, explique l’erreur et les élèves recommencent. Depuis 2 ans et demi maintenant Pierre Corbi et les handicapés mentaux des Papillons Blancs à Montceau-les-Mines avancent ensemble dans cet apprentissage particulier de la musique. Eux, les atypiques, lui l’explorateur. Avec un parcours classique d’études des percussions en conservatoire, rien ne le prédestinait, à priori, à se tourner vers le public handicapé. Sa vocation de pédagogue, sa quête permanente de nouvelles expériences et ses convictions fortes ont changé la donne. Pierre Corbi combine, et a toujours combiné, création et enseignement. Après avoir terminé sa formation, il passe les diplômes d’enseignement artistique requis et les concours de la fonction publique. Il n’abandonne pas pour autant ses productions personnelles et la vie artistique. Une vie qui se construit de rencontre en rencontre, de projet en projet. Pierre Corbi prend tout, ose tout. Qu’importe si le registre est le sien ou pas, si la pratique lui est familière ou non. Si le projet artistique le tente, il se lance. Une rencontre avec Frank Tortiller, référence du jazz à Couches, le conduit vers le jazz. Une autre avec un maître à danser l’amène aux musiques traditionnelles. Il pratique un temps le chant diaphonique issu de la culture mongole. À Lyon, il intègre


Pas dans le bon sens, Pierre...

la Divine Proportion pour un spectacle combinant musique de Bach et musique traditionnelle grecque et crétoise, avec danse tribale fusion influence Bollywood… Sa rencontre avec Will Menter marque sa pratique et le sensibilise à la musique improvisée. « Je me suis adapté à Will, à son approche. C’était une découverte totale. Will a une pratique très contemporaine. Il travaille avec toutes sortes de matériaux : bois, argile, eau. Ça a nourri ma démarche. Quand je fais de la percussion, je pense à toutes les choses inattendues que je pourrais utiliser. » Pierre Corbi s’imprègne de toutes ses expériences et forge son propre style, un métissage. Il devient un hommeorchestre, musicien – enseignant, compositeur – arrangeur, pédagogue-interprète. « Je change de crèmerie tout le temps. J’aime la diversité. Je ne suis pas instable, j’aime marcher au projet ». Il va d’un style à l’autre, sans se demander s’il en a les compétences. « J’ai fait des tas de trucs, même les plus barrés alors quand on me propose un projet, je ne me demande pas si je connais, j’y vais. Il y aura de toute façon quelque chose que j’aurai déjà touché. » D’un registre à l’autre, d’un projet à l’autre, Pierre Corbi papillonne. Un papillonneur chez les Papillons Blancs, la connexion devait avoir lieu, forcément. Il les a rencontrés en 2016 à l’occasion du Printemps des Handicaps, moment d’échange entre institutions culturelles et associations liées au handicap. Une rencontre comme une évidence.

« Dans les conservatoires, on ne va pas vers ces publicslà. Par peur de ne pas savoir s’y prendre certainement. C’est un risque qui n’en est pas un en réalité. Ils sont tellement enthousiastes. Les rencontrer, ça m’a donné envie d’apprendre, d’aller vers ce public différent ». Il propose un projet d’atelier au Conservatoire de Montceau-les-Mines où il enseigne. La direction, enthousiaste, le suit. Le voilà lancé dans une nouvelle aventure. Chaque semaine un groupe de 8 adultes des Papillons Blancs se rend au conservatoire pour pratiquer la musique. « Aller au conservatoire c’est déjà une démarche en soi. Il faut que les participants changent de lieux, s’adaptent à un nouvel espace. On les sort de leur environnement sécurisant. Pour eux ce n’est pas rien ». Il n’existe pas de méthode préétablie, ISO est validée alors il crée la sienne. Son ambition : enseigner la musique dans toutes ses composantes, avec ses codes et sa structure. Vaste chantier. Il ne s’agit pas seulement d’une approche sensorielle, de pur plaisir, mais de transmettre des règles. Ici plusieurs contraintes. La transmission ne peut passer par l’écrit ou des formes d’écriture. Exit le solfège, les portées ; place à l’oralité ou à un graphisme épuré. Le message doit être simple et direct. Par ailleurs, les participants n’ont pas tous le même handicap. Il faut donc une méthode qui puisse convenir à tous, sans pour autant niveler par le bas. « Un trisomique, par exemple, peut avoir des gestes très précis ». Le personnel des Papillons blancs le guide dans ses propositions et une éducatrice personnalisée participe à

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Pas mal, ton Bontempi.

chaque séance. La méthode se construit et s’affine dans l’échange, puis se confronte à la pratique. étant percussionniste, Pierre Corbi développe une méthode avec des percussions. Il débute par une technique à base de chiffres. À chaque lame d’un xylophone est associé un numéro. Avec ses doigts, il indique le numéro sur lequel il faut taper. Échec. Les participants ne font pas le lien entre les chiffres représentés avec les doigts et le numéro écrit. « Passer des doigts aux chiffres, c’est nos repères à nous. Ça demande de conceptualiser. Les trisomiques y parviennent, d’autres non. Là tu te dis, merde, ça marche pas. Pas grave ». Il revoit sa copie et tente les codes couleur. Sur certaines lames du clavier, une couleur. Attention, pas sur toutes. Il ne faut jouer que les lames colorées. Les participants et l’intervenant se mettent en cercle, se regardent. La communication passe par la présence, le corps et le non verbal. Puis, Pierre chef d’orchestre pose une couleur sur un clavier. C’est un bleu, la personne doit jouer le bleu. Il se tourne vers un autre participant et pose un rouge. Il faut jouer le rouge. De clavier en clavier, il se déplace, dépose ses cartons colorés, va de l’un à l’autre, tente une composition collective où chacun joue ses notes. Il ajoute aussi d’autres indications, à base de flèches. Du grave à l’aigu, de l’aigu au grave, il faut suivre le sens de la flèche ou jouer plus ou moins fort. Pierre choisit ses cartons, les pose, les reprend, les change. Aucun atelier ne se déroule de la même façon. Il faut savoir sentir le moment, le groupe et s’adapter. Ce qui fonctionne une fois ne fonctionnera peut-être pas la fois suivante. « Je prépare les ateliers, je prévois des outils en amont mais le résultat se voit en direct. C’est une musique de l’instant, on ne peut pas anticiper. Il faut y aller plein pot, sans hésiter ». Les participants s’impliquent et interagissent. Le groupe se consolide. « Ils se font des remarques entre eux, se donnent des conseils et parfois même s’agacent quand l’un d’entre eux a du mal. Au final on rigole toujours ». Il faut savoir progresser avec les personnalités et les handicaps variés, en construisant une unité. Le collectif prend tout son sens. Au-delà des codes, Pierre cherche aussi à transmettre l’apprentissage de la liberté. À partir d’une trame, chacun peut improviser. Là, les handicapés marquent un point sur les élèves classiques. « Le valide ne sait pas être libre. L’improvisation au début c’est angoissant. On veut reproduire ce que l’on a appris, on se juge. Les handicapés mentaux eux n’ont pas de filtre. Ils sont ouverts à tout ce que tu proposes et se lancent ». L’improvisation, la liberté, ils aiment. « C’est un bonheur de travailler avec ce public. En plus, à chaque séance, on rigole ». La méthode va continuer d’évoluer et Pierre de chercher. Il va varier les publics, ce qu’il a déjà commencé avec un groupe d’enfants autistes de Saint-Vallier. Il pense aussi à adapter les instruments aux handicapés mentaux. Les simplifier pour rendre le geste clair, direct. Ne garder que 2 cordes à une guitare, réduire le nombre de lames d’un clavier à percussions. Avis aux luthiers et artisans facteurs… Il aimerait surtout partager son expérience. Comme formateur, oui et non. Il ne compte pas enseigner sa méthode mais la voir faire des petits.

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«

Aller au conservatoire c’est déjà une démarche en soi. Il faut que les participants changent de lieux, s’adaptent à un nouvel espace. On les sort de leur environnement sécurisant. Pour eux ce n’est pas rien »

« J’espère que d’autres professeurs auront envie d’essayer la même chose. Pas forcément avec des percussions, ce n’est pas l’instrument qui compte. Il faut se nourrir du principe. On se fout du picto, de la couleur, il faut chercher ». Une méthode Pierre Corbi ? « Ah non, ce n’est pas du tout l’idée ! Il ne faut surtout pas figer les choses ! » Ne pas rester campé sur ses acquis, oser. Sortir de la position de

l’enseignant – sachant. Le renouvèlement permanent, là se trouve le secret. Un secret qui a déjà transformé sa manière d’enseigner et influencé sa pédagogie, au-delà des Papillons Blancs. « Avec les handicapés, je suis en permanence à l’écoute des participants, je vois comment ils réagissent, je m’adapte. Ça oblige à renouveler ma façon de faire. Ce n’est pas une performance pédagogique. Il ne faut pas être LE super prof. C’est un bon message pour nous, professeurs de conservatoire. Nous avons la réputation d’être durs, rigoureux, pour faire progresser l’élève. On projette notre image sur lui. Son succès dépend de notre rigueur. Il faut balayer tout ça. Cette expérience, ça permet surtout d’arrêter les jugements ». Pierre envisage de transférer sa recherche auprès de publics classiques, notamment dyslexiques. Il souhaite ouvrir les conservatoires. « Les conservatoires sont perçus comme des lieux fermés. Se tourner vers des publics en situation de handicaps, tous handicaps confondus, marque un signe d’ouverture. Il faut les faire venir au conservatoire suivre un cours, assister à une représentation. Nos bâtiments sont tous homologués mais on compte les handicapés physiques sur les doigts d’une main, et encore. Il faut que l’on poursuivre l’expérience, qu’elle se développe, que l’on communique auprès des professionnels de santé pour que ça se sache ». Pierre Corbi voit loin. Ses petits pas deviendront grands. Il sème ses cailloux sur la voie de la démocratisation des conservatoires et, au-delà, de la culture. Sans dogmatisme, juste une volonté farouche de faire de la culture un véritable vecteur de lien social. Rendez-vous dans quelques années quand la mixité sera devenue un fait. Une utopie, vous croyez ? // E.L. Pierre Corbi, la méthode ‘coup de poing’.

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À SEC 36


Cause directe du réchauffement climatique, failles mystérieuses... À défaut d’eau, le Doubs a fait couler beaucoup d’encre en 2018. Souviens-toi, de juillet à novembre, le Doubs s’est complètement asséché sur près de 14 km. Devenu un véritable objet de curiosité, des milliers de visiteurs sont venus constater l’ampleur du phénomène. Et il est vrai que le spectacle était impressionnant. Prémice de fin du monde ? Événement exceptionnel ? On essaie d’éclaircir le phénomène grâce aux lumières de Vincent Bichet, géologue et chercheur au laboratoire Chrono-environnement de Besançon, référence en la matière. Par Delphine Fresard, à Besançon Photos : Raphaël Helle

Et au milieu ne coule plus une rivière.

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D

e quoi satisfaire les plus Claude Allègre -s’il en reste- d’entre nous : non, cette sécheresse de 2018 n’est pas liée, uniquement, au réchauffement climatique. Alors, par contre, on t’arrête tout de suite espèce de petit climatosceptique : réchauffement climatique il y a. C’est irréfutable. Vincent Bichet précise d’ailleurs que « l’année 2018 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis que les relevés des températures existent. D’ailleurs, les 20 années les plus chaudes se situent dans les 22 dernières années. On bat des records absolus ». Ambiance. Cette sécheresse s’inscrit dans la tendance du réchauffement climatique, certes, mais elle reste dans la variabilité météorologique des siècles passés. On a déjà connu ça en 1906 avec une sécheresse encore plus spectaculaire ! 1906 et 2018 sont des étiages (des baisses périodiques des eaux) qu’on dit de retour « centennal ». Une probabilité donc de revenir une fois par 100 ans. Rare, donc, mais pas exceptionnel. Par contre, là où ça commencera à sentir clairement le roussi, c’est si ce phénomène se répète prochainement. Dans ce cas, on pourra clairement incriminer le réchauffement climatique... et donc nous, les hommes.

Mais alors Jamy, il s’est passé quoi clairement ? En fait, Fred, l’origine du mécanisme est plutôt simple : en 2018, on a enregistré un déficit de précipitations qui a commencé très tôt, à partir de février. Une succession de mois dit « déficitaires » en eau donc, sur fond d’année particulièrement chaude. La logique est imparable : l’eau baisse dans les rivières et la végétation consomme le peu de pluie qui tombe. Second problème : la particularité du sous-sol du massif jurassien constitué par le karst (et si tu ne sais pas ce qu’est le karst on te renvoie à tes cours de SVT du collège). Et c’est là qu’entre en scène cette fameuse histoire de « failles », dont on a pas mal entendu parler. En fait, on le sait depuis très longtemps : le Doubs est absorbé par la Loue, la rivière voisine. Cela a été confirmé en 1901 à l’occasion d’une anecdote pas banale : en août 1901, à la suite d’un incendie dû à la foudre dans la distillerie Pernod à Pontarlier, les pompiers, craignant que les flammes ne gagnent les cuves remplies d’alcool et d’absinthe, vidèrent près d’un million de litres de breuvage dans le Doubs. Quelques jours après, le hasard voulut qu’un certain André Berthelot, historien et homme politique, se promenât aux bords de la Loue… Rapidement, il sentit et vit que l’eau était diluée avec de l’absinthe. Banco : ce premier traçage peu conventionnel « à l’absinthe » va matérialiser le fait que le Doubs perd de l’eau au profit de la Loue.

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À la pêche aux moules.

« Il faudra surtout réviser notre relation à la ressource en eau et trouver des voies d’adaptation » Vincent Bichet, géologue 39


Ah bah t’as bien fait d’amener ta canne à pêche Jéjé.

En 1910, Édouard Martel, père de la spéléologie moderne et Eugène Fournier, professeur de géologie à l’université de Besançon, démontrèrent de façon scientifique l’existence de connexions entre le cours du Doubs et celui de la Loue grâce à un colorant vert, la fluorescéine... Quelques jours plus tard, la source de la Loue se teintait, effectivement, de la fameuse couleur jaune/verte de la substance ! L’équation est simple : peu de pluie + grosse chaleur + spécificité du sous-sol = sécheresse.

Alors pourquoi on en a fait tout un flan de cette histoire ? « Au-delà du phénomène naturel qui est tout de même impressionnant et rare, l’analyse du phénomène d’un point de vue sociologique est également très intéressant » note Vincent Bichet. Lors de la grosse sécheresse de 1906, la population a vu passer l’événement avec étonnement et curiosité

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mais sans s’émouvoir. Bon, on est d’accord : le fait est que d’un point de vue démographique, nous étions beaucoup moins nombreux sur cette bonne vieille planète Terre et que la menace climatique ne planait pas encore sur nos têtes. La sécheresse de 2018 percute nos esprits avec plus de brutalité car elle matérialise la crise environnementale à laquelle nous sommes confrontés. Mais la façon dont nous avons vécu ce phénomène a aussi le mérite de nous interroger sur notre rapport à la nature. À une époque où nous somme si éloignés de la mère Terre, elle n’a, a contrario, jamais autant constitué un référentiel aussi fort. En d’autres termes, la nature doit ressembler à ce qu’on voudrait qu’elle soit : des plantes, de l’eau, de la biodiversité... accentués notamment avec le développement des loisirs d’extérieur et le tourisme. Ce Doubs façon 2018, défiguré, asséché, sans poisson, est vu quelque part comme une « déviance » de la nature. Ce phénomène interroge également notre mode de


Pas le meilleur moment pour imerger un cadavre.

consommation. L’eau n’est pas censée être rare en France, on ne l’économise pas, d’autant qu’elle est « gratuite ». Cela a coûté très cher aux 35 communes impactées par la sècheresse pour approvisionner leurs réservoirs via des camions-citernes, mais le consommateur, lui, n’a pas eu besoin de mettre la main au portefeuille. De plus, aucune baisse de débit ou coupure d’eau n’a eu lieu, aussi, pourquoi faire des efforts ? Selon Vincent Bichet, « il y a eu un arrêté préfectoral mais cela concernait des restrictions mineures pour les stations de lavage de véhicules, l’arrosage des espaces verts… Mais étant moi-même domicilié dans une commune du Haut-Doubs impactée par cette sécheresse, je peux vous dire que peu d’efforts ont été fournis par la population pour abaisser la consommation domestique ». De plus, il est intéressant de souligner que, grâce à quelques gros orages ponctuels durant l’été, le Haut-Doubs est resté plutôt vert et les agriculteurs ont pu faire un foin de bonne qualité. Contrairement au reste de la France, les champs du

Haut-Doubs n’étaient donc pas grillés. Ce contexte relativement contradictoire qui a fait un peu « écran de fumée » n’a peut-être pas permis de générer l’électrochoc suffisant dans l’esprit des habitants... La couverture du phénomène dans les médias est également très intéressante à observer. En effet, si l’on compare avec certains articles parus en 1962 à l’occasion d’une sécheresse qui a touché le HautDoubs (pas comme celle de 1906 ni comme celle de 2018, mais importante quand même), on constate clairement que le traitement de l’information n’est pas le même. Pour Vincent Bichet, « il y avait une analyse pragmatique voire scientifique du sujet à l’époque que j’ai été surpris de ne pas retrouver dans les médias qui ont traité cette affaire l’année dernière ». En effet, on le sait, les médias on très clairement adopté, depuis un moment, la culture du buzz. Aussi, cette sécheresse 2018 a été largement traitée selon deux grands angles : le réchauffement climatique ou les failles mystérieuses. La culture

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J’comprends pas, il avance pas ton bateau.

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Le Gange.

Cela a coûté très cher aux 35 communes impactées par la sècheresse pour approvisionner leurs réservoirs via des camions-citernes, mais le consommateur, lui, n’a pas eu besoin de mettre la main au portefeuille. 44


de la peur ou la mystification. Pour Vincent Bichet, « concernant l’affaire des failles mystérieuses, tout le monde se demandait pourquoi, si le Doubs perdait de l’eau au profit de la Loue, on ne la retrouvait pas de l’autre côté ! C’est ignorer que les temps de transit en situation d’étiage sont longs et que le système est inertiel. Ce n’est pas un robinet et un simple tuyau ! Et puis, la Loue n’est pas alimentée que par les pertes du Doubs. Durant la sécheresse, ce sont tous les hydrosystèmes qui ont été impactés à la baisse. Il est difficile de percevoir la contribution du Doubs à la source de la Loue. Le discours s’est éloigné de la science. On a pu lire que les pertes n’allaient plus à la Loue ou que les eaux alimentaient un vaste lac souterrain ! Il est vrai que, de tout temps, les eaux souterraines ont toujours alimenté les fantasmes. L’hydrogéologie est une science complexe et les gens ont des représentations souvent biaisées de la réalité des circulations souterraines ». Concernant le créneau du dérèglement climatique, il est beaucoup moins dérangeant, « les gens ont trouvé à mettre quelque chose en face du réchauffement de la planète. Ce n’est plus que le problème des ours polaires ou des océans qui montent, ça y est, ça vient à nous… J’avoue que je n’ai pas été trop dérangé de ce résumé un peu direct… Si cela pouvait un peu sensibiliser la population au réchauffement climatique et générer des prises de conscience, ce n’est pas plus mal », souligne Vincent Bichet.

Et la suite maintenant ? Du côté des politiques locales, un Établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau (EPAGE) qui regroupera les syndicats mixtes qui travaillent sur les bassins versants de la Loue et du Doubs va être créé afin de mobiliser des moyens mais surtout d’avoir une vision moins fragmentée et plus cohérente des ressources en eau. « Mais nous avons déjà connu des syndicats mixtes, des SAGE, des SDAGE, des EPTB et autres établissements publics... Alors un EPAGE, pourquoi pas ! Cela ne réglera ni la question de la capture inéluctable du Doubs par la Loue et encore moins la perspective de crises climatiques plus fréquentes! » poursuit Vincent Bichet. Nous sommes engagés vers un avenir où les situations climatiques perturbées engendreront probablement des sécheresses estivales plus fréquentes. De plus, le contexte karstique amplifie les crises. « Nous n’aurons pas de moyens techniques magiques à mobiliser ! On remettra un peu d’eau dans les tourbières, on bouchera une perte ou deux, à la marge du problème... Il faudra surtout réviser notre relation à la ressource en eau et trouver des voies d’adaptation. » Consommer moins, recycler plus, collecter et utiliser les eaux pluviales, accompagner la mutation des hydrosystèmes et traiter mieux nos eaux usées... Beau challenge ! // D.F.

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Le baron

Par Martial Ratel, à Dijon Illustrations : Michael Sallit

F

rançois Patriat est le nouveau duc de Bourgogne et de Franche-Comté. Plus précisément, il est de nouveau un des personnages politiques les plus influents, il a même acquis un nouveau titre, celui de baron de la Macronie. Patron des sénateurs La République En Marche, il a été précédemment ministre de l’Agriculture dans un gouvernement Jospin, après avoir été son monsieur chasse et avoir ainsi travaillé les réseaux ruraux. Il a surtout dirigé la région Bourgogne de 2004 à 2015, sous l’étiquette Parti socialiste. Tout ça c’était avant, c’était dans l’ancien monde. En Macronie, il est membre à tout jamais des « premiers », pas de cordée, mais de pèlerinage. Lors d’une rencontre, en 2015, il tombe sous le charme de « l’homme visionnaire » Emmanuel Macron. Il est François le téméraire, affrontant les quolibets et les sarcasmes de ses anciens camarades. En rupture avec le PS, il fait campagne avec EM, jusqu’à la victoire, à laquelle il a cru avant les autres. Depuis, il a été miraculé d’un terrible accident sur l’autoroute un soir de 2016. La baraka. Pleine confiance. Alors il aide le président, le conseille et le soutien vaille que vaille, droit dans ses bottes (de chasseur). Durant l’interview, pas un seul moment de doute, de remise en question du président. À deux doigts de l’adoration quand il évoque « son Anquetil », lui le fan de cyclisme. Sera-t-il le Jacques Lang, le thuriféraire de l’œuvre d’Emmanuel Macron ? Il en prend le chemin. En ça, il rappelle tous les lieutenants de François Hollande et Nicolas Sarkozy qui défilaient sur les plateaux TV, tressant des louanges à leurs chefs et expliquant que les Français

n’avaient pas compris, mais que demain ça ira mieux. En ça, il est très... ancien monde. Professionnel de la politique depuis les années 1970, il aime incarner auprès de son champion la ruralité. Normal, il a grandi dans les collines verdoyantes de l’Auxois, à l’ouest de la Côte-d’Or, au milieu d’une famille nombreuse. Il est vétérinaire. Toujours sur ce bout de territoire à 50 km de Dijon, il est élu maire puis conseiller départemental et régional. Il laisse sa place à la tête de la région en 2015 à la jurassienne Marie-Guite Dufay. Pour la première fois dans une interview, il l’égratigne, lui tend la main autant qu’il lui lance un ultimatum. L’autre culte de François Patriat, après celui élevé à Emmanuel Macron, c’est celui de Diane chasseresse. En 1999, Lionel Jospin, en conflit avec les chasseurs, le mandate. Il devient le « Monsieur chasse ». Son rôle : aplanir les oppositions, amadouer les chasseurs. La chasse, c’est son truc. Il peut causer longtemps du calibre de la balle qui envoie au tapis un gros sanglier. Pour Jospin, la campagne présidentielle se prépare déjà en calmant la campagne de la vènerie. Il s’en souviendra pour son nouveau poulain. Il devient François le rural, l’homme sûr, l’homme de l’angle mort des techno 2.0 de la Macronie. Entre une perdrix et un colvert, pour Jospin, il a fait copain-copain avec Thierry Coste, un lobbyiste patenté, « Machiavel de la ruralité », ultra défenseur de la chasse. Pour Emmanuel Macron, François Patriat offre alors sur un plateau doré ce lobbyiste sulfureux (défendant les pro-armes français, proche des intérêts de Poutine ou travaillant pour le Tchad, le Gabon, la Turquie ou EDF), ce qui poussera Emmanuel Macron à réouvrir les chasses présidentielles de Chambord et à brosser dans le sens du poil les porteurs de gibecières. Une rencontre qui aura plus tard de lourdes conséquences...

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Le bilan Après 2 ans de pouvoir, quelle est la mesure à défendre ? Celles qui visent à lutter contre le chômage et qui font en sorte que le travail paye. Il faut qu’il y ait une différence entre ceux qui sont malheureusement sans emploi, et qui bénéficient d’allocations légitimes, et ceux qui travaillent, pour inciter les gens à reprendre de l’activité, retrouver de la dignité et ainsi créer de la richesse. Mais il y a tellement de mesures qui ont été prises et dont les Français parlent peu. À l’inverse, l’erreur, la mesure qu’il n’aurait pas fallu prendre ou qu’il aurait fallu retarder ? A priori, depuis deux ans on fait ce qu’on a dit ! C’est le message du président qui a une vision claire de la société française ! La société stagne, malheureusement, parce qu’il n’y a pas assez de formations, parce que nos financements sont inadaptés, parce que la France perd de l’attractivité et, par la même, moins de richesses sont créées. Il faut changer de paradigme. Ce que les Français ont du mal à comprendre aujourd’hui, c’est que nous sommes passés d’une politique de la demande à une politique de l’offre. D’où les phrases que l’on reproche parfois au président comme « le pognon de dingue ». Il ne dit pas qu’on dépense trop d’argent. Il dit : « beaucoup d’argent, sans résultat ». On met 800 milliards par an dans le social et malgré tout on continue à produire du chômage, de la dette et du déficit. Donc, on doit dépenser cet argent, voire plus, mais mieux, pour que les Français en ressentent le bénéfice aujourd’hui. Donc pas d’erreur, « on applique le programme et rien que le programme » dites-vous. Ça ressemble au « péché originel » : après avoir recueilli 25 % au premier tour, Emmanuel Macron se retrouve face à Marine Le Pen. Au second tour, votre candidat a rassemblé au-delà de ces 25 % sans en tenir compte ensuite. Un peu à l’image de

Jacques Chirac en 2002. Un second tour face à l’extrême droite n’est pas une situation normale, c’est une situation exceptionnelle dans la République française. Je trouve absurde et injuste ce procès en illégitimité, il est le fait de l’élection présidentielle. François Mitterrand a été élu avec 25 % au premier tour ! C’est comme ça. Emmanuel Macron l’aurait emporté contre qui que ce soit face à lui au second tour. Le rassemblement, je pense qu’on va le faire aux élections européennes. C’est là qu’on va élargir le programme et la méthode d’action. Elle est peut-être ici l’erreur : la méthode, la démarche, mais pas le cap. Il faut que les Français retrouvent le chemin de l’ambition, et le chemin de l’ambition, ce n’est pas des cadeaux tous les jours. Ce chemin passe par des sacrifices. Je pense qu’il faut que notre pays fasse encore des sacrifices pour qu’il soit attractif, retrouve de la compétitivité, puisse avoir de la marge demain, puisse exporter et créer de l’emploi. On évoque un référendum qui accompagnerait les élections européennes. Vous en pensez quoi ? Dès le mois de décembre, j’ai proposé cette solution au chef de l’État. Il choisira la meilleure à l’issue du grand débat fin mars. Je pense qu’il faudrait faire un référendum sur des questions institutionnelles, sur un RIC encadré par exemple. Êtes-vous d‘accord pour le vote obligatoire ? Êtes-vous d’accord pour que le vote blanc soit reconnu ? Êtes-vous d’accord pour qu’il y ait une part de proportionnelle ? Après, faut-il y ajouter des questions sur l’ISF ou le 80 km/h ? Cela marquerait un grand recul, que j’ai trop connu dans le quinquennat précédent. Sur ces dossiers, il faut laisser le temps de l’évaluation et de l’expérimentation.

Dis tonton, c’est quoi la gauche ? Vous avez quitté en 2017 le PS, après 43 ans de militantisme, pour rejoindre En Marche !. Est-ce que vous êtes encore de gauche ? Est-ce que ça a encore un sens d’être de gauche pour vous ? Je me sens plus que jamais de gauche. Ça ne veut pas dire que je serais devenu insensible à la misère sociale. Pour moi, être de gauche, c’est combattre pour la justice fiscale, la justice sociale mais surtout pour le travail et les réformes. Quand je me suis décidé à suivre Emmanuel Macron, il y a 3 ans, j’avais perçu que c’était un vrai visionnaire qui avait

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compris que ce pays était en train de s’effondrer à travers ses structures et ses partis politiques classiques. Quand je l’ai rejoint, il était dans un gouvernement de gauche... Pour moi, la gauche, c’est la réforme qui va dans le bon sens : l’égalité, la justice. Est-ce que aimer l’entreprise et l’emploi, c’est ne pas être de gauche ? La gauche aime l’entreprise. Ça tire quand même plutôt à droite au gouvernement... Non ! Ce n’est pas vrai ! Ça fait partie des schémas classiques


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qu’a voulu mettre en place l’opposition. Aujourd’hui, l’opposition ne rêve que d’une chose : par rancune (il le répète), effacer l’élection d’Emmanuel Macron, soit pour provoquer une crise de régime, chez les extrêmes, soit une alternance qui permettrait aux vieux partis classiques qui ont fait la preuve de leur inefficacité de revenir au pouvoir. Cette inefficacité, je suis bien placé pour le savoir, j’en ai fait partie. Le Parti socialiste n’a pas produit une proposition, pas une idée depuis 15 ans ! François Hollande est arrivé au pouvoir sans une idée ! Alors, pourquoi êtes-vous resté si longtemps à leurs côtés, au PS ? Par fidélité. Parce que c’était la gauche. Parce qu’il était au pouvoir et que je ne me voyais pas être frondeur. J’ai soutenu le chef de l’État pour le CICE, j’ai soutenu la réforme El Khomri (la loi Travail, ndlr). Mais les mesures sociales

Vous avez été pendant 11 ans président de la région Bourgogne et on ne vous a pas trop entendu critiquer Marie-Guite Dufay, votre successeure. Elle représente pourtant l’ancien monde, elle est au Parti socialiste. Vous l’avez épargnée par loyauté, c’est une ancienne camarade, ou parce que vous trouvez que ce qu’elle fait est bien ? J’avais deux raisons de soutenir sa liste. Elle était en grande partie composée de membres de ma majorité ancienne. Et puis elle défendait le camp du progrès. Je me suis abstenu depuis bientôt 3 ans de tout commentaire, c’est une forme d’élégance politique. Maintenant, je peux vous dire ce que je n’ai jamais dit : j’ai un certain nombre d’interrogations. Quasiment aucun membre de la majorité régionale actuelle n’a trouvé une once de chose positive dans la politique d’Emmanuel Macron. Ils sont dans le dénigrement systématique du gouvernement. Et pourtant, certains dans la majorité disent qu’ils pourraient aller aux municipales avec Emmanuel Macron. J’en vois ici ou là, dans l’Yonne, il y a même des gens qui soutiennent Emmanuel Macron de cœur mais qui ne l’ont jamais manifesté à la région. Ils sont au moins 5 ou 6 conseillers régionaux, je le sais. La présidente elle-même, Marie-Guite Dufay, pour qui j’ai de l’amitié et de l’estime, dit ou a dit qu’elle soutenait Emmanuel Macron. Qu’elle dise qu’elle soutient le gouvernement ! Elle ne l’a jamais fait, pour sauvegarder sa majorité. Mais en politique il faut parfois faire preuve d’un peu de courage et de témérité. J’attends de voir comment ça va se passer. Quand le gouvernement aura remonté la pente au début de l’été, comme je le pense, vous verrez comme ils reviendront à l’abreuvoir ! Sous quelles conditions allez-vous accueillir ces ralliés ? D’abord aux élections européennes, je souhaite une confluence des radicaux, des socialistes qui voudront bien, jusqu’aux juppéistes avec des gens du MODEM, d’AGIR et des forces de progrès qui soutiennent le gouvernement. Pour les municipales, il faudra que les gens qui souhaitent travailler avec nous le

actuelles sont sans commune mesure avec le passé. Être de gauche pour moi, c’est être contre le chômage. ... C’est ce que dit aussi la droite ! Sauf qu’ils ne l’ont pas fait ! Être de gauche, c’est lutter contre la principale des inégalités : le chômage, le manque de travail et le manque de perspectives pour la jeunesse. ll faut permettre aux entreprises de créer de l’emploi, de se développer, d’innover, de mettre en place tous les moyens comme la robotique... Et mieux former les gens. On met 15 milliards dans la formation, effort sans précédent qui va payer dans les 2 ou 3 ans qui viennent et on a une politique fiscale qui permet d’investir. En matière d’investissement, les chiffres du début d’année 2019 sont très positifs. Ce qui m’ennuie c’est que le mouvement des gilets jaunes vient casser ça. On a perdu des points de croissance.

La région manifestent clairement. Qu’on dise, par exemple à la région, qu’on souhaite la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron. Je regarderai qui soutient la liste conduite par la République En Marche lors des élections européennes. Si certains soutiennent les listes socialistes, les listes de droite ou les listes « gilet jaune », ce sera « non » ensuite. Comment on se sent quand on a présenté au président le lobbyiste Thierry Coste et qu’il est la raison avancée par Nicolas Hulot pour justifier sa démission ? On regrette de l’avoir présenté ou bien on se dit que Nicolas Hulot était une erreur de casting ? À titre personnel, j’essaye d’aider le président sur les dossiers que je connais : l’activité économique, la ruralité, l’activité viticole pour la Bourgogne et la chasse. (silence) Nicolas Hulot... (re-silence) sa démission était inscrite dans sa nomination, (re-re-silence) parce que faire de l’écologie de télévision, ce n’est pas se mouiller aux réalités tous les jours. Ce n’est pas la chasse qui a fait démissionner Nicolas Hulot, c’est la politique des petits pas qui ne lui convenait pas. Thierry Coste, c’est un lobbyiste. C’est vrai que c’est mon ami. On a été adversaires irréductibles, depuis j’ai appris à le connaître. Il défend les lobbies qu’il représente avec beaucoup de franchise et beaucoup d’engagement. Les décisions du gouvernement sur la chasse ne coûtent rien au contribuable. Il s’agit d’avoir demain une activité assimilable à la ruralité dans les villages dans lesquels moi j’habite. Vous avez vu, la loi chasse qui a été votée à l’assemblée nationale l’a été à l’unanimité, sauf Mélenchon. Non, Je n’ai pas de regrets, aucun... Mais rappelezvous, c’est qui le patron ? C’est Macron ! (sic) // M.R.

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Un portrait bien lustré. Texte et photo par JC Polien, à Gray

LIKE A ROLLING SAONE Quel rapport entre la droite tendance UMP et Philippe Katerine, entre un supporter du DFCO et les Wampas, entre Pogo Car Crash Control et le bourgmestre de la ville de Gray ? A priori aucun. Pourtant un même nom revient à chaque fois : celui de Christophe Laurençot. On est allé rencontrer Monsieur le Maire, ne sachant pas par avance si on allait être confronté à la langue de bois de nos politiques ou se plonger dans un épisode de Twin Peaks made in Franche-Comté. Entre rock’n’roll, foot et affaire Daval.

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Alcatraz-en-Charollais.

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Q

uelques semaines plus tôt, entouré de la petite bourgeoisie provinciale où certaines roturières auraient pu faire de la figuration dans les Chabrol des seventies, j’avais eu l’occasion de saluer rapidement Christophe Laurençot lors du vernissage de l’exposition de Benoit Huot (cf. Sparse 24) au musée Baron Henri Martin. L’homme détonait, car au-delà du personnage public et du discours officiel de bienvenue, il est vite passé en « off » pour nous dire combien il était ravi d’accueillir une telle manifestation et ses yeux rieurs en disaient long sur sa satisfaction. Entre deux coupes et un début de corruption amorcé au Comté de dix-huit mois d’affinage, une carte de visite fut glissée et rendez-vous fut pris.

L’adolescence et le rock’n’roll. Le jour J, en remontant la Grande rue pour venir me garer sur le parvis de l’Hôtel de Ville, je ne reconnaissais pas cette voie si étroite, pentue, au bon nombre de ses devantures condamnées. J’avais toujours en mémoire le Gray de mes six ans, avec cette rue qui m’apparaissait alors comme interminable et que je remontais en plusieurs haltes, entre la réglisse Haribo Zan de chez le buraliste quand on y achetait un paquet de Royale Menthol, ou encore le passage au Spar, impatient de découvrir le cadeau Bonux caché dans le paquet de lessive. À l’accueil de la mairie, je perçois des bribes de conversations téléphoniques qui me paraîssent d’un autre temps. Le secrétariat tente d’expliquer à un administré que les listes d’attente sont moins longues pour renouveler une carte d’identité à Pesmes, Dampierre-sur-Salon ou Champlitte. Dans ma tête je vois alors défiler des images de mon enfance au cœur de la Haute-Saône profonde, tracteurs, chiens errants et soleil couchant en rase campagne quand ma sœur, avec son bidon, allait chercher le lait à la ferme voisine chez celui que l’on surnommait « Ugolin ». Christophe Laurençot me reçoit dans son vaste bureau ou il nous fait monter du café. Ancien cadre dans le secteur social, l’homme est souriant et avenant. Costume sombre, chemise, chaussures pointues il ne porte pas la cravate. Première bizarrerie, un ballon de hand dédicacé des filles de L’E.S.B. prône sur son bureau. Seconde bizarrerie, le portrait officiel du président n’apparait pas sur les murs. Le tutoiement est tout de suite de mise : « Je suis né ici, j’ai toujours vécu ici. Ça fait cinquante deux ans maintenant. Ma maman a accouché à l’hôpital de Gray, c’était le premier février soixantesept. J’ai vécu chez mes parents jusqu’à l’âge de vingt deux ans, puis je suis parti après avec ma future femme poursuivre mes études supérieures à Besançon et Dijon, mais je ne pouvais pas quitter Gray ». Le socle restera le socle. D’origine ouvrière, son père était pompier et sa mère « C.E.N.T. profession », elle élevait ses cinq enfants. La fierté du bonhomme c’est le paternel, qui a créé le Majoret’Club Graylois, puis une batterie-fanfare. Ses sœurs levaient la gambette et le bâton, lui était premier tambour.

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≈≈≈ Son premier concert, il le voit à Besançon, c’est AC/DC au Palais des Sports en 1981. Il a alors 14 ans. Et déjà dans sa tête l’idée de créer, un jour, quelque chose dans sa ville. Un ami de quelques années son aîné lui fait découvrir La boîte à disques, le disquaire local. Il se servira de cela plus tard, alors adjoint à la vie culturelle de sa ville, pour créer le festival Rolling Saône, qu’il souhaite familial et convivial, et qui accueille, pour la première édition en 2007, les Wampas et leur chanson Chirac en prison. Pour une ville étiquetée UMP, autant dire que quelques dentiers ont grincé le long de la Saône. Fidèle en amitié, ses chefs de postes d’aujourd’hui sont les premiers bénévoles d’il y a une vingtaine d’années. Autonome, le festival est indépendant, financé par le mécénat, la billetterie et la restauration. Trois mille personnes trois soirs de suite, la population de la bourgade est presque doublée le temps d’un week-end. Côté anecdotes, il rapporte qu’une année, Michael Jones, le guitariste de Goldman, avait laissé son véhicule personnel sur le petit port de plaisance, Le Boat, et que trouvant porte cadenassée après concert, il avait dû démonter le portail avec l’aide d’un bénévole. Ou encore les Wampas qui demandent dans le rider la mise à disposition de VTT pour partir en balade dans la campagne haut-saônoise ! L’édition 2019 accueillera Yarol, Tagada Jones, Jimmy Cliff, Amadou & Mariam, Thiéfaine ou encore Bob Sinclar. Imaginer le DJ mixer non loin du quai Mavia, c’est un peu comme se figurer Cristiano Ronaldo avoir une wild card de fin de saison pour éviter à l’Union Sportive Amicale Portugaise de Saint-Loup une descente quatrième division de district. Après toutes ces années, le festival est désormais bien installé, un rendez-vous pour toute la ville. Retour en politique locale. « Le maintien de la qualité de vie à Gray est quelque chose de très important pour moi, que les gens puissent être libres, dans tous les sens du terme, et en toute quiétude. C’est ce qu’ils ne voient pas tous les efforts consentis que l’on déploie au quotidien. C’est quelque chose

«

Imaginer le Bob Sinclar mixer non loin du quai Mavia, c’est un peu comme se figurer Cristiano Ronaldo jouer à l’Union Sportive Amicale Portugaise de Saint-Loup pour éviter une descente en quatrième division. »


d’essentiel. Je suis fier du patrimoine que l’on a, ça c’est indéniable. Nous sommes une petite ville mais nous avons tout d’une grande en terme de culture, en terme de sport, et cela sans augmenter les impôts locaux. » À la question qu’est-ce qu’il manque à Gray, Christophe nous répond en riant qu’il faudrait qu’un jour une grosse entreprise ramène mille salariés : « on a la chance de ne pas avoir une monoindustrie mais une polyindustrie avec un tissu économique de PME très important. Tout le monde le dit ». À égale distance entre Dijon et Besançon, bien qu’un peu méprisé

Jicé ? T’es là ?

« J’aime le hand à Besançon et le foot à Dijon. » par les deux mégalopoles du coin, je me pose la question du transport, n’ayant pas souvenir d’une gare dans cette ville de 5.000 habitants. « Pour les transports, on a les bus. D’ailleurs on a de la chance. On avait pérennisé avec le conseil départemental de la Côte-d’Or le billet de bus à un euro cinquante jusqu’à Gray. Maintenant que la Région a repris la compétence des transports, on a tous les billets à un euro cinquante, que ce soit Gray-Vesoul, Gray-Dole, Gray-Besançon et Gray-Dijon. Et c’est un plus pour nous. » Alors Christophe, plutôt Besançon ou Dijon ? « J’adore Besançon, parce que j’y ai fait une partie de mes études. La ville est faite pour qu’il y existe une proximité avec les gens. Mais par contre Dijon, parce qu’il y a le DFCO ! Je le dis parce que je suis footeux. Il y a le Zénith, même si à Besançon il y a Micropolis, il y a des atouts en termes d’infrastructures à Dijon qui sont très importantes et qui répondent plus à mes aspirations. Si j’avais à choisir, je serais plus attiré par Dijon même si je suis Franc-Comtois de cœur. J’aime le hand à Besançon et le foot à Dijon. »

Ah non, t’es là...

L’affaire Alexia. Depuis un an, la ville est sous le feu des projecteurs, et pas en bien, à cause de l’affaire Daval, la joggeuse de... Gray. Bad buzz. « J’ai trouvé qu’il y a eu différentes phases. Dans un premier temps, l’horreur. Puis il y a eu la phase de deuil, d’accord, et après il y a eu la phase... on va dire... la phase justice. Il y a eu ces trois temps-là. À chaque fois, quelque part, les Graylois ont été exposés. Mais où je suis particulièrement fier d’être maire d’une ville de proximité où tous les gens ont été dignes. Malgré l’effervescence médiatique, j’ai tout regardé, j’ai tout écouté et j’ai trouvé que les gens avaient été à l’image de la famille (les parents d’Alexia, ndlr). » C’est la chance d’être dans une ville de proximité, où chacun se connaît. La régulation et la pondération, on peut l’amener tranquillement avec des messages et de la présence physique. « Chacun a su rester à sa place. Dans l’horreur, malgré tout, il fallait être digne, et c’est ce que les gens ont fait. » // J.-C.P.

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Maghreb United Ammar 808, c’est Sofyann Ben Youssef, producteur tunisien, accompagné sur scène par un chanteur algérien et un autre marocain. Quand la turbine électro rencontre la musique traditionnelle du Maghreb. Rencontré pendant son passage au dernier festival GéNéRiQ où il a crâmé tous les dancefloors, Sofyann traduit sa perception du monde à travers la musique, entre modernité et tradition, machine et percus, rêve de Maghreb uni et printemps arabe.

Par Mister B et Aurélien Moulinet, à Dijon Photos : Edouard Roussel

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Sofyann Ben Youssef, le Tunisien.

Sofyann, quel est le rapport que tu entretiens avec ce personnage d’Ammar 808 ? Ça a un rapport avec la musique électronique, mais qu’est-ce que ça signifie exactement ? Pour moi, c’était un besoin de séparer les sphères musicales que je fais. Je suis producteur à plein temps et je m’implique dans plusieurs choses différentes. Disons que j’ai plusieurs styles. Ce nom, c’était la réponse à beaucoup de choses d’un point de vue personnel, par exemple dans la manière de produire des musiques traditionnelles. J’avais réellement envie d’être vraiment très proche de ma musique, c’est pour ça que j’ai décidé d’en faire une sorte d’alter ego. Ammar 808 me permet de méditer sur le futur qui me paraît incertain. « 808 » ça nous renvoie directement à la Roland TR-808, une machine très connue qui a servi à inventer la musique électronique. Toi, comment tu as découvert cette machine ? Mon rapport avec la musique électronique est différent. Je n’ai pas une culture musicale électronique mais surtout une culture musicale arabe… J’ai aussi étudié les musiques indiennes.

En Tunisie, la découverte de styles musicaux se faisait à travers des instruments différents. En fait, tu trouves une « job machine » et c’est comme si tu créais une autre dimension, un autre son. Évidemment, je connais Kraftwerk et toutes sortes d’influences, mais pas autant que les gens qui sont spécialisés dans ce genre de style, car ce n’est pas la culture dans laquelle j’ai grandi. Je suis plus dans une optique où je traduis la culture d’où je viens à partir de ces machines-là. De Kevin Saunderson à Underground Resistance dans les années 90, est-ce que tu as écouté ces pères de la musique électronique qui ont manipulé cette machine ? J’ai toujours écouté la TR-808 partout, ça ne m’était pas inconnu. Mais j’ai jamais fait le lien. Quel a été le déclic pour toi alors ? La rencontre avec la machine, c’est-à-dire le jour où elle est devant toi et que tu commences à penser à tout ce que tu peux produire…

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Sofian Saidi, l’Algérien.

Donc tu dirais que tu ne dénatures pas la musique traditionnelle ?

eux ils perçoivent cette musique-là ?

dans le sens où rassembler toute la culture du Maghreb, c’est un rêve qu’on n’a jamais réussi à vivre, mais ça reste un espoir qui nous tient à cœur... Ce nom, c’était aussi une méditation sur nos différences. J’essaie toujours d’avoir un point de vue neutre.

Si tu remplaces un instrument par un autre, on peut dire que le morceau prend une autre dimension ?

J’ai eu toutes sortes de retours. Pour les plus vieux, la différence est presque invisible même si ça peut paraître étonnant, c’est complètement aligné avec ce qu’ils connaissent. C’est une autre sorte d’écoute disons. Évidemment plus on va vers une écoute jeune, plus les réactions sont différentes.

Exactement ! C’est essentiellement ce que j’ai fait, je n’ai pas essayé de mêler des choses, j’ai essayé de donner un relief différent.

Ton album qui est sorti cette année s’appelle Maghreb United. Il y a quand même cette idée de rassembler toute la culture du Maghreb...

Avec ce qu’il se passe actuellement en Tunisie, ce contexte de révolution, est-ce que tu as choisi d’aborder un aspect politique dans tes chants ? Tu dirais que tes chants sont engagés politiquement, ou bien ce sont des chants festifs ?

Est-ce que tu as eu des retours d’artistes qui font de la musique traditionnelle ? Pour savoir comment

Il y a toutes sortes d’idées et moi je crois à une multitude de sens. Ce titre peut porter aussi une connotation très négative

Selon moi, pour faire de la musique politique, il ne faut pas nécessairement que le chant soit sur un sujet politique

Le résultat n’était pas évident. Et en même temps, c’était quelque chose de naturel.


Mehdi Nassouli, le Marocain.

ou militant. Moi, je considère que le fait de faire les choses d’une certaine manière, d’avoir une éthique, de savoir comment faire les choses, d’essayer de trouver une certaine clarté par rapport à ce qu’il se passe dans le monde et dans la société et essayer de le traduire dans ta façon de faire qui est plus ouverte, vers du changement, vers du renouveau, vers une remise en question, ça c’est aussi un acte politique. Et tu n’as pas de certitudes par rapport à ce rassemblement ? Je pense que cet album, c’était vraiment l’occasion de méditer sur ce futur incertain. Il y a beaucoup de

« Rassembler toute la culture du Maghreb, c’est un rêve qu’on n’a jamais réussi à vivre, mais ça reste un espoir qui nous tient à cœur » 45


« En Tunisie, on parle de révolution, selon moi ce mot est aussi un point d’interrogation. Ce n’est pas un concept très clair. Si on l’appelait grand changement au lieu de révolution ? »

C’est quoi ces p’tites joues toutes roses ?

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Visiblement, c’est par là.

Scène de musiques actuelles

Dijon

lavapeur .com

changements, et le changement c’est bien mais si on ne prend pas une certaine position… D’ailleurs, si tu remarques, le son de l’album est parsemé de notes violentes et agressives dans les beats. Et c’était voulu. On traverse une période difficile, nous sommes complètement esclaves d’un système d’informations qui nous dépasse, parce que c’est un système d’informations qui est créé pour des machines, pas pour des humains ; la vitesse de débit est trop rapide, tu ne peux pas suivre. J’ai remarqué que les choses sont faites exprès pour que tu n’arrives pas à suivre et ça, ça me dérange. Faire des musiques joyeuses, ce n’est vraiment pas une priorité, il faut faire des choses alarmantes pour faire prendre conscience aux gens qu’ils peuvent s’amuser mais qu’ils doivent faire attention. Il faut prendre les choses en main car le futur est fait de choses incertaines. Si on est dépassé par aujourd’hui, demain on sera dans la merde. Après la révolution de 2010 en Tunisie, estce que tu sais comment se porte la jeunesse tunisienne ? Comment ça bouge ? Comment ça a bougé là-bas ? C’est revenu à la situation initiale ? Tu dis révolution, selon moi ce mot, c’est aussi un point d’interrogation. Ce n’est pas un concept très clair. Est-ce que ça a vraiment été une révolution ou est-ce que ça été un game géopolitique avec des pions ? Moi à l’époque, je voyais sur Youtube des vidéos de snipers qui tuaient des gens dans la capitale tunisienne de manière aléatoire, c’est pas un truc normal, ça n’arrive pas comme ça… Si on l’appelait grand changement au lieu de révolution ? Après on peut l’appeler comme ça, pourquoi pas, si ça peut faire plaisir à certains. Les gens en Tunisie ont adopté plein de notions. Comme les mots liberté, liberté d’expression, démocratie… Tous ces mots ont changé de sens. Avant il y avait un autre sens, maintenant il y en a un nouveau qui est plus dynamique. Le truc que je trouve positif c’est que tout est possible. C’est un peu comme si le système était en reset. Mais il faut être vigilant. // M.B et A.M.

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Est-ce que la question de la taille du sexe a toujours compté chez l’Homme ? On pourrait bien penser que oui. Entre la vision du Dieu grec, certes pas toujours bien membré au repos et nos standards actuels, boostés à la salle et aux compléments alimentaires, il faut dire qu’il y a de quoi complexer quand on en a une petite. Heureusement, il existe deux ou trois produits permettant de remédier à ça. Un peu à la manière d’UFC que choisir, on a décidé de tester deux produits miracles : l’allongeur et l’extenseur de pénis pour gagner quelques précieux centimètres.

Par Franck le Tank aka Manuel Ferrari, à Dijon

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Mais qui est Tim ?


A

vant de rentrer dans le vif du sujet, inutile de vous donner mes mensurations, ce n’est pas le but de cet article. Et ce serait un peu comme vous dévoiler mon salaire chez Sparse, ce serait indécent. Disons que je me trouve dans la moyenne. Je ne suis ni là pour vous mentir, ni pour établir un record Guiness avec Vincent Perrot qui me la tient pendant que Barry White (le juge, pas le chanteur pour dames) me la mesure. Nous sommes ici pour discuter du ressenti plutôt que du factuel. On pourrait d’ailleurs penser que le monde des utilisateurs de ces outils se divise en deux catégories : ceux qui ont un problème de petite taille et qui veulent y remédier, et les performeurs qui ont été biberonnés au Journal du hard. Mais selon des études scientifiques, la plupart des hommes ne refuseraient pas d’avoir un sexe de 2 ou 3 cm plus long, et c’est là que nos gadgets entrent en jeu…

Pump up the jam Commençons par un peu de physique et d’histoire. L’allongeur de pénis est une pompe qui utilise un système de vide pour irriguer les vaisseaux sanguins de votre verge. Ce produit a apparemment été découvert par le Docteur Zabludowsky dans les années 1910, notamment pour lutter contre la stérilité. J’insiste sur le « apparemment », car dès que vous commencez à chercher des informations sur ce genre de produits sur Internet, vous entrez dans une zone grise composée la plupart du temps d’informations mensongères pour vous vendre un produit et ses vertus. Du coup, cette histoire d’ingénieur autrichien inventeur de cette

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seringue magique sonne comme une histoire cheap d’Aladdin et de sa pompe génie. Ne cherchez pas plus loin, le business du sexe, c’est le berceau de la fake news sur le net : même Trump ne peut pas test’.

1,2,3, pompez En pratique, cela marche comment ? Rien de plus simple, on insère son membre dans un tuyau et on crée un vide d’air avec une pompe. Le produit n’a pas changé depuis un siècle. Bien sûr, les vendeurs ont pimpé le produit, on peut l’utiliser sous l’eau, le truc est désormais automatique et donne l’heure (attention la version waterproof peut coûter jusqu’à 200 balles). Pour ma part, la rédac’ m’a payé un « Pénis Pump Deluxe » à 30 balles. Ça tombe bien ça me rappelle mes Reebok, vous savez, la version où on gonfle la languette. Je reçois quelques jours plus tard une boîte avec en photo une énorme image de la pompe. À ses côtés, une femme à poil et un homme au corps d’étalon. Pas une faute de goût, Michel-Ange n’aurait pas fait mieux. Les informations sont en allemand, ce qui me rassure. Deutsch Kalitat. En ouvrant la boîte, on retrouve la pompe énorme (cela mesure plus de 30 cm !) et une notice expéditive de type « ne pas manger la pompe ». Du coup, ça fait un peu mince en terme d’explications. Certes, il ne faut pas avoir fait Polytechnique pour comprendre comment ça marche mais on est en droit de se poser quelques questions comme le temps d’utilisation journalière conseillée ? Les risques encourus en cas d’utilisation prolongée ? Comment laver la pompe ? Pour accéder à ce genre d’informations, je décide de me rendre sur le net. Faute grave. Je tombe sur des utilisateurs qui se confient.

"les produits fonctionnent mais il faut savoir que c`est temporaire" Nathalie, gérante de Pink Plaisir « Je suis possesseur d’une pompe à pénis que j’utilise régulièrement et j’en suis très heureux. Quand je l’utilise je ressens plaisir et douleur à la fois, un vrai régal, je l’utilise même pour mes testicules. » Ok très gênant ce commentaire Fred... Je décide quand même de continuer mon investigation. « Mes séances de pompage durent environ une heure, j’aimerais faire durer le plaisir 2 heures mais la pompe est trop petite ». Un peu plus loin dans le forum, un autre internaute l’avoue : « Je l’utilise des heures durant devant la TV ». Il n’a pas précisé devant quel programme, heureusement.

Elmer Food Beat Malgré le manque d’infos, je décide tout de même de me lancer. La première sensation n’est pas très agréable. À enfiler, le plastique n’a rien de fantastique. La sensation est chelou, effectivement, on a un mélange de bien-être et de douleur… Perso, je préfère le bien-être et je préférerais ne pas penser à Fred l’internaute à ce moment-là. En tout cas, le système est archi simple et cela fonctionne, l’air se tarit et provoque un simulacre d’érection entraîné par l’afflux sanguin. Au bout de 5 minutes, c’est un peu gênant à porter, ça commence à faire mal. Je ne vois


pas comment on peut supporter ça pendant des heures. Il s’agit en fait davantage d’une illusion d’optique dans un premier temps. On sent que le pénis est gonflé, un peu comme ton ventre après un repas de Noël mais c’est pas pour autant que ça va durer jusqu’à la Saint-Sylvestre. Après quelques jours d’utilisation, le côté marrant et inhabituel a disparu. Il y a un côté pathétique et limite déprimant à utiliser ce genre de produit. C’est un peu la jurisprudence de la clope électronique, marrante les premiers jours mais vite inutile et chiante. Les producteurs toujours désireux de jouer sur la corde sensible ont manipulé les gens en créant un amalgame entre un produit qui permet de prévenir le dysfonctionnement érectile et un produit miracle pour agrandir la taille du pénis.

Pro Extender System : it’s in the game Passons à la vitesse supérieure, faisons confiance à la technologie ! Il y en a marre de ces pompes désuètes inventées il y a plus de 100 ans. Je passe directement à l’extenseur de pénis. D’ailleurs, en faisant mes recherches, je me rends compte que la chirurgie esthétique pour allonger le pénis, aussi appelée la « pénoplastie », est encore très peu pratiquée. Elle ne s’adresse la plupart du temps qu’aux personnes qui possèdent des micro pénis (moins de 4 cm au repos et moins de 7 cm en érection). Cette opération, qui permet de surmonter la gêne au repos, ne s’applique cependant pas au pénis en érection. Voilà pourquoi elle est si peu répandue contrairement à nos extenseurs qui pullulent sur le net. Alors, un extenseur, c’est quoi ? C’est ce qu’on appelle plus communément un « tirenouille ». En mettant son sexe dans un tube surmonté d’armature et de pas de vis, on peut allonger la taille du sexe. Dis comme cela, c’est très trivial, mais le principe est là. Le design est toujours plus ou moins le même, mais les prix sont une fois de plus exponentiels. Comptez 200 euros si vous voulez recevoir votre extenseur avec des lingettes hypoallergéniques dans une boîte à cigares. Comme d’habitude, nous on s’en remet au coffret à 25 euros, livré discretos au bureau de tabac du coin. Notre extenseur

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"tas beau en avoir une grande, si elle est molle, ca sert a rien" Jeanne, demoiselle qui s’y connaît s’appelle « Pro Extender System ». Sur la boîte en carton, une mention intéressante : « medically approved penis ». Ok, mais par qui ? À l’intérieur, on découvre les instruments de tortures ainsi que quelques curiosités : un manuel tout pourri avec des schémas de zob qui foutent la gerbe, un calendrier pour noter les évolutions à date, et un guide CD. La première impression, c’est que ça à l’air extrêmement fragile tout en ayant la tronche d’un instrument sadomaso. Après quelques minutes à étudier le produit, ça me fait penser à une minerve de zgueg sur laquelle on va tirer. Autant vous le dire tout de go, le test du produit est peu concluant : c’est moins marrant que la pompe et ça fait mal.

Docteur Jelquing En regardant à deux fois le coffret, ma curiosité est attisée par ce guide CD. Que peut-il bien y avoir là-dedans ? Le problème, dans un premier temps, c’est de trouver quelqu’un qui a encore un lecteur de CD-rom en 2019. Une fois trouvé, nous déterrons du contenu datant de la fin du XXème siècle : des vidéos de piètre qualité d’hommes à poil qui nous montrent des exercices à faire en plus de notre allongeur : le jelqing. Il semblerait que le jelqing soit une technique ancestrale pratiquée notamment dans les pays arabes pour augmenter la taille de son pénis. Ça me fait immédiatement penser à une vidéo que j’avais vue enfant au zapping et qui m’avait traumatisé, dans laquelle un homme soulevait des pierres avec son membre en faisant des nœuds autour. Toujours est-il que plusieurs techniques sont distillées en sus sur le CD comme le warmup, le circular stretch, le sitdown stretch et l’ultimate stretch. Ces exercices courts sont donc à ajouter à l’utilisation

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chronophage de l’extenseur. Si vous voulez suivre le programme expert, il faudra vous dégager tout de même 50 minutes par jour, 5 jours sur 7 pour espérer gagner environ 2 centimètres. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Dealer de plaisir Je décide finalement d’enfiler mon imper’, de mettre mes lunettes de soleil et de me rendre dans le sex-shop du coin pour avoir le retour d’un expert sur toutes ces méthodes peu orthodoxes. Manque de pot, tous les sex-shops du centre-ville de Dijon ont fermés depuis belle lurette. Direction Pink Plaisir à Chenôve, en zone franche, pour rencontrer Virginie, la gérante de ce supermarché du sexe qui compile lingerie fine, accessoires en tout genre, dont bien sûr, nos fameux allongeurs. En explorant le magasin, je tombe sur nos pompes, mais aussi sur d’autres produits que je ne connaissais pas : la prothèse en mousse qui s’enfile comme un préservatif et qui rajoute de la longueur pour les personnes complexées et les gélules de testostérones pour des résultats assez décriés. En parlant avec Virginie, je découvre que ces solutions pour allonger le sexe sont principalement stimulées par l’égo. Cependant, une notion de plaisir pour la partenaire rentre parfois en compte. « J’ai des couples où l’homme se dirige vers ce produit, et où la femme est étonnée car ce n’est pas un besoin et qu’il n’en avait jamais parlé. L’homme veut faire plaisir à sa compagne par ce biais là ». J’en profite pour enfoncer le clou et lui demander la question à 1.000 euros. Est-ce que vous avez un produit qui fonctionne à 100% ? « Les produits fonctionnent, mais il faut savoir que c’est temporaire. Par exemple, avec la pompe, on a un effet succion et visuellement ça marche quelques minutes », assure la gérante. Voilà qui a le mérite d’être dit, merci la vraie vie.

Du coup, la taille ça compte, les filles ? En entamant mon banc d’essai, je me suis également penché sur cette question épineuse, notamment auprès de la gente féminine, triées sur le volet pour l’occasion, à savoir mes potes. J’ai d’ailleurs vite compris que cette question tabou pour la plupart des mes proches masculins ne l’était pas du tout chez les filles. « La


taille, c’est pas vraiment le problème du moment que ça reste une taille raisonnable, l’important c’est la largeur ! » me confie Camelia. Elodie pondère tout de même : « la taille, ce n’est pas important jusqu’au jour où tu tombes sur une toute petite ». Une mauvaise pioche en somme. Jeanne quant à elle fait preuve de pragmatisme : « t’as beau en avoir une grande, si elle est molle, ça sert à rien, et puis faut savoir s’en servir… qu’elle soit petite, longue, grosse ou crochetée ». Je m’arrête. Comment ça, crochetée ? J’ai alors droit à un beau schéma explicatif d’un sexe crocheté. Je commence donc à y voir un peu plus clair, et je me dis que la taille a un rôle assez mineur dans la globalité des paramètres à prendre en compte lors de l’acte charnel. C’est assez rassurant. Jeanne rajoute : « de toutes façons, le normal ou le gros zizi, c’est comme quand tu dois choisir ton menu à McDo, le Best Of c’est le classique, t’es pas surprise et tu prends pas de risque, tu sais que ce sera bien mais que t’auras probablement envie d’en reprendre un peu et que tu restes souvent sur ta faim. Alors que le Maxi Best Of te fait saliver mais tu sais que tu vas galérer à le finir et que le lendemain ça te fait toujours mal. » Ce que raconte Jeanne dans ce vocabulaire « junk food », des études américaines l’ont exprimé sous le terme de la « bite de boyfriend » : les femmes préfèrent les sexes de taille moyenne chez leur partenaire à long terme et privilégieront les gros sexe pour des « one night stand » ou coups d’une nuit. Alors pourquoi se met-on encore la rate au court bouillon pour ces histoires de tailles ?

Do you want to have sex tonight ? Peut-être que nos références, et la société extrasexualisé, ont un léger rôle à jouer dans nos considérations personnelles. Le porno n’est plus tabou et représente une manne financière avec un chiffre d’affaires estimé à environ 100 milliards de dollars (contre 57 milliards en 2013). Il y a fort à parier que la vision de Manuel Ferrara, Rocco Siffredi, et autres Roberto Malone ont déplacé le curseur de ce que l’on appelle aujourd’hui la normalité. De plus, avec le développement et l’hyper accessibilité de tous les tubes pornos sur Internet, les jeunes générations sont de plus en plus vite confrontées à cette réalité distordue où la performance et la taille sont des prérogatives de base autant chez l’homme que la femme. Selon Virginie de Pink Plaisir, « la clientèle jeune recherche la performance avant tout ». Oui, mais pourquoi faire ? La vie n’est (heureusement) pas un porno et il faudra tâcher de ne pas confondre plaisir et performance… Vivement le futur et le sexe en réalité virtuelle, là où on pourra créer son avatar avec un braquemard de 50 cm ! D’ici là, vous pouvez toujours essayer de pomper pour sauver le navire mais sachez que comme dans Sex files (la parodie X de X-Files), la vérité est ailleurs. // F.L.T. Clairement ce qu’on appelle « trop beaucoup ».

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Le Local Boxe Club et LSM Prod prĂŠsentent








psycho test

Par Nicdasse Croasky Illustrations : Hélène Virey

Les gilets jaunes ont fait leur apparition il y a à peine quelques mois et on ne compte déjà plus leurs actes de bravoure hebdomadaires : forçages de ministères, occupations de ronds-points, boxing day et 10 milliards d’euros sur la table pour les calmer… Ils ont rapidement dépassé le stade d’être dans le décor ; maintenant le décor, tous les samedis, c’est eux ! Le gilet jaune reste cependant insaisissable : parce que, sous les gilets, les... Les faf’ et les gauchiss’, les jeunes et les vieux, des tranquilles et des violents, vénères et pacifistes. Il n’y a pas de gilets jaunes type, il y a DES gilets jaunes et c’est pour ça que c’est difficile à suivre. Leur point commun ? « Y’en a marre ». On t’aide à nager en eaux troubles !

QUEL GILET JAUNE ES-TU ?

1. Ta chanson préférée : A. Comme au cinéma (Alain Delon). B. Confidence pour confidence (Jean Schultheis). C. Les Corons (Pierre Bachelet). D. Money, Money, Money (ABBA). 2. Aux courses chez Auchan, tu scrutes en premier : A. La caissière ou le caissier. B. La liste des ingrédients toxiques, additifs, nano-particules, adjuvants, excipients… façon peigne fin. C. Le rayon des invendus, le plus cool. D. Le prix de gros, la vente au détail, c’est pour les losers. 3. À la TV, tu préfères : A. Le catch, genre Royal Rumble (Hollywood Hulk Hogan). B. X-Files (David Duchovny). C. Storage Wars : Faites monter les enchères (Sophie Davant). D. Money Time (Laurence Boccolini). 4. Tu pars où en vacances ? A. Au camping du Cap d’Agde. B. Les vacances c’est pour les veaux. Tu aménages ta cave en bunker anti-atomique avec du matos de récup’. C. Chez papy et mamie, comme chaque année avec les enfants. D. À la Costa del Sol, avec des allers-retours quotidiens au Perthus pour faire le plein de clopes, d’alcool et de cacahuètes pour l’année.

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5. À l’école, tu étais : A. Victime de la mode. B. Le premier à sécher les cours. C. Victime du harcèlement. D. La personne à trouver quand on voulait acheter de l’herbe. 6. Qui est l’homme ou la femme de pouvoir qui te fait rêver ? A. Kim Kardashian, 1.000.000.000.000 de likes sur FB, Insta, Twitter, Snapchat… B. Steve Bannon, sauce aigre. C. Mère Teresa, tout le bonheur du monde. D. Jeff Bezos, 1.000.000.000.000 sur le compte en banque. 7. Si tu gagnes 100.000.000 au loto ? A. Tu deviens lobbyiste et tu arroses les politiques pour faire triompher tes idées. B. Tu finances une grève générale pour tout foutre en l’air. C. Tu arrêtes de travailler immédiatement. D. Tu donnes du travail aux autres, depuis ta plage privée à Ibiza.


8. Quel est ton personnage de film ou de série préféré ? A. Tatie Danielle dans Tatie Danielle. B. L’homme à la cigarette dans X-Files. C. Ellen Ripley dans Alien. D. Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street. 9. La bagnole de tes rêves : A. La Subaru turbo, parce que la Camaro jaune, c’est pour les frimeurs. B. Ce bon vieux Hummer, seul véhicule militaire digne de ta confiance. C. La Dacia Duster parce que 7 portes, 9 places, 4.5 litres aux 100. D. La limousine parce mini-bar et vitres fumées,

> Maximum de A

Tu es Sauveur : la tête de gondole sacrificielle.

« Mieux vaut être le chef des pauvres que le larbin des riches ! » Ton père gueulait ça, poing levé, dans toutes les manifs CGT où il a usé ses pompes. Tu en as fait ton mantra, et tu t’es donc tout naturellement imposé comme un des leaders des «Yellows Jackets » comme on dit sur CNN, car suffisamment télégénique pour passer de BFM à TF1, le sens de la punchline en plus. Alors te voilà, prêt pour le sacrifice, et même à quitter la France si jamais ça va trop loin et que tu deviens un danger pour la République comme Jésus l’a été en son temps pour les Romains. Dans 2.000 ans on parlera encore de toi, ma gueule ! En attendant c’est le Guiness book qui s’intéresse à ton groupe Gilets jaunes Powaaa !!! sur Facebook qui compte déjà une audience de plus de 100.000.000 de fans… C’est toi le roi : dans le cul, Zuckerberg !

> Maximum de B

Tu es Complotiste : le ‘Fox Mulder’ de la vérité des honnêtes gens.

« Je pense, donc je suis… » Descartes cauchemarde dans sa tombe tandis que tu retournes tranquillou quelques siècles de pensée philosophique sur tes réseaux sociaux préférés. Tu es contre toute forme d’autorité. Même les autoproclamés chefs des gilets jaunes t’emmerdent et tu leurs envoies des menaces de mort bien senties dès qu’ils veulent te représenter aux élections. Comme Fox Mulder, tu sais que la vérité est ailleurs, sur ta page Facebook par exemple ; d’ailleurs, toi, les merdias n’ont jamais réussi à te manipuler, ces crevures ! Tu révèles sans aucun complexe à tes fans que Macron va vendre la France à l’Allemagne. Tu as eu cette info de première main par une source secrète qui t’a appelé au téléphone hier à minuit avec un numéro masqué… Vérifier ses sources ? Gaffe au complot ? Ah, ah ! Pas de ça avec toi : l’intuition baby, y’a que ça de vrai !

> Maximum de C

Tu es Galérien(ne) : honnête, dans la merde avant les gilets jaunes, (probablement) après aussi…

Maman solo de 4 enfants, ouvrier au chômage depuis 20 ans, agriculteur qui taffe 70 heures par semaine pour 300€ par mois, victime de la mondialisation… C’est ta vie, ta survie, ça n’a rien de drôle mais tu tiens le coup et veux rester digne. Sans le savoir, tu mérites le stylo d’or de l’expert-comptable, car tenir un an avec ton budget relève du miracle économique et du modèle de gestion. Et puis soudain, les gilets jaunes sont apparus : SOLIDARNOSK sur les rondspoints. Tu n’es plus seul, et tous ces cornets de frites que tu partages avec tes nouveaux compagnons de galère ont une saveur nouvelle et authentique ! Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ! Le mouvement des gilets jaunes ne serait-il pas la plus belle opération de team building 2018-2019 ? Marx kifferait, c’est sûr !

> Maximum de D

Tu es Roi des affaires : Jeff Pesos, profiteur de guerre.

Doté d’un flair à toute épreuve, digne d’un limier de compèt’, tu as saisi comme personne le potentiel de ce mouvement et le premier, tu as su faire des ronds-points les free market les plus cool de France avec une gamme de goodies certes limitée mais impeccable : palettes de chauffage d’appoint, barbeucs de récup’ et cornets de frites grillées à l’huile de vidange. Ton bizz’ de gilets jaunes importé d’Égypte fait fureur et tes masques anti fumigènes pour les promenades du samedi s’arrachent : même à 50 centimes, t’es rentable. Et tout se fait de la mano a la mano, pas besoin de site ouèbe, de toutes façons y’a pas de wifi sur les ronds-points. Les circuits courts, c’est ton crédo. Ta déclaration d’impôts affichera 0 pointé, ce qui te conforte dans ton idée d’empaler recta tous les fonctionnaires des impôts. Par contre, quand tu vas déjeuner chez belle maman le dimanche, pas question de parler gilets jaunes, si tu veux pouvoir reprendre du dessert deux fois. Faut pas déconner quand même.

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horoscope

Par Cédric de Montceau Illustrations : Mr Choubi

L’horoscope, c’est la météo de l’âme, le bison futé du divinatoire, le paris turf du déterminisme constellaire. Mais c’est aussi la caisse centrale d’un supermarché qui rappelle aux natifs de la balance de ne pas oublier de peser leurs fruits et légumes.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Richard Chamberlain et Claudia Cardinale ! Vous êtes sûrement trop jeune pour avoir vu Les oiseaux se cachent pour mourir et Le guépard mais demandez à vos aînés. Petit mouton, vous avez certainement une bonne pelleté d’inculture à vous faire pardonner auprès de vos darons désespérés. Chance : ces vieux cons ont sûrement un abonnement Netflix.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Nikos Aliagas et Édouard Balladur ! Ce qui fait de vous le croisement rare entre le Minotaure de Knossos et Paul le poulpe, l’oracle d’Oberhausen. Personne n’a jamais su si votre signe était le symbole d’une féroce ultra fécondité ou bien la mollesse placide du bovin ruminant sa paresse. Amour : goitre et beauté

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Kanye West et Jérôme Cahuzac ! Votre gémellité avec vous-même pose deux miroirs l’un en face de l’autre. La profondeur de vos infinis vous renvoie à la modeste condition qui vous définit : vous êtes un trou du cul (sans fond) ! C’est les soldes, profitez des beaux jours pour investir dans un orifice artificiel. Argent : capitaliser n’est pas tromper.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que George DoubleYou Bush et Alain Finkielkraut ! Sans doute la flamme qui brûle en vous est une bougie qui est restée allumée sous les rideaux du salon. Pensez à prouver que votre existence a un sens avant que le reste d’humanité qui est en vous ne s’empare de votre pancréas. Santé : gardez un doigt sur la couture, vous filez un mauvais coton.

Bravo, vous avez le même signe astrologique qu’Usain Bolt et Alain Bougrain-Dubourg ! Vous avez donc le choix entre courir après les gazelles dans la pampa ou se faire chasser d’un potager par un type en slip. Flairez bien l’air sauvage autour de vous et recouvrez bien votre petite litière de fortune, il y aura toujours un phacochère près à suivre l’odeur de votre merde. Chance : effet placebo.


Bravo, vous avez le même signe astrologique que Lance Armstrong et les frères Bogdanoff ! Soit vous êtes issu d’une expérience bactériologique qu’on a cessé de financer, soit un demi-dieu biberonné à la glande surrénale. Il est temps de changer de régime alimentaire : le kéfir c’est bien, le tofu aussi, mais faut pas pousser non plus. Forme : portez des sandales en liège.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Silvio Berlusconi et tata Liliane Bettencourt ! C’est pas pour dire, mais ça sent un peu la partouze chez vous. L’arrivisme et l’aristocratie ont souvent fait bon ménage surtout dans les backrooms. Revoyez vos ambitions sociales au plus juste : vous êtes peut-être plus maquereau au vin blanc que homard au champagne. Destin : fragile.

Votre horoscope est annulé mais on ne résiste pas à vous informer que vous avez le même signe astrologique que Klaus Barbie et Nadine Morano. Amour : néant.

Bravo, vous avez le même signe astrologique qu’Emmanuel Macron et la grande Booba ! Il est temps d’assumer vos orientations sexuelles exotiques, ça soulagera tout le monde. Vous ne pouvez plus vivre dans le déni et le doute, ce n’est pas bon pour votre chi. Au risque de vous faire kamouloxer, changez de cigare, ça sent le melon à plein nez. Santé : si vous avez les dents marrons, portez un gilet jaune.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Tabatha Cash et Simone de Beauvoir ! Deux femmes de coeur et de tête sans qui le féminisme n’aurait jamais pu recevoir ses lettres de noblesse. Vous pouvez être fier.e, cette écriture inclusive, c’est un peu grâce à vous ! Cagolisme : poussette et survêtement.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Christine Angot et Christine Boutin. Si vous vous appellez Christine, vous êtes très mal, et sûrement bonne pour le dernier sacrement ou le licenciement économique. Si vous pensez que le monde entier est contre vous, vous avez probablement un souci de karma ou de joint de culasse. Chance : si vous en avez fini avec le passé, le passé n’en a pas fini avec vous.

Bravo, vous avez le même signe astrologique que Bernard Arnault et Oussama Ben Laden. Vous paraissez toujours calme en apparence, mais les planètes savent bien qu’au fond de vous, un petit ayatollah souffre de ne pouvoir exprimer toute sa cruauté. Les natifs du taureau sont des proies dociles et consentantes, de quoi se défouler sans mauvaise conscience. Pensez-y ! Travail : monnaie de singe.

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courrier des lecteurs

«B

onjour, je vous ai écrit il y a quelques mois pour parler de violence policière. Vous m’aviez répondu de manière sympathique, merci. J’ai l’impression que la situation a évolué ces derniers mois, non ? Camille - Poligny (39)

réponse de la rédaction

Ah, Camille. Ça va depuis le temps ? Effectivement, ça a évolué. D’une part, certain comprennent maintenant que quand tu rentres dans des flics, tu te fais tabasser. D’autre part, à peu près tout le monde a compris que quand tu ne rentres pas dans les flics, tu te fais tabasser aussi. Gratos. C’est assez simple. En France, maintenant, les flics te tabassent. C’est tout. Bon, on n’est pas en Syrie non plus, où tu te fais torturer et tuer. Mais pour la 2ème division de la violence policière, c’est pas mal du tout. Pour continuer dans cette comparaison, les flics français, c’est le FC Metz de la violence policière. Leader de 2ème division. Bien équipé, bonne stratégie, bon centre de formation, mais un peu fragile dans le dernier geste. Les flics n’en peuvent plus, leur hiérarchie non plus, alors ils défoncent tout le monde. Et ça, ça va laisser des traces... Des grosses cicatrices.

«B

onjour mon partenaire minceur. Comment on fait maintenant si on tombe en panne sur la route pour pas se faire tirer dessus par des policiers, vu qu’on doit mettre un gilet jaune ? Steeve - L’Isle sur le Doubs (25)

réponse de la rédaction

Torse nu Steeve, pas le choix. Et mains en l’air. Et ne masque pas ton visage avec une écharpe sous prétexte qu’il fait froid, sinon c’est LBD dans l’oeil.

«H

ello, where is Brian ?

Carlos - Auxonne (21)

réponse de la rédaction

Contrairement à une idée reçue, largement colportée par un conglomérat de professeurs d’anglais, Brian n’est pas dans la cuisine, car c’est un gros feignant qui commande chez Deliveroo au lieu de se faire des petits plats. Brian, comme tous les jeunes de son âge, joue à Fortnite dans sa chambre comme un gros naze au lieu d’aller jouer dehors avec ses potes ou d’essayer de draguer un peu (au moins sur le net). Brian, en continuant comme ça, va devenir obèse à 17 ans, et voûté, à force de se plier le cou sur son téléphone portable. Bref, il faut sauver le soldat Brian. On supprime le portable malgré les larmes et les hurlements, et on envoie en stage en Haute-Sâone. Quelque soit l’objet du stage, danse ou mécanique, ce sera de la survie. En revenant, Brian fera moins le malin, crois moi, et il sera capable de tuer un homme à mains nues, mais ça c’est un autre problème. Donc, je peux te répondre désormais : Brian is just coming back from HighPotatoe. And he’s a man now.

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S

alut mes petits rognons. Je vous ai entendu comparer Dijon à New York et Besançon à Los Angeles. Je ne vois pas vraiment le rapport, mais je me demandais : Dole, c’est quoi ? Et Le Creusot ? Et Sens ? Gilles - Dole (39)

réponse de la rédaction

Soyons clair, Gilles, c’est une comparaison pour rigoler. New York n’est pas au niveau. Mais pour te répondre, il me parait évident que Dole, c’est Washington, la capitale administrative entre les grandes villes. Le Creusot et Montceau, c’est Detroit. Sinistrées mais debouts. Avec des gens qui se bougent pour faire revivre. Sens ? Fuck... Sens, c’est Twin Peaks mec... C’est Silent Hill.

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from helle Dans chaque numéro, carte blanche au photographe Raphaël Helle

Luxeuil-les-Bains, Haute-Saône, 23 février 2019.

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Focus dans une galerie Ted Gordon Sans titre / Georges Focus

GEORGES FOCUS ET LA COLLECTION D’ART BRUT DE FRANÇOISE ET JEAN GRESET 9•03 9•06 2019


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