Carnets de Syntone n°JEU octobre 2015

Page 1



les carnets de série FICTION numéro JEU



Jouer le jeu de l’édito C’est sous le signe du jeu que s’ouvre ce nouveau numéro des Carnets de Syntone de la série FICTION (quatre numéros en 2015). Lorsque s’élabore une fiction radiophonique et qu’au départ elle n’est qu’un agglomérat de mots sur une page, c’est avec du jeu – celui du comédien, de la comédienne, mais plus largement grâce aux possibilités d’interprétation qu’offre la palette des sons – que le texte devient, finalement, radio.

Bien sûr, la fiction naît parfois d’autre chose que d’un texte. Cela peut être une mise en situation qui soudain produit un décalage. Le réel se re-crée avec une certaine dose de manigance. Comme au temps de la récréation, nous sommes capables depuis l’enfance d’admettre des histoires abracadabrantes et de jouer le jeu de l’écoute.

Aujourd’hui on ne sait plus toujours si la synthèse vocale imite la voix humaine ou si, pour certaines formes de radio ou de messages sonores lancés à notre attention dans l’espace public, c’est le contraire. La voix radiophonique authentique n’est nullement désincarnée. Instrument premier voire primitif, elle transporte le corps en elle, à l’instar des poètes et poétesses sonores qui ont définitivement extrait la poésie du livre.

En effet, entre la production sonore lorsqu’elle quitte le studio et sa réception par l’auditeur ou l’auditrice, c’est encore une histoire de « jeu ». Une question d’espace, laissé volontairement vacant, qui nous permet d’ajuster notre positionnement d’écoute, qui nous accorde la possibilité d’un recul ou d’un retrait. Quand il y a du jeu, c’est que c’est bon.

5


6


7


8


Auto-Radio-Fiction Note audio #005 – Carnet de fictions radio – Automobile – 20/01/15 – 08:22 L’auteur-de-fiction-radio – appelons-le comme ça – l’auteur-de-fiction-radio est dans son automobile. Il roule vers un lieu indéterminé. Ou trop déterminé. Le lieu trop déterminé de l’indéterminée nécessité de gagner sa vie. L’auteur-de-fiction-radio aimerait être ailleurs que dans une automobile, que de passer de longs moments dans son automobile roulant vers les lieux trop déterminés de l’indéterminée nécessité de gagner sa vie. Il aimerait être dans un bureau. Dans son bureau. Dans le bureau qu’il loue en ville, qu’il pourrait y louer. Un large bureau aux murs clairs avec – il le voit très bien – du parquet sur le sol, des post-it sur les murs, les post-it représentant le plan de sa fiction à venir, un carnet aux pages crème entrouvert sur la table, un ordinateur portable flambant neuf, un magnétophone miniature de marque suisse, et puis une théière fumante à côté de lui, avec son thé vert préféré qui infuse à l’intérieur, une théière en faïence spécialement commandée de Chine pour lui permettre de trouver l’inspiration. Mais malheureusement la vie ne permet pas toujours – voire très rarement – voire pour ainsi dire jamais – à l’auteur-de-fiction-radio de se trouver dans son bureau en ville et d’y écrire ses fictions radio inspirées en buvant du thé. L’auteur-

9


de-fiction-radio se voit donc obligé de profiter des moindres moments que lui offre la vie pour écrire, pour prendre des notes écrites ou audio dans son iMachin ou son SmartChose. Actuellement, par exemple, il dicte ce texte dans son iMachin ou son SmartChose au volant de son automobile qui file droit vers le lieu trop déterminé de l’indéterminée nécessité de gagner sa vie. Et s’il se rend dans ce lieu indéterminé situé à plus d’une centaine de kilomètres de chez lui, peste-t-il, c’est pour faire une « intervention », comme on dit, une intervention en tant qu’auteur de fiction radio. Ce type d’« intervention » est un exemple caractéristique de ce que sa femme et lui ont convenu d’appeler « du bricolage ». L’auteur-de-fiction-radio passe donc son temps à « bricoler », c’est-à-dire à gagner sa vie comme il peut, entre deux fictions radio. À moins que ce soit l’inverse, se dit l’auteur-de-fiction-radio. À moins que je ne crée des fictions radio entre deux… [le GPS donne une indication, « après 800 mètres, prenez la première à droite », bruit de clignotant, brusque rétrogradation, chaussée déformée, fin de l’enregistrement]

10


Note texte #002 – Carnet d’idées – Maison à la campagne – 18/07/12 – 17:24 Je fais mon jogging dans la campagne, à travers les champs, cherchant un circuit autour duquel tourner. Ce que je recherche : la régularité de ma course, la planitude du terrain, un chiffre rond pour mon cycle. Dans ma course, loin du règne des humains, au milieu des animaux et des champs, je fais fuir les oiseaux, les biches, les lapins, qui fuient obliquement à travers les champs, coupant par des courbes, par des ellipses, par des trajectoires sauvages et nerveuses les droites et perpendiculaires que je cherche à suivre. Je ne suis pourtant pas un animal bien dangereux, me dis-je en moi-même, pour faire fuir tout ce petit monde. Et pourtant. Quelle bête pourrait comprendre cela, cette folie, la trajectoire géométrique de ce vivant borné que je suis, lancé dans l’espace. Comment pourrait-il me comprendre ? Quelle sombre motivation, quelle obscure folie doit guider un tel animal pour tourner avec obstination et une folle régularité autour d’un champ de blé rectangulaire ?

11


12


Note audio #006 – Carnet de fictions radio Automobile – 20/01/15 – 18:28 Donc. Oui. Notre auteur-de-fiction-radio. Dans son automobile. Il est de retour du lieu indéterminé de la trop déterminée nécessité de gagner sa vie. Il s’est toujours dit que s’il ne trouvait pas assez de « bricolages » pour lui permettre de gagner plus ou moins sa vie en tant qu’auteur-de-fiction-radio, il serait obligé un jour de trouver un « vrai métier », comme sa femme et lui ont convenu d’appeler. L’auteur-de-fiction-radio pense que s’il devait trouver un « vrai métier », ce serait camionneur. Oui. Camionneur. Parce que camionneur, quelque part, c’est le métier idéal, pense l’auteurde-fiction-radio en regardant défiler les peupliers grotesques déformés par les gouttes de pluie dans son rétroviseur. C’est la liberté. Être seul dans son véhicule, certes avoir les mains occupées, mais avoir l’esprit libre. Et après tout, se dit l’auteur-de-fictionradio en actionnant l’essuie-glace arrière, n’est-ce pas là la condition même de l’auditeur radiophonique ? En effet, quand est-ce que j’écoute la radio ? J’écoute la radio en automobile. Ou pendant que je fais la vaisselle. Ou le matin, au petit déjeuner, avant que ma femme ne soit levée. Bref, uniquement quand j’ai les mains occupées et l’esprit libre. Voilà peut-être d’ailleurs en passant une définition de l’écoute radiophonique, se dit l’auteur-de-fiction-radio. Il faut que je raconte ça à ma femme ce soir. Donc oui. La radio, c’est ce qu’on écoute quand on a les mains occupées et l’esprit libre. Mais je ne peux pas généraliser, se dit l’auteur-de-fiction-radio. Peutêtre que d’autres personnes écoutent la radio autrement. Peut-être que d’autres personnes…

13


[changement de vitesse poussif, montée dans les tours] Peut-être que d’autres personnes écoutent la radio avec l’esprit occupé et… [rétrogradation de plusieurs vitesses très rapidement] Il ne faut pas généraliser… [claquement de langue, le moteur devient de plus en plus lent]

Et pourtant l’auteur-de-fiction-radio généralise. La radio, donc, conclue l’auteur-defiction-radio qui généralise, la radio s’écoute quand on a les mains occupées et la tête libre. Et si la radio s’écoute les mains occupées et la tête libre, on peut sans doute aussi l’écrire dans les mêmes conditions. En prenant des notes audio dans un iMachin ou un SmartChose. Comme je suis en train de le faire. À défaut de pouvoir travailler dans le bureau aux murs clairs. Et précisément le métier qui permet cela, c’est le métier de camionneur. Voilà où je voulais en venir. C’est le « vrai métier » idéal pour un auteur de fiction radio, en quelque sorte. L’auteur-de-fiction-radio se souvient avoir dit cela à sa femme, un soir, pendant le repas. Tiens, avait dit l’auteur-de-fiction-radio, si je devais arrêter de « bricoler » et que je devais prendre un « vrai métier », ce serait camionneur. Qu’est-ce que tu en penses ? Et l’auteur-de-fiction-radio d’exposer à sa femme pendant le repas du soir tous les différents arguments qui font de camionneur le métier idéal pour un auteur-de-fiction-radio. Mais la femme de l’auteur-de-fictionradio, elle, n’a pas eu l’air de trouver que le métier de camionneur était si idéal que ça.

14


Après un silence un petit trop long pour ne pas être gênant, l’auteur-de-fiction-radio a ajouté mais non je plaisante ma chérie tu sais bien que je plaisante pendant que la femme de l’auteur-de-fiction-radio a séché ses larmes sur la nappe de la table de la cuisine. L’auteur-de-fiction-radio a donc continué à « bricoler » et à prendre des notes dans son iMachin ou son SmartChose, pendant le moindre interstice de l’indéterminée nécessité de gagner sa vie, à noter des bribes de dialogues, d’idées, de rêves, d’air de musique, de personnages ou de situations observées qu’il a pu collecter en vue de créer sa prochaine… [bruit de frottement contre le micro, accélération rapide, plusieurs vitesses sont passées rapidement] … en vue de créer un grand assemblage sonore pour sa prochaine grande…

15


Note audio #047 – Carnet de rêves Maison à la campagne – 22/07/14 – 06:41 Un petit air entraînant, apparu en rêve :

16

Note texte #060 – Carnet d’idées Appartement – 22/04/14 – 16:53 Vision du futur. Une taxe sur le langage, un impôt sur l’écriture. Seuls les riches auront le droit de lire, d’écrire, de parler et d’échanger le langage à leur guise. Les pauvres n’auront le droit qu’à quelques mots par jour, le minimum social autorisé, toujours les mêmes mots de préférence, pour faire des économies. Le langage sera (enfin) devenu un bien de consommation comme un autre.


Note audio #008 – Carnet de fictions radio Automobile – 20/01/15 – 18:37 Une idée est venue à l’auteur-de-fiction-radio dans son automobile. Et si je créais un personnage, se dit l’auteur-de-fiction-radio. Un auteur-de-fiction-radio, précisément. En route vers le lieu trop déterminé de l’indéterminée nécessité de gagner sa vie. Il prendrait des notes audio dans son iMachin ou son SmartChose, pendant le moindre interstice de temps que lui laisse la vie, dans son automobile, dans le train ou dans les transports en commun. Il noterait des observations, des pensées, des rêves et cela constituerait un grand millefeuille de personnages, de situations, de paroles et de sons. De fragments reliés entre eux. Ou pas reliés entre eux. Et qui feraient un grand tout. Tiens, se dit l’auteur-de-fiction-radio, voilà une idée, je vais raconter ça ce soir à ma…

17


Note texte #049 – Carnet de rêves Maison à la campagne – 26/07/14 – 14:26 Pendant la sieste. Un rêve. Un rite SM japonais bizarre. Une femme se prête de temps à autre à un jeu sexuel étrange : on la sert sur un plateau. Je suis à table. En face de moi, son trou du cul. Il est énorme. La femme est devenue énorme. Son trou du cul est ouvert comme une fleur. On voit bien à l’intérieur. Il y a de la lumière. C’est vraiment bien fait dedans, c’est coquet. C’est fait avec goût. Un intérieur Ikéa. C’est tellement éclairé que je vois presque les autres invités par transparence. Il y a quelqu’un à l’intérieur. Un homme un micro à la main qui fait un boniment. Un animateur de supermarché ou d’émission du matin sur la FM commerciale pour jeunes.

18


Note audio #010 – Carnet de fictions radio Automobile – 22/01/15 – 18:46 Dans son automobile en route vers le lieu indéterminé de la déterminée nécessité de gagner sa vie, l’auteur-de-fiction-radio échafaude des théories. Par exemple celle-ci. L’auto-radio-écriture est un rapport à la mort. Oui, se dit l’auteur-de-fiction-radio, il y a un double rapport à la mort dans l’auto-radio-écriture. D’une part c’est une course contre le temps, contre la mort qui guette. Une forme de surf sur la mort technologique pour sauver sa vie vide de sens et en course perpétuelle contre la montre dans un monde capitaliste oppressant, une course pour sauver quelque chose de soi-même, de l’aliénation totale. Dicte l’auteur-de-fiction-radio en un souffle dans son iMachin ou son SmartChose. Et d’autre part il y a un rapport à la mort, à ma mort concrète sur la route. Quelque part en audio-écrivant en voiture je brave la mort puisque je perds une partie de la précieuse concentration qui me permettrait sans doute autrement d’échapper à la mort. Audio-écrire est tellement important que j’accepte de braver la mort, d’augmenter ma chance de mourir, parce que je dois audio-écrire. C’est une nécessité. Oui, voilà une belle théorie, se dit l’auteur-de-fictionradio. Je vais raconter ça à ma femme ce soir.

19


[long bruit de moteur et de tremblement du véhicule, changement de vitesse, respiration forte] [incompréhensible] voiture [silence plus court] Non, je vais passer par là. [clic] Non. Ou bien non. Je ne vais pas raconter ça à ma femme ce soir. Finalement. Se dit l’auteur-de-fiction-radio. 20


21


22


Quelques repères pour une histoire de la poésie radiophonique 23

Radio et poésie possèdent une parenté naturelle. C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale en France que s’expérimentent tous les croisements possibles entre les poètes et cette « machine poétique » qu’est la radio, à la recherche d’un art nouveau du verbe et du son véhiculés dans l’espace radiophonique.


Poésie sonore et création radiophonique : des histoires distinctes… Les poètes n’ont pas attendu la radio, ni même la possibilité d’enregistrer les sons, pour composer des poèmes « sonores » ou phoniques, c’est-à-dire conçus dès le départ pour une réception auditive plutôt que visuelle : poèmes généralement illisibles – en fait inaudibles – sous leur forme imprimée. Ainsi, dès son Traité du verbe en 1886, René Ghil introduisait l’idée d’une « instrumentation verbale » ; on vit ensuite se multiplier les poèmes simultanéistes, conçus pour des récitations polyphoniques (poèmes de Jules Romains, Henri-Martin Barzun, Pierre Albert-Birot, Fernand Divoire, Sébastien Voirol, poèmes dadaïstes, futuristes, etc.). Avant la radio et l’enregistrement, ces poèmes pour l’oreille se disaient généralement sur scène, devant un public souvent restreint. Par la suite, certains ont été enregistrés sur disque et/ou diffusés sur les ondes, comme la célèbre Ursonate de Kurt Schwitters en Allemagne, La Naissance du poème de Fernand Divoire en France ou encore les Liriche radiofoniche de Fortunato Depero en Italie. Il faut toutefois se garder de penser que la radio serait pour tout poème phonique l’idéal, l’unique et définitif support de diffusion. L’Ursonate, par exemple, reste un poème vocal et choral plutôt que radiophonique, n’ayant été élaboré ni à partir des techniques

24


propres à la radio ni d’abord en vue d’une diffusion sur les ondes. De même, une bonne partie des poèmes dits « sonores » depuis la fin des années cinquante (ceux d’Henri Chopin, François Dufrêne, Bernard Heidsieck, etc.), quoiqu’ils recourent pour certains aux mêmes procédés électro-acoustiques que ceux utilisés à la radio (montage, superpositions de textes et de sons enregistrés, manipulations sonores, etc.), ne se conçoivent guère sans la scène, sans la confrontation directe du poète avec un public, sans la performance. D’où la préférence de Bernard Heidsieck notamment pour l’expression de « poésie action ».

… et de nombreux points de rencontre Si la poésie sonore (au sens large de l’expression) et l’art radiophonique relèvent donc bien chacun d’une histoire spécifique, il existe néanmoins d’indéniables passerelles de l’un à l’autre domaine. De ce point de vue, le passage par la radio des poèmes vocaux dès les années trente ne fut pas sans importance : c’est sans doute là en effet que s’est jouée, au moment même où commençaient à être théorisés et à se développer le Hörspiel et la radiodramaturgie, la rencontre entre d’un côté des poètes intéressés par la vocalisation du poème, sa mise en espace, la musicalité de la langue (mots et phonèmes), de l’autre des professionnels de la radio (metteurs en ondes et techniciens) engagés quant à eux dans la recherche d’un art acoustique pro-

25


pre au nouveau médium. Pour les hommes de radio se trouvait ainsi confirmée la parenté pressentie et souvent soulignée par la suite entre l’expression radiophonique et la parole poétique. Pour la création poétique, le médium radiophonique, riche de promesses inouïes, apparaissait d’emblée à certains, particulièrement dans les milieux d’avant-garde, comme l’instrument possible d’un nouvel art sonore et de nouvelles formes d’écriture poétique. De fait, les recherches radiophoniques ont, tout au long du XXème siècle, accompagné, voire sous-tendu les essais de poésie phonique, fournissant tantôt des moyens et des idées techniques, tantôt des occasions de diffusion et de collaboration. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, particulièrement en France, la collaboration entre poètes et hommes de radio fut si étroite qu’on ne peut tout à fait démêler qui, de la création radiophonique ou de la poésie, fut au service de l’autre. Selon une certaine lecture, la radio contribuerait, parmi d’autres « formes sonores de la poésie », à l’avènement d’une nouvelle poésie « qui retrempée à ses sources, mais rajeunie par des moyens nouveaux, retrouverait ses pouvoirs perdus, son aspect en quelque sorte physique, sa valeur directement sensible d’incantation et de fascination »(1) : tels furent les mots que prononça Jean Tardieu, poète et directeur du Club d’essai de la RTF, au cours d’une soirée d’écoute donnée à l’Alliance française à Paris en décembre 1959, où l’on entendit tour à tour la lecture enregistrée d’un poème

26

(1) Transcription de la conclusion de « Formes sonores de la poésie », émission du 27 décembre 1959 (retransmission de la soirée de l’Alliance française du 16 décembre).


de Saint-John Perse par Maria Casarès, une adaptation radiophonique de La Ralentie d’Henri Michaux, des poèmes lettristes lus par leurs auteurs et l’adaptation par Jacques Poliéri d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Stéphane Mallarmé. Selon le point de vue inverse (mais non contradictoire), on peut aussi considérer que la poésie (en tant que forme d’expression et geste spécifique d’interlocution), nourrit l’art radiophonique, du moins participe étroitement à certaines de ses formes.

La création radiophonique en France : une tradition poétique Cela est sans doute particulièrement perceptible en France où il existe, notamment depuis le Club d’essai (1946-1960) et l’âge d’or des « années Gilson » (1946-1963)(2), une véritable tradition poétique de la création radiophonique. Du Club d’essai, celle-ci s’est ensuite transmise à l’Atelier de création radiophonique de France Culture, créé en 1969 par Jean Tardieu et Alain Trutat (autre figure clé ayant favorisé jusque dans les années 2000 la présence active de poètes à la radio) et se retrouve toujours aujourd’hui dans les divers programmes nés à la suite de l’ACR. Du temps de Paul Gilson et Jean Tardieu en effet, la radio, encore très littéraire, en plus de consacrer de nombreuses émissions et réflexions à la diffusion des poèmes sur les ondes, eut à cœur

27

(2) Le poète Paul Gilson occupa le poste de directeur des programmes artistiques de la RTF de 1946 à sa mort en 1963. Il reste celui qui œuvra le plus activement à une radiodiffusion massive de la poésie.




d’accueillir sur le long terme des poètes-producteurs intéressés par l’idée et la recherche d’une poésie spécifique à la radio, comme Jean Lescure ou André Almuró. Le premier produisit de nombreuses émissions poétiques, dont un important « essai de poème radiophonique », Naissance du langage (1947). Cette œuvre écrite à partir des techniques radiophoniques de l’époque (montage, superpositions, filtres sonores, chambre d’écho…) mais utilisant le poème verbal comme matrice d’écriture, comme en témoignent les passages imités de Guillaume Apollinaire (poème conversation « Lundi rue Christine ») et de Jean Cocteau (La Voix humaine), révèle une esthétique radiophonique encore attachée à cette époque à des formes d’art verbal. André Almuró, quant à lui, se spécialisa, encouragé par Jean Tardieu après avoir donné en 1948 au Club d’essai un « long poème spécialement écrit pour la radio » (Androgyne Asiatique Adolescent), dans la recherche de nouveaux rapports entre texte et musicalité, croisant écriture poétique et recherches électro-acoustiques – une esthétique proche, à l’audition, de certaines œuvres de Bernard Heidsieck par exemple. Par ailleurs fut mis en place un système de « cartes blanches » aux écrivains, en particulier aux poètes, pour qu’ils créent des œuvres originales (cela perdura d’ailleurs avec l’ACR et ses prolongements). Certaines de ces œuvres de commande

30


font date et marquent d’importants jalons dans cette histoire croisée de la poésie et de la radio. J’en retiendrai trois, très différentes en termes de style et d’apports. La première est Pour en finir avec le jugement de dieu d’Antonin Artaud en 1947, réalisée à la demande de Fernand Pouey pour inaugurer la série La Voix des poètes. Cette « émission » (au sens fort du terme) eut des répercussions, malgré sa censure sur les ondes publiques, aussi bien dans le champ poétique (en particulier dans le domaine de la poésie sonore ; François Dufrêne par exemple, s’appuie explicitement sur Artaud pour rompre radicalement, en 1953, avec le support imprimé) que dans le champ de la création radiophonique (immense influence sur André Almuró notamment). La deuxième œuvre est la série Les Chemins et les routes de la poésie de Paul Éluard (1949), anthologie de paroles et de textes poétiques issus de corpus divers qui révéla, selon Jean Lescure, non seulement la possibilité d’« un nouveau langage : la confidence prononcée », mais aussi la part d’émotion essentielle – et en soi « poétique » – portée par la voix du poète, indépendamment même du sens des mots(3). La troisième œuvre est celle que Blaise Cendrars produisit en 1952 pour une série visant à valoriser les archives de la Phonothèque nationale, « Rythmes et bruits du monde », une œuvre qu’il présenta lui-même comme « une espèce de poème sonore ». Avec cette

31

(3) Jean Lescure, « La radio et la littérature », dans Raymond Queneau (dir.), Histoire des Littératures, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », t. III, Littératures françaises, connexes et marginales, 1958, p. 1704.


rhapsodie d’archives, Cendrars tire le poème radiophonique du côté du son brut, introduisant en France la tradition du Hörspiel allemand (on pense à Wochenende de Walter Ruttmann), mais sans délaisser le mince fil de la parole poétique, présente au travers du bref commentaire légendant les extraits choisis. Nombreux pourraient être les exemples d’essais radiophoniques contemporains élaborés à des degrés divers à partir d’un tel substrat poétique : soit que la poésie, objet de l’émission, se propage à cette dernière jusqu’à lui donner allure et ton de poème (comme Avec Tarkos dans le titre de David Christoffel et Christine Diger(4)), soit que le poème entre par fragments pour densifier et rythmer l’émotion (comme dans Mémoire en A de Nathalie Salles(5)), soit encore que l’émission tout entière se présente comme poème radiophonique (tel Brumaire, poème documenté de Dominique Meens et Gaël Gillon(6)). Cette dernière œuvre, qui semble s’inscrire dans la lignée du Hörspiel poétique cendrarsien, propose une troublante déambulation dans des paysages sonores réels ou artificiels, l’auditeur placé aux côtés du poète devenant le témoin d’une méditation solitaire « au cœur du monde ». Par les vers lentement prononcés qui surgissent par endroits, naît de cette nappe sonore polymorphe la figure

(4) Atelier de création radiophonique, 4 février 2007. À réécouter sur le site de France Culture : www.franceculture. fr/emission-l-atelierde-la-creation-avectarkos-dans-letitre-2014-12-03 (5) L’Atelier de la création, 17 juin 2015. www.franceculture.fr/ emission-l-atelier-dela-creation-memoireen-a-2015-06-17 (6) L’Atelier de la création, 20 juin 2013. www.franceculture. fr/emission-l-atelierde-la-creationbrumaire-poemedocumente-2013-06-20

32


unificatrice d’un locuteur, passant lyrique qui, dans un geste très baudelairien, interpelle parfois l’auditeur-compagnon. L’histoire de la poésie radiophonique est loin d’être close, d’autant que le numérique rend aujourd’hui ces œuvres plus repérables et moins éphémères. La poésie « nomadise », disait Julien Gracq. Sortie du vers, elle se coule dans les formes les plus diverses, traverse, fertilise toutes les contrées artistiques recourant peu ou prou à la langue. La radio est à coup sûr l’une de ces contrées, à la fois l’une des plus belles et des plus méconnues.

33


34


35


36


Blind text Récit d'une écoute Deux syllabes nettement détachées : Pour quoi. Ce n’est pas une question, c’est le titre. Des points d’interrogation, l’auditeur en ajoutera mentalement au cours des premières minutes, hachées, déconcertantes, oniriques. Il comprendra vite que son concours est requis, la notice de ce collage sonore ayant été mangée par la pluie, à moins qu’elle n’ait servi à emballer une terrine de volaille, si elle n’a pas été réduite en poussière d’étoiles. Chants d’oiseaux légers. C’est le petit matin près d’un bois. Un sifflotement rêveur se mêle aux pépiements. Les feuilles se froissent sous le pas distrait de l’homme dont le regard embrasse la campagne. L’air est un peu frais, le soleil pas loin. Puis il prononce un « Bon ! » qui semble signifier « la journée commence, il faut se mettre en action ». Coup de feu,

37


l’homme s’effondre. Le fredonnement d’une jeune fille s’approche à travers champs. Un « lalala » exagérément innocent. Tresses, charlotte, tablier blanc, panier pour cueillir les fraises : l’image d’Épinal. La jeune fille bute sur le corps avec un sursaut d’effroi. Petites tapes sur les joues, pas de réaction. « Il est vraiment mort ? », voix sucrée d’ingénue. Une grappe de perles secouées se fait entendre et une voix grave répond « Nobody never dies. Never, never, never ». Un homme s’est matérialisé. Silhouette d’ours immense avec un chapeau. Allez savoir pourquoi, pour moi, il a la tête d’Orson Welles. La jeune fille, que la réponse semble satisfaire, reprend sa chansonnette et s’éloigne comme elle est venue. Heurt métallique comme un clap début qui déplie un paysage de machines. C’est à la fois lourd et froid. Un mécanisme, un moteur, une vapeur crachée. La pluie ruisselle et, au loin, une voix de femme crie : « Philippe, viens » ! Elle s’approche, désespérée, répète son appel. Un bus feule. Coupé.

La requête est déclinée tout au long de la pièce, tantôt en majeur : cri poussé dans les rues, haut parleur ; tantôt en mineur : voix de souriceau au téléphone. Le pathétique de cet amour unilatéral est pris en charge par le montage qui fait se succéder implacablement les séquences : elle qui implore, qui appelle puis, comme une porte qu’on lui claquerait au nez, lui ailleurs qui fait autre chose, qui s’en fout, qui lit Paris Turf. Car, comme son nom l’indique, ce que Philippe aime, lui, ce sont les chevaux. Ailleurs, c’est la superposition de deux discours qui met en évidence l’échec du dialogue amoureux : une femme, dans les rayons d’un grand magasin, énumère des articles tandis qu’une voix masculine en surimpression prononce les mots : « Je t’aime ». Les désirs ne se rencontrent pas. Comme si les êtres étaient eux-mêmes des comètes dont les trajectoires ne se télescopaient que parfois, par hasard. Ces voix sans interlocuteurs qui, tout au long de la pièce, ressassent, vocifèrent,

38


On entre dans un taxi bloqué dans la circulation, son passager à l’accent parigot bougonne contre le chauffeur. Et ainsi commence une succession de situations hachées menu. Ni les entrées ni les sorties ne sont ménagées, on fait irruption dans les scènes. L’écoute ne peut être molle car le sursaut n’est jamais loin, du taxi à la pluie, d’une voix qui rouspète à une voix qui implore, des chants d’oiseaux aux coups sur le métal. On retrouve Orson qui déclame en anglais. Le ton est celui d’un personnage de tragédie shakespearienne proférant sa malédiction, mais il est question d’énergie solaire : « The surface of the sun is a much more intense source of high energy particles flux than we believe etc. » Prophétie astrophysique ? Peu à peu, on noue des fils. Les leitmotivs indiquent une situation qui patine : la femme courant sous la pluie après l’homme fuyant dénommé Philippe. Elle, on l’imagine peu à son avantage, les cheveux en algues humides lui collant au front : « Aime-moi pendant qu’on existe, aime-moi pendant que je suis là, aime-moi pendant qu’il fait jour, aime-moi Philippe ! »

soliloquent, on dirait qu’il leur faut hurler pour parvenir à se faire entendre. Sans doute cette composition fragmentée peut restituer ce qu’un discours construit est impuissant à traduire. Il semble qu’il faille émietter le monde pour en dire le secret, ouvrir des brèches à l’insaisissable. La voix d’Orson perce ça et là. Il se matérialise à la manière de ces silhouettes de cinéma dont l’étrangeté s’immisce dans le plan. On l’entend dire, comme des vers, des phénomènes d’astrophysique. Et parfois il prophétise : « Night is coming ». Dans la succession effrénée des séquences, on perçoit en effet une urgence, quelque chose doit être accompli avant que la nuit ne tombe. On a l’impression que les êtres se débattent dans un monde assurément sans dieu, sans principe ordonnateur. Et peut-être cet Orson, qui n’a à la bouche que des histoires d’astres qui explosent, est-il en fin de compte le grand désordonnateur de ce petit univers où les personnages seraient renvoyés sans cesse à leur infinie solitude. Des satellites perdus dans la nuit. La nuit où une langue s’invente,

39


libérée des contraintes de la continuité, une langue faite d’associations libres, de métaphores, et qui semble restituée dans cette création sonore. Les ruptures assurent une intensité de l’écoute : celle-ci ne peut être qu’amie, empathique. Une construction linéaire aurait balayé les parasites, les éléments perturbateurs. Ici, au contraire, l’inattendu et le non maîtrisé ont leur place, comme dans le cours accidenté de la pensée. Cette grammaire sonore semble nous dire qu’on ne peut saisir du réel qu’une succession d’instants et leurs corollaires d’impressions, de sensations. La continuité n’existe pas, c’est l’éclatement qui est la règle. Les séquences sont comme des particules dont la collision fait poème. Orson évoque en creux ces supernovas qui sont à la fois des morts et des naissances d’étoiles. La pièce sonore elle-même semble être née d’un big-bang et, lorsqu’elle se clôt, on se dit que les fragments qui la composent doivent tourner encore en orbite quelque part dans la nuit.

40


41


42


« Je prends

le temps d’ouvrir un tiroir sonore » Petite histoire de la fiction jeunesse Évoquez la fiction sonore pour les enfants et aussitôt les yeux s’allument : chacun·e se remémore quelques écoutes qui ont marqué son enfance. Mais tentez d’en dresser une chronologie ou d’en esquisser un tour d’horizon, et c’est une autre affaire : on glane beaucoup de silences et d’interrogations avant de tomber sur des veines fertiles. C’est tout le paradoxe des histoires enregistrées pour les enfants, d’être à la fois parfaitement évidentes et parfaitement méconnues. Vastes comme le patrimoine oral de l’humanité, foisonnantes dans l’édition jeunesse, mais étiquetées avec condescendance comme sous-genre pour sous-public.

43


« En 1974, quand j’ai commencé à m’intéresser aux vinyles d’histoires pour les enfants, on trouvait que ce n’était pas très noble », se souvient Françoise Tenier, bibliothécaire retraitée de L’Heure joyeuse, dans le 5e arrondissement à Paris, qui dispose d’une collection patrimoniale de littérature jeunesse. « Les bibliothécaires de littérature jeunesse ne s’intéressaient pas au support sonore et les discothécaires n’en voulaient pas parce que c’étaient des supports jeunesse. » La fiction sonore pour les plus jeunes venait brouiller les frontières bien établies entre l’écrit et le son, et bousculer les vieilles habitudes sur ce qu’il convenait de prendre au sérieux – mais sa réputation pâtissait aussi des piètres adaptations qui faisaient de l’ombre aux créations plus travaillées. « Du temps des vinyles, des années 1950 aux années 1980 », reprend celle qui co-fonda la Commission d’écoute de phonogrammes pour enfants des bibliothèques parisiennes, « la production sonore était le seul fait des éditeurs phonographiques. Comme ils ne disposaient pas des droits liés aux textes, ils faisaient des adaptations. » Au premier rang de celles-ci, les livres-disques pionniers produits par Lucien Adès dans la collection du Petit Ménestrel à partir de 1953, qui transposaient en sons, avec un ton parfois plus infantilisant qu’enfantin, des contes et des classiques de la littérature, mais aussi les productions de Disney ou des bandes dessinées comme Spirou. De cette époque fondatrice datent les premières fictions personnifiant des instruments de musique, dont l’emblématique Pierre et le Loup de Prokofiev conté par Gérard Philipe en 1956 aux éditions Le Chant du Monde. Sylvain Quément, fondateur de la webradio musicale pour enfants Radio

44


Minus, préfère quant à lui dénicher des « trésors cachés ». Par exemple, chez le label BAM en 1955, Le crabe qui jouait avec la mer du compositeur Philippe Arthuys : « une adaptation littéraire d’un récit de Rudyard Kipling, pionnière en matière de musique concrète, qui donne à entendre de multiples textures sonores ». Mais aussi une production originale éditée par Philips en 1959, « la fiction la plus emblématique de l’esprit des feuilletons radiophoniques » : Cadmus, le robot de l’espace de Jean-Jacques Olivier, joué par des acteurs de cinéma, réalisé par Henri Gruel, avec aux effets sonores Jean-Jacques Perrey et, précise la pochette, « son ondioline kaléidoscopique ». L’utilisation du support cassette au milieu des années 1980 permet de passer « du disque noir fragile, écouté religieusement sur la platine familiale, à un objet que les enfants peuvent manipuler eux-mêmes, sur leur propre lecteur », poursuit Françoise Tenier. Et les éditeurs littéraires s’en emparent pour proposer des interprétations sonores de leurs collections : « Cela a beaucoup diversifié le répertoire enregistré, en l’améliorant. » La production se concentre sur des textes existants, Gallimard s’imposant comme un acteur central du livre-cassette. Au cours de la décennie qui suit, Alain Trutat et Nelly Le Normand produisent chaque semaine sur France Culture les splendides Histoires du Pince Oreille, poèmes et récits structurant chaque émission de façon originale, avec une grande

45


musicalité dans le rythme et les ambiances. Une autre façon de s’adresser aux enfants s’impose, qui les traite comme des personnes à part entière. Chez Didier Jeunesse, Michèle Moreau lance en 1988 des cassettes d’histoires et comptines d’abord destinées à l’alphabétisation des enfants d’origine étrangère, puis proposées au grand public. La maison d’édition reste aujourd’hui fidèle, dans ses livres - CD, au répertoire traditionnel comme aux publics « maintenus à l’écart ». Cette attention portée à un lectorat déconsidéré est partagée par d’autres éditeurs de livres audio, et a certainement à voir avec la mésestime dans laquelle est souvent tenue la production jeunesse – alors qu’elle est précisément la source d’un travail inventif autour de l’oralité, de la musique, du sonore. Benjamins Médias développe depuis 1988 un catalogue des plus stimulants, conçu pour être accessible aux enfants aveugles comme aux autres, et qui s’appuie aujourd’hui sur des créations inédites. « Cette approche acousmatique continue de nous distinguer d’autres productions, qui travaillent beaucoup en rapport avec le visuel », précise Ludovic Rocca, réalisateur chez l’éditeur depuis près de dix ans. « Je prends le temps entre deux phrases d’ouvrir un tiroir sonore qui n’est ni dans le texte ni dans l’illustration. » À la fin des années 1990, le support CD se généralise et permet l’apparition, au cours des années 2000, d’éditeurs plus nombreux. Le ton paternaliste n’est plus de mise, mais les jeunes oreilles doivent régulièrement faire face à un ennemi tout aussi redoutable : le show-business, ses mises en son spectaculaires et ses voix hollywoodiennes qui laissent bien peu de place à un imaginaire propre. En contrepoint, le créateur sonore Daniel Deshays, qui

46


47


a réalisé il y a une quinzaine d’années chez Gallimard Jeunesse le son de la série pour les très jeunes enfants Coco, évoque une toute autre approche : « Pour moi c’était un terrain d’essai qui permettait d’échapper aux formes sonores déjà normées. Il fallait pouvoir travailler avec de petits objets, presque rien, jouer sur l’énergie, les silences, les scansions, dans une oreille que certains qualifieraient de musicale, mais qui est simplement vivante. La parole est un geste, la fabrication des sons est un geste. » On est bien loin des bruitages redondants ou des clochettes indiquant le moment de tourner la page. Chez les éditeurs attentifs au sonore, le geste de publier lui aussi est rare – pour des raisons économiques, et parce que l’audio est un chantier d’importance. Aux éditions Sarbacane, trois albums - CD seulement au catalogue : le son n’est inclus que s’il fait partie prenante de l’histoire. Le Château des pianos de Pierre Créac’h permet ainsi de découvrir les sonorités de pianos de collection : « Nous voulions donner à l’oreille des sons que nous n’entendons plus aujourd’hui, un peu comme on forme le goût », indique Emmanuelle Beulque, directrice éditoriale. Aux éditions des Braques, le son autre que musical peut aussi devenir un personnage à part entière, comme dans Mon voisin de Guillaume Gallienne et Marie Dorléans, où les dessins jouent fort bien de l’imaginaire lié au bruit. Parmi les éditeurs de CD simples, on citera notamment l’École des loisirs, qui propose des lectures enregistrées de ses livres les plus demandés, et les éditions Oui’Dire, qui présentent une collection de contes d’auteurs écoutables à tout âge, à l’instar de l’ébouriffant Monstres de Myriam Pellicane, accompagnée par Éric Delbouys et ses « tambours préparés ». Signe de reconnaissance et de vitalité, diverses structures promeuvent les livres-CD et livres audio : certaines anciennes, comme l’académie Charles Cros ou la

48


Commission d’écoute des bibliothèques de la ville de Paris, et d’autres plus récentes, comme les associations La Plume de Paon, qui organise un festival du livre audio, et Lire dans le noir, qui réunit des journalistes de Radio France. Alors qu’elles montrent une créativité nouvelle dans le secteur de l’édition, les fictions jeunesse sont néanmoins les grandes absentes des antennes publiques ou associatives aujourd’hui. « Il y a beaucoup de mépris », « les catégories non décideuses ne l’emportent pas », « cela demanderait d’abord que les enfants soient pris au sérieux » : les actrices et acteurs du livre sonore regrettent cette sourde oreille de la radio pour l’enfance. Il existe quelques exceptions dans le domaine du conte ou dans le travail d’ateliers par et pour les enfants par exemple mené en Belgique par le collectif Wow ! , et diffusé sur Radio Panik. Arte Radio, qui s’avoue « plus intéressée par les questions pour adultes » et qui soulève les limites de son support numérique pour les enfants (absence d’autonomie et confrontation à des créations sonores pour des oreilles plus averties), a néanmoins décidé depuis 2014 de produire une fiction jeunesse à chaque Noël. France Culture, de son côté, a abandonné en 2010 la diffusion hebdomadaire d’une émission jeunesse. La chaîne y substitue une programmation ponctuelle et a fait basculer une partie du fonds d’archives jeunesse sur le portail fictions.franceculture.fr. On y trouve des pièces d’une très belle qualité, à l’instar du récent Alice & merveilles, concert-fiction de Stéphane Michaka avec l’Orchestre National de France, mais comme mises en valeur sur un site dédié pour mieux se raréfier à l’antenne.

49


« Il n’y a pas d’art pour l’enfant, il y a de l’art. Il n’y a pas de graphisme pour enfants, il y a le graphisme. Il n’y a pas de couleurs pour enfants, il y a les couleurs. Il n’y a pas de littérature pour enfants, il y a la littérature. » La déclaration du « concepteur de livres » François Ruy-Vidal avait dans les années 1970 secoué le landerneau éditorial. Et Françoise Tenier d’ajouter aujourd’hui : « Un bon disque pour enfant est aussi un bon disque pour adulte. » Peut-être est-ce là le secret des fictions sonores jeunesse : si elles sont méconnues, ce n’est pas en raison de leur simplicité supposée, mais au contraire parce qu’elles sont bien plus exigeantes à imaginer et à fabriquer.

50


51


52


Désannonce C’était JEU, troisième numéro de la série FICTION des Carnets de Syntone, octobre 2015. Après l’édito signé Étienne Noiseau, « Auto-Radio-Fiction » en page 9 est la réponse de Sebastian Dicenaire à notre invitation à composer un texte original d’autofiction. Sebastien Dicenaire est poète, auteur et réalisateur de fiction (Personnologue, 2009 ; Pamela, 2015), il vit et travaille à Bruxelles. Page 23, la chercheure en littérature Céline Pardo nous livre « Quelques repères pour une histoire de la poésie radiophonique ». Nous retrouvons la rubrique « Blind Text » en page 37, à la découverte d’une œuvre méconnue issue du patrimoine radiophonique : notre invitée Laure Egoroff, réalisatrice à France Culture, nous raconte l’écoute d’une pièce qu’elle a choisie et que nous révèlerons prochainement sur Syntone.fr. Pour finir, avec « Je prends le temps d’ouvrir un tiroir sonore » (page 43), Juliette Volcler enquête dans le milieu foisonnant de la production audio pour la jeunesse.

53


Comme chaque numéro des Carnets de Syntone, la réalisation visuelle est confiée à un·e artiste invité·e. Pour ce numéro : dessins et linogravure de Michèle Charron. Équipe de réalisation : Étienne Noiseau, Anaïs Morin et Rosalie Peeters. Maquette : Anaïs Morin (anaismorin.com). Imprimé en 170 exemplaires à l’imprimerie Autre Page à Prades, Pyrénées-Orientales. Linogravure imprimée à l’Atelier Autonome du Livre, à Mosset, Pyrénées-Orientales. La publication « Les Carnets de Syntone » est un supplément trimestriel à Syntone.fr ~ actualité et critique de l’art radiophonique, envoyé sur abonnement de soutien. Il est édité par l’association Beau bruit, Prades, Pyrénées-Orientales. Beau bruit reçoit le soutien des lectrices et lecteurs de Syntone, de la Scam, de la DRAC Languedoc-Roussillon et de la SACD. Au quotidien, lisez syntone.fr !

54





Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.