La revue de l'Écoute n°11 | automne2017

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édito Ce numéro 11 de la revue de l'Écoute s'honore d'une « première » : un reportage dessiné. Notre collaboratrice la bédéaste Lénon, de passage cet été dans la campagne armoricaine, a rapporté ses souvenirs d'un lieu unique en son genre et encore trop peu connu : le Centre de Découverte du Son. Nous célébrons également une « dernière ». Quand la radio trompe l'oreille, la petite histoire des faux-semblants radiophoniques, s'achève dans ces pages. Juliette Volcler met ici un point final à son feuilleton initié dans le numéro 4 (qui s'appelait d'ailleurs « VRAI-FAUX ») sur près de cent ans de jongleries sonores entre fiction et réalité. Ce numéro est aussi l'occasion de rendre un modeste hommage à un « homme de radio » disparu le 20 juin dernier. Brillant diffuseur d'une pensée du sonore les plus avancées que la discipline ait connue, figure tutélaire de l'Atelier de Création Radiophonique (ACR) de France Culture dont il fut le principal producteur et animateur depuis sa création en 1969 jusqu'à ce qu'il en soit brutalement remercié en 2001, René Farabet n'eut de cesse de donner ses lettres de noblesses à ce singulier (et nouveau pour l'époque) métier d'auteur de radio. Dans ses œuvres pour Culture d'abord, souvent primées (Prix Futura, Italia, Europa, Ondas, Gilson, Scam), à la mise en ondes toujours imposante – et pas seulement parce que les ACR ont longtemps duré deux heures et demie : on peut citer parmi d'autres Comment vous la trouvez ma salade ? ; L'ai-je bien descendu, l'avons-nous bien monté ? ; Autoportrait d'un nouveau musée : Orsay ; Cordoba Gongora ; Monsieur Van Gogh, vous délirez ? ; Une étoile nommée absinthe ; Paroles du dedans, Centrale de St Maur (tous dénichables sur le site de

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France Culture en fouillant un peu)… sans oublier Les bons samaritains sur lequel nous avons choisi de poser une écoute dans notre rubrique « œuvre ouverte ». Autant de pièces dont la liberté, l'exigence mais aussi le côté expérimental, tutoyant souvent la poésie et la littérature, auront pu servir de mètre-étalon pour sa descendance en radio élaborée. Avec ses écrits ensuite, notamment Bref éloge du coup de tonnerre et du bruit d'ailes aux éditions Phonurgia Nova, inépuisables recueils de réflexion qui nous ont offert et continueront de nous offrir de nombreuses perspectives, des outils critiques, et même des plaisirs littéraires. À l'écrit ou à l'audio, René Farabet aura considérablement enrichi le langage radiophonique, redéfinissant les notions de montage, d'écoute, d'enregistrement du réel, de flux, d'espace sonore, etc. On lui doit d'avoir ouvert le champ des possibles. Souhaitons que ce champ continue de s'élargir et d'être partagé et cultivé par de nouvelles et de nouveaux « utopistes » du son, comme vous en rencontrerez également au fil de ce numéro.

Guettez les mots soulignés par une ondulation et rendez-vous page 60 dans le petit lexique (récréatif) de la création sonore et radiophonique.

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La Revue des Podcasts, c’est le podcast de Syntone. Une fois par mois environ, nous vous parlons d’un podcast que nous avons repéré sur le web. Pour écouter, rendez-vous sur : syntone.fr ou soundcloud.com/larevuedespodcasts

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son de saison Le retour de Barberousse Peut-être avez-vous déjà remarqué que l’été est la saison de la discrétion chez les oiseaux. On ne les entend plus, ou presque plus. Quelques bribes de chants par-ci, quelques cris de présence par-là, mais globalement le paysage sonore est déserté par la gent ailée. Il y a deux raisons principales à cela : la période de reproduction s’achève pour la très grande majorité des passereaux et c’est aussi le moment pour eux de rénover entièrement leur plumage. Autant dire qu’il n’y a plus vraiment de quoi plastronner… On pourrait croire que c’est plié : fini les gazouillis et les roulades sonores jusqu’au début du printemps prochain. Mais c’est sans compter sur le plus familier de nos piafs : le Rouge-gorge. Corps rond, bavette et face orangées, deux petites billes noires en guise de mirettes : tout le monde (ou presque) sait le distinguer. Mais il se trouve que le rouge-gorge est aussi un chanteur très productif. Il s’agit même de l’oiseau que vous avez le plus de chance d’entendre, statistiquement, au cours d’une année. Non seulement parce qu’il est très commun, ubiquiste et peu farouche mais aussi parce qu’il rechante à l’automne ! C’est l’expression, paraît-il, d’une obsession territoriale unique (et commune aux deux sexes). Attendez octobre, puis tendez l’oreille : que vous soyez au bord de la mer, dans votre jardin, dans un parc urbain ou dans une forêt d’altitude, vous le reconnaîtrez à ses strophes mélancoliques, fluides et délicates. Il se pourrait même qu’il accompagne votre spleen de novembre, jusqu’aux premières neiges… o c uter àé

• Laure-Hélène Planchet et François Teste, Lettres mortes, France Culture, 2010

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https://soundcloud.com/son-de-saison

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emissions/l-heure-du-documentaire/lettres-mortes


petites oreilles Pour les petites fonceuses et les mini voyageurs « Tout a commencé lorsque nous avons constaté l’immense popularité de la littérature sonore chez les petits Allemands. » Ainsi débute le manifeste de Trois Petits Points, « maison de littérature sonore pour la jeunesse » fondée en 2015 par des Français·es vivant à Berlin et Toulouse, Marion Bossuat, Sandrine Moreira et Jonathan Cohen. Leur idée : « réaliser de magnifiques “Hörspiele” pour enfants en langue française » et pour ce faire, s’« inspirer de la tradition allemande de la littérature sonore “jouée” » en ayant « la chance de produire à Berlin ». Au catalogue, pour l’instant, trois CD (bientôt complétés par plusieurs projets en cours de production) : Louisette la taupe, adaptation de deux bandes dessinées de Bruno Heitz ; Grand Loup & Petit Loup, mises en son de trois albums de Nadine Brun-Cosme et Olivier Tallec ; et La drôle d’histoire de Joey, une création rock’n’roll de Rémi Vidal. Trois formats très différents, soignés aussi bien dans le récit que dans la réalisation. Quelque chose qui réussit le grand écart entre l’élégance posée de Didier Jeunesse pour les contes mis en musique et l’invention fringante du Guillemette d’Arte Radio pour l’histoire chantée. Avec une trouvaille où s’affirme le style propre de l’éditeur : cette Louisette jouée par Yolande Moreau, où les timbres de voix, les accents, les ambiances et les détails en arrière-plan construisent une mise en scène délicate et pétillante.

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www.troispetitspoints.audio

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petite histoire Quand la radio trompe l’oreille : petite histoire des fauxsemblants radiophoniques Épisode 8 : entre philosophie et institutionnalisation (années 2000–2010) Quand la fiction fait l’évènement en passant pour le réel : retour, sous forme de feuilleton, sur près d’un siècle de faux-semblants radiophoniques, ces fictions qui se font passer pour le réel. Huitième et dernier épisode : la grande vague de docufictions du début du vingtet-unième siècle institue de nouveaux codes narratifs et voit l’émergence d’une veine particulièrement fertile, où le travail de création sonore se fait philosophique.

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Avec l’explosion du genre dans les années 2000–2010, le faux-semblant devient un outil narratif parmi d’autres et s’institutionnalise. Il dispose désormais, à plusieurs reprises, de semaines dédiées sur les antennes publiques et d’une catégorisation ad hoc, celle de « docufiction ». En 2007, une pièce diffusée dans Sur les docks, programme phare dans la production du genre sur France Culture, est par exemple consacrée au métier de consultant∙e. Cœur de cible : des consultants au travail entremêle des entretiens classiques avec des cadres du secteur et des mises en scène de situations professionnelles réalistes, jouées par les membres bien réels d’un cabinet réputé1. Le 25 juin 2008, la même émission diffuse une parodie d’un programme d’information internationale de RFI, Appels sur l’actualité. Reprenant l’intitulé de ce dernier, elle est animée par son producteur habituel, Juan Gomez, qui échange avec les auditrices et auditeurs en direct du lundi 25 juillet 2072. L’occasion, notamment, d’évoquer de façon concrète la crise environnementale2. De la pédagogie par l’exemple et de la prospective. Cependant, l’émergence d’une approche inédite se manifeste à la même époque, notamment à travers la production prolifique d’un tandem : celui qui réunit le producteur Christophe Deleu et le réalisateur François Teste. Ces derniers se mettent à travailler, souvent ensemble, parfois avec d’autres acolytes, à explorer toutes les possibilités qu’offre ce format et jouent ainsi un rôle central dans son développement sur les antennes publiques en France. Deleu, par ailleurs enseignant-chercheur, accompagne également ses créations par des publications théoriques sur le documentaire radiophonique. Ils créent La 1. Nathalie Battus (réalisatrice), Irène Oménianenko, Laurent Slaters, Pierre Chevalier (productrice/teurs), Cœur de cible : des consultants au travail, Sur les docks, France Culture, 11 juin 2007, fonds INA. 2. Antoine Sachs, Clément Sibony et Guillaume Baldy (réalisateurs), Irène Omélianenko (productrice), Appels sur l’actualité : lundi 25 juillet 2072, Sur les docks, France Culture, 25 juin 2008, fonds INA.

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lointaine en 2004 pour Le vif du sujet e recours au sur France Culture3 : la pièce traite de docufiction la disparition d’une jeune femme à offre dans ce qui tout semblait réussir, dont on ne cas un moyen sait si elle s’est enfuie, si elle a été enlevée ou si elle a été victime d’un précieux pour accident. À mesure que témoignent narrer une les personnes qui l’ont connue, sa histoire qui personnalité devient de plus en plus resterait intrigante. Le public n’est informé qu’à la fin de l’émission du fait qu’elle autrement a été inventée de toutes pièces. Son inédite histoire n’en demeure pas moins riche de sens, le faux-semblant permettant ici de construire une parabole contemporaine. Suivent de nombreuses œuvres, pour beaucoup diffusées dans Sur les docks. En 2010, François Teste et Laure-Hélène Planchet racontent dans Lettres mortes l’histoire imaginaire de Martin Pauvrères, collectionneur de nombreuses missives volées, et dressent un portrait tout en nuances de l’homme et de ses motivations4. Selon un procédé maintenant bien établi, les interventions scientifiques d’un expert tout à fait réel s’entremêlent avec les scènes de fiction. La même année, Vers le nord de Teste et Deleu suit de façon documentaire un faux cinéaste qui veut donner à voir le Pas-de-Calais autrement qu’à travers la représentation convenue du film Bienvenue chez les Ch’tis 5. Le docufiction entend ainsi proposer une plongée caustique dans la création cinématographique et ses affres. En 2011, dans Le cru et à croître, ils abordent la question du territoire de façon très différente, à travers l’histoire, narrée sous

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3. François Teste (réalisateur), Christophe Deleu (producteur), Alexandre Héraud (producteur), La lointaine, Le vif du sujet, France Culture, fonds INA. 4. François Teste (producteur et réalisateur), Laure Hélène Planchet (productrice), Lettres mortes, Sur les docks, France Culture, 9 avril 2010, fonds INA. 5. Christophe Deleu (producteur), François Teste (réalisateur), Vers le Nord, Sur les docks, France Culture, 5 avril 2010, fonds INA.

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forme documentaire et fort bien jouée, d’un homme qui ne peut plus user librement des forêts de sa propriété familiale en raison du droit qu’un cousin revendique sur le « crû et à croître » du domaine 6. « Si l’histoire est fictive », indique Deleu, « le comédien incarnant ce propriétaire menacé possède réellement le patrimoine forestier dont il est question dans l’émission. Par exemple, quand il répond aux questions du (faux) documentariste (cependant incarné par un vrai documentariste), il parle réellement du territoire où il habite, des arbres qu’il connaît et de son amour des grands espaces forestiers 7. » En 2011 toujours, François Teste s’associe à Irène Omélianenko pour produire Guy Labour, prisonnier de la montagne, qui met en scène la passion pour la montagne, le dévissage lors d’une course, l’attente dans une crevasse et la mort d’un authentique alpiniste8. Le docufiction permet ici de donner davantage d’authenticité au témoignage issu du journal de Guy Labour, le plaçant au même niveau que les autres interventions. La même année, dans Un instant d’égarement, François Teste et Laure-Hélène Planchet abordent les avancées de la génétique à travers l’histoire d’une famille blanche où naît un jour un enfant métisse 9. Les conditions pour produire un documentaire ne se rencontrant pas toujours (un protagoniste essentiel, par exemple, ne peut ou ne veut pas parler), le recours au docufiction offre dans ce cas un moyen précieux pour narrer une histoire qui resterait autrement inédite, ou que l’on ne pourrait traiter que sous forme d’entretien classique. On peut aussi, comme nous le verrons ci-dessous, choisir de remplacer un témoin central par un∙e comédien∙ne, si cela permet de donner davantage de force au récit. 6. François Teste (réalisateur), Christophe Deleu (producteur), Irène Omélianenko (productrice de l’émission), Le cru et à croître, Sur les docks, France Culture, 10 mai 2011, fonds INA. 7. Christophe Deleu, « Dispositifs de feintise dans le docufiction radiophonique », Questions de communication n° 23, 2013, p. 304. 8. François Teste (réalisateur), Irène Omélianenko (productrice), Guy Labour, prisonnier de la montagne, Sur les docks, 9 mai 2011, fonds INA. 9. François Teste (réalisateur et producteur), Laure-Hélène Planchet (productrice), Un instant d’égarement, Sur les docks, France Culture, 11 mai 2011, fonds INA.

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Deleu et Teste n’exploitent pas seulement le faux-semblant comme outil narratif pour tisser la cohérence interne ou la vraisemblance d’une pièce à visée informative ou divertissante : il leur permet également de mettre en scène des univers imaginaires. En 2013, ils produisent Débruitage pour l’Atelier de création sonore radiophonique de Bruxelles (Acsr) et la RTBF, ainsi présenté10 : « Le débruitage nous vient des USA, grâce à l’invention de Michael Lawson qui a créé la société NOISEBUSTER en 2001. Le débruitage consiste à éliminer 10. Christophe Deleu et François Teste (réalisateurs/producteurs), Débruitage, Acsr, 2013.

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les sons qui peuvent perturber le quotidien des gens : bruits qui hérissent, ou qui possibilités rappellent de douloureux souvenirs ; de la fiction paroles blessantes qu’on voudrait faire disparaître ; voix qui inquiètent après se trouvent avoir été si rassurantes. La prestation est exploitées encore onéreuse, mais devrait se pour faire démocratiser dans les années à venir. Cette éclore une société a d’abord créé des succursales au Royaume-Uni et arrive sur le continent nouvelle par la Belgique. » La pièce suit de façon pensée du très vraisemblante les déplacements sonore d’un débruiteur au travail, sans jamais dévoiler son caractère fictif. L’expertise se trouve ici mise en scène et mimée jusque dans son jargon : « Des fois il peut y avoir une queue de son qu’on n’aura pas pu aspirer », met ainsi en garde le professionnel. La démarche rappelle celle que développera plus tard le collectif Tarabust avec Phonophore11 : toutes les possibilités de la fiction se trouvent exploitées pour faire éclore une nouvelle pensée du sonore.

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C’est que, dans ces années 2000–2010, la veine de fauxsemblants qui s’affirme le plus, notamment en France et en Belgique, développe l’approche existentielle que Gregory Whitehead avait inaugurée dans les années 1990, questionnant les notions d’authenticité et d’imaginaire, déboulonnant la figure de l’expert∙e, interrogeant le public sur le pacte qui le lie aussi bien au diffuseur qu’à l’auteur ou l’autrice de la pièce12. Ainsi de plusieurs histoires « sur le racisme et la belgitude »13 réalisées par le trio belge réunissant Sabine Ringelheim, Luc Malghem et Pierre Lorquet. En 2003, Trois journées dans la vie 11. Voir l’épisode 7 de ce feuilleton, paru dans La revue de l’Écoute n°10. 12. Voir l’épisode 5 de ce feuilleton, dans les Carnets de Syntone n°8 ou sur syntone.fr/ dossiers/faux-semblants. 13. Sabine Ringelheim, Luc Malghem et Pierre Lorquet, dossier de présentation d’Histoire de la femme creuse, non daté. Les autres citations concernant leur travail sont également extraites de ce document.

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des Belges propose ainsi une « radio-catastrophe » : la mer du Nord envahit soudain la Flandre, occasionnant un vaste exil vers la Wallonie. En 2004, Alain l’Africain narre la difficile insertion d’un Liégeois à Bruxelles – il faut dire que ce Liégeois se trouve être noir. En 2007, Noces de chien met en scène les suspicions qui pèsent sur le mariage entre une Belge et un immigré clandestin. En 2009, Histoire de la femme creuse revient sur un fait divers réel : l’enlèvement d’un nourrisson par une femme qui avait prétendu être enceinte depuis son licenciement. Les pièces du trio se présentent explicitement comme des fictions, tout en jouant sur les registres du faux reportage et de la parodie d’émission, sur l’alternance de « scènes écrites » et de « paroles spontanées », ou sur des microtrottoirs détournés (de vraies réponses, mais calées sur des questions modifiées au montage). Il ne s’agit alors pas tant de faire de la critique sociale que de casser les cadres de la narration : « Nous entendons surtout montrer et démonter le récit en train de se faire, non pas par un discours sur la société du spectacle ou sur les dérives médiatiques, mais au contraire par l’absence d’une instance narrative fiable, ou par une confrontation d’assertions contradictoires (ce qui revient au même). » La thématique de certaines pièces pousse de fait leurs auteurs et autrices au choix d’une forme hybride, plus à même de transmettre l’ambiguïté, l’incertitude ou la polysémie. En 2008, l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture diffuse par exemple Le journal d’Alphonse, un « essai radiophonique » d’Elisabeth Butterfly, d’abord paru sous forme de livre en 2004. Butterfly explique avoir découvert un film inédit et pas encore monté de François Truffaut, « le cinquième volet des Aventures d’Antoine Doisnel » 14. Annonçant travailler « en collaboration avec Eva Truffaut », la fille du cinéaste qui se prête au jeu comme plusieurs acteurs ou 14. Elisabeth Butterfly (productrice), Vanessa Nadjar (réalisatrice), Le Journal d’Alphonse, Atelier de création radiophonique, France Culture, 22 juin 2008, fonds INA.

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actrices truffaldien∙nes, la productrice propose « un documentaire au ton subjectif, nourri par les interviews des protagonistes » du film. Une mystification qui ne se dévoile jamais comme telle, en forme d’hommage érudit au réalisateur. Dans le documentaire Les Menteurs produit en 2005 pour l’émission Surpris par la nuit et consacré, comme son titre l’indique, au mensonge, Mariannick Bellot mêle elle aussi l’authentique et le fictif. Au moins un acteur, Jacques Bonnaffé, figure parmi les personnes interviewées, prétendant être un témoin comme les autres. Le public, s’il peut éventuellement reconnaître cette voix, ne dispose d’aucun indice formel supplémentaire pour évaluer le degré de sincérité ou, au contraire, d’invention avec lequel lui et les autres intervenant∙es narrent leurs expériences affabulatrices. En revanche, un simple procédé de répétition engage immédiatement le public à maintenir quelque distance critique par rapport à ce qui est énoncé. Au fil de la pièce, plusieurs de ces dernier∙es racontent en effet la même anecdote, chaque fois comme s’il s’agissait d’un fait singulier : un∙e proche leur a dit, enfant, qu’un arbre poussait dans l’estomac de quiconque avalait un noyau, et cela a constitué un moment fondateur dans leur rapport au mensonge15. Dans Amnesia, un feuilleton qui a connu un grand succès lors de sa diffusion de septembre 2008 à juillet 2009 sur Radio 2, une chaîne de la RAI, Tiziano Bonini a mis en scène l’histoire de Matteo Caccia, un animateur radio qui a oublié les trente-deux premières années de sa vie. Il précise : « Chaque épisode commence par les mêmes mots, la même formule rituelle : “ Je m’appelle Matteo Caccia. Je suis né le 8 septembre 1975. Je vis à Milan. Je ne sais pas si quelqu’un se souvient de moi. Moi, de personne. Il y a un an exactement, j’ai subi une amnésie rétrograde globale. En bref, je n’ai plus aucun souvenir.” Puis Matteo commente les nouvelles du jour, interagit avec les auditeurs via SMS ou e-mail (ou par téléphone, mais moins fréquemment), passe de 15. Mariannick Bellot (productrice), Anne Fleury (réalisatrice), Surpris par la nuit, Les menteurs, France Culture, 21 septembre 2005, fonds INA.

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la musique qu’il vient de découvrir ou de redécouvrir : la musique qu’il prétend avoir trouvé dans son iPod. (...) Il passe d’un registre à l’autre : celui d’un animateur radio qui improvise selon l’humeur du jour et celui d’un acteur qui interprète un scénario rédigé au préalable. (...) Ces deux registres se différencient aussi du point de vue sonore par l’emploi de deux e docufiction pousse microphones le fait divers jusqu à différents16. » Pour renforcer l’effet de l interrogation et l’interaction existentielle il tire réel avec le public, la marginalité vers ce l’émission se qu elle a d universel poursuivait par ailleurs à travers un blog régulièrement mis à jour par l’animateur.

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Au-delà de la satire et du jeu formel, le faux-semblant permet en effet de se garder des jugements à l’emporte-pièce et de saisir certaines personnalités dans toute leur complexité, avec toute la charge symbolique qu’elles portent. Nul hasard si nous trouvons ainsi la présence forte d’un personnage énigmatique au cœur du docufiction pionnier du tandem Deleu et Teste, La lointaine. Dans une de ses plus récentes productions, en 2016, réalisée avec Marine Angé, Christophe Deleu donne à entendre une série de brèves pièces, Fins du monde (diffusée dans Par Ouï-Dire sur la RTBF – La Première), qui exploite d’une autre manière cette ressource fondamentale qu’offre le faux-semblant17. Vingt-quatre court-métrages radiophoniques de moins de trois minutes, sous forme de monologue ou de dialogue, plongeant les auditrices et auditeurs directement au milieu d’une histoire en cours, au moment précis où elle bascule vers un cataclysme personnel. Des instantanés de 16. Tiziano Bonini cité dans Étienne Noiseau, « Souvenirs d’Amnesia. », Syntone, 25 novembre 2011, syntone.fr/souvenirs-damnesia-entretien-avec-tiziano-bonini/. 17. Christophe Deleu et Marine Angé (producteur/trice), Pascale Tison (productrice de l’émission), Fins du monde, Par Ouï-Dire, RTBF – La Première, 29 août 2016, soundcloud.com/user-310570862/tracks.

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paysages intérieurs à l’instant de la fracture, comme captés sur le vif, à l’insu des protagonistes. La création fait écho à une autre série, réalisée en 2008 par Sebastian Dicenaire pour l’Acsr : Personnologue. Huit personnages, huit monologues en forme de confession à soi-même, huit incursions dans des vies qui ont basculé vers une folie intime 18. Le public, dans l’un et l’autre cas, se trouve assigné à une position inconfortable : interpellé mais impuissant, voyeuriste malgré lui, happé par une fiction qui vient le hanter comme un évènement de sa propre vie. Guillaume Vincent a également fait le choix du docufiction pour Rendez-vous gare de l’Est, diffusé dans l’Atelier fiction sur France Culture le 24 juin 2014 : après avoir enregistré le témoignage d’un femme maniaco-dépressive pendant six mois, il a fait rejouer certaines parties du texte par une comédienne et recomposé l’ensemble. Le résultat : une heure de monologue en déambulation dans la ville, rythmé par des émotions violemment opposées19. Autre portrait rendu possible par un savant mélange de documentaire et de fiction, quoiqu’il demeure difficilement classifiable, même comme docufiction : Je suis Frédéric, réalisé par Damien Magnette pour l’Acsr20. Frédéric y décrit son quotidien au fil de quarante minutes, entre handicap mental, travail à la ferme et dérives imaginaires, et fait ainsi voyager le public à l’intérieur de sa tête. Le docufiction pousse le fait divers jusqu’à l’interrogation existentielle ; il tire la marginalité vers ce qu’elle a d’universel ; il observe l’existence comme une goutte d’eau au microscope. À travers ces œuvres, les autrices et auteurs cherchent de 18. Sebastian Dicenaire (auteur), Christophe Rault (mise en ondes), Personnologue, Acsr, 2009, www.acsr.be/production/personnologue/. 19. Guillaume Vincent (auteur et réalisateur), Alexandre Plank (réalisateur), Rendez-vous gare de l’Est, L’atelier fiction, France Culture, 24 juin 2016, fonds INA. Voir la chronique parue sur Syntone.fr : Étienne Noiseau, « Rendezvous gare de l’Est : fiction sans fard », 23 juillet 2014, syntone.fr/rendez-vousgare-de-lest/. 20. Damien Magnette (auteur), Christophe Rault (metteur en ondes), Je suis Frédéric, Acsr, 2010, www.acsr.be/production/je-suis-frederic/. la revue de l’écoute ~ n°11

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fait à tromper l’oreille et à la divertir, mais dans un objectif supérieur : l’éduquer, lui enseigner quelques secrets, et surtout, lui permettre de s’exercer pleinement. Il ne s’agit pas de jouer des tours de magie, mais, au contraire, de dévoiler les rouages de la création et de sa diffusion ; d’inciter le public à prendre conscience de l’acte d’émettre en train de se dérouler et à ne pas l’accepter comme tel. Ce faisant, les producteurs et productrices de faux-semblants accordent aux auditrices et auditeurs toute leur place et, plutôt que de les considérer comme simples réceptacles d’un flux contrôlé de bout en bout, respecte le rôle fondamental de leur écoute. La pièce ne s’achève pas lors du mixage final de la version « prête à diffuser », mais à travers l’écoute singulière que chacun∙e en fait. Sans cette réception critique, sans l’interprétation, sans les réflexions qu’il suscite, le faux-semblant n’existe pas.

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• Laure-Hélène Planchet et François Teste, Lettres mortes, France Culture, 2010

www.franceculture.fr/emissions/ l-heure-du-documentaire/lettres-mortes

• Christophe Deleu et François Teste, Vers le Nord, France Culture, 2010

www.franceculture.fr/ emissions/l-heure-du-documentaire/ vers-le-nord

• Christophe Deleu et François Teste, Débruitage, Acsr, 2013

www.acsr.be/production/debruitage/

• Elisabeth Butterfly, Le Journal d’Alphonse, France Culture, 2008

https://www.franceculture.fr/emissions/ latelier-de-la-creation-14-15/le-journaldalphonse-le-dernier-film-de-francois-truffaut

• Guillaume Vincent, Rendez-vous gare de l’Est, France Culture, 2016

www.franceculture.fr/emissions/latelierfiction/rendez-vous-gare-de-lest

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ans les oreilles de Félix Blume

Preneur de son pour le cinéma, Félix Blume est aussi auteur de documentaires radiophoniques et d'installations artistiques mettant en scène le son dans l'espace public avec poésie et humour.

Basé à Mexico, Félix partage régulièrement sur les réseaux ses pérégrinations à travers les

Amériques et, pour cette carte blanche textuelle et photographique, il nous emmène en Haïti. 30/05/2017 entre 15h20 et 15h40 : Écoute immobile – Rue Roy (proche Centre d'Art) – Description sonore (écrite, notes sur carnet, à la fin des 20 minutes) Le vent comme toile de fond, il arrive par vagues, disparaît derrière le bruit d’une voiture, réapparaît dans une bourrasque. C’est le vent qui souffle depuis l’Afrique, raconte-t-on ici… le lien invisible avec les origines culturelles de ce peuple. Des vagues de passants se dirigent vers le bas de la ville, principalement des écolières, des pas, des voix, quelques-unes s’adressent à moi. Des passants à contre-courant remontent parfois. Les voitures et motos, dans l’anonymat des moteurs, brisent cycliquement le calme de la rue à cette heure-ci, sous le soleil. Un long crissement de frein, la lamentation d’une voiture qui a déjà trop vécu. Les klaxons, proches et lointains, lui font écho et l’encouragent. Une vendeuse de pain crie, deux autres vendeuses passent, discutent entre elles.

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Quelques rares oiseaux s’essaient à des vocalises. Un coq leur répond, réveillé en sursaut pendant sa sieste. Le vent reprend le dessus, et dans une accalmie on perçoit le murmure de la ville. Le bruit des moteurs, les klaxons au loin, le vacarme assourdissant de Port-au-Prince. Mai 2017, c’est déjà mon troisième voyage en Haïti. À mon dernier séjour, il y a quelques mois, j’ai passé mes journées à enregistrer les enterrements au centre-ville, avec leurs fanfares, leurs cris, leurs sons si émouvants qui basculent rapidement vers la transe. Cette fois-ci, j’arpente les rues quelques pâtés de maison plus haut, quartier Bas Peu de Choses. Le festival de théâtre Handicap et Culture m’a invité à travailler avec un groupe de personnes non- et mal-voyantes. La relation au son est le point de départ de notre rencontre, notre matière commune. Le son de celles et ceux qui écoutent sans voir, le son qui est mon travail et ma passion. Mes premiers contacts avec des personnes non-voyantes remontent à 2015, à Valparaíso au Chili. Si je suis allé vers elles, c’est suite au son des feux rouges. Ce son qui accompagne le feu piétonnier quand il est vert, qui apparaît depuis quelques années et qui n’est pas (encore) homogénéisé au niveau mondial (ni même national), modifiant d’une certaine manière l’identité sonore des villes. Ma proposition était simple : que les utilisateurs de ces sons puissent les définir et les enregistrer. Nous avons ainsi ajouté un dispositif à l’un des feux de la ville, faisant entendre les sons proposés quand il était vert. Cette première rencontre a été un véritable échange, je leur ai appris à utiliser mes micros et enregistreurs, ils m’ont appris à écouter leur ville.

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En 2016 j’ai renouvelé l’expérience au Mexique, cette fois sur la rue piétonne la plus fréquentée du pays : pendant quinze jours, les sons des carrefours ont changé pour laisser place à ceux enregistrés par un groupe d’élèves de l’école nationale pour aveugles (ENC). Parallèlement, une installation sonore, dans l’obscurité d’un musée, donnait à entendre leur perception de la ville.

À Port-au-Prince, les feux rouges sont quasi inexistants, non respectés de toute façon, et les signaux piétonniers totalement absents. Les musées sont rares et les moyens limités, la rue s’impose comme terrain de jeu. Marcher dans cette ville est en soit une aventure et c’est ce que je fais pendant mon séjour : marcher. La rue donne d’ailleurs à voir et à entendre. Si au Mexique l’espace public est souvent un spectacle, à Haïti on pratique l’art de la performance : les motos trainent des barre de fer

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de six mètres dans un vacarme incessant, les photocopieuses sont installées en pleine rue sur le trottoir, les glaces sont vendues en brouettes à grands coups de sono (krem mayi). Ensemble avec Frantzy, Jonas, Saint-Luc, Sargine, Enock, Remise, Jerry et Geralda, nous marchons, écoutons et enregistrons. Chaque matin, nous nous réunissons au Centre d’Art qui est notre base. Notre première marche se fait à oreille nue, à l’écoute. La seconde est collective, micros en main. Les dérives suivantes en petits groupes, chacun de son côté. Les sons sont ensuite écoutés ensemble, de retour à la base. Nous nous posons la question de l’espace et de sa spécificité en termes sonores : la rue, le quartier, la ville, le pays… Notre journal de bord est cartographié. Les sons récoltés, nommés et écoutés prennent place sur une carte qui crée une géographie sonore commune. La lecture, quand on ne voit pas, se fait au bout des doigts, des mots que l’on touche – incompréhensibles pour qui ne lit pas le braille – représentent ces sons, invisibles,

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qui font notre quotidien sans qu’on les remarque. Documenter, enregistrer et partager une expérience sonore non pas par des fichiers audio, mais par des mots qui nourrissent l’imaginaire sonore de chacun-e de nous. Haïti a une grande tradition du fer forgé et de la récupération. Une carte en tôle découpée (faite à partir de la partie supérieure d’un bidon d’essence, un rond de cinquante centimètres de diamètre) reprend les rues du quartier et une sélection de sons y est placée, en braille : une sirène de police, des tambours, un camion, une marchande d’eau, des oiseaux, une machine à coudre ou des écoliers. Pour la clôture de l’atelier, le défi est d’inviter à l’écoute plutôt que de donner à entendre, ouvrir les oreilles plutôt que de chausser des écouteurs. On organise une grande déambulation à l’aveuglette, proposant aux gens de se bander les yeux et de se laisser guider par une personne non-voyante, inversant un instant les rôles. Le parcours de la balade est pensé ensemble. Le trajet est semé d’embûches sonores : des sons, imaginés par le groupe, s’ajoutent à ceux de la ville. On utilise le système de sonorisation des vendeurs de glaces pour les diffuser. Une tourterelle, une chèvre ou un klaxon de bateau surprennent le promeneur aux yeux bandés. Chaque participant-e à l’atelier récupère un CD de nos enregistrements, mais le disque en tôle découpée est la véritable mémoire sonore de notre semaine passée ensemble.

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à

dans les oreilles de

u éco ter

Pour en savoir plus sur les projets de Félix Blume, rendez-vous sur son site :

www.felixblume.com

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œuvre ouverte En 1985, René Farabet part en immersion dans le quartier des Marolles à Bruxelles, où survivent les déshérité∙e∙s de la ville. Les bons samaritains est un documentaire déstabilisant, criblé d'éclats de vies brisées et d'échos d'un monde menacé d'extinction. Une des œuvres les plus marquantes du producteur mythique de l'Atelier de

Création Radiophonique (ACR) de France Culture, disparu en juin dernier.

Si l’on devait tirer le portrait de la rue Samaritaine et des Marolles, de mémoire et quelques jours après avoir écouté le documentaire de René Farabet, on écrirait ceci : corridor étréci, enclave décentrée à relégation sociale, réserve d’Indiens déplumés. Mais aussi : vies sulfatées par la déveine, voix grasseyantes d’alcool, grandes gueules, violence latente. Sans parler des juke-boxes dans les rades, qui semblent devoir sonoriser tout Bruxelles jusqu’à l’Atomium. Le sentiment général d’un condensé de forces obscures, prêt à exploser à la face d’une capitale technocratique bon teint. Les Marolles sont en fait le nom d’un creuset historiquement laissé à l’écart en dehors de la première enceinte de la ville, où l’on a consigné ceux et celles que l’on ne veut pas voir dans les beaux quartiers : prostitué∙e∙s, lépreux/ses, étranger∙e∙s, soiffard∙e∙s et sans-abri, rebelles, libertaires et ouvrier∙e∙s. De ce bouillonnement de destins hors-cadre naîtront un parler local, des révoltes, des squats, une réputation sulfureuse, aujourd’hui ripolinée par une gentrification presque achevée. Mais qu’est-ce que René Farabet, prince parisien du

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documentaire de création, allait faire dans ce tumultueux ghetto en 1985 ? Simple : son boulot de documentariste. Qui consiste à (là aussi, tentative d’esquisse) : déflorer le voile de méconnaissance qui masque les Marolles aux regards, aspirer avec la trompe de son micro la substance des existences, puis la traduire en ondes audio pour les déterritorialiser et les faire resurgir, sur France Culture, ailleurs, maintenant et plus tard (en 2017, par exemple). En donnant à entendre des voix passées sous silence par la moulinette médiatique, car trop vulgaires, trop imbibées de vérité crasse, en choisissant des paroles – celles-ci et pas d’autres – ne jouant pas le jeu social et oubliant les codes, Farabet fabrique des Marolles une image subjective et biseautée, mais au plus près de l’os. « La démarche d’un auteur de radio n’a pas à voir avec celle d’un huissier aveugle et neutre, d’un archiviste, dira-t-il. Le but n’est pas de présenter le prétendu reflet de la réalité, un facsimilé, il s’agit de documenter le réel, oui, mais en l’écoutant, c’est-à-dire en l’interrogeant. »1 Rage saillante à l'état brut

De fait, dans cet ACR – dont nous évoquons ici la version courte de quarante-cinq minutes –, le paysage des Marolles ne se donne pas, d’emblée, dans sa dimension tragique. Il faut attendre de longues minutes, surtout quand on ne connaît pas l’identité de la zone, pour que ses contours hirsutes s’affinent, comme après une mise au point capricieuse. Au risque de donner à son public, « ce libre et turbulent interprète », la sensation de flotter dans une douce indécision, René Farabet prend son temps. Il écoute les autochtones tirer sur les lambeaux de leurs vies, juger leur rue de la Samaritaine, parfois à l’emporte-pièce. L’auteur s’attache à certains d’entre eux, puis semble les oublier. D’un tempo assez lent, le montage ne veut pas suivre de tracé prédéfini. Il semble s’élaborer au gré des rencontres, 1. Cette citation et les suivantes sont issues des conférences de René Farabet. Voir encart « à écouter ».

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œuvre ouverte

comme une déambulation. « Quant à l’oreille, elle est engagée dans un tour-à-tour de guets et d’absences et l’œuvre sonore elle-même porte la marque de ces “décrochés” de l’attention, de ces va-et-vient de la conscience auxquels est assujetti celui dont on peut dire qu’il est, en réalité le premier auditeur, c'est-à-dire l’auteur. » Le documentariste laisse traîner son micro et se retrouve balloté dans le flux local, témoin de scènes cocasses ou hallucinantes. Il suit la tentative d’un apprenti-Farabet (mise en abyme), seul membre apparent d’une hypothétique « Radio Sama » (du nom de la rue de la Samaritaine), dont on ne saisit pas si elle existe vraiment ou pas, pour interviewer une figure du quartier. Mais la dame, sans doute tenancière d’un bout de zinc, se prête au jeu de mauvaise grâce. Elle contredit tout ce qui a été entendu jusqu’ici (non, il n’y a pas de malheureux dans le coin, ah) et laisse entendre que de tout ça, elle n’en a rien à fiche. Elle part se coucher. Plus loin, le producteur se retrouve en première ligne d’une impressionnante dispute entre deux pochards : gros plan hypnotisé, où la rage gonfle jusqu’à en percer l’espace radiophonique. Un excès de réel monstrueux qui peut laisser poindre le malaise : est-on bien certain d’avoir envie d’assister à ça ? Pour autant, oserait-on aujourd’hui exposer une telle crudité à l’antenne ? « Percevons l’accident, l’imprévu, c’est-à-dire la fêlure des choses, les cahots du rythme, les “cabosses” des sons… » Nous voici servi∙e∙s. On l’aura compris, aux Marolles, les relations humaines peuvent foirer, les coutures craquent un peu partout, certain∙e∙s tombent et ne se relèvent pas, mais la vie braillarde suinte de tous les pores de la rue. Il faut donc, au risque de frôler la condescendance, la recueillir telle qu’elle vient.

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Machine à bruire

Petit à petit, en égrenant parole après parole, René Farabet façonne son puzzle sonore, lequel ne révélera son sujet qu’avec le recul. Ce qu’il nous montre, c’est un point de bascule de la société, sa ligne de fracture : la poche de liberté des Marolles est-elle acceptable, voire utile à la cité ? Ou est-elle condamnée à l'éradication, comme une maladie infectieuse ? « Plus personne ne veut nous aider », « Il faut qu’on nous écoute », capte-t-il, mais la mondialisation qui uniformise les villes repousse tout ce petit monde hors de notre vue. À ces questions, René Farabet ne répond pas, suggère plus qu’il n’assène. Mieux, comme la réalité, cette complexe machine à bruire, n’est pas « si pure, qu’il n’y ait qu’à la consigner sur une bande-témoin », il varie les angles d’approche, multiplie les niveaux de narration. Bref, Farabet écrit. Par séquences, on entend ce qu’on identifie à des historiens tourner des pages et commenter des photos, et par ce dispositif, « poser » l’Histoire des Marolles de façon savante, l’institutionnaliser. Une voix off (celle de Farabet), à la distinction littéraire, évoque la parabole biblique du Bon Samaritain, histoire exemplaire de charité chrétienne. Visiblement inspirée par le nom de la rue bruxelloise, cette incise, qui peut apparaître un peu datée aujourd’hui, interroge. L’auteur voudrait-il placer sous haut patronage divin ces âmes marolliennes en perdition ? Souhaiterait-il rappeler aux auditrices et auditeurs « Tu aimeras ton prochain – radiophonique – comme toi-même » et les encourager à la miséricorde ? Ou faudrait-il aimer René Farabet malgré ce peu touristique voyage auquel il nous convie ? Sur France Culture, parfois, la voix du Seigneur des ondes fut impénétrable. Mais bel effet de distanciation, en tout cas.

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œuvre ouverte Destins funestes

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Chambre d’écho de vies en déshérence se réclamant de la liberté de vivre mais semblant tout autant emmurées dans un problématique mal-être, Les bons samaritains s’écoute aussi in fine comme un carrousel de voix : érodées, râpées, vineuses, criardes, distinguées, surplombantes, riantes, agressives, émouvantes. Les partis-pris du compère d’Alain Trutat et de Yann Paranthoën ont donné des Marolles une résonance particulière, entre destin funeste et fête permanente. Ce sont ses choix, mais, comme René Farabet l'a toujours professé en la matière, l’auteur est souverain. ute co r

strée par Addor :

• Les bons samaritains, production René Farabet, réalisation Marie-Ange Garandeau. Prix Futura 1985. Nouvelle diffusion dans les Nuits de France Culture, la nuit du vendredi 10 au samedi 11 novembre 2017, entre 4h et 6h, puis en ligne. • De René Farabet, d’autres Ateliers de Création Radiophonique :

www.franceculture.fr/creation-sonore/la-mort-de-renefarabet-inoubliable-figure-des-ateliers-de-creationradiophonique • Une conférence de 2008 à Marseille, enregistrée par Radio Grenouille :

www.radiogrenouille.com/audiotheque/ le-theatre-des-radio-operations-rene-farabet/ • Une conférence de 2010 à Paris, enregistrée par Addor :

www.addor.org/Rene-Farabet-n-est-plus-de-ce-cote

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rencontre « Un engagement, une vision, un sens du collectif » : Portraits d’utopistes sonores

Dans le décor champêtre de la Cour des Aulnays (Maine-et-Loire), des curieux et curieuses du son se sont réuni∙e∙s du 23 au 27 août derniers et ont échangé, expérimenté, fabriqué ensemble. Pour cette deuxième édition d'Utopie Sonore, le collectif nantais le Bruitagène avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir au mieux les participant∙e∙s : une centaine au total, venue des quatre coins de la France et au-delà. Au programme, créations collectives, bidouillages et pâturages... Rencontre avec trois « utopistes » qui ont mordu à l’hameçon, chacun∙e à sa façon.

Isabelle, 45 ans, enseignante-chercheure en hispanisme, de Seine-et-Marne Tu es nouvelle venue dans le monde du son, qu’est-ce qui t’y a amenée? La radio a fait partie de mon apprentissage de jeunesse, j’ai été abreuvée à France Culture et j’ai toujours trouvé que c’était un média pédagogique merveilleux. Par ailleurs je fais de la

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musique, donc j'ai toujours eu cette tentation de me mettre à faire de la radio un jour dans ma vie. Mais je voyais ça comme quelque chose d’extrêmement difficile d’accès, jusqu’à Utopie Sonore 2016 où j’étais venue pour donner un coup de main à l'organisation générale. Et puis j’ai eu le temps d’aller à un atelier de montage et je me suis aperçue qu’on pouvait aborder les choses au feeling, de façon beaucoup plus intuitive. Qu’est-ce que tu as fait à la suite d’Utopie Sonore 2016 ? J’ai fait trois montages, c’est modeste mais ça reste un loisir auquel je suis devenue complètement addict. Pour l’instant, j’expérimente avec les moyens du bord, ça peut être mon portable, mon petit dictaphone, mais c’est pas grave. J’ai aussi fait des interviews pour mon collectif lesbien féministe Barbieturix qui voulait diversifier ses moyens d’expression, j’ai fait le montage d’une interview d’une créatrice de culottes qui m’a parlé de sa passion pour les fesses dans un élan assez généreux… J’ai fait plein de captations que je n’ai pas montées aussi, mais là non plus c’est pas grave... Ce qui me plaît beaucoup c’est la relation au micro. Interviewer quelqu'un, c’est une démarche qui crée chez l’autre un espace différent, de l’attention, de l’écoute. Je ne vais pas seulement recueillir les voix, je vais prêter mes oreilles. Ça n'est pas anodin d’interviewer une personne. Ça implique de la confiance, du temps, une certaine psychologie. C’est un moment humain très fort. Comment tu définirais Utopie Sonore ? Comme la résidence d’une communauté. On ne se voit jamais, on ne se connaît pas, mais pourtant on forme une communauté. Et ce que je trouve fou, c'est que tu fais un atelier radio politique et que tu te retrouves enfin avec des gens qui partagent ce que tu penses et ce que tu n’oses pas tellement aborder avec tes potes… J’ai l’impression de faire partie de cette communauté parce que je retrouve des valeurs qui me sont personnelles. Et puis, en deçà et au-delà de faire de la radio, il y a quelque chose de très fort, un engagement, une vision, un sens du collectif, un rapport individuel au groupe, etc. Ici j’ai le sentiment que je n’ai pas de concession à faire et c’est ça qui fait qu’on se sent bien, au-delà du lieu qui est très zen...

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rencontre

Giulio, 33 ans, enseigne à l'école du paysage de Versailles Au moment du tour de table général le premier jour, tu t'es présenté en disant que tu ne connaissais pas grand chose au son mais que tu t'intéressais depuis peu au paysage sonore, en précisant que tu étais paysagiste. En quoi le son rejoint-il ton travail ? À l’école de paysagisme on expérimentait beaucoup, on travaillait avec tout ce qui était lié au paysage, donc aussi avec le paysage sonore. Moi, je me suis particulièrement intéressé au fait que ce que l'on entendait n'était pas forcément ce que l'on voyait. Ça n’était pas évident pour moi parce que le son, c’est très technique et très différent de l'approche qu'on a du paysagisme où on commence par le dessin. Mais dans les deux cas, en dessin et en son, je crois que l’on part d'une intuition, d'une inspiration. La première étape d'un projet de paysage c'est de se rendre sur le site et d’en faire une esquisse qui peut être très abstraite. Et dans un deuxième temps, tu regardes ce que tu dessines, quitte à le redécouvrir parce que l'information, qui est passée dans ton cerveau et après dans tes mains, va pouvoir te dire des choses que tu n'as pas vues en regardant le lieu. J'imagine que quand on enregistre, c’est le même processus. À la réécoute, on entend aussi des choses que l'oreille n'avait pas forcément saisies au moment de la captation.
 Qu’est-ce que tu es venu chercher à Utopie Sonore ? Je ne me suis presque pas renseigné sur l’événement. Il m’avait été décrit comme un moment pour écouter des créations et faire des ateliers avec des gens. J‘ai trouvé que c’était le mélange parfait qui ne demandait pas trop d’engagement, un beau compromis pour dire : « je ne me sens pas de m’y mettre avec un micro, mais je vais juste papoter avec des gens qui ont l’habitude du micro ». Et puis il faut le dire, le fait que ce soit loin de tout, dans une espèce de bulle champêtre, je pense que ça a pas mal contribué à mon envie de participer. Ce matin je suis allé à un

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atelier où quelqu'un expliquait comment produire des enregistrements avec des moyens très modestes comme un smartphone et un kit d’oreillettes, et la démarche m’a beaucoup intéressé. Après, j'aimerais beaucoup pouvoir réaliser plus de projets en lien avec le son, mais au niveau professionnel il faudrait travailler avec un spécialiste dans le domaine, moi je n’ai pas les compétences. Cet hiver une rencontre a été décisive aussi, avec un professeur de chant. J’ai accompagné une amie à une chorale et, pour la première fois, une personne m'a dit : « il faut que tu écoutes ta voix », ce que je n’avais jamais fait. Je n'avais jamais fait l'expérience de faire sortir des sons et d’essayer de les rattraper par mes oreilles. J'ai du mal à dire pourquoi, ça m'a énormément changé. Ça m'a séduit dans le sens du plaisir de parler, de retrouver la voix, de la narration. On a parlé de paysage sonore, là je raconte cette expérience peut-être plus esthétique, mais tout cela a un lien avec la radio. 
 Justement, es-tu un grand « consommateur » de radio ? Je le suis mais je pense qu'il y a plusieurs formes de consommation. Par exemple ma grand-mère allumait la radio toujours sur la même station et puis au bout d'un moment elle éteignait. Tout ce qui passait était valable en quelque sorte. C'est quand même très culturel parce que j'ai grandi en Italie et je me rends compte qu'on a un rapport à l'oralité très différent. Par exemple, là-bas, presque tout le monde utilise l’application WhatsApp en enregistrant sa voix. J'essaie de faire ça en France et ça fait bizarre aux gens. En France, les gens écrivent beaucoup plus de textos, comme s’il y avait une hiérarchie entre l’écrit et l’oral, comme si appeler ou laisser des messages, c’était toujours un peu plus engagé. Alors que pour moi, juste dire des phrases me demande beaucoup moins d’effort que de les taper sur un téléphone. C’est comme s’il y avait un goût de l’écoute de l’autre ou en tous cas d’une manifestation de sa présence par la voix que tu n’as pas par les textos. Je sais qu’en Italie je peux allumer la radio comme le faisait ma grand-mère et laisser le flot des mots et des musiques, alors qu’en France je ne le fais pas. J’ai commencé à avoir un goût conscient de l’écoute, alors qu'en Italie, c’était plus de l’ordre de la consommation.

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rencontre

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Claire, 30 ans, étudiante au Créadoc d’Angoulême
 Comment en es-tu venue à faire du documentaire sonore ? Ca fait longtemps que je m’intéresse au documentaire audiovisuel, j’ai fait des études de sociologie et travaillé dans la coordination de projets en milieu associatif, mais le documentaire sonore, c’est venu il y a deux-trois ans. Je me suis acheté un petit enregistreur et j’ai commencé à expérimenter seule, j’ai fait quelques montages et je me suis rendue compte que c’était assez accessible. Et puis j’ai vite compris qu’à travers le son, on pouvait vraiment développer un imaginaire beaucoup plus dense qu’avec l’image, qu’il y avait plus de liberté. Je crois qu’en tant qu’entendants on a une espèce d’historique sonore en soi, une mémoire que l’on peut activer quand on écoute du documentaire, qui va facilement répondre au besoin de se créer des images, un peu comme avec la lecture. Tu as terminé la première année du Créadoc consacrée au documentaire sonore. Qu’est-ce que tu as produit ? On suivait une thématique individuelle déclinée en plusieurs productions avec des contraintes à chaque fois différentes. Je me suis intéressée à la culture sourde en questionnant la norme entendante, et notamment à trois personnes qui signent : je les ai interrogées sur leur perception du monde sonore, elles qui sont baignées dans une société d’entendants où on va la plupart du temps leur demander de coller à cette norme en étant appareillées, en apprenant à oraliser et à lire sur les lèvres, à essayer de comprendre ce monde sonore qui leur arrive de manière assez brutale dans les oreilles ou en tous cas pas de manière naturelle. Tout cela me passionnait, avec la difficulté, d'une part, de faire entendre des personnes sourdes dans un documentaire sonore et, d'autre part, d’utiliser ce moyen d’expression sans que les personnes interrogées ne puissent écouter.

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Qu’est-ce que tu es venue chercher à Utopie Sonore ?
 Je suis venue rencontrer des gens qui font de la radio de mille façons différentes, des personnes qui ont une autre expérience que la mienne, pas forcément dans le documentaire. J’aime beaucoup l’idée d’échange de savoirs et de pratiques, et de faire ensemble sur un temps donné. Au Créadoc c’est une manière de faire parmi d’autres et j’essaie de m’enfermer le moins possible dans une forme. Par exemple à Utopie Sonore, j’ai participé à un atelier qui s’appelle « Guide de survie en état d’urgence ». On est parti sur une forme de yoga citoyen, on a réalisé une bande sonore et on a proposé physiquement aux gens de participer. C’est une forme interactive dont je n’ai pas l’habitude, qui est à cheval entre le théâtre de rue et le son, et on réfléchit d’ailleurs à comment on pourrait diffuser cette forme dans l’espace public. Je suis venue chercher ça à Utopie Sonore, de fait ça semble être un peu militant, mais c’est comme si c’était naturel ici. J’ai vraiment l’impression qu’on est dans un groupe de citoyens concernés.

couter àé

• Pour en savoir plus sur Utopie Sonore :

http://www.utopiesonore.com • Lire aussi le reportage de Béatrice André pour Syntone lors de l’édition 2016 :

http://syntone.fr/utopie-sonore-du-pepsdans-la-creation

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échos

de vos

Jean-Marie Favreau, enseignantchercheur, Clermont-Ferrand Quand on écoute Radio Mulot, on ouvre la porte d’un univers poétique, une oreille tendue vers cette ligne artistique résumée en trois mots : continuité, abstraction, enchantement. De 1997 à 2017, c’était une radio FM pirate à Nantes. Le projet continue de vivre sous forme de webradio, après avoir joué au chat et à la souris avec le CSA. Son flux continu invite à la rêverie, superposition de mélodies volatiles, d’ambiances intrigantes et de prises de son volées au réel.

http://fieldmice.free.fr/Line_In.m3u

écoutes

Daniel Gaviria, spirulinier, Pyrénées Orientales Je voudrais vous faire part d’une découverte, un podcast auquel j’ai accroché, c’est Beatmakers sur Arte Radio. Ça m’a permis de connaitre le rôle de « producteur musical » dans la musique actuelle et d’en comprendre les mécanismes. Ce qui est bien avec cette série de dix épisodes c’est qu’elle décortique les bases d’un morceau. On se rend compte qu’on peut arriver à quelque chose de chouette avec de simples samples et de bonnes idées. Ça m’a aussi rappelé qu’il faut faire beaucoup pour obtenir des résultats. Ça m’a motivé à créer, c’est super !

www.arteradio.com/serie/beatmakers Marion Dumand, journaliste, Mosset « Moi j’aime bien monter dans la montagne », dit un bambin en castillan,

aussitôt traduit par une belle voix grave. Des cris d’enfants, des oiseaux, des pas de course. Les sons résonnent avec la douceur de ceux qui ne rencontrent pas de murs. Nous sommes sur l’île de Majorque, à l’école de la forêt. C’està-dire une école où les enfants de 3 à 6 ans apprennent de la forêt en vivant dedans et avec, accompagnés de deux adultes. Et la pluie, le froid, les repas, le prix ? Pour le savoir, il faut partir à l’écoute de ce documentaire d’Inès Léraud pour Les Pieds sur Terre, France Culture :

www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/des-citoyens-quichangent-le-monde-5-lecole-des-bois

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petit

lexique

Le « petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique » est un dictionnaire mi-sérieux mi-loufoque, mi-technique miartistique, mi-poétique mi-scientifique, de la création mi-sonore mi-radiophonique... Retrouvez les autres définitions sur notre site. Ambiance : décor de bruits. Élément incontournable du reportage ou du documentaire (notamment) et central du field-recording, il signifie pour certain∙es l’insertion mécanique de clichés sonores, et pour d’autres la subtile mise en espace de sons évocateurs d’un lieu, d’une époque, d’une idée, d’une émotion. Synonyme : atmosphère. Antonyme : entretien. Mise en ondes : opération mystérieuse qui transforme citrouilles sonores en carrosses radiophoniques. Plus sérieusement, l’expression désigne, selon les écoles, l’ensemble du processus de réalisation (voir ce mot*) ou seulement le mixage (voir ce mot**). Podcast : son à emporter. Sous-produit numérique de l’ancien monde hertzien ou premier mode de diffusion d’un programme dans le nouveau monde du web, le podcast se veut moderne et conquérant. Ne connaissant pas le direct, il transforme le flux radiophonique en fichiers individuels et le public en abonné∙es. Synonyme : balado(diffusion). Antonyme : direct. *numéro 5 **numéro 8 ou en ligne sur Syntone.fr

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désannonce C'était la revue de l’Écoute (les carnets de Syntone) n°11, automne 2017. page 3 page 7 page 16

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Édito, par Étienne Noiseau et Pascal Mouneyres. Un reportage de Lénon réalisé en août 2017 à Cavan dans le Trégor : Balade au cœur de la redécouverte du son. Le « son de saison » de Marc Namblard de cet automne célèbre le retour de « Barberousse ». Pour les petites fonceuses et les mini-voyageurs, c’est le conseil d’écoute aux « petites oreilles » de Juliette Volcler. Juliette Volcler poursuit et achève sa « petite histoire des faux-semblants radiophoniques » : Quand la radio trompe l'oreille. Épisode 8 et fin : entre institutionnalisation et philosophie (années 2000-2010). Avec des illustrations issues de la revue Sciences du Monde n°124, 18 janvier 1974. « Dans les oreilles de Félix Blume » : texte et photographies de l'auteur, avec des prises de vue additionnelles de Staloff Tropfort et Geralda Bruno en Haïti. Les bons samaritains est l'œuvre de René Farabet et MarieAnge Garandeau ouverte par Pascal Mouneyres sous le titre Dans l'enfer rieur des Marolles. Avec des vues des Marolles réalisées en eau forte avec aquatinte par Anne Peeters.

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« Un engagement, une vision, un sens du collectif » : des propos recueillis à Utopie Sonore en août 2017 par Éloïse Plantrou et photographiés par Clémence Fermé. Nos lectrices et lecteurs nous font part de leurs conseils d’écoute ! Ce sont « les échos de vos écoutes » par Marion Dumand, Daniel Gaviria et Jean-Marie Favreau.

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Comme à chaque numéro, on retrouve le Petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique, signé Juliette Volcler et Étienne Noiseau.

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Le placement des micros – première partie : enregistrer la voix : une fiche pratique et volante à collectionner, conçue et réalisée par pali meursault. Et, au fil du numéro : des rouges-gorges dessinés par Rosalie Peeters. Coordination générale / Direction de la publication : Étienne Noiseau et Juliette Volcler. Équipe de réalisation : Étienne Noiseau et Rosalie Peeters. Maquette : Anaïs Morin (anaismorin.com). Imprimé en 350 exemplaires à l'imprimerie Autre Page à Prades. Couverture : création de Rosalie Peeters, imprimée en sérigraphie par Marion Dumand et Étienne Noiseau avec l'aide d'Antoine Fischer à l'Atelier Sérigrafisch à Riuferrer. La revue de l’Écoute (les carnets de Syntone) est le supplément imprimé trimestriel à Syntone.fr ~ actualité et critique de l'art radiophonique. Elle est éditée par l'association Beau bruit à Prades, Pyrénées-Orientales. Contact : bienvenue@syntone.fr

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ISSN 2493-4623 Prix au numéro : 8 € Syntone reçoit le soutien de ses lectrices et de ses lecteurs, ainsi que de la Scam et du Département des Pyrénées - Orientales. Au quotidien, lisez Syntone.fr !

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pratique ! fiche n°3 : le placement des micros première partie : enregistrer la voix Niveau : de débutant∙e total∙e à expert∙e absolu∙e Prix : variable mais moins cher qu’au magasin Aborder la question du placement de micros en une seule fiche pratique est un sacré défi. En expliquer les principes de base excéderait facilement la place disponible dans tout un numéro et en faire l'expérience peut devenir le travail d'une vie. Il n'en reste pas moins que la question est cruciale. Avant la qualité du matériel, avant le traitement du signal et avant les techniques d'édition du son, le placement du micro face à la source qu'il s'agit de capter est ce qui a le plus d'impact sur le résultat final. Autrement dit sous forme d'adage : mieux vaut un mauvais micro au bon endroit, que quoi que ce soit d'autre n'importe où ailleurs. Avant de revenir dans une prochaine fiche sur l'enregistrement d'un paysage en stéréo, le présent épisode sera uniquement consacré à l'enregistrement monophonique de la voix parlée (et de la présence corporelle). Au-delà d'être la matière principale (sinon exclusive) de la plupart des créations radiophoniques, l'enregistrement de la voix est particulièrement propice à la compréhension et à l'acquisition des techniques de prise de son pour au moins deux raisons : •

d'abord parce qu'une bonne partie du matériel d'enregistrement est calibré pour la voix et que l'on dispose ainsi de repères précis (le 0 des vieux VU-mètres ou le passage du vert au jaune dans les versions plus modernes, calibrés pour la voix d'entretien) ;

ensuite parce qu'avant même d'être une preneuse de sons chevronnée, notre audition est déjà exercée à la perception de la parole (faisant ainsi de chacun·e de nous des spécialistes de ce son-là).

Voici donc quelques éléments pour une promenade microphonique autour d'une bouche qui cause.

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NOTA:Certain.es parlent de “proxémie” pour qualifier la manière dont la distance à la voix enregistrée détermine le type de relation (sociale, émotionnelle, etc.) que l’auditeur/trice engage avec elle. La question est aussi technique: les capsules cardios & hyper ont par exemple un “effet de proximité” (renforçant les basses lorsque le micro est proche de la source) que l’on associe à des voix intimes... Il faut noter que la distance du micro à la source doit généralement être inférieure à la sensation que l’on souhaite retranscrire.

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dire

Très peu sensibles, les micros dynamiques limitent le contexte acoustique en allant au plus près de la voix. Principalement utilisés lorsque les contraintes acoustiques ou de manipulation ne permettent pas d’autres choix, certains ont cependant des sonorités caractéristiques très appréciées et permettent d’obtenir de belles voix en proximité.

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hi Son réfléc

Question d’acoustique: Réverbéré par l’architecture, le son réfléchi parvient au micro avec un décalage temporel. Plus on s’éloigne de la source et plus on s’approche des murs, plus le son réfléchi (et donc l’acoustique du lieu) sera audible. On appelle “distance critique” le point à partir duquel le son réfléchi devient plus fort que le son direct. Sachant cela, tout est une question de dosage...

Très sensibles, les micros à large membrane (dont la directivité peut varier) s’utilisent souvent en proximité mais uniquement en studio (où l’acoustique est très contrôlée), pour des voix neutres et détaillées. Filtre indispensable pour atténuer les syllabes “plosives” et attention aux petits bruits de bouche qu’il faudra souvent corriger.

la manière Les micros “omnidirectionnels” captent de de toutes les la plus égale possible les sons provenant e et de son context de plus directions. Ils amènent donc près de la réfléchi, mais permettent aussi d’aller très . source sans effet de proximité (voir encart)

Les micros à directivité “cardioïde” atténuent un peu les sons sur les côtés et beaucoup à l’arrière. Ils permettent de travailler des voix naturelles à 50 ou 80 cm. Attention comme pour tous les micros directifs, le “détimbrage” est plus marqué pour les sons aigus que pour les graves. Mais comme tout problème est aussi une solution, cela permet de filtrer un son trop brillant en pivotant le micro pour sortir de l’axe...

Les micros “hyper-cardioïdes” rejettent plus les sons hors-axe que les cardios, au prix toutefois d’un petit lobe de sensibilité à l’arrière. Ils permettent de se tenir un peu plus loin de la source.

Les micros “canon”, surtout développés pour se tenir hors du cadre d’une image, rejettent au maximum les sons hors-axe. Ils permettent de se tenir loin de la source (jusqu’à 2m ou plus pour une voix qui semblera plus proche, mais attention de bien viser.)

Enregistrement vocal : directivités et distance du micro à la source

Notamment: Arnt Maasø, “The proxemics of the mediated voice”


NOTA: Les micros cravate sont faits pour être utilisés “bafflés”, c’est-à-dire positionnés contre un corps ou un objet. L’effet de surface contribue à amplifier le son et modifie la réponse en fréquences. Dès lors, la “couleur” de ces micros est amenée à changer en fonction de la position sur le corps, mais aussi en fonction d’un corps particulier. Ainsi, si un grand gaillard de 100 kg pourra avoir tendance à absorber les fréquences autour de 800Hz, une fillette de cinq ans modifiera le spectre plutôt autour de 1,5 kHz... C’est aussi la raison pour laquelle ces micros, lorsqu’ils sont suspendus en champ libre, sonnent différemment et parfois plus “creux” que lorsqu’ils sont appuyés sur une surface.

BON: L’une des positions les plus sûres pour un micro-cravate est illustrée chaque soir au journal de 20h. Dans le cas où il n’est pas nécessaire de le dissimuler, porter le micro à la boutonnière (ou juste au-dessus de la poitrine) donne de très bons résultats.

PAS TOP: Trop sous la gorge les sonorités gutturales et les fréquences basses sont exagérées, le haut-médium et les aigus disparaissent... (Cela dit on peut comme le poète sonore Henri Chopin apprécier ce son jusqu’à avaler son micro-cravate.)

Les micros-cravate (en anglais : “lavaliers”) sont utilisés de manière intensive en cinéma, dissimulés sous les vêtements quand les acteurs/trices sont trop loin pour qu’on les perche. Ils n’ont pas toujours la dynamique et la finesse de micros à plus grande capsule, mais sont cependant utiles par leur discrétion, la multitude des possibilités de placement qu’ils permettent et le fait qu’on les oublie facilement. S’agissant d’enregistrement vocal, quelques principes de base sont à connaître...

E ASTUC Avant la miniaturisation, les interviewé.e.s portaient de gros micros en collier sur la poitrine. La technique est toujours fonctionnelle et faute de micro miniature, un enregistreur de poche positionné dans une sacoche autour du cou (attention à ce qu’elle ne bouge pas trop et que les capsules soient protégées du vent) permet de bonnes interviews “embarquées” et discrètes.

TOUT EST PERMIS: J’ai récemment eu l’occasion d’enregistrer les pas d’un comédien filmé de dos en attachant le micro à sa braguette. Questions relatives à la dissimulation du micro mises à part, le résultat était très satisafaisant. Comme quoi il reste encore de la place sur le corps pour essayer toute sorte de choses selon le résultat souhaité. (Je reviendrai d’ailleurs dans le prochain numéro sur l’usage de ces micros pour l’enregistrement “binaural”.)

SPÉCIAL CAPITALISTE: Le port de micro-cravate bien caché dans le noeud de cravate peut donner de bons résultats , à condition toutefois de pointer vers le bas pour atténuer l’effet de gorge.

t des versions SPÉCIAL SHOW-BIZ: Certains fabricants proposen destinent “basse sensibilité” de leurs micros, qui se bouche. notamment au port en serre-tête au coin de la sur la place (Pour chanter comme Madonna ou vendre du parfum plosives et le du marché.) La position sur le côté évite les e-plan ou l’arrièr filtrer niveau sonore important permet de une voix neutre les larsens. À noter cependant que cela produit et sèche qui demande un peu de traitement.

BON: Le placement sur le front (pas trop en arrière), permet d’obtenir un son équilibré, clair et précis. Cette technique est utilisée en cinéma ou au théâtre, quand il est plus facile de dissumuler le micro dans les cheveux que dans les vêtements.

Enregistrement vocal : positionner un “micro-cravate”




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