La revue de l'Écoute n°9 | printemps 2017

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édito Ainsi commence une troisième année pour notre jeune revue de l’Écoute, les carnets de Syntone. Accompagnée d’une discrète métamorphose dans son titre, elle ouvre plus largement ses colonnes à la diversité sonore du monde. Avec « son de saison », « petites oreilles » et « pratique ! », ce sont trois nouvelles rubriques pour converser autour des questions suivantes : que peut-on entendre dans la nature en ce moment ? quelles découvertes auditives proposer aux jeunes oreilles ? comment bricoler soi-même du son, et pour pas cher ? Entre ces pages toutes fraîches, vous trouverez nos rendez-vous habituels – reportage, entretien, critique, etc. – pour continuer d’explorer la création sonore d’hier et d’aujourd’hui : une radio libre sur fond rural (Radio Dragon), le rire jaune des faux-semblants radiophoniques ou encore un classique du paysage sonore (Yann Paranthoën). Bon printemps !

Comme à chaque numéro, guettez les mots soulignés par une ondulation et rendez-vous page 52 dans notre petit lexique (récréatif) de la création sonore et radiophonique.

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rencontre « Moniek, c’est la créativité dans tous les formats de la radio » Le collectif Radio Moniek a vu le jour lors du festival Monophonic en 2014 à Bruxelles. Né pour animer une radio éphémère, il fut un libérateur de créativité, un vecteur d’émulation. Depuis, en studio ou « sur scène », des Moniek de toutes origines (plasticienne, autrice, radioteuse, conteuse, créatrice sonore, technicienne, performeuse) créent un espace d’expérimentation et de soutien mutuel – une pépinière généreuse où naissent des duos, trios, des erreurs à ne plus refaire et des pépites qui brillent sous d’autres cieux. Moniek [prononcer « Monique »] c’est le nom d’un collectif éclectique et de toutes celles qui le composent. Rencontre avec Moniek, Moniek, Moniek et Moniek.

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rencontre

Bonjour Moniek, comment devient-on Moniek ? En répondant « oui » quand on te propose de monter une radio sans te prendre au sérieux, d’inventer collectivement un personnage fictif. En étant souple et généreuse. Être Moniek, c’est être plutôt une femme et évoluer plutôt dans un monde aquatique. On devient Moniek en participant à un concours de chanson sous la douche. Après Monophonic, on a voulu poursuivre l’aventure sous une forme mensuelle autour d’un thème, diffuser de la création en l’accompagnant plus qu’on ne le fait d’habitude et en prenant le temps (l’émission peut durer trois heures). Rapidement on s’est mise à créer, à entremêler programmation et création. Puis la forme live est née.

Qu’est-ce que « l’esprit Moniek », Moniek ? Une grande liberté de faire ce qu’on veut, de sortir de nos habitudes et des contraintes de production de la création radio (l’écriture de dossier, l’obligation de réussite), grâce à d’autres espaces (café, festival, radio associative) où tout est possible, le pire comme le meilleur. Moniek c’est un droit à l’erreur et à la fragilité grâce à la solidarité du groupe. C’est l’envie de découvrir ensemble, de chercher autour de choses assez simple, c’est la quête et l’écoute, l’énergie donnée à la compréhension de l’autre. Foutraque, avec une idée d’improvisation un peu malgré nous... Pieds dans le plat, rigolo, innocent. Moniek nous stimule, nous pousse à créer sans se prendre la tête.

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Moniek c’est aussi le « do-it-yourself ». Les postes qui tournent (voix, réalisation, technique). Entendre « t’es capable, j’ai besoin de toi », même si ce qu’on est amenée à faire, on le fait pour la première fois. C’est le lien entre la mise en scène et la radio, l’adaptation aux lieux qui nous accueillent. Partir de photos, d’un graphisme, pour transformer cela en une mise en ondes, comme dans notre collaboration avec la revue Papier Machine.

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rencontre

L’absurde et l’humour. Moniek, c’est la créativité dans tous les formats de la radio. Le collectif ? Tant qu’on travaille chacune de notre côté pour alimenter un patchwork sonore, c’est facile. En création collective à dix ou quinze, c’est plus compliqué. On peut passer les trois quarts du temps à discuter du mode de fonctionnement et perdre en simplicité, en naïveté. On apprend à s’écouter, à se comprendre, à puiser chez chacune pour avancer. La bienveillance n’est pas forcément quelque chose de niais. C’est prendre soin de l’autre, de ses envies et de ses désirs, faire des compromis peut être... au nom de...

Il y a toujours un duo de Moniek qui mène la barque (c’est plus rigolo). Parfois, des Moniek font grandir une création en dehors du collectif. On reste alors à leur écoute et on les soutient. Tout le monde peut-il devenir Moniek ? Grande question en interne. Je dirais oui. Celles qui font l’émission deviennent Moniek et n’est Moniek que celles qui participent. Je suis partisane du « rien n’est fixe », mais il y a quelque chose qui est là, qu’il ne faut pas brusquer... On est encore en quête d’un confort sécurisant. Si on incluait toutes les personnes qui nous contactaient, on remplirait une salle. Et on ne pourrait plus jouer. La réponse serait peut être : « Crée un autre collectif, d’autres espaces de jeux, deviens Géraldine. En tous cas, arrête d’y penser et fais-le ! »

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couter àé

• Moniek en studio : Sirène

www.mixcloud.com/Radio_Moniek/siren-eimi-je-suis-sirenepodcast-radio-moniek/ • Moniek en live : Qui du crabe ou du chat (au festival Longueur d’ondes, Brest, 2015)

www.radiopanik.org/emissions/l-heure-de-pointe/radio-moniekqui-du-crabe-ou-du-chat-/ • Radio Moniek avec la revue Papier Machine : Moniek se retrousse la Manche

www.mixcloud.com/Radio_Moniek/moniek-se-retrousse-lamanche-1515/

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son de saison

couter àé

• Pour écouter les araignées, rendez-vous sur

soundcloud.com/son-de-saison

Des percussions dans les feuilles mortes Je me souviens m’être trouvé, à la

fin du mois de mars, dans une forêt située à quelques kilomètres de chez moi. Le temps était délicieux. De petites percussions dans les feuilles mortes attirèrent mon attention. D’abord saisi d’étonnement, je compris assez vite que j’avais affaire à des tambourinages de lycoses – une grande famille d’araignées qui ne tissent pas de toile et qui chassent à l’affût – et en l’occurrence la Lycose des tourbières (Hygrolycosa rubrofasciata). Je passai mon après-midi, allongé dans la litière cuivrée de la forêt, à capter ces étonnants appels. Des études ont été menées sur cette espèce. Elles ont révélé que ce sont les mâles, par désir sexuel, qui émettent ces signaux (en percutant les feuilles avec leur abdomen) et que les femelles sont particulièrement excitées par les longues percussions. D’autres petites lycoses (également appelées « araignées-loups »), communes en France, émettent des tambourinages comparables, parfaitement audibles à plusieurs mètres. Alors, lorsque vous marchez en forêt au début du printemps, par temps bien sec et ensoleillé, n’hésitez pas à vous approcher des étendues de feuilles mortes en bordure du chemin... et à tendre l’oreille !

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• Radio Têtards : www.radiogrenouille.com/programmes-radio/grille/radio-tetards

• Radio Minus :

www.radiominus.com

petites oreilles Pour les têtards et les minus

Qui a dit que la radio ne faisait plus grand-chose pour les enfants ? C’était Syntone, en décembre 2015, à l’occasion d’un dossier sur les fictions jeunesse [à retrouver sur notre site]. Pour ne pas rester sur ce constat, nous inaugurons une nouvelle rubrique pour les « petites oreilles », visant à relayer quelques créations (radio, webradio, livres-CD, CD…) ayant le bon goût de nous démentir. Nous commencerons par Radio Grenouille, qui s’y est attelée pendant une semaine du mois de décembre 2016 : une heure par jour, cinq jours durant, la radio associative marseillaise s’est transformée en Radio Têtards, proposant une sélection toujours écoutable. Des fictions d’Arte Radio (Guillemette), des créations de feue l’émission l’Oreille en colimaçon sur France Musique (Sacha le chat), des poésies de Nathalie Quintane ou un peu des Contes de Malmousque de Catherine Vincent, des extraits des dessins animés Les Aristochats ou Bob l’éponge, des morceaux du chanteur camerounais Francis Bebey ou de l’accordéoniste occitan Marc Perrone. Pour chacun des cinq mix, un fil directeur autour de Marseille ou de l’Afrique, de la musique ou de la cuisine. Bref, une plongée parcellaire mais bienvenue dans l’histoire et l’actualité de la création audio pour les enfants. L’occasion également de rappeler la démarche au long cours que mène Radio Minus pour redécouvrir les « trésors cachés de la musique par et pour les enfants ». De webradio en streaming, Minus se mue doucement, en ce début 2017, en plateforme de podcasts. À suivre !

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petite histoire Quand la radio trompe l’oreille : petite histoire des faux-semblants radiophoniques Épisode 6 : mises en abyme et parodies (années 2000-2010) Quand la fiction fait l’évènement en passant pour le réel : retour, sous forme de feuilleton, sur près d’un siècle de faux-semblants radiophoniques, ces fictions qui se font passer pour le réel. Depuis les années 1920, chaque décennie comptait, bon an mal an, une ou deux pièces importantes dans le genre. À partir des années 2000, on dénombre les faux-semblants par dizaines.

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petite histoire

Jusqu’ici, il a souvent fallu batailler pour dénicher au moins un faux-semblant tous les dix ans, mais aussi pour recueillir des informations le concernant. À partir des années 2000, la question est plutôt de savoir ce que l’on va choisir de traiter dans la soudaine pléthore de docu-fictions et de faux reportages. En France, des formes déjà usitées de faux-semblants côtoient des expérimentations inédites, produites pour beaucoup par les antennes publiques, mais aussi, comme nous le verrons dans le prochain épisode, par de nouvelles actrices. Au cours de l’été 2012, France Info renoue avec l’art des reconstitutions historiques1 dans la série France Info y était. L’historien Thomas Snégaroff accompagné d’Hélène Lam-Trong et de Grégoire Lecalot proposent des reportages en direct, entre autres, de Pompéi le 24 août 79, de l’assassinat d’Abraham Lincoln le 14 avril 1865, du débarquement de Christophe Colomb en Amérique en 1492 ou de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Chaque épisode dure sept minutes et se voit présenté sous forme de journal d’information, avec l’intervention d’une envoyée spéciale sur les lieux de l’évènement et une explication historique ensuite. L’indicatif de chaîne est « à chaque fois réinterprété avec les instruments musicaux les plus employés à l’époque » 2, un travail d’ambiance en arrière-plan et une exploitation d’anecdotes trouvées dans les archives historiques permettent de renforcer le réalisme. Thomas Snégaroff, Grégoire Lecalot et divers·es reporters reconduiront le dispositif en 1914, à l’occasion du centenaire de la première Guerre Mondiale, à travers une sélection de 1. Au sujet des reconstitutions, voir l’épisode 4 de ce feuilleton, paru dans le Carnet de Syntone n°7. 2. Mathieu Beauval, directeur adjoint délégué à l’antenne de France Info, dans un entretien avec Clara Beaudoux sur le making-of de la série, http://dailymotion.com/ video/xs5a9g_le-making-of-de-la-chronique-france-info-y-etait_news (vu le 08/02/2017).

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grandes dates du conflit 3. Le tout est porté par une campagne sur les réseaux sociaux, faux blog d’un témoin de l’assassinat d’Henri IV ou tweets de phrases prononcées à l’occasion de celui de Lincoln. Promotion de l’histoire et promotion de la chaîne s’entremêlent dans une grande opération de communication. Plusieurs « feintises sérieuses » voient par ailleurs le jour. Le 1er avril 2009, par exemple, dans sa quotidienne sur France Culture, La Fabrique de l’histoire, Emmanuel Laurentin entend sortir de l’oubli l’historien hongrois Gabor Dilic. Le dispositif est similaire à celui d’Une vie une œuvre quelques dix-neuf ans auparavant, presque jour pour a blague jour4. Des experts en plateau et des archives méconnues donnent n était pas vie à un personnage imaginaire, forcément sans que la supercherie ne soit décelable lors dévoilée autrement que par de la diffusion l’humour savant qui traverse l imposture l’émission : une discussion sur sa pensée théologique permet de artistique ou dire que Gabor Dilic « avait un philosophique problème avec l’incarnation » ; la disposant révélation de ce qu’il était couramment de peut-être un assassin est traitée de façon expéditive, tandis que tribunes confortables l’on s’attarde sur le fait qu’il aurait inspiré la chanson « Le lion est mort ce soir » ; enfin, on apprend que le grand homme se trouvait à ce point pétri de pensée qu’il s’éteignit « accoudé à un arbre, en regardant la plaine ». À deux reprises, des intervenants semblent sur le point de tout dévoiler (« Écoutez Emmanuel

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3. Les programmes sont écoutables sur le site de France Info : http://www. francetvinfo.fr/replay-radio/france-info-y-etait/ (vu le 08/02/2017). 4. Voir l’épisode 5 de ce feuilleton, paru dans le Carnet de Syntone n°8. la revue de l’écoute ~ n°9

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Laurentin, je ne voudrais pas briser le bon ton de votre émission, mais je suis un peu agacé. »), pour finalement, fausse alerte, se lancer dans un échange de politesses avec le producteur ou une polémique érudite sur l’historien fictif5. Le producteur ne révèlera l’usurpation ni à la fin du programme, ni lors du suivant, ni sur sa page web de présentation. Loin de ne constituer qu’un simple canular ou une prouesse technique, cependant, l’émission met ainsi en abyme la thématique très sérieusement abordée dans les autres éditions de la semaine, « l’hypothèse en histoire », questionnant la recherche historique, l’importance des archives, les querelles scientifiques et l’idéalisation de grandes figures. Démarche comparable le 1er avril 2011, lorsque Thomas Baumgartner invente un créateur sonore dans son émission Les Passagers de la nuit. Pendant une demiheure, Stéphane Schoebel (joué par l’improvisateur Yvan Garouel) est interviewé en plateau sur le même ton que les artistes habituellement convié·es par le producteur, et des extraits de son travail sont diffusés. L’ironie se laisse entendre a posteriori dans le ton pédant du créateur, son usage de concepts abracadabrants sur le son, la vacuité de 5. Emmanuel Laurentin (producteur), Perrine Kervran (productrice), Renaud Dalmar (réalisateur), La Fabrique de l’histoire, L’hypothèse en histoire, 3, France Culture, 1er avril 2009, fonds Ina.

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ses pièces sonores, sa présence en pyjama dans la Maison de la Radio pour célébrer l’enfance ou l’émotion avec laquelle il parle de son mécène, la société Elf. La blague, néanmoins, n’était pas forcément décelable lors de la diffusion, l’imposture artistique ou philosophique disposant couramment de tribunes confortables et on ne peut plus sérieuses dans les grands médias. Le canular joue ici comme un miroir grossissant : le carnaval radiophonique permet de moquer les travers coutumiers. Quelques heures après la diffusion, le poisson d’avril est annoncé comme tel sur la page du podcast 6.

La probabilité d’un

Un peu plus d’un an plus tôt, une émission de France effondrement Culture a néanmoins suscité capitaliste davantage de turbulences. Le paraît bien plus 9 janvier 2010, le tout début élevée que celle de Radio Panique, une édition du magazine Mégahertz d une invasion explicitement consacrée aux extraterrestre fictions radiophoniques qui ont causé des paniques, se voit en effet interrompu par un flash spécial de l’antenne au cours duquel de vrais journalistes de la rédaction annoncent la faillite de la France, avec analyses financières et réactions d’experts. Après quoi, sans autre formalité, un entretien autour de La Guerre des mondes7 s’engage entre le producteur, Joseph Confavreux, et l’auteur d’un livre sur la pièce, Pierre Lagrange. Le

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6. Thomas Baumgartner (producteur), Nicolas Berger (réalisateur), Les Passagers de la nuit, Vendredi hors série #23 – Stéphane Schoebel, France Culture, 1er avril 2011, fonds Ina. 7. La Guerre des mondes mise en ondes par Orson Welles et le Mercury Theatre On The Air en 1938 a marqué l’imaginaire collectif comme ayant suscité un mouvement de panique extraordinaire. À ce sujet, lire l’épisode qui y est consacré dans le Carnet de Syntone n°5 ou en ligne sur http://syntone.fr.

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canular est révélé en toute fin d’émission, mais ces cinq minutes inaugurales vaudront au producteur un courrier abondant d’auditrices et d’auditeurs mécontent·es. Pas de fuites éperdues ni de pertes de connaissance recensées, mais de vives émotions : « Canular de très mauvais goût, surtout en cette période de crise et par conséquent d’angoisse pour la plupart d’entre nous. », ou encore : « J’ai dû sortir immédiatement après avoir entendu votre canular et je me suis précipité sur mon ordinateur à mon retour, ahuri par l’émotion. »8 Dès l’édition suivante, Confavreux formulera des excuses : « Mon intention n’était en aucun cas de piéger les auditeurs, ni de tracer une ligne de partage entre crédules et incrédules, encore moins entre auditeurs prétendument “malins” et auditeurs soi-disant “naïfs”. Si naïveté il y a eu, elle m’incombe. (…) Il me semblait pertinent de ne pas traiter ce genre radiophonique particulier sur un mode uniquement rétrospectif, en donnant aux auditeurs l’occasion d’éprouver au présent cette expérience. »9 À cette différence près que le public du Mercury Theatre on the Air avait quant à lui été averti du caractère fictionnel de la pièce et que, relève l’écrivain anarchiste Claude Guillon dans un article au vitriol intitulé « Quand France-Culture lance une fausse nouvelle, c’est de la pédagogie ! », la probabilité d’un effondrement capitaliste paraît bien plus élevée que celle d’une invasion extraterrestre 10. 8. Commentaires sur la page de l’émission, conservés par un auditeur floué (quoiqu’il soit lui-même amateur d’informations sensationnelles) : Bestbuzz, « La faillite de la France !!! Le Fail de Radio France Culture ??? », 09/01/2010 http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2010/01/09/1878516_lafaillite-de-la-france-le-fail-de-radio-france-culture.html (vu le 08/02/2017). 9. Joseph Confavreux (producteur), Laurent Paultre (réalisateur), Megahertz, Radio Panique, France Culture, 9 janvier 2010, fonds Ina. 10. Claude Guillon, « Quand France-Culture lance une fausse nouvelle, c’est de la pédagogie ! Le reste du temps, les journalistes font juste leur boulot (2010) », Lignes de force, republication du 30 novembre 2014, http://lignesdeforce. wordpress.com/2014/11/30/quand-france-culture-lance-une-fausse-nouvellecest-de-la-pedagogie-le-reste-du-temps-les-journalistes-font-juste-leurboulot-2010/ (vu le 08/02/2017).

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L’expérience a surtout parfaitement illustré le déséquilibre sur lequel se fonde le pacte de diffusion, très largement bénéficiaire au diffuseur. Ce dernier dispose d’une grande latitude dans ce qu’il choisit d’énoncer et attend essentiellement du public qu’il l’accepte, en échange d’une promesse déontologique. Le public l’agrée dans la mesure où il est convaincu de la validité et du respect de cette promesse. Et donc, dans le cas des faux-semblants, dans la mesure où il dispose de tous les éléments nécessaires au libre exercice de son esprit critique. Si Radio Panique a choqué, c’est sans doute qu’elle a rappelé à quel point l’abus de pouvoir est aisé (voire inévitable) et le public, dans ce cas, assigné à un rôle d’écoutant servile.

épreuve constituent autant d’indices formels. Derrière les micros : Zabou Breitman, Laurent Lafitte et une équipe d’actrices et d’acteurs pour interpréter les appelant·es. Trois jours après le lancement, le site des Inrockuptibles évoque leurs noms, encore de façon hypothétique, et parle de « canular »12. L’outrance réactionnaire des de Beaulieu demeure néanmoins crédible – et inacceptable – pour une partie du public. On aurait tort de la taxer de crédulité : la Manif pour tous, pour n’évoquer qu’elle, verra le jour huit mois plus tard. D’autres membres de l’auditoire, tout en percevant l’humour noir, le trouvent périlleux. Act-Up Paris réagit à un épisode mettant en

Mêmes réactions outragées (plus nombreuses, selon une étude pointilleuse11, que les félicitations qu’elle reçoit également) pour une émission quotidienne de France Inter entre les mois de janvier et juin 2012 : À votre écoute coûte que coûte. Le programme, qui dure 7 minutes et passe sur le créneau confortable de 12h23, se présente comme un moment « de service et de libre antenne » autour de la santé, animé par Margarete et Philippe de Beaulieu, respectivement psychothérapeute et médecin généraliste. Le couple est supposé répondre aux problèmes personnels que des auditrices et auditeurs exposent en direct par téléphone, mais chaque « consultation » devient l’occasion pour les médecins d’exprimer leur mépris social, leur racisme, leur homophobie ou leur sexisme – à tel point que le couple se fait régulièrement raccrocher au nez. Aucun élément, avant ou après la diffusion, n’explicite le caractère parodique de l’émission, mais l’indicatif grandiloquent, le ton éhontément mondain des médecins, leur ignorance et leur mauvaise foi à toute 11. Frédéric Pugnière-Saavedra, « Le pouvoir d’À votre écoute, coûte que coûte (France Inter) », Communication, Vol. 31/1 | 2013.

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12. Anna Benjamin, « France Inter : derrière “À votre écoute”, Zabou Breitman et Laurent Laffite », Les Inrockuptibles, 19 janvier 2012.

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scène l’homophobie : « Nous ne comprenons pas ce qui est sensé être drôle (…). Il est difficile de faire plus caricatural que ces parlementaires qui disent que nous sommes une menace pour la survie de l’humanité. Vos comédienNEs pensent peut-être jouer la caricature : ils et elle ne forment qu’un pâle reflet de la réalité quotidienne13. » Une journaliste de

Libération relève que ce qui sonne loufoque aux oreilles de France Inter se trouve énoncé on ne peut plus sérieusement sur d’autres antennes : « On ne saisit pas bien encore le but de l’émission, mélange de Radio Courtoisie pour l’aspect vieille France catho de droite et de Sud Radio pour les dérapages racistes à l’antenne 14. » Un vrai médecin assigne France Inter en justice pour exercice illégal de la médecine, craignant que les conseils charlatanesques délivrés par ses faux confrères sur les ondes publiques n’occasionnent des accidents bien réels15. Le Conseil représentatif des institutions juives de France, suite à un épisode autour de l’antisémitisme, indique dans une lettre au CSA qu’il s’est d’abord laissé prendre et s’inquiète de ce que l’émission « risque d’alimenter les préjugés qu’elle envisage peut-être de combattre » 16. Laurent Lafitte, quant à lui, déclarera ultérieurement : « On voulait parler de la psychologie de comptoir, de la xénophobie ordinaire, d’autant plus difficile à démasquer qu’elle n vrai part de bonnes intentions 17. » médecin Quoique les bonnes intentions de l’intégrisme soient difficiles assigne rance à percevoir, on aura compris le propos : faire exprimer les nter en préjugés les plus éculés par justice pour des représentant·es de la grande bourgeoisie ; casser ce exercice illégal de la faisant une autre idée reçue selon laquelle racisme, médecine

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13. Fréd Navarro, président, « Lettre ouverte aux responsables de France Inter », 26 janvier 2012, http://actupparis.org/spip.php?article4739 (vu le 07/02/2017).

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14. Isabelle Hanne, « Desproges », Libération, 19 janvier 2012. 15. Coline Garré, « France Inter devant la justice pour exercice illégal de la médecine », Le Quotidien du médecin, 15 février 2012. 16. Non signé, « À votre écoute, coûte que coûte dérange le Crif », Le Nouvel Observateur, 1er mars 2012. 17. Non signé, « Laurent Lafitte : “J’ai été heureux d’être le fils de Marthe Villalonga pendant un an” », Télérama, 19 novembre 2013.

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sexisme et homophobie restent l’apanage des classes populaires ; et tourner l’ensemble en ridicule. Le 29 juin 2012, la fiction est dévoilée comme telle dans son dernier épisode, le couple étant appelé par des personnes qui se présentent comme les vrai·es Margarete et Philippe de Beaulieu, et dévoilent les noms de Breitman et Lafitte. Ultime pied de nez, ces dernier·es se justifient en révélant que tous les grands noms de l’antenne (Patrick Cohen, Philippe Val…) et même de la vie politique (Cécile Duflot, Benoît Hamon…) sont en réalité joués par des actrices et des acteurs.

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• France Info y était (2012) :

http://soundcloud.com/franceinfo/france-info-y-tait-1492-colomb http://soundcloud.com/franceinfo/lincoln-reportage http://soundcloud.com/franceinfo/france-info-y-tait-24-ao-t-79 http://soundcloud.com/franceinfo/france-info-y-tait-14-juillet

• France Info y était spéciale première Guerre Mondiale (2014) :

http://francetvinfo.fr/replay-radio/france-info-y-etait • À votre écoute coûte que coûte :

http://franceinter.fr/emissions/a-votre-ecoute-coute-que-coute

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ans les

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David Bouvard Alessandro Bosetti

David Bouvard promène ses micros et ses hauts-parleurs entre intérieur et extérieur : en caravane, sous des chapiteaux, dans des galeries d’exposition... et souvent par les rues de Marseille. De diffusions temporaires en projets d’édition, le bien nommé « dB » ne possède pas seulement une qualité d’écoute, mais aussi de regard. Il signe la photographie de couverture de ce numéro et ce portfolio très sonifère.

« La Photographie est une grande muette, mais j’aime comment elle peut parler du sonore. J’ai toujours longuement regardé les pochettes de disque avant, pendant et après l’écoute. J’étais très perplexe devant ces photos qui parlent du sonore en montrant du matériel de prise de son ou d’amplification, jusqu’à ma rencontre avec un tirage grand format de Brian Griffin (Magic Microphone Band, Allemagne, 1983), une composition faite dans un studio allemand, avec notamment des micros, une tête artificielle et une enceinte à douze faces. Absorbé dans ce tirage grand format noir et blanc, qui ne donnait aucun indice de ce que l’on pouvait entendre au moment du déclic, je me suis mis à l’écoute, plus précisément dans l’état hypnotique de l’écoute, qui ne m’a pas quitté jusqu’a la fin de l’exposition. C’est à cette période que j’ai commencé des séries de photos, dont certaines sont reproduites ici. Elles figurent parfois du matériel Actualités et projets de son ou s’appuient sur un mot, David Bouvard : un regard ou un geste. » paysagesonore.free.fr

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dans les oreilles de


œuvre ouverte Retour à Lesconil En 1980, Yann Paranthoën s’immerge dans un village breton menacé d’extinction sonore. Avec Questionnaire pour Lesconil, il livre un plaidoyer pour l’écoute et un de ses chefsd’œuvre, reçu cinq sur cinq par le Prix Italia la même année. Retour sur un classique. [le craquement des boules de goémon sous les pas] En 1975, un groupe de chercheurs et chercheuses canadien·nes, dirigé par le compositeur Raymond Murray Schafer, a recueilli le paysage sonore de cinq villages européens dont Lesconil, petit port du Finistère Sud. Les enregistrements et les relevés d’écoute, mais aussi les entretiens avec les habitant·es, ont conduit le théoricien de l’écologie sonore à cette conclusion : « Avec le temps, de plus en plus d’invasions dans la vie des communautés vont détruire le paysage sonore originel ». Cinq ans plus tard, Yann Paranthoën s’empare de l’étude du « World Soundscape Project » et part à Lesconil. Il porte deux magnétos en bandoulière. Avec le premier, il fait écouter aux habitant·es la voix de Murray Schafer égrener ses notes. Avec le second, il enregistre leurs témoignages, qu’il juxtapose à ses propres captations en extérieur. Celui, qui, tout au long de sa carrière, va bouleverser la syntaxe du documentaire radiophonique,

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œuvre ouverte

transforme l’enquête ethnographique des Canadien·nes en un essai sensible, une fresque humble et légère à la séduction intemporelle. [le déclic du Nagra quand on stoppe la bande] Avec Questionnaire pour Lesconil, Paranthoën façonne un pur produit radiophonique : une mise en abîme de l’écoute, composée de multiples strates déclinant à l’envi un schéma écouteur-écouté. Ainsi : le port de Lesconil [écouté par] les habitant∙es [écouté∙es par] Schafer [écouté par] Paranthoën [qui écoute] les habitant∙es [écoutant] Schafer. Le public [écoute] Paranthoën [écoutant] les habitant∙es [écoutant] Schafer, tout en [écoutant] Paranthoën [écouter] le port de Lesconil. [les coups de b(h)oule de la mer] La portée de Questionnaire… ne se réduit pas pour autant à cet amusant vortex. Le documentaire se double d’une ode subtile aux pouvoirs de l’ouïe, capable de percevoir les multiples dimensions du réel. En arrivant à Lesconil, Paranthoën pénètre dans un éden sensitif, dont les habitant·es semblent doté·es d’une acuité quasi-surnaturelle, en parfait accord avec leur environnement. Les bruits naturels (vents, marées) ou liés à l’activité humaine (bouées magnétiques, chaluts) rythment leur vie, littéralement. À Lesconil, on donne le nom des bateaux sortant dans la brume au bourdonnement de leur moteur, on prévoit la météo selon le tournoiement des vents ou la direction prise par le tintement de la cloche. Les marins connaissent le son de chaque rocher frappés par la houle, ce qui les aide à se guider dans la nuit. Des marées sont entendues à plus de vingt kilomètres, selon la clarté de l’air. Tout est là : « Il faut vouloir [les] entendre », dit un autochtone. Et pouvoir, aussi. Car cet état de grâce renvoie bien sûr, presque quatre décennies plus tard, à notre aliénation contemporaine dans un environnement sonore plus agressif et saturé. Sans verser dans un réflexe

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conservatiste, Paranthoën suggère ceci : plus le paysage sonore de Lesconil apparait corrodé par la modernité (avions orageux, voitures lancinantes, nouvelles habitations barrant les échos, panneaux électroniques rendant caduque la vente à la criée), plus l’altération de la faculté de l’homme à écouter semble inévitable. « Les jeunes ne savent plus écouter. Ils n’en ont plus besoin » ; « Les appareils sont là. Il n’est plus nécessaire d’écouter » ; « Un port où il n’y a pas de bruit, c’est un port qui meurt. » entend-on ici et là. En ne prenant pas conscience de cette surdité qui s’amplifie, l’être humain perd de son humanité. Les liens à la nature et à son environnement se distendent, inexorablement. [le feulement du mécanisme actionnant les cloches] Le temps, cette illusion. Questionnaire… déroule le condensé d’une journée dans la vie du port, de l’aube au crépuscule. Unité de temps et de lieu à effet de réel. L’auteur instille l’idée de lenteur inexorable en la codifiant (horloges, cloches) et en la donnant à vivre (séquences contemplatives en extérieur, mais aussi bonhomie dans les réponses des habitants). Ordre naturel des choses et logique chronologique que, pourtant, il va s’amuser à subvertir. Changements brusques de plan, embardées rythmiques, pulsés par un montage parfois très cut et fragmenté, notamment au niveau des voix : relançant constamment l’attention, il manifeste sa maîtrise et son absolue liberté démiurgique. [le bruit de succion à la pointe de la Torche] On retrouve avec le travail sur les voix, comme avec celui sur le temps, cette emprise : une volonté de les considérer comme une donnée d’ajustement esthétique. S’il ne fait aucun doute que Paranthoën respecte les personnes qu’il interroge, il dispose ensuite de leurs paroles à sa guise, les désarticulant à la faveur d’une science de la combinatoire toute personnelle. Ici, les réponses sont concassées, parfois réduites à une syllabe, un souffle, ou étirées, écartelées par

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d’autres sons en incise. Un jeu à la limite de l’expérimental, évoquant aussi le travail aléatoire et lacunaire d’une mémoire cherchant à reconstituer des dialogues passés. Une logique occulte : la sienne. Malgré parfois leur restitution en bouts épars, on retrouve ici l’impact de ces fameuses voix mono se détachant sur les arrière-plans stéréo. Présences totémiques, sculpturales. L’humain prime avant tout. [les goélands au troisième plan] Paranthoën’s touch, définition : art de la composition musico-picturale de celui que l’on surnomme jusqu’à satiété « le tailleur de sons ». Carrousel des arts. Spatialisation du son déployée avec envergure, précision, et le sens du détail du miniaturiste portés au plus haut degré de raffinement. Richesse de carnation de certains « rendus », grâce à la qualité des prises de son, comme ici ces ronflements de moteurs de bateaux, que l’on se surprend à différencier : granuleux, grasseyants, boisés… Hypnotique la densité de ces vagues brisées, un son compact comme un mur qui s’avance, et cogne. [sirènes en écho] Si Paranthoën fait entrer la cosmogonie sonore de Lesconil dans l’espace modulable de son documentaire – la première version diffusée dans l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture le 23 mars 1980 durait cent quarante minutes –, c’est par mesure

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conservatoire. Au paysage acoustique du port de pêche, dont la disparition est programmée, il compte substituer son documentaire, comme une survivance, comme un rescapé. Ainsi Paranthoën, sans donner de leçon, réactive l’idée de l’écoute comme fonction vitale. [les voix de la vente à la criée] Comme ces voyages qui influent sur le cours d’une vie, la traversée de Lesconil va bouleverser l’existence de Yann Paranthoën. Questionnaire pour Lesconil remporte en 1980 le prix Italia, conduisant Radio France à réévaluer son statut de technicien-opérateur du son (L’Oreille en coin…). Il est dorénavant considéré comme un auteur, à qui il faut laisser les coudées franches et donner les moyens techniques de ses ambitions. L’impact sur ses œuvres futures, de Carte postale d’Italie à Du côté de Zweeloo, va s’avérer considérable.

À écouter / lire / regarder Questionnaire pour Lesconil. Réalisation Yann Paranthoën, assisté de Claude Giovanetti, ACR France Culture, 1980. A été édité en CD, dans sa version courte diffusée au Prix Italia (50’), en bonus du livre : Yann Paranthoën, l’art de la radio. Cet ouvrage de Christian Rosset, augmenté de textes de divers·es auteur·es et de deux films, est toujours disponible aux éditions PhonurgiaNova, 2009, 160 pages, 49 euros.

Jusqu’au 30 avril 2017, Phonurgia Nova offre 25% de réduction sur cet ouvrage aux abonné·es de Syntone. Rendez-vous page 56 !

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de vos

Valérie Milvoy, écriture et lecture radiophoniques, Bourges À l’origine, l’actuelle station SaintPierre et Miquelon 1ère relayait secours et assistance auprès des gens de mer. Aujourd’hui, les petites annonces parlées sont le relief et l’écho de cette solidarité. Alors tout un chacun, dans un exercice de ventriloquie, peut glisser dans la bouche de l’animatrice vedette qui sa réclame maison, qui son grain de sel : « Promotion à SlipEssence ! » (station de la cale aux chalutiers) ; « Deux turluttes pour le prix d’une ! » (gare à l’hameçon !). Du lundi au vendredi : 14h30 GMT (11h30 SPM / 15h30 Paris)

http://la1ere.francetvinfo.fr/ saintpierremiquelon/radio

écoutes

Guillaume Istace, réalisateur radio et créateur sonore, Bruxelles

Period piece est un collage sonore de l’artiste Boyd Rice où on entend en boucle une scène de vie issue de ces archives qui promeuvent la famille américaine dans les années 50. Il est question de menstruations. La scène ne cesse de se rejouer. Un silence s’installe quand le père débarque. À chaque boucle, le silence est de plus en plus long. On a l’impression que les protagonistes prennent petit à petit conscience de cette boucle dans laquelle ils sont enfermés. Une sensation de vertige. Une fissure dans une dimension spatio-temporelle trop parfaite.

https://youtu.be/-r8Pc98P2qE

Doriane Manet, étudiante en communication à l’IHECS, Bruxelles Il est tard, Piletta devrait dormir depuis longtemps, mais elle ne peut s’empêcher d’épier la conversation entre son papa et le docteur : sa grand-mère ne va pas bien, la seule chose qui pourrait la guérir, c’est une infusion de fleur de Bibiscus. Nous voilà partis dans le monde farfelu de Bilipolis, à la recherche du remède miracle. Pour petits et grands, Piletta ReMix du Collectif Wow !, c’est aussi un spectacle génial, une fiction sonore à vivre en live. Prochaines dates :

www.lecollectifwow.be/Piletta-ReMix-56

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terrain

Un dragon sur les ondes Tapie entre Grenoble et Gap, Dragon « crache du son » sur la bande FM depuis l’été 2016. Préférant le faire-ensemble et l’autonomie plutôt que le professionnalisme à tout prix, cette jeune radio veut être un outil d’expression accessible à toutes et tous. Reportage.


sur le terrain

Autoradio branché sur 104.4 FM, la descente du col de la CroixHaute s’ouvre sur la large vallée alpine et rurale du Trièves. Vers l’est, le 96.8 FM arrose les pays de Matheysine, Valbonnais et Beaumont. Entre ces territoires peuplés d’environ trente mille habitant·es, coule le Drac, une rivière encaissée et impétueuse. Du latin draconis – dragon – c’est elle qui a donné son nom à la radio. Auparavant, ces mêmes fréquences diffusaient Radio Mont Aiguille, mais en 2013 RMA se tait définitivement. L’Association des Amis de RMA, montée deux ans plus tôt pour tenter de changer une gestion opaque, rêve alors de relancer une radio « par et pour les habitants » 1. Après pas moins de trois années de persévérance, c’est chose faite sur les ondes. Entre temps, l’équipe a fait « de la radio sans radio » en posant plateau et sono sur la place publique. Puis l’association a créé un « festival des savoir-faire radiophoniques ». En 2013 et 2014, celui-ci a rassemblé des radioteuses et radioteurs de tous lieux pour échanger sur leurs pratiques. L’occasion d’une vaste coopération à l’échelle locale : les habitant·es étaient sollicité·es pour héberger participant·es et ateliers ; des producteurs/trices locaux fournissaient repas et boissons. En 2013, le camion-studio de Radio Zinzine vient animer la place et les ondes de Mens. L’édition 20142 voit le lancement de Dragon en webradio. « Le festival a été l’occasion de former le noyau dur de vingt à vingt-cinq personnes qui portent la radio », expose Aude, force vive de Dragon. Depuis, il a été rebaptisé « rencontres radiophoniques » et s’organise à l’automne, porté par une radio différente chaque année 3.

Il faut s’aventurer dans le vieux Mens, bourg de mille trois cents âmes pour trouver la maison de village transformée depuis octobre dernier en antre du Dragon. Le local consiste en une seule pièce au rez-de-chaussée, à la fois studio et lieu de vie ouvert sur la rue. Yves en pousse la porte pour la première fois. Accueilli par Léonie, l’une des deux salariées, il expose son idée d’émission : « ça s’appellerait “Ça se passe chez vous”. J’irais chez les gens m’entretenir avec eux parce qu’ils ont toujours plein de choses intéressantes à raconter sur leurs expériences de vie ». Léonie s’enthousiasme à la perspective d’offrir ce temps de parole directe : « C’est complémentaire de Marc qui interroge les maires. Il y aussi une fille de 10 ans qui veut interviewer ses voisins ». Une fois qu’Yves aura prit son adhésion, à prix libre, il deviendra « porteur d’émission » et sera accompagné par les salariées et au moins un·e autre bénévole pour acquérir les compétences de prise de son et de montage. S’il le souhaite, il pourra aussi maîtriser

1. À écouter : Radio Mont-Aiguille, Les pieds sur terre, France Culture : https://www. franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/radio-mont-aiguille-1. Les Amis de Radio Mont-Aiguille, idem : https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/ les-amis-de-radio-mont-aiguille-2. 2. À lire : Radio Dragon, tout feu tout ondes, Syntone : http://syntone.fr/radio-dragontout-feu-tout-ondes/ et L’envol du Dragon, CQFD : http://cqfd-journal.org/ Media-L-envol-du-Dragon. 3. En 2016 par RDWA à Die (Drôme) et en 2015 par Radio Bartas à Florac (Lozère), lire à ce propos : La radio par le faire : les rencontres radiophoniques de Florac, Syntone : http://syntone.fr/la-radio-par-le-faire-les-rencontres-radiophoniques-de-florac/.

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sur le terrain

la programmation et la mise en podcast de son émission. Léonie l’invite à participer au direct du soir même. Chaque jeudi de 18h à 19h, « Le cœur du Dragon » donne des infos sur la vie de la radio et l’actualité locale. Ce soir là, Nathalie, l’autre salariée, est à la technique, Léonie, Marc et Cliff en coanimation. Yves présente son projet puis participe à la revue de presse et à l’agenda culturel. Nathalie et Léonie ne sont pas coutumières du micro ou de la table de mixage, les deux permanentes sont plutôt chargées de « favoriser la dynamique bénévole » selon les mots d’Aude. Avant qu’elle ne soit embauchée à l’automne, Léonie a été bénévole pendant un an. Quant à Nathalie, elle « n’avait jamais mis les pieds dans une radio ». « On n’a pas souhaité embaucher de spécialistes sur qui tout pourrait reposer parce qu’ils maîtrisent l’outil, au risque que le bénévole se retrouve dépossédé plutôt que renforcé », argumente Aude. « Avoir le même niveau, que l’on soit salarié ou bénévole, offre la possibilité de chercher les solutions ensemble », poursuit-elle, en référence au Maître ignorant4 du philosophe Jacques Rancière. La priorité de Léonie et Nathalie est d’accueillir toute personne qui se présente à Dragon et de « faire que les bénévoles se sentent chez eux », aime dire Margot, autre artisane de Dragon.

« chaque habitant peut participer », renseigne Margot. Au cours d’une réunion de la commission salariées, Léonie et Nathalie énoncent le besoin de trouver des « personnes ressources » pour une « journée “petits travaux” ». Pas question « que ce soit les mecs qui bricolent et les meufs qui s’occupent des rideaux ».

Plusieurs niveaux d’implication sont proposés aux adhérent·es. Les « sympathisants » soutiennent moralement et financièrement. Les « actifs » sont impliqués dans la vie quotidienne de la radio mais pas forcément pour des tâches directement liées à l’antenne : « Pour que la radio fonctionne, ça passe par beaucoup d’autres choses que faire de la radio », détaille Aude. Ainsi, chaque action s’organise collectivement en commissions : programmation, technique, communication, salariées, administration, etc. Les grandes lignes sont débattues au conseil d’administration auquel 4. Jacques Rancière, Le Maître ignorant, cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Fayard.

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sur le terrain

couter àé

La lente maturation de Dragon a en partie été forcée par les délais administratifs. En juillet 2015, le CSA attribue les fréquences. Ce n’est qu’un an plus tard que Dragon débarque sur les ondes grâce à l’autorisation administrative de diffusion enfin délivrée. « Une chance qui nous a permis de réfléchir aux valeurs et au fonctionnement qui permet de garantir ces valeurs » relativise Claude, « actif » à Dragon. La radio veut désormais répondre à un autre défi : attirer au micro des personnes exprimant une « pluralité d’opinions et de centres d’intérêts », énonce-t-il. Pour que l’antenne ne soit pas que le reflet des sensibilités plutôt de gauche, anti-capitalistes et écologistes de ses actif·ves, l’équipe à d’autres bonnes idées. Chaque premier samedi du mois « Le micro-ouvert » invite les chaland·es du marché de Mens à s’exprimer sur l’antenne. Régulièrement, des ateliers de pratique radiophonique sont proposés, moyennant un prix libre. Ces démarches façon do it yourself (fais-le toi-même) seront-elles à même de faire venir des « porteurs d’émission » d’autres horizons ? L’expérience est en cours.

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petit

lexique

Le « petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique » se rapporte aux mots soulignés par une ondulation rencontrés au fil des articles.

Auditrice / auditeur : extrémité inaudible et essentielle du dispositif sonore. Détenteur d’un secret aussi prisé que celui des alchimistes, le public représente la raison d’être de toute production. Pour se donner l’impression de le maîtriser, on le réduit souvent à l’état de chiffres d’audience, de décor d’applaudissements ou de voix éphémère dans un téléphone. Synonyme : écoutant∙e. Antonyme : productrice / producteur. Mix : promenade sous hypnose. Souvent musical, parfois langagier, le mix érige l’art des transitions en philosophie, recomposant la multitude sonore en fonction de l’atmosphère qu’il recherche ou de l’histoire qu’il souhaite raconter. Jouant des contrastes ou des parentés, il tisse une narration toute en allusions. Faux-ami : mixage. Synonyme : collage. Mono : invention de l’écriture audio. À l’origine des techniques de reproduction sonore fut l’enregistrement capté par un seul micro et diffusé par un unique hautparleur : la monophonie ou, plus couramment, la mono. Depuis détrônée par la stéréo, la multiphonie ou le binaural, elle apporte néanmoins à toute création sonore sa première dimension, la profondeur de champ. Synonyme : canal solitaire. Antonyme : multicanal.

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désannonce C’était la revue de l’Écoute (les carnets de Syntone) n°9, printemps 2017. Édito, par Étienne Noiseau.

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« Moniek, c’est la créativité dans tous les formats de la radio », un entretien avec le collectif Radio Moniek, réalisé à Bruxelles en février 2017 par Guillaume Abgrall. Photographies de Novella De Giorgi. Le « son de saison » de Marc Namblard pour ce printemps : Des percussions dans les feuilles mortes. Pour les têtards et les minus, c’est le conseil d’écoute aux « petites oreilles » de Juliette Volcler.

Juliette Volcler poursuit sa « petite histoire des faux-semblants radiophoniques » Quand la radio trompe l’oreille. Épisode 6 : mises en abyme et parodies (années 2000-2010). Illustrations issues de la revue Sciences du Monde n°109, « L’hypnose », novembre 1972. « Dans les oreilles de David Bouvard » : photographies de l’auteur. Celui-ci remercie Alain Lacroix, Marie Forissier, la compagnie L’Insomnante et la compagnie Ici-Même[Gr.]. Pascal Mouneyres fait un Retour à Lesconil, une critique de Questionnaire pour Lesconil de Yann Paranthoën (1980). Illustration : collection Claude Giovanetti.

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Nos abonné·es nous recommandent... : Les échos de vos écoutes par Valérie Milvoy, Guillaume Istace et Doriane Manet. Un dragon sur les ondes, un reportage – texte et photos – de Pierre Isnard-Dupuy, réalisé à Mens en janvier 2017. Petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique, par Juliette Volcler. Des capteurs audio « do-it-yourself » : une fiche pratique conçue et réalisée par pali meursault, glissée dans le numéro, à découper et à collectionner. Et des dessins de Rosalie Peeters au fil des pages. Coordination générale / Direction de la publication : Étienne Noiseau et Juliette Volcler. Équipe de réalisation : Étienne Noiseau et Rosalie Peeters. Maquette : Anaïs Morin (anaismorin.com). Imprimé en 350 exemplaires à l’imprimerie Autre Page à Prades. Couverture : photographie originale de David Bouvard, préparée pour la sérigraphique par Rosalie Peeters et imprimée avec Antoine Fischer à l’Atelier Sérigrafisch à Riuferrer. La revue de l’Écoute (les carnets de Syntone) est le supplément imprimé trimestriel à Syntone.fr ~ actualité et critique de l’art radiophonique. Elle est éditée par l’association Beau bruit à Prades, Pyrénées-Orientales. Contact : bienvenue@syntone.fr ISSN 2493-4623 Prix au numéro : 8 € Syntone reçoit le soutien de ses lectrices et de ses lecteurs ainsi que de la Scam. Au quotidien, lisez Syntone.fr !

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pratique ! fiche n°1 : des capteurs audio « do-it-yourself » Niveau : débutant / Prix : modique On le sait : la qualité d’une prise de son ne dépend pas seulement du prix du matériel. Il est toujours bon de se rendre compte (ou de se souvenir) qu’il est simple de fabriquer soi-même certains outils, à partir de composants bon marché. Les micros de contact piézoélectriques et les bobines à inductance ont depuis longtemps rejoint la boîte à outils des artistes sonores et des field-recordists, mais tou·te·s ne prennent pas pour autant la peine de les construire. On trouve en ligne nombre d’artisans-revendeurs plus ou moins honnêtes et quelques tutoriels plus ou moins précis. Voici les instructions pour les versions les plus simples de ces deux types de capteurs. Les « piézos » servent souvent de haut-parleurs miniatures, mais le principe est réversible : collés à une surface, ils captent les vibrations transmises par les solides et produisent une modulation électrique à partir des variations de pression qu’ils reçoivent. Les résultats sont particulièrement intéressants sur des corps métalliques, câbles tendus ou volumes résonants. Les bobines à inductance, quant à elles, agissent comme des antennes : le nombre de spires de la bobine déterminant la gamme de fréquences qu’elles reçoivent. Par induction, elles génèrent un courant électrique faible qui permet de révéler en sons les champs électromagnétiques qui nous entourent, émanant des lampes, de l’électroménager, des téléphones ou ordinateurs... Ces deux montages offrent une bonne occasion de s’initier au « DIY » et leur prix modéré autorise aussi des expérimentations auxquelles on ne se risquerait pas avec de bons micros. Pour peu que l’on prenne le temps de l’auscultation, les résultats sonores peuvent malgré tout être spectaculaires.

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