Carnets de Syntone n_6 | juin-juillet-août 2016

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édito C’est peut-être dans une librairie d’Arles, de Paris, de Perpignan ou de Saint-Denis que vous avez déniché ce numéro. Merci de faire confiance à votre libraire et bienvenue dans nos Carnets qui vous donneront aussi, nous l’espérons, le goût d’aller fureter sur Syntone.fr. Si vous nous lisez depuis un moment, vous aurez remarqué que notre objet évolue, tant dans sa forme que dans son contenu. Les Carnets de Syntone mûrissent en fonction de l’expérience et de vos retours critiques. Ainsi ce sixième numéro s’enorgueillit de deux nouvelles rubriques – « dans les oreilles de… » et « œuvre ouverte » : Tout d’abord, les nostalgiques de notre série sur la fiction en 2015 seront sans doute ravi·e·s de constater le retour des textes de création à travers la rubrique « dans les oreilles de… ». Nous confions ainsi à un·e artisan·e du son un espace libre à investir à

propos de son rapport quotidien à l’écoute : écoute du réel, écoute de créations, écoute technique, écoute qu’on veut. Une rubrique inaugurée dans ce numéro par le créateur sonore et dessinateur Vincent Matyn-Wallecan. Et puis, vous la connaissez sous le nom de « chronique » sur Syntone.fr : la critique pure et dure fait son entrée dans les Carnets via la rubrique « œuvre ouverte ». Dans ce numéro, nous passons à la loupe un OVNI documentaire de 1972, Good morning Vietnam. Au fil de ce n°6 planent des menaces, grotesques ou réelles comme la guerre. S’y mêlent des paroles fragiles ou fortes, saines et engagées, celles de la poétesse Laurence Vielle et des anonymes de Radio Debout, l’aventure humaine et radiophonique la plus enthousiasmante de ces derniers temps. Bonne lecture et bonnes écoutes !

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rencontre «  Le personnage de mes histoires, c’est la langue » L’écriture de Laurence Vielle, sa voix, son énergie sur scène ont contribué à lui dessiner une silhouette artistique singulière, une sorte de « personnage-voix » que l’on aime retrouver de création en création. Diseuse publique, écrivaine à voix haute, elle sème aussi régulièrement sur son parcours quelques perles radiophoniques. Depuis le 27 janvier 2016, voici Laurence Vielle INTRONISée « poétesse nationale » par un réseau d’associations qui œuvrent pour la poésie en Belgique. Une mission de deux ans, qu’elle endosse avec la générosité qui la caractérise.

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rencontre

Tu es quelqu’un qui produit de la parole, mais quelle place l’écoute occupe-t-elle dans ta vie et dans ton travail ?

rythmique, à dire, à faire sonner, à traverser physiquement, ou être physiquement traversée par la langue, une sève.

Il y a une phrase que j’aime beaucoup : « écoute pour voir ». Parfois, dans la rue, dans une forêt ou chez moi ou… juste fermer les yeux et voir avec les oreilles. On entre en quelque sorte au cœur du monde, du vivant. L’écoute des gens est essentielle dans mon travail d’écriture. Leur parole, leur façon singulière de dire (hésitations, répétitions, arrêts, etc.) constituent souvent la matière même de mon écriture.

Et l’enregistrement sonore comme outil : est-ce que tu t’enregistres ? Est-ce que tu enregistres les gens que tu écoutes ?

Tu écris et tu publies des livres, tu interprètes tes textes sur scène, parfois un enregistrement sonore vient fixer cela, parfois une création radiophonique. Avec lequel de ces « modes de propagation de parole » es-tu la plus à l’aise ? Chaque fois, le travail scénique précède la réalisation radiophonique. Et ce n’est que certaines fois qu’il m’a semblé évident que telle œuvre scénique pouvait devenir une œuvre radiophonique (Ça y est je vole, On air, Qu’est-ce qui te fait vivre ?, Ouf). Ce sont des œuvres où la part musicale et la part documentaire ont une grande importance. Mais je crois que de toute façon, quoi que je crée, c’est d’abord pour les oreilles, de la langue à faire entendre, à faire rythmer, à déployer. Pour moi, le personnage de mes histoires, c’est toujours, d’abord, la langue me semble-t-il. Publier un livre est peut-être ce qui m’est le moins naturel. Et ce qui m’est le plus naturel, c’est glaner de la parole, et la restituer sur une scène, après un travail de terrain, avec les gens. J’aime par dessus tout dire les mots avec mes compagnons musiciens, compagnons de longue route – Vincent Granger, Bertrand Binet, Catherine Graindorge – ou Jokke Schreurs rencontré récemment. Pour moi la langue est fondamentalement rythme/

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Avant, j’enregistrais souvent les gens et puis je retapais/ retranscrivais scrupuleusement leur parole. Ma maman m’a fait suivre des cours de dactylo dès mes 8 ans, écrire avec un clavier me constitue. Petit à petit je me suis mise à écouter avec les doigts. Je regarde la personne, je lui pose des questions, nous parlons ensemble, et en même temps, en parallèle, aussi vite que les mots qui défilent dans l’espace entre nous, mes doigts écrivent tout tout tout ce qui se dit avec le clavier. Sans aucune ponctuation, une matière extra brute. Et si je la relis tout haut, c’est une langue à part entière avec ses rythmes, ses mots qui boitent, ses entorses à la langue. J’aime quand ça ne parle pas « comme il faut », et ça parle rarement « comme il faut ». Tu interprètes aussi les textes des autres. Par exemple, en radio, on t’a entendue en tant qu’« Arlette Robert » dans Personnologue de Sebastian Dicenaire. Est-il difficile de quitter son personnage pour se mettre au service d’autres ? « Arlette Robert », il m’a bien plu ce personnage de Sebastian. J’ai aimé aussi comment il l’a appréhendé. Nous arpentions les quais de la Senne près de Bruxelles, en criant les mots d’Arlette, une parole à l’air. Complètement à l’air. J’aime me mettre au service d’autres langues, chaque langue nous invite à une autre perception du monde. Pour le moment je joue « la petite Marie » dans Les Présidentes de Werner Schwab, au Théâtre le Public à Bruxelles, une langue extrêmement dense, complexe, tourbillonnante, vertigineuse et concrète cependant. Un travail très ardu pour la mémorisation, j’aime

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ces langues/écritures presqu’impossibles, les digérer, les tatouer dans mon être pour pouvoir les restituer, une matière vivante qui me fait respirer autre, une autre respiration pour dire ces phrases-là, j’aime respirer autrement, empreintée par d’autres langues, j’aime être le terrain d’autres langues. Tu greffes parfois des mots flamands dans tes textes. En tant que « poétesse nationale », as-tu l’intention de sortir de ta langue pour en habiter une autre ? Le néerlandais fait partie de ma famille puisque ma mère est anversoise. Avoir ce rôle pendant deux ans, me permet de me rapprocher de cette langue que j’aime, qui produit une autre poésie. C’est flagrant de constater combien la poésie néerlandophone est la plupart du temps concise, alors que la poésie française est plutôt bavarde et chantante. L’expression « poète national » est surprenante. Quelle interprétation lui donnes-tu et comment fais-tu tienne la mission qu’on t’a donnée ? La Belgique est de plus en plus en proie à une pensée nationaliste, séparatiste. Mais le projet « poète national » est joyeux et son but poético-politique est d’abolir les frontières douloureuses qui s’érigent de plus en plus entre nos communautés. Charles Ducal m’a précédée comme poète néerlandophone national et je fus pendant un an son ambassadrice du côté francophone. Maintenant, à son tour d’être mon ambassadeur. Je connaissais bien peu la poésie néerlandophone de mon pays et ce projet permet d’aller lire à droite à gauche, de publier des poèmes dans différents journaux nationaux, francophones, néerlandophones, germanophones. Et surtout ce projet est prétexte à faire émerger la poésie, le souffle poétique.

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rencontre

Cette fonction t’astreint à produire de la poésie sur des thématiques d’actualité, dans un contexte de surcroît pas très léger, en Belgique comme ailleurs. Est-ce une difficulté ? C’est difficile de mettre des mots sur les attentats. C’est terriblement nécessaire aussi. Il y a par ailleurs un collectif de poètes bruxellois parmi lequel la poésie s’écrit en différentes langues (arabe, espagnol, portugais, néerlandais, français, etc.). Tous les membres de ce collectif ont écrit un poème sur les attentats. Le 3 mai nous sommes allés en fin d’après-midi sur les marches de la Bourse au centre ville, là où il y a le tapis de bougies/fleurs/mots pour les victimes. Et nous disions tous ces poèmes, tour à tour. Le public était tout à fait silencieux, interpellé. J’ai ressenti la nécessité de prendre la parole, mettre des mots singuliers sur cet événement extrêmement récupéré par les médias, la politique sécuritaire actuellement très à droite en Belgique. J’ai ressenti la force du poème. Et comme le poème ainsi posé proféré en lien avec le monde manque aujourd’hui.

couter àé

La poésie peut-elle servir à lutter ? Oui. Dans le cadre de ton mandat de poétesse nationale, des créations radiophoniques viendront-elles porter les productions poétiques ? Ce serait une formidable occasion pour mettre la création radiophonique à l’honneur ! Je vais donc dès à présent imaginer un événement là autour. Je pense aux différents festivals de poésie en Flandre, Bruxelles et Wallonie, les agrémenter de séances d’écoutes radiophoniques d’œuvres liées à la poésie, ce serait formidable. J’ai toujours aimé les écoutes radiophoniques qui nous plongent dans le noir et avive nos oreilles.

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dans les oreilles de

Vincent Matyn-Wallecan

L’artiste belge Vincent Matyn-Wallecan inaugure cette nouvelle rubrique qui donne carte blanche à un·e artisan·e du son pour témoigner de sa pratique ou de sa pensée.

Poète, dessinateur, créateur sonore, Vincent est aussi et tout à la fois chercheur de liens entre son, arts plastiques et langage.

Glissons-nous

entre ses oreilles.

Le son écoute Depuis quand le son écoute-t-il quand on lui parle ? D’où écoute le son ? Comment parler du son qui écoute ? M’entend-il ? Entend-on quand je parle de ce que j’écris ? Devient-on sourd à vouloir en parler ? Y a t-il encore quelque chose à entendre ? Y a t-il encore quelque chose à dire ? Si j’écris sur le son, est-ce que le bruit du clavier l’empêche d’entendre ? Est-ce que le son a quelque chose à dire ? Est-ce que l’écrit peut couvrir le son ? Son de l’écriture, parole qui écrit sur le son – son de la parole parlant du son, écrit couvrant la parole. Le son écoute, le son nous écoute, le son a des oreilles. L’enregistrement capture du son, mais c’est le son qui nous capture. Captivés par le son. Capture de la parole, de la mémoire, mise en mémoire du son, mise en son de notre mémoire, le son est témoin. Témoin mis

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en boîte, attrapé, oiseau dans la cage, nuage flottant, matière offerte à manipulation. C’est une responsabilité – RIEN N’EST VRAI, TOUT EST POSSIBLE – couper, coller, assembler, souder, séparer, éliminer, refaire. Je reprends, c’est une leçon. À l’écoute du son, le son nous écoute. Le son nous écoute parler de lui, le son est muet, il ne parle pas. L’écrit mute la voix, l’écrit fait entendre des voix muettes. On parle de son, on le fait parler. Discours sonore écrit pour le son – je vous rappelle que le son nous entend mais ne peut rien dire – il n’a rien à dire, il est tout ce qu’il y a à dire, alors forcément c’est inaudible, c’est pour ça qu’il faut écouter. Je suis pour le son, avec lui – je suis avec le son et j’en parle, je dis. Je dis le son est en moi, le rythme interne du son en moi qui parle. Le son parle par ma bouche et mes oreilles. C’est ça, le son s’exprime dans les oreilles de ceux qui l’écoutent. J’en parle, c’est mon son, le mien, celui que j’entends. Il vit dans mes oreilles, celui que je veux vous faire entendre, vous faire entendre comment j’entends, vous faire entendre ce que j’entends quand j’écoute. Je veux montrer ce que je vois quand j’entends, je vois ce qu’il veut dire. Le son me parle. Je veux le sortir, lui faire faire un tour, prendre l’air. Tours de magie ou tours de passe-passe, je monte le son, son volume, j’augmente le volume du son. J’en mets plein le casque, des tas de sons que j’ai en mémoire là, dedans. Mon son devient mon sexe dans le monde, se mélange au monde des sons là, dehors. Le dehors qui est notre dedans quand on le regarde, quand on l’écoute, quand on le touche, le dehors est dedans. À travers le son je cherche le silence, bien entendu, le silence

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tapi derrière. Ce silence rempli de voix, il n’est pas silencieux ce tapis. Sur l’écran muet du son se projettent des images, je vois des images dans le son, je veux vous faire entendre les images que je vois apparaître dans l’écoute. Je ne fais pas de son, je fabrique des images, des images sonores pour l’obscurité de nos crânes. Jeu de lumières, tel est pour moi le son. C’est de la peinture, c’est de la sculpture, sculpture de l’air, ce n’est que de l’air. L’air du son, dans l’air qui m’écoute, qui flotte dans son air, dans sa chanson. Le son chante, il chante pour s’entendre en nous. Quand on parle, le bruit des mâchoires couvre les sons, même la pensée quand on pense trop fort on n’entend plus rien. Au plus j’écris, au moins j’entends le son dont je parle. Où est le son ? Il est partout, pas un endroit où se cacher. Ni pour lui, ni pour moi.

On utilise parfois du jargon sans le savoir. Nous avons donc imaginé un petit lexique (récréatif) de la création sonore et radiophonique. Guettez les mots soulignés par une ondulation et rendez-vous page 64.

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œuvre ouverte Le souffle heurté de l’apocalypse Un soldat : « J’ai tiré dans le tas ». Un autre : « Bien, beau travail ». Choc et sidération, ruptures et perte de sens : la guerre ouvre souvent la voie, au lance-flammes, à de nouvelles formes de pensées, de nouvelles esthétiques. Celles-ci cherchent à faire table rase d’un passé vu comme porteur de gènes mortifères et d’idéologies

Pas de conteur, pas d’interview journalistique, pas de personnage central, Good morning Vietnam

bannit discours et techniques narratives apparentes.

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trompeuses. Parfois surgissent aussi, en parallèle de contre-cultures naissantes, des œuvres malades et solitaires, ivres d’ellesmêmes et échappant à tout courant spécifique. Lorsqu’il y a quelques semaines, France Culture étrenna son portail du documentaire sur son site refait à neuf, elle fit remonter des limbes une étrange archive de 1972, Good morning Vietnam, aussitôt qualifiée de « mythe ». Le choix était stratégique – ouvrir une fenêtre pour de futures

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œuvre ouverte

résurrections de pépites patrimoniales. Il s’avère judicieux : on comprend, dès l’entame, se trouver en présence d’un objet-monstre, une déflagration peu commune. Pas vraiment documentaire, puisqu’il ne prétend pas donner une image nette de la « deuxième guerre d’Indochine » (1955-1975), cet Atelier de Création Radiophonique se pose comme un défi à l’étiquette, donc à la normalisation. Appelant plutôt le tâtonnement critique précautionneux, celui de l’artificier face au colis suspect. La genèse : une pellicule sonore Au début des années 70, le photographe de guerre Claude Johner (Associated Press, Gamma, New York Times) revient de Saigon transmué en audio-reporter. Il confie cinquante heures de son à Janine Antoine et Alain Trutat de France Culture. En variant les focales de son écoute comme il le ferait de son zoom photographique, Johner a enregistré sans fil directeur apparent, au fil de ses pérégrinations. Sa palette se révèle d’une richesse enviable : intérieur/extérieur, bars et cimetières, dialogues et martèlement des armes, chants et jingles radio, bruits infinitésimaux et séismes sonores… Johner s’est intéressé aussi bien aux GI’s qu’aux Vietnamiens, au déploiement multidimensionnel de la machine de guerre états-unienne qu’à son impact sur les populations locales. Ce matériau proliférant est élagué par l’équipe de France Culture et reconfiguré dans un format de 80 minutes. Un vinyle sortira plus tard dans une version de 58 minutes.

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L’écoute : collage aux bouts de l’enfer Les rires des soldats en rafales dans les bars, des marchandages avec les prostituées, les échos affaiblis des radios, de la poésie vietnamienne de résistance (en français), les entrailles métalliques d’un porte-avions, les échanges radio des militaires, des récitations d’écoliers lacérées par des avions, des chenilles de tank, des chants funèbres, des dialogues en direct sur un champ de bataille… Pas de conteur, pas d’interview journalistique, pas de personnage central, Good morning Vietnam bannit discours et techniques narratives apparentes, au profit d’une relation directe, épidermique, entre celui/celle qui écoute et le flux sonore polyrythmique. Ce que Janine Antoine a modelé, c’est un long panoramique immersif, un travelling circulaire (certaines voix ou séquences disparaissent puis reviennent) tourmenté, souffreteux, zébré de soubresauts, de visions perçantes et de moments indiscernables comme autant de zones de flou. Le principe : un crépitement de séquences imbriquées par un montage offensif et non conventionnel. Les segments se chevauchent, se recouvrent, parfois des éclats de voix en surimpression leur coupent littéralement la parole, comme si un deus ex machina s’amusait à balayer les fréquences d’un poste radio. Mais en point d’orgue de cette effervescence, au-dessus de ce paysage sonore corrodé, à la fois raffiné et hirsute, deux captations coupent le souffle. Des

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bombes explosent, un Godzilla sonore s’élève, fulgurant et indépassable, le sillage de la détonation est d’une beauté magnétique. Presqu’aussi destructrice, la « guerre psychologique » pratiquée par les Américains : d’énormes haut-parleurs placés sur des hélicoptères diffusent des bandes sonores au-dessus des bases encerclées. « La plus connue de ces cassettes est sans doute celle intitulée The wandering soul (l’âme errante), où un soldat mort revenait hanter le pays en suppliant les Vietnamiens de rendre les armes et de ne pas risquer la mort loin de leur famille », comme l’écrit notre collaboratrice de Syntone Juliette Volcler, dans son livre Le son comme arme. C’est exactement cela que l’on entend : des voix horrifiques et stridentes parlent de mort et de retours impossibles. Une torture mentale hypnotique, aux confins de l’effroi : le point de non-retour dans la haine de l’autre. Mais enfin, Good morning Vietnam, c’est quoi ? Fresque apocalyptique, essai poétique dépenaillé, cauchemar éveillé, trip hallucinatoire sous LSD, manifeste libertaire (tant il laisse l’auditeur/trice libre de vagabonder), Good morning Vietnam est un ogre qui avale et recrache les discours qualificatifs. Et si cette divagation parfois délirante restituait la conscience confuse d’un Marine en train de mourir ? Les dernières semaines de sa vie défilent, dans un ordre aléatoire... et artistiquement inspirant. Et la guerre ? Elle vole en éclats

Quand un impérialisme (ici celui des États-Unis) est en marche, il colonise d’abord par le son. Voilà ce qu’au final Good morning Vietnam raconte. Il faut donc l’écouter comme le décalque sonore d’un chaos diffus, dont il se laisse transpercer par les éclats. « Le Vietnam, c’est le bordel », gémit un soldat. Sans logique manifeste, parfois aussi absurdes et indéchiffrables que peut l’être un conflit – bien qu’une guerre serve toujours les intérêts de quelques-uns –, ces 80 minutes flirtent avec le grotesque et le grandiloquent. À l’égal de ce qui s’est déroulé là-bas. Entre ses moments de basse intensité et ses minutes d’apocalypse, Good morning Vietnam consigne une humanité qui vacille, comme une flamme de plus en plus ténue. D’un côté des hommes et des femmes qui rient, pleurent ou marchandent, de l’autre les affects éteints par les fracas de métal, le comptage morbide des morts, le langage des soldats réduit à des codes, la prise des pouvoirs des machines létales, du fusil au porte-avions. Inside the machine.

Sans logique manifeste,

parfois aussi absurdes et indéchiffrables que peut l’être un conflit, ces 80 minutes flirtent avec le grotesque et le grandiloquent.

Fin de captivité pour l’auditeur Une contrée désertée par la morale. Un univers frelaté où seule la dévastation est prévisible. À chacun de se situer.

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webdoc sur les violences conjugales : www. rlonsdesviolences. fr

œuvre ouverte

La réalisation tournoyante de Janine Antoine cherche bien entendu à égarer son auditoire. Jamais vraiment sûr de ce qu’il perçoit, incapable de savoir à quoi s’attendre dans les secondes qui suivent, il n’en devient que plus sensible aux variations d’intensité et de ruptures de sens. Entre les shoots d’hyperréel (les scènes prises sur le vif) et les sentiments de distance induits par un montage caractériel qui semble se saborder lui-même à chaque instant, son positionnement peut paraitre inconfortable. Mais la grande force de Good morning Vietnam est justement de ne pas chercher à le contraindre à une écoute unidimensionnelle. Libre à celle/celui qui écoute de donner une forme, des couleurs, à cette fantasia funeste. Libre à elle ou à lui de s’immerger jusqu’à caler sa pensée sur les cahots du flux ou, au contraire, de se muer en présence spectrale : écouter en surplomb, hanter les champs de bataille ou les salles de classe. S’approcher ou fuir.

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« Je me mis à réfléchir, c’est-à-dire à écouter plus fort », écrivait Beckett dans Molloy. Good morning Vietnam est exemplaire de la puissance tellurique du son (au sens littéral, on y entend trembler la terre) : elle est ici la seule réalité tangible, le seul totem à peu près fiable. Pour France Culture, cette résurrection s’avère à double tranchant, puisque ce recours au « mythe » appelle le regard en contrepoint. La radicalité des choix formels de ce bloc irradiant est-elle liée à une époque (les années 70) moins inhibée créativement qu’aujourd’hui ? À quand Good morning Syria sur Culture ou ailleurs ?

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d'écoutes couter àé

L’écho de nos abonné·e·s

Une radio associative fait entendre des voix. Nombreuses, anonymes, quotidiennes. Sur Studio Zef (91.1 FM autour de Blois), dans l’émission Les voix d’Olympe, Veronik part à la recherche de voix de femmes. Sans autre a priori qu’une attention fine aux paroles discrètes, murmurées, qui viennent d’un quotidien ici décrit. Son micro se fait complice de ces voix cachées que l’on garde en soi comme une ombre, et nous invite le temps d’un moment à les entendre. J’y retrouve ce que j’aime tant à la radio, quand le dessin du quotidien par les voix qui le vivent, dessine en même temps les désirs entiers et les combats secrets, parfois à peine conscients.

Déborah Gros, formatrice radio, documentariste et collaboratrice de Syntone, Madrid (Espagne)

En Lièg e De p , C su rises à éc écile o , r u u l t con es vio n web er : l d j ww ugale ences oc s : w.

Lolita Voisin, maître de conférence en urbanisme, Blois (France)

L’écho de la rédac

Un grand vertige. Voilà ce que j’ai ressenti en écoutant une des derniers émissions du collectif La Radio Cousue Main : Ça va faire du noise noise noise. Réunie dans le studio de Radio Campus Paris autour d’un seul micro, la joyeuse équipe propose chaque mois une nouvelle « expérience » en direct. Cette fois il s’agit de créer un larsen ou « feedback » radiophonique avec de petites radios portatives réglées sur la fréquence de Radio Campus. Et ça marche ! Chaque voix, chaque son, chaque appel lancé au micro se répercute sous forme d’un écho sans fin. On entend des gens qui s’écoutent écouter. Plus de repères pour l’auditeur. La radio prend la forme d’un rêve. Cris et chuchotements, bribes de phrases scandées en rythme, tout est aspiré par ce trou noir. Attention, c’est comme le chant des sirènes, on n’y résiste pas !

www.radiocampusparis.org/radio-cousue-mainca-va-faire- noise-10-03-16/

www.studiozef.fr/tous-au-poste/les-voix-dolympes-4/

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petite

histoire

Quand la radio trompe l’oreille : petite histoire des faux-semblants radiophoniques Épisode 3 : Plateforme 70 et le monstre marin Quand la fiction fait l’évènement en passant pour le réel : retour, sous forme de feuilleton, sur près d’un siècle de faux-semblants radiophoniques. Après deux premiers épisodes consacrés respectivement aux années

1920 (Maremoto et En direct des barricades) et 1930 (La Guerre des mondes), nous plongeons maintenant au cœur des années 1940 avec deux pièces : Plateforme 70 ou l’âge atomique de Jean Nocher sur la Chaîne parisienne et, de façon plus anecdotique, le monstre marin imaginé par des GI’s sur la radio de l’armée états-unienne d’occupation au Japon.

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petite histoire

« Panique à Paris : la radio avait fait état d’une fausse désintégration atomique du monde » titre le 5 février 1946 le Toledo Blade, un quotidien de l’Ohio 1. Ce jour-là, une création sonore de la Radiodiffusion française a les honneurs des journaux nationaux comme de la presse internationale. Mais on commence à connaître la chanson : les récits de paniques en disent souvent bien plus sur celles et ceux qui les relayent que sur ce qui s’est réellement passé. Cela ne rate pas ici, Plateforme 70 ou l’âge atomique faisant même figure de cas d’école en la matière. Ce 4 février 1946 à 20h45, après les informations, Jean Nocher commence à diffuser sur la Chaîne parisienne le premier épisode d’une série de dix fictions sur le monde tel qu’il serait en 1970. La réalisation en est assurée par Bernard GandreyRéty, alors âgé de 21 ans. De son vrai nom Gaston Charon, Jean Nocher est normalien, féru de philosophie, ancien résistant, gaulliste militant, plus tard député du Rassemblement du Peuple Français – il pourfendra, lors de chroniques radiophoniques quotidiennes au début des années 1960, les « garçons ambigus » et les « filles hommasses », le jazz et les jeunes qui ne travaillent pas, Sartre et les « soi-disant intellectuels » solidaires des indépendantistes algérien·ne·s 2. Pas franchement un rebelle, donc, plutôt un conservateur idéaliste. En cet immédiat aprèsguerre, Nocher reste profondément marqué par le bombardement d’Hiroshima et, ne partageant pas plus la confiance univoque des dirigeants de l’époque dans les progrès de la science que la volonté d’insouciance d’un certain nombre de ses concitoyen·ne·s, il endosse le rôle de « maître au dessus de la mêlée, indiquant aux gens ce qu’il fallait faire (…) : le monde devait aller vers la bonté, la générosité et

Le public est mis en garde sur les ondes. Mais l’avertissement final, qui devait

être diffusé juste avant la pièce, est oublié.

1  « Parisians In Panic As Radio Describes Fake Disintegration of World », Toledo Blade, 5 février 1946. 2  « En direct avec vous » in Jean Nocher, En direct avec l’avenir, éditions mondiales Del Duca, Paris, 1962.

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quitter tout ce qui était laid» 3. Il imagine donc dix « émissions d’anticipation » mettant en scène le meilleur et le pire des inventions technologiques du futur afin de donner à penser sur les errements de la vie sociale, politique et intellectuelle de son époque. Pour le premier épisode, il a prévu de démarrer en fanfare sur le pire : « La Grand’ Peur ». Claude Bourdet, directeur général de la radio, est non seulement consentant mais enthousiaste (« le synopsis me parut franchement excellent et original ») et prévoyant : « Comme nous connaissions tous l’expérience d’Orson Welles (…), il fut décidé de prévenir le public par de nombreuses annonces insistant sur le caractère fictif de l’émission, destinées aux auditeurs qui n’auraient pas pris connaissance des programmes de radio 4. » La fiction est donc indiquée comme telle dans les rubriques radio des journaux et à sept reprises, dans les trois jours précédant l’émission, le public est mis en garde sur les ondes. Mais l’avertissement final, qui devait être diffusé juste avant la pièce, est oublié : « Tout compte fait, je suis porté à croire que ce fut probablement un oubli véritable. », concèdera Claude Bourdet. Le 4 février, donc, les informations de Ce soir en France sont simplement suivies d’un indicatif sonore sous

« Je vous

conjure donc de ne vous laisser en aucun cas entraîner à la panique, même si vous étiez soudain les témoins d’évènements insolites ».

3  Témoignage du technicien radiophonique Jacques Chardonnier dans le documentaire de Perrine Kervran et Véronik Lamendour, « Plateforme 70 », plateforme utopique, La Fabrique de l’Histoire, France Culture, 29 mars 2011. 4  Préface de Claude Bourdet in Jean Nocher, Plate-forme 70 ou l’âge atomique, éditions SPER, collection de l’Espoir, Saint-Étienne, 1946.

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forme de « montée d’orchestre rappelant une sirène et évoquant le son à la fois grinçant et ouaté d’un gigantesque ascenseur » puis de « sons [qui] s’étalent, deviennent très doux, mystérieux, confidentiels ». Et, sans autre transition, l’antenne poursuit sur une « importante communication » du professeur Hélium de l’Institut mondial des recherches atomiques. Le grand scientifique, joué par Nocher, annonce après quelques considérations inaugurales sur Hiroshima : « Mais je ne suis pas venu à ce micro pour philosopher : je suis là pour vous demander d’abord de garder tout votre sang froid. Je dois en effet vous avouer qu’à la suite d’essais de désintégration atomique menés de façon un peu trop rapide, peut-être, et trop poussés par des savants éminents mais qui travaillent ici dans un terrible inconnu, on vient de relever certains troubles graves, affectant non seulement les organismes humains mais aussi le mécanisme terrestre, et dus aux rayons

« Monsieur, monsieur, il paraît qu’il y a un tremblement de terre boulevard de la Chapelle et que là-bas, tout le quartier est en feu ! » alpha que l’uranium 235 et le plutonium émettent à la vitesse formidable de 20 000 kilomètres par seconde. » Sur quoi, afin de donner plus de réalité à la catastrophe, il profite d’un vibrant appel au calme pour décrire par le menu ses effets apocalyptiques : « Je vous conjure donc de ne vous laisser en aucun cas entraîner à la panique, même si vous étiez soudain les témoins d’évènements insolites ou extraordinaires tels que : lueurs soudaines dans le ciel, craquements, vibrations du sol (elles ne sont d’ailleurs pas dangereuses tant qu’elles ne dépassent pas une certaine amplitude), pannes de lumière et arrêt de tous les moteurs ayant des connexions électriques, enfin

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troubles physiologiques légers : tremblement, excitation épidermique et perte momentanée du sens de l’équilibre 5 . » Pendant vingt-quatre minutes, les interventions pontifiantes du savant alternent avec celles des journalistes de l’antenne (les « speakers ») et avec de faux reportages. Le professeur Pickford, directeur du Clark Institute, disparaît « dans la volatilisation d’une assez grande étendue de territoire », et le président de l’ONU lance un ultime appel au sang-froid de l’humanité afin, « même si la civilisation devait disparaître et s’engloutir dans l’océan de son propre génie, que du moins la dignité humaine soit sauve ». On croit entendre un mix de Maremoto et de La Guerre des mondes 6 : des sons de vents violents, du code morse, des blancs et à l’occasion quelques mesures de musique viennent interrompre la transmission. Des communications navales et aériennes sont diffusées directement à l’antenne et le journaliste en studio met régulièrement en scène la radio comme centre névralgique de la crise en cours : seul vecteur d’information, elle devient aussi, à travers les problèmes techniques qui l’affectent, un symptôme de la catastrophe en cours. Un reporter intervient depuis un grand carrefour parisien où se trouve « une dizaine de milliers de personnes », tombe sur « un orateur improvisé [qui] parle ma foi très bien » et lui tend le micro : « Les machines, qui auraient pu faire votre bonheur et votre libération, ont fait votre esclavage et votre misère parce qu’on n’a pas su les utiliser pour la communauté. » Puis la panique augmente, une femme crie tout à coup : « Monsieur, monsieur, il paraît qu’il y a un tremblement de terre boulevard de la Chapelle et que là-bas, tout le quartier est en feu ! » Les voix dûment masculines et professionnelles de la radio tentent de restaurer l’autorité et la raison : « Mais non, Madame, taisez-vous… Ce n’est pas vrai ! Coupez, nom de… » – mais en vain, l’hystérie ne s’arrête plus. À peine le temps d’entendre quelques prières à la cathédrale Notre-Dame « où de nombreux fidèles se sont spontanément rassemblés », 5  Les archives radiophoniques de Plateforme 70 étant incomplètes (quelques phrases sont tronquées dans le 1er épisode), les extraits du scénario sont tirés du livre qu’a ultérieurement publié l’auteur, Plate-forme 70…, op. cit.. 6  Voir les deux premiers épisodes de notre « petite histoire des faux-semblants radiophoniques », Carnets de Syntone n°VRAI-FAUX (décembre 2015) et n°5 (mars 2016) ou en ligne sur syntone.fr.

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que des explosions interrompent brutalement les deux speakers en studio. L’indicatif retentit et les acteurs eux-mêmes désannoncent la pièce, rassurant le public sur le caractère factice des évènements tout juste retransmis, mais pour mieux l’inquiéter sur son avenir : « Je ne sais si vous vous êtes laissés prendre à notre jeu… », déclare le professeur Hélium, « Mais était-ce bien un jeu ? Qui sait si le cauchemar d’aujourd’hui ne sera pas la réalité de demain ? » Et de conclure sur l’annonce du deuxième épisode de la série : « Aujourd’hui, nous vous avons donné un avant-goût du suicide. La semaine prochaine, nous tenterons de vous lancer dans l’autre vie et de vous faire connaître les nouveaux bonheurs. » Jean Nocher mettra ensuite un point d’honneur à souligner toutes les « invraisemblances criantes » qu’il avait incluses, « donnant un nom bouffon à son savant, faisant parler le Président de l’ONU avec un accent mi-belge, mi-marseillais, faisant chanter à Notre-Dame un hymne

protestant (“Plus près de toi mon Dieu”) 7 », inventant des lieux géographiques (Tunguska et Gunport) et des codes militaires (zone W1 et W2) – et précisant, enfin, que « tous les bruits de foule (…) étaient fait par des repiquages sur disques. Lors de la prise de son, il n’y avait dans le studio que cinq personnes… »8. À quoi l’on pourrait ajouter que ces cinq personnes jouant dans le plus pur style du théâtre radiophonique conventionnel, leur ton dénonçait de facto l’artifice aux oreilles accoutumées à ce genre. En somme, dira Nocher en 1954, « nous ne voulions pas du tout faire peur, simplement le directeur de la radio m’avait dit : “Je voudrais une émission qui réveille la radio, qui fasse du bruit”. Alors on a fait une émission qui a fait du bruit. Mais elle a fait trop de bruit9. ». Claude Bourdet, qui ne dirigeait la radio que depuis un mois et demi, y avait été placé par l’éphémère ministre de l’Information d’alors, André Malraux, lequel avait pris ses fonctions en novembre 1945 et ne les occupait déjà plus au moment de « l’émission atomique ». En cet après-guerre politiquement agité, Bourdet avait été chargé de réformer en profondeur la radio : « Mon but était d’obtenir que la Radio serve le public au lieu de se servir de lui. (…) Cela n’avait pas été sans de sérieuses résistances et des décisions brutales. La Radio était (…) la proie de nombreux “gangs” tant politiques qu’administratifs (…). Quand Malraux quitta l’Information fin janvier, je compris que les “gangs” allaient

« Aujourd’hui,

nous vous avons donné un avantgoût du suicide. La semaine prochaine, nous tenterons de vous lancer dans l’autre vie et de vous faire connaître les nouveaux bonheurs. »

7  Préface de Claude Bourdet, op. cit. 8  Notes incluses dans le scénario de Plateforme 70, op. cit.. 9  « Jean Nocher à propos de Plateforme 70 », entretien sur Télé Paris, 21 avril 1954, fonds INA.

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avoir leur revanche 10. » Malraux est remplacé par Gaston Defferre, membre de la SFIO (grand parti de gauche de l’époque), qui se méfie des affinités gaullistes de Bourdet et souhaite le remplacer par un socialiste accrédité. Bourdet refuse de démissionner – mais quelques jours plus tard, la diffusion du premier épisode de Plateforme 70 offre un excellent prétexte à Defferre pour le révoquer définitivement. Jean Nocher, lui, sera suspendu pour trois mois. La presse, comme à son habitude, brode avec délectation sur la panique supposée :

« Nous sommes épouvantés à l’idée qu’une émission, sous prétexte qu’elle était originale, a pu faire un tel bruit » « L’émulation aidant, on pouvait lire en manchette des journaux de la capitale “que les immeubles de la Radio avaient été pris d’assaut et devaient être gardés par la police, que de nombreux parisiens étaient morts de peur, que d’autres avaient succombé à des doses massives d’alcool absorbées en quelques instants de désespoir, que de nombreuses femmes avaient accouché prématurément, que des cas de folie étaient signalés partout, que les polices, les ambulances et les pompiers étaient sur les dents, qu’il y avait des émeutes dans les faubourgs, que l’auteur de Plateforme 70 était arrêté, qu’il était en fuite, etc. etc.”. (…) Un Patriote de province (…) imprima gravement : “M. Jean Nocher est interné à Charenton”. » Claude Bourdet verra derrière ces inventions journalistiques la main du gouvernement même. Parmi les voix dissonantes, on trouve un chroniqueur du Figaro, Pierre Devaux, dont la ferveur anti-nucléaire horrifierait ses collègues d’aujourd’hui : « Je réclame hautement, en ma qualité de vulgarisateur scientifique, le droit de féliciter l’auteur de Plateforme 70 ou l’âge atomique. (…) Ce que Jean Nocher a décrit et nous a fait vivre, c’est 10  Préface de Claude Bourdet, op. cit., tout comme la citation suivante.

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l’aboutissement normal des découvertes extravagantes de la physique, et la violence instantanée de la réaction prouve la terreur latente dans laquelle vivent deux milliards d’hommes en face de ces abominations de la science 11. » La pièce n’occasionne en fait nulle mort, nulle hystérie de masse, nul emprisonnement, mais donne lieu à quelques sueurs froides que Jean Nocher se plaira à rappeler en dédicace de son livre : « À la brave femme qui courait dans la rue en criant : “Sauve qui peut, v’là les atomes qu’arrivent !” ; au petit rentier converti qui descendit à la cave en caleçon dégrafé ; à la famille de durs qui liquida toute sa ration de pinard du mois avant de se faire désintégrer ; à l’épouse irréprochable qui avoua à son mari qu’elle le trompait depuis sept ans avec le croque-mort du dessus ; à la paire d’amoureux qui se fiancèrent in-extremis devant le haut-parleur ; à un monde éperdu, éploré, paniquard, pitoyable et crédule, qui est au seuil du bonheur, ou du néant – à son choix… je dédie ce SOS qui n’était pas un jeu… en vous souhaitant bonne chance, mes fils ! 12 » Il s’amusera aussi à rapporter la légende selon laquelle neuf mois plus tard, Paris aurait connu un pic de naissances. Il dira, enfin, avoir reçu « 28 000 lettres, dont 3 000 d’injure et 25 000 d’approbation. »13. Claude Bourdet s’en tiendra quant à lui au chiffre de 12 000 lettres, mais ne boudera pas le plaisir de relayer l’enthousiasme d’un journaliste consultant ce courrier, et surtout sa critique de la Radiodiffusion française : « Il m’est, en ce moment, permis de lire des documents extraordinaires : de véritables pétitions – l’une est signée de douze familles de tout un immeuble, l’autre des dactylos du Crédit Commercial de France, une autre enfin du personnel du Laboratoire d’électricité, et bien d’autres encore émanant de tous les quartiers de Paris et de tous les autres coins de France – pétitions presque 11  Claude Villers et Roland Dhordain (producteurs), Monique Desbarbat (réalisatrice), « Paniques radiophoniques », Il était une fois la radio, France Inter, 3 août 1981, Fonds INA. 12  Plate-forme 70…, op. cit.. 13  Entretien sur Télé Paris, op. cit..

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toutes conçues sur ce thème : “(…) Nous sommes épouvantés à l’idée qu’une émission, sous prétexte qu’elle était originale, a pu faire un tel bruit. Nous attendons la suite avec impatience, car tous les hommes sensés sont bien obligés de se poser des questions sur l’avenir, et nous en avons assez d’entendre une radio sans intelligence ni vigueur, indigne d’un grand pays libre.” » 14 La suite arrivera à partir du mois de mai 1946, date à laquelle la série de dix émissions sera de nouveau autorisée à la diffusion, non sans quelques péripéties rapportées par leur auteur : « Interdite le 11 février 1946 par décision du ministre de l’Information, reprise le 4 mai sur la Chaîne Nationale, et supprimée à nouveau le 15 juin après cinq diffusions tronquées. Les émissions n°8, 9 et 10 sont donc inconnues du public. Les émissions n°4 et 3 ont été inversées ; l’émission n°4 a été diffusée avec un disque en moins (…) ; le début de l’émission n°5 a été diffusée deux fois à la suite, et en conséquence la fin a été coupée ; l’émission n°6 est passée avec un blanc de plusieurs minutes ; quant à la n°7, le dernier disque a été perdu par les services compétents15. » Fidèle à son idée de départ, Nocher met en scène alternativement, dans ces nouveaux épisodes de Plateforme 70, des exemples positifs et négatifs du futur scientifique. Avec, en guise de bonheur, des « gratte-ciels légers », des usines cultivant de la viande, des téléphones à écran, un cinéma olfactif et cinétique, des arbres équipés de micros et de haut-parleurs pour dire l’heure dès qu’on la demande ou encore des détecteurs de mensonge pour sonder l’opinion en permanence et sans erreur. Et pour les catastrophes, une planète fonçant à toute allure sur la terre, un « fléau foudroyant » mis au point par un complot de savants et le spectre d’une nouvelle guerre mondiale. Les divers épisodes prennent la forme de pièces de théâtre radiophonique où dialoguent

14  Préface de Claude Bourdet, op. cit. 15  Texte de Jean Nocher paru dans l’un de ses Pamphlets atomiques, cité sur la page de l’archive dans le fonds INA.

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notamment le professeur Hélium, toujours porteur de la vérité ultime sur l’existence, et Jules Anodin, un ingénu de 1946 soudainement réveillé en 1970. Nocher fera par ailleurs paraître de 1947 à 1949 une collection de fascicules intitulée Le pamphlet atomique, afin de « di[re] bravement ce que pensent les braves gens » – à savoir, selon les titres de quelques numéros : « Messieurs, les “Grands”, un petit vous dit merde ! », « Un Français qui veut vivre libre parle aux Français qui vont mourir » ou « En plein merdier (degré de putréfaction du régime des partis) ». Puis il reprendra dans les années 1950-1960, toujours avec Bernard Gandrey-Réty à la réalisation, ses émissions de science fiction philosophante autour de la figure du professeur Hélium, à travers diverses séries comme Actualités de demain, Les volontaires de l’espace ou Ceux du cosmos. Lors d’une conférence de 1949, le journaliste Samy Simon relèvera avec ironie la disparité entre le scandale suscité par la fiction de Nocher et la retransmission bien réelle d’un évènement nucléaire planifié : les essais de bombardements atomiques menés en juillet 1946 par les États-Unis sur des navires et sous-marins cobayes dans l’atoll de Bikini, dans l’océan Pacifique. L’opération, couverte par plusieurs centaines de journalistes, « fut suivie avec une curiosité morbide par les auditeurs du monde entier et (…) devait en France se traduire surtout par un récital d’une demi-heure de blancs, de silences et de bafouillages sur l’antenne. Moment mémorable que j’appellerais “la descente aux enfers manquée”. Ce jour-là, une immense matière disponible, une masse énorme de curiosité, d’anxiété collectives,

« Bikini fit long feu, et la plus

formidable explosion de l’histoire ne fit guère plus de bruit sur les antennes, excusez-moi, qu’un vulgaire pet de lapin »

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aboutit à un triste fiasco. Bikini fit long feu, et la plus formidable explosion de l’histoire ne fit guère plus de bruit sur les antennes, excusez-moi, qu’un vulgaire pet de lapin. Tout l’appareil compliqué de la technique moderne ne put donner la vie à ce moment de réalité. Par contre [Plateforme 70] a marqué le triomphe incontestable de la fiction sur la réalité. (…) Je ne me soucie pas d’ailleurs de savoir si c’était là une bonne ou une mauvaise émission. Personnellement, je considère qu’elle n’avait qu’une médiocre valeur radiophonique, en ce sens qu’elle basait tout son effet sur une psychose existante, dont il était trop facile à un bon ouvrier moyen de la radio de tirer un habile parti 16. » Le Pacifique sera un an plus tard le théâtre d’une autre légende radiophonique. La valeur artistique de cette dernière est plus incertaine encore puisqu’aucune archive n’est disponible, mais elle a également réussi à susciter quelques émois. Le samedi 29 mai 1947 au soir, sur la station de radio des forces états-uniennes basées à Tokyo, WVTR, le programme musical cède tout à coup la place à de préoccupants bulletins d’information : d’abord, des bateaux de pêche se mettent à disparaître non loin des côtes de la baie de Tokyo. Ensuite, on annonce qu’un village des environs a été détruit. Puis des témoignages par téléphone parlent d’un monstre haut de sept mètres qui est sorti de la mer et progresse vers le nord du pays, faisant dérailler un train et détruisant tout sur son passage. L’armée états-unienne poursuit la bête, sur laquelle les balles de fusil n’ont aucun effet. Une heure durant s’entremêlent interludes musicaux, flashs d’actualité, hurlements d’horreur, bombardements à l’artillerie lourde et cris furieux de la créature. Cette dernière finit par arriver à Tokyo. Un journaliste « annonce à l’antenne qu’il va “s’approcher de la bête”. C’est le moment que le monstre choisit pour s’arrêter, se retourner et s’adresser au public dans une voix de soprano. Il dit qu’il souhaite un excellent cinquième 16

Samy Simon, « La radio recrée le monde », RTF, 1er avril 1949, fonds INA.

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anniversaire à la station de radio de l’armée  17. » On raconte, là encore, que la diffusion occasionne des fausses couches et des hystéries collectives, que des soldats britanniques de l’armée d’occupation demandent à rejoindre le combat, que des ambulances et des voitures de police sont dépêchées en tous sens sur les lieux supposés du passage du monstre – mais est-il nécessaire de rappeler que bien souvent les récits de panique relèvent euxmêmes très largement de la fiction ? Une chose est sûre : la blague ne fait pas du tout rire l’état-major, qui n’avait pas été averti de l’initiative et qui utilisait cette radio comme canal officiel du général MacArthur pour s’adresser aux Japonais parlant l’anglais. Le 30 mai au matin, le capitaine James B. Teer (directeur de la radio), le caporal Arthur Bartick et le soldat Arthur Thompson (scénaristes), le soldat Pierre Meyers (qui avait lu les faux bulletins d’information) ainsi que le docteur Wilton Cook (responsable des programmes) sont limogés. La légende dit qu’ils avaient inventé Godzilla, puisque c’est en 1954 qu’un studio japonais sortira le premier épisode d’une longue saga sur ce monstre sous-marin que les essais nucléaires dans le Pacifique, encore eux, avaient suffisamment mis en furie pour aller détruire Tokyo. Godzilla, en fait, devait sans doute davantage à la vogue des créatures géantes du début des années 1950 (notamment le Monstre des temps perdus, adapté d’une nouvelle de Ray

Bradbury 18), et à celle, dans les années 1940, des horror comics, les revues populaires de bandes dessinées d’horreur. Mais les GI’s étaient en tous cas parvenus, comme dans tout faux-semblant réussi, à narrer de façon cohérente les grandes peurs d’une époque et à incarner dans une forme singulière un imaginaire commun sous-jacent.

couter àé

Un journaliste

annonce à l’antenne qu’il va “s’approcher de la bête”. C’est le moment que le monstre choisit pour s’arrêter, se retourner et s’adresser au public dans une voix de soprano.

17  « Sea Monster Attacks Tokyo », Museum of Hoaxes, non daté, http:// hoaxes.org/archive/permalink/sea_monster (vu le 12/05/2016).

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18  Ernest L. Gunerious, « WVTR’s Sea Monster », Radio Heritage Foundation, non daté ; « US Radio Hoax Lowers Allied Prestige In Japan », The Sidney Morning Herald, 31 mai 1947.

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sur le terrain Nos nuits à Radio Debout Depuis le 6 avril 2016 – ou 37 mars selon le calendrier propre au mouvement Nuit Debout – Radio Debout émet tous les soirs depuis la place de la République à Paris. Cette antenne indépendante et éphémère est portée par un collectif protéiforme et ouvert. Des professionnel·le·s de radio y changent de rôle, des novices se forment sur le tas. Le pouls de Radio Debout bat au rythme de la place, s’en émancipe parfois et la transcende en tant que micro-laboratoire de construction sociale. Journal de bord à plusieurs voix du premier mois de cette aventure humaine et radiophonique hors du commun. #37mars — Un tweet a été publié dans l’après-midi : une radio va émettre ce soir depuis la place de la République où Nuit Debout s’est installée depuis le 31 mars. On se rencontre en arrivant. Tout le matériel tient dans un sac. On empile quelques palettes pour installer un ordinateur portable, une carte son et une table de mixage. Sur le moment, tout s’improvise. Il est 18h, l’assemblée générale de Nuit Debout va bientôt commencer : on se branche au

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groupe électrogène de la logistique et on tire un câble jusqu’à l’enceinte pour récupérer les paroles qui commencent à se succéder au micro. Puis, à quelques mètres de là, sous une bâche tendue à la hâte, on se met à alterner la diffusion de l’assemblée générale et les interviews autour du plateau. Le tout est diffusé en direct sur Internet grâce à une « clé 4G ». C., B. et A. se connaissent depuis longtemps, ce sont elle et eux qui ont apporté le matériel. E. travaille dans une radio à Marseille, il est à Paris toute la semaine. Ça s’active autour du plateau, on court dans tous les sens, d’un côté à l’autre de la place, pour faire venir des intervenant·e·s des différentes commissions de Nuit Debout. Ce soir là, Sam de la cantine et Angela de l’infirmerie racontent comment ces deux espaces s’organisent et de quoi ils ont besoin. Victor, étudiant en lutte de Paris 8, fait le point sur les actions des jours à venir. On rameute un groupe de choristes déambulant sur la place pour chanter des chansons communardes à l’antenne. C’est l’euphorie de la première fois, tout le monde se relaie au micro comme à la technique. Avec l’envie de documenter ce qu’il se passe ici et maintenant. En se marrant, on essaye quelques virgules en direct. Radio Debout vient de naître. Il n’y a pas assez de casques pour tout le monde autour du plateau et aucune enceinte pour permettre aux gens autour de nous d’écouter. Un peu avant minuit, on clôture la première soirée de Radio Debout en même temps que l’assemblée générale. Puis il faut démonter et tout ranger. Le matériel est stocké chez C., qui vit au sixième étage à quelques pas de la place de la République. Toute la soirée sur le tchat de Mixlr [NDLR : plateforme de diffusion utilisée par Radio Debout], les auditrices et les auditeurs réagissaient à l’AG et commentaient l’émission en direct. En rentrant chez moi, je vois qu’ils sont encore une bonne centaine à continuer d’échanger alors que Radio Debout est « off air » depuis une heure.

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#38mars — Rendez-vous à 18h sur la place. C. et L. arrivent avec un banc et des chaises empruntés à un bar de l’avenue de la République qui deviendra vite l’un des QG de la radio. Dans l’après-midi, T. a fabriqué quelques virgules et jingles pour l’antenne : on habille peu à peu Radio Debout. Cahier et stylo à la main, C. prend les numéros de celles et ceux qui veulent parler, puis on essaye de caler tout ça dans un planning mouvant, en se laissant toujours surprendre par l’énergie de la place qui bouge sans cesse. C’est un défilé permanent. On diffuse un peu de l’assemblée générale, des interviews en plateau et les premiers reportages envoyés aujourd’hui par le réseau Radio Campus et le collectif nantais le Bruitagène. On invite les musicien·ne·s à venir jouer et à réaliser des jingles en direct. J’aime cette radio libre et collective qui s’invente en se faisant, « do-it-yourself », hors les murs, hors des cadres. Sous la bâche, on a tou·te·s les yeux qui brillent. Incroyable mélange de passionné·e·s de radio, professionnel·le·s ou non, qui s’affairent ensemble pour une antenne commune, construite au débotté. Issu·e·s de radios associatives (Fréquence Paris Plurielle, Radio Grenouille, le réseau Campus), permanent·e·s et pigistes à Radio France, RFI et Radio Nova, tou·te·s ensemble on casse les codes et on travaille dans un joyeux bordel. Les reporters font de la technique et les technicien·ne·s passent de l’autre côté du micro… Les idées fusent et ça tourbillonne autour de la petite console de Radio Debout : « Qu’est-ce qui vient après ? » ;« J’ai le numéro d’une fille de la commission “action”, je l’appelle. » ; « Des gens du jury citoyen peuvent venir expliquer leur démarche. » Le documentariste Nicolas Philibert passe par là, on l’attrape pour une interview. Une heure après ce sera le philosophe Jean-Luc Nancy.

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sur le terrain

E. a rencontré Mohammed, un jeune de Côte d’Ivoire tout juste arrivé en France. D’origine algérienne et régularisé depuis peu, Salim fait la queue à la distribution des Restos du Cœur organisée sur la place. Ils se rencontrent autour de la table et finissent tous les deux par dialoguer au micro. Fabriquée sur place, en plein lieu de passage, Radio Debout crée un espace de rencontres où des paroles peuvent enfin surgir. Sans contrôle, sans filtre, laissant place à la surprise et à l’inattendu.

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— Ce soir-là, j’avais mon ordi sur moi et je venais faire du son pour Fréquence Paris Plurielle. Sous la bâche, j’ai reconnu plusieurs personnes rencontrées lors de la grève de Radio France en 2015. J’ai commencé à monter sur place et mon reportage a été diffusé dans la foulée sur Radio Debout. C’est un peu l’utopie de la radio que j’imagine, simple, libre et spontanée. On vient tou·te·s avec notre culture radiophonique et on trouve ici un terrain où apprendre les un·e·s des autres. On est constamment dans le faire. Je ne suis pas forcément d’accord politiquement avec tout le monde, mais on se retrouve à travers la pratique de la radio – ça n’aurait sans doute pas été le cas dans un autre contexte.

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#39mars — Nos nouveaux voisins s’installent à côté de nous : TVDebout vient de voir le jour. Sous la bâche, Radio Debout commence une nouvelle soirée. Ici, j’ai l’impression d’ouvrir la porte à des gens qui n’auraient jamais pris le micro si je n’avais pas été là. Les gens s’aperçoivent aussi du pouvoir de cet outil local qu’est la radio. Sur la place et ailleurs, plein de gens m’ont dit : « Ne lâchez pas, vous donnez le ton du mouvement ». Et ça, ce n’est pas rien.

— La première semaine, on debriefait tous les soirs après l’antenne autour de quelques bières. On ne savait pas trop comment continuer, on se disait : « Demain, il faudrait essayer ça, diffuser plus (ou moins) d’assemblée générale, inviter des intellectuel·le·s, les confronter à des militant·e·s… ». Les discussions étaient animées, on ne savait pas vraiment où on allait, mais on a trouvé peu à peu un équilibre en tâtonnant.

#40mars — C’est samedi soir. Niveau installation, on commence à être bien rôdé·e·s. Finies les palettes, on a récupéré une table ronde pliable, une planche et deux tréteaux. « On s’embourgeoise ! », s’amuse C.. On a entendu sur la place que Radio Debout était la radio « officielle » du mouvement et ça nous amuse beaucoup. Cette radio s’est montée spontanément, sans lien direct avec la commission « communication » ou le media center qui a vu le jour depuis. À la prise d’antenne, on fait semblant de s’engueuler : « Est-ce que Radio Debout est la radio officielle d’un mouvement non-officiel ? Ça n’a aucun sens. Et bien alors, que les auditrices et auditeurs nous écrivent ce qu’elles et ils en pensent ! » La manifestation qui se termine à Nation dégénère. Les CRS bloquent des manifestant·e·s sur la place, les lacrymos fusent. On appelle un des reporters de Radio Debout sur place qui nous explique la situation en direct par téléphone.

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— Hier, j’écoutais Radio Debout et j’ai entendu un appel : « On manque de haut-parleurs, on n’arrive pas à s’entendre et on aimerait bien diffuser l’émission autour du plateau ! » Le lendemain, je suis passé avec l’enceinte que j’avais chez moi. C. m’a accueilli avec un grand sourire : « Viens au micro, c’est génial que tu nous apportes ça ! » Je n’avais pas très envie de parler à l’antenne, mais j’ai répondu que si la radio avait besoin d’aide, j’étais technicien et je pouvais aider. Je suis entré dans la bande en cinq minutes et depuis, je n’ai pas décroché. De la technique au micro, c’était un baptême du feu à chaque fois que j’ai changé de poste. Il y a quand même plusieurs centaines de personnes qui écoutent, faut pas déconner ! Depuis, j’y suis tous les soirs. Heureusement que j’ai une fille, ça m’oblige parfois à faire autre chose ! La radio m’a bercé toute mon enfance. En 1989, j’avais fait du « pousse-disques » sur Radio Espace dans le Val d’Oise, mais c’était ma seule et unique expérience avant Radio Debout.

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— Grâce à J., on peut enfin écouter Radio Debout autour du plateau sans les casques ! Les passant·e·s s’arrêtent, tendent l’oreille, un petit attroupement se forme autour du plateau. Tout le monde écoute attentivement ce qu’il se passe à quelques kilomètres à peine, à Nation. Ce soir, Radio Debout va aussi prendre des nouvelles d’ailleurs : on appelle des participant·e·s aux Nuits Debout de Nantes, Rennes, Bruxelles, Berlin, Montpellier et Fond de France, pour prendre le pouls et rassembler des voix bien au-delà de la place. On branche les téléphones via mini-jack et on les colle aux micros pendant les interviews. Soudain, le générateur lâche, plus d’électricité. Je dégaine mon téléphone portable et on continue la diffusion avec notre « antenne de secours ». Une habitude qu’on prend rapidement : continuer d’émettre, coûte que coûte, avec toujours la même énergie, malgré les cafouillages et les ratés qui font partie du tout.

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— Ce soir là, la philosophe Marie-Josée Mondzain et le collectif La Quadrature du Net sont venu·e·s parler au micro. Deux auteurs de science-fiction, Alain Damasio et Norbert Merjaman sont aussi sur la place. Ils expliquent leur projet d’écriture d’anticipation politique (1000 jours en mars) imaginant les prochaines semaines du mouvement Nuit Debout. S. décide d’en faire de courtes fictions pour l’antenne. Elle fait lire ces textes par des gens sur la place et on les diffuse à la radio. Autour de 23h, quelqu’un à l’assemblée générale appelle à une manifestation sauvage. Une bonne partie de la place se lève pour se rendre devant le domicile du premier ministre. « Paris ! Debout ! Soulève-toi ! » crie la foule. L’antenne continue et s’improvise. Par téléphone, on prend des nouvelles des camarades parti·e·s dans la manifestation.

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sur le terrain

#41mars — J’ai entendu qu’une radio s’est montée sur la place de la République. Ce soir je suis venue spécialement pour aider. Ça fait longtemps que je rêve de faire de la radio. Sous le panneau « Radio Debout » dessiné à la main et accroché avec des cordes à la bâche, je rencontre l’équipe qui gravite autour de la console. Je ne connais personne, je demande comment rejoindre l’aventure : « On a besoin de gens, tu es la bienvenue ! ». Au départ j’observais sans savoir vraiment quoi faire, puis j’ai géré le diffuseur et j’ai commencé à accueillir les gens qui voulaient prendre la parole. Le lendemain, je me suis retrouvée pendant presque une heure à animer l’antenne avec O.. C’était génial et spontané. #42mars — Lundi matin la police a évacué la totalité de la place. Plus une bâche ni aucun barnum sur la République. En fin d’après-midi, malgré l’autorisation de la préfecture, la police empêche l’entrée du matériel de sonorisation. Privée d’électricité, Radio Debout commence à diffuser avec un simple téléphone et pendant plus d’une heure commente à plusieurs voix la situation. La foule entonne « Libérez la sono, libérez la sono ! ». Les flics se font « nasser » par les participant·e·s de Nuit Debout puis, contraint·e·s de reculer, laissent passer le matériel. On commente ça en direct, comme un match de foot, j’ai l’impression d’être dans La Commune de Peter Watkins !

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— J’aime ce qui se joue dans cette manière de fabriquer la radio au quotidien. Il y a des relations très fortes qui se sont créées au sein du groupe. Nuit Debout a quelque chose de terriblement énergisant mais j’ai l’impression que pour moi, la radio a éclipsé le mouvement. Je suis tombé amoureux de la radio et je redoute la fin du mouvement, le moment où l’on va se dire que faire de la radio ici n’a plus de sens.

— Dans la semaine, j’étais venue parler sur Radio Debout des lectures post-coloniales qu’on organisait sur la place avec des ami·e·s. J’avais trop envie de revenir. Ce soir-là, je suis passée et j’ai entendu qu’ils cherchaient quelqu’un·e pour faire l’interview d’une militante du mouvement canadien Idle No More. C’est un sujet relié à ma thèse que je connais très bien. Et voilà comment je me suis retrouvée au micro.

#43mars — Ce soir, des CRS provoquent l’indignation de la place en jetant aux égouts une gamelle de mafé préparée par la cantine. K. est là avec son micro et enregistre la discussion, tout en y prenant part, pour essayer de convaincre les CRS de rejoindre Nuit Debout. Ce jour-là, on rencontre aussi Lena, une gardienne de la paix, auditrice de Radio Debout, qui sort de son devoir de réserve et revient sur les violences policières. Les deux reportages sont diffusés le lendemain.

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sur le terrain

#44mars — Ce soir, Radio Debout est retransmise sur le 106.3 FM de Fréquence Paris Plurielle. On est plusieurs bénévoles de cette radio associative à gérer l’antenne, et les émissions habituelles du mercredi soir sont réalisées en direct sur la place, alternant toujours de temps à autre avec l’assemblée générale. Pour une fois, les différentes équipes de la radio se croisent et se rencontrent. C’était quelque chose qui avait disparu et qui se recrée ici.

— On était tellement dans le faire au quotidien qu’il m’a fallu quinze jours pour me rendre compte qu’on avait quand même monté une radio qui émet depuis une place publique et que ce n’est pas rien ! Tous les soirs, on diffuse sous cette bâche qui nous abrite de la pluie et qu’on entend d’ailleurs souvent à l’antenne. À la nuit tombée, on y suspend des guirlandes qui éclairent le plateau d’une belle lumière.

#45mars — Un mec sur la place propose de nous donner un émetteur FM pour diffuser en pirate autour de la place. Continuité naturelle : occuper le territoire et occuper les ondes. L’idée est excellente mais ne fait pas l’unanimité dans le collectif. Le dispositif technique n’est pas si simple à mettre en place (il faut tirer l’antenne) et certain·e·s craignent que ça attire des problèmes à la radio. Finalement on refuse poliment le matériel. Sur ce coup-là, je trouve Radio Debout bien sage et peut-être un peu trop frileuse. Comme tous les soirs, il faut garder un œil sur le matériel (comme TV Debout, on s’est fait voler un sac ou deux au tout début). Armé·e·s d’un grand sourire, il faut gérer les

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sur le terrain

mecs un peu éméchés, les poètes insatiables qui veulent absolument passer à l’antenne, les slammeurs peu inspirés ou les gens en mal de reconnaissance qui souhaitent à tout prix s’exprimer pour ne pas dire grand chose. #47mars — Au départ, on foirait toutes les prises d’antenne. Pour ouvrir, certain·e·s se sont mis·es à improviser un indicatif Radio Debout sur l’air de la Symphonie du Nouveau Monde. La soirée est ponctuée de plusieurs coupures de courant, je dégaine le téléphone au quart de tour pour lancer « l’antenne de secours ». Sur la place, j’enregistre des jeunes rappeurs qui s’amusent à faire des jingles improvisés. Ce soir, la radio PFM rediffuse Radio Debout toute la soirée sur le 99.9 FM à Arras. Radio Debout s’essaye à une nouvelle forme : la balade. Pour clôturer l’antenne, C., L. et A. partent avec le téléphone, notre antenne mobile, et déambulent sur la place pour commenter leurs rencontres fortuites. Ils interrogent la serveuse de l’hôtel cinq étoiles à vingt mètres de la radio, puis ressortent parler au vendeur de sandwichs installé sur la place et vont interroger les CRS postés à l’angle de la rue du Faubourg du Temple. C’est beau, mobile et tellement vivant. #48mars — Après onze jours de radio fabriquée au quotidien, on se rassemble à une petite vingtaine dans un appartement pour la première réunion de Radio Debout. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’on se voit hors de la place et du rush de l’antenne. Un moment bienvenu pour aborder les questions de fond et d’organisation. Pour tenir sur le long terme sans s’épuiser, le collectif approuve la prise d’antenne à partir de 20h au lieu de 18h depuis le début. Dans un document partagé, on élabore les tâches et les rôles attribués selon les

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jours et les tranches horaires : montage / démontage / référent·e antenne (qui centralise les infos et donne le rythme) / animation / technique. Chacun·e peut ensuite programmer des invité·e·s et des sujets à aborder selon ses envies et les évènements du jour. Pour la ligne éditoriale, on décide de continuer à se faire confiance de manière organique. Mais comment se positionne la radio ? À tour de rôle, chacun·e prend à la parole : « Radio Debout est le porte-voix du mouvement et de la pluralité de ses points de vue. » ; « Ce n’est pas une radio de propagande, mais une radio de documentation. » Quelqu’un lance : « Radio Debout, c’est plutôt les oreilles de la place de la République : on écoute ce mouvement avec les sensibilités de celles et ceux qui font l’antenne au quotidien. Certain·e·s sont politisé·e·s, Suite aux nombreux articles sur « les médias de Nuit Debout », présentant Radio Debout comme la radio « officielle » du mouvement, on publie un mini-communiqué sur les réseaux : « Radio Debout est une radio éphémère et indépendante créée à l’occasion de Nuit Debout. Elle n’est pas créée par l’organisation

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sur le terrain

de Nuit Debout. L’antenne documente, témoigne et diffuse les regards, créations et sensibilités de ses bénévoles ». À 18h, on se met en route pour la place. Ce soir-là, la commission « animation » vient faire passer un message à l’antenne : « On a besoin d’un lecteur Blu-ray pour projeter un documentaire ce soir sur la place ! » Dix minutes plus tard, c’est une auditrice de Radio Debout, la soixantaine, qui vient apporter le matériel. #49mars — En se cotisant, on rassemble une centaine d’euros pour acheter un générateur. Radio Debout est désormais autonome niveau électrique ! Ce soir, Timbre FM, une radio associative, retransmet Radio Debout sur le 107.6 FM à Augan, au fin fond de la Bretagne. — Depuis mon arrivée à Radio Debout, je suis revenue tous les soirs. J’aime trop être là, il y a quelque chose d’addictif à fabriquer cette radio tous les soirs ensemble. Dans les dernières secondes d’antenne, toute l’équipe applaudit autour du plateau. J’aime beaucoup ces moments-là, c’est une manière de se dire qu’un soir de plus, on a réussi à tenir l’antenne. On range le générateur, les câbles, les casques, les micros et l’enseigne lumineuse de Radio Debout jusqu’au lendemain – tout rentre dans une carriole de vélo qu’on nous a prêtée. « Qui garde les clés ? » ; « Je m’occupe des podcasts ? » On prend l’habitude de partager un verre ensemble dans l’un des bars de la rue du Faubourg du Temple. #58mars — Invitée par l’émission Megacombi de Radio Canut, une petite équipe de Radio Debout se délocalise à Lyon pour la soirée. Installée sur la place Guichard, Radio Debout émet sur le 102.2 FM de Radio Canut et sur le web. On les appelle depuis Paris pour faire des comptes rendus de la soirée par téléphone. Radio Debout Partout !

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sur le terrain

#59mars — Un immense château de palettes est en construction sur la place et une nouvelle banderole a été accrochée à la statue de la République : « #OnOccupeMieuxQueÇa ». Vers 23 heures, un appel à la dispersion est prononcé à l’assemblée générale. Les CRS postés aux coins de la place risquent d’évacuer à tout moment. Est-ce que Radio Debout reste jusqu’à minuit pour clôturer l’antenne ? Une fois encore, on improvise. A. nous apporte sur une clé USB de fausses pubs sur les drones et la police qui passent direct à l’antenne. On se marre. Premiers tirs de lacrymos, la commission « accueil et sérénité » nous conseille à plusieurs reprises de plier le matériel. On range et on continue au téléphone. Sur le fil, on sait que ce ne sera bientôt plus possible, mais on continue malgré tout. #61Mars — Ce soir, c’est la deuxième fois que des centaines de musicien·ne·s et de choristes d’Orchestre Debout se réunissent au pied de la statue de la République. La nuit tombe et je repère les chef·fe·s d’orchestres à leurs baguettes lumineuses. Radio Debout retransmet le concert en direct.

la Radio cousue main réalise une performance en direct avec des gens de la place. Au fur et à mesure que la soirée avance, la tension monte. Certain·e·s cherchent à casser des vitrines aux alentours. Les CRS gazent une première fois et de la lacrymo se dissipe autour de nous. L’assemblée générale continue et la radio poursuit la soirée. Mais la tension monte à nouveau entre des manifestant·e·s énervé·e·s et les CRS. La place se vide rapidement, un appel à la dispersion est prononcé, les stands sont rangés à la hâte. On se met à craindre pour le matériel en cas d’affrontement. Tout le monde n’est pas d’accord pour plier : « On continue de diffuser au téléphone, non ? C’est le rôle de la radio de documenter ce qui se passe ici… » Finalement, on arrête la diffusion autour de 23h et en cinq minutes tout le matériel est rangé dans la carriole de vélo, juste avant le tir de nouveaux gaz. # 69 mars — Aujourd’hui on annonce à l’antenne l’existence, dans la Maison du peuple occupée depuis quelques jours à Rennes, de Radio Croco, une radio pirate qui émet sur les ondes FM. À Lyon, une Radio Debout a commencé à émettre tous les soirs sur le web et d’autres Radios Debout sont en train de naître à Lannion et à Toulouse.

#62mars — C’est le 1er mai et des brins de muguet traînent entre les micros. Radio Debout émet exceptionnellement pendant douze heures, de minuit à minuit. Au soleil sur la place, le groupe Architectes Debout a même construit un dôme autour de la radio. Toute la journée, les invité·e·s défilent. On fait le point sur la manifestation de l’après-midi et les violences policières, un collectif de rappeurs anime une heure d’émission, puis on appelle la Grèce. Les philosophes Jacques Rancière et Michel Serres passent eux aussi au micro de Radio Debout. Le collectif

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À l’heure où nous mettons sous presse, Radio Debout est toujours au rendez-vous : pour le direct, connectez-vous sur radiodebout. net, tous les jours sauf le lundi, de 20h à minuit. > Pour la réécoute : sur soundcloud.com/radiodebout. > Pour suivre le fil de l’info : sur twitter.com/radio_debout.

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petit

lexique

Le « petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique » se rapporte aux mots soulignés par une ondulation rencontrés au fil des articles.

Direct : coïncidence du temps radiophonique avec le temps réel. Enchaînement de sauts périlleux ou doux ronron répétitif, long bafouillage ou performance, le direct est le format natif de la radio. On se plaît à considérer, souvent à tort, que cela lui confère une noblesse immédiate. Anglicisme : live. Antonyme : différé. Faux-ami : dans les conditions du direct. Indicatif : ritournelle marquant l’entrée et la sortie d’une case de la grille. Coup de tonnerre ou bruit d’ailes, bref mix de grandes phrases ou haïku acoustique, bribes de musique en vogue ou incontournables bruits parasites, l’indicatif a pour ambition cachée de devenir une madeleine sonore. Synonyme : signature radiophonique. Faux-ami : générique (audiovisuel). Jingle : logo sonore. La radio, avec une délicatesse et une discrétion inversement proportionnelles au nombre de publicités sur ses ondes, agite ses jingles tels des clochettes pour décliner son identité et celle de ses émissions. Synonyme : en bon français, on devrait dire « sonal ». Antonyme : chaos des ondes. Lancement : puce à l’oreille. Au début d’une émission ou d’une rubrique radiophonique, le lancement sert à capter l’attention du public en lui donnant envie de rester écouter

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la suite. Adressé à un∙e collaborateur/trice en studio, il s’accompagne d’un geste adéquat. Synonyme : bouteille à la mer ou patate chaude. Antonyme : désannonce. Montage : juxtaposition et/ou superposition d’espaces-temps. Aujourd’hui davantage pratiqué à la souris qu’au ciseau, le montage garde de ses premières armes un vocabulaire incisif : coupe, taille, cut... avant que l’opération du mixage vienne arrondir les angles. Synonyme : collage. Antonyme : direct (voir « direct »). Faux-ami et anglicisme : édition. Plateau : causerie dirigée. Autour d’une table ronde ou pas, le plateau radiophonique réunit un∙e animateur/ trice (passant les plats) et des invité∙e∙s (plus ou moins bon∙ne∙s client∙e∙s). Anglicisme : talk show. Antonyme : paysage sonore. Virgule : coup de baguette magique acoustique. En une à cinq secondes, la virgule fait virer l’oreille dans un autre paysage. Souvent plus créative que la clochette des livres-disques pour enfants, elle partage cependant avec elle le goût pour la surprise et l’amusement. Parfois, elle joue à rimer avec le jingle (voir « jingle »). Synonyme : transition. Antonyme : tunnel.

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désannonce C’était Les Carnets de Syntone n°6, juin-juillet-août 2016. Édito, par Étienne Noiseau.

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Le son écoute (« Dans les oreilles de Vincent Matyn-Wallecan »), texte et dessins de l’auteur. Le souffle heurté de l’apocalypse, une critique de Good morning Vietnam (Johner/ Antoine, 1972), par Pascal Mouneyres. Une image : Voix-là, par Rosalie Peeters. Une création en feuilleton à retrouver de numéro en numéro.

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« Le personnage de mes histoires, c’est la langue », un entretien le 17 mai 2016 avec la poétesse Laurence Vielle par Étienne Noiseau. Dessins originaux d’Anaïs Morin.

Les échos de vos écoutes, par Thierry Lacasse, Lolita Voisin, Jonas Pool et Déborah Gros. Quand la radio trompe l’oreille : petite histoire des faux-semblants radiophoniques. Épisode 3 : Plateforme 70 et le monstre marin, par Juliette Volcler. Illustrations issues de la revue Sciences du Monde, n°97, 1971, « L’énergie atomique », Librairie Jules Tallandier & Nelson Doubleday Inc.

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Nos nuits à Radio Debout, carnet de bord à plusieurs voix recueillies et agencées par Clément Baudet en avril et mai 2016. Dessins originaux d’Antoine Blanquart. Petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique, par Juliette Volcler et Étienne Noiseau.

Coordination générale : Étienne Noiseau et Juliette Volcler. Équipe de réalisation : Étienne Noiseau et Rosalie Peeters. Maquette : Anaïs Morin (anaismorin.com). Imprimé en 300 exemplaires à l’imprimerie Autre Page à Prades. Couverture : création de Rosalie Peeters, imprimée en sérigraphie avec Antoine Fischer à l’Atelier Sérigrafisch à Riuferrer. La revue « Les Carnets de Syntone » est le supplément imprimé trimestriel de Syntone.fr ~ actualité et critique de l’art radiophonique. Elle est éditée par l’association Beau bruit à Prades, Pyrénées-Orientales. Contact : bienvenue@syntone.fr ISSN 2493-4623

Prix au numéro : 8€

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