les carnets de Syntone n°7 | sept-oct-nov 2016

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SUR LE TERRAIN

Entre les murs de Radio Baumettes ŒUVRE OUVERTE

Antonin Artaud et sa radio de la cruauté RENCONTRE

Marc Namblard à l’écoute du sauvage

les carnets de revue de l’écoute

N° 7

SEPTEMBRE-OCT-NOV

2016

Les Carnets de Syntone - n°7 - septembre-octobre-novembre 2016

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édito Parfois l’actualité politique et internationale devient si lourde que l’écoute et l’analyse de créations sonores nous semblent bien secondaires. Et pourtant, impossible de nous arrêter. Nos oreilles les réclament, et notre mémoire, notre esprit critique, nos émotions, notre curiosité. Nous en avons besoin comme d’un baume, d’une respiration, d’une ouverture. Mais pas seulement : il nous les faut parce que nous savons que là, à ce niveau moléculaire de la création et de l’écoute, se poursuit sans cesse un travail de liaison plus nécessaire que jamais. Dans ce septième carnet, les productions radiophoniques et sonores fabriquent des ponts infimes et gigantesques entre le dedans et le dehors de la prison, entre ce que la société définit comme normal et anormal, entre le public et la critique des médias, entre l’espèce humaine et les innombrables autres manifestations du vivant. Dans les moindres fissures de la chape de plomb, planter des oreilles et des sons.

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elicéC à , eg è : retu nu ,sesi ru s c od

L’écho de nos abonné·e·s Lise Baron, productrice de documentaires audiovisuels, Nantes Quand j’ai appris que l’émission L’humeur vagabonde s’arrêtait, quel choc ! Je perdais mon émission fétiche, celle qui me permettait de me tenir au courant de l’actualité artistique, mais surtout celle qui me faisait voyager un peu chaque soir, grâce à son générique planant, la voix unique de Kathleen Evin, le naturel avec lequel elle s’entretenait avec ses invités et les jouissives interventions des traducteurs simultanés. Donc vive les podcasts pour garder la mémoire de ses émissions… en attendant de retrouver Kathleen Evin en hebdo sur France Inter. www.franceinter.fr/emissions/l-humeur-vagabonde

L’écho de la rédac Anna Raimondo, artiste sonore et radiophonique, collaboratrice de Syntone, Bruxelles Sa voix n’avait pas d’âge, mais à l’époque elle avait 57 ans et, surtout, elle était encore vivante. C’était en 2005 et Kriss, figure emblématique de la radio française, improvisait au micro d’Arte. Une seule instruction à suivre : remplir le temps à disposition. Sa voix dessine l’autoportrait d’une vie passée à la radio. Sa parole, simple et directe, énonce les ingrédients du langage radiophonique : voix, petits bruits de bouche, silence. L’importance des sons et du temps qui passe en studio, les derniers instants, la quête de la chute. Intimité, rythme, voixchair, silence, images délirantes et sonores, voici la radio selon Kriss. Une radio qui déclare son amour à l’auditeur, son plus précieux allié. www.arteradio.com/son/14727/kriss

webdoc sur les violences conjugales : www. parlonsdesviolences. fr

d'écoutes

De

échos

échos d'écoutes

L’écho de nos abonné·e·s Laurent Pommier, pêcheur/cueilleur de son, Bayonne Le voyage immobile, c’est ce que nous propose Soinumapa, carte sonore interactive et participative du pays basque axée sur le « field recording », née il y a plus de 10 ans au sein du collectif Audiolab. Plus de 1500 « sonographies » mises en ligne dessinent les contours d’un territoire. Villes, campagnes, ambiances d’usines ou de carnavals, entretiens, sons anecdotiques ou captations hydrophoniques, sont classifiés par type (bio-acoustique, mécanique, nature)... On y lit aussi des textes faisant entendre les paysages d’avant la captation sonore. En anglais, basque et castillan. Bonne promenade ! www.soinumapa.net

L’écho des pros Sylvie De Roeck, réalisatrice sonore, présidente du Fonds d’Aide à la Création Radiophonique de la Fédération Wallonie-Bruxelles C’est l’été, la route des vacances, en famille. Nous voilà partis de Bruxelles, direction la Bretagne, et il faut les avaler ces 850 km qui nous séparent encore de notre point d’arrivée. Et si je faisais entendre aux enfants cette Bretagne depuis le phare d’Europe le plus éloigné en mer ? Écouter comme là-bas on peut se sentir tout petit face à la puissance de cette nature fascinante, l’eau, la roche, le vent, le temps, l’isolement. Écouter comme là-bas la fraternité est une valeur essentielle, vitale. Écouter les 1000 marches au quotidien, l’œuvre de l’homme sur la nature, l’usage du bronze pour résister au choc des lames. Entendre les accents des gens qui racontent. Pour moi, c’est aussi l’émotion toujours vive de retrouver la petite voix d’un guide, d’un ami aujourd’hui disparu, qui continue toujours de m’inspirer : Yann Paranthoën. Le phare de Roche Douvres, double CD paru chez Ouïe/Dire, en extrait sur : www.ouiedire.com/editions/le-phare-des-roches-douvres/

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d

ans les

oreilles

de

Zoé Jadoul

La rubrique « dans les oreilles de… » est un espace d’expression ouvert, une carte blanche donnée à une personnalité du son ou de la radio qui nous raconte son rapport au monde.

Après Vincent Matyn-Wallecan, nous Zoé Jadoul. Chanteuse culte dans un monde parallèle (Les Brochettes, Arolde), Zoé Jadoul fait aussi de la radio avec des personnes pas comme tout le monde. Le texte et les images sont de l’autrice. sommes ravi·e·s d’accueillir

EDMON, le monde est à l’envers L’effet miroir, c’est douloureux au début de l’existence, on trouve cela étrange mais on n’a pas beaucoup d’expérience pour en comprendre les tenants et aboutissants. Je m’en suis rendue compte vers 8 ans, quand les filles de ma classe ont décrété que j’étais trop drôle pour jouer avec elles. C’est la première fois que je m’apercevais de la portée philosophique énorme de ce phénomène. Ces dames me demandaient de jouer sérieusement, sans rire ! Bienvenue dans Pervers City, le ton était donné, je me trouvais en plein cauchemar éveillé, prématurément seule dans un monde complètement à l’envers. Radio QUI ? QUI ? La radio des enfants qui se demandent qui est qui Après une adolescence tumultueuse, renvoyée de nombreux établissements pour causes institutionnelles (je n’ai jamais doublé mais triplé deux fois) je me retrouve chanteuse durant 15 longues années sans avoir très bien compris pourquoi j’en étais arrivée là.

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dans les oreilles de

Après une courte carrière dans la taxidermie et l’aviation, je me rends compte que ce qui me motive le plus c’est la curiosité et qu’il va falloir ruser pour devenir journaliste. Me voilà formatrice en journalisme radio pour enfants à Bruxelles. Pour notre premier reportage, nous partons à la découverte du fabuleux musée des égouts. Un égoutier poète nous décline toutes les variations de vocabulaire tournant autour de l’étron. Nous sommes dans l’anus du monde, en dessous des rues nous entendons passer les voitures par le trou de la margelle, l’aventure radiophonique commence. Les enfants sont de redoutables reporters, ils sont protégés naturellement contre la pratique de la langue de bois, aucun adulte ne s’y risque en leur présence sous peine d’être menacé par le ridicule. La magie fonctionne, nous allons enfin savoir pourquoi le monde est à l’envers. Les Roussepétards, les journalistes handicapés de Radio Campus Les enfants c’est amusant mais c’est fatiguant, ils n’arrêtent pas de se battre tout le temps ! Je décide de prendre des vacances journalistiques avec les spécialistes de l’humour spontané : nos amis les handicapés mentaux. Nous partons à l’aventure munis d’enregistreurs numériques au musée de la franc-maçonnerie. Eddy se fait rabrouer par un gardien qui l’envoie demander une autorisation d’enregistrer dans le bureau du président du musée, Monsieur Pierre. Toc toc toc, « Oui » Eddy : Vous êtes ministre, c’est ça ? Pierre : Non, je suis le président du musée. Eddy : On est où ici ? Pierre : Vous êtes au musée de la Franc-maçonnerie.

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dans les oreilles de

Eddy : Au musée de la poissonnerie ? Vous êtes ministre ? Pierre : Non, je suis le président du musée de la franc-maçonnerie. S’ensuit une discussion philosophique sur la mort, sur l’histoire de la maçonnerie, entrecoupée de ces mêmes allusions à la poissonnerie et au titre de ministre qu’Eddy confond gaillardement avec un accent bonhomme. Le brave président du musée, après avoir poliment refusé l’invitation d’Eddy pour aller boire un verre, s’emmêle les pinceaux en appelant Eddy par son propre prénom. Pierre : Bon Pierre ça suffit, maintenant je dois travailler. Eddy : Mais non Pierre c’est toi, moi c’est Eddy. On est où ici ? Grande découverte radiophonique : Eddy fait du Jean-Yves Lafesse naturel ! Une nouvelle émission journalistique hebdomadaire naît sur les ondes de Radio Campus : Les Roussepétards. Indélébile : Les journalistes dépressifs de Radio Campus. Pratiquant les joies du monde à l’envers depuis ma plus tendre enfance, je m’étais rendu compte que passer des séjours en été avec des amis musiciens dans le jardin de la Devinière (dernier vestige de l’antipsychiatrie belge) nous remplissait d’énergie solaire. Entourés des personnes dont toutes les institutions psychiatriques ne souhaitaient plus en leur sein, nous vécûmes là les plus belles aventures humaines... Imaginez : c’est la nuit, un grand feu au milieu de la cour intérieure de la ferme, les violonistes et les trompettistes caquettent, tout à coup Henri le potomane, un gros géant qui avait l’habitude d’hurler Noooon comme le loup au clair de lune, arrive en sautillant tout léger et crie : Ooooui ! Il tourbillonne autour du feu, arrache au passage un verre de bière qu’il ingurgite d’un coup sans aucun effet de gosier, directement dans son estomac. Cet unique oui de plaisir résonne encore dans mes oreilles... Personne ne l’avait jamais entendu prononcer ce mot auparavant !

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Les journalistes pourvus de problèmes psychologiques sont les spécialistes de l’errance et des grandes émotions. Pour les microstrottoirs, c’est un atout, ils ont un radar pour trouver les quidams les plus excentriques : chauffeur de bus croque-mort à mi temps, gardiens de prisons en grève qui se confient sur le peu de couverture médiatique de leur revendication en allumant des pétards, balayeur de rue bavard qui se cache dans un buisson pour parler car son chef lui interdit toute forme de communication pendant les heures de travail... Ces journalistes sont les plus touchants, d’une douceur, d’une imagination magique qui revigorent les sens. Ils m’ont confié que sans enregistreur en main, les gens fuyaient quand ils leurs posaient des questions mais munis de cet instrument et d’un casque audio, les inconnus leurs racontent absolument tout sur eux, c’est le monde à l’envers... Les déchaînées : l’émission journalistique de création sonore des femmes détenues à la prison de Bruxelles C’est dans cet antre que se trouve l’envers du décor de notre société, on peut y palper l’état d’esprit de notre pays, un peu comme on jauge un restaurant en y visitant ses toilettes. Tout y est fait pour que ses occupants y développent une énorme carapace agrémentée au meilleur des cas par un sens de l’humour à toute épreuve pour se protéger de l’infantilisation, de l’absurdité, de la proximité, de l’injustice et de la folie... Les journalistes détenues vivent dans un microcosme étouffant où il faut se battre pour garder son amour propre. Quand l’État est fâché sur vous, il vous met en quarantaine dans une boîte. Une mécanique folle s’empare de votre vie en l’immobilisant pour une durée indéterminée. Pourtant le monde à l’envers fonctionne là aussi à merveille, les journalistes détenues remontent le moral des auditeurs de Radio Campus par leur franchise, leurs débats qui malmènent les paradoxes avec un humour décapant qui donnent l’énergie de réinventer le monde.

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Toutes ces productions d’émissions radio réalisées et animées par des personnes sur qui les médias traditionnels font des reportages sont diffusées sur Radio Campus Bruxelles 92.1 FM entre 14h et 15h le mercredi et le vendredi. Zoé Jadoul, enfin je veux dire Eoz Luodaj !

Que vous soyez néophyte ou bilingue en jargon radiophonique, allez donc faire un tour sur notre petit lexique (récréatif) de la création radiophonique. Guettez les mots soulignés par une ondulation et rendez-vous page 58.

couter àé

Tous les podcasts de Zoé Jadoul et ses comparses peuvent être retrouvés sur : http://suzannelafleche.be Voir aussi : http://radioquiqui.be

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sur le terrain Radio Baumettes, un espace de liberté en milieu fermé Bienvenue aux Baumettes, centre pénitentiaire de Marseille situé à deux pas des Calanques. Depuis 2002, des détenus s’essayent à la radio diffusée sur le canal interne de l’établissement. Une forte odeur de javel embaume le sas qui sépare le monde libre de la détention. Les sacs sont scannés, il faut passer le portique et montrer patte blanche. Quelques centaines de mètres plus loin, dans un couloir séparant deux bâtiments où transitent les détenus revenant des parloirs, Cathy, une surveillante, ouvre la porte du studio de Radio Baumettes. En haut des marches : quelques mètres carrés équipés de trois micros, une console et deux ordinateurs. Des affiches sur les murs rappellent les concerts d’IAM ou de Massilia Sound System organisés à la prison. La petite radio apportée par Elisa, coordinatrice de Radio Baumettes, est branchée sur France Inter. Il est 8h57, c’est l’heure du billet de l’humoriste Nicole Ferroni. Il y a quelques semaines, celle-ci était assise ici avec eux aux Baumettes pour un atelier d’écriture. Bugs écoute attentivement son billet. Ce quinquagénaire s’est retrouvé à la radio via son co-détenu qui

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sur le terrain

y participait. « La radio c’est un vrai moment d’évasion, une bulle dans ce milieu si confiné. On est contents de rencontrer des gens qui viennent de l’extérieur et qui sont intéressés par venir voir à l’intérieur. » French, Tonio, Eduardo, Mathieu, les autres participants arrivent au compte-gouttes. Lancée en 2002 par l’association socioculturelle des Baumettes, Radio Baumettes n’est pas une radio comme les autres. Pas d’antenne continue, mais une série d’ateliers tout au long de l’année pour préparer avec les détenus les émissions diffusées en différé sur le canal interne de la prison. « Ce qui m’intéresse, c’est la diversité des profils et des trajectoires » avoue Elisa Portier. Ancienne reportrice à Radio France et fondatrice du collectif La revue sonore, elle vient aux Baumettes animer des ateliers tous les deux mois. « L’objectif de Radio Baumettes, c’est de créer un maximum de porosité entre l’intérieur et l’extérieur. », reconnaît Elisa, « La radio est le vecteur de la relation avec les participants. Pas besoin de demander qui tu es ni d’où tu viens… » Sur Radio Baumettes, elle a récemment produit avec les participants une série d’émissions thématiques, réalisée avec le musicologue François Billard, sur le jazz et les gangsters. Autre type de programme régulier, les playlists musicales commentées par des détenus : « Quand un nouveau arrive, c’est souvent le premier exercice pour se familiariser avec le micro. » poursuit-elle. Cet après-midi, les animateurs de Radio Baumettes reçoivent trois étudiants ingénieurs de l’école des Mines de Gardanne pour une série d’émissions de vulgarisation scientifique consacrées aux ondes magnétiques. Derrière la console, Eduardo veille à l’enregistrement de l’émission. « Y a pas de filles aujourd’hui » se désole-t-il en souriant. À tour de rôle, les détenus posent leurs questions aux étudiants, à l’aise pour leur première incursion en prison. « Quand j’étais gamin, j’écoutais la radio en ondes courtes, des émissions qu’on capte depuis très loin comme Voice of America ou la radio

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Élisa Portier

russe. Quel est l’avantage de ces ondes ? », demande Mathieu. « Ce sont des ondes qui rebondissent sur les couches de l’atmosphère, mais ça coûte très cher. » répond l’un des futurs ingénieurs. Tonio, ancien militaire à la barbe blanche bien taillée, n’hésite pas à ouvrir le dictionnaire pour expliquer les termes trop techniques. « Qu’est-ce qui se passe quand je mets ma quiche surgelée au micro-ondes ? », poursuit Bugs. Eduardo se lève pour ouvrir la fenêtre. Les trois ventilateurs qui tournent dans un coin du studio ont bien du mal à dissiper la chaleur du mois de juin. « Est-ce qu’on peut venir en maillot de bain la prochaine fois ? », s’amuse Tonio. À travers les barreaux de la fenêtre, on aperçoit, juste en face, les cellules du bâtiment A, où se trouvent les prévenus et les nouveaux arrivants. Les ballons de foot et les détritus pris dans les barbelés laissent deviner

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sur le terrain

la présence de la cour de promenade en contrebas. La rumeur permanente de la taule s’invite dans le petit studio, où la régie et les micros partagent la même pièce. Mathieu se lance dans la désannonce : « Merci à tous les trois et bon courage pour la suite de vos études. J’espère pas à bientôt, évitez de revenir en prison ! Merci aux auditeurs de Radio Baumettes ! » 15h30, le bruit des clés accrochées à la taille de la surveillante monte dans les escaliers. C’est l’heure pour les participants de retourner en cellule. « J’essaye de faire un maximum d’activités pour sortir de la monotonie promenade-cellule-promenade-cellule. Je n’avais jamais fait de radio avant, je pensais que c’était bien trop compliqué », lance Tonio, un Corse incarcéré ici depuis trois ans. « Avec Radio Baumettes, on rencontre des gens intéressants et c’est un moyen de garder un contact avec l’extérieur autrement qu’avec la télé qui te bourre le crâne », poursuit-il. « C’est une vraie bouffée d’air », confirme Bugs. Hors de Radio Baumettes, les participants sont tous engagés dans d’autres activités, comme « le multimédia » (atelier d’audiovisuel, l’accès à Internet étant interdit aux détenus) ou le journal interne Le Monte Cristo. « En arrivant, on m’a proposé de suivre les cours à l’école, mais je n’en avais pas besoin, j’ai fait un parcours scolaire normal ! », explique Bugs. Après des cours de musique et son engagement dans le journal interne, la radio est apparue comme une évidence pour Eduardo. Vêtu de sa chemise bleue d’auxiliaire et de son jogging de l’OM, ce musicien de 46 ans au sourire farceur travaille aussi pour l’infirmerie de la prison. « J’avais déjà fait un passage sur Radio Galère ! », une radio libre de Marseille, s’amuse cet originaire de Colombie qui depuis quinze ans accumule les courts séjours en détention. « La prison t’enlève toute initiative, tu es tellement infantilisé… Mais la radio est un espace de liberté, on peut s’exprimer et prendre la parole. Notre voix est enregistrée, on n’est pas rien ! Et puis j’ai appris à faire du montage et les différents métiers de la radio. On n’a pas besoin d’avoir la carte de presse pour pratiquer ! »,

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Les étudiants répondent aux questions des détenus.

lance-t-il. « La radio permet de ne pas être en prison le temps de l’atelier », poursuit Mathieu. Ce trentenaire suit parallèlement une formation en droit. C’est aussi un fidèle auditeur de Radio Classique, « au grand désespoir de mes co-détenus. Plusieurs ont changé de cellule, ils devenaient dingues ! » La radio, il aimerait bien continuer à en faire à sa sortie, « peut être plus du côté technique, le montage et le travail des sons », précise-t-il. Le lendemain, l’équipe reçoit Carlo Rovelli, astrophysicien professeur à l’université de Luminy, située à deux pas de la prison, pour parler de physique quantique. Autour des micros, ils préparent leur entrevue. « Il faut l’interroger sur les applications pratiques. Le téléphone, l’informatique, tout ça est lié à la physique quantique. », lance Tonio. « Comme il le dit, la gestion du temps est imprévisible, c’est vrai aussi ici ! Parfois on sort de cellule à l’heure et parfois pas »,

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sur le terrain

rétorque Bugs « Si tu dis ça aux détenus, tout le monde va comprendre. » Attiré par le son qui s’échappe du local, un jeune passant dans le couloir grimpe jusqu’au studio : « Qu’est ce qui se passe ici ? – C’est Radio Baumettes ! », dégaine Bugs. « Je peux participer aussi ? C’est marrant, je reconnais vos voix. C’est diffusé sur la 28, c’est ça ? – Il faut que tu t’inscrives. », explique Elisa, « Mais donne-moi aussi ton nom et ton numéro d’écrou pour la session prochaine. » Puis il file, dissipant avec lui une douce odeur de cigarette. La discussion s’enchaîne avec l’astrophysicien, pour qui la prison n’est pas un univers totalement inconnu : « J’ai passé trois jours en prison en Italie parce que j’avais refusé de faire mon service militaire. Trois jours, ça doit vous faire sourire ! ». Les détenus l’interrogent sur les trous noirs, la relativité ou encore la téléportation, se passant la parole à tour de rôle à coup de blagues amusant visiblement Carlo Rovelli. Une fois les enregistrements terminés, les détenus évoquent facilement leur quotidien ou encore la construction du nouveau bâtiment des Baumettes qui devrait voir le jour en 2017. « D’habitude on n’aborde pas la détention sur Radio Baumettes. » explique Elisa Portier. Pourtant en 2015, l’équipe de détenus a produit une série humoristique intitulée Hey Jo, comment tu vois le problème ?, transposant l’univers carcéral sur un bateau de croisière. Une manière drôle et détournée de parler des conditions de détention « C’est un peu un ovni dans les productions de Radio Baumettes. » reconnaît Elisa. S’il reste toujours très compliqué, voire impossible, de diffuser à l’extérieur des productions élaborées par des détenus, l’administration pénitentiaire a autorisé exceptionnellement la « sortie » de la série pour le concours de la fiction d’humour de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) en 2015. Une fiction saluée mais non primée par le jury.

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L’astrophysicien Carlo Rovelli

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sur le terrain

« Cette année, l’équipe est un peu plus âgée que la moyenne, plus calme et très motivée » précise Elisa tout en s’interrogeant sur le recrutement de nouveaux participants, géré par l’administration : triées sur le volet, seules les personnes « non-violentes » et vraiment motivées peuvent participer aux ateliers radio composés au maximum de cinq participants. « Mathieu et Tonio sont à la radio depuis un an et demi, ils se sont appropriés le studio et sont assidus », explique Elisa. « L’idée est de mélanger les anciens et les nouveaux, mais souvent les détenus ont des egos bien gonflés et il faut gérer ça. » Tonio le Corse va dans le même sens : « On ne peut pas trop s’incruster à la radio. On est toujours là, mais il faudrait que ça tourne. C’est difficile de trouver des nouveaux, la majorité des détenus passent leur temps à fumer et ne sont pas intéressés par grand-chose », déplore-t-il. Conformément à la mission première de Radio Baumettes, les émissions sont uniquement diffusées sur le canal interne de la télévision et il n’est donc pas évident de connaître leur audience et la visibilité de la radio auprès des détenus. Une diffusion sur des radios FM pourrait-elle motiver la participation de ceux-ci, dans l’espoir d’être entendus dehors ? Cependant, les contraintes et les procédures inhérentes à l’administration (jugements en attente, anonymat et transfert des détenus) rendent difficile la sortie d’émissions. « Pour faire sortir un programme, il faut établir une session de droits pour chacun des détenus, envoyer le programme au juge d’application des peines pour les prévenus, et le service de communication de l’administration pénitentiaire doit ensuite valider la demande », explique Élisa Portier. Complexe, mais pas impossible. Sur le même principe, la radio associative 3DFM à Arles diffuse Paroles multiples, une émission entièrement animée et réalisée par des détenus du centre pénitencier de Tarascon. Des voix s’échappant de l’intérieur comme une forme de réhabilitation sociale dans l’espace public.

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œuvre ouverte Électrochocs (de l’outre-radio) « Je voulais une œuvre neuve (…) où l’on sente tout le système nerveux comme éclairé au photophore. » En 1947, Antonin Artaud ambitionne de secouer les consciences engourdies par l’illusoire soulagement de l’après-guerre. Déjà vieux, le monde neuf est menacé de toutes parts, clivé entre capitalisme américain et communisme soviétique. L’être humain n’a pu se délivrer de ses anciennes croyances (la religion). Mal en point, son corps est sale, vicié, et la guerre l’a corrompu. Répondant à une invitation de l’ORTF à inaugurer une nouvelle série radiophonique sur la poésie, l’écrivain et homme de théâtre, qui sort de neuf ans d’internements psychiatriques successifs, veut rompre avec tout ce qui a été entendu jusque-là. Jeter les usages, le bon goût, le prévisible dans la fosse commune, comme il a tenté de le faire pour le cinéma, le théâtre ou la littérature. « Par esprit de

revanche contre les massifs traitements par électrochocs qu’il avait subis [plus de cinquante, NDLR], Artaud allait créer son œuvre finale, (…) conçue comme un “contrechoc” à l’adresse de la société qui le suicidait. Car la radio, comme la peste, attaque directement le système nerveux du corps politique », écrira en 1994 Allen S. Weiss dans la revue Java. Antonin Artaud conçoit Pour en finir avec le jugement de dieu comme une séance thérapie : la radio est l’électrode, la voix le courant électrique, le public le corps (social) qu’il faut passer aux électrochocs. Autopsie d’une gigue Pour donner forme à son complot sonore, Antonin Artaud recourt cependant à des matériaux classiques. Un texte lu, découpé

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œuvre ouverte

en chapitres, une voix nue, et des intermèdes musicaux. Des techniques qu’il va s’ingénier à dévoyer pour leur insuffler une irradiante intensité. Oscillant entre l’opacité et la fulgurance, le monologue gicle en un prêche halluciné, dont le sens parfois se dérobe. Aucune logique narrative ne lie les différentes parties, seul l’esprit vengeur qui les a enfantées les apparente. Théâtrale et outrée, la voix génère un mouvement double, contradictoire chez l’auditeur/trice, tout à la fois aimantation à la séduction capiteuse et repoussoir tant elle semble modelée par l’effroi d’Artaud devant les renoncements de son temps. Surprise, l’auteur n’est pas le seul lecteur de son texte, dont il offre chaque partie à une voix nouvelle (Maria Casarès, Paule Thévenin, Roger Blin). Quant à la musique, tambour exsangue, gong sinistre ou xylophone souffreteux et malhabile, joués par Antonin Artaud lui-même, n’apportent aux textes ni contrepoint ni même agrément esthétique. Fonctionnant comme des signaux, ils ouvrent un passage vers une dimension nouvelle. Les battements tribaux d’un monde émergent, provoquant l’étourdissement. Un virus inédit, pourtant, est inoculé par Artaud : son cri, chant horrifique comme réchappé du théâtre nô. Semblable à une ligne de haute tension qui cède et déchire l’air ambiant, il fait soudain basculer Pour en finir… dans l’irrationnel profond, comme on le dirait d’une nuit. Le déblayage idéal pour l’irruption de ses glossolalies, langue inventée et mots incompréhensibles, qu’il fait danser dans une gigue claudicante et profondément subversive. Avait-on entendu de l’inintelligible à la radio avant cela ? La voix de l’outre-monde Avec ce dispositif quasi-minimal, l’auteur du Théâtre et son double porte à leur puissance maximale les qualités acousmatiques de la radio (la musique concrète naît alors à quelques studios de là) : faire surgir l’inattendu à partir d’un trou sombre, d’un coin aveugle, envoyer de l’impact à partir de presque rien. Cet étrange cortège de voix et de pulsations, procession à la fois décousue et tendue,

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atteste le vœu de l’écrivain d’élaborer une émission-sortilège, qui va hanter les nuits de ses auditeurs. Marqué par un voyage au Mexique et sa rencontre avec les indiens Tarahumaras, Artaud le Mômo joue les chamanes libérateur et amoureux du peyotl. Visant l’hypnotique, il agite à l’attention de son public un drôle de pendule : sa voix, à la corporéité sans beaucoup d’équivalentes dans l’histoire de la radio. Possédé, Antonin Artaud ? Sa voix ici paraît littéralement habitée dans un trouble choral, plusieurs êtres parlant chacun leur tour – sorcière, prof sadique, grand-mère, prédicateur, conférencier, perruche ou encore rapace inquiétant. Montant parfois dans les hyper aigus, elle atteint des sommets d’acidité, corrodée à l’extrême pour retomber, défaillante, prise dans un glaviot. Sa scansion, soumise à des variations brutales, accélère ou ralentit, comme mue par de mystérieuses forces souterraines.

« J’ai appriiiis hieeeeer… » L’écume aux lèvres, le marabout en chef semble infecté par l’abjection qu’il dénonce. Son emphase drolatique étire les syllabes jusqu’à les rendre méconnaissables, les déchirer presque, ou les compresser dans un geste énervé. Chaque mot est isolé, comme placé sur un piédestal : un totem à adorer, ou à conspuer. Ce que l’on entend, c’est la tessiture travaillée et le timbre d’un (haut) perché assumant

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œuvre ouverte

sa théâtralité. L’exercice s’avère plus périlleux pour ses trois comparses, qui tentent peu ou prou de le singer. Maria Casarès, surtout, peine à trouver sa propre voie(x), sa réussite aléatoire affaiblissant l’ensemble. Aujourd’hui, ce phrasé surjoué semble daté, et la créativité sonore de Pour en finir avec le jugement de dieu apparaît plutôt sommaire, mais touchante : les voix s’avancent vers le micro ou se reculent, Artaud descendant même l’escalier menant au studio pour donner un effet d’éloignement. La beauté de la pièce est ailleurs : elle vibre, littéralement, et se consume du feu d’un insoumis espérant tout araser dans son sillage. L’être et la chose Avec « ce pays qui se croit à la tête du progrès », « il faut que des champs d’activités nouvelles soient créés, que ce soit le règne de tous les faux produits fabriqués et des ignobles ersatz. » À la nature se substitueront « des produits de synthèse à satiété », « dans un usinage insensé ». Artaud, premier lanceur d’alerte ? Le texte liminaire de Pour en finir avec le jugement de dieu le

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consacre visionnaire, lui qui pressent la marche triomphale entamée par le néo-libéralisme et la domination économique et culturelle états-unienne en pleine expansion. S’appuyant sur une « information » abracadabrante, (les Américains recueilleraient la semence de leurs collégiens en vue d’une insémination artificielle pour démultiplier leurs contingents de soldats), dont on ne sait s’il fait semblant d’y croire, Antonin Artaud (dés) articule une critique foutraque mais profondément juste des processus favorisés par la fin de la Seconde Guerre mondiale. Moins directement politique, le corpus restant de Pour en finir… oscille entre poésie surréaliste, blasphème et réflexion existentielle (faussement) délirante. Rappelant à l’être humain son lien avec le fécal – « Là où ça sent la merde, ça sent l’être » – donc avec l’irréductible et l’incontestable de la matière, l’inventeur du « Théâtre de la cruauté » convoque ce Dieu qui a séparé le corps et l’esprit pour lui jeter un sort. Contestant sa suprématie sur les consciences et moquant son éventualité, il fait proférer à Blin le célèbre : « Dieu est-il un être ? S’il en est un, c’est de la merde ! S’il n’en est pas un, il n’est pas ! Or, il n’est pas ! » Mais ce qui intéresse Artaud au fond, c’est l’« animal érotique », l’homme avili et barbotant dans sa nocivité, qu’il faut assainir et libérer. « L’homme est malade parce qu’il est mal construit », assène-t-il, « il faut lui faire un corps sans organe, pour le délivrer de ses automatismes et le rendre à sa véritable et immortelle liberté ». Pas hygiéniste ni moraliste pour autant, Artaud en appelle plutôt à une nouvelle spiritualité, un rapport au monde où l’humain s’assumerait seul, dans sa chaotique plénitude. Sous l’invective outrée, derrière l’utopie un peu brumeuse d’un texte à la fois magnifique et mité, affleurent une générosité sans concession, une inquiétude pour son prochain, toujours émouvante 70 ans après. Celui que son compère de théâtre Roger Vitrac décrivait comme un « vagabond de l’absolu » fait don de lui, dans une posture sacrificielle d’autant moins bien perçue qu’elle n’a pas été entendue…

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Dans le rectum Pour en finir avec le jugement de dieu n’a jamais été diffusée, du moins du vivant d’Artaud. Elle ne le sera qu’en mars 1973, sur France Culture, avec une production additionnelle de René Farabet. À quelques jours de la programmation initiale prévue le 2 février 1948, Wladimir Porché, directeur général de la Radiodiffusion française qui vient de lancer la Chaîne Parisienne, s’alarme de l’écho médiatique déclenché par une pièce que personne encore n’a entendue. Des rumeurs bruissent : « C’est une sorte de symphonie de cris d’animaux », lit-on ici ou là. « L’émission de l’ex-aliéné aurat-elle lieu ? », s’autorise L’Aurore. Les articles tiennent pour acquis une indignation générale et un rejet du public. « Ce fou génial ne doit pas être un homme public », écrit même Combat. Porché finit par écouter les bandes et annule aussitôt la mise en ondes, au grand soulagement de Témoignage Chrétien (« Les auditeurs l’ont échappé belle »). Une censure qui contribue bien sûr à l’accession de l’émission au statut de mythe, mais interroge aussi, in fine, la notion de service public. Que produit-on et pour qui ? L’auteur, lui, en sort, cruellement mortifié. « Je suis triste et désespéré, écrit-il le 25 février. Mon corps me fait mal de tous les côtés. (…) La voix et la machine, c’est toujours le gouffre, le néant. Il y a une interposition technique qui déforme et annihile ce que l’on a fait (…) Je ne toucherai plus jamais à la radio. » Le 4 mars, on le retrouve étendu au pied de son lit, vaincu par son cancer du rectum. Échappant une bonne fois pour toute au jugement de ses semblables. couter àé

Pour en finir avec le jugement de dieu, d’Antonin Artaud, 1947 www.ubu.com/sound/artaud.html

Sources : - notices Wikipedia d’Antonin Artaud et Pour en finir avec le jugement de dieu - Jean-Charles Chabanne, « La radio et son double : Pour en finir avec le jugement de dieu d’Antonin Artaud », dans Écritures radiophoniques, actes du colloque de Clermont-Ferrand (1996), dir. Isabelle Chol et Christian Moncelet. Université Blaise Pascal, Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, pp. 147-163. En ligne sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00917947/document - Marc Dachy, « Pour en finir avec le jugement de dieu », préface accompagnant le CD édité par Sub Rosa en 1995, reproduite sur Ubuweb, voir lien plus haut.

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petite histoire Quand la radio trompe l’oreille : petite histoire des faux-semblants radiophoniques Épisode 4 : reconstitutions et L’attentat en direct Quand la fiction fait l’évènement en passant pour le réel : retour, sous forme de feuilleton, sur près d’un siècle de faux-semblants radiophoniques. Les trois premiers épisodes étaient pleins d’exclamations horrifiées et de rires tonitruants. Dans cette quatrième partie, un certain calme trompeur : le faux-semblant opère une mutation. Pour en rendre compte, nous revenons sur le genre des reconstitutions historiques, puis nous évoquons une pièce de 1969, L’attentat en direct de Claude Ollier.

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Passées la guerre et l’immédiat après-guerre, que l’on scrute outre-Atlantique, en Asie ou sur le vieux continent, les sources semblent se tarir : point de panique spectaculaire, nulle hystérie radiophonique, aucun scandale médiatique. Le faux-semblant aurait-il disparu ? Il est plus certainement en train de muer, d’abord en se banalisant, ensuite en donnant naissance à plusieurs genres institués. La Guerre des mondes du Mercury Theatre on the Air 1 continue de faire des émules et ses imitations parviennent encore à occasionner quelques sueurs froides : le 10 février 1968, par exemple, en pleine guerre du Viêt Nam, plusieurs dizaines d’étudiant·es de l’université de McGill au Canada croient la troisième Guerre Mondiale arrivée, la radio du campus ayant entrepris d’actualiser la fiction de 1938 à travers la mise en scène d’une attaque nucléaire des États-Unis à Hanoi 2. On pourrait faire le récit de chacune de ces reprises : les folklores locaux, la magie amusante de la terreur imaginaire, la portée politique ou divertissante, le combat rituel entre la presse et la radio … Mais il sera sans doute plus instructif de chercher à comprendre pourquoi aucun faux-semblant d’envergure ne paraît s’inventer à partir de la seconde moitié du 20e siècle. « Songez que nous faisions nos premiers pas à la radio et que tous les auditeurs eux aussi étaient des débutants. » disait Gabriel Germinet à propos de son reportage fictionnel de 1924, Great Guignol 3. Une trentaine d’années après la naissance de la radio, le public comme les auteur·es se sont pour ainsi dire professionnalisé·es : si le faux reportage ne surprend plus, s’il ne ressort plus parmi les autres productions, c’est sans doute qu’on

« Songez que nous

faisions nos premiers pas à la radio et que tous les auditeurs eux aussi étaient des débutants. »

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Cf. l’épisode 2 de ce feuilleton, dans le Carnet n°5 ou en ligne sur http:// syntone.fr/dossiers/faux-semblants/. « Radio Hoax Causes Scare », Quebec Chronicle-Telegraph, 10 février 1968. Cf. l’épisode 1 de ce feuilleton, dans le Carnet n°4 ou en ligne.

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l’écoute d’une oreille plus avertie, savante de quelques hauts faits ou ratés mémorables, accoutumée aux désormais traditionnels poissons d’avril médiatiques, connaisseuse des langages et des formats de la radio – et aussi qu’on le façonne dans un tout autre esprit. Il nous faut ici faire quelques pas en arrière dans notre chronologie, pour reprendre le fil d’un autre genre radiophonique : celui des reconstitutions. Sans connaître leur histoire, impossible de comprendre l’évolution des faux-semblants, et notamment celui dont nous parlerons juste après : la mise en scène de l’assassinat d’un amiral au beau milieu d’une diffusion en direct. Nous avions jusqu’ici navigué dans la fiction (voire la science-fiction) réaliste, nous allons maintenant évoquer des pièces où le réel fut théâtralisé. Le mouvement est donc inverse : ce n’est plus la fiction qui prend la forme du réel pour créer un effet de leurre, c’est le réel qui prend la forme de la fiction pour créer un effet d’authenticité. Si les premières pièces se situent franchement dans une pratique ou dans l’autre, à compter de la seconde moitié du 20e siècle, les codes vont s’entremêler de façon moins binaire. À l’époque de La Guerre des mondes, la frontière entre reportage et fiction avait déjà été rendue poreuse par les actualités dramatisées, autrement dit des mises en scène radiophoniques des grands évènements nationaux ou mondiaux. L’idée en avait été trouvée par un certain Fred Smith, l’un des tous premiers auteurs de fictions radiophoniques aux États-Unis, qui travaillait pour WLW, une radio de Cincinnati, dans l’Ohio. Il y avait inauguré, en 1928, des bulletins d’information de dix minutes sous forme de revue de presse, le magazine Time le rémunérant en toute simplicité pour prononcer son titre trois fois par émission. En 1929, Smith eut l’idée de renouveler ses bulletins en mettant les actualités en scène : l’émission durait cinq minutes et s’appelait, littéralement, Newsacting. Le 6 mars 1931, toujours sous la houlette de Fred Smith, depuis devenu salarié du Time, et de Roy Larsen, l’un des dirigeants du magazine, Newsacting céda la place à un autre programme du réseau

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CBS, qui instituerait définitivement le genre : The March of Time. Son titre signifiait « la marche du temps » et, plus pragmatiquement, « la marche du Time ». Une demi-heure hebdomadaire d’informations « reconstituées aussi nettement et aussi théâtralement que le permettra le medium radiophonique »4 – le tout, selon les mots de Fred Smith, avec « les dix meilleur·es acteurs et actrices radiophoniques » (parmi lesquel·les Orson Welles, qui faisait là ses débuts radiophoniques), un « speaker extraordinaire », un « orchestre splendide » et un « réalisateur intelligent »5. À quoi nous ajouterons une équipe d’effets sonores dignes de ce nom, menée par une pionnière dans le domaine, Ora Nichols (la même qui dirigerait les bruitages du Mercury Theatre on the Air). L’ensemble visait non pas à tromper (le procédé de l’émission était annoncé et connu), mais à jouer sur le réalisme pour tenir le public en haleine et lui donner l’impression d’assister aux évènements en direct : « Le déclic d’un combiné de téléphone, l’accent d’un empereur éthiopien, le craquement d’un coffre en bois qu’on ouvre, les sons terrifiants des bombardiers japonais et italiens approchant de civils – tout cela créait le sentiment d’être au cœur de l’action6. » Les comédien·nes avaient chacun·e leurs spécialités : qui incarnait régulièrement Roosevelt, qui son épouse, qui Mussolini, Goebbels ou Churchill. Dix-huit personnes dans le studio, accompagnées en arrière plan par un enregistrement de foule, en paraissaient soixante-dix mille7. The March of Time racontait le présent à travers des détails vécus ou simplement vraisemblables : elle ne faisait pas simplement état d’une négociation, elle la donnait à entendre sous forme d’échange téléphonique ; elle ne se contentait pas d’annoncer qu’une explosion avait eu lieu, elle mettait en scène une mère dont la fille soudain, se 4

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Introduction de la première émission de The March of Time, citée dans Lawrence W. Lichty et Thomas W. Bohn, « Radio’s March of Time: Dramatized News », Journalism and Mass Communication Quarterly, vol. 51, n°3, 21 septembre 1974, pp. 458-462. Les détails sur les origines de l’émission sont également tirés de cet article. Anonyme, « Fred Smith, Radio Pioneer, Dies; Helped Create “March of Time” », New York Times, 15 août 1976. Mary Wood, « The March of Time as Documentary and Propaganda », American Studies Program at the University of Virginia, 2004, http://xroads. virginia.edu/ (vu le 27/07/2016). Tom Carskadon, « Times Marches On », Tower Radio, janvier 1935.

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volatilisait. Très populaire, l’émission perdurera, sur différentes antennes et avec des sponsors changeants, jusqu’en 1945 – et elle se déclinera également sous une forme audiovisuelle, à travers des courts-métrages documentaires diffusés dans les cinémas. En France, aucune institution de cet acabit n’a existé, mais des émissions ont néanmoins utilisé la reconstitution ou la fiction pour raconter l’actualité et le passé : un « radioreportage » de 1937 sur le Poste parisien plongeait ainsi le public au cœur du sacre de Napoléon Ier. En 1948, « dans Documents 48, les illusions perdues, Henri-François Rey et Jacques Peuchmaurd lancent une forme d’appel à la paix, et mélangent bulletins d’informations, textes, interviews, sans qu’on sache faire la distinction entre le vrai et le faux »8. Le 5 août 1951, le Journal parlé de la Chaîne parisienne commençait quant à lui par quelques secondes d’appels radio de la police, suivis des mots suivants : « Ceci est un documentaire. Il n’a d’autre but que de vous faire vivre quelques instants un drame qui s’est joué réellement dans les bureaux de la police judiciaire de la préfecture de la Seine, au fameux 36 du Quai des Orfèvres 9. » Au micro : Stéphane Pizella, qui lançait ainsi « Dans les coulisses de la police judiciaire ou L’énigme de la pochette de soie ». Il avait pris pour narrateur un commissaire divisionnaire bien réel du Quai des Orfèvres et pour acteurs des inspecteurs ayant vécu l’affaire. Les éléments d’atmosphère, qui auraient paru sommaires voire ratés dans d’autres fictions, pouvaient laisser imaginer de mornes locaux : simples bruits de portes, piètre acoustique de la salle d’interrogatoire. Les quelques

Le ton fort peu

naturel des échanges entre collègues ne laissait pas trop de doute sur son caractère reconstitué.

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Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Harmattan, Ina, p. 212, ainsi que la référence précédente. Stéphane Pizella (producteur), « Les coulisses de la police judiciaire ou l’énigme de la pochette de soie », Journal parlé, Chaîne parisienne, Radiodiffusion française, fonds Ina, 5 août 1951.

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bafouillements conservés visaient peut-être aussi à renforcer la similitude avec un reportage de terrain. Mais le ton fort peu naturel des échanges entre collègues, tout comme les dialogues très convenus menant aux aveux de l’assassin, ne laissaient pas trop de doute, même à qui aurait pris l’émission en cours, sur son caractère reconstitué. Le journaliste laissait au commissaire le soin de conclure la demi-heure, ce que ce dernier faisait sans beaucoup d’invention : « Il ne reste plus maintenant qu’une morale à tirer de cette affaire : le crime ne paie pas. » Les reportages théâtralisés pas toujours non plus : on ne saurait faire tout reposer sur la seule authenticité – paradoxalement, davantage de fiction dans le jeu des acteurs, le scénario ou les bruitages auraient ici permis d’incarner le réel avec plus de réalisme et plus de souffle. Car on aurait tort de réduire les adaptations de faits réels à ces lourdeurs. Le 4 février 1969, France Culture diffusait L’attentat en direct, une création de l’écrivain Claude Ollier mise en ondes par Georges Peyrou, et qui recevra le Prix Italia des œuvres dramatiques10. Réels, les faits sur lesquels cette fiction s’appuyait ne l’étaient pas vraiment – ou plutôt, quoiqu’ils soient immédiatement reconnaissables, la pièce les revisitait de fond en comble : écrite en 1965, elle transposait en un autre lieu, une autre année, avec d’autres personnes et, surtout, d’autres motivations, l’assassinat deux ans plus tôt du président étatsunien John Fitzgerald Kennedy, puis de celui qui avait été désigné comme son meurtrier, Lee Harvey Oswald. La confusion entre véridique et imaginaire était posée d’emblée, le lancement de l’émission mêlant des éléments fictifs à la vraie signature : « Radio Alpha, France Culture, en direct : Claude Ollier, Georges Peyrou. » Radio Alpha n’existe qu’en imagination, et le direct tout autant. Sans autre formalité, le public est plongé au cœur d’un reportage depuis « le square Nobel », où l’on attend le passage du convoi officiel qui transporte « l’amiral », 10

Claude Ollier (auteur de l’oeuvre pré-existante), Georges Peyrou (réalisateur), Lily Siou (productrice), « L’attentat en direct », Carte blanche, France Culture, Ortf, 4 février 1969. L’émission sera rediffusée le 5 octobre 1969 dans l’Atelier de création radiophonique.

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D’autres suivront, toujours miraculeusement adaptées aux derniers rebondissements de l’évènement. Quelques instants plus tard, des coups de feu : l’amiral est touché sous les yeux de Fuller, très opportunément placé. Puis le reporter perd son micro dans la confusion et le studio reprend l’antenne. Une musique guillerette meuble les ondes, bientôt remplacée, devant la fureur du responsable de l’émission, par une composition plus tragique. Le public bascule à ce moment de l’autre côté du poste : le point d’écoute se trouve désormais situé non plus sur ce qui passe à l’antenne de Radio Alpha, mais dans ses coulisses.

par ailleurs chef de l’État. Le reporter Fuller, sur fond de fanfare et d’hélicoptère, occupe l’antenne avec un enthousiasme comique et un lyrisme parfaitement creux : « Partout, aux fenêtres, des drapeaux, des banderoles ! Non, d’ailleurs, pas tellement de drapeaux et de banderoles, mais la foule est venue nombreuse… assez nombreuse... et se presse sur les trottoirs, sur [sic] les frondaisons des acacias… euh des frênes… euh… c’est… on dirait plutôt des… oui, on dirait des frênes ! … Ou des mûriers ! … Des grenadiers, oui ! Des grenadiers et des palmiers plantés tout autour du rond-point et du monument qui nous domine… » Le reporter évoque un « temps rêvé » et bientôt une première publicité (jouée par Jean Yanne) surgit, Fuller continuant son bavardage en arrière plan : « Finis les cauchemars, vos rêves seront toute douceur, vos rêves seront stabilisés ! Rêvez en couleur tendre, rêvez en marge de l’actualité, rêvez Hypnomatic ! »

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La filature de l’assassin par Fuller donne ensuite son tempo à la pièce et permet à la mise en ondes de jouer avec les diverses formes de transmission orale et leurs textures respectives : téléphone depuis la voiture de l’antenne ou une cabine publique, conversation dans un bureau, interphone de la secrétaire, enregistrements clandestins du reporter lors de sa traque. La structure générale de la fiction est quant à elle articulée par les montées progressives dans la hiérarchie de l’antenne, matérialisées chaque fois par le son de l’ascenseur (une tonalité électroacoustique pleine de suspense) qu’un cadre subalterne emprunte pour aller voir son supérieur immédiat : le responsable de l’émission est ainsi convoqué par le chef des informations (un docteur), qui est sommé de se présenter au directeur des programmes (un professeur), qui est appelé par le chef de la publicité (dont la fonction constitue un grade en soi), qui sollicite un entretien avec le président du réseau radiophonique (un colonel), lequel s’entretient en privé avec celui qui semble être à un échelon encore supérieur et que nous n’entendrons pas, un évêque. Le ton est donné dès le départ : « – Fuller l’a eu en direct, docteur Hobby, l’attentat en direct ! – Ah mais voilà qui est remarquable, Grimm, félicitations ! » À chaque échelon, un niveau de connaissance et de cynisme supplémentaire est franchi : c’est « l’initiation à la verticalité », comme

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le résumera le chef de la publicité, où se dévoile progressivement la cupidité du réseau de radios, intéressé uniquement par l’audience et le profit publicitaire de ses diffusions. Dans un comique jeu de trappes où la vérité et l’éthique s’enfoncent progressivement dans la noirceur, les auditrices et auditeurs parcourent les différents degrés de la corruption. En bas de la hiérarchie, on ne jure déjà que par le spectacle et le scoop. Au premier niveau, on est non seulement opportuniste, mais prêt à instrumentaliser les faits : « À cette exceptionnelle croisée des chemins, Fuller est là, micro à la main, et les coups de feu fatidiques retentissent à la seconde même sur tout le territoire dans des millions de foyers. Et grâce à qui, Hobby ? Grâce à qui ? (…) Tout à l’heure nous ferons un petit montage de ses diverses communications. Nous couperons, élaguerons ici et là, recollerons, commenterons, bruiterons : ça sera sensationnel ! Sensationnel ! » Tout en haut de l’échelle, on explique que l’instrumentalisation est précisément ce qui a déjà eu lieu, la direction ayant accepté de passer un marché avec les assassins : « Le succès de leur cause contre l’extension de notre réseau. C’est un tournant dans l’histoire de l’information, Jobert. L’organe de relais devenu tout puissant concourt à créer l’évènement, s’en assurant du même coup la retransmission exclusive. Cercle idéal. (…) Un jour prochain, il ne se produira plus de fait capital où ne nous soyons assurés un part de fondateur. Voyons grand, Jobert, ceci n’est qu’un début. » Dans un splendide montage final, les extraits détournés des enregistrements de Fuller servent de support à une ultime réclame : « Il sait que seul Publi

Claude Ollier inventait là, de fait, l’un des premiers docu-fictions, que l’on ne

nommera ainsi qu’une trentaine d’années plus tard.

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Soda peut le désaltérer. Publi Soda, un délice après l’action. Publi Soda, le nectar du cogne. Publi Soda, le rafraîchissement du tueur. » Au beau milieu des années 1960, à une époque où les chaînes d’information en continu, la télé-réalité et l’infotainment n’existaient pas, Claude Ollier mettait en scène, à travers un complot délibérément caricatural, des problèmes éthiques on ne peut plus sérieux et aujourd’hui tout à fait d’actualité dans le milieu médiatique : le brouillage des frontières entre journalisme et spectacle, l’illusoire séparation des pouvoirs, l’impact non seulement formel mais éditorial de la publicité, le renversement déontologique qu’opèrent la course à l’audience et le culte du profit. L’attentat en direct, en plus de proposer une fiction noire de qualité, mettait les médias en garde et, surtout, appelait le public à affûter son esprit critique : il jouait à proposer une solution rocambolesque au complot le plus célèbre de l’époque, mais pour mieux exposer

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une dérive bien réelle et insuffisamment discutée du système médiatique. Ollier s’amusera même, dans un clin d’œil en plein centre de la pièce, à vendre sur un ton de bateleur la forme empruntée par celle-ci, mais pour le motif inverse : « L’amalgame, Hobby ! Documentaire et fiction ! L’amalgame ! » Il inventait là, de fait, l’un des premiers docu-fictions, que l’on ne nommera ainsi qu’une trentaine d’années plus tard. Les faux-semblants prenaient un tournant : il ne s’agissait plus simplement de divertir avec du bon théâtre radiophonique, et encore moins de chercher à leurrer pour produire de l’effet, mais au contraire, d’employer toutes les ressources et la liberté d’action de la fiction pour tendre à l’époque un miroir sans complaisance. Dans une « Mythologie de poche de la radio » consacrée à Claude Ollier en 2010, Christian Rosset saluera la qualité d’anticipation critique de ce dernier en le qualifiant d’« inactuel » – et de préciser : « L’inactuel c’est ce qui résiste, au fond, à la disparition. (…) L’inactualité c’est cette chose (…) qui concerne le monde, mais le monde ne le sait pas forcément 11. »

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couter àé

Des archives de l’émission The March of Time sont trouvables en ligne, par exemple sur : https://archive.org/details/1938RadioNews ou encore sur : https://youtu.be/mJwvdw3bwdI L’attentat en direct de Claude Ollier et Georges Peyrou peut s’écouter en ligne sur le site de France Culture : http://www.franceculture.fr/emissions/ fictions-samedi-noir/lattentat-en-direct

Thomas Baumgartner (producteur), Gilles Mardirossian (réalisateur), Christian Rosset (invité), « Mythologie de Poche de la radio : à propos de Claude Ollier », Les Passagers de la nuit, France Culture, 30 avril 2010, fonds Ina.

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rencontre « Il y a toujours quelque chose à écouter » Guide naturaliste dans le Nord-Est de la France et preneur de « son nature », Marc Namblard conjugue ses deux passions avec exigence et générosité. Pour lui, contempler le monde naturel est le secret pour mieux comprendre la place qu’on y occupe. Ôtons nos bouchons d’oreilles et parlons son, création et écologie avec un promeneur écoutant. Comment se sont rencontrés tes intérêts pour le son et pour la nature ? Mon père enregistrait régulièrement des scènes de vie familiale. Les micros et les enregistreurs à bande faisaient donc partie des objets de notre quotidien, même si pendant longtemps nous n’avions pas vraiment le droit d’y toucher. Vers l’âge de 10 ans, mon frère1 a commencé à enregistrer toutes sortes de sons, avec un magnétophone à cassettes. Comme tout petit frère qui se respecte, j’ai suivi le mouvement quelques années plus tard. Nous enregistrions surtout lors de nos escapades sur les sentiers cévenols en été. Des cours d’eau, des insectes, les roulements du tonnerre, les troupeaux, nos pas qui résonnent dans les pierres...

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Olivier Namblard, avec qui Marc a cosigné plusieurs compositions récentes, dont les albums Brames et Cévennes (références en fin d’article).

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rencontre

Quant à mon intérêt profond pour la nature, il remonte également à l’enfance. Mes parents aimaient passer du temps en forêt le week-end ou en montagne durant les vacances d’été. Ils avaient un rapport plutôt contemplatif à la nature. Mon frère et moi avons attrapé le virus… et ce n’est que bien plus tard, pour ma part, que j’ai vraiment cherché à mettre un nom sur les plantes, les insectes ou les oiseaux que je pouvais observer sur mon chemin, ou au bout de mes micros. Cela s’est fait de manière très autodidacte. Certaines rencontres ont également été déterminantes. Je pense notamment à Fernand Deroussen2, qui m’a transmis beaucoup de choses, toujours avec passion et générosité, depuis nos premiers échanges au début des années 2000. Je pense que si je ne l’avais pas rencontré à ce moment-là, ma vie professionnelle serait sensiblement différente aujourd’hui. « Audionaturaliste », « phonographiste », praticien de « field recording », créateur sonore, bioacousticien… quel est ou quels sont, te concernant, les termes les plus appropriés ? Je me présente le plus souvent comme audionaturaliste et artiste sonore. J’aime le premier terme – un néologisme inventé justement par Fernand Deroussen – car il précise tout de suite mon approche du son. J’ai développé une véritable obsession pour les sons de la nature même si je m’intéresse à bien d’autres sujets d’écoute et d’enregistrement. Je suis aussi par définition un « field recordist » dans le sens où j’enregistre en extérieur, loin de mon studio. Je suis également phonographiste puisque je fixe mes sons sur des supports et que je les diffuse ensuite dans différentes situations, notamment en public. Et le terme « d’artiste sonore » me convient bien car j’ai la prétention d’écrire, de raconter des histoires avec mes sons.

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En revanche, j’aurais du mal à me dire compositeur ou musicien et je ne suis pas bioacousticien. La bioacoustique est une discipline scientifique, une branche de l’éthologie consacrée à l’étude de la communication sonore animale. L’audionaturaliste, quant à lui, se consacre surtout à l’écoute et à l’enregistrement des sons sur le terrain. Il observe en particulier avec ses oreilles en essayant d’intervenir le moins possible. Il témoigne et interprète sans chercher à prouver quoi que ce soit. Il s’agit de deux pratiques bien distinctes, qui se traduisent évidemment par des comportements différents sur le terrain. On pense souvent que l’objectif d’un preneur de sons de la nature est de la représenter le plus fidèlement. Es-tu d’accord avec cela ? J’ai vraiment un problème avec cette notion de fidélité. L’acte d’enregistrer relève toujours d’une forme d’interprétation. Chaque preneur de son adopte une posture qui lui est propre, choisit ses propres angles d’écoute. Par ailleurs, enregistrer un son et le faire écouter ensuite, ce n’est pas du tout la même chose : capter un animal dans telle ou telle situation, c’est une expérience d’écoute en soi ; diffuser ensuite l’enregistrement, même non modifié, dans un studio, dans une salle de cinéma ou dans un casque… ce n’est pas reconvoquer l’expérience de la captation, mais bien proposer d’autres expériences d’écoute, toutes différentes, y compris pour l’auteur de l’enregistrement. Je pense que la motivation première d’un audionaturaliste n’est pas de tenter de restituer « fidèlement » un événement sonore, mais plutôt de valoriser certains sons, en en occultant d’autres (soit au moment de la prise, soit au traitement), pour mettre l’accent sur ce qui l’intéresse plus particulièrement. Certains aiment se focaliser sur des événements isolés, un peu comme un photographe qui joue avec l’ouverture de son

Preneur de son et éditeur professionnel de sons de la nature. Avec le don de son impressionnante collection, Fernand Deroussen a permis la création en 2005 de la sonothèque du Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

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« diaph » pour faire la netteté sur un premier plan et « flouter » le reste. D’autres préfèrent évoquer l’organisation des sons de la nature et adoptent une posture beaucoup plus globale, à l’échelle des écosystèmes en quelque sorte. D’autres enfin varient les postures en fonction de leurs envies, des environnements, des projets. Il n’y a pas vraiment de règle. Chaque praticien a son histoire, sa sensibilité, ses influences, ses activités parallèles… Tout ça se traduit évidemment quelque part dans son travail.

ce qui se passe sur le terrain. Dans ces moments-là, plus rien d’autre ne compte. Il m’arrive parfois de me sentir complètement absorbé par ce que je vis, ce que j’écoute, ce que j’observe. Toutes les décisions que je prends sont liées aux conditions même de la captation : le comportement de l’animal, les risques de dérangement, la météo, l’acoustique du lieu, les perturbations sonores, etc. Le temps du montage, du mixage, de l’écriture avec les sons est tout autre. Il s’agit vraiment de deux mouvements complètement dissociés, mobilisant des énergies différentes.

Selon que tu publies chez un éditeur de sons de la nature (Nashvert, le label de Fernand Deroussen) ou de création sonore (Kalerne, Ouïe/Dire, Kaon), qu’est-ce que cela change à la manière dont tu présentes les sons ? Élabores-tu dans tous les cas une sorte de « scénario » ou une trame de « composition » ? Quel que soit le projet, toutes les séquences que je propose à l’écoute sont le fruit d’une écriture. Bien entendu, chaque projet induit une forme d’écriture différente. D’autant plus qu’il ne s’agit jamais vraiment de réalisations solitaires. D’autres personnes interviennent dans le développement du projet ; cela a été particulièrement le cas avec Jean-Léon Pallandre pour l’album Brames chez Ouïe/Dire et Yannick Dauby pour mes disques publiés par Kalerne. Ils se sont beaucoup investis dans ces travaux et leur empreinte y est importante. J’aime particulièrement collaborer avec d’autres artistes car cela me permet de remettre régulièrement en question ma façon de travailler tout en élargissant mes connaissances et mes compétences. Quand tu pars en enregistrement, penses-tu déjà aux étapes suivantes – séquençage, montage, mixage – qui vont orienter tes décisions sur le terrain ? En ce qui me concerne, enregistrer est un mouvement presque quotidien, une sorte de réflexe, et la plupart du temps lorsque je capte une situation, une ambiance, je ne pense absolument pas à ce que j’en ferai ensuite. Toute mon énergie se concentre sur

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La plupart des disques de « son nature » évacue soigneusement la présence humaine. Ne risquent-ils pas d’idéaliser la nature comme une sorte de paradis perdu ? J’entends régulièrement cette objection. La pratique audionaturaliste repose sur un parti-pris tout à fait assumé : celui qui consiste à se focaliser sur certaines catégories de sons du paysage, ceux émis par les animaux, les plantes, les éléments naturels. Il s’agit de sons de plus en plus difficiles à écouter, pour de multiples raisons : érosion de la biodiversité, dégradations des écosystèmes, dérèglement climatique, activité sonore humaine de plus en plus envahissante y compris dans les espaces considérés comme « sauvages ». Encore une fois, l’audionaturaliste n’a pas pour vocation de rendre compte de la « réalité objective » d’un paysage ; ni de transcrire une quelconque « vérité », sinon celle de son propre rapport à ses sujets d’écoute, d’observation et d’enregistrement. Mais je ne partage pas la position qui consiste à dire que ces disques évacuent la présence humaine. Dans de très nombreuses régions du monde, l’être humain est omniprésent dans le paysage, même lorsqu’on ne croit pas l’entendre. Tout simplement parce qu’il a modelé les milieux au fil des siècles. C’est le cas pratiquement partout en Europe occidentale : les derniers véritables espaces sauvages sont cantonnés aux tourbières et à quelques parcelles de forêt inaccessibles en montagne. L’exemple le plus frappant, parmi les régions que je fréquente assidûment, est sans doute celui des Cévennes. Lorsqu’on découvre ces montagnes modestes mais sévères, au climat rude, on a l’impression de se retrouver dans un pays très « sauvage », un peu en marge de la civilisation. Mais les apparences sont trompeuses : en parcourant la montagne, on se rend compte rapidement que le pays tout entier est structuré par des constructions humaines plus ou moins abandonnées : murets en pierres sèches, bassins et canaux d’irrigation, habitations, bergeries, etc. Les Cévennes représentent un bel exemple de pays séculairement anthropisé et gagné récemment par la

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nature sauvage suite à un forte désertification. Malgré tout, les paysages sonores des Cévennes actuelles sont encore marqués par une sorte d’équilibre un peu miraculeux entre ruralité et naturalité, dans lesquels la diversité et la dynamique des sons peuvent encore s’exprimer… Mais il s’agit d’un équilibre fragile, en raison, encore une fois, de la multiplication des bruits de moteurs, déjà bien imposants dans certaines vallées. Là où je te rejoins, c’est sur cette idée d’idéalisation de la nature. C’est aussi quelque chose qui m’interpelle. La nature doit être protégée et respectée pour ce qu’elle est, et non pour ce qu’on y projette, ou pour ce qu’on aimerait qu’elle soit. La nature, ce n’est pas seulement de belles fleurs, des animaux mignons et des « énergies positives ». C’est aussi de la violence, de la mort, des organismes qui meurent et se décomposent… De la même manière, les sons de la nature ne se limitent pas aux beaux chants d’oiseaux et au murmure d’une mer apaisée. Certains peuvent être agressifs, violents, et même dangereux pour l’oreille humaine. Certaines cigales produisent des chants qui rappellent des ambiances industrielles. Certaines sauterelles, comme les conocéphales, émettent des stridulations qui vrillent le tympan. J’aime également explorer les zones floues entre le monde sonore naturel et le monde sonore humain. Bernie Krause parle de « biophonie », de « géophonie » et « d’anthropophonie »3 : son système de classification des sons du paysage est intéressant, très pratique, mais ne permet pas de situer bon nombre de phénomènes sonores du paysage. Je pense à ces magnifiques sifflements de vent dans les fils électriques… Aux surprenantes percussions d’un pic épeiche découvrant les propriétés acoustiques d’un poteau métallique en pleine forêt… Ou encore aux meuglements de tous ces animaux domestiqués, modifiés par l’homme au cours des siècles… 3

Bernie Krause est un musicien et militant écologiste états-unien. Une exposition autour de son travail sur le paysage sonore – Le Grand Orchestre des animaux – se tient jusqu’au 8 janvier 2017 à la Fondation Cartier à Paris.

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Tu travailles essentiellement dans ton environnement proche ou familier – la Lorraine, les Cévennes… – tandis que d’autres cherchent l’exotisme et le spectaculaire. Pourquoi ce choix ?

Alors que le domaine sonore semble être la dernière roue du carrosse de l’écologie, comment prendre conscience de notre impact acoustique ?

Pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que je considère que la nature à encore beaucoup à « offrir » à nos oreilles dans notre pays. J’ai la chance de vivre dans une région, la Lorraine, composée d’une diversité de milieux vraiment extraordinaire : boisés, ouverts, secs, humides, montagnards… Malheureusement, ici aussi la biodiversité s’érode considérablement ; de nombreux oiseaux notamment disparaissent de nos paysages, comme le confirment les derniers rapports sidérants de la LPO4. Par ailleurs, il s’agit d’une région peuplée et très survolée, donc considérablement impactée par les bruits de moteurs. Je souhaite contribuer, avec mes modestes moyens, aux actions de sensibilisation liées à ces questions environnementales, auprès du grand public, des scolaires et des décideurs politiques. Je prends vraiment cette mission à cœur et je m’y accroche pour ne pas sombrer dans une vision trop pessimiste – ou pire encore, fataliste – de l’avenir.

Se rendre compte que générer un son n’est jamais vraiment anodin, surtout lorsqu’il se propage dans une étendue habitée par d’autres êtres vivants… c’est déjà beaucoup. Comprendre que nous ne sommes pas les seuls à utiliser l’environnement pour échanger des messages, que ces messages sont non seulement utiles mais parfois indispensables à la survie de certains organismes… c’est beaucoup aussi. Comprendre que des sons peuvent aussi bien procurer du plaisir comme de la souffrance… qu’ils peuvent enrichir notre vie comme l’altérer… qu’ils peuvent nourrir notre imaginaire et nous aider à vivre ensemble… Les enjeux de l’éducation à l’écoute sont multiples et il y a tellement d’angles d’approche possibles.

Ensuite, il y a aussi des raisons familiales : voyager sans arrêt, comme le font certains de mes collègues, n’est pas vraiment compatible, selon moi, avec une vie de famille « équilibrée ». Enfin, par souci de cohérence aussi… Je pointe souvent les questions de « pollution sonore » et notamment les nuisances liées au trafic aérien. À chaque fois que je prends un vol (et j’avoue que cela m’arrive de plus en plus souvent depuis quelques années), je ne peux m’empêcher de penser au type qui, tout en bas, lève la tête en soupirant et en se disant de manière exaspérée : « Marre de ces avions ! ».

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Ligue de Protection des Oiseaux.

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Il y a quelques jours encore, je glanais des ambiances venteuses sur une draille cévenole. Un groupe de femmes plus ou moins âgées s’arrête à mon niveau, sans doute interpelées par mon attitude et par les bonnettes à poils. « Ah, vous captez des sons… » me disent-elles, « mais que pouvez-vous enregistrer à part le bruit du vent ? ». Je leur ai répondu quelque chose dans le genre : « Écoutez… vous entendez ce bruissement délicat des gousses de genêt agitées par le vent, juste au niveau de vos oreilles ? Et ces autres gousses qui éclatent sous l’effet de la sécheresse ? Et ces grosses sauterelles… ces éphippigères qui rythment le paysage avec leurs syllabes électriques ? Et puis ces magnifiques arcyptères aux stridulations rappelant certains jouets mécaniques ? Et là, à l’instant… les appels âpres d’un faucon hobereau en chasse ? Il y a tant à écouter et à enregistrer qu’il me faudrait pouvoir revivre une même journée durant des semaines pour en venir à bout. » Si je me fie à l’expression de leurs visages à ce moment là, je crois que j’ai réussi à faire passer ce premier message : nous sommes en permanence entourés d’une diversité de sons incroyable, aux nuances insoupçonnées.

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Évidemment, tout ne se passe pas toujours sous forme de conversations improvisées… La plupart du temps, c’est même plutôt prémédité. Il y a des techniques d’animation, des outils… c’est véritablement un métier. Mais c’est tellement difficile d’évaluer l’impact que nous avons sur la conscience et le comportement des gens… Au final, pour reprendre une image largement galvaudée, j’ai souvent le sentiment de semer des petites graines sur mon chemin, sans véritablement savoir ce qu’elles deviennent. Quoi qu’il en soit, il faut continuer.

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Et puis, le silence. La diversité des silences : il y a toujours quelque chose à écouter. À commencer par sa propre respiration, son corps en train de vivre. Tout le monde sait le faire. Le tout, c’est de prendre le temps de s’arrêter. S’arrêter de parler pour recevoir ou plutôt pour aller chercher ce que le paysage et la nature nous offrent. Une des randonneuses a poursuivi, d’elle-même : « C’est vrai, quand j’y repense, dans la châtaigneraie plus bas, il y avait ces arbres étranges qui grinçaient, des grincements tous différents, un peu comme s’ils avaient chacun leur propre voix, leur propre identité… ». Et puis la discussion s’est achevée sur ces quelques mots peut-être un peu forcés, peut-être sincères : « Maintenant, nous n’écouterons plus de la même façon… ».

Intimité avec les cervidés et leur voisinage : Brames, et autres mouvements d’automne, un album au format carte postale paru chez Ouïe/ Dire en 2012. 15 €. Auscultation des sons « électriques » des lacs gelés ou exploration d’un territoire sous toutes ses coutures ? Chants of Frozen Lakes (2008) et Cévennes (2013), CD et double-CD parus chez Kalerne, 8 € et 16 €. Les Voix animales, une série de pastilles radiophoniques réalisée avec des enfants : www. soundcloud.com/user-416099609 Et pour terminer, le site regorgeant d’informations sur ses projets en cours et de pastilles sonores à savourer : www.promeneursecoutant.fr

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petit

lexique

Le « petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique » se rapporte aux mots soulignés par une ondulation rencontrés au fil des articles. Désannonce : rituel d’adieu radiophonique. Régulièrement prise par le temps et néanmoins impossible à omettre, la désannonce se caractérise souvent par un débit de parole accéléré. Elle permet de nommer toutes les personnes, audibles ou non, ayant contribué à l’émission, donner des conseils de lecture ou d’écoute et les rendez-vous à venir. Synonyme : générique de fin. Antonyme : lancement. Field recording : eldorado sonore. Plus qu’un simple enregistrement de terrain, le field recording se place à l’affût de ce que la seule écoute peut raconter d’un territoire ou d’un motif. Il élève l’utilisation du microphone au rang d’art, faisant feu de tous sons pour construire une mise en scène auditive : pépiements d’oiseaux, fracas de turbines, bribes de conversations, grincements de portes, échos, souffles, silences. Synonyme : phonographie. Antonyme : enregistrement en studio (voir « studio »).

Régie : salle des machines. Le studio règne, mais c’est la régie qui gouverne. L’émission prend forme là, dans ce royaume des technicien·nes et des réalisateurs/trices. Séparée du studio par une vitre, la régie communique avec lui autant par la gestuelle que par les casques – et joue pleinement, avec plus ou moins de facétie ou de mauvaise humeur, son rôle de premier public. Synonyme : bocal. Antonyme : studio (voir « studio »). Reportage : prise de pouls. En agençant des mots et des sons, le reportage rapporte quelque chose de la réalité. Sa différenciation d’avec le documentaire fait l’objet de querelles récurrentes : ses détractrices/teurs le disent plus journalistique et moins élaboré. Ses avocat·es, plus réactif et moins soucieux des lauriers. Synonyme : entre micro-trottoir et… documentaire. Antonyme : revue de presse. Studio : Saint des saints radiophonique. Pièce à l’acoustique plus ou moins feutrée, où les mouvements sont savamment codifiés, et qui arbore à son seuil une intimidante lampe rouge. Île artificielle où l’on n’accède que sur invitation ou autorisation expresse. Le premier réflexe est de s’y taire. Le second, en général, de ne plus s’arrêter de parler. Synonyme : chambre d’échos ou chambre sourde. Antonyme : monde extérieur. Théâtre radiophonique : paroles sans visages et gestes sans corps dans des décors de bruit. D’abord rattachée à une pratique culturelle instituée et définie par son nouveau medium, la fiction sonore s’est ensuite affranchie des deux pour acquérir un statut à part entière. Synonyme : dramatique radiophonique. Antonyme : reportage (voir « reportage »).

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désannonce C’était Les Carnets de Syntone n°7, septembre-octobre-novembre 2016.

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Édito, par Juliette Volcler. Une image : Voix-là, par Rosalie Peeters, une création en feuilleton à retrouver de numéro en numéro. Vignettes extraites de Basic English Picture Cards 1, Sun Ya Publications, Hong Kong, 1963. Les échos de vos écoutes, par Sylvie De Roeck, Lise Baron, Laurent Pommier et Anna Raimondo. EDMON, le monde est à l’envers (« Dans les oreilles de Zoé Jadoul »), carte blanche, texte et dessins de l’autrice. Radio Baumettes, un espace de liberté en milieu fermé, texte et photos de Clément Baudet, un reportage réalisé à Marseille au mois de juin 2016. Merci à l’association socioculturelle des Baumettes, à la direction du centre pénitentiaire et au service interrégional de l’administration pénitentiaire.

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Électrochocs (de l’outre-radio), une critique de Pour en finir avec le jugement de dieu d’Antonin Artaud (1948), par Pascal Mouneyres. Peintures à l’huile sur disques 33 tours et 78 tours d’André Robèr (andre.rober.free.fr), photographiées par Émile Fondecave (emilephoto66.fr).

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Quand la radio trompe l’oreille : petite histoire des faux-semblants radiophoniques. Épisode 4 : Reconstitutions et L’Attentat en direct, un article de Juliette Volcler. Illustrations issues de la revue Sciences du Monde, La Balistique, n°67, septembre 1969. « Il y a toujours quelque chose à écouter », un entretien d’Étienne Noiseau avec l’audionaturaliste Marc Namblard réalisé en août 2016. Dessins originaux de Lénon (lenon.fr). Petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique, par Juliette Volcler et étienne Noiseau. Coordination générale / Direction de la publication : Étienne Noiseau et Juliette Volcler. Équipe de réalisation : Étienne Noiseau et Rosalie Peeters. Maquette : Anaïs Morin (anaismorin.com). Imprimé en 300 exemplaires à l’imprimerie Autre Page à Prades. Couverture : création de Rosalie Peeters (rosaliepeeters-works.blogspot.fr), imprimée en sérigraphie avec Antoine Fischer à l’Atelier Sérigrafisch à Riuferrer. La revue « Les Carnets de Syntone » est le supplément imprimé trimestriel à Syntone.fr ~ actualité et critique de l’art radiophonique. Elle est éditée par l’association Beau bruit à Prades, Pyrénées-Orientales. Contact : bienvenue@syntone.fr ISSN 2493-4623 Prix au numéro : 8 € Syntone reçoit le soutien de ses lectrices et de ses lecteurs ainsi que de la Scam. Au quotidien, lisez syntone.fr !

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