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Decazeville, terre d’accueil

Cette ancienne ville minière est réputée pour son multiculturalisme. Avant de recevoir des réfugiés ukrainiens ou syriens, elle a accueilli des Espagnols, des

Polonais, des Italiens. Ses habitants, héritiers de cette histoire, ont pour principe d’accueillir tous ceux qui en éprouvent le besoin, quelles que soient leurs origines. Par Elisa Centis

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Àcontre-courant des discours xénophobes de certains représentants politiques, il existe des communes où accueillir les étrangers est considéré comme un devoir. Decazeville, petite ville du nord de l’Aveyron, fait partie de celles-là. On peut y croiser des Afghans, des Syriens, des Comoriens, ou encore des Ukrainiens, arrivés le 18mars dernier. Ici, nul ne semble opposé à cet accueil, que défend la municipalité. Sur le marché, les voix s’expriment à l’unisson. « Je suis chrétienne. Nous sommes tous frères », assure Gisèle, 75ans. « Immigré, émigré, nous sommes tous de la même planète », confie un peu plus loin Jean-Claude, 68 ans. « Il faut accueillir tout le monde. Quelle que soit la culture des gens. Cela nous apporte une ouverture d’esprit », renchérit Aude, 43ans.

Un tissu associatif solide À Decazeville, la majorité des étrangers sont hébergés dans des structures dédiées et suivis par des associations telles qu’Accès Logement. Ce mardi matin de mai, c’est du russe et de l’ukrainien qui retentissent dans l’une des pièces de la maison qui abrite l’organisme. Plusieurs femmes sont rassemblées autour de deux employés pour remplir des dossiers administratifs. Anja Zarochiniseva, venue d’Ukraine avec ses deux enfants et sa belle-sœur, vient ici deux fois par semaine. Pour les papiers, mais aussi les cours de français, précise cette brune aux yeux bleu clair. Si elle remercie les employés de l’association, très présents depuis leur arrivée, elle se dit également stupéfaite de l’accueil des habitants. « On nous demande tout le temps si on a besoin de quelque chose. Des vêtements, de la nourriture. Une personne a même donné un vélo à mon garçon de 7 ans. » L’association dispose de logements pour les familles, les réfugiés et les personnes qui bénéficient d’une protection temporaire. Il peut arriver qu’ils soient voisins. « Tous les soirs, les enfants jouent ensemble. On entend trois à quatre langues différentes, mais ils arrivent à se comprendre », sourit Anja Zarochiniseva.

Habitat et Humanisme, mais aussi le centre communal d’action sociale de Decazeville, complètent le dispositif d’accueil pour les étrangers. Ces organismes proposent des cours de français et aident les étrangers à obtenir des formations afin qu’ils s’insèrent sur le marché de l’emploi. Moubarak Hassan, Soudanais de 29 ans, dispose désormais d’un logement et d’un emploi. Il est sorti du dispositif d’Habitat et Humanisme depuis un an et demi. Lorsqu’il se penche sur son parcours, depuis son arrivée en France en 2018, l’arrivée à Decazeville en 2020 lui apparaît comme une chance. « J’étais d’abord à Paris. C’est là que j’ai obtenu le statut de réfugié. Mais je dormais dans la rue. Puis, un jour, la police est venue. J’ai été transféré à Toulouse, avant d’être emmené à Decazeville. Ici, on m’a tout donné. Un logement, une formation pour le français. » Questionné sur le racisme qu’auraient pu exprimer des habitants devant sa peau noire, Moubarak Hassan secoue la tête : « Cela ne m’est jamais arrivé ici. » Près de lui, BadréDinne Bekkouche, employé de l’association Habitat et Humanisme, acquiesce. « Les gens sont très favorables à l’accueil ici », assure l’homme de 56 ans, arrivé dans l’ancienne cité minière en 2016. « Lors du premier programme pour les déplacés syriens en 2018, ils ont été d’une grande générosité. Et cela ne s’est pas arrêté. On reçoit encore régulièrement des dons. » Une volonté d’aider que l’on retrouve dans l’association La Boussole, qui a tout juste un an. Sylvie Remès, maraîchère bio, et Annie Gineste, secrétaire médicale à la retraite, proposent bénévolement des activités aux réfugiés et demandeurs d’asile. « Nous restons en dehors de l’administratif. On nous appelle parfois “Maman”. Nous sommes particulièrement touchées par le sort réservé aux demandeurs d’asile qui subissent une maltraitance administrative. Ils n’ont pas le droit de se former, ni de travailler durant l’étude de leur dossier. Deux ans en moyenne. » Ces valeurs d’accueil, de solidarité sont le fruit d’une histoire particulière dont « les gens sont fiers », insiste JeanFrançois Mario, membre de l’association Mescladis (mélange en occitan). « Decazeville, c’est comme une ville du Far-West. Avant l’industrie, il n’y avait rien. Puis, au milieu du xixe siècle, on a monté de bric et de broc une ville autour de la mine. Chacun a le sentiment que lui ou sa famille est arrivé là un jour, que cela soit du Cantal, du Lot, de Pologne, de Hongrie, et plus tard du Maghreb et d’Afrique. »

L’histoire comme ancrage Decazeville a été créée autour de son usine de sidérurgie, dont la construction a débuté en 1829, et de son usine de charbon. Entre 1821 et 1836, le secteur de Decazeville passe de 5 196 à 9 292 habitants. Les premiers étrangers à poser le pied dans ce que l’on appelle le « bassin houiller » (Decazeville, Aubin, Viviez, Firmi et Cransac) sont des sidérurgistes gallois. Plusieurs vagues migratoires se succèdent ensuite. Au début du xxe siècle, la compagnie minière et sidérurgique de Decazeville recrute, près des Pyrénées, des Espagnols. La Première Guerre mondiale va amplifier ce phénomène migratoire, amenant sur le bassin réfugiés belges, néerlandais, russes, arméniens, mais aussi des contingents militarisés d’étrangers venus du Maghreb ou encore de Grèce. Après la Seconde Guerre mondiale, le regroupement familial de réfugiés de la guerre civile espagnole se double d’une immigration

économique. Decazeville accueille des Italiens, des Polonais et, à partir des années 1960, des Portugais. La source se tarit cependant avec la crise des houillères (1960-1966) puis celle de la sidérométallurgie (1983-1987).

Une célébration du multiculturalisme Le passé de cette ville industrielle et multiculturelle semble effacé lorsque l’on se promène dans la ville. L’ancien bâtiment où se trouvaient les soufflantes est l’un des rares témoins de cette histoire. La mine a fermé, ainsi que l’usine de sidérurgie, « les habitants se sont rendu compte que leur seule véritable richesse, ce n’est pas le charbon, mais les gens », observe Jean-François Mario. La fête des langues qu’il organise avec les autres membres de l’association Mescladis est une véritable célébration du multiculturalisme. Durant une journée, tout le monde est invité à présenter sa langue maternelle ou celle de ses parents, ou encore de ses grands-parents. Chaque langue dispose d’un stand. « Elles sont ainsi toutes présentées à égalité. Nous voulons symboliser l’égalité des langues

«On a grandi avec des camarades de classe issus d’un brassage de nationalités, ce qui fait qu’on ne sera jamais racistes.»

dans le monde. Il n’y a pas de petite langue. On ne parle pas de dialectes, de patois. Tout est égal, car les hommes sont égaux », insiste Jean-François Mario. L’association Memoria Andando, qui entretient la mémoire de l’exil des immigrés espagnols victimes du franquisme, devrait participer à la prochaine fête le 24 septembre, comme chaque année. « On est nous-même fils et filles de plusieurs exils, économique, politique, fait observer Jean Vaz, président de l’association. On a grandi avec des camarades de classe enfants d’Espagnols, mais aussi de Polonais, Hongrois ou Italiens. Un brassage de nationalités qui fait qu’on ne sera jamais racistes. » Aujourd’hui, une vingtaine de nationalités se côtoient dans l’ancienne cité minière. C’est un peu moins que dans les années 1920-1926. On comptait alors près de trente nationalités différentes. « Les jeunes étrangers partent pour trouver un travail ou fonder un foyer, constate Annie Gineste, de l’association La Boussole. Mais on sent qu’ils étaient heureux ici. J’ai reçu récemment le message d’un jeune parti auHavre. Il écrivait : “Vous me manquez beaucoup.” »•

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