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Les femmes en tête du private banking belge

Il est un dicton populaire dans la «City» de Londres, qui dit que l’on y trouve davantage de gestionnaires de fonds masculins que féminins. En effet, les femmes restent minoritaires dans la plupart des branches du secteur financier. En Belgique, le private banking est une exception notoire, puisque ce sont souvent les femmes qui y occupent les postes les plus importants.

Nous avons rencontré cinq patronnes du secteur de la banque privée: Sabine Caudron (Degroof Petercam), Joke Reynaerts (KBC), Isabelle Verhulst (Belfius), Pascale Lommez (BNP Paribas Fortis) et Nathalie De Taeye (ING). Nous avons discuté avec elles de la bourse, de la digitalisation, des investissements durables, de la fiscalité belge et de l’importance de la «touche féminine» dans leur secteur.

Alors que les salles des marchés sont clairement dominées par les hommes, on trouve de nombreuses femmes à des postes clés dans le secteur de la banque privée. Comment expliquer ce e différence?

P.L: «La banque privée est un ‘people business’, où l’empathie joue un rôle important, alors que la salle des marchés est axée sur les produits et exige une expertise technique qui n’a ire pas les femmes. Nous le constatons également dans les résultats d’études récentes: 86% des gestionnaires d’actifs sont des hommes. Il faudrait davantage d’ouverture à la diversité des genres et l’origine des personnes pour a irer des talents et ainsi mieux servir nos clients.»

S.C: «Les services de banque privée demandent davantage d’empathie. Il faut écouter les clients, ce qui a ire davantage les femmes.»

Que pensez-vous des quotas de femmes dans les entreprises?

N.D.T: «Chez ING, nous n’avons plus besoin de quotas. Le nombre de femmes augmente naturellement. Mais dans d’autres entreprises et d’autres secteurs, il faut continuer à taper sur le clou. Pour moi, cela doit commencer sur les bancs de l’école, où nous devons continuer à insister sur l’égalité des genres afin qu’elle se reflète plus tard dans le monde du travail.»

P. L: «Nous avons mis en place un baromètre ‘Diversité et Inclusion’, qui nous permet d’agir de façon proactive. Nous avons, par exemple, pris plusieurs initiatives comme la charte ‘Jamais sans elles’, où 85 senior managers se sont engagés à refuser de participer à des panels de discussions si aucune femme n’en fait partie. Mais nous avons également des bonnes nouvelles: l’analyse des recrutements annuels révèle que nous recrutons de plus en plus de femmes chez BNP. En outre, nous constatons pour la première fois que les plafonds de verre se sont réduits chez nous par rapport aux autres années, ce qui signifie que de plus en plus de femmes accèdent à des postes de cadre et de top management.»

Sabine Caudron prend un stylo et un papier: «Je note les bonnes idées» (elle rit).

N.D.T: «La discussion sur les quotas n’est pas uniquement une question de femmes par rapport aux hommes. Il s’agit de nationalité, de culture, d’orientation sexuelle, etc. Les bonnes idées sont générées grâce à la diversité au sein d’équipes dont les membres se challengent en permanence, ce qui est essentiel.»

J.R: «En effet, dans notre métier, nous ne nous intéressons pas réellement au genre, mais aux relations avec les clients. Mais bon, c’est tellement

SABINE CAUDRON

HEAD OF PRIVATE BANKING DEGROOF PETERCAM typique que tout le monde ici s’y reconnaîtra: les femmes ont parfois besoin d’être poussées dans le dos.» (Tout le monde approuve).

C’est à l’âge de 16 ans que Sabine Caudron (57 ans) a déménagé aux États-Unis, où elle a étudié l’économie à l’Université de Californie. Dix ans plus tard, elle est revenue en Belgique et a travaillé deux ans pour l’entreprise de son père, qui fut ensuite vendue. Sur le conseil d’un Account Manager, elle a posé sa candidature à la Générale de Banque. «Je me suis retrouvée par hasard dans le secteur bancaire. Mon principal objectif n’était pas de devenir banquière, mais de travailler dans le secteur des ressources humaines.» Aujourd’hui, elle comptabilise plus de 30 ans d’expérience dans le private banking. Elle est restée pendant 18 ans à la Générale de Banque – devenue Fortis Banque et BNP Paribas Fortis – pour ensuite rejoindre une banque de niche, Puilaetco. «Pour moi, les grandes banques devenaient trop grosses.» Elle y est restée six ans, à la tête du département des ventes, pour ensuite franchir le pas vers Degroof Petercam. En mai, Sabine Caudron a été nommée Head of Private Banking. Durant son temps libre, elle aime faire de l’aviron. En 1992, elle faisait partie de la sélection pour les Jeux olympiques. Aujourd’hui, elle participe encore à des compétitions, avec les vétérans.

Est-ce vrai? Les hommes sont donc plus assertifs?

S.C: «Lorsque notre CEO m’a demandé si je voulais devenir responsable de Private banking, ma première réaction fut: ‘Suis-je véritablement la bonne personne pour ce poste ?’ Il a répondu: ‘Sabine, c’est tout de même incroyable. Un homme ne poserait même pas la question du contenu du poste et signerait le jour même. Tu as déjà tellement prouvé que tu en étais capable et malgré tout, tu me poses encore la question.»

P. L: «C’est pourquoi il est tellement important de former et de sensibiliser tout le monde à ce e problématique.»

I.V: «Mais il ne faut pas généraliser. De nombreux hommes ont également besoin d’être poussés dans le dos.»

Pensez-vous que les femmes sont de meilleures investisseuses? C’est en tout cas ce que révèlent plusieurs études.

I.V: «Cela dépend des enquêtes. Les tendances montrent qu’en général, les femmes ont des approches plus défensives et utilisent moins les plates-formes d’investissement. Le trading a ire davantage les hommes. Mais qu’est-ce

Pascale Lommez

DIRECTOR WEALTH MANAGEMENT SPECIAL SEGMENTS

BNP PARIBAS FORTIS

Pascale Lommez a 53 ans. Elle a entamé sa carrière il y a 26 ans à la Générale de Banque avant de rejoindre ensuite Mees Pierson, qui faisait également partie du groupe. Au fil des années, chez BNP Paribas Fortis, elle a gravi les échelons pour devenir directrice Wealth Management Special Segments, et diriger deux équipes au sein du Wealth Management Belgique: le Professional Wealth et le Private Institutionals. Pascal Lommez gère aujourd’hui les portefeuilles d’ordres monastiques, d’hôpitaux, d’ASBL, mais aussi d’avocats et de CEO de sociétés cotées. «C’est un travail très varié qui m’apporte beaucoup de satisfactions.»

Pendant son temps libre, elle aime se rendre à la Côte où elle s’adonne à divers sports comme le yoga, le golf et le padel.

Nathalie De Taeye

HEAD OF PRIVATE BANKING WALLONIE ING BELGIUM

Nathalie De Taeye (57 ans), a commencé sa carrière de manière atypique. Elle a suivi une formation en économie en horaire décalé alors qu’elle travaillait déjà dans le secteur financier. «Ce fut un vrai défi, mais le master en cours du soir m’a appris à me discipliner.»

Elle travaille depuis plus de 30 ans chez ING, où elle a occupé de nombreux postes. «Je change de fonction tous les trois à cinq ans. Cela me permet de rester alerte.» Aujourd’hui, elle occupe, depuis trois ans, le poste de Head of Private Banking en Wallonie. «Ce que je trouve notamment intéressant est le lien entre les patrimoines privés et les entreprises. D’un côté, il faut faire fructifier les patrimoines privés, et de l’autre, il faut financer les entreprises.»

ISABELLE VERHULST

HEAD OF WEALTH ANALYSIS AND PLANNING BELFIUS

C’est à Gand, où elle a obtenu un Master en Droit, qu’Isabelle Verhulst (47 ans) a étudié. Elle a commencé sa carrière dans un grand cabinet d’avocats anglosaxon pour ensuite rejoindre Deloitte. Elle a rejoint Belfius il y a douze ans. Aujourd’hui, elle occupe le poste de Head of Wealth Analysis and Planning chez Belfius et siège au conseil d’administration de la Private Banking Association. En parallèle, elle a également obtenu un Master à la Vlerick Business School. Un parcours atypique, mais Isabelle Verhulst a trouvé sa vocation dans la gestion privée. «Vous êtes en prise directe avec ce que vous faites, proche des gens et du marché. Vous n’avez pas l’impression d’être dans une tour d’ivoire», avoue-t-elle.

Joke Reynaerts

GENERAL MANAGER KBC PRIVATE BANKING AND WEALTH

Joke Reynaerts a rejoint KBC il y a 16 ans. C’est là qu’elle a connu son premier coup de foudre professionnel: la gestion d’actifs. Elle a ensuite occupé plusieurs postes dans le domaine de la transformation digitale et de l’expérience client digitale. Joke Reynaerts aime voyager. Elle estime qu’il est important «d’élargir ses horizons». Elle a vécu jusqu’à l’an dernier avec toute sa famille en Irlande, où elle occupait le poste de Chief Commercial O icer. Elle utilise aujourd’hui son sac à dos, rempli d’expériences, dans sa nouvelle fonction de General Manager Private Banking et Wealth Management chez KBC. Ce qui lui plaît dans son travail? «Les contacts humains. Chaque client a sa propre histoire», confie-t-elle. Elle s’intéresse aussi à la transformation digitale, à laquelle elle a participé pour améliorer encore les services fournis par les banquiers privés. «Les technologies sont aujourd’hui au point, mais elles n’ont pas fini de s’améliorer.» qu’un bon investisseur? Cela dépend du but recherché: quel rendement souhaitez-vous obtenir et à quel horizon de temps?»

N.D.T: «Nous sommes différents. Les femmes ont généralement d’autres priorités. J’ai rarement rencontré une femme qui ne se préoccupe pas de la planification patrimoniale pour ses enfants. Chez les hommes, en revanche, la planification patrimoniale est secondaire. Le rendement occupe la première place. Mais nous ne pouvons tirer aucune conclusion quant à savoir qui des hommes ou des femmes sont les meilleurs investisseurs.»

J.R: «Les données de notre plate-forme d’investissement Bolero (KBC) montrent que les hommes sont plus prétentieux. Les femmes reconnaîtront plus facilement qu’elles se sont trompées et prendront leurs pertes, tandis que les hommes s’obstineront à dire qu’ils ont raison et n’en démordront pas. En outre, les femmes optent aussi davantage pour les entreprises où elles se sentent bien.»

Si on compare avec d’autres pays, on peut dire que les Belges aiment dormir sur leurs deux oreilles et n’aiment pas prendre des risques. Sont-ils allergiques au risque?

S.C: «C’est particulièrement vrai si on nous compare avec le monde anglo-saxon. Les Américains investissent beaucoup moins

JOKE REYNAERTS GENERAL MANAGER (KBC PRIVATE BANKING dans des obligations et beaucoup plus dans des actions. En règle générale, les Belges ont un profil plus défensif que celui de l’Américain moyen.»

J.R: «Pour la plupart des Belges fortunés, le rendement n’est pas le plus important, contrairement à d’autres pays. En Belgique, ce qui compte le plus est la protection du patrimoine familial. Cela fait partie de l’ADN des Belges, un peu comme la brique.»

Votre secteur est-il concurrentiel lorsqu’il s’agit d’a irer de nouveaux clients?

I.V: «Nous ne pouvons pas dire que nous ne sommes pas des concurrentes. Mais chaque institution a son propre ADN et ce dernier joue un rôle important. Un client doit pouvoir se retrouver dans sa banque.»

J.R: «La différence ne se situe pas tant dans ce que nous faisons que dans la manière dont nous le faisons. En outre, on trouve aussi des investisseurs qui sont clients auprès de plusieurs banques privées parce qu’ils souhaitent bénéficier d’approches différentes. Et ceux qui deviennent clients le restent souvent très longtemps, parfois même de génération en génération.»

Les investissements durables dans ce qu’on appelle les fonds ESG (Environnement, Société et Gouvernance) sont de plus en plus populaires, mais ils sont sujets à discussion. Qu’en pensent vos clients?

P.L: «Chez BNP Paribas Fortis, la durabilité et les investissements durables sont inscrits dans notre ADN. De plus en plus de clients, y compris les jeunes, s’intéressent aux investissements ayant un impact positif. Il n’y a aucune contradiction entre un beau rendement et les objectifs ESG. Au contraire, la recherche démontre également que les investissements dans les entreprises durables obtiennent le même rendement, mais avec moins de volatilité. En tant que banque, nous voulons continuer à miser sur ce e tendance et nous travaillons activement sur des thèmes tels que la transition vers la neutralité carbone, la biodiversité, l’économie circulaire et l’inclusion.»

S.C: «Les premières personnes à m’avoir parlé d’ESG étaient des femmes. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune différence. Mais nous sommes davantage proactives. Certains clients nous demandent ‘mais avec quoi venez-vous encore?’ Dans ce cas, nous devons leur expliquer qu’il s’agit d’une nouvelle obligation légale et beaucoup d’entre eux réagissent en disant que cela ne les intéresse pas. Que c’est à eux de décider et pas à la banque. En tant que banque d’investissement, nous estimons que nous

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