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Équilibrez votre amour pour l’art et sa place dans votre portefeuille
«Le rôle majeur joué par les personnes qui investissent dans l’art est de protéger le patrimoine artistique et de soutenir les artistes», estime Eugénie Dumont, conseillère en art chez Degroof Petercam. Au-delà de ces objectifs, l’art peut aussi être un bon outil de diversification.
DIRK SELLESLAGH
En 2022, plusieurs grandes collections d’art privées ont été vendues aux enchères. L’événement le plus notoire fut la vente de la collection du cofondateur de Microsoft, Paul Allen, décédé en 2018, chez Christie’s. Ce e dernière a rapporté 1,62 milliard de dollars, un record absolu.
À Paris, Christie’s a vendu la collection du styliste Hubert de Givenchy, décédé la même année, pour 114 millions d’euros, alors que la collection avait été évaluée à la moitié. En 2022 également, le milliardaire japonais Yusaku Maezawa a vendu, via la maison d’enchères Phillips, une toile de Jean-Michel Basquiat pour 85 millions de dollars. Il l’avait acquise en 2016 pour 57 millions de dollars.
Flair et patience
Ces ventes records ne peuvent toutefois conduire à la conclusion qu’investir dans l’art mène tout droit à des gains importants. Il faut bien connaître la demande et faire preuve de suffisamment de patience pour laisser fructifier ses investissements.
Depuis 2000, l’Artprice 100 Index, un des principaux indices du marché de l’art, fait beaucoup mieux que le S&P 500. Il a enregistré en 2022 un rendement de 3%, tandis que l’indice phare américain cédait 19%. Cet indice ne reprend que la crème du marché de l’art, c’est-à-dire les 100 artistes ayant obtenu les plus importants revenus de ventes aux enchères au cours des cinq dernières années. En outre, ils ne sont repris dans l’indice que si au moins dix de leurs œuvres sont mises aux enchères chaque année. Si l’on s’en tient à ces critères, il ne reste que les artistes susceptibles d’a irer des collectionneurs fortunés, comme Picasso – qui continue à caracoler en tête de l’indice – et d’autres grands noms comme Monet, David Hockney et Banksy.
L’indice Artprice Global – plus large – ne s’en sort pas aussi bien et a enregistré l’an dernier une baisse de 18%.
Un outil imparfait
Eugénie Dumont, Art Advisory Manager chez Degroof Petercam, souligne les lacunes de ces indices. «Ces indices sont basés sur les prix des ventes aux enchères et ne disent rien de la probabilité de trouver un acheteur pour une œuvre individuelle. En outre, ils n’indiquent pas si une œuvre a perdu de la valeur au cours des années précédentes.»
Par exemple, «La montagne Sainte-Victoire» de Paul Cézanne, qui faisait partie de la collection de Paul Allen, a trouvé acquéreur l’an dernier pour 137,8 millions de dollars, ce qui représente une plus-value importante par rapport aux 38,5 millions de dollars déboursés par Paul Allen. Au cours de la même période, un autre Cézanne, «La maison au chou à Pontoise», s’est vendu chez Christie’s à New York pour 3,7 millions de dollars. Ce e peinture avait été achetée en 2007 pour 6,8 millions de dollars. Un Cézanne n’est donc pas l’autre.
Selon Eugénie Dumont, il ne faut pas trop se laisser influencer par les indices, qui donnent une image imparfaite de l’évolution des prix. «En marge des ventes publiques, il y a aussi un marché privé», explique-t-elle. «Lorsqu’un collectionneur est déterminé à acheter une œuvre, il fait appel à des intermédiaires qui la trouveront dans les collections privées. Ces transactions ne sont pas reprises dans les indices. Les données sur les ventes d’œuvres d’art dans les nombreuses galeries sont peu nombreuses et/ou ne sont pas rendues publiques. Le marché de l’art est très opaque et complexe.»
Tendances
Ceux qui souhaitent investir dans l’art doivent absolument se faire conseiller sur les tendances. Aujourd’hui, les artistes contemporains s’en sortent de mieux en mieux. Il s’agit d’un segment très dynamique, entièrement basé sur l’offre et la demande. De plus en plus d’artistes contemporains se retrouvent dans l’Artprice100 Index, de Basquiat à Gerhard Richter, en passant par Jeff Koons et Georg Baselitz. Il n’empêche que les impressionnistes français du XIXe siècle occupent toujours une place importante sur le marché de l’art. Mais la plupart de ces œuvres se trouvent dans des musées ou dans des collections privées, et représentent aujourd’hui une partie très illiquide du marché.
«Dans le cas d’œuvres d’artistes vivants, il faut tenir compte de l’existence, en plus du marché secondaire, d’un marché primaire, c’est-à-dire directement chez les artistes», poursuit Eugénie Dumont. «Au vu de l’existence parallèle de ces deux marchés, il est important de les comparer pour éviter de payer trop cher sur le marché secondaire. Mais le marché primaire est tellement fermé qu’il est difficile d’y accéder. Il faut travailler avec des conseillers qui connaissent bien le secteur et sont en contact avec les artistes.»
Ceux qui souhaitent obtenir des garanties en matière d’investissement dans l’art se retrouvent en général avec les chefs-d’oeuvre des noms les plus célèbres. «Ces types d’œuvres d’art ont généralement déjà beaucoup circulé et affichent un historique qui permet d’évaluer plus facilement leur évolution future», précise-t-elle. «Cela réduit le risque mais implique que vous vous retrouvez alors avec des œuvres de grande valeur qui ne sont accessibles qu’aux grands patrimoines.»
Investir dans l’art en passant par une galerie a pour inconvénient que la plupart des œuvres proposées n’ont pas d’historique – ou alors un historique très bref. «Ce type d’investissement est très risqué», prévient-elle. «Avec ces œuvres, le côté émotionnel est plus important. Il faut apprécier l’œuvre et se demander si on l’aimera encore dans dix ans.»
«Lassitude»
Même les œuvres célèbres ne peuvent être vendues à tout moment. Les chefs-d’œuvre contemporains sont en moyenne proposés aux enchères tous les neuf ans. «Plus une œuvre reste longtemps aux mains d’un collectionneur – et est éventuellement exposée dans un musée – plus sa valeur augmente», assure Eugénie Dumont. «Si une œuvre change trop souvent de propriétaire, sa valeur n’augmentera pas aussi rapidement, car elle pourra être victime d’une certaine ‘lassitude’ de la part des collectionneurs.»
Enfin, il faut éviter d’appliquer la logique des marchés financiers au marché de l’art. Il est intéressant d’investir entre 5 et 10% de son patrimoine dans l’art parce que ce segment est décorrélé des autres actifs, ce qui en fait un outil de diversification. Mais pour Eugénie Dumont, «le principal rôle d’un investisseur dans l’art est de protéger le patrimoine artistique et de soutenir les artistes. Aucun artiste ne peint pour devenir une sorte d’action dans laquelle on investit.»
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