été 2022
THE
PRIVATE BANKER
Steven Van Belleghem “Les banquiers privés doivent travailler avec le cœur” Steven Van Belleghem, expert de l’expérience client et de l’orientation client, se penche sur l’avenir de la banque privée.
Prix par numéro pour les non-membres: 10€
p. 2
Private Bankers Association
Édito
Les banquiers privés vivent des “Changing Times”, pour paraphraser Bob Dylan. L’essentiel de ce que nous avons considéré comme établi pendant des années s’est vu remis en question, pour nous autant que pour nos clients. Dans ce contexte disruptif, notre secteur se prépare à de nouveaux changements. Inspirées ou non par les évolutions environnementales et sociales, les innovations techniques se multiplient. Ces innovations techniques pourraient avoir un réel impact sur l’écosystème dans lequel évoluent les banquiers spécialisés servant une clientèle fortunée. Dans son discours tenu lors de notre récente fête d’anniversaire, Steven Van Belleghem, l’orateur invité, a livré un aperçu de plusieurs idées qu’il développe dans ce numéro. Dans cette édition de The Private Banker, vous trouverez également une première ébauche de ce que pourrait être l’avenir de la banque privée. Nous avons l’intention d’approfondir ce thème dans les prochains numéros. Voilà pour le futur; quant au passé récent, vous pourrez revivre en photos notre fête d’anniversaire et découvrir les commentaires inspirants que nous avons recueillis auprès de nos invités enthousiastes. Il ne me reste plus qu’à souhaiter la bienvenue à CBP Quilvest, nouveau membre de notre association, et à formuler le vœu que vous ayez tous un bel été, au cours duquel chacun pourra recharger ses batteries pour un automne qui s’annonce passionnant.
Peter Van der Smissen Secrétaire général de la PBA-B
Sommaire “ The future of private 04 banking”
Interview – Steven Van Belleghem
Ours The Private Banker est le magazine trimestriel des membres de la Private Bankers Association Belgium. Rédacteur en chef et éditeur responsable: Peter Van der Smissen Rédaction: Content Republic https://trustmedia.be/services Numéro 4: juin 2022 Photo de couverture: ©DOC
06 Glissement vers des fonds
plus rentables en réaction à la situation géopolitique? Actualité
p. 3
©shutterstock
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08 Il faut éduquer autour des
cryptomonnaies et des NFT
Gerrie Smits - stratège en innovation
10 Retour au cœur du métier: la valeur ajoutée Expert – Christophe Floren
11 Notre fête d’anniversaire en images
U n reportage photo festif, illustré de citations inspirantes des invités et de leur entourage.
Agenda 06 septembre 2022
Formation Investment Management - début des cours du groupe NL
08 septembre 2022
Investment Management - début des cours du groupe FR
p. 4
Private Bankers Association
IN T ER V IE W - ST E V EN VAN BEL L E GH EM - T H E F U T URE O F PR I VAT E B AN K I N G
“Les banquiers privés doivent travailler
© DOC
avec le cœur”
À l’occasion de son discours délivré lors de la soirée de la Private Bankers Association Belgium, Steven Van Belleghem, expert de l’expérience client et de l’orientation client, s’est penché sur l’avenir de la banque privée. Selon lui, il est de plus en plus difficile de servir le client car ses attentes sont chaque jour plus élevées. Malgré tous les bienfaits de la technologie, le facteur humain demeure ici crucial. Pour The Private Banker, il revient sur cinq de ses affirmations.
La dimension relationnelle de la banque privée est absolument essentielle. Dans le même temps, la crise sanitaire a donné un élan considérable à la communication virtuelle. Considérez-vous cette technologie comme une solution d’urgence ou les banquiers privés doivent-ils pleinement l’adopter? Steven Van Belleghem: ‘“Je ne pense pas que la discussion doive porter sur le canal. Au sein de nombreuses entreprises, l’accent est trop souvent placé sur le choix entre numérique et physique. Ce faisant, elles accordent trop peu d’attention à la valeur ajoutée de ces deux supports. Pour apporter une valeur ajoutée, plusieurs éléments sont indispensables. D’abord, la proximité avec le client, mais d’une façon qui ne le perturbe pas. Ensuite, le banquier privé doit offrir une valeur ajoutée au bon moment, par exemple lorsque le client est confronté à une décision difficile ou traverse un moment déterminant de sa vie. Il revient alors au banquier privé de lui fournir proactivement les bons conseils. Que cela se fasse par le biais d’une réunion zoom ou au domicile du client est d’une importance secondaire, pour moi. Par ailleurs, le choix varie d’un client à l’autre. Certains
préfèrent que le banquier privé leur rende visite à domicile, d’autres jugent la voie numérique plus efficace.”
Il est plus difficile désormais de servir le client. Pour quelles raisons, selon vous? Steven Van Belleghem: “Autrefois, il suffisait d’avoir un bon produit, une bonne communication et un bon service. Aujourd’hui, les clients attendent toujours plus. Un bon produit et un bon service à un prix compétitif sont des conditions nécessaires mais plus suffisantes. Pour les clients qui travaillent en mode numérique, la technologie doit être pratique et conviviale, afin qu’ils n’aient pas à réfléchir à son fonctionnement exact. Cette digital convenience a nettement plus de poids qu’il y a 10 ans. Les clients souhaitent également une gamme de services plus large: ils veulent pouvoir s’adresser à leur banquier pour tous les aspects majeurs de leur vie, même quand ces derniers ne sont pas directement liés à leurs finances. Enfin, on constate une montée en puissance de tout ce qui tourne autour du ‘socialement responsable’. Les clients exigent des entreprises qu’elles fassent partie de la solution. Et de fait, si les entreprises ne font pas
Affirmation
1
From ‘work with your hands’ to ‘work with your mind’ … and to stay successful in the future: ‘work from your heart’
Steven Van Belleghem: “Autrefois, les individus travaillaient avec leurs mains; à présent, ils travaillent avec leur esprit. Les ordinateurs sont capables de toujours plus, l’automatisation se développe et l’intelligence artificielle se fait chaque année plus performante. L’étape suivante consiste à permettre aux individus d’exceller dans les domaines que les ordinateurs ne maîtrisent pas, à savoir la dimension émotionnelle. Le banquier privé devra posséder davantage de compétences générales et travailler avec le cœur. Cette approche personnelle est cruciale: surprendre le client de manière positive, faire preuve de bonté, ne pas s’en tenir forcément au scénario et sortir des sentiers battus dans l’intérêt du client. Ce sont là autant de descriptions du ‘travail du cœur’. C’est ici que les banquiers privés se différencieront dans les années à venir. Et certainement dans leurs services au client.”
Affirmation
2
Become a friction hunter/ It’s not a question of saving time but of enhancing the time of our client
Steven Van Belleghem: “Je demande toujours aux entreprises de faire de chaque employé un ‘chasseur de frictions’. Les collaborateurs doivent supprimer les éléments gênants qui font perdre du temps au client, créent une incertitude ou sont trop complexes. Le temps est en effet la ressource la plus rare dont nous disposons. En tant que banquier privé, vous avez deux possibilités. D’une part, vous pouvez gagner du temps et rendre la vie de votre client plus efficace en traquant ces frictions. De l’autre, vous pouvez ajouter de la valeur (enhancing the time) en offrant plus de pertinence. C’est la philosophie du pique-bœuf sur le dos du rhinocéros (voir affirmation 3).”
Affirmation
3
Soyez le pique-bœuf sur le dos du rhinocéros.
Steven Van Belleghem: “Les pique-bœufs sont des oiseaux qui se posent sur le dos du rhinocéros. Ils ne se contentent pas de manger les parasites du rhinocéros: ils ont aussi un rôle de lanceur d’alerte, en quelque sorte. Les rhinocéros n’ont pas une très bonne vue ni un odorat très développé, tandis que les oiseaux voient les prédateurs venir de loin et émettent le cas échéant un son différent. Le rhinocéros sait alors que le danger guette et
qu’il faut s’enfuir. J’aime utiliser cette métaphore pour les quatre éléments que je viens d’énumérer. Tout comme le pique-bœuf, le banquier privé est toujours présent, il ne perturbe pas et offre une valeur ajoutée au bon moment. Ce doit être l’objectif des entreprises à l’heure actuelle. La valeur ajoutée du banquier privé réside dans son rôle de partenaire dans la vie et pas uniquement au niveau de la banque. Les particuliers ont parfois des préoccupations dont ils ne souhaitent pas discuter avec tout le monde au motif qu’elles sont trop personnelles. Il peut s’agir d’argent mais aussi d’héritages, de situations familiales et de problèmes d’ordre juridique. Ils ont besoin d’un confident qui puisse les aider. En fin de compte, l’argent est parqué dans un fonds d’investissement que le banquier privé ne peut pas modifier – c’est le travail d’autres personnes. La véritable valeur ajoutée des gestionnaires de relations réside précisément dans les questions qui vont audelà de ces fonds d’investissement. C’est là qu’ils peuvent être les pique-bœufs de leurs clients. S’ils comprennent vraiment ces derniers et savent ce qui est important pour eux, ils peuvent répondre de manière judicieuse et personnelle à leurs interrogations.”
“Tout comme le pique-bœuf, le banquier privé est toujours là, il ne perturbe pas mais offre une valeur ajoutée au bon moment.” Steven Van Belleghem, expert en customer experience chez Nexxworks
Affirmation
4
Boost in empathy
Steven Van Belleghem: “Les banquiers privés doivent comprendre le client, le ‘sentir’ et lui répondre. C’est pourquoi la banque ne devrait pas imposer aux banquiers privés trop de règles et de scripts, mais leur demander d’écouter les préoccupations de leurs clients et, en fonction de ce que ceux-ci évoquent, proposer leur aide. De cette manière, ils peuvent élaborer une approche personnelle pour chaque client. La force du gestionnaire de relations réside dans cette empathie et cette humanité, et dans le fait d’agir au mieux en réponse à ce qu’il perçoit.”
Affirmation
5
Computers deliver, humans over-deliver
Steven Van Belleghem: “À long terme, la seule chose qui distingue l’homme de la machine, c’est qu’il peut s’écarter du scénario prévu. La machine n’en est pas capable! Les entreprises qui élaborent des scripts pour leurs employés les assimilent à des robots ou à des ordinateurs. Avant tout, les employés doivent avoir la liberté et l’autonomie de prendre des décisions dont ils pensent qu’elles seront bénéfiques pour les personnes avec lesquelles ils travaillent.”
© Dan Taylor
partie de la solution, elles deviennent progressivement une partie du problème.”
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© Dan Taylor
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“La banque ne devrait pas imposer aux banquiers privés trop de règles et de scripts, mais leur demander d’écouter les préoccupations de leurs clients.” Steven Van Belleghem, expert en customer experience chez Nexxworks
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AC T UALIT É
Glissement vers des fonds plus rentables en réaction à la situation géopolitique?
©©Frank FrankToussaint Toussaint
Selon le type de conflit, la géopolitique a un impact sur les investissements. L’analyste financier Pascal Paepen ne s’attend pas à une vague conservatrice à présent que des pays comme la Russie et la Chine sont considérés comme plus risqués. Il entrevoit toutefois un ralentissement de la tendance ESG… mais un ralentissement temporaire: “Bien que l’on assiste à une réorientation vers des fonds actuellement plus rentables, comme les combustibles fossiles et l’armement, l’ESG est une tendance appelée à durer.”
Quelle est l’influence de la situation géopolitique sur les investissements? Pascal Paepen: “Elle a un impact à plusieurs niveaux. Certains conflits sont plus graves que d’autres. En ce moment, bien sûr, nous traversons une période de conflit sérieux à la suite de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Dans les pays qui exportent leur pétrole, leur gaz et leurs produits agricoles soit vers l’Occident, soit vers les autres grandes économies, l’incertitude et les obstacles à l’approvisionnement constituent un problème supplémentaire. Par conséquent, les prix augmentent, ce qui entraîne une inflation ou une érosion des marges bénéficiaires des entreprises. Ce n’est jamais bon signe. Un conflit dans un pays comme la Corée du Nord est généralement moins problématique, car le pays est déjà en quelque sorte coupé du monde. La situation ne devient épineuse que lorsque le ton durcit ou que les analystes ou les spécialistes de la Corée du Nord craignent que le geste soit joint à la
parole. Si des tensions et des incertitudes peuvent naître, le conflit a quoi qu’il en soit moins d’impact sur le cours économique des événements. Nous ne sommes pas dépendants de la Corée du Nord pour le pétrole ou toute autre denrée importante.”
Faut-il dès lors s’attendre à une vague conservatrice en faveur des investissements belges, européens ou occidentaux, à présent que des pays comme la Russie et la Chine sont jugés plus risqués? Pascal Paepen: “Pas nécessairement. La Russie est un pays en croissance et reste, à bien des égards, un pays en développement. La prospérité générale y est inférieure à celle de la Chine. L’économie russe n’est guère variée, par ailleurs. La Russie est avant tout une nation exportatrice de pétrole et de gaz. C’est de là qu’elle tire ses revenus. Les pays émergents recèlent un potentiel évident, car ils sont souvent relativement
“Je n’ai aucun problème avec les combustibles fossiles tels que le pétrole. Je comprends que l’on veuille s’en débarrasser, mais dans le même temps, nous sommes toujours très nombreux à conduire des voitures et à faire le plein.” Pascal Paepen, analyste financier
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pauvres et continuent de progresser vers nos propres niveaux de prospérité. Ceci étant dit, ce potentiel accru s’accompagne de risques, et notamment de risques géopolitiques. Les pays en croissance ont fréquemment des structures politiques instables et ne sont pas organisés comme nous dans une démocratie.
Certains affirment que la tendance ESG s’affaiblit quelque peu au profit de fonds actuellement rentables comme les combustibles fossiles et l’armement.
éthiquement responsable? L’ESG est une tendance majeure mais elle ne compte pas parmi les secteurs les plus performants, pour le moment. Effectivement, ce sont surtout les actions du secteur de l’énergie qui se sont bien comportées ces derniers mois; or, elles ne figurent pas dans les fonds ESG. Je n’ai aucun problème avec les combustibles fossiles tels que le pétrole. Je comprends que l’on veuille s’en débarrasser, mais dans le même temps, nous sommes toujours très nombreux à conduire des voitures et à faire le plein. Il ne faut pas se voiler la face! Berkshire Hathaway, la holding du grand investisseur américain Warren Buffett, a investi 50 milliards au cours des trois premiers mois de cette année, principalement dans des actions pétrolières comme Occidental Petroleum et Chevron. Charlie Munger, le bras droit de Warren Buffett, pense que les actions pétrolières vont continuer à prendre de la hauteur. C’est étonnant, car lorsque l’économie ralentira à nouveau, la demande sera moins soutenue. Ensuite, les prix repartiront à la baisse, selon moi. Pour autant, Munger est convaincu que le pétrole devient rare et que nous continuerons à en avoir besoin. Munger et Buffett comptent parmi les meilleurs investisseurs du monde.
Pascal Paepen: “Ces dernières années, la principale question a porté sur la durabilité de l’investissement. Celui-ci est-il
Pour les armes, c’est une autre paire de manches. Je reste intraitable à l’égard de ce secteur. À mes yeux, il ne faut pas
investir dans des entreprises qui tuent des gens. Pourtant, d’aucuns suggèrent qu’en tant que pays, nous devrions investir dans l’appareil militaire. Certains investisseurs sont donc tentés d’intervenir malgré tout. Autrement dit, la durabilité et l’éthique sont des matières vivantes: on ne peut établir une liste définitive de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas. C’est d’ailleurs une discussion intéressante. L’entreprise qui licencie des employés, par exemple, agirait contrairement à l’éthique, selon les uns. Mais les autres souligneront que, sans licenciements, cette entreprise finirait par faire faillite! L’échelle de valeurs varie selon les individus. Dans le monde bancaire, nous travaillons avec des labels, comme le label Febelfin. Nous n’avons aucun problème avec l’énergie nucléaire, pas plus que la majorité de la population. Politiquement, c’est différent. L’énergie nucléaire serait directement écartée des investissements durables. Manifestement, cette échelle de valeurs est en train de changer pour tout ce qui touche au pétrole et aux armes.”
Mais ne pensez-vous pas que la tendance ESG n’a pas de réelle utilité? Pascal Paepen: “Au contraire. Si vous observez le long terme – et investir est une activité de long terme –, le durable est le seul choix possible. Les entreprises doivent tenir compte de l’environnement et des normes, payer des impôts, ne pas verser de pots-de-vin, respecter leurs employés et leurs clients, et ne pas fabriquer de produits qui se dégradent ou sont nocifs pour la santé. En tant qu’entreprise polluante, vous savez que, tôt ou tard, vous devrez en payer le prix. Regardez Volkswagen, avec son logiciel falsificateur. Ce scandale a coûté des milliards à l’entreprise et porté atteinte à sa réputation. Le Roundup, mis au point par la société américaine Monsanto, a été racheté par Bayer. L’entreprise l’a payé de plusieurs manières, sous la forme d’amendes, de poursuites judiciaires et de pertes de temps de gestion. Vous ne voudriez tout de même pas placer votre argent dans une entreprise dont la direction est constamment en procès ou tente de rétablir sa réputation… Une bonne entreprise est tournée vers l’avenir et l’innovation. Si vous n’êtes pas correct ou durable dans un certain nombre de domaines, vous allez droit dans le mur. Tôt ou tard, la facture sera présentée à la fois à l’entreprise et à l’investisseur. Il faut donc exiger que la gestion soit correcte, que la qualité des produits soit au rendezvous et que, en cas de problème, ces produits puissent être retirés des rayons sans délai. L’entreprise doit respecter ses employés, ses actionnaires et l’environnement. En tant qu’investisseur, ce que vous visez, c’est la durabilité, et non des conflits ou des problèmes permanents. Entreprendre est déjà assez risqué comme cela.”
© Frank Toussaint
D’autre part, le panier des pays émergents demeure diversifié. La Russie n’en représente qu’une petite partie, environ 2%. Lorsqu’on sait que l’investisseur le plus dynamique, par exemple, investit peut-être 20% de ses actifs dans les pays émergents et le reste dans des économies plus matures comme l’Amérique, l’Europe et le Japon, au final seuls 2% de ces 20% vont en Russie. Même si ces 2% équivalaient à zéro, le portefeuille des marchés émergents resterait inchangé à 98%. Cette diversification permet de compenser les événements en Chine lorsque la situation est légèrement plus clémente au Brésil ou dans d’autres pays.”
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D OS SIER T E CHN OLO G IE
Il faut éduquer
autour
Cryptomonnaies, blockchain, métavers, NFT… Ces dernières années, les nouvelles technologies ont inondé notre quotidien. Simple phénomène de mode ou tendance appelée à perdurer? Et qu’impliquent-elles pour le banquier privé? “Ce sont autant d’actifs numériques qui arrivent sur le marché”, souligne Gerrie Smits, stratège en innovation. Une étude de la Banque centrale européenne (BCE) révèle que les cryptomonnaies ne sont plus une niche. En Belgique, une famille sur dix – et souvent plusieurs membres d’une même famille – posséderait des cryptomonnaies. Ce sont pour la plupart de petits investisseurs: une majorité d’entre eux possèdent moins de 5.000 euros de cryptoactifs, un grand groupe en détenant pour moins de 1.000 euros. “Le taux d’adoption est actuellement de 10%, en effet”, confirme Gerrie Smits. “Il s’agit d’un nouvel actif numérique, créé à partir de la technologie de la blockchain. Il existe un marché pour ces actifs, et certaines personnes gagnent même pas mal d’argent sur ces investissements.” Les investisseurs s’intéressent très logiquement aux moyens rapides de réaliser un profit, quand le compte d’épargne ou l’emprunt obligataire ne rapportent plus rien. Mais le fait qu’ils puissent aussi perdre beaucoup d’argent est apparu clairement en mai avec le krach de LUNA, le token de la blockchain Terra. Le cryptomarché a alors vu des milliards de dollars partir en fumée. La BCE a lancé des avertissements à ce sujet à plusieurs reprises: les cryptomonnaies seraient trop volatiles et représenteraient un risque pour la stabilité du système financier. La Banque centrale européenne préconise de réglementer le commerce des cryptomonnaies. Dans la mesure où les transactions sont largement anonymes, elles servent en effet régulièrement pour des activités criminelles.
Réglementation “Les cryptomonnaies ont mauvaise presse”, admet Gerrie Smits. “Et c’est fréquemment justifié… mais pas toujours. La BCE considère les cryptomonnaies comme une menace pour la stabilité financière, c’est vrai. Mais le Parlement européen prend des mesures visant à élaborer des réglementations
qui maintiennent les cryptomonnaies dans un cadre, sans les interdire. En particulier, une législation est nécessaire dans le contexte des règles de traçabilité de l’argent et de lutte contre le blanchiment.” Gerrie Smits nuance l’idée selon laquelle les cryptomonnaies constituent une menace pour la stabilité financière. “Les investisseurs doivent être protégés, bien sûr, mais ces outils sont très différents des prêts hypothécaires américains de pacotille qui ont provoqué la crise financière de 2008. Le monde des cryptomonnaies se compose de dizaines de milliers de projets, qui ont tous leur propre microéconomie et leur propre monnaie. Bien que l’un des plus grands projets – LUNA, du Coréen Do Kwon – se soit effondré, le reste du monde de la cryptomonnaie a continué ses activités. C’est une grande différence avec la crise financière. Les cryptomonnaies ont une fonctionnalité, aussi vague soit-elle parfois. Si l’une d’elles tombe, les autres survivent. Nombre de ces projets ont une véritable vision de la société et visent une répartition équitable. Il n’y a pas que des fraudeurs! Il est important de le souligner.”
NFT Tout n’est d’ailleurs pas toujours lié à l’argent. La tokenisation, par exemple, consiste à représenter un objet de valeur par un jeton numérique unique. “Une ‘chose’ se voit attribuer une identité numérique, après quoi elle peut être transférée de manière irréfutable à une autre partie sous certaines conditions”, éclaire Gerrie Smits. Ce sont les NFT, ou Non-Fungible Tokens (jetons non fongibles). “Ils relèvent encore du phénomène de mode, ils sont davantage une niche que les cryptomonnaies, mais je crois que les concepts qui sous-tendent les NFT, à savoir des actifs numériques uniques, ont un potentiel. Beaucoup de questions continuent de se poser. Faut-il les utiliser comme un investissement? Quelle attitude
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une banque privée adopte-t-elle à leur égard? A-t-elle suffisamment de connaissances en la matière? Le particulier doit-il gérer lui-même ces actifs ou plutôt investir dans des fonds NFT? Voire en créer lui-même? Plusieurs étapes doivent être franchies. Mais je ne pense pas que ce soit pour tout de suite. Nous traversons actuellement un marché baissier avec les cryptomonnaies. Ceci étant dit, les plus intéressés commencent clairement à imaginer des use cases…”
“Les technologies ne changeront pas le noyau du secteur de la banque privée mais viendront s’y greffer.”
Bored Apes Les plus connus des NFT sont les Bored Apes, qui sont au nombre de dix mille environ. Il s’agit de JPEG de singes, chacun avec sa propre expression faciale, sa tenue et son décor. Les œuvres d’art numériques de ces singes sont achetées en cryptomonnaies. “Avec ce token, dont l’unicité est prouvée, les propriétaires adhèrent à une communauté: le Bored Ape Yacht Club. Ce sont des adhérents précoces au système, qui ont à ce titre accès à certains avantages ou récompenses.”
Gerrie Smits, stratège en innovation
Le développeur de cette communauté, Yuga Labs, a construit un métavers où les propriétaires d’un Bored Ape peuvent payer avec des ApeCoin. “Le métavers est un réseau en ligne de mondes en 3D contenant des avatars – la définition évolue avec lui”, déclare Gerrie Smits. “C’est une sorte d’extension de l’internet, une réalité alternative dans laquelle on va travailler, se rencontrer ou avoir une activité de loisir. De grandes entreprises telles que Microsoft et Facebook y travaillent déjà.” Gerrie Smits pense que le marché du NFT pourrait devenir semblable au marché de l’art. En Belgique, le Musée royal des beauxarts d’Anvers a déjà déployé un Art Security Token (AST). Les gens peuvent acheter des parts virtuelles (150 euros chacune) du Carnaval de Binche, un tableau de James Ensor. “Les cryptomonnaies et les NFT sont des flux d’argent alternatifs. Cette technologie sera de plus en plus utilisée. La question est de savoir comment le banquier privé gérera cette dimension. La proposera-t-il à ses clients ou non?”
Éducation Les nouveaux actifs numériques sont une réalité dont il faudra tenir compte. “Ils ne révolutionneront pas le noyau du secteur de la banque privée mais viendront s’y greffer”, estime Gerrie Smits. Selon lui, l’éducation est toujours nécessaire dans ce domaine, tant pour les investisseurs privés que pour les banquiers privés. “Certaines personnes limitent les cryptomonnaies aux seuls bitcoins mais il en existe bien d’autres types. La presse traditionnelle n’évoque généralement pas d’autres événements que la hausse ou la baisse de la valeur des cryptomonnaies. Dans la mesure où leurs clients s’intéressent au sujet, les banquiers privés doivent se former. Beaucoup de questions se posent en effet: faut-il y investir ou non? Quels sont les risques? Peut-on les recommander aux clients? Quelles sont les conséquences juridiques?” En Belgique, un cryptofonds existe déjà, Moonbag Capital, qui investit dans les cryptomonnaies et a obtenu un statut juridique. “Ce fonds pourrait prendre le relais du banquier privé dans un avenir proche, car les personnes âgées de 20 à 30 ans comprennent bien le monde des cryptomonnaies”, conclut Gerrie Smits. “C’est pourquoi cette éducation est si importante; les banquiers privés doivent comprendre de quoi il s’agit.” ©shutterstock
©shutterstock
des cryptomonnaies et des NFT
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E X PER T - N UMÉRIS AT IO N
Retour au cœur du métier:
la valeur ajoutée
La technologie joue un rôle majeur dans la gestion de patrimoine. Il est donc logique que les évolutions numériques aient un impact sur le métier de banquier privé. “Nous revenons ici au fondement de ce métier: offrir une valeur ajoutée”, déclare Christophe Floren (Degroof Petercam).
“Grâce à la numérisation, les banquiers privés peuvent poser des questions plus spécifiques à leurs clients et leur proposer des solutions mieux adaptées.” Christophe Floren, Head of Digital Banking & Performance Management chez Degroof Petercam
Ces 10 ou 15 dernières années, le monde bancaire a connu une déferlante de lois et réglementations nouvelles, telles que le règlement MiFID et la législation antiblanchiment. “Ces nouveautés ont requis un grand savoir-faire technique de la part de la banque privée et une attention particulière des banquiers privés”, reconnaît Christophe Floren, Head of Digital Banking & Performance Management chez Degroof Petercam. “Elles ont modifié le contenu même de la profession. Pendant un moment, nos banquiers privés ont dû donner la priorité à l’application des lois et à la mise en œuvre des processus administratifs dans leurs relations quotidiennes avec les clients. Mais grâce à la numérisation, ils ont à nouveau plus de temps pour s’occuper personnellement de leurs clients. La numérisation vient en soutien de la dimension juridique, ce qui permet aux banquiers privés de dégager une valeur ajoutée dans l’accompagnement des clients et de leur patrimoine.” Christophe Floren ne croit pas que le numérique dominera le tableau, cependant. “L’essentiel de ces relations est le lien personnel entre le banquier privé et ses clients. Par ailleurs, ceux-ci ont toute
liberté d’indiquer dans quelle mesure ils acceptent cette numérisation. Le banquier privé reste le premier point de contact; ces nouveaux outils le renforcent dans sa fonction.”
Travailler de manière plus ciblée et efficace La numérisation recèle également de nombreuses possibilités fonctionnelles. Pensez à l’utilisation des données: “La banque dispose de quantité de données sur ses clients, qui, par le passé, étaient simplement archivées”, souligne Christophe Floren. “Personne ne les exploitait réellement. Or, ces données peuvent être recoupées afin de soutenir les banquiers privés. Ceuxci peuvent alors poser des questions nettement plus spécifiques à leurs clients et leur fournir des solutions mieux adaptées. Ce n’était pas le cas auparavant: établir ces liens était parfois impossible aux banquiers privés; pour y parvenir, la technologie et la numérisation étaient nécessaires. L’exploitation des données recèle une valeur ajoutée déterminante et représente une véritable opportunité pour l’avenir.” Christophe Floren cite l’exemple du contrat de mariage qui prend la poussière dans l’armoire à dossiers. Celui-ci acquiert une valeur ajoutée dès lors qu’il est numérisé de manière intelligente et que les paramètres de ce contrat sont clairement affichés. “Si, par exemple, la loi change après cinq ans, plusieurs contrats de mariage pourraient être impactés. Pour les banquiers privés, il est impossible de se souvenir exactement du contrat de mariage de tous leurs clients et de reparcourir les dossiers en un temps raisonnable. Désormais, il leur suffit d’un clic pour savoir que la nouvelle législation a un impact sur, disons, dix-sept de leurs clients. En les contactant, les banquiers privés ont une vraie valeur ajoutée.”
© Frank Toussaint
Piège “Le risque serait de se focaliser sur la numérisation au détriment de tout le reste”, prévient Christophe Floren. “La numérisation d’éléments sans intérêt ne crée aucune valeur ajoutée pour le client! Les banquiers privés doivent apprendre à traiter intelligemment ces données. Le moment où le quotient émotionnel d’un banquier privé pourra être remplacé par une interaction numérique n’est certainement pas encore arrivé.”
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21 avril 2022 Château de Grand-Bigard
Fin avril, le château de Grand-Bigard a – enfin! – accueilli la fête organisée à l’occasion de notre 20e anniversaire, reportée à deux reprises. Pour de nombreux membres, il s’agissait d’heureuses retrouvailles… ou d’une première rencontre. La conférence inspirante de Steven Van Belleghem et l’afterparty avec Coco Jr. resteront dans les mémoires. Voici quelques photos de la fête, accompagnées de commentaires recueillis par la rédaction. Toutes les photos de la fête sont visibles sur le site Web de notre association: https://www.pba-b.be
“Luc Jonckheere et Gerald Callebaut n’ont pas changé d’un iota!” “La 3e fois est la bonne!” “Atmosphère agréable, cadre parfait, combinaison idéale de contenu et de fun.”
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Château de Grand-Bigard
21 avril 2022
“Un speech très pertinent et inspirant!” “Merci d’avoir persévéré pour que la fête continue!” “Nous allons en profiter, parce que nous sommes restés enfermés trop longtemps dans notre kot!” “Nous avons fait 100 km pour faire la fête. C’était nécessaire après la crise sanitaire.”