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DÉCOUVRIR L’ E X I S T E N C E D’UN GRAND É C R I VA I N N ’ E S T PA S U N E EXPÉRIENCE Q U E L’O N F A I T TOUS LES JOURS.
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TOUS LES HOMMES DU ROI ro b e rt pe n n wa r r e n
K Prix Pulitzer, 1947 k déjà paru sous le titre : Les Fous du roi, traduction de Pierre Singer, Stock, 1950 ; Le Club français du livre, 1951 ; Le Livre de poche, 1968, 1987 ; Phébus, 1999 ; Les Belles lettres, 2015.
Titre original : All the King’s Men Harcourt, Brace & Company, 1946. isbn 9791090724389 Monsieur Toussaint Louverture, 2017, traduction entièrement revue et corrigée, pour la présente édition. ©
Parution : octobre 2017.
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Robert Penn Warren mêle, entrelace avec une science du temps dont peu d’écrivains sont capables (Flaubert parfois, Tolstoï souvent et superbement) – sans que jamais le lecteur ne s’y perde – le présent allant fouiller le passé, lequel ressuscite un passé encore plus ancien, qui va revenir frapper et détruire les protagonistes du présent. Le livre refermé, il s’accomplit cette sorte de miracle : une brève mais violente nostalgie saisit le lecteur, de cette partie d’échecs dont il ne voulait pas croire qu’elle pût avoir une fin ; et il éprouve une certaine réticence à se replonger tout de suite dans la fournaise du monde. — didier goux
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On est surpris d’avoir à parler de Tous les hommes du roi comme d’une nouveauté – un peu comme si Le bruit et la fureur revenait après une longue absence et avait besoin d’un coup de pouce pour que son importance soit reconnue. […] Warren est un superbe constructeur d’intrigues, en architecte dramatique il sait ménager des contrastes de rythme, de couleurs, d’ambiance. On passe souvent du lyrisme à une écriture sèche, tendue. Dès les premières pages, suivant la route collante et moite qui amène Jack au pays de son enfance, on sait qu’on entre dans un roman d’exception. — christophe mercier
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Années trente, alors que dans la chaleur de la Louisiane, ses ennemis manœuvrent pour prendre sa place, Willie Stark, « l’enfant humilié » devenu gouverneur, se découvre un nouvel adversaire : le vertueux Juge Irwin. Le « Boss » charge alors Jack Burden, narrateur cynique en quête de sens, du fardeau de déterrer la vérité, car dans un monde de corruption « il y a toujours quelque chose à déterrer ». Mais déjà le Temps agit, les trahisons du passé dessinent celles futur et tous les hommes du roi montent sur scène pour la tragédie à venir. De l’angélique Anne Stanton, à la diablesse Sadie Burke en passant par Adam l’esthète et Sugar-Boy le porte flingue, chacun jouera son rôle dans ce magistral roman à l’écriture époustouflante, qui de la vie donne son image la plus juste et poignante : celle de la fragilité. —5—
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Dans Tous les hommes du roi deux histoires s’entremêlent : celle de l’ascension de Willie Stark, le péquenaud qui accède au pouvoir en galvanisant les foules car il se fait la voix du peuple et connaît les rouages crasseux de la politique ; et celle de trois aristocrates attirés dans son orbite par l’intermédiaire de l’un d’entre eux, le soleil noir de cette œuvre magistrale : Jack Burden. Deux histoires, deux lignes du Temps qui s’unissent dans la double hélice de la tragédie d’un monde creux, agité d’hommes sans qualités, déchirés entre la vérité et la corruption. Et si la politique est abordée c’est uniquement parce qu’elle est un microcosme de la nature humaine, où les aspects positifs et négatifs de la société, les vertus comme les vices, sont dramatiquement amplifiés.
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Pour les amateurs de House of Cards, de virées en voiture dans la chaleur de la nuit pour aller « régler » un problème à coups d’extorsion et de chantage, de personnages hors normes, complexes, profonds, avec une vie propre, inaliénable, qui permet sinon qu’on leur pardonne, du moins qu’on les comprenne, pour ceux qui aiment les entreprises romanesques puissantes, stylées et modernes, Tous les hommes du roi est un fleuve curieux aux multiples remous qui n’abandonne ni sensation, ni sentiment, ni errements, ni suspens, mais qui relie toutes ces choses entre elles, les plus impalpables comme les plus triviales, pour essayer d’en tirer un sens. Tout en tissant de larges pans romanesques Tous les hommes du roi a l’ambition ultime de rendre compte du réel, de le capturer.
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Seul écrivain à avoir reçu trois prix Pulitzer, Robert Penn Warren (1905-1989) est aux côtés de Faulkner, Fitzgerald et Hemingway, l’un des plus grands écrivains américains. Poète, essayiste, universitaire, romancier, critique, son immense œuvre est tout entière traversée d’une réflexion sur la nature de ce tumulte qu’est l’Histoire, et sur l’identité de l’homme à travers la perte de son innocence. Armé de la méticuleuse démarche de l’historien et de l’œil avisé du photographe, il a démontré dans chacun de ses livres une farouche volonté de capturer le réel et d’en faire un héritage. Convaincu que la plupart du temps la réalité n’est que le produit de nos fantasmes, ou de notre mal de vivre, c’était un « de ces partisans de l’intranquilité, jamais aussi à l’aise dans leur art que lorsqu’ils mettent le doigt là où ça fait mal, —9—
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et qui nous rappellent que la vie ne saurait être dignement vécue qu’en acceptant de prendre à son compte les mauvais souvenirs en même temps que les bons ; qu’en acceptant de refuser l’oubli. » Si son exploration des questions métaphysiques et morales flirte avec la philosophie, elle offre surtout une perspective poétique au monde. Pivot de sa carrière, reflet d’une remise en question, cœur d’une recherche de soi à l’issue de laquelle Penn Warren sortira comme « converti », grande œuvre intemporelle, voici Tous les hommes du roi.
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extrait
Pour y aller, tu sors de la ville par la nationale 58, direction nord-est. C’est une belle route, flambant neuve. Enfin elle l’était à l’époque. Tu regardes devant, et elle s’étend, parfaitement droite, sur des kilomètres, avec sa ligne noire, luisante, lisse et goudronneuse, qui file vers toi et tranche avec la blancheur de la chaussée, éblouissante sous la chaleur. De sorte qu’il n’y a plus que la ligne noire qui fonce vers toi dans un gémissements de pneus, et que si tu continues à la fixer sans inspirer profondément plusieurs fois, ni te flanquer une gifle, tu finiras hypnotisé et ne reviendras sur terre qu’au moment où la roue avant droite mordra sur le remblai de terre noire. Tu tenteras de redresser la voiture mais rien n’y fera car tu seras happé par le bascôté. Peut-être même essaieras-tu de couper le contact juste avant qu’elle ne parte en tonneaux. Mais bien sûr, tu n’y arriveras pas. Alors, un nègre qui coupe du coton à plus d’un kilomètre lèvera la tête et apercevra la petite colonne de fumée noire montant du vert arsenic des rangs de coton vers le bleu palpitant, métallique et violent du ciel. Et il s’exclamera : « Seigneu’ Dieu. Enco’ un aut’! » Et dans le rang de coton suivant, un autre nègre soupirera à son tour : « Seigneu’ Dieu ! » Puis, après un ricanement, l’autre recommencera à lever sa — 11 —
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houe vers le ciel, et sa lame scintillera à nouveau au soleil comme un sémaphore. Puis, dans quelques jours, des types de la voirie viendront baliser l’endroit. Dans la terre noire du remblai, ils planteront un poteau métallique surmonté d’une petite plaque avec une tête de mort et une croix de tibias noires sur fond blanc. Plus tard, la clématite émergera des herbes folles et grimpera dessus. Mais si tu reprends tes esprits à temps et si ta roue ne mord pas le bas-côté, tu continueras à filer dans la lumière éblouissante. De temps en temps, surgie du halo de chaleur, une voiture te croisera dans un bruit de bourrasque à décorner les bœufs. Très loin devant toi, vers l’horizon, là où les champs de coton s’estompent dans la lumière, la route scintillera et miroitera comme si elle était inondée. Tu fonceras vers cette étendue d’eau étincelante, mais elle te précédera toujours, comme un mirage. Et tu passeras devant les poteaux métalliques aux petites plaques blanches avec leurs crânes et leurs tibias. Car c’est dans ce pays que le moteur à explosion a pris son essor. Que chaque garçon se prend pour un pilote de course, et que les filles portent des tissus légers, de l’organdi ou de la batiste brodée, mais pas de sous-vêtements à cause du climat, et affichent des petits visages angéliques qui te brisent le cœur. Et quand le vent s’engouffre dans la voiture et fait voler leurs cheveux, tu découvres les petites perles de sueur qui nichent près des tempes. Bien enfoncées dans leur siège, la colonne vertébrale un peu arquée, elles lèvent leurs genoux pour se rafraîchir, si on peut dire, au ventilateur sous le capot. Dans ce pays, les odeurs d’essence, de freins qui chauffent et de mauvais alcools semblent plus suaves — 12 —
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que la myrrhe. Dans les collines rouges, les v8 prennent les virages à fond la caisse en rugissant et font gicler le gravier comme de l’écume. Et quand ils déferlent dans la plaine et surgissent sur cette chaussée toute neuve, Dieu ait pitié des auto-stoppeurs. Toujours sur la route 58. Le paysage change. La plaine et les champs de coton ont disparu. Tout comme les bouquets de chênes, un peu plus haut, du côté de la grande maison du propriétaire, et les rangées de cabanes blanchies à la chaux, toutes identiques et tellement proches des champs que le coton arrive devant leur porte, et le jeune noir assis dans la position du Billiken qui te regarde passer en suçant son pouce. Tout ça, c’est fini. Maintenant, on arrive au pied des petites collines rouges. Il y a des ronciers le long des clôtures, des bosquets de piquants noirs rabougris dans les creux, et ici et là, des pins de seconde venue serrés les uns contre les autres, quand ils n’ont pas été brûlés pour faire des pâturages, et si c’est le cas, il ne reste plus que des souches noircies. Des carrés de coton s’accrochent au flanc de ces collines entaillées de ravines. Et les épis de maïs striés de jaune pendent, tout raides. Autrefois il y avait des pinèdes par ici, mais elles n’existent plus depuis longtemps. Des enfoirés sont arrivés. Ils ont installé des scieries, une ligne de chemin de fer et une épicerie, et ils ont promis un dollar par jour à leurs futurs employés. Pour gagner ce dollar, des gens sont venus de partout, dans des chariots où s’entassaient une commode, un lit, et cinq gosses serrés les uns contre les autres, tandis que leur mère assise sur le siège, avec son chapeau à haut-bord qui lui cachait le visage, donnait le sein à son dernier né en chiquant du tabac. Les scies chantaient leurs arias, — 13 —
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l’employé de l’épicerie distribuait mélasse et porc salé en notant tout dans un grand registre, et la passivité du Sud s’alliait au dollar yankee pour soigner les plaies de quatre années de guerre fratricide. Tout vibrait de bonheur. Puis, tout d’un coup, il n’y eut plus un seul pin. Alors ils démantelèrent les scieries, la voie ferrée se recouvrit d’herbes folles et les habitants démolirent l’épicerie pour se procurer du bois à brûler. Finie la paie d’un dollar par jour. Les huiles avaient décampé avec leurs diamants aux doigts et leur costume de drap fin sur le dos. Mais beaucoup de gens restèrent sur place, à regarder les ravins grignoter la terre rouge. Et beaucoup d’entre eux, quatre mille environ, restèrent à Mason City avec leurs enfants. Tu arrives par la route 58, tu dépasses l’égreneuse à coton, l’usine électrique et les cabanes des nègres, tu traverses la voie ferrée et tu t’engages dans une rue bordée de petites maisons autrefois peintes en blanc, aux toits de tôle et aux galeries ouvertes ornés d’affligeantes dentelles de bois de style gingerbread. Dans les jardins, les feuilles des arbres pendent raidies par la chaleur, et au-dessus du ronronnement distingué des quatre-vingts chevaux à soupape en tête, ou quel que soit leurs noms, galopant à soixante kilomètres heure, tu entends les cigales qui stridulent dans l’herbe. C’est à ça que ressemblait Mason City la dernière fois que je l’ai vue, il y a presque trois ans, durant l’été 1936. J’étais dans la voiture de tête, la Cadillac, avec le Boss, sa femme et son fils Monsieur Duffy et SugarBoy. Dans la seconde voiture, qui ne jouissait certes pas du raffinement silencieux de la nôtre qui tenait autant du corbillard que du paquebot transatlantique mais ne te ferais pas rougir de honte sur le parking du — 14 —
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country-club, il y avait des journalistes, un photographe, et Sadie Burke, la secrétaire du Boss, qui devait s’assurer que tous restent assez sobres pour faire ce qu’on attendait d’eux. Sugar-Boy conduisait la Cadillac, et c’était beau à voir. À condition de pouvoir se sortir de la tête ce qui resterait de ces presque deux tonnes de mécanique de luxe après trois tonneaux à cent trente à l’heure, sans pour autant se priver du spectacle conjugué de coordination motrice, de tension démoniaque et de réflexes éclairs que donnait Sugar-Boy quand, après avoir doublé à fond la caisse une charrette de foin, il se rabattait au dernier moment devant un camion-citerne, au point de filer une attaque au chauffeur avec son aile arrière gauche, et une sinusite aux mules avec sa droite. Mais le Boss adorait ça. Il s’asseyait toujours devant, à côté de Sugar-Boy, son regard oscillant entre l’aiguille du compteur et la route, et après qu’ils s’étaient faufilés entre les mules et le camion, il se fendait d’un grand sourire. Et Sugar-Boy remuait la tête comme à chaque fois que les mots encombraient sa bouche sans pouvoir en sortir. Enfin il se lança. « Ba… ba… ba…», crachat-il comme un lama. « Ba… ba… bâ… bâ… bâ-tard… il m… il m’av…» Le pare-brise était constellé de postillons. « Il m’av… vu v’nir.» Sugar-Boy ne parlait pas, mais quand il avait le volant entre les mains, là, il savait s’exprimer. Il n’aurait jamais gagné le grand prix d’éloquence au lycée, mais personne ne se serait risqué à débattre de quoi que ce soit avec lui. En tout cas pas quelqu’un qui savait qui il était et l’avait déjà vu faire ses tours de passe-passe avec le .38 qui s’accrochait sous son aisselle gauche, comme une tumeur.
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ON IGNORE RO B E RT PENN WA R R E N , ON A T O R T.