TRANSFUGE N°75

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Février 2014 / N° 75 / 6,90 e

Choisissez le camp de la culture

LA LITTéRATURE DU SCANDALE LES 10 MEILLEURS ROMANS interview fleuve de régis jauffret

LITTéRATURE

Pline l’Ancien, toujours plus neuf grand Entretien avec

alaa El Aswany

CINéMA

jim jarmusch, décadent

La lutte des classes au cinéma, rédhibitoire ? Éric Rohmer M 09254 - 75S - F: 6,90 E - RD

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cinéaste littéraire ?


en plein chaos

Régis Jauffret, Viagra et littérature du scandale

F

laubert écrivait que la tristesse est un vice ; alors réjouissons-nous, réjouissez-vous chers lecteurs esthètes, une fois de plus, du dernier cru de romans et de films. À commencer par le passionnant roman d’El Aswany, Automobile Club d’Égypte (Actes Sud). L’écrivain égyptien, formidable raconteur d’histoires, passe par le genre historique et une méthode dialogique pour raconter le joug colonial en Égypte dans les années quarante. Cet homme de gauche en profite pour dénoncer cette classe sociale dominante, représentée ici par les Britanniques, membres de ce club select, atrocement raciste ; et de surcroît, inculte. L’auteur est habile, brouille les pistes et ne se contente pas d’opposer les mauvais colons aux pauvres Égyptiens réduits en esclavage. Il partitionne aussi en catégories le peuple dominé. D’un côté, ceux ayant peur du désordre, du mouvement, du trouble, collaborant avec les colons jusqu’à l’indépendance ; de l’autre, les audacieux révoltés. Et l’on comprend, à la fin du roman, qu’El Aswany, écrivain engagé, évoque les attitudes, les choix de son peuple face aux événements récents de son pays. La lâcheté des uns ; le courage des autres. Et la violence traversant un peuple meurtri. Mais il y a le Jauffret, surtout, dont tout le monde parle ; à raison. Cette Ballade de Rikers Island (Seuil) est, disons-le tout de suite, le meilleur roman sur l’affaire DSK, à des coudées au-dessus des regrettables livres à son sujet de Stéphane Zagdanski, de Marcela Iacub et de Marc Weitzmann. C’est que Jauffret creuse son sillon, livre après livre, devenant maître ès littérature de fait divers, de scandale. DSK, Diallo, Sinclair sont remis sur le tapis du Sofitel. Au début, lire pour une énième fois sur le sujet paraît pénible ; usure pour le lecteur de réentendre cette histoire connue par cœur. On se demande d’ailleurs comment Jauffret a trouvé le désir de la raconter à nouveau alors qu’il la connaît, lui aussi, parfaitement bien. Mais très vite, Jauffret convainc, trouve des phrases pour dire par exemple la dépendance d’un personnage (grotesque) au sexe, et sa recherche (détour par la mythologie) sans fin du plaisir : « L’orgasme n’était plus un stupéfiant assez puissant. Parfois il besognait le nez plongé dans un flacon de poppers pour prolonger son extase d’une bouffée de chaleur qui rougissait son visage comme un lumignon. Il cherchait le paradis où lui pousseraient cent mille verges pour multiplier l’extase par les cent mille houris à son corps bouturées tandis qu’il se promènerait en haletant dans les jardins d’Éden. » Le roman est parsemé de très beaux passages, d’images efficaces (même si quelques-unes d’entre elles sont très attendues comme la comparaison de DSK à un fauve). Plus encore, Jauffret invente un personnage de notre époque, à ma connaissance le premier : un homme dont

par Vincent Jaury

la trajectoire s’explique essentiellement par le Viagra. Car, semble dire l’écrivain, sans Viagra, l’hubris de notre homme n’aurait pu se déployer à ce point. On peut regretter cependant que Jauffret n’ait pas construit ses personnages avec un peu plus de contradictions. DSK le porc ; Sinclair la sainte ; Diallo la pauvre ostracisée. DSK n’est-il que cet animal féroce ? N’a-t-il pas eu un charme auquel la sainte Sinclair et d’autres femmes ont succombé ? Combien d’hommes et de femmes étaient prêts à voter pour lui s’il se présentait ? Le diable n’a-t-il aucune vertu ? Rien n’est-il vraiment à racheter chez cet homme-là ? Pas une once d’humanité, de remords ne le traverse ? Je n’ai pas de réponse ; je n’ai pas enquêté ; je ne le connais pas. Mais on est en droit d’attendre d’un écrivain que la question soit soulevée. Et Diallo, pour laquelle nous avons de l’empathie – ce qui lui serait arrivé est abominable. Mais n’a-t-elle pas accepté, contre une somme rondelette, d’effacer toute trace du crime (si crime il y a eu) ? Geste qu’on pourrait au moins discuter. Quant à Sinclair, comme Jauffret, on peut soutenir qu’elle est une martyre chrétienne ; geste de bravoure, d’honneur d’un autre temps. Mais n’a-t-elle pas, elle aussi, ses parts d’ombre ? Le soupçon d’opportunisme d’une femme se sachant bafouée par un homme qui l’a trompée, et choisissant de rester avec lui car présidentiable, ne pèse-t-il pas sur les frêles épaules de la sainte ? Je n’en sais rien ; je n’ai pas enquêté ; je ne la connais pas. Mais la question méritait d’être posée et elle ne l’est pas. Shakespeare, ayant le génie pour dépeindre les lieux du pouvoir, ne nous montre-t-il pas des monstres finalement humains ? Finalement culpabilisés ? Finalement pas si monstres que cela ? Macbeth, le roi Lear, Richard III… Le roman de Jauffret est prétexte pour nous à réfléchir à la littérature du fait divers. Beaucoup de choses ont été écrites à ce propos depuis quelques années. L’adaptation de De sang-froid de Truman Capote au cinéma ; le succès de L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. Autant d’événements entraînant de nombreux romanciers sur cette voie-là – avec plus ou moins de réussite. Nous avons sélectionné pour vous dix romans mêlant littérature et faits divers ; et à chaque fois, nous avons analysé : que fait un écrivain quand il s’empare d’une affaire scandaleuse ? Quels en sont les écueils et les enjeux ? Comment l’auteur se démarque-t-il du journalisme ? De l’enquête policière et judiciaire ? Du polar ? Tant de questions auxquelles nous avons tenté de répondre en revenant avec précision sur ces romans ; tant de questions que nous avons posées à Régis Jauffret, Laurent Mauvignier, François Beaune, Arthur Dreyfus. Résultat de notre enquête dans ce dossier. Bonne lecture. ÉDITORIAL / Page 3


sommaire

P. 30

N°75/février 2014

Pour attaquer p.3 Littérature

La description, un art de la subversion ?

3/ éditorial – 6/ j’ai pris un verre avec… – 8/ le nez dans le texte 12/ le journal de… – 13/ une case en plus – 14/ la mémoire retrouvée

Le grand entretien p.16

16/ introduction 18/ entretien : Alaa El Aswany

Littérature p.22

P. 42 La littérature du scandale Dossier

22/ ouverture : Théorie de la vilaine petite fille, Hubert Haddad 25/ critique : Courriers de Berlin, Matthias Zschokke 26/ critique : Le Livre de Leela, Alice Albinia 27/ critique : Mayonnaise, Éric Plamondon 28/ critique : Tu n’as pas tellement changé, Marc Lambron 29/ critiques 30/ remous : La description, un art de la subversion ? 34/ déshabillage : Gilles Sebhan 36/ relecture d’un classique : Pline l’Ancien, toujours plus neuf 40/ poche : Tu n’es pas une mère comme les autres, Angelika Schrobsdorff 41/ lire dans le noir : Corps à l’écart, Elisabetta Bucciarelli

Dossier Littérature du scandale p.42

42/ La littérature du scandale 44/ ouverture : Mystère du scandale 46/ entretien : Régis Jauffret 50/ les 10 romans à lire : Le Chant du bourreau, Norman Mailer

Cinéma

P. 68 Filmer la bourgeoisie

P. 86

Cinéma

éric

Rohmer

L’Adversaire, Emmanuel Carrère - Dans la foule, Laurent Mauvignier Un ange noir, François Beaune - Gibier de potence, Kurt Vonnegut Le Dahlia noir, James Ellroy - De sang-froid, Truman Capote Les Jouets vivants, Jean-Yves Cendrey - Crime et Châtiment, Fédor Dostoïevski L’Amante anglaise, Marguerite Duras 60/ entretien : Laurent Mauvignier 61/ entretiens : François Beaune, Arthur Dreyfus

Cinéma p.62

62/ ouverture : Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch 65/ critique : Tonnerre, Guillaume Brac 66/ critique : Nymphomaniac - volume 2, Lars von Trier 67/ critiques 68/ remous : Filmer la bourgeoisie 72/ déshabillage : Guillaume Brac 74/ classique : L’Homme qui en savait trop, Alfred Hitchcock 78/ DVD : Mickey One, Arthur Penn 79/ DVD : Lilith, Robert Rossen - Dark Star, John Carpenter 80/ la bonne séquence : Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch 81/ fabrique d’un acteur : Charlotte Gainsbourg 82/ livre : Mes monstres, Dino Risi

Dossier éric Rohmer p.86

86/ Éric Rohmer, cinéaste littéraire ? 89/ Le chevalier Momo 90/ Rien que des mots 93/ Comment parler face au rayon vert 94/ Le choix des cinéastes 95/ Le choix des écrivains 96/ Super-héros, en partenariat avec Arte : Super-mélo 98/ états des lieux : Parlons poésie

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j’ai pris un verre avec

Daniel Arsand

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par Catherine Lorente  photo Amal Buziarsist ous la verrière de l’hôtel de la Perle. Je suis en avance. J’attends. Il arrive enfin, cherchant et souriant. Je le reconnais immédiatement. Lui aussi me reconnaît. Mais non, c’est une erreur, nous ne nous sommes jamais rencontrés ! « Mais si ! » Il n’en démord pas.

Ah bon. À peine assis, on embraie tout de suite sur ses prochaines publications. Ou victoires. Erwin Mortier, Le Sommeil des dieux qu’il va publier dans l’année en Libretto. « Un des plus grands écrivains contemporains ! » Avec Karel Schoeman et Timothy Findley dont il publie Guerres. Quand il a su que les droits étaient libres, il était « médusé ». Il m’explique qu’il y a deux livres qu’il lit et relit inlassablement. Mais il me rassure : « Ce n’est pas une psychose, c’est une névrose seulement. » C’est Crépuscule de Susan Minot, chez Gallimard, soixante-quatorze lectures

Il y a des livres, pour moi, qui sont complètement physiques environ, et Guerres, trente-sept ou trente-huit. « Il y a pire comme addiction. » Certes. Il conclut, comblé : « Dans un an ou deux, je serai à la retraite et j’aurai publié un des livres de ma vie. C’est un cadeau incroyable ! » Et pour la couverture, il en est très content. Pas question de montrer des images de 14-18. Guerres, c’est toutes les guerres. Et c’est d’abord l’histoire d’un jeune homme. Page 6 / TRANSFUGE

Je lui fais part de mon interrogation avant de le rencontrer : qui vais-je interviewer ? L’auteur ou l’éditeur ? Et c’est en lisant son roman Lily que je me suis rendu compte que les deux hommes étaient indissociables. Il acquiesce. Je poursuis avec les effets de transparence entre son livre et celui de Findley, chacun usant de photos pour ouvrir le récit. Et là, je tombe des nues ! Ça lui avait totalement échappé. Comme quoi on n’écrit pas seulement à partir de ce qu’on a vécu, mais aussi à partir de ce qu’on a lu. Je l’écoute parler de Guerres et je lui dis qu’on sent une telle proximité entre lui et Timothy Findley qu’on a l’impression qu’il aurait aimé être l’auteur. Il me répond qu’avant de se mettre à écrire, il lit toujours une ou deux pages de Guerres ou de Crépuscule. Cela lui permet de se dépasser. Hésitation. Il reprend : « Il y a des livres, pour moi, qui sont complètement physiques, c’est comme une rencontre avec une personne. C’est un coup de foudre amoureux ou amical. Pour moi, la lecture a quelque chose de très physique. Un vrai grand livre est un livre incarné. Qu’on peut relire des dizaines de fois. C’est infini. Comme les personnes qu’on aime. » On poursuit sur la lecture qui rend le texte infini et on aboutit à l’œuvre de George Sand. Qu’il relit. Cent trente volumes. Il s’émerveille devant l’incroyable diversité de l’œuvre, les libertés qu’elle prenait avec le roman, son approche si actuelle de l’Histoire. Il est intarissable. Je lui fais remarquer qu’il s’y intéresse beaucoup, à l’Histoire, surtout celle du xxe siècle. « Oui. L’Histoire, c’est plein d’histoires. » Une émotion affleure, fait trembler la voix. « Pour l’écriture, c’est plein d’histoires. » J’avais raison. Ils sont indissociables.


Patrick Grainville

« Bison ou le romanesque retrouvé. »

© H. Triay

Damien Aubel, Transfuge

roman


le nez dans le texte

Solitude de la littérature par François Bégaudeau

C

Le Désordre Azerty Éric Chevillard Éd. Minuit 128 p., 14 e

o nt r a i g n a nt e s e mb l e l a s t r u c t u r e abécédaire, et c’est tout le contraire. Devant vous s’étend un océan chichement balisé par vingt-six bouées, et vous ne disposez même pas d’une boussole thématique pour orienter la voile. Alors vous faites avec les moyens du bord. Vous parlez de ce qui vous importe. Qu’est-ce qui importe à Éric Chevillard ? Ni la guerre en Syrie, ni l’agroalimentaire breton. Il est temps que les humanistes le sachent, leur humanisme dût-il en trembler sur ses bases : l’écrivain se soucie moins du monde que de littérature, « grande affaire de ma vie ». C’est ainsi qu’en guise d’abécédaire, l’auteur nous livre, en pointillés, un art poétique. Comme tous les manifestes – même si ce mottocsin messied à un auteur anti-emphatique –, celui-ci s’adosse à des révocations. Son refus fondateur est celui de la littérature dite réaliste, où « sous prétexte d’en rendre compte, sont introduits dans le livre des pans entiers de réalité que le lecteur verrait aussi bien de sa fenêtre ». Critique classique de la vanité mimétique, à laquelle Chevillard ajoute une couche. Le réalisme n’est pas seulement vain : il dénote une soumission au réel. « Redoubler » celui-ci, c’est « y consentir », c’est « faire le jeu de l’état des choses ». Et l’auteur réprouve dans les mêmes termes la plume qui, au lieu de voler de ses propres ailes, s’astreint à un genre : « En se soumettant aux lois et aux codes du genre (…), elle rentre dans le rang et rejoint l’ordre des réalités qu’elle prétendait contester. » Comme le prouve en acte le ludique M comme Marquise, la littérature commence quand la marquise refuse de sortir à cinq heures ; quand elle se révolte contre l’ordre des causes et effets soi-disant vraisemblables. L’écrit sert donc de ring à un match de catch entre le monde et l’auteur, remporté haut la plume par le second, au prix d’un renversement de la hiérarchie en vigueur hors écrit. Le fameux humour noir de Chevillard est la sécrétion stylistique de la sardonique revanche sur l’état des choses offerte par la page. À mon tour de mener la barque, à mon tour de « détenir les pleins pouvoirs, agir à (ma) guise, mener la danse et pourquoi pas aussi tyranniser les populations ». Et mettre KO Goliath, c’est-à-dire ce qui, impérieusement, est. D’où le tyran famélique tire-t-il son omnipotence ? D’une armée de lettres agençables à l’envi. Son règne est une logocratie. Révolutionnaire, le nouveau monarque fait table rase (« l’écrivain nourrit

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l’ambition de tout recommencer sur la page ») au moyen des mots qui peuvent tout. « Le langage est performatif », écrit-il, et c’est un désir autant qu’un constat. Désir rimbaldien que les mots ne désignent pas les choses mais les soient (« quinquagénaire, quel mot lent et pesant, et comme articulé déjà à un déambulateur »). Désir que le verbe agisse et fabrique, que lettres et sons moulent le vivant : « Kangourou, aurais-tu fait ces sauts formidables si tu n’avais été propulsé par le K ? Crois-tu vraiment, nommé langourou, que tu aurais sauté si loin ? » La littérature est une niche où peut s’épancher un fantasme nominaliste pas dupe de lui-même ; elle est ce paradis précaire où la forme est le fond, où bêtes et noms de bêtes coïncident, où leur disparition commence par la disparition du lexique animal (« la littérature mieux que le zoo a vocation à être un conservatoire, laquelle se confond ici avec la vie lexicale non moins menacée »), où l’existence des dinosaures est homothétique du récit qu’on en fait : « Ma théorie c’est que les dinosaures n’ont pas survécu à l’affrontement des théories relatives à leur disparition. » Revoyons cette phrase au ralenti : en déclinant, les dinosaures génèrent des théories qui achèvent de les tuer. Figure chevillardienne par excellence : le serpent qui se mord la queue ; la phrase en boucle ; les mots qui tournent en rond. Pas étonnant que son œuvre ait souvent échoué sur une île, et qu’il érige ici cette configuration géologique en « lieu idéal de l’écriture ». Robinson n’est pas un personnage de la littérature : il est la littérature. Autocrate et autogéré, souverain et sujet, céleste et clochard comme les héros de Beckett chers à l’auteur. Chaque initiative aussitôt sapée par le fait qu’il les prend, producteur contre-productif comme il y eut des arroseurs arrosés, et alors s’invente un burlesque littéraire : « J’ai découvert dans l’île une source d’eau douce avec laquelle je peux enfin me faire des soupes de légumes qui seraient meilleures salées. » L’écrivain par nature insulaire n’a d’aura performative que sur son île. « Il s’invente un monde dans lequel il est le seul à vivre et si quelques touristes s’y rendent parfois en excursion, il ne parvient pas à les retenir (seuls s’attardent un peu les plagiaires). » C’est le fatum minoritaire de la littérature : l’autonomie qui la fonde est aussi ce qui l’isole. Nous sommes ainsi quelques milliers de lecteurs à faire de réguliers safaris sur l’île Chevillard depuis vingt ans. C’est structurellement peu et c’est très bien comme ça.


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LA VOIX EST LIBRE

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TRANSFUGE

Littérature

Théâtre

Conversation avec

Patrick Grainville et Hubert Haddad Chaque mois, Transfuge invite des écrivains à la librairie Les Guetteurs de vent. Ce mois-ci, nous accueillons Patrick Grainville, pour son livre Bison (Seuil) et Hubert Haddad pour son livre Théorie de la vilaine petite fille (Zulma). Sur place, apéritif et signatures.

Mercredi 29 janvier à 19 h 30 Les Guetteurs de vent, 108, avenue Parmentier, Paris 11e

Britannicus de Jean Racine

Mise en scène : Jean-Louis Martinelli

Une tragédie lumineuse. La pièce la plus politique de Racine aux alexandrins du xviie siècle.

Du 1 au 8 février 2014 à 20 h 30, Théâtre Nanterre-Amandiers 7, avenue Pablo-Picasso 92022 Nanterre er

Théâtre Nanterre-Amandiers Texte Jean Racine Mise en scène Jean-Louis Martinelli

Le Théâtre Nanterre-Amandiers a le plaisir de vous inviter à l’une des représentations du spectacle

Britannicus

Du mardi au samedi à 20h30, jeudi à 19h30, dimanche à 15h30 Dates d’invitations Samedi 1er février à 20h30 Dimanche 2 février à 15h30 Mardi 4 février à 20h30 Mercredi 5 février à 20h30 Production Théâtre Nanterre-Amandiers

Cette invitation, valable pour deux personnes, est strictement personnelle. Vos places sont disponibles au contrôle jusqu’à quinze minutes avant le début de la représentation. Invitations 01 46 14 70 10 du mardi au samedi de 14h à 18h

Cinéma

Phantom of the Paradise de Brian De Palma

Avec Anne Benoît Alain Fromager Alban Guyon Grégoire Œstermann et Abbès Zahmani (en alternance)

Agathe Rouillier et Marion Harlez Citti (en alternance)

Anne Suarez Jean-Marie Winling

RER A, arrêt Nanterre-Préfecture, sortie «Carillon», escalator de gauche, bd de Pesaro, navettes gratuites avant et après les représentations www.nanterre-amandiers.com 01 46 14 70 00 Design graphique Pascal Béjean & Nicolas Ledoux

Scénographie Gilles Taschet Lumière Jean-Marc Skatchko Costumes Ursula Patzak Coiffures, maquillages Françoise Chaumayrac Assistante à la mise en scène Amélie Wendling

10 places offertes le samedi 8 février à 20 h 30

La Maison de Bernarda Alba

Entrée libre

du 1er au 8 février 2014

Britannicus

DU 7 AU 15 FÉVRIER 2014 DU MARDI AU SAMEDI À 20H30

LA MAISON DE BERNARDA ALBA De Federico García Lorca Mise en scène Carole Lorang

de Federico García Lorca

Mise en scène : Carole Lorang © Mani Müller

Dans l’Espagne rurale et bientôt franquiste, Federico García Lorca nous mène au cœur d’un drame où les pulsions de vie et de mort se croisent et se chevauchent. La maison, véritable personnage, grince et amplifie les sons de l’emprisonnement. Dans le blanc, le noir et le rouge, une danse d’amour et de mort. PREMIÈRE EN FRANCE

Location Tarifs : de 11,20€ à 29€ (hors frais de location) Du lundi au vendredi de 17h à 19h et le samedi de 14h à 19h 37 (bis), bd de la Chapelle, 75010 Paris / Tél. : +33 (1) 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

Avant-première le samedi 1er février à 21 h, LOUXOR 170, boulevard Magenta, Paris 10e

Du 7 au 15 février 2014 à 20 h 30, Théâtre des Bouffes du Nord - 37 bis, boulevard de la Chapelle 75010 Paris

10 places offertes le mercredi 12 février à 20 h 30

Marguerite et moi de Dominique Terrier

10 places offertes le samedi 8 février à 20 h 30

Mise en scène : Fatima Soualhia-Manet, Christophe Casamance

Welfare de Frederick Wiseman

Marguerite Duras nous donne sa façon de réagir au travers d’interviews et d’entretiens issus de grands moments de radio ou de télévision. Férocité, roublardise et drôlerie.

Le fonctionnement du bureau d’aide sociale de Waverly, à New York. Cette « comédie de situation » est l’une des œuvres maîtresses du documentariste américain. Sa caméra regarde et enregistre, témoin de la bureaucratie et de la frustration partagée par les employés comme par les demandeurs, révélant les tensions sociales et raciales. Un huis clos saisissant.

Samedi 22 février à 16 h 30 Forum des images 2, rue du Cinéma, Paris 1er

10 places offertes le samedi 15 février à 21 h

Chers abonnés, recevez vos cadeaux en nous écrivant à invitationtransfuge@free.fr

Du 5 février au 20 avril 2014 à 19 h 15 Théâtre de Belleville 94, rue du Faubourg-du-Temple, Paris 11e

Service de preSSe Zef | iSabelle Muraour 01 43 73 08 88 - 06 18 46 67 37 - iSabelle.Muraour@gMail.coM

10 places offertes pour le mercredi 12 février à 19 h 15

Dites-moi que je rêve

D’après Le Journal d’un fou de Gogol

01 48 06 72 34

THEATREDEBELLEVILLE.COM 94 RUE DU FAUBOURG DU TEMPLE M° BELLEVILLE OU GONCOURT

11 FÉV. 22 FÉV. DU MARDI AU SAMEDI À 21H15

Mise en scène : Gaëlle Hermant La solitude d’un homme dans la société : entre rêve et poésie, un petit fonctionnaire russe nous confie ses errances jusqu’à sombrer dans la folie.

Du 11 au 22 février 2014 à 21 h 15, Compagnie Le fil a tissé - Théâtre de Belleville

5 places offertes à nos abonnés le 19 février à 21 h 15

Des cadeaux de bienvenue pour les nouveaux membres du club TRANSFUGE * (Dans la limite des stocks disponibles) * Vous recevrez un e-mail de confirmation pour choisir votre cadeau

Design : Pierre Jeanneau

À l’occasion des quarante ans du film, Solaris Distribution a le plaisir de vous annoncer la réédition de Phantom of the Paradise en version numérique restaurée inédite. Opéra rock fantastique aux influences hétéroclites – depuis Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux au mythe de Faust en passant par Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde –, ce film permit à Brian De Palma d’atteindre la reconnaissance internationale.


le journal de

J’ai construit mon bureau

en dehors de la maison ©

Avec L’Homme qui avait soif, Hubert Mingarelli signe un conte saisissant dans le Japon d’après-guerre. Journal d’un éclectique.

Hubert Mingarelli

Dimanche 15 décembre

Je crois que c’est aujourd’hui qu’on enterre Nelson Mandela, là où il est né. Avant, il y a eu cette cérémonie dans le stade, et ce type qui était censé traduire en langage des signes tous les discours. Sauf qu’on s’est aperçu après coup qu’il faisait n’importe quoi, qu’il n’a pas traduit un seul mot. Il a tout le temps gesticulé et ça ne voulait rien dire du tout. Mandela devait avoir de l’humour, et si par miracle il a vu ce type en train d’improviser comme ça devant le monde entier, il a dû rire. Il a sûrement passé un bon moment. Moi aussi ça m’a fait rire. Un imposteur face au monde entier. Mais si on le regarde bien, on voit qu’il y met du cœur et se donne du mal pour se faire comprendre. Passé le rire, je l’ai regardé autrement. Ce type est nous tous finalement. Hein, tout ce qu’on essaye de traduire. On se donne du mal aussi. On n’y arrive pas, mais on essaye. C’est ce qui compte. Sans blague, je me suis vu à travers lui. Je suis comme lui quand j’essaye d’écrire mes histoires.

Lundi 16 décembre L’Homme qui avait soif Stock 180 p., 16 e

Puisque c’est un journal, il faut que je parle à la première personne, et de moi par-dessus le marché. Alors voilà, j’ai reçu les exemplaires d’auteur de mon prochain livre. Le personnage principal s’appelle Hisao. Hisao, c’est moi et c’est mon copain, et je lui souhaite bonne chance. C’est tout ce que j’ai envie d’en dire. Parce qu’en ce moment je suis quelqu’un d’autre, et j’ai un nouveau copain. Je suis Stépan Kolirin, qui écrit tous les soirs à son fils qui vit très loin de lui. Dans la réalité, Kolirin est le nom du metteur en scène qui a tourné La Visite de la fanfare. J’ai emprunté son nom parce que son film est tellement beau. J’ai son affiche sous les yeux. On voit huit musiciens de la police égyptienne en uniforme de parade bleu ciel, alignés sur une route au milieu du désert, leurs instruments posés devant eux. Au début du film ils sont plutôt marrants, perdus dans une petite ville israélienne. Mais après, ils ne sont plus ni perdus ni marrants. Ils deviennent tous grands et beaux.

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Quand mon avant-dernier livre paraîtra en hébreu, je l’enverrai à Kolirin pour lui dire tout ça et le remercier. Il est israélien.

Mardi 17 décembre

Il a neigé. C’est toujours comme ça. J’ai construit mon bureau en dehors de la maison. Je traverse la cour dans la neige pour y aller. J’allume le chauffage, la lumière et une cigarette, et voilà. À côté de l’affiche de La Visite de la fanfare, j’ai aussi une photo de Nikos Kavvadias. C’est lui qui a écrit Le Quart. Il y parle de son expérience d’officier radio dans la marine marchande. Il a aussi écrit des nouvelles. L’une d’elles s’appelle « De la guerre ». Et quand je ne sais plus comment écrire, je m’en lis des bouts. Par exemple : « Je m’avançai, trouvai la porte et frappai. Je frappai encore, rien. » Vous voyez, des phrases comme des bouquets japonais. C’est comme un médicament pour moi. Il me guérit des phrases mal foutues et de la littérature. Ça me remet les idées en place et j’arrête de faire le malin.

Mercedi 18 décembre

Il n’a plus neigé, mais il a gelé. La neige est dure. Chauffage, lumière, cigarette, et voilà. Il faut s’y mettre. L’histoire que j’écris en ce moment se passe en Israël, mais je n’y suis jamais allé, je ne comprends pas tout de ce qui s’y passe. Je ne sais même pas dans quelle langue les Arabes et les Israéliens se parlent. C’est peut-être pour ça que mon personnage, Stépan Kolirin, quand il n’écrit pas à son fils, se parle beaucoup à lui-même. Ce matin j’ai écrit une quinzaine de lignes. C’est ma moyenne. Heureusement demain il y en aura encore quinze. Si on compte les samedis, les dimanches et les jours fériés, ça finit par avancer. Pour moi, ce n’est pas romanesque d’écrire des romans. C’est comme ça. Je me rends compte que si je devais écrire un journal tout le long de l’année, il n’y aurait pas grand-chose qui sortirait de l’ordinaire, à part les saisons. Traverser la cour avec ou sans neige, chauffage, lumière, cigarette, essayer de me faire comprendre en gesticulant comme le type dans le stade, et voilà.


une case en plus

Moby Dick Livre premier, Vents d’Ouest 18,50 e

A

Chabouté

par Clara Dupont-Monod

dapter un chef-d’œuvre littéraire en BD... Depuis plusieurs années, les auteurs franchissent le pas, et c’est bien la preuve que la bande dessinée a liquidé ses complexes d’art mineur. Après Construire un feu de Jack London, Chabouté s’attaque au Moby Dick de Melville. La gageure ! Mais Chabouté est un maître du noir et blanc, un virtuose de l’encre. Lui seul parvient à le tordre et à l’illuminer. L’encre devient élastique, claire ou obscure, matière vivante sublimant ce classique de la littérature américaine. Les vaisseaux baleiniers ressemblent à des fournaises flottantes ; le capitaine Achab oscille entre la hargne et la pureté ; l’envol d’un goéland s’étend sur deux pages, en ombre chinoise. Résultat, la violence se mue en douceur. Le harponnage d’un cachalot vire au ballet silencieux et les bouillons de sang infusent la mer comme des fleurs noires. Et, sur le pont du Pequod, le capitaine Achab surplombe le carnage comme un dieu son territoire. Superbement fidèle et superbement personnel, ce genre d’adaptation hisse la bande dessinée vers les sommets. Moby Dick a désormais son versant graphique. Nos respects.

La Vie sans mode d’emploi Éditions du Mauconduit 22,50 e

U

Q

Désirée et Alain Frappier

ue reste-t-il des années quatre-vingt ? « Comme un ouragan » de Stéphanie de Monaco, la gouaille d’un Bernard Tapie ou le règne des publicitaires. C’est oublier « le tournant de la rigueur » amorcé par François Mitterrand dès 1983. Ce tournant, Désirée le prend en pleine figure. Elle est « montée » à Paris, portée par l’allégresse du 10 mai 1981 et les paroles de Téléphone, « je rêvais d’un autre monde ». Elle déchante vite. Les années quatre-vingt et la précarité, voilà qui résonne comme un oxymore. Et pourtant... Costumière pour la scène rock (dont Téléphone), Désirée loge dans un atelier venteux, au pied d’un immeuble. Clin d’œil à Georges Perec, La Vie sans mode d’emploi croque la trajectoire des voisins, la plupart des laissés-pour-compte de l’euphorie ambiante. Cette bande dessinée culottée mêle l’Histoire, la sociologie, le sentiment, l’autobiographie. Elle pose un regard neuf, sans un gramme d’idéologie revancharde, sur la grande illusion des eighties. À ce moment-là se jouait en filigrane le désastre économique qui s’abattra « comme un ouragan » sur les années 2000...

Benacquista et Barral

n laboratoire pharmaceutique choisit trois cobayes pour tester un nouvel antidépresseur. Une femme et deux hommes se soumettent donc aux vingt et un jours d’essais cliniques avant de toucher un gros chèque. S’ils ont accepté ce protocole, c’est qu’ils ont chacun besoin d’argent. Mais, une fois « libérés », les effets secondaires de l’antidépresseur se révèlent inattendus... Tellement imprévisibles que le labo s’affole et part à la recherche des cobayes métamorphosés ! Le scénario porte l’estampille Tonino Benacquista : une situation classique et réaliste dérape. Que ce soit l’album L’Outremangeur (un flic obèse tente de maigrir), le scénario du film De battre mon cœur s’est arrêté (un agent immobilier tente de devenir pianiste), la logique est identique. Le début passe-partout ripe et l’intrigue décoiffe... Le dessin de Barral ressemble à une caméra. Il alterne zooms et plans arrière, effets loupe et panoramas. Il épouse les contours de cette histoire inquiétante et maligne. À lire avant de gober une pilule !

Les Cobayes Dargaud 17,95 e

POUR ATTAQUER / Page 13


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