Mars 2014 / N° 76 / 6,90 €
Choisissez le camp de la culture
selon Christine Angot, Alice Munro, Maylis de KerAngal, Régis Jauffret, Jean-philippe toussaint, James Gray, Abdellatif Kechiche, Arnaud Desplechin, Justine Triet, Wes Anderson…
LITTéRATURE
LE ROMAN PARRICIDE édouard louis et doris lessing
Walter Siti
dÉzingue La finance M 09254 - 76 - F: 6,90 E - RD
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CINéMA
Phantom of the paradise
un grand film d’action
philip seymour hoffman son jeu d’acteur Frederick Wiseman à Berkeley
Après Le Cercle des Douze, une nouvelle enquête fin de siècle par un héritier de la meilleure veine fantastique argentine.
“Si cette extraordinaire héroïne n’avait pas existé, aurait-on su l’inventer ?” Marine de Tilly, Transfuge
“Un roman très beau, de ceux qu’on voit surgir une fois tous les dix ans. Il est unique en son genre. Il a tout pour devenir un classique.” Oliverio Coelho, La Nación
ARGENTINE
2014 Retrouvez ces auteurs au Salon du livre de Paris
“Grand raconteur d’histoires, Giardinelli nous donne un livre délicieux sur une Patagonie qui n’a rien à envier à celle de Chatwin.” Luis Sepúlveda www.editions-metailie.com
en plein chaos
Les femmes, cette
Q
ui sont les femmes aujourd’hui ? Quels sont leurs rapports aux hommes ? Sont-elles vraiment des femmes libres depuis 1968, en Occident ? Ou vivent-elles une période de régression, avec retour du statut de la femme au foyer ? Vivent-elles dans un monde encore terriblement machiste, ou dans un monde où peu de combats restent à mener pour qu’il y ait une égalité entre les hommes et les femmes ? La question du gender s’est aussi réinvitée dans le débat ces mois derniers ; la femme est-elle un homme comme les autres ? La femme est-elle avant tout une fabrication de la société ? Bref, mille questions circulent sans cesse d’un magazine féminin à l’autre, de sociologue en psychologue, en passant par des témoignages de femmes qui ont beaucoup à dire sur leur vie et sur les femmes en général. Des tendances se dégagent, chaque année ; des tendances vestimentaires le plus souvent, et des tendances de fond qui émergent ici et là et de temps en temps. Face à ces milliers de mots écrits sur les femmes, ces milliers de questions, ces milliers d’images, ces nouvelles tendances, nous nous sommes attaqués au sujet sous un autre angle : celui de l’art ; et plus précisément la littérature et le cinéma. L’art apporte d’autres réponses, sans conclusion, car conclure est une bêtise, comme dirait Flaubert. À partir des meilleurs livres lus cette année et des meilleurs films visionnés depuis septembre 2013, scrupuleusement, nous avons essayé de comprendre ce qu’est la femme d’aujourd’hui. Dans Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal, une femme fuyante ; dans Jimmy P., de Desplechin, une femme entraînant névrose et guérison
par Vincent Jaury des hommes ; dans The Immigrant de Gray, une femme étrangère au monde et figure pluriséculaire ; dans La Petite Foule de Christine Angot, une femme fragile, enfantine, etc. Nous apparaissent ainsi des femmes multiples ; il y a autant dans ces œuvres de personnages que de femmes ; contradictoires, libérées ou vieux jeux, fragiles ou puissantes, belles ou laides, sexuelles ou pas, se laissant aller à leur plaisir ou non. Ce miroir plein de brisures qui nous permet de les voir, de les sentir, de les comprendre, est plus vrai que n’importe quelle tendance ou prétentieuse statistique ; bref, un rappel de plus que l’idée de tendance, c’est-à-dire l’idée dominante de notre société, n’existe pas. Il n’y a pas de tendance féminine, pas plus hier qu’aujourd’hui. L’art rappelle qu’il y a de l’immémorial dans l’histoire des hommes – j’ai lu cette semaine les magnifiques Lettres de la vieillesse de Pétrarque (à paraître aux Belles lettres) où un jeune poète se plaint au maître de la défaite de la pensée ; et relu aussi le Satyricon de Pétrone, ce chefd’œuvre dans lequel un des personnages se plaint de la mort de Dieu et d’un capitalisme grandissant et source de déclin. L’art rappelle aussi sans cesse à la société qu’il existe encore des individus, pour paraphraser Artaud. Les femmes, pas moins que les hommes, sont des bizarreries, uniques, irréductibles, qui échappent à toute catégorisation : voilà ce qui se passe, quand, grâce aux cinéastes et aux écrivains notamment, nous prenons la peine de regarder les femmes de près et longuement. Ils nous racontent des histoires, des histoires de femmes parfois. Il nous suffit de les écouter, de les voir, de les lire ; et en tirer deux ou trois idées, comme ça, qui feront leur cheminement dans nos têtes ; et qui peut-être, seront remplacées par d’autres. ÉDITORIAL / Page 3
sommaire P. 16
N°76 / mars 2014
Le grand entretien
Walter Siti
Pour attaquer p.3
3/ éditorial – 6/ j’ai pris un verre avec… – 8/ le nez dans le texte 10/ une case en plus – 12/ le journal de… – 14/ la mémoire retrouvée
Le grand entretien p.16
16/ introduction 17/ entretien : Walter Siti
Littérature p.22
Littérature
P. 30
Les romans de la revanche
P. 50 Éloge du méconnaissable Cinéma
P. 64 Les femmes d’aujourd’hui Dossier
Page 4 / TRANSFUGE
22/ ouverture : Le Testament du magicien Ténor, César Aira 25/ critique : Athènes ne donne rien, Léonard Vincent 26/ critique : Un poisson sans bicyclette, Isabel Ascencio 27/ critique : Courriers de Berlin, Matthias Zschokke 28/ critique : Mourir pour la patrie, Akira Yoshimura 29/ critique : La Corde, Stefan aus dem Siepen 30/ remous : Édouard Louis, Doris Lessing : les romans de la revanche 33/ essai : Le Marché : histoire et usages d’une conquête sociale, Laurence Fontaine 34/ déshabillage : Sébastien Lapaque 36/ relecture d’un classique : Pavese, mode d’emploi 40/ poche : Open City, Teju Cole 41/ lire dans le noir : Dans la dèche à Los Angeles, Larry Fondation
Cinéma p.42
42/ ouverture : At Berkeley, Frederick Wiseman 45/ critique : The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson 46/ critique : Les Chiens errants, Tsai Ming-liang 47/ critique : Les Bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho 48/ critique : Youth, Tom shoval 49/ critiques 50/ remous : éloge du méconnaissable 54/ déshabillage : Tom Harari 56/ classique : Phantom of the Paradise, Brian De Palma 60/ DVD : Huit heures de sursis, Carol Reed 61/ DVD : L’Espion noir, Michael Powell - 21 jours ensemble, Basil Dean 62/ la bonne séquence : Les Chiens errants, Tsai Ming-liang 63/ fabrique d’un acteur : Philip Seymour Hoffman
Dossier Les femmes d’aujourd’hui p.64
64/ Les femmes d’aujourd’hui Littérature 66/ Ni femen, ni girly ! 67/ La fin du sacrifice - Régis Jauffret 68/ Alice au pays des femmes - Alice Munro 70/ Angot, apologie de la faiblesse 72/ La femme idéale - Jean-Philippe Toussaint 73/ «Beaucoup de choses ont changé…» - Margaret Drabble 74/ La femme nomade - Maylis de Kerangal Cinéma 76/ Une actrice est plus qu’une femme 77/ Petites filles et vieilles dentelles - Wes Anderson 78/ Désir d’Adèle - Abdellatif Kechiche 79/ Hors norme - Justine Triet 80/ L’Étrangère - James Gray 82/ La Femme, le Loup et le Scorpion - Les frères Larrieu 83/ Papier glacé - François Ozon 84/ (À) la source des hommes - Arnaud Desplechin En vrac 86/ Mallarmé, les chiffons et les femmes 88/ La Jeune Femme, l’Art et la Mort - Jane Campion 89/ Coups de langue - Violette Leduc 90/ Orgueil et liberté - Eileen Chang 92/ Littérature argentine, en partenariat avec le Salon du livre entretien : Laura Alcoba 94/ Wakolda, Lucía Puenzo - Cible nocturne, Ricardo Piglia 95/ Crimes et Jardins, Pablo de Santis - Le Voyageur et la Tour, Alberto Manguel 96/ Le Conscrit, Martín Kohan - Des oiseaux plein la bouche, Samanta Schweblin 97/ Après l’orage, Selva Almada 98/ états des lieux : Je vous écris d’un pays lointain
ALAA EL ASWANY © akg-images
Automobile Club d’Égypte
Par l’auteur de L’IMMEUBLE YACOUBIAN “Alaa El Aswany peint avec maîtrise, tendresse et humour un monde qui change.” Marwan Chahine, Libération
“L’auteur signe un récit choral qui, avec virtuosité, retrace les aléas d’une conscience politique prête à se dresser contre l’oppresseur.” Oriane Jeancourt Galignani, Transfuge
“Un roman merveilleusement incarné.” Valérie Marin La Meslée, Le Point
“Automobile Club d’Égypte embrasse avec une rare justesse les problèmes qui agitent le monde arabe aujourd’hui.” Yasmine Youssi, Télérama
Déjà un best-seller dans le monde entier !
ACTES SUD
j’ai pris un verre avec
Adèle Haenel
P
par Louis Séguin photo Thomas Pirel
ari digne des plus grands tournois de poker : au moment des nominations des César cru 2014, on choisit de rencontrer Adèle Haenel, nommée comme meilleure actrice dans un second rôle. Pourquoi ? Parce qu’elle excelle dans Suzanne de Katell Quillévéré ; comme elle excelle souvent à l’écran, et parce que, si l’on devait voter, elle obtiendrait sa statuette haut la main. Et, tandis que le lecteur sait probablement le sort que la cérémonie a fait à la jeune comédienne en cette fin février, Adèle Haenel arrive à la brasserie Le Rey, métro Voltaire, où l’on peut manger un steak frites 24 h/24. Douchée par les grises pluies de la mi-février, Adèle Haenel s’exprime avec humour, sans stratégie de communication (apparente). Il n’empêche : la reconnaissance de l’Académie des César lui fait plaisir : « J’étais super contente d’être nommée dans la catégorie meilleur second rôle, après avoir été nommée deux fois dans la catégorie meilleur espoir. C’est un peu comme passer du petit bain avec brassards au grand bain. » Elle se prépare
C’est un peu comme passer du petit bain avec brassards au grand bain donc, comme le prévoit le protocole, à l’éventuelle remise de trophée, avec une certaine angoisse : « La cérémonie, ça met mal à l’aise, c’est très stressant ! Et même si on se dit que ça ne change pas la vie, pour moi ça vaut quand même quelque chose… » Et quand on lui demande si elle a déjà préparé son discours, elle répond, gouailleuse : « Euh non, pas vraiment ; je me dis toujours qu’il faut que je le fasse, mais après j’ai la flemme. » Il y a tout de même une Page 6 / TRANSFUGE
petite ombre à ce tableau des médailles. Si François Damiens, Sara Forestier, Paul Hamy et elle-même sont tous quatre cités pour leur performance de comédien dans Suzanne, le film et la réalisatrice sont absents des nominations. Adèle Haenel s’en étonne : « Si tous les acteurs sont nommés, ça témoigne d’une capacité de direction de la part de la réalisatrice. On peut donc se demander un peu pourquoi Katell Quillévéré n’est pas nommée. » Quel que soit le verdict de la grand-messe, la jeune comédienne ne manque pas d’occupations. À l’heure où l’on se rencontre, elle sort d’une répétition à Gennevilliers en vue d’une pièce de théâtre pour enfants, mise en scène par Valérie Mréjen (qui l’avait déjà dirigée dans le film En ville). Elle y interprète une chef extraterrestre, venue s’infiltrer dans les rêves des enfants, ce dont elle semble beaucoup s’amuser. Parallèlement, sur les écrans, on la verra au printemps prochain dans le nouveau film d’André Téchiné, qui lui a laissé un souvenir de tournage impérissable. Il faut dire qu’elle s’engage dans les projets, quels qu’ils soient, au gré des rencontres et des sympathies : « Les rencontres se font par-delà les différences entre cinéma et théâtre. Et ce qui me plaît, c’est d’aller jusqu’au bout de la vision de quelqu’un sous sa direction. » Un engagement contribuant à affermir sa formation : « Je me suis mise assez tard à vraiment pouvoir aimer les films. Avant, je me disais toujours que je ne comprenais rien, ça m’angoissait beaucoup. J’ai fini par comprendre que c’était facile de regarder un film. Et s’il faut, en tant qu’actrice, pouvoir entrer dans l’univers du réalisateur, il faut aussi avoir la capacité d’en sortir ; sans une liberté de pensée, on peut vite se noyer. » Maintenant que la solidité du jeu d’Adèle Haenel n’est plus à prouver, il reste à attendre ses rôles avec impatience ; et à croiser les doigts pour que les votants de l’Académie des César aient vu juste.
BIOGRAPHIE « La minutieuse biographie d’un réalisateur pétri de contradictions. » Thomas Sotinel, Le Monde
« La mise à jour d’un homme qui cloisonna sa vie. » Éric Neuhoff, Le Figaro
« Une biographie magistrale. »
François-Guillaume Lorrain, Le Point
« Un éloge bouleversant de la persistance, une odyssée de la ténacité. » Frédéric Bonnaud, Les Inrockuptibles
« On apprend tout sur Éric Rohmer. » Aurélie Raya, Paris Match
« Le cinéaste le plus libre du monde. » Anne Diatkine, Elle
Stock
le nez dans le texte
La langue nettoyante
E
par François Bégaudeau
En finir avec Eddy Bellegueule Édouard Louis Seuil 224 p., 17 e
n finir avec Eddy Bellegueule contient deux trames en une : le martyre quotidien d’un jeune homosexuel, et la vie d’une famille pauvre d’un village de Picardie. Évidemment, les deux se nouent et s’attisent, tant ce contexte est, pour l’efféminé Eddy, une circonstance accablante : chez les prolos, on ne rigole pas avec la virilité. Mais l’aspect « chronique prolétarienne » prend peu à peu une autonomie, finissant par acquérir un intérêt en soi. Il est vrai qu’autant le premier axe, si poignant soit-il, fleure le déjà-lu ou déjà-vu (insultes, crachats dans la gueule, gêne dans les vestiaires, honte des parents, déni collectif, haine de soi, déguisements, mimétisme hétéro, mensonges de survie), autant on a rarement vu la précarité contemporaine racontée de l’intérieur par un narrateur partie prenante. À croire qu’il y a plus d’homosexuels que de pauvres qui entrent en littérature. On est donc content de tomber sur des expressions comme « des corps marqués par leur classe sociale », en conclusion d’analyses fines sur la façon dont l’intime intériorise l’habitus. Mais sur ces bases, quelque chose étonne : l’absence de notations concrètes. Très peu de noms propres, presque pas de marques, des appellations génériques et évasives (l’usine, le supermarché). Si bien que, sans les titres datés des deux parties, le lecteur ne situerait pas spontanément l’action dans les années 2000. Internet est mentionné en toute fin, le portable n’apparaît quasi jamais, et si « une émission de téléréalité » restera sans nom, c’est la désuète Roue de la fortune qui se fera une – toute petite – place dans cette prose. Au vrai, les faits rapportés semblent tellement déconnectés de l’époque, et tellement archaïques, qu’on croit par moments lire du Vallès, ou quelque roman de campagne des années quarante – Vipère au poing ? Cette intemporalité, l’auteur l’explique par une sorte d’invariance rurale, corrélée à l’isolement structurel de ce milieu : « À cette époque – c’était pourtant il y a peu de temps, au tout début du xxie siècle –, le village loin de la ville, du mouvement et de l’agitation, était aussi à l’écart du temps qui passe. » Ailleurs, il évoque « les mêmes expériences que reproduisaient avec exactitude les habitants du village, génération après génération ». Cela se tient. Mais est-il bien vrai que le père, né en 67, dit « Encore un que les Boches n’auront pas ! » ? Est-il bien vrai que les enfants du village, fût-il coincé dans le trou du cul du monde, s’appellent encore Eddy ou Rudy ? Il nous avait plutôt semblé que la coutumière inclinaison
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populaire pour les prénoms anglo-saxons faisait désormais pulluler les Dylan et les Brandon. Incrédule, on se dit qu’autre chose se joue là. Une autre intention du texte. Si invariance il y a, c’est celle du style. C’est la langue couchée en ces pages qui n’est d’aucun temps. Langue orthodoxe, académique, appliquée, qui dit « la Saint-Sylvestre » pour le 31 décembre. Langue du neutre républicain. C’est par l’école qu’Eddy s’en sortira. Par sa miraculeuse, et hélas inexpliquée, maîtrise de ce qu’on appelle le registre soutenu. Et, corollairement, par le théâtre. Édouard peut alors écrire qu’Eddy entre en seconde dans un établissement « qui proposait une filière d’art dramatique au baccalauréat ». Qui parle ainsi ? Qui dit « art dramatique » pour théâtre ? Qui n’abrège pas en « bac » ? Même pas un proviseur en réunion. À peu près personne. À part un hurluberlu attaché à parler comme un livre, ou plutôt comme un dictionnaire, il n’y a qu’Édouard Louis pour écrire « télévision », « football », « revue pornographique », à quoi chacun, toutes classes confondues, préfère télé, foot et revue porno. S’écrivent donc ici des mots dont nul n’a l’usage, et encore moins les bourreaux familiers d’Eddy. Adopter cette langue propre sur elle relève alors de la même opération nettoyante que de se débarrasser du blouson criard qui jure parmi les lycéens citadins : gommer sur soi les stigmates populaires ; se décrotter ; tenir à distance l’origine, aussi vrai que les italiques utilisés pour rapporter les paroles des parents et des copains d’enfance permettent de les dissocier du texte à proprement parler, permettent que la prose de l’auteur s’en distingue, au sens où Bourdieu, que l’auteur connaît bien, emploierait le terme. Eddy, rebaptisé Édouard, a calculé qu’il s’en sortirait en se distinguant, en adoptant des manières distinguées. D’où cette conclusion, dont le néo-écrivain aura tiré toutes les conséquences stylistiques : « Je ne suis peut-être pas pédé comme je l’ai pensé, peut-être ai-je depuis toujours un corps bourgeois prisonnier du monde de mon enfance. » Décidément, deux trames en une, mais dont il faut reformuler le synopsis. L’une participerait de l’écriture du récit : comment un jeune homosexuel fuit son milieu d’origine pour intégrer un champ où les corps – « ces corps féminins de la bourgeoisie intellectuelle » – ressemblent au sien. L’autre participerait du récit d’une écriture : comment un bourgeois né par erreur en milieu populaire révoque ce milieu en se donnant une langue de son rang.
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LA VOIX EST LIBRE
en partenariat avec
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une case en plus
par Clara Dupont-Monod
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Miriam Katin
Seules contre tous
Futuropolis 20 e
iriam Katin, acte 1. La grande dame hongroise se souvient : 1944, à Budapest, elle a trois ans. Elle doit livrer aux nazis son chien adoré, Rexy. Elle ne comprend pas pourquoi il serait un « animal juif ». Plus tard, sa mère affronte le concierge de leur immeuble. Il dit : « Je ne fais qu’obéir aux ordres. » Les ordres, c’est de répertorier toutes leurs affaires puis de se rendre à une convocation. Au lieu de ça, la mère et sa petite fille s’enfuient. Commence un hallucinant périple à travers la Hongrie chauffée à blanc, grouillante de haine nazie. Le duo avance, frôle le pire, négocie : un jeu de vie et de mort servi par un trait rageur, en noir et blanc. Seules contre tous est aujourd’hui réédité. À sa parution en 2006, il avait fait l’effet d’une bombe. Sonnés, le public et la critique avaient déroulé le tapis rouge à Miriam Katin qui habite maintenant New York. Son beau visage ridé faisait écho à la petite fille à couettes, celle qui clôt cet album comme elle verrouilla son enfance, sur ces mots : « J’ai prié souvent. Et Rexy n’est pas revenu. » Miriam Katin, acte 2. Voilà la petite fille à couettes devenue septuagénaire. Elle habite donc New York... Lâcher prise, son dernier album, a les deux pieds campés dans le présent. L’auteur se dessine, lunettes rondes, cheveux en bataille et regard toujours aux aguets. Elle a mis de la couleur sur les pages, cette fois, mais qu’on ne s’y trompe pas : le jour où son fils lui annonce qu’il va emménager à Berlin, et qu’en plus il demande la nationalité hongroise, la terre s’ouvre. Miriam Katin vacille. Elle doit bien l’avouer, elle déteste les Allemands, vomit les Hongrois. Les premiers ont éliminé son peuple, les seconds pourchassé sa mère et elle. Elle sent venir la rancœur, la haine, le dégoût. Mais les sentiments se fracassent contre le regard suppliant de son fils... Serait-ce lui, ce regard, le dernier rempart contre les sentiments inavouables ? L’amour maternel peut-il contrer les fantômes d’une enfance ? Miriam se retrouve tiraillée entre la fidélité à son enfance traquée et celle qu’elle doit à son fils. Deux devoirs de loyauté... Un duel magnifique à portée universelle.
E
Quino
n 1964, une marque d’électroménager commande une publicité au dessinateur argentin Quino. Il invente alors Mafalda, une petite fille à mi-chemin entre le Playmobil et le philosophe grec. La publicité ne sortira jamais. Mais Mafalda connaîtra un succès planétaire. Pour la forme, Quino s’est inspiré des strips de Charles Schulz, l’auteur des Peanuts. Pour le fond, il lui a donné un regard à la fois poétique et désabusé sur le monde qui l’entoure. Lorsqu’elle se lave, Mafalda savoure la « blanche immensité d’une baignoire ». Son frère dort ? « Il s’embourgeoise », souffle Mafalda à sa mère, consternée. Face au cadavre d’une mouche qu’elle vient d’écraser, elle s’inquiète : « Tu avais peut-être de grands projets ? » Mafalda rêve d’un monde sans faim, sans Chinois, sans idéologie ni militaires, et surtout sans soupe à dîner. « La soupe est à l’enfance ce que le communisme est à la démocratie ! » hurle-t-elle à table. « Mafalda vit dans une relation dialectique avec le monde adulte qu’elle n’estime ni ne respecte », admire Umberto Eco, transi d’amour, dans la préface de cette somptueuse anthologie...
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Lâcher prise Futuropolis 20 e
Mafalda, intégrale 50 ans Glénat 30 e
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le journal de
Ch’ten merde sale pute
mais ch’taime trop L’auteur du beau Plein hiver nous livre sa chronique géographique et littéraire d’un janvier glacé.
Le 6 janvier Hélène Gaudy
Trois filles, à la terrasse d’un café. Seize, dix-sept ans tout au plus. Moi, je tomberai pas enceinte, dit l’une d’elle. J’adopterai un enfant direct à l’âge de dix-huit ans. Ou ton enfant, entre cinq et neuf ans, tu le laisses évoluer parmi les bêtes et puis tu le récupères. Vous racontez vos histoires à vos daronnes ? Jamais, rien du tout. Moi, je trouve ça un peu malsain, ta mère c’est pas ta pote. Peut-être que je leur dirai quand je me marierai, histoire qu’ils soient au courant. Je pense à toutes ces histoires que les parents manquent, que je manquerai certainement, dont je ne peux que capter des bribes – un instant, imaginer écrire l’histoire de cet enfant qui « évolue parmi les bêtes » avant d’être « récupéré » par une jeune fille hilare d’à peine dix-huit ans.
Le 8 janvier
plein hiver Actes sud 208 p., 20 e
Les immeubles tokyoïtes du dernier film d’Hirokazu Kore-eda sont des empilements de lumière dilués dans une nuit dense. Derrière une fenêtre, un enfant souffle des bougies. Plus tard, il gonflera un ballon fabriqué avec un sac en plastique et on dirait que ce souffle traverse tout le film, la route arpentée en voiture, la ville et sa périphérie, jusqu’à sortir par la bouche d’un homme endormi. Dans Tel père, tel fils, c’est en apprenant à vivre avec un fils qui n’est pas le sien qu’on devient le père qu’on n’avait pas su être. La question de l’imposture est si liée à celle de l’amour qu’elle en devient l’amorce, le révélateur.
Le 12 janvier
Je photographie les abords du métro à Gennevilliers, les immeubles qui rappellent ceux du bord de la mer – ouvertures en ellipses creusées dans la façade, chants d’oiseaux massés dans un petit bosquet. Le square est vide. « Ch’ten merde sale pute mais ch’taime trop » est écrit au marqueur bleu sur le f lanc du toboggan. Au musée Albert-Kahn, les photographies anciennes sur plaques de verre – deux femmes japonaises, un guerrier mongol, la steppe et la neige, les branches molles des palmiers – se confondent avec les espaces extérieurs. Une « forêt bleue » des Vosges. Un jardin japonais. Les « archives Page 12 / TRANSFUGE
de la planète » côtoient leurs répliques artificielles en bordure de périphérique. Le Japon, ici, ressemble à l’Amérique autour de laquelle j’ai tourné pendant l’écriture de Plein hiver. Un lieu à la fois inconnu et familier. Écrire un lieu, ce serait imaginer l’espace vide entre ces images que tout le monde connaît.
Le 26 janvier
Il paraît que c’est un jour de colère. Au matin, des cars de CRS tout autour de la place de la Bastille, quelque chose se prépare mais cette fois, l’excitation joyeuse des jours de manifs s’inverse, se mue en méfiance, en anxiété. La foule aussi serait inquiète d’elle-même – certains groupuscules ont décliné l’invitation en apprenant que d’autres feraient partie du cortège. Dans les cris enregistrés, la colère ressemble plutôt une forme retorse de hargne et de peur. Le lendemain, atelier dans un lycée de Seine-Saint-Denis. Les élèves ont écrit, lu, discuté, j’ai pris comme d’habitude plaisir à les regarder trouver chacun leur place. Sacs à dos noirs, doudounes, bousculades, les groupes s’égrènent dans la cour. À la sortie, une prof fume. Elle dit, un gamin que j’aimais bien, que je connaissais depuis la sixième, dans cette manif, et on ne peut rien y faire. Elle n’est pas méfiante, elle n’est pas haineuse. Elle est en colère.
Le 28 janvier
Le métro aérien traverse le pont d’Austerlitz. C’est la nuit, nuit d’hiver qui clôt la journée trop tôt. Le quartier s’est transformé et sur l’eau dont l’étendue me paraît plus large qu’à l’accoutumée, épaisse et sombre comme une mer, sont posés des immeubles de verre aux lignes courbes et des tours, acier, phosphorescence. On pourrait être à New York, à Tokyo. On pourrait être dans n’importe quelle mégapole nocturne. Si l’on photographiait tous ces endroits dans ce type-là de nuit, précoce, noire, qui unifie les fleuves et les paysages, on pourrait reconstituer une immense ville virtuelle qui n’est ni Paris, ni New York, ni Tokyo, une ville qui est partout et nulle part et dont on aperçoit un morceau, le front collé à la vitre du métro, quand on traverse à toute vitesse le pont d’Austerlitz. Quand un roman se termine, je continue à chercher, dans mes promenades, des bribes du lieu qui l’a constitué. Et puis elles s’estompent et je me mets, sans d’abord m’en rendre compte, à chercher un autre lieu, une autre histoire. Un autre livre est en cours, que je ne connais pas.
club TRANSFUGE
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TRANSFUGE
Théâtre
Littérature
Conversation avec
Hélène Gaudy et Lola Lafon Chaque mois, Transfuge invite des écrivains à la librairie Les Guetteurs de vent. Ce mois-ci, nous accueillons Lola Lafon pour son livre La Petite Communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud), et Hélène Gaudy pour son livre Plein hiver (Actes Sud). Sur place, apéritif et signatures.
Jeudi 6 mars à 19 h 30 Les Guetteurs de vent, 108, avenue Parmentier, 75011 Paris
Entrée libre
Avec Bil Aka Kora Malou Christiane Bambara K. Urbain Guiguemde Nicolas Pirson Nongodo Ouedraogo Odile Sankara Moussa Sanou Blandine Yameogo Wendy Jeannette Gomis Scénographie Gilles Taschet Lumière Jean-Marc Skatchko Costumes Karine Vintache Assistante à la mise en scène Florence Bosson
C’est par le biais de cette farce politicoéconomique que les dérives du monde sont exposées ; l’Afrique et ses maux (dette, corruption, prostitution, projets culturels de façade…). Rions ensemble pour mieux comprendre et s’insurger.
www.nanterre-amandiers.com 01 46 14 70 00 Design graphique Pascal Béjean & Nicolas Ledoux – Impression Moutot, Montrouge
Du 7 au 30 mars, du mardi au samedi à 20 h 30, le jeudi à 19 h 30, le dimanche à 16 h Théâtre Nanterre-Amandiers, 7, avenue Pablo-Picasso 92022 Nanterre Théâtre Nanterre-Amandiers
du 14 mars au 6 avril 2014
Le Dernier Jour du jeûne
Texte et mise en scène Simon Abkarian
Texte et mise en scène : Simon Abkarian
Rare en France, Cees Nooteboom, figure de la littérature européenne, auteur du roman culte Rituels et, plus récemment, des Lettres à Poséidon, s’entretiendra avec Adam Thirlwell, voix forte de la littérature britannique. La rencontre sera animée par Oriane Jeancourt, rédactrice en chef littérature de Transfuge.
le 27 mars à 18 h 30 à Paris, à la résidence des Pays-Bas
Entrée libre sur réservation (par-pcz@minbuza.nl ou 01 40 62 33 86) - RSVP avant le 10 mars Cinéma
Berlin Alexanderplatz de R. W. Fassbinder D’après le roman d’Alfred Döblin
Sous la république de Weimar, dans les bas-fonds berlinois, Franz Biberkopf, meurtrier de son amie Ida, tout juste sorti de prison, fait la promesse de mener une vie honnête. Mais dans le Berlin des années 27-28, la vie est dure et le travail est rare. Ce chef-d’œuvre de Döblin publié en 1929 fut une véritable obsession pour le cinéaste R. W. Fassbinder durant toute son adolescence. Il l’adapta au cinéma en 1980.
Forum des images, 2, rue du Cinéma, 75001 Paris
20 places offertes le samedi 22 mars à 14 h 30
Chers abonnés, recevez vos cadeaux en nous écrivant à invitationtransfuge@free.fr
Dans le Liban des années soixante-dix, Simon Abkarian retrace l’histoire d’une famille prise au piège de la tradition. Dans cette Méditerranée éternelle et machiste, il mène une réflexion sur la condition féminine.
Avec Simon Abkarian Ariane Ascaride David Ayala Marie Fabre Cyril Lecomte Judith Magre Océane Mozas Clara Noël Chloé Réjon Igor Skreblin Collaboration artistique Pierre Ziadé Lumières Jean-Michel Bauer Son Antoine de Giuli Décor Noëlle Ginefri Corbel Costumes Anne-Marie Giacalone
www.nanterre-amandiers.com 01 46 14 70 00 Design graphique Pascal Béjean & Nicolas Ledoux – Impression Moutot, Montrouge
Du vendredi 14 mars au dimanche 6 avril à 20 h, Théâtre Nanterre-Amandiers, 7, avenue Pablo-Picasso 92022 Nanterre
10 places offertes le mercredi 19 mars à 20 h
Liliom de Ferenc Molnar
Traduit du hongrois par K. Rady, A. Moatiet et S. Vouyoucas. Mise en scène : Galin Stoev En périphérie de la ville, dans le monde marginal de la foire et de la misère sociale, un grand amour violent naît entre Liliom le forain et Julie la petite bonne. Fritz Lang adapta cette pièce au cinéma, en 1934, en France, alors qu’il était en transit vers les États-Unis.
Conception graphique : Atelier ter Bekke & Behage 13 - Imprimé par Média graphic - Licence n° 1-103 58 14
Cees Nooteboom et Adam Thirlwell
design HartlandVilla
Texte et mise en scène : Jean-Louis Martinelli À partir d’improvisations et avec la contribution d’Aminata Traoré
Le Dernier Jour du jeûne
Soirée littéraire avec
Forum des Halles forumdesimages.fr
du 7 mars au 30 mars 2014
Une nuit à la présidence
10 places offertes le jeudi 13 mars à 19 h 30
Littérature
1er mars 20 avril
Une nuit à la présidence
Théâtre Nanterre-Amandiers
Écriture et mise en scène Jean-Louis Martinelli À partir d’improvisations et avec la contribution d’Aminata Traoré Musique Ray Léma
Ferenc Molnár
de traduction du hongrois
Kristina Rády, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas
mise en scène avec
Galin Stoev
Yoann Blanc, Anna Cervinka, Romain Dierckx, Christophe Grégoire, Christophe Montenez, Céline Ohrel, Marie-Christine Orry, Marie-Ève Perron, François Prodhomme scénographie Alban Ho Van création musicale et sonore Sacha Carlson création lumière Nathalie Borlée costumes Natacha Belova assistanat à la mise en scène Nadège Coste coproduction Théâtre de Liège, La Colline – théâtre national, Le Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine avec le soutien du Nest – Centre Dramatique National de Thionville-Lorraine, et la participation du CAS – Centre des Arts scéniques de la Fédération Wallonie-Bruxelles
du 6 mars au 4 avril 2014
www.colline.fr 01 44 62 52 52
Du 6 mars au 4 avril, Théâtre de la Colline, 15, rue Malte-Brun 75020 Paris
10 places offertes le vendredi 7 mars à 20 h 30
Les Méfaits du tabac
Concert en un acte : Anton Tchekhov, JeanSébastien Bach, Luciano Berio, Piotr Ilitch Tchaïkovski. Mise en scène : Denis Podalydès Dans une école de musique qui est le théâtre lu i-même, quelques cha ises, quelques pupitres : un trio de musiciennes jouent Bach. Arrive un monsieur. Que vient-il faire là ?
Du mardi 18 mars au samedi 12 avril à 19 h Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, boulevard de la Chapelle 75010 Paris
10 places offertes le mardi 18 mars à 19 h
Des cadeaux de bienvenue pour les nouveaux membres du club TRANSFUGE * (Dans la limite des stocks disponibles) * Vous recevrez un e-mail de confirmation pour choisir votre cadeau
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15 rue Malte-Brun, Paris 20