TRANSFUGE N°109

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Mai 2017 / N° 109 / 6,90 €

Choisissez le camp de la culture

JAY MCINERNEY

LE MAGNIFIQUE

PORTRAIT DU GRAND ÉCRIVAIN NEW-YORKAIS POUR LA PARUTION DES JOURS ENFUIS

M 09254 - 109 - F: 6,90 E - RD

3’:HIKTMF=YU[^U^:?k@l@a@j@a"; House of Cards à l’ère Trump

Rencontre à Los-Angeles avec Richard Gere

Cannes : nos pronostics


Le programme du mois

I

par Vincent Jaury

l y a dix ans exactement, nous rencontrions Jay McInerney à New York, au luxueux Gramercy Park Hotel. Paraissait La Belle vie, deuxième opus de la vie des Calloway (après Trente ans et des poussières, 1992) qui diagnostiquait l’après 11 septembre et ses répercussions puissantes sur les mentalités des New-yorkais. Il s’agissait de raconter la mutation d’un clan ultra riche obsédé par ses intérêts en une classe pour un temps devenue humaniste, sensible à l’avenir de l’humanité. On retrouve Corrine et Russell, dix ans plus tard, dans ce dernier roman à paraître le 11 mai, Les Jours enfuis. Si le couple continue à mener la belle vie, vernissage, lancement de livres, fréquentation de la jet set, il est usé. Russell a du mal à faire fonctionner sa maison d’édition, manque d’argent, et Corrine entame une liaison avec le très riche Luke qu’elle avait rencontré au lendemain du 11 septembre. A l’occasion de la parution de ce troisième volet, il nous a paru judicieux de revenir sur son parcours. A travers deux thèmes qui qualifient

au mieux la vie et l’oeuvre de McInerney : le couple et New York. A ce jour, après de nombreuses recherches ici et là, aucun portrait aussi précis n’a été réalisé sur l’écrivain new-yorkais le plus connu de la planète aux côtés de Philip Roth et de Bret Easton Ellis. Après des heures de travail et d'archivage méticuleux, nous vous offrons ce portrait de 22 000 signes, pour tout savoir ou presque sur ce brillant écrivain. ÉDITO / Page 3


SOMMAIRE Page 24

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N°109 MAI 2017

JAY MCINERNEY

NEWS

3/

Édito

6/

On prend un verre avec Lolita Chammah

CHRONIQUES nez dans le texte de François Bégaudeau ce que vous voulez 12 / Journal d’un homme pressé 8 / Le

10 / Croyez

express : Patrick Besson express : Terence Davies 18 / Interview express : Argyris Papadimitropoulos 20 / Interview express : Maysaloun Hamoud 22 / En coulisse avec Frédéric Bonnaud 14 / Interview

16 / Interview

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HOUSE OF CARDS

DU CÔTÉ DE LA LITTÉRATURE

24 / L’événement

: Portrait fleuve du grand écrivain fitzgeraldien Jay McInerney à la faveur de la parution de son roman, Les Jours enfuis. 32 / Comme chaque mois, Transfuge vous présente ses 10 livres incontournables 44 / Correspondance : Lettres à la marquise, Alfred Dreyfus 46 / Médias : Christine Angot versus François Fillon 48 / Essai : La Révolution culturelle nazie, Johann Chapoutot 52 / Dossier : Les éditions Noir sur Blanc fêtent leur 30 ans 58 / Remous : Le Maroc de Farouk Mardam-Bey


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RICHARD GERE

SUR NOS ÉCRANS

62 / Cannes,

nos pronostics des 10 meilleurs films du mois 74 / DVD/ressorties salle 80 / Enquête : House of Cards à l’ère Trump 86 / Classique : entretien fleuve avec Richard Gere 68 / Sélection

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EN VILLE

92 / Art

96 / Scène

98 / Festivals

122 / En

route ! Va devant !

D’après le portrait de Jacques Lemercier par Philippe de Champaigne, huile sur toile, 1644 © RMN-Grand Palais (Châteaux de Versailles et de Trianon) / Gérard Blot © Graphisme : Keva Epale

citedelarchitecture.fr

#ExpoArchi


J’AI PRIS UN VERRE AVEC…

LOLITA CHAMMAH

Par Frédéric Mercier Photo Thomas Pirel

L

’année 2017 sera l’année de Lolita Chammah. Ou pas. Elle est à l’affiche de Drôles d’oiseaux d’Elise Girard, la réalisatrice de Belleville Tokyo. On l’a vue en début d’année dans L’Indomptée de Caroline Deruas et on l’a fortement admirée dans Barrage, le film luxembourgeois de Laura Schroeder qui a fait sensation à Berlin mais qui n’a pas encore de date de sortie prévue. À l’hôtel de L’Abbaye, rue Cassette dans le VIe arrondissement, Lolita Chammah m’a donné rendez vous dans le quartier où réside sa famille, c’est- à-dire son père, le producteur Ronald Chammah et sa mère, Isabelle Huppert. Pas très loin, il y a même le Christine 21, anciennement Action Christine, une salle de cinéma mythique

« J’étais une adolescente très classique » qui appartient désormais à son père et son frère et où a été tournée une des plus belles scènes de Drôle d’oiseaux. Elle même vit plutôt du côté des Arts et Métiers, là où nous devions nous rencontrer avant qu’elle ne change d’avis. Elle commande un citron pressé, regarde souvent son téléphone. Elle doit partir rapidement juste après. Je lui dis être étonné qu’elle soit autant sollicitée par les réalisatrices et peu par les hommes. Elle même ne sait pas trop pourquoi et m’explique Page 6 / TRANSFUGE

qu’elle tourne actuellement une série pour Laetitia Masson. « Elles voient en moi quelque chose que je ne saisis pas. Elise Girard a écrit le rôle pour moi. Exactement comme Sophie Letourneur dans Gaby Baby Doll. Je sais aussi que j’inspire des personnages burlesques. » Depuis le début de sa carrière professionnelle en 2000, cette jeune mère de famille née en 1983 aura tourné et été la muse de Laurence Ferreira Barbosa, Claire Denis, Coline Serreau et Mia Hansen-Love. Pour elle, « il y a vraiment une génération de cinéastes femmes qui est en train d’émerger. » Elle me parle du féminisme de Céline Sciamma avec qui elle vient juste de boire un verre. Mais ses choix à elle n’ont rien à voir avec le féminisme. « Je n’ai jamais connu sur les plateaux d’agressivité de la part des hommes. Il y a peut être quelque chose en moi, dans ma nature, qui me protège, qui sait ? Mon féminisme est donc plus théorique qu’empirique. Je crois aussi qu’il faut se méfier du féminisme radical. » Dans Drôle d’oiseaux, elle joue Mavie, une provinciale, débarquée à Paris, qui ne supporte pas d’entendre la copine qui l’héberge faire l’amour nuit et jour. Elle tombe sous le charme d’un libraire âgé et mystérieux campé par Jean Sorel. Entre eux, se noue une histoire qui tient à la fois de la rêverie et de l’amour courtois : « C’est une rencontre d’âmes, de discussions littéraires, une histoire d’amour platonique et mental. » Une fois de plus, avec son visage très blanc, ses longs cheveux roux, elle campe un personnage en décalage avec le monde contemporain: « Mavie a une vieille âme. Comme moi, peut-être ? J’étais une adolescente très classique, pas du tout punk. J’ai vu hier Grave. Je sais que Ducournau va tourner un film sur une serial killeuse. C’est le genre de rôle que j’essaierais bien. » Lolita Chammah en tueuse borderline. Voilà qui serait excitant et original.


Carson McCullers

« Carson McCullers est à mes yeux l’auteur le plus important d’Amérique. » Tennessee Williams

« Les personnages de Carson McCullers sont comme nous : humains, malheureux, pleins d’espoir, authentiques. » Joyce Carol Oates

Illustrations © Raphaëlle Faguer


Sortir par le haut

C

ARTICLE 353 DU CODE PÉNAL de Tanguy Viel, Éditions de Minuit, 176p., 14,50e

par François Bégaudeau omment ça s’écrit le Viel ? Comme ça : « Mais ce soir là, il est parti comme si de rien n’était, il s’est mis au volant de sa Porsche comme si de rien n’était et puis il est parti ». On peut imaginer que la correctrice des éditions de Minuit a signalé à l’auteur l’énorme redite dans ce tronçon, et par précaution a posé la question rituelle : la répétition est-elle voulue ? Et par mail l’auteur a répondu : oui elle l’est. C’est mon style. C’est ainsi que j’écris. Cordialement, Tanguy. A vrai dire, il est improbable que cet échange ait eu lieu. Car la correctrice est habituée. Tous les livres de Viel sont emplis de ces redondances, de ces double ou triple couches. Il n’écrit pas : « Elle pense que tout ce qui est arrivé depuis est de ma faute. Un jour je lui ai dit qu’elle avait raison ». Mais : « Elle pense que c’est de ma faute, tout ce qui est arrivé depuis, elle dit que c’est de ma faute. Peut-être qu’elle a raison. Je lui ai dit ça un jour : tu as peut être raison, tout ce qui s’est passé, c’est sans doute de ma faute ». Le risque d’une telle manière est de sembler maniérée. A bon droit pourrait-on même alléguer qu’elle tient de la manie, que les outils de la redondance sont des tics. On veut parler des « voilà », des « oui » entre deux virgules, des « là », des innombrables relances par « et » ou « alors », des cumuls nom-pronom à la Céline - « Et maintenant j’aimerais bien qu’elle y résonne encore, la musique, dans sa chambre ». Et bien sûr de l’anaphore, figure reine de la littérature contemporaine. Aux huit lecteurs attentifs de Transfuge, cette panoplie rappellera celle, détaillée dans le numéro de décembre, de Laurent Mauvignier. Tout ce que cet article déjà culte disait de Continuer peut l’être de Article 353 du Code pénal : la redondance est un dopant injecté dans des énoncés pauvres, elle force la voix pour couvrir l’absence de style, elle vise le souffle et ne produit que de l’emphase, etc. Or une question se pose depuis quinze ans qu’on lit l’un et l’autre. D’où vient qu’une armature stylistique identique nous inspire des sentiments si contradictoires, adhésion d’un côté, rejet de l’autre? Si l’on postule que le style fait tout, le cas ne laisse pas d’interroger. Etant entendu que le seul renvoi aux derniers titres respectifs de ces deux auteurs suffirait. Ecoute-les. Ecoute comme ils induisent deux littératures différentes, antithétiques. Pour qui a l’oreille du chat, tout y est. Pour les pas chat, reprenons le problème à la base. L’outillage commun aux deux auteurs, la multiplication des marqueurs d’énonciation, transforme le geste de raconter en un geste de parole,

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LE NEZ DANS LE TEXTE

en bordure de l’oralité : « Et peu à peu, le juge, on aurait dit que tout se durcissait à l’intérieur de lui ». Chez Viel l’oralisation de la narration, du moins sa torsion en discours, se signale par l’omniprésence du verbe dire, cuisiné à toutes les sauces - avec en point d’orgue « je veux dire ». Son héros Martial Kermeur ne narre pas, il parle. La situation qui ordonne le roman est, sans surprise (ni grande originalité), celle d’aveux dans le bureau d’un juge. Le récit est adressé à quelqu’un, et imprégné de cette adresse : « Parce que c’est quand même elle qui est partie, je tiens à le préciser, alors j’ai le droit de me demander, vous comprenez, j’ai le droit de me demander depuis quand, pardon de le dire comme ça, oui, mais depuis quand elle connaissait sa chambre à coucher ». Chez Mauvignier, la verbalisation revêt une fonction psy. Même émanée d’un narrateur neutre, le récit-discours de Continuer, sonne comme la confidence qu’une intimité se fait à elle-même à fin de thérapie. Il y a un peu de ça dans Article 353... En la régurgitant au juge, Martial se soulage de son existence pourrie. Car lui aussi appartient à l’humanité éclopée que la littérature ambulancière ramasse : ouvrier viré de l’Arsenal de Brest, détroussé de ses indemnités de licenciements par un escroc, quitté par sa femme, le tout dans la brume humide où, comme Simenon, Viel aime à baigner ses losers. Sauf qu’il y a plus. Il y a le décrochage bigger than life qui rehausse le texte. Il y a ce fait déchirant jusqu’au grotesque que Martial a joué les bons numéros au loto le seul jour où il a omis d’enregistrer son ticket. Il y a que ses rapports avec son fils se cristallisent dans une scène où il finit suspendu à la nacelle d’une grande roue de foire, le vide sous les pieds. Ainsi s’élève le niveau. Ainsi on prend un peu de hauteur, de distance. La confession gonfle en épopée. La petite lose prend la grande forme d’un énorme trou boueux, celui du chantier immobilier suspendu. Le promoteur véreux est un cow-boy, ses pigeons des Indiens, et le maire un shérif cornaqué. La complainte confessionnelle se dilate en fable politique titrable comme du Leone : L’ouvrier, le politique et le marchand. Ici on s’assassine sur un bateau, on meurt dans les flots. Et entendez cette phrase, la première du roman, pour dire ce crime au large : « Sur aucune mer du monde, même aussi près d’une côté, un homme n’aime se retrouver dans l’eau tout habillé ». Entendez vous la hauteur de vue, entendez-vous l’humour ? Le chat, lui, l’entend.


“UN INTENSE FACE-À-FACE POÉTIQUE” Positif

“UNE ŒUVRE D’ART(S)” HHH StudioCinélive “INFINIMENT SENSIBLE, EMILY DICKINSON CÉLÈBRE LES TOURMENTS ET LA BEAUTÉ D’UNE ÂME LIBRE” Transfuge

SELECTION OFFICIELLE 2016

CYNTHIA NIXON

SELECTION OFFICIELLE 2016

SELECTION OFFICIELLE 2016

JENNIFER EHLE

SELECTION OFFICIELLE 2016

KEITH CARRADINE

emily dickinson a quiet passion un film de TERENCE DAVIES

GIBSON & MACLEOD, WEATHERVANE PRODUCTIONS et SCREEN FLANDERS, ENTERPRISE FLANDERS AND THE FLANDERS AUDIOVISUAL FUND (VAF) En association avec DOUBLE DUTCH INTERNATIONAL et INDOMITABLE ENTERTAINMENT présentent un film HURRICANE FILMS, POTEMKINO et SCOPE PICTURES PRODUCTION “A QUIET PASSION” avec CYNTHIA NIXON, JENNIFER EHLE et KEITH CARRADINE Producteur délégué PAUL DE RUIJTER Chef décorateur MERIJN SEP Montage PIA DI CIAULA Costumes CATHERINE MARCHAND Casting JOHN HUBBARD et ROS HUBBARD Coiffure FRANK VAN WOLLEGHEM et EVIE HAMELS Maquillage FABIENNE ADAM et MICHELLE VAN BRUSSEL Son JOHAN MAERTENS et PAUL COTTERELL Directeur de la photographie FLORIAN HOFFMEISTER B.S.C. Producteurs exécutifs ANDREA GIBSON, JASON VAN EMAN, ROSS MARROSO, BEN MCCONLEY, RON MÖRING, JASON MÖRING, GENEVIEVE LEMAL, ALAIN-GILLES VIELLEVOYE, DOMINIC IANNO et STUART POLLOK Co-producteur exécutif MARY MACLEOD Co-Producteurs PETER DE MAEGD et TOM HAMEEUW Produit par ROY BOULTER et SOLON PAPADOPOULOS Ecrit et réalisé par TERENCE DAVIES

au cinéma le 3 mai


CROYEZ CE QUE VOUS VOULEZ... Le Temps de l’Afrique

N

ous y sommes, au comble du spectacle électoral. De cette campagne, en littérature, nous aimerions oublier certains romans piteux qui ont saisi l’aubaine de raconter la victoire de Marine Le Pen, les apostrophes mal fagotées qui ont tenté de devenir des brûlots politiques, les désirs d’une littérature devenue chronique « en temps réel » de la vie politique française. Comment a-t-on pu croire qu’être contemporain consistait à ingurgiter les faits du jour et les régurgiter sur papier? Procédé du poulpe cracheur d’encre. Comment oublier que le contemporain de la pensée ne court pas en phacochère après le récit collectif du présent, mais avance sur les zones sismiques-oniriques, mémorielles, intimes ou mythiques- jette de l’huile sur le feu comme dirait Debord. Mais il y eut aussi des livres qui furent ces derniers mois éminemment contemporains, c’est-à-dire en avance, ou au-delà de l’actualité. Prenez l’essai paru en février sous la direction d’Alain Mabanckou, Penser et écrire l’Afrique d’aujourd’hui (Seuil ). Ce livre-là aurait pu être au centre des échanges politiques de la campagne. Aurait dû l’être, si l’on veut déplorer encore que les ouvrages intellectuels influencent si peu les débats ( même Piketty est brandi, mais jamais déployé). De quoi s’agit-il ? De prolonger le superbe discours d’Alain Mabanckou au Collège de France, d’appeler à « labourer de nouvelles terres » comme il l’écrit en introduction. De poursuivre sans doute aussi la réflexion qu’il a amorcée dans Le Sanglot de l’homme noir, ( Fayard, 2012). Ambition immense de l’écrivain : repenser la culture en incluant les non-dits, les impensés africains, réécrire l’histoire mondiale, de France aussi, telle qu’elle est, « cousue de fils noirs par des mains d’ébène ». Mabanckou s’entoure des plus fins penseurs de la « postcolonie » : écrivains, chercheurs, penseurs, poètes. On trouve dans ce livre des gens aussi divers que l’historien français François Durpaire, le philosophe et politologue camerounais Achille Mbembe, le philosophe sénagalais Souleymane Bachir Diagne, l’audacieux écrivain djiboutien Abdourahman A. Waberi, ou Lucy Mushita, écrivain zimbabwéenne dont il faut lire

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le merveilleux texte sur le machisme appliqué aux femmes africaines en France, du jour où elle est passée du statut de femme à celui de « gazelle », du dramaturge et metteur en scène Dieudonné Niangouna qui s’est fait entendre le mois dernier en s’interrogeant sur la présence des Africains au festival d’Avignon cette année ( l’huile sur le feu, toujours…). Mais aussi de Gauz, jeune romancier, qui dans un texte subtil et vivant relie Barthes et la colonisation. Ou Dany Laferrière, notre académicien préféré, qui retrace sous une forme implacable l’histoire d’Haïti, cette terre d’esclaves devenue patrie d’une littérature mondiale où « le verbe enflamme les affamés ». Livre politique, bien sûr, au sens d’appel à l’action. Ainsi, alors qu’en Afrique la famine tue avec méthode et application, Célestin Monga, directeur général adjoint de l’ONU pour le développement industriel, s’attaque aux philosophes de tous bords qui méprisent l’économie, ce qu’il appelle « l’exotisme intellectuel ». Selon lui, l’Afrique doit en premier lieu acquérir la première dignité : la fin de la pauvreté. Et si, écrit-il, la Chine a pu en l’espace d’une génération « sortir sept cent millions de ses citoyens de la pauvreté », « l’Afrique est capable de faire bien mieux encore. A condition que les responsables des politiques publiques (…) regardent l’avenir les yeux ouverts ». La pensée de l’Afrique connaît aussi une nécessité en France. A l’heure où l’affaire Traoré émeut et révolte tant de gens encore, Pascal Blanchard écrit sur cette idée persistante que la France est avant tout un « pays de liberté pour les Noirs » alors que depuis les années 80 les Noirs se disent plus libres et plus respectés en Grande-Bretagne par exemple… Enfin, ce livre ouvre une perspective : dans un texte puissant, le philosophe Achille Mbembe annonce que « le temps de l’Afrique viendra. Peut-être pas de notre vivant. Mais il viendra. Le rôle de l’écriture et de la création imaginaire, artistique et culturelle est d’en préparer l’avènement ». Voilà, en effet, le contemporain, tel qu’il devrait être pensé dans les livres : la vision d’un lendemain nouveau. Oriane Jeancourt Galignani


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UN FILM DE NITZAN GILADY GILADY NITZAN FILMS LTD PRÉSENTE "WEDDING DOLL" UN FILM ÉCRIT, RÉALISÉ ET PRODUIT PAR NITZAN GILADY AVEC ASI LEVI MORAN ROSENBLATT ROY ASSAF ARIE TCHERNER AVIVA GER ODED LEOPOLD UDI PERSI YEHUDA NAHARI TOMER KAPON LILACH BIRT HADAR RATZON ROTEM ITZIK GIULI ILAN HAZAN AVIV ELKABETZ OPIR NAHARI PHOTO ROEY ROTH MONTEUR TALI GOLDRING MONTAGE FINAL DANIEL AVITZUR CONSULTANT RAVID DAVARA PRODUCTEUR EXÉCUTIF SHALOM GOODMAN CONSULTANT ILAN DURAN COHEN DIRECTEUR ARTISTIQUE DINA KORNVEITS COSTUME KEREN EYAL MELAMED MAQUILLAGE ET COIFFURE ZLIL SHAI ASSISTANT RÉALISATEUR SHIRAN YALOVICH SON VITALI GRINSHPUN EFFETS SPÉCIAUX NILS PETERSEN MIXAGE YOSSI APPELBAUM MUSIQUE LIOR ROSNER SCRIPTE IDIT SHECHORI DISTRIBUTION BODEGA FILMS

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


LE JOURNAL DE L’HOMME PRESSÉ © DR

« L’âme de l’homme est comme un marais infect : si l’on ne passe vite, on s’enfonce » disait Stendhal. Chaque mois, suivez au pas de course les aventures de notre envoyé spécial en embuscade dans le tout-Paris...

Déshabillé panthère et pipes aux cils

N

ous avons deux vies. La seconde commence lorsque nous nous rendons compte que nous n’en avons qu’une. Frédéric Beigbeder a écouté Confucius. A La Palette, alors que Nicolas Rey nous présente sa fiancée comme « la future Sagan », l’astre vibrionnant du tout-Paris qui ne se couche jamais ou presque, semble dans une forme olympique. Tout en s’envoyant un cognac, l’écrivain quinquagénaire jure qu’il est temps de passer à autre chose et d’entamer sa seconde mi-temps. « Je pars m’installer à Guéthary avec Lara et notre fille, loin du Montana, de la pollution et de la procrastination. La pluie est la meilleure amie de l’écrivain ligoté à sa chaise. » Je lui rappelle que le merveilleux Paul-Jean Toulet qu’il admire, avait fui l’opium, le débauche, l’absinthe et les amis v ieillissant s donc déprimants, pour aller achever en beauté dans Page 12 / TRANSFUGE

ce petit port basque une existence de patachon. Mais nous n’en sommes heureusement pas là. Frédéric est requinqué par son séjour dans une célèbre clinique autrichienne où « des docteurs Mabuse aux profils de Mengele du bistouri » lui ont nettoyé le sang par de multiples opérations complexes avant de recharger son organisme en ions positifs. « Keith Richards et Poutine ne jurent que par cet endroit. Mon très méchant ami Simon Liberati craint que mes médecins m’aient refourgué le sang pourri de leurs célèbres patients. Je te dirai dans quelques temps. J’ai eu le temps de réfléchir sur un très excitant projet de série autour des égéries sixties, ces filles sublimes et gonflées qui ont changé le monde en se détruisant. » Fiesta studieuse ( ça existe) organisée chez le galeriste Baudoin Lebon à la suite du vernissage


LE JOURNAL DE L’HOMME PRESSÉ de Juliette -Andréa Elie, étoile montante de l’art contemporain qui rentre tout juste d’une année au Brésil. Dans le grand appartement encombré d’œuvres biscornues, une attirante photographe chilienne me parle du coup du piropo, cet « œil enflammé, ce regard qui signifie l’attirance brûlante entre un homme et une femme ». Est-ce un signal médiumnique ? Je saisis la fine allusion mais m’éloigne prudemment. Je suis d’une nature fidèle, comme chacun sait. Un vieux journaliste qui a côtoyé pendant cent ans ou presque le tout-people m’explique que « Delon est fidèle en amitié mais antipathique tandis que Belmondo est infidèle en amitié mais sympathique ». J’adore ! Quant à Baudoin Lebon, sa religion est faite depuis des lustres : « ma carrière de marchand d’art est conduite par l’incertitude du doute ». J’adore ( bis ) ! Party organisée à l’hôtel Costes par Alain Benoist, le créateur du magazine culte Façade. Le nouveau numéro a été entièrement conçu par Gilles et Pierre (après tout, pourquoi ne pas les citer par ordre alphabétique ?). Je tombe sur Monsieur et Madame Titus affublés comme des sapeurs du Malawi, ravis d’être là, car soupirent-ils, très las, « nous ne recevons presque plus d’invit’s ». Mondino me confie qu’il se rase le crâne et les couilles « parce que c’est plus pratique et plus hygiénique ». Blanchette et Noiraude papotent avec un transgenre qui n’est pas le mien. Guy Cuevas et Kenzo s’amusent comme de vieux enfants, certes fatigués, mais pas encore tout à fait gâteux. Les journalistes et écrivains Béatrix de L’Aulnoit et Philippe Alexandre habitent dans un joli appartement avec vue imprenable sur les Chandelles, ce club des allongés très libertins. Au menu de leur souper : la politique et ses affaires qui se multiplient avec une constance réjouissante. Directeur de cabinet de Jacques Chirac à la Mairie de Paris puis éphémère Ministre de la Coopération au sein du gouvernement Balladur avant d’être mis en examen dans l’affaire des HLM de la Ville de Paris, Michel Roussin vous regarde comme s’il en savait long sur vous. Cet homme de l’ombre qui débuta dans les services secrets me raconte comment un jour surgit dans son bureau de l’Hôtel de Ville, Bernadette Chirac en déshabillé panthère, la démarche suspendue à des stilettos d’échassière. « Vous voyez, Monsieur Roussin, moi aussi je peux plaire ! », lui assena-t-elle, comme pour conjurer une existence de femme abonnée aux frasques sexuelles extraconjugales de son mari. A propos des costumes griffés Arnys de Fillon et de Moscovici offerts par d’étonnants « amis », Roussin se souvient de Georges Pompidou comptant ses billets de banque pour aller acheter un nouvel imperméable en solde chez ce même Arnys. Autre temps, autres mœurs.

Il est temps de prendre un peu l’air. Direction Los Angeles pour quelques jours. Dîner chez Madeo, le restaurant italien dans lequel le tout Hollywood s’entasse pour dévorer trois spaghettis à la poutargue au prix de deux Smic locaux. Le photographe Alexi Lubomirski et le comédien et modèle Michael Brandon sont à ma table. Alexi est né au Botswana ce qui ne l’empêche pas de descendre d’une grande famille polonaise. Ce prince photographe, comme d’autres sont princes-jardiniers, a débuté comme assistant de Mario Testino. « Il m’a appris beaucoup de choses en technique, mais aussi, à ses dépens, de ne jamais trop s’étaler sur soi-même. Si vous dînez avec Mario, il passera quatre heures à vous parler de lui et de ses shootings avec Kate ( Moss ) et autres divinités de papier glacé, avant de vous demander sur le pas de la porte, en enfilant son manteau, si tout va bien pour vous. » Michael Brandon, joli garçon qu’on a pu voir dans des pubs Lancôme, a grandi à Minneapolis. Tout jeune, il débarquait souvent chez Prince qui donnait des concerts dans sa salle de concerts particulière pour une poignée d’admirateurs conviés. « Il n’y avait que trois conditions pour être admis : ne pas fumer, ne pas boire d’alcool et ne pas se défoncer. » Ne me demandez pas quelles conditions ne remplit plus Michael. Petit-déjeuner au Standard avec la légendaire groupie Pamela Des Barres que je saisis au saut du lit ou presque. Pamela qui vient de publier son quatrième tome de souvenirs était célèbre pour prodiguer de prodigieuses pipes avec ses cils. Elle s’est fait tatouer dans son dos un grand Elvis avec ses mots de circonstance très raccords avec sa position de belle de nuit : « Treat me nicer » ( tirée de « Jailhouse Rock » ) et survit aujourd’hui en organisant des rock tours dans la Cité des Anges. « J’ai eu ma part de bons temps, aujourd’hui je suis un peu considérée comme la grand-mère allumée des sixties ». Un oracle que les jeunes générations viennent consulter, s’abreuvant à ses histoires de coucheries avec tout le Gotha rock’n roll de l’époque. « En fait, conclut-elle, philosophe, je n’aspirais qu’à rendre la vie des musiciens plus agréable. Ils débarquaient crevés à L.A. Je leur proposais le repos du guerrier sous forme de service après-vente : shopping, accompagnement et fellation ». Au Château-Marmont, je tombe sur Jim Goldstein, le vieux millionnaire fashion addict affublé comme un cowboy aux airs de crocodile dandy qui hante les défilés de la planète. « J’ai acheté ma grande demeure pas très chère parce que personne n’en voulait à l’époque : elle est située juste au-dessus de celle de Sharon Tate ». Depuis celle-ci a été rasée. As times goes by. NEWS / Page 13


INTERVIEW EXPRESS

le problème de Fillon, c’est qu’il a un château et beaucoup d’enfants

Patrick Besson est déjà de retour, avec Sarkozy à Sainte-Hélène, et continue de faire rire. Rencontre. Introduction et propos recueillis par Guillaume Beaune Patrick Besson publie plus vite que son ombre. Il y a deux mois, c’était Cap Kalafatis, un roman très réussi paru chez Grasset. Aujourd’hui, c’est un recueil de nouvelles chez Gallimard, Sarkozy à Sainte-Hélène. Dix sept historiettes enlevées, ironiques, critiques et drolatiques, publié dans VSD et Le Point. Besson ausculte notre société puis la radiographie. Quel médecin ! dans votre livre, Julie Gayet dialogue avec madame de Pompadour... Le président, en n’officialisant pas sa liaison avec Gayet, faisait de l’actrice sa favorite. Et le mot « favorite » m’a immédiatement fait penser à la monarchie. Il y a pas mal de pompe monarchique dans la fonction de président de la République en France. Pourquoi la nouvelle « Sarkozy à Saint-Hélène »? C’était l’idée que Napoléon était mieux à l’île d’Elbe, une île proche de ses racines à lui, qu’à Sainte-Hélène. Des fois, il ne faut pas revenir. Pourquoi ? Parce que ce sera pire après. C’est la

grosse honte quand même Sainte-Hélène pour Napoléon. On le ridiculise en lui donnant cette sorte d’îlot. C’est pareil pour le Cap- Nègre. Quelle nouvelle auriez-vous pu écrire sur l’intervention de Christine Angot et son « monologue » devant François Fillon dans L’Emission politique de France 2 ? (Rires) Mais c’est elle qui a écrit la nouvelle. Dans son style. Elle appartient à une tradition « d’intervention » et de spectacle qu’ont inaugurée les philosophes du XVIIIe siècle et qu’ont prolongée les surréalistes. L’intervention ne confinait-elle pas au ridicule ? Ah oui elle est ridicule, mais les surréalistes aussi étaient ridicules. Artaud… c’était souvent très con. Mais le ridicule fait partie en quelques sortes de la subversion. Macron peut-il être un héros de nouvelle ? J’ai fait un texte sur lui dans Le Point. Je disais qu’il m’aimait, qu’il me comprenait car il comprenait tout le monde.

© FRANCK FERVILLE

Et Mélenchon ? Il a déjà réussi à détruire le PC et maintenant il s’attaque au PS. Il va se casser après. C’est un trotskiste, il ne faut pas l’oublier. Son truc à lui c’est la scission. Mélenchon est un grand orateur comme Trotsky. On ne sait pas trop ce que veut Mélenchon, à part peut-être parler devant des gens.

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Et François Fillon ? (Rires). Ah, Fillon, c’est un mélange de Cadoudal et de Stavisky. Le problème de Fillon, c’est qu’il a un château et beaucoup d’enfants et que tout ça coûte une fortune. Il n’aime de surcroît que les trucs chers, la technologie, les voitures de courses… Je pense qu’il doit être tout le temps en train de colmater des trous dans ses finances. Tout ça à cause de ses charges… Car c’est quelqu’un qui n’a pas de fortune personnelle. Alors, il tente de trouver de l’argent partout. Finalement, vous semblez le comprendre, Fillon ? Je comprends tout le monde. Même BHL, je le comprends.

SARKOZY À SAINTE-HÉLÈNE Patrick Besson, Éditions Gallimard, 144 p. 12,80 e


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