TRANSFUGE N°71

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Octobre 2013 / N° 71 / 6,90 €

TRANSFUGE Choisissez le camp de la culture

Martin Capparos, J. M. Coetzee, Svetlana Alexievitch, Alan Pauls…

LITTERATURE

la litterature, jamais scandaleuse ? henrY miller M 09254 - 65S - F: 6,90 E - RD

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et la crise grecque

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CINEMA

La vie d’Adele, palme d’or meritee ?

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WHY NOT PRODUCTIONS PRÉSENTE

“PASSIONNANT” TÉLÉRAMA “FORMIDABLE” LE FIGARO “UNE HISTOIRE MAGNIFIQUE” LE PARISIEN “UN FILM D’UNE HUMANITÉ RARE, PROFOND ET VRAI” LIBÉRATION

JIMMY P. BENICIO DEL TORO

M AT H I E U A M A L R I C

© PHOTO : NICOLE RIVELLI - CRÉDITS NON CONTRACTUELS

PSYCHOTHÉRAPIE D’UN INDIEN DES PLAINES

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UN FILM DE

ARNAUD DESPLECHIN

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C

par Vincent Jaury

e n’est pas moi qui le dis, mais un écrivain américain, suicidé le 12 septembre 2008, à 21 h 30 dans sa maison de Claremont, Californie. Pendu. 46 ans. Nom Wallace, prénom David Foster. Rien ne prédisposait ce grand dépressif à voir notre époque comme un âge d’or de la littérature et pourtant. Dans l’article «Fictional Futures and the Conspicuously Young» (non traduit), il se demande comment un écrivain dans les années 1990 peut arriver à écrire quelque chose d’inventif, à un moment de l’histoire littéraire où les courants prolifèrent : minimalisme, ultraminimalisme, néolyrisme, métafiction, structuralisme, postmodernisme, néoréalisme, etc. Où les grands noms écrasent : Alain Robbe-Grillet, Witold Gombrowicz, pour les commencements de ce qu’il considère comme notre époque ; et plus récemment Peter Handke, J. M. Coetzee, William Gaddis, Robert Coover, Carlos Fuentes. Aussi lourdement dépressif fût-il, Wallace tient ce discours, argumenté et analytique, à contrecourant de ceux, maussades, entendus aujourd’hui en France. Ce genre d’exercice tient plus du jeu que d’un raisonnement froid et objectif, Coetzee est-il plus grand que Montaigne ? Y a t-il plus de grands écrivains au xixe siècle qu’aujourd’hui ? Il est impossible sérieusement de répondre à cette question. Mais qu’il ait raison ou tort ce texte présente l’intérêt, en ce qu’il permet de réajuster notre jugement sur la littérature contemporaine, de rappeler contre les discours dominants de la sphère médiatique et intellectuelle française qu’il n’ait pas encore besoin de se suicider, que des hommes derrière les ordinateurs continuent à écrire, à lire, à innover, à faire bouger les lignes de la littérature. Fermons les oreilles aux clameurs apocalyptiques, et continuons, attentivement, à lire les textes de près, ligne à ligne, paragraphe par paragraphe, chapitre après chapitre : travail de la critique, dont, me semble-t-il, nous avons plus que jamais besoin. La preuve avec ces romans de littérature étrangère, que nous avons sélectionnés, dont quatre se distinguent : Martín Capparós, Living (Buchet-Chastel). L’auteur argentin signe un magnifique roman mêlant les genres picaresque, comique, satiriste, à propos de l’ascension fulgurante d’un homme, devenu prophète de la mort, ange exterminateur. Hommage à Tristram Shandy de Laurence Sterne (la première partie du livre est consacrée à la naissance du personnage principal, Nito) et à Cervantès (Nito cherche une vie plus grande que celle dont il vient), le roman montre la vitalité de la littérature argentine d’aujourd’hui.

EN PLEIN CHAOS

L’âge d’or de la littérature

A lan Pauls, Histoire de l’argent (Christian Bourgois). Argentin aussi, l’auteur d’une histoire des larmes, d’une histoire des cheveux, revient avec une histoire de l’argent, roman d’apprentissage, entre Proust (regard de l’enfance) et Kafka (inertie des personnages). Après Zola et Péguy, Pauls s’attaque en des descriptions méticuleuses à cette drogue qui rend fou, heureux, malheureux, apaisé, hystérique, angoissé, neurasthénique, joyeux… Bref, à l’argent, cet élément palpable et abstrait, si installé au cœur de nos vies qu’il est difficile d’en mesurer la puissance. « L’argent, c’est tout. Comme le sexe. On peut tout y trouver », nous confesse l’auteur dans un entretien fleuve. En ethnographe maniaque, il se penche surtout sur la matérialité de l’argent, son odeur, son usure, la façon dont les billets sont classés avant d’être déposés dans une poche, l’habileté ou pas d’un homme à compter son argent… Le tout, avec l’art du zoom d’un écrivain influencé par sa cinéphilie. Svetlana Alexievitch, La Fin de l’homme rouge, Actes Sud. Transfuge suit de près les mutations d’un genre sous-représenté en France, la creative nonfiction (voir notre dossier dans le numéro 68, spécial Littérature de voyage). L’auteur russe est une des plus habiles du genre. Elle sig ne u n l iv re prod ig ieu x, nou s plongea nt dans les consciences, une par une, des Russes qu’el le a long uement i nt er v iewés. E l le les interroge sur le tournant majeur qui a précédé la chute du communisme, en 1989. Ce moment d’effondrement et de reconstruction. Ce moment de crise, de traumatisme, qu’on s’en réjouisse ou pas, où tous les repères des Russes se sont perdus. Comment ont-il vécu ce changement, dans leurs corps ? Dans leurs mémoires ? Dans leur cœur et leur cerveau ? Voilà le défi insensé de ce livre d’A lexiev itch : la déconstruction, témoignage après témoignage, de tous les clichés qui circulent sur le pays de la Révolution. Elle signe un antimanuel d’histoire convaincant, fait de détails, de détails et encore de détails. Si l’on peut regretter qu’elle n’intervienne que très peu de manière visible (des commentaires subjectifs par exemple auraient pu être un apport intéressant), il faut reconnaître qu’elle réussit brillamment dans la creative nonfiction : son travail sur l’oralité, son jeu de contrepoints et d’échos finissent par faire cohérence et style. J. M. Coetzee, Une enfance de Jésus, Le Seuil. Enfin, J. M. Coetzee, qui après un relatif silence, livre Une enfance de Jésus, grand roman sur la faim, selon notre critique Oriane Jeancourt Galignani. Le roman, ni cruel, ni sombre, marque une rupture dans son œuvre. À travers un conte, Coetzee, plutôt enclin à décrire ce qui tue les hommes, change radicalement de point de vue pour épouser celui de la vie, de ce qui nourrit les hommes, ce qui leur procure de la force. Mais contrairement à ce que le titre laisse suggérer, ce n’est pas d’une nourriture mystique qu’il est question... Bonne lecture à tous, en cet âge d’or, pourquoi pas ? EDITORIAL / Page 3

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P.16

Dossier

Rentrée littéraire étrangère

N°71/octobre 2013

Pour attaquer p.3

3/ éditorial – 6/ j’ai pris un verre avec… – 8/ le nez dans le texte 9/ dégoûts et des couleuvres - 10/ le journal de… – 11/ club Transfuge 12/ la mémoire retrouvée – 14/ page des libraires – 15/ festivals

Rentrée littéraire p.16

18/ 10 points : Une des plus riches heures de la littérature ? 20/ entretien : Svetlana Alexievitch 24/ entretien : Martín Caparrós 28/ entretien : Alan Pauls 32/ critique : Une enfance de Jésus, J. M. Coetzee 36/ critique : Confiteor, Jaume Cabré 37/ critique : Sous la terre, Courtney Collins 38/ critique : Wunderkind, Nikolai Grozni 39/ critiques : La Fin du vandalisme, Tom Drury

P. 48

Littérature

Pour en finir avec le scandale

Les Promesses, Marco Lodoli

40/ critiques : H ell, Yasutaka Tsutsui

Canada, Richard Ford

41/ critique : Guide du loser amoureux, Junot Díaz 42/ critique : Lutte des classes, Ascanio Celestini 43/ critique : L’Apocalypse des travailleurs, Valter Hugo Mãe 44/ critiques : Personne ne me verra pleurer, Cristina Rivera Garza Narcopolis, Jeet Thayil

45/ critique : Les Cent Derniers Jours, Patrick McGuinness 46/ critique : La Vie à côté, Mariapia Veladiano 47/ critiques : Comme les amours, Javier Marías L’Épée des cinquante ans, Mark Z. Danielewski

sommaire

P. 60

Cinéma

Abdellatif Kechiche

P. 78

Cinéma

Jean Cocteau

48/ remous : Pour en finir avec le scandale 54/ déshabillage : Jean-Yves Lacroix 56/ relecture d’un classique : Henry Miller, la vraie crise grecque

Cinéma p.60

60/ ouverture : La Vie d’Adèle, Abdellatif Kechiche 63/ critique : Salvo, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza 64/ critique : Haewon et les hommes, Hong Sang-soo 65/ critique : Prisoners, Denis Villeneuve 66/ critique : Annonces, Nurith Aviv 67/ critique : Artémis, cœur d’artichaut, Hubert Viel 68/ critiques 70/ remous : Tout ce que le cinéma a toujours voulu savoir sur le sexe… 74/ déshabillage : Arielle Dombasle 78/ relecture d’un classique : Cocteau désaccorde la lyre

Et pour finir p.82

82/ lire dans le noir : Né sous les coups, Martyn Waites 83/ une case en plus : Histoires du quartier, Gabi Beltrán et Bartolomé Seguí, Silex and the City, Jul, Une histoire d’hommes, Zep

84/ classique livre : Vol au-dessus d’un nid de coucou, Ken Kesey 86/ la bonne séquence : Jimmy P. 88/ DVD : Sidney Lumet, John Huston et Brian De Palma 90/ médias : L’Arte et la manière 92/ fabrique d’un acteur : Léa Seydoux 93/ vie intérieure d’un interviewer : Catherine Deneuve 94/ tout, tout pour ma série : Boardwalk Empire 96/ papier à musique : Le péril électrique 97/ les choses : Métaphysique du café 98/ état des lieux : La rue des hommes qui se branlent

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J’AI PRIS UN VERRE AVEC

Hubert Viel et Noémie Rosset par Louis Séguin - photo Sandro Bäbler

J

eune cinéma français, énième épisode. Hubert Viel, ancien étudiant de l’ESR A, a rejoint le train en marche en se faisant adouber au dernier festival du moyen métrage de Brive, vivier important (sinon principal) de la nouvelle génération de cinéastes français. Son film, Artémis, cœur d’artichaut, lauréat de trois prix au festival susmentionné (dont le Grand prix décerné par le jury présidé par Benoît Forgeard), est un modèle de film indé à la française, tourné en Super 8 et produit par son réalisateur. Avec cette histoire revisitée d’une déesse grecque (Artémis) propulsée en fac de lettres à Caen et confrontée à ses handicaps sentimentaux, Hubert Viel signe une comédie estivale très attachante, notamment grâce à ses deux actrices non professionnelles.

Noémie Rosset, quant à elle, est un peu intimidée par la promotion du film, encore peu rompue qu’elle est aux interviews C’est au Cyrano, sis près la place de Clichy, que l’on boit un verre avec Hubert Viel et sa comédienne Noémie Rosset (interprète joviale de la nymphe Kalie). Il flotte une vague atmosphère de troquet à saltimbanques à cette adresse qu’affectionne le jeune cinéaste. Dans la conversation courante, ses mots sont assez rares, il semble facilement absorbé par des

pensées vagabondes. Son tempérament lunaire et ses saillies pince-sans-rire ont conquis l’assistance du festival de Brive, où, appelé sur scène pour y dérouler des remerciements d’usage, il semblait parfaitement indifférent aux événements. Mais lorsqu’on l’interroge sur son film, il s’éveille soudain, évoque avec enthousiasme sa rencontre avec les autres cinéastes de sa génération (notamment Virgil Vernier, réalisateur d’Orleans), ou le ras-le-bol des films d’intérieur de la génération précédente, celle des cinéastes installés. Le charme de celui d’Hubert Viel tient beaucoup à son tournage ludique, réalisé avec les moyens du bord, dont l’écran porte la trace. Il affirme : « Les comédiennes jouaient, dans les deux sens du terme. Elles s’amusaient. » Actuellement, il planche sur un nouveau projet : un film en costume mettant en scène l’émancipation de la femme au Moyen Âge, interprété uniquement par des enfants. Le projet devrait être monté par le collectif dont il fait partie, Artisans du film, dont le principe est de financer les projets des membres en capitalisant sur des films de commande. Noémie Rosset, quant à elle, est un peu intimidée par la promotion du film, encore peu rompue qu’elle est aux interviews. Dans Artémis, elle fait sensation. Graphiste de son état (elle signe d’ailleurs l’affiche du film), elle s’est vu offrir le rôle comme cadeau d’anniversaire par son ami Hubert. Face à Frédérique Barré, qui campe (avec talent elle aussi) une Artémis mélancolique et en retrait, Noémie Rosset donne au film tout son entrain et sa belle fantaisie. La voix perchée et les moues enfantines de la comédienne lui permettent d’imposer la présence de fée comique de ce qui pourrait devenir l’une des plus séduisantes nouvelles têtes du cinéma français. En attendant, sa petite voix de cartoon anonyme commande un verre, survolant le brouhaha du Cyrano bondé.

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Direction artistique Danielle Zetlaoui (Synapse Productions, 34, rue Daguerre, 75014 Paris)

Photographes Sandro Bäbler, Olivier Roller Illustrateurs PieR Gajewski, Rocco, Olivier Dangla

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Rédactrice en chef littérature Oriane Jeancourt Galignani

Chroniqueurs François Bégaudeau, Rebecca Manzoni

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Rédacteur en chef cinéma Damien Aubel

Rédaction Philippe Adam, Mickaël Demets, Fabrice Hadjadj, Cécile Guérin, Nicolas Klotz, Salomon Malka, Frédéric Mercier, Sophie Pujas, Benoît Sabatier, Louis Séguin, Ariane Singer, Arnaud Viviant

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le nez dans le texte

Un livre corpo S

par François Bégaudeau

Le Rire du grand blessé Cécile Coulon Éditions Viviane Hamy 136 p., 17 e

i un Dijonnais décrète Dijon plus belle ville du monde, chacun se sent fondé à relativiser. L’identité du locuteur met en doute sa parole. Il faudrait un avis extérieur, dit-on. Or devant un écrivain qui fait l’apologie des livres, cette saine réserve ne vient à personne. Dissocié de l’Argentin qui l’autre soir célébrait le bétail de la pampa, l’écrivain ne sera pas accusé de défendre son bifteck. C’est qu’au lettré on fait crédit de s’exprimer au nom de l’universel. Comme un homme aussi désintéressé pourrait-il être suspecté de prêcher pour sa paroisse ? Essayons quand même de ramener sa parole dans le magma des discours relatifs. Essayons un renversement de perspective. Les nombreux romans d’anticipation qui dessinent un monde où les livres sont interdits apparaissent alors, non comme de salutaires mises en garde humanistes, mais comme des paraboles corporatistes. Ils tiennent un discours rien moins que publicitaire. Une scène d’autodafé répand subrepticement l’idée que les livres sont, en démocratie, des biens de première nécessité dont tout esprit éclairé doit s’empresser de s’équiper. On interprétera pareillement les autobiographies où l’auteur raconte qu’enfant il devait se cacher pour lire. Par définition assez concerné par les livres, son lecteur ne peut qu’applaudir. Et le plaidoyer pro domo s’amplifie en autocélébration collective d’une communauté de lettrés résistants. Évidemment, ce second schéma induit un auteur rescapé d’un temps où des parents bannissaient les livres (voir Hervé Bazin) ou se les interdisaient par complexe de classe (voir Annie Ernaux). Cécile Coulon n’en est pas. Elle n’a pas 110 mais 23 ans. En plus d’un article élogieux du Monde des livres, c’est ce qui nous a mené à son roman. Les rentrées littéraires servent à repérer les talents émergents, me disait Pivot dont la chronique de rentrée dans le JDD portait sur le nouveau d’Ormesson. Cécile Coulon fait donc plutôt partie d’une génération encouragée à lire ; ou qu’on prive d’Internet un week- end en espérant que ça déclenche une subite envie de Flaubert. En dépit de quoi elle tient absolument à broder le motif périmé des livres dangereux, sans doute par le sentiment d’un écot à payer à la confrérie des Lettres au moment d’en devenir membre. Une sorte de patte blanche à montrer à l’entrée du temple. Elle est alors obligée d’en passer par le schéma 1, l’anticipation catastrophiste (pléonasme).

Nous voici immergés dans une société où le « Pouvoir » est occupé par le « Grand », secondé par des « Gardes » aux ordres desquels agissent des « Agents du Service National » – pourquoi l’anticipation dispense systématiquement une paranoïa majuscule ? L’un de ces Agents, dénommé 1075, f inira par se rebeller, per mett ant de reconstituer la scène cardinale de la propagande pro-lettres : des troupes débarquent chez lui pour trouver les ouvrages qu’il déchiffre la nuit, « terrorisé en permanence à l’idée de se faire coincer ». Le roman offre quand même un degré supérieur de subtilité. Si les « Agents » sont maintenus dans l’ignorance des livres et de l’alphabet, c’est pour qu’ils gardent un œil vigilant sur les foules que rassemblent des lectures publiques. Le Rire du grand blessé suggèret-il, à rebours du cliché corpo, que les livres pourraient aussi bien être l’arme fatale d’une dictature ? Quand même pas. Écrits par des « Écriveurs », et lus par des « Liseurs » lors des « Manifestations à Hauts Risques », ceux dont use le « Pouvoir » sont des drogues de substitution formatées pour donner à une foule en transe sa dose d’émotions ciblées. Aux misérables « consommateurs », on « injecte des pages » de « Livres Fous Rires », « Livres Frissons », « Livre Haine », « Livre Tendresse », « Livres Chagrin ». Coulon ne fait donc que substituer, au banal clivage monde sans livres/ monde avec livres, une dichotomie un peu moins banale entre livres thérapeutiques, dont les mots sont des « médicaments bas de gamme », et vrais livres. Comment caractériser ces vrais livres que 1075 redécouvre avec émotion ? Un mot suffit. Un mot et tout est dit : littérature. « Les librairies ne pouvaient plus présenter un seul ouvrage portant la mention littérature ; les textes complexes constituaient une entrave au bon déroulement du programme. » On n’en saura guère davantage sur ce que recouvre le mot fétiche. La littérature restera une « mention ». Comme au bac. Mais s’il y a une « mention littérature », la littérature n’est-elle pas aussi un produit d’appel, une ruse tout aussi mercantile que les étiquettes comme Livre Frisson ? Ne regroupe-t-elle pas à son tour des « ouvrages calibrés selon le type d’émotion attendu » ? À l’égal des lecteurs qui veulent de la peur, ou du rire, ou des larmes, ne faut-il pas en distinguer qui soient pulsionnellement désireux d’entendre dire que la littérature est un gage de liberté ? Coulon n’a pas poussé jusque-là. Jusqu’au point où la littérature questionne ses propres vices. Jusqu’au point où l’auteur pense contre son habitus, contre ses corpo-affects.

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DÉgoÛts et des couleuvres

© Elisa Haberer/DR

Rencontre avec Jean-Philippe Leclaire, rédacteur en chef du magazine télévisé « Grand public » sur France 2, après avoir exercé la même fonction à L’Équipe Mag et au « Grand Mag » de Canal+. Propos recueillis par Louis Séguin

1/ Quel est le livre que vous n’emporteriez jamais sur une île déserte ?

de pouvoir reprendre des huîtres, et j’aurais encore plus de mal à régler l’addition.

2/ À quel livre ressemble votre vie en ce moment ?

8/ Le réalisateur que tout le monde aime et que vous n’aimez pas ?

L’annuaire des Hauts-de-Seine.

À La Vie de Brian des Monty Python, pour le côté messianique et sacrificiel, l’essentiel étant quand même de bien se marrer.

3/ Quel classique n’avez-vous jamais lu ou vu ?

Jamais lu : Ulysse de James Joyce. Jamais vu : Rien à déclarer de Dany Boon. Sinon, j’ai tout lu et tout vu.

4/ Quel compliment récent vous a fait le moins plaisir ?

« Pour un ancien journaliste de L’Équipe, c’est super que tu sois interviewé dans Transfuge » !

5/ À qui ne s’adresse pas votre travail du moment ?

Le magazine culturel dont je suis le rédacteur en chef s’appelle « Grand public », c’est un titre qui se veut le moins excluant possible. Au sommaire de la même émission, l’an dernier, nous avons par exemple proposé un portrait de Franck Dubosc et une enquête sur la mort de Pablo Neruda. Si vous avez la télé ou Internet, nous nous adressons à vous. Sinon, équipez-vous, c’est bientôt Noël.

6/ Ce qui vous plaît le moins dans votre activité ? Le manque d’inactivité.

7/ Quel acteur n’inviteriez-vous pas à dîner ?

Face à Gérard Depardieu, je ne suis pas certain

Grand public France 2 le samedi à 15 h

Christophe Honoré. Pourtant, j’adorerais aimer tous ses films, les connaître et les chanter par cœur avec mes amis. J’ai l’impression que je serais une meilleure personne, mais je n’y arrive désespérément pas.

9/ L’expression qui vous énerve le plus ?

Une expression mi-interrogative, mi-exclamative où une personne à forte poitrine répond au téléphone.

10/ À qui vous a-t-on dit que vous ressembliez, et que vous n’aimez pas ?

À Benito Mussolini, pour la mâchoire carrée et les chemises noires. J’imite très bien le Duce, et pourtant j’éprouve très, très peu de sympathie pour les fascistes, même italiens.

11/ Ce que vous avez fait et que vous aimez le moins ? La gueule. La cuisine.

12/ Le livre que vous aimiez et que vous détestez maintenant ?

J’ai récemment essayé de relire Belle du Seigneur d’Albert Cohen. Ce fut très perturbant de le laisser retomber aussi grossièrement alors que je l’avais adoré, adolescent. POUR ATTAQUER / Page 9

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le journal de

Garde-corps

Dans Avoir un corps, roman autobiographique, Brigitte Giraud retrace l’itinéraire physique d’une enfant, de fille en femme. Ici, elle relit l’actualité au prisme du corps.

© DR

4 août 2013

Brigitte Giraud

Avoir un corps Stock 240 p., 18,50 e

J’entends une phrase ce matin à la radio : le robot Kibo, mis au point par des chercheurs japonais, pourrait donner de l’amour. J’y pense toute la journée. De l’amour ? De l’affection, de la douceur ? Un robot pourrait singer le comportement humain au point que l’humain pourrait s’y attacher ? Il sait sans doute soupirer, tendre les bras, donner un baiser. Il sait probablement mimer le plaisir et le mécontentement. J’imagine qu’on peut le transporter, le prêter, le congédier. On peut l’asseoir à table près de soi, l’installer à la place du mort dans la voiture. Il ne se plaindra pas de la fumée de cigarette ou du steak mal cuit. Mais peut-être que si. On peut l’envoyer chercher le pain. Le journaliste ne le précise pas, mais je comprends que ce robot est destiné aux personnes seules, veuves ou divorcées. Le compagnon idéal pour les enfants uniques, les fratries décimées par la guerre ou les accidents de la route. Est-ce que son corps est fait de plastique souple ? La texture imite-t-elle la peau humaine ? L’avantage du corps du robot est qu’il n’est pas un corps justement, nul risque de flétrissement, d’arthrose, de tumeur. C’est un corps éternellement lisse, souple et docile. Qui peut s’allonger sur un divan ou dans un lit. Rendre tous les services sans soupirer. Sans s’endormir, sans contester. Sans que mort s’ensuive. Un corps sans vie et donc sans mort. Éternel enfin.

9 août 2013

Une photo dans Libération montre un jeune militaire prenant par le cou un garçon gay, dont la crainte exprimée par le regard sous-entend la violence de l’échange. La main qui saisit la nuque du jeune rouquin est de celles qui peuvent broyer, étrangler, frapper. On imagine les vertèbres qui craquent. À moins que cette main ne réprime une caresse, une pulsion mal contenue. On dirait que le militaire enlace, pour ne pas dire étreint ce corps différent. Une tentative de baiser peut-être ? D’autres parachutistes entourent le garçon, bérets et débardeurs rayés – presque façon Genet. L’ambiguïté de la photo, prise par Dmitry Lovetsky, me dérange.

La présence du photographe modifie-t-elle le sort réservé au jeune homme ? Lui épargne-t-elle une séance de viol collectif ? Un passage à tabac ? Un meurtre ? La Russie vient de franchir un pas de plus dans l’homophobie ambiante en votant une loi qui « interdit la propagande des relations sexuelles non traditionnelles », autrement dit « homosexuelles ». Je suis dans le train, je lève la tête, tout le monde pianote sur son portable.

14 août 2013

Rencontres de la photo d’Arles. Dans l’église des Frères-Prêcheurs, le travail de l’artiste chilien Alfredo Jaar dénonce la façon dont les images nous manipulent. Il y est question notamment de la célèbre photo prise par le Sud-Africain Kevin Carter, représentant un enfant soudanais squelettique accroupi, guetté par un vautour. Le photographe a reçu le prix Pulitzer pour cette photo en 1994, mais on lui a reproché de n’avoir pas secouru l’enfant. D’autant qu’il est resté longtemps, paraît-il, à attendre que le vautour ouvre ses ailes et donne à l’image une force plus vive. Le corps de cet enfant a fait le tour du monde, dénonçant la famine qui sévissait au Soudan. Miné par ce qu’il a vu et enduré en Afrique, et probablement par la culpabilité et l’impuissance, Kevin Carter s’est suicidé. Alfredo Jaar précise que l’image appartient aujourd’hui à l’agence Corbis, propriété de Bill Gates. Je me demande, du coup, s’il faut une image pour « illustrer » cette page, ou si le texte remplit seul sa mission.

20 août 2013

Mon ami Christophe me demande pourquoi Avoir un corps se termine alors que la narratrice n’a qu’une quarantaine d’années. Il aurait aimé que je mette en scène les peurs que nous évoquons quand nous nous voyons, liées à la vieillesse encore lointaine, mais dont nous savons qu’elle finira par nous cueillir. Je réponds à mon ami que j’écrivais ce livre pendant que mon éditeur, Jean-Marc Roberts, se battait contre un cancer, vivant au quotidien un corps qui était en train de le trahir. Quand j’ai compris que Jean-Marc allait mourir, j’ai décidé que le livre serait terminé.

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