Septembre 2017 / N° 111 / 6,90 €
Choisissez le camp de la culture
DANIEL MENDELSOHN
LE GRAND ÉCRIVAIN DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE
+ PORTRAIT EVA IONESCO
M 09254 - 111S - F: 6,90 E - RD
3’:HIKTMF=YU[^U^:?a@b@l@b@q"; ENTRETIENS FLEUVES avec Robin Campillo et Claude Lanzmann
RENTRÉE LITTÉRAIRE : Yannick Haenel,
Simon Liberati, Kamel Daoud, Chantal Thomas, Renato Cisneros, Richard Russo, Jenni Fagan...
L’EUROPE VUE PAR Georges-Arthur Goldschmidt
Homère, encore et toujours par Vincent Jaury
J
e me souviens encore de la joie que m’avait procurée la lecture du premier livre que je lus sur l’Iliade et l’Odyssée, Le Monde d’Homère, de Pierre Vidal-Naquet. En couverture, un détail du cratère d’Euphronios, vase du VIe siècle avant J.-C, représentant Hypnos et Thanatos s’emparant du corps de Sarpédon. L’approche du livre était historique et géographique, et je rêvais grâce à VidalNaquet de voir un jour l’édition princeps (première édition en grec) d’Homère, imprimée à Florence en 1488. A cette date, les caractères imprimés imitaient l’écriture des manuscrits ce qui en faisait une oeuvre d’art. Je n’en rêvais pas moins de voir l’édition suivante publiée quelques années plus tard à Venise- centre du commerce européen où une importante communauté grecque vivait- et qui connut un succès relativement important du fait de son format « poche », et donc d’un prix réduit (un ducat et trois livres). On dit alors que c’est cette édition qui permit de diffuser à travers l’Europe les mythes homériques. Plus tard, je croisais des figures majeures et iconoclastes du monde homérique. Victor Bérard, bien sûr, grand traducteur de l’Odyssée, qui reconstituait étape par étape, le voyage d’Ulysse sur son bateau (ses indications géographiques sont aujourd’hui problématiques, mais peu importe à celui qui aime la littérature). Plus récemment, en 2011, grâce à l’exigeante collection Texto dirigé par Jean-Claude Zylberstein, je tombais sur le livre d’Heinrich Schliemann, La Fabuleuse Découverte des ruines de Troie. Son rôle de découvreur est controversé même si tous s’accordent à dire que ce pionnier de l’archéologie, à sa manière, a ouvert les recherches ultérieures sur la civilisation mycénienne. Mais imaginez : à l’époque, vers 1870, fort de son idée qu’Homère décrit dans l’Iliade une réalité
historique, il entreprend des fouilles dans les ruines de Mycènes, d’Orchomène, de Tirynthe et d’Ithaque. Il prétend avoir trouvé le masque d’or d’Agamemnon, le trésor de Priam et les bijoux d’Hélène. Plus récemment, j’ai découvert un livre méconnu à tort, celui de Felix Buffière, prêtre et helléniste, Les Mythes d’Homère et la Pensée grecque, paru aux Belles Lettres, en 1956. On y découvre, entre autres perles, ce chapitre « La bataille autour d’Homère », où Buffière rappelle comment l’adultère d’Arès et Aphrodite scandalisa un certain Platon ; tout comme le mariage de Zeus avec sa propre soeur, Héra. Homère était lu comme une bible par tous les jeunes élèves, et selon Platon et quelques autres, c’était une hérésie de faire étudier ce texte immoral et approximatif sur un certain nombre de sujets, où l’on croisait des héros en larmes, des dieux fornicateurs et manipulateurs. Epicure et bien d’autres s’en prirent à ce texte qui manquait de morale, jusqu’à Zoïle d’Amphipolis qui écrivit pas moins de neuf livres contre Homère. Les défenseurs, nombreux, eurent beau expliquer que les deux poèmes étaient allégoriques, les rageurs continuèrent de rager. Hier soir, seul chez moi, j’ai revu une énième fois Les Ailes du désir. Et j’avais absolument oublié que dans la plus belle scène de l’histoire du cinéma, celle de la bibliothèque de Berlin (la Neue Staatsbibliothek), le vieil écrivain élégant qui monte avec difficulté l’escalier et qui rêve d’une « épopée de la paix » contemporaine (le monologue est de Peter Handke), qui ferait suite à l’Iliade, épopée guerrière, n’est autre qu’Homère. Il y a des hasards incroyables. Quel ne fut pas donc mon plaisir quand je reçus les épreuves du dernier livre de Daniel Mendelsohn, Une odyssée, un père, un fils, une épopée. Tout ce monde homérique me revint à l’esprit. Comme à son habitude, Mendelsohn tisse des liens entre un texte fondateur et sa vie intime. Pour Les Disparus, où l’auteur partait dans une recherche généalogique familiale, il entrecoupait le récit de sa famille juive de textes sacrés, des commentaires de la Bible tels les midrashim. Il emploie la même méthode rigoureuse pour dessiner le portrait de son père, à travers un questionnement sur l’Odyssée. Connait-on jamais vraiment ses parents ? Qu’est ce qu’une relation père/fils ? se demande Homère, puis Mendelsohn des millénaires plus tard. C’est la troisième fois que Daniel Mendelsohn fait la couverture de Transfuge, et nous en sommes fiers. Il est un des grands écrivains américains vivants. ÉDITO / Page 3
SOMMAIRE Page 20
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DANIEL MENDELSOHN
NEWS
3/
Édito
6/
On prend un verre avec Agathe Bonitzer
CHRONIQUES 8 / Le
nez dans le texte de François Bégaudeau ce que vous voulez
10 / Croyez
express : Catherine Fruchon-Toussaint 14 / Interview express : Charles Dantzig 16 / Interview express : Tewfik Hakem 18 / En coulisse avec Charles Gillibert 12 / Interview
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N°111 / SEPTEMBRE 2017
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EVA IONESCO
DU CÔTÉ DE LA LITTÉRATURE
20 / C’est la rentrée littéraire, nous vous avons fait une première sélection dans ce numéro des meilleurs romans français ou étrangers. Avec deux livres en particulier, ceux de Daniel Mendelsohn et d’Eva Ionesco. 60 / Déshabillage 62 / Poches 64 / Polar 66 / Essais 68 / Remous : L’Europe vue par Georges-Arthur Goldschmidt
« Diva des lettres à l’humour décapant, Margaret Atwood a tissé de sa plume audacieuse une œuvre magistrale. » L’Obs
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ROBIN CAMPILLO
SUR LES ÉCRANS
74 / Édito
76 / 1er événement
: interview fleuve de Robin Campillo pour son film 120 battements par minute 84 / 2eme événement : rencontre avec le légendaire Claude Lanzmann pour son dernier film se passant en Corée du Nord, Napalm 88 / 3eme événement : la rédaction est divisée sur le film de Sergei Loznitsa, Une femme douce. On s’explique. 90 / Les 10 films du mois 100 / DVD et Ressortie salles
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EN VILLE
: Wajdi Mouawad nous raconte la prochaine saison du Théâtre de la Colline 104 / Art : Honneur à la photographie avec Ed van der Elsken et Gisèle Nedjar 106 / Prix 108 / Festival 102 / Scène
114 / En
route ! Va devant !
Et aussi disponible en poche, son grand succès international, La Servante écarlate.
J’AI PRIS UN VERRE AVEC… AGATHE BONITZER
Par Frédéric Mercier Photo Thomas Pirel
L
e Chemin, le nouveau film de Jeanne Labrune me fournit l’occasion de discuter une fois de plus avec Agathe Bonitzer que j’ai déjà eu la chance de rencontrer à deux reprises. C’est toujours un plaisir de discuter avec cette jeune femme qui n’a pas encore trente ans, qui a joué avec les plus grands (Ruiz, Honoré, les Larrieu, Doillon, Lvovsky), éprise de littérature peut-être encore plus que de cinéma et qui a d’ailleurs écrit et soutenu deux mémoires au cours de ses études de lettres modernes, chacun sur la question de la vocation, d’abord dans la correspondance de François Truffaut puis dans le journal intime d’Hélène Berr. Cette fois-ci, c’est le plein été, il fait lourd et elle m’avoue ne pas trop aimer rester seule à Paris dans ces conditions. Elle repartirait bien au Cambodge où a été tourné Le Chemin, une « parabole » comme elle le qualifie ellemême sur le destin, le hasard et les signes,
« Je me demande s’il n’y a pas une force supérieure » qui me fait penser par sa sérénité, et son rapport très organique aux éléments, aux films d’animation de Michel Ocelot. Jusqu’à ces dernières années, la comédienne que l’on a souvent comparée à Isabelle Huppert, n’aimait pas trop partir en terres inconnues : phobie de l’avion d’abord, d’être isolée et sans repères. Tournage après tournageelle vient de jouer dans un film de Clarisse Hahn sur un couple un peu SM qui part dans le désert du Mexique faire du tourisme Page 6 / TRANSFUGE
chamanique- elle a appris à adorer découvrir de nouveaux territoires et les rudiments d’une langue, à dépasser ses propres « névroses » comme elle me l’indique en baissant, pudique, la voix et les yeux. Ce matin de juillet, dans un bar du Xème près du Cirque d’Hiver, la fille de Sophie Fillières et de Pascal Bonitzer est d’humeur mélancolique (son « ami » n’est pas à Paris), ce qui la rend loquace, ouverte aux confidences. Elle-même s’étonne que la conversation devienne si intime. On est loin de l’image de beauté diaphane, mystérieuse qui la caractérise depuis toujours même si elle aime jouer de ses silences avec la caméra qu’elle qualifie de « partenaire magique ». « Ça me vient de ma famille mais il n’y a que sur les tournages que je me sente bien. Le tournage est l’endroit le plus familier du monde. » Dans Le Chemin, elle interprète une jeune femme qui veut rentrer dans les ordres et qui, au contact d’un homme mi-cambodgien, mi-français qu’elle croise régulièrement sur son chemin, découvre le désir et s’interroge avec « une certaine culpabilité » sur le sens profond de sa vocation. Bonitzer s’étonne d’avoir joué souvent des religieuses au cinéma (notamment dans La Papesse Jeanne, Je cherche Jeanne et La Religieuse de Guillaume Nicloux) : « S’il y a bien une chose certaine, c’est que mes parents ne m’ont pas du tout élevée dans la religion et encore moins catholique ! » Pourtant, elle reconnaît se poser beaucoup de questions sur l’invisible, la spiritualité, m’avoue mettre du sens sur tout, voir des signes un peu partout, au risque de la rendre parfois trop superstitieuse et de se pourrir la vie avec. Mais elle reconnaît : « Je me demande s’il n’y a pas une force supérieure. Au Cambodge, impossible de ne pas se poser de questions sur les fantômes du passé, notamment quand on découvre les temples. » Pendant le tournage, où à cause de la chaleur elle eut des malaises, elle a relu Duras dont elle n’aime pas tout. «Certains aspects de son écriture m’énervent parfois.». Pour passer l’été caniculaire, et avant de repartir « peut être seule », durant la journée, elle se rend au cinéma, vient de découvrir Stalker de Tarkovski qu’elle a trouvé un peu « chiant » et dévore en ce moment « dans l’ordre décroissant » l’œuvre intégrale de Jay McInerney dont elle dit préférer les ouvrages où il écrit sur le couple plutôt que sur ses dérives alcooliques. Malgré la torpeur, le temps passe avec délice. On coupe le dictaphone et nous poursuivons notre conversation. A l’aise, Agathe me montre avec bonheur des photos de son tournage cambodgien. Je voyage.
PHOTO FRANÇOIS MARGOLIN-MARGO CINÉMA / GRAPHISME JÉRÔME LE SCANFF
MARGO CINÉMA PRÉSENTE
NAPALM UN FILM DE CLAUDE LANZMANN NAPALM UN FILM DE CLAUDE LANZMANN PRODUIT PAR FRANÇOIS MARGOLIN IMAGE CAROLINE CHAMPETIER, AFC SON CAMILLE LOTTEAU ERWAN KERZANET MONTAGE CHANTAL HYMANS LAURENCE BRIAUD PHOTOGRAPHIES IRIS VAN DER WAARD MONTAGE SON THOMAS FOUREL MIXAGE ANTOINE BAILLY CONSEILS TECHNIQUES ET DOCUMENTATION JÉRÉMY SEGAY UNE PRODUCTION MARGO CINÉMA EN COPRODUCTION AVEC ORANGE STUDIO AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ILE-DE-FRANCE AVEC LA PARTICIPATION DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE ET DE MARGO FILMS DISTRIBUTION PANAME DISTRIBUTION
AU CINÉMA LE 6 SEPTEMBRE
La chair de l’art par François Bégaudeau
L
LA NATURE EXPOSÉE
d’Erri De Luca, traduit de l'Italien par Danièle Valin, Gallimard, 176p., 16,50 e
a culture qui est la règle, l’art qui l’est l’exception. L’adage godardien n’aura jamais cessé de bruire. Parce qu’on le comprend assez pour qu’il nous parle, et assez mal pour qu’il nous travaille. Ce qu’on comprend : que l’exploration d’une oeuvre ne relève pas du tourisme culturel. Que l’art n’est pas le patrimoine, mais ce qui fait effraction en lui, panthère lâchée dans un musée, et soudain les statues ne sont plus de marbre. Que l’art devient de la culture quand il cesse de diviser. Certains lecteurs privilégient les livres à valeur ajoutée culturelle. Ainsi ils font d’une pierre deux coups : ils lisent en apprenant, apprennent en lisant. L’art et la culture pour le prix d’un. Auraient-ils l’impression de lire pour rien si le livre n’était qu’un livre, si l’art n’était que de l’art? Dans La Nature exposée, on apprend des choses. Moins que dans Boussole ou un livre de Erik Orsenna, mais quand même. On y apprend sur la sculpture, le Christ, l’Islam. On croise des noms comme Phryné et Praxitèle qui fleurent bon les Humanités des lycées d’antan. On consulte un rabbin cerné de livres, cite Epicure, évoque Primo Levi, etc. L’homme qui a écrit ça est un homme de culture. Dans son sillage nous nous cultiverons. Mais l’art dans tout ça? L’art survient en secouant la culture. Le sculpteur auquel Erri De Luca délègue la narration ne joue au grand-père érudit. C’est un homme de la montagne. Sa narration est taillée dans la pierre et le bois, sans vernis culturel. Une langue simple et dense comme la matière : « La montagne est mon hospice. Un jour ce sera elle qui me fermera les yeux et qui les donnera aux corbeaux, leur morceau préféré ». Surtout, on lui confie un travail qui va audelà de la stricte conservation. Il s’agit certes de restaurer un crucifix de marbre, grandeur nature, mais d’en restaurer précisément ce qui a été édulcoré, à savoir le sexe. Le pénis. Le Christ est monté en croix nu, mais après le Concile de Trente, apprend-on (un peu de culture), on s’est mis à « recouvrir les nudités » dans les crucifixions. Le curé commanditaire charge notre sculpteur de retirer le drapé avec son burin, en tachant de ne pas esquinter ce qu’il y a dessous. Comment remettre de l’art dans la culture? En lui redonnant chair. En rendant au Christ son sexe. En exposant à nouveau sa « nature » c’est le mot, bellement pudique, employé par la tradition (un peu de culture). Lorsqu’il est dit que le sculpteur originel « a doté le crucifié d’une
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LE NEZ DANS LE TEXTE
puissante nature », il faut comprendre qu’il a imaginé le Christ bien membré. Comble d’incarnation, le restaurateur découvre, sous le drapé dégagé, une « ébauche d’érection ». Et même « une veine de relief court jusqu’en haut de la nature blanche ». Ce qui est très logique : « le condamné est en train de mourir, secoué de spasmes qui culminent souvent dans une érection mécanique ». Ce qui est très logique, oui, si on tâche de ressaisir la crucifixion comme une scène vivante. Si l’on rappelle que le crucifix, devenu un objet culturel autonome et éteint, a eu un modèle ; qu’un homme a été crucifié. Si l’on souhaite véritablement réincarner son supplice. Si l’on imagine qu’il « avait soif à cause de l’hémorragie ». Si l’on spécule sur le climat de ce jour là, jusqu’à la conclusion que, « hissé immobile dans l’air et le vent, il avait froid ». Ainsi réfléchit notre sculpteur des montagnes. Toute création est une réincarnation. Une effraction de la chair de l’art dans le marbre de la culture. Y compris de la chair de l’artiste, qui ira jusqu’à se circoncirepour mieux ressentir, pour mieux compatir. On dit d’un sujet d’histoire sans enjeu contemporain qu’il est froid. La culture est froide. L’art la réchauffe en la réarticulant à la vie et aux enjeux vitaux. Il est vital, pour chacun de nous, que le Christ ait eu un sexe, un sexe sensible - le narrateur rappelle aussi que, perversité cléricale mise à part, c’est pour le protéger et non s’en protéger que nombre de peuples le cachent. Il est vital qu’il ait été de chair. Car s’il est de chair, un homme a été capable de souffrir cela par amour pour nous les hommes. Si le Christ a été un homme, la vertu est possible ici-bas. Voilà qui n’est pas un enjeu culturel de catalogue d’expo ; voilà qui est plus crucial qu’une notice de musée. C’est parce que Jésus est de chair que notre sculpteur montagnard est capable de vertu. Qu’il fait passer gratuitement la frontière francoitalienne à des migrants. Qu’il prend l’argent au départ mais le rend au moment de les laisser basculer vers le pays visé. Et comble de vertu : « je ne leur dis pas avant que j’ai l’argent sur moi, pour qu’ils n’aient pas l’idée de le reprendre de force ». Et mieux encore : « je me bouche les oreilles, ils comprennent ainsi que je ne veux pas de remerciements ». Nul besoin de gratitude ou de rétribution. La vertu est sa propre récompense. Ce plaisir à faire le bien est l’inscription du divin dans nos chairs.
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 “Il n’y a rien ici ou presque mais il faut pourtant en dire quelque chose. Des baraques seules sous un ciel bas,…”
“Tu étais dans mes bras. Ta peau contre ma peau. Ton corps lové contre ma poitrine...”
“Je n’ai pas posé de questions bien sûr, ces moments-là ont quelque chose d’ombreux et de sacré…”
“Vous écrivez les jeunes filles qui disparaissent. Vous écrivez ces absentes qui prennent le large et l’embrassent…”
“Écrire est la seule ruse efficace contre la mort. Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie…”
Orphelin de mère, indésirable chez son père remarié, élevé par une tante célibataire et un grand-père mutique, Zabor n’avait rien d’un enfant comme les autres. Il a grandi à l’écart de son village aux portes du désert, dormant le jour, errant la nuit, solitaire trouvant refuge dans la compagnie des quelques romans d’une bibliothèque poussiéreuse qui ont offert un sens à son existence. Très tôt en effet, il s’est découvert un don : s’il écrit, il repousse la mort ; celui ou celle qu’il enferme dans les phrases de ses cahiers gagne du temps de vie. Ce soir, c’est un demi-frère haï qui vient frapper à sa porte : leur père est mourant et seul Zabor est en mesure, peut-être, de retarder la fatale échéance. Mais a-t-il des raisons de prolonger les jours d’un homme qui n’a pas su l’aimer ? Fable, parabole, confession vertigineuse, le deuxième roman de Kamel Daoud célèbre l’insolente nécessité de la fiction en confrontant les livres sacrés à la liberté de créer. Telle une Schéhérazade ultime et parfaite, Zabor échappe au vide en sauvant ses semblables par la puissance suprême de l’écriture, par l’iconoclaste vérité de l’imaginaire.
Zabor
Le point de vue des éditeurs
Kamel Daoud
“Une porte a claqué violemment quelque part dans la maison. Un coup sec. C’était le vent.”
KAMEL DAOUD
Né en 1970 à Mostaganem, Kamel Daoud vit à Oran. Journaliste et chroniqueur, il a tenu durant plus de quinze ans, au Quotidien d’Oran, la chronique la plus lue d’Algérie. Chez Actes Sud, il est notamment l’auteur d’un roman traduit dans le monde entier, Meursault, contre-enquête (2014, Goncourt du premier roman), ainsi que du recueil Mes indépendances. Chroniques 2010-2016 (2017).
ACTES SUD DÉP. LÉG. : AOÛT 2017 21 e TTC France www.actes-sud.fr
ISBN 978-2-330-08173-7
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ACTES SUD
Photographie de couverture : © Giulio Galante / EyeEm / Getty Images
Zabor ou
Les psaumes roman
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CROYEZ CE QUE VOUS VOULEZ... Antigone à Paris
P
arlons d’Anne Dufourmantelle. Non pas de sa mort tragique sur une plage française ce mois de juillet, mais de ce qu’elle a écrit, ce qui restera. Et de ce qu’elle m’a transmis sans le savoir, alors que j’étais une jeune journaliste qui la rencontrait en 2007, pour son puissant essai psychanalytique et philosophique : La Femme et le Sacrifice. ( Denoël). Elle y écrivait cette phrase : « une civilisation construit des autels et organise des rituels pour tenter de conjurer le pouvoir des mères et la beauté mortelle des jeunes filles et permettre qu’une femme oeuvre à devenir femme ». Il y avait au début de ce siècle, une vraie stupeur à lire ces mots sur la sauvagerie féminine qui traversait notre société contemporaine. C’était gonflé, iconoclaste, je voulais la rencontrer au plus vite. Elle partait entre autres figures mythiques d’Antigone. Une nouvelle fois la fille d’Oedipe avait ravi un esprit contemporain, figure inlassablement interrogée dans son héroïsme, d’autant plus stimulante pour les contemporains qu’insaisissable dans son sacrifice. Mais Dufourmantelle n’était pas dans l’adoration d’Antigone. Elle la replaçait parmi les autres femmes, en tant que figure de « la femme sacrificielle », qui entretient avec le sacrifice, un rapport d’oppression, et de rébellion. Elle parlait même, à propos de ce comportement, « d’érotique du sacrifice ». Se fondant sur cette idée de Derrida que le sacrifice est toujours une dette, elle montrait comment les femmes entretenaient une relation intime avec cette dette mortifère. Elle franchissait un nouveau pas dans la pensée de l’histoire féminine, réelle ou mythologique : il ne s’agissait plus d’appeler les femmes à la libération, mais plus encore de les renvoyer à leur rapport si singulier à la mort, et à ce désir inavoué de sacrifice qui migrait dans les inconscients féminins de génération en génération. « Nous sommes tous des êtres hantés par ce que l’on ignore, et que se rappelle à nous sans relâche ». Ces mots là étaient ceux d’un écrivain, d’une femme
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s’observant elle-même. J’avais aimé cette question de la hantise, qui faisait de nous tous des Hamlet et Ophélie, s’agitant face aux spectres, tant ils résonnait juste dans ce que j’avais observé des femmes, et de moi-même, ce non-dit violent qui contrebalançait le renoncement séculaire ancré dans l’histoire féminine et que je verrais, avec désarroi, reproduit par des femmes de ma génération, au nom d’une idée radicale de la maternité, ou de la religion. Dufourmantelle avait l’audace de nous mettre face à ce « sens du sacrifice » dont nous héritions sans le formuler, par les gestes d’une mère, les paroles d’une grand-mère, les mythes qui nous nourrissaient depuis l’enfance. Dufourmantelle, je le savais, était une proche d’Avital Ronnell, la merveilleuse philosophe iconoclaste, disciple subversive de Derrida, que nous découvrions en France au début des années 2000 avec le plaisir extrême d’une pensée séduisante, ludique, féroce. Une pensée qui nous ralliait à cette étude des cultures populaires qui devenaient à la mode. Dufourmantelle était donc, comme Ronnell, une femme qui n’avait pas froid aux yeux, me disaisje, une indomptable. Je n’imaginais pas cette beauté botticcellienne à la douce clarté, cette simplicité de paroles et d’attention, cette aisance à passer d’une pensée à l’autre sans jamais se fixer dans un mode précis de lecture du monde. A l’époque, je n’imaginais pas que l’on puisse être penseuse sans adopter une vie, un paraître d’amazone, une rigueur arendtienne, un langage semi-opaque, une posture professorale. J’avais vingt-cinq ans et une bonne réserve de clichés. Je n’ose me souvenir des questions longues et scolaires qu’elle a dû affronter. Mais elle n’a rien laissé voir de sa lassitude. Dufourmantelle m’a appris ce matin là qu’il n’y avait d’exigence de la pensée que dans la clarté, la générosité, l’affranchissement des maîtres et des postures. Relisonsla pour ne pas l’oublier. Oriane Jeancourt Galigani
T O U T E L A M É L A N C O L I E D E K I TA N O E N 3 F I L M S
À PARTIR DU 9 AOÛT AU CINÉMA E N V E R S I O N S R E S TAU R É E S
INTERVIEW EXPRESS
© DR
Il ne faudra pas rater Véronique Tadjo Rencontre avec Catherine Fruchon-Toussaint qui sur RFI, dans Littérature sans frontières, nous fait rencontrer chaque semaine les plus grands écrivains du monde. Propos recueillis par Vincent Jaury
Q
ui sont les auteurs que vous avez déjà rencontrés et qui seront invités à la rentrée dans Littérature sans frontières ? J’ai rencontré Colson Whitehead pour son merveilleux Underground Railroad (Albin Michel), qui a gagné le prix Pulitzer cette année et le National Book Award en 2016. C’est un livre sur un réseau clandestin au XIXe siècle. C’est une formidable épopée dans plusieurs états, très documentée et dont la part fictive est très réussie. C’est un peu les voyages de Gulliver. Il n’y a aucun manichéisme. Humainement, il est très cérébral, universitaire, très pro, à l’américaine. J’ai aussi interviewé l’écrivain américain d’origine vietnamienne Viet Thanh Nguyen pour son roman Le Sympathisant ( Belfond). Il a eu le prix Pulitzer en 2016. Le livre se déroule un peu avant et un peu après la chute de Saïgon en avril 1975. Le narrateur, un capitaine dans l’armée du Sud Vietnam, est un espion à la solde des communistes. Après la chute de Saïgon, il part en Californie où il reste agent double à ses risques et péril. Le livre est un formidable panorama historique qui va de 1965 à 1975. C’est un livre
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écrit sous la forme d’un aveu. Il est toujours à la frontière du réel et du fictif. Et, m’a t-il dit, un des objectifs du livre était de donner une image des Vietnamiens aux Américains, plus juste, plus nuancée, au- delà des clichés habituels. Y a t-il d’autres écrivains que vous avez envie d’inviter ? Kamel Daoud, bien sûr, pour Zabor, ou les psaumes (Actes Sud) que j’ai été une des premières à interviewer pour Meursault, contreenquête. Un auteur formidable, Véronique Tadjo, une Ivoirienne, qui avait été lauréate du Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 2005. Il ne faudra pas la rater. Elle est très féministe, et là elle signe un livre sur Ebola, En compagnie des hommes. Ebola a été une grande crise dont on n’a finalement pas tant parlé que ça. Donc ce livre est nécessaire. C’est aux éditions Don Quichotte. Chantal Thomas aussi, Souvenirs de la marée basse (Seuil), qui écrit un livre hyper personnel sur sa mère, et qui explique beaucoup de ses livres précédents. Il y en a tant d’autres que j’aimerais inviter, Julia Deck, Christian Bobin, Philippe Jaenada, Lutz Bassmann...
Après « Les Derniers Jours de l’Hiver » le nouveau film de Mehrdad Oskouei
DES RÊVES SANS ÉTOILES ( PRIX AMNESTY INTERNATIONAL 2016 )
Prix *Pare Lorentz Award* 32nd Annual IDA Documentary Awards 2016, Los Angeles, USA Grierson Award du meilleur documentaire BFI London Film Festival 2016
Reva and David Logan Grand Jury Award & Full Frame Inspiration Award Full Frame Documentary Film Festival 2016 (USA)
ADAPTATION
Réalisateur Mehrdad Oskouei Scénario Mehrdad Oskouei Directeur de la photographie Mohammad Hadadi Montage Amir Adibparvar Musique Afshin Azizi Son Parsa Karimi mixage Hossein Mahdavi Chargé de Production Vahid Hajiloei Producteur Mehrdad Oskouei Sociéte de Production OFP (Oskouei Film Production)
www.dreamlabfilms.com
www.lesfilmsduwhippet.com
AU CINÉMA LE 20 SEPTEMBRE 2017