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Le prix à payer pour les transporteurs

L’addition est salée pour les entreprises de transport. D’un côté des nouveaux véhicules zéro émission qui coûtent plus cher, jusqu’à trois fois le prix d’un gasoil, et de l’autre des prix des énergies qui explosent obligeant les transporteurs à revoir leur plan de transport. La transition énergétique a du mal à passer chez les professionnels.

Comme toutes les entreprises, les transporteurs ont été confrontés à une inflation sans précédent. Le CNR le rappelle dans son enquête longue distance : « toutes les composantes de coûts d’exploitation d’un véhicule, calculées en fin d’année 2022, enregistrent des hausses importantes en un an. L’inflation concerne à la fois la composante sociale (+ 9,7 % pour la rémunération moyenne des conducteurs), ainsi que tous les autres postes liés au véhicule (+ 21,5 % pour le coût kilométrique de carburant, + 15 % pour l’entretien-réparation, + 9,8 % pour les pneumatiques, etc.). D’une manière générale, les professionnels ont dû faire face à l’explosion subite des énergies. Les prix de carbu- rant ont enregistré une inflation importante entre décembre 2021 et décembre 2022 : + 21,5 % »

Les surcoûts en question

« Le prix de l’énergie peut varier. Il y a un coût de rechargement à l’entrepôt qui est le prix d’achat de l’électricité par le transporteur, environ 20 ct/kW. Mais s’il utilise une borne publique, le prix peut être 5 fois plus cher. Autre paramètre : aujourd’hui, avec le gasoil, le temps passé à approvisionner son camion est considéré comme un temps de travail qui prend environ 10 minutes. Avec l’électrique, c’est plus long pour le temps de recharge. Pour un VUL en livraison dans Paris, il faut un plein de gasoil par semaine, tous les

2 jours en gaz avec un temps d’avitaillement qui est doublé. Cela a donc une répercussion sur le coût pour l’entreprise », indique Olga Alexandrova, directrice déléguée au pôle terrestre de l’Union TLF. Les travaux de la feuille de route de décarbonation ont évalué le surcoût d’investissement pour atteindre les objectifs de trajectoire d’ici 2040. Pour les véhicules GNV et bioGNV, il est de 7,3 Md€ par rapport à l’équivalent du gasoil. Pour l’électrique, le surcoût d’investissement pour l’acquisition des véhicules est de 12,8 Md€, et de 12,2 Md€ pour l’hydrogène. En revanche, les véhicules roulant aux carburants liquides bas carbone n’entraîneraient pas de surcoût d’investissement.

Les nouvelles énergies ont également leurs contraintes. Il reste à savoir qui paiera la note. « L’amélioration de la performance énergétique des transporteurs contribuera aussi à diminuer l’empreinte carbone des donneurs d’ordre. Il va donc falloir que ces surcoûts soient pris en compte par nos clients. Si les transporteurs doivent assumer seuls les surcoûts du verdissement des flottes, le système ne fonctionnera pas », rappelle Jean-Marc Rivera, délégué général de l’OTRE.

Ne pas oublier le coût des infrastructures Contrairement au gasoil qui profite d’un réseau d’infrastructures non négligeable, l’électrique ou le gaz nécessitent un réseau de stations de recharge et d’avitaillement qui n’existe pas actuellement. « On est aujourd’hui sur un système de recharge en dépôt, ce qui implique pour un transporteur de réfléchir non seulement à l’achat du véhicule mais aussi à l’achat de la recharge. Cela représente un coût additionnel non négligeable comprenant l’achat de la borne, mais également, le plus souvent, le coût de raccordement au réseau électrique. Cela constitue un véritable frein. Donc l’aide doit concerner également l’infrastructure. Quoi qu’il en soit, le développement de l’électromobilité lourde prendra beaucoup plus de temps qu’il n’y paraît en raison d’un réseau de distribution au stade des prémices », pointe JeanMarc Rivera.

Conséquences : les entreprises de transpor t vont devoir aussi investir dans des stations de recharge électrique et d’avitaillement pour le gaz. Selon Olga Alexandrova, « il faut acquérir de nouveaux réflexes avec l’électrique. L’infrastructure est un sujet qui n’est pas anodin par rapport au diesel dont la structure est bâtie depuis plus d’un siècle ». L’infrastructure électrique n’existe pas aujourd’hui. Les entreprises doivent penser à investir dans les bornes de recharge. « Il en existe sur le marché, mais elles sont essentiellement privées. Le prix des bornes dépend de la puissance nécessaire pour alimenter le(s) véhicule(s), ainsi que de la situation géographique. Certes, le territoire est câblé et l’énergie est en flux continu, mais il y a des endroits où il n’y a pas l’électricité nécessaire disponible. C’est la raison pour laquelle le coût de raccordement de l’entreprise au réseau électrique pour avoir cette puissance nécessaire est très variable. On l’estime entre 20 000 et 200 000 €. À cela il faut ajouter le prix des bornes en elles-mêmes qui varie entre 10 000 (22 kWh) et 110 000 € (150 kWh). »

Installer une station de recharge ou d’avitaillement nécessite un minimum de garantie sur le plan de la sécurité. « L’arrêté du 3 août 2018 prévoit que les installations de charge d’au moins 10 véhicules électriques en commun de catégorie M2 ou M3 soient soumises à diverses règles de sécurité, dont des distances d’isolement entre les bâtiments et les aires de charge. À partir de 10 véhicules, les bornes ne peuvent pas être proches de l’entreprise, et certains transporteurs n’ont pas assez de place pour les installer. Nous avons l’exemple d’un transporteur avec plusieurs dizaines de sites en France. Il estime que seuls quelques-uns peuvent accueillir des bornes électriques », précise Olga Alexandrova.

Des aides mieux adaptées

« Les transporteurs ne pourront pas faire face seuls au surcoût inévitable de la décarbonation. Tous les acteurs doivent participer aux financements qui engageront non seulement les transporteurs mais aussi : l’État et des collectivités locales, par des aides à l’acquisition et à la location de véhicules et par un plan massif et pérenne d’investissement dans les infrastructures de recharge ; le secteur bancaire, par un soutien adapté aux investissements verts des transporteurs ; les donneurs d’ordre et les consommateurs », estime l’ensemble des fédérations du transport routier dans leur feuille de route. Toutes sont d’accord pour dire qu’il faut rapidement des aides avant l’acquisition des véhicules et non des appels d’offres qui ne concernent in fine que les collectivités ou quelques grands groupes de transport.

« Nous devons revoir les conditions d’accompagnement des transporteurs. Aujourd’hui, nous sommes sur un modèle d’aides sous forme d’appel à projet. Pour nous, c’est une difficulté car d’une complexité sans nom, pas du tout adapté aux petites et moyennes entreprises », souligne Jean-Marc Rivera. « D’une part, elles ne donnent pas de perspectives à moyen terme, ne permettant pas aux entreprises de se projeter sur leurs investissements futurs. D’autre part, il s’agit d’aides à l’achat que vous recevez a posteriori. Les transporteurs sont confrontés à des difficultés vis-à-vis de leur banque pour accéder à un crédit car elles sont de plus en plus exigeantes et frileuses. On prône donc pour l’instauration d’un bonus à l’achat.

Ce modèle serait plus simple et plus adapté pour les transporteurs. La vraie difficulté est l’acceptabilité du système par Bercy qui veut maîtriser son budget. » Aujourd’hui, les aides à l’acquisition d’un poids lourd basses émissions en France sont estimées à 12 % en moyenne contre 72 % en Allemagne.

Décarboner la marchandise

Les transporteurs prônent non seulement pour une décarbonation du transport routier mais aussi pour un verdissement du fret. Dans leur rapport remis au ministre des Transports, les fédérations du transport routier estiment que « si le verdissement des motorisations et des carburants est un levier important de décarbonation des véhicules lourds, il ne permettra pas à lui seul d’atteindre l’objectif de neutralité carbone pour le secteur en 2050. Le verdissement du fret est un autre levier qui ne doit pas être négligé »

Au final, l’addition de la transition énergétique est plus que salée. Les transporteurs déjà fragilisés économiquement pourraient subir une perte de productivité sur la base des données fournies pouvant aller jusqu’à 25 % dans le cas de véhicules à batteries, « ce qui aggrave encore la perte de compétitivité et implique, dans une grande partie des usages, une modification profonde des plans de transport », insistent les fédérations. Reste à savoir qui doit payer. Les transporteurs, les chargeurs ou… les consommateurs ? Hervé

Rébillon

Florence Berthelot

Déléguée générale de la FNTR

eMAG Transport : Les véhicules zéro émission ont un coût exorbitant, comment réagissent les transporteurs ?

Florence Berthelot : L’Europe se base actuellement sur un mode de calcul qui ne tient pas compte des émissions liées à la production des véhicules et de l’énergie. Selon cette approche, deux solutions sont considérées comme étant zéro émission : l’électrique à batterie et l’hydrogène (pile à combustible). Mais la tentation d’imaginer la décarbonation du transport routier de marchandises à travers le développement d’une seule énergie est hasardeuse. La transition énergétique du transport routier de marchandises nécessite de s’appuyer sur un mix d’énergies décarbonées adapté aux spécificités des différentes catégories de véhicules et d’usages (GNV/bioGNV/carburants liquides bas carbone/ électrique, hydrogène). Un véhicule électrique coûte très cher, 3 à 4 fois plus cher qu’un véhicule thermique (350 000 à 450 000 €), c’est un frein important pour les transporteurs. Au total, selon les calculs réalisés dans le cadre de la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds que nous avons présentés au gouvernement le 24 mai dernier, la trajectoire de déploiement des poids lourds électriques implique un surcoût d’investissement pour le secteur par rapport à une situation dans laquelle l’ensemble du parc est renouvelé par des véhicules diesel. Du côté des poids lourds à hydrogène, ils ont un prix d’acquisition 5 à 6 fois supérieur à leur équivalent thermique, et leurs TCO sont 3 à 5 fois supérieurs à leur équivalent diesel. Selon les travaux de la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds, ce coût total de possession (TCO) restera nettement plus élevé à moyen terme. Le passage à l’hydrogène nécessitera un investissement pour les véhicules encore plus significatif que pour la mobilité électrique. Au total, selon les calculs réalisés dans le cadre de la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds, la trajectoire d’immatriculation des poids lourds à hydrogène prévue par la SNBC entraîne un surcoût d’investissement de 1,65 Md€ entre 2026 et 2030 et de 10,6 Md€ entre 2031 et 2040. eMT : Et comment les transporteurs arriveront-ils à surmonter ces investissements colossaux ?

F. B. : Ces surcoûts doivent être appréhendés dans le cadre d’un contexte économique incertain, d’une structure bilancielle des entreprises de transport susceptible de limiter leur capacité d’investissement, et des réserves des établissements financeurs quant à la valeur résiduelle de la batterie (sur les poids lourds BEV) au regard de la durée des amortissements. Un véhicule électrique ou hydrogène étant plus cher à l’achat, il requiert un montant d’endettement supérieur par rapport à un véhicule diesel, qui ne peut être accordé si les fonds propres sont insuffisants. Le prêt à taux zéro ne permet pas de surmonter cette limite du ratio d’endettement, contrairement aux subventions à l’achat ou à d’autres mécanismes de soutien telles que les avances remboursables. Ces surcoûts à l’investissement ne pourront pas être supportés par les seuls transporteurs dont la capacité d’investissement est fortement limitée (1 à 2 % par an). Une étude réalisée par la Banque de France à la demande de la FNTR (septembre 2022) sur la situation économique des entreprises du TRM, précise que : 1 entreprise sur 2 présente un niveau d’endettement supérieur à ses fonds propres, 30 % des entreprises sont déficitaires (avant opérations exceptionnelles) et 26 % ont une capacité de remboursement supérieure à 5 ans. Afin que les transporteurs puissent investir dans ces technologies significativement plus chères, des aides massives et pérennes à l’investissement pour l’acquisition des véhicules s’avèrent indispensables pour les entreprises du secteur. Mais ces aides, au regard de l’expérience des deux appels à projets portant sur l’acquisition de véhicules électriques, ne pourront jamais à elles seules, et étant donné le volume de camions à décarboner, inciter la majorité des transporteurs à se diriger notamment vers les véhicules électriques. eMT : Quel est l’impact sur les coûts de l’entreprise ? eMT : Ont-ils recours de plus en plus à la location (mode qui semble adapté pour les véhicules zéro émission) ?

F. B. : Le coût élevé d’acquisition des véhicules va nécessairement venir impacter le prix de la prestation de transport. En effet, les transporteurs n’auront pas d’autre choix que de répercuter ces surcoûts à leurs clients (chargeurs). Face à ces surcoûts importants, les chargeurs qui ne voudront pas payer le transport à un prix plus élevé risquent de demander au transporteur de ne pas utiliser ces véhicules pour réaliser la prestation de transport et d’utiliser à la place des véhicules diesel. Cette situation s’est déjà produite en 2022 lors de l’augmentation sans précédent du prix du GNV/bioGNV en raison du conflit russoukrainien. Il est donc nécessaire d’instaurer un dispositif permettant d’associer les clients du transport à la prise en charge du coût de la transition énergétique.

F. B. : Dans le transport routier de marchandises, la location d’un poids lourd zéro émission eMT : Les coûts des infrastructures ont-ils aussi un impact, sachant que les stations de recharges électriques, ravitaillements gaz et autres, sont indispensables et doivent être intégrées de plus en plus dans l’entreprise ?

(électrique et plus tard hydrogène) peut présenter des avantages, mais nous n’avons pas de chiffres précis pour savoir si cette pratique est en hausse. L’achat de véhicules électriques ou hydrogène représente un investissement important pour l’entreprise. La location peut lui permettre de maîtriser son budget : les véhicules sont loués pour une période et une distance donnée, sous forme de loyer. L’entretien et la maintenance des véhicules sont proposés et gérés par les agences de location, ce qui représente un gain de temps (coûts de maintenance inclus dans le contrat de location). L’entreprise n’a pas à se soucier de la valeur à la revente du véhicule. Cet aspect est important, notamment pour les poids lourds électriques pour lesquels des incertitudes existent concernant la valeur résiduelle de la batterie au regard de la durée des amortissements. Cependant, si la location permet d’apporter une solution au coût de l’acquisition d’un véhicule, demeure le surcoût à l’usage de celui-ci.

F. B. : Oui. Le déploiement de points de recharge présente un investissement important Au total, selon les calculs réalisés dans le cadre de la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds, la trajectoire de déploiement des poids lourds électriques de la SNBC implique un surcoût d’investissement pour l’avitaillement de 336 M€ entre 2023 et 2025, de 1,54 Md€ entre 2026 et 2030 et de 8,85 Md€ entre 2031 et 2040. Toujours selon les calculs réalisés dans la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds, la trajectoire de déploiement des poids lourds hydrogène de la SNBC implique un surcoût d’investissement pour l’avitaillement de 566 M€ entre 2026 et 2030 et de 4,3 Md€ entre 2031 et 2040. Concernant le GNV/bioGNV, le coût de déploiement d’une station publique d’avitaillement en GNV est de 1,8 M€ et celui d’une station privée entre 0,2 M€ et 0,8 M€.

Au total, selon les calculs réalisés, la trajectoire de déploiement des poids lourds GNV/bioGNV de la SNBC implique un surcoût d’investissement pour l’avitaillement de 406 M€ entre 2023 et 2025, de 1,13 Md€ entre 2026 et 2030 et de 3,1 Md€ entre 2031 et 2040.

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