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Interview • Lionel Bertuit, directeur mobilité d’Hyliko

Lionel Bertuit

Directeur mobilité d’Hyliko

« L’hydrogène vert va faire partie du mix énergétique »

eMAG Transport : Hyliko fera rouler les premiers camions hydrogène en France dès l’an prochain, le rétrofit que vous avez choisi est-il la meilleure solution technologique et économique pour accéder à l’hydrogène?

Lionel Bertuit: C’est en tout cas l’ambition d’Hyliko. Dans notre vision pour décarboner le transport routier de marchandises, l’une des solutions est de passer par l’hydrogène. Pour éviter le phénomène de la poule et de l’œuf, nous avons décidé d’assembler les premiers véhicules. Pour accélérer une filière qui est naissante, autant en France qu’en Europe, nous avons décidé de partir sur le rétrofit, sur la base de la loi de mars 2020 qui autorise à sortir une chaîne cinématique diesel et de mettre une pile à combustible hydrogène pour produire l’électricité sur le véhicule. Cela permet de réduire l’impact CO2, puisque nous allons émettre entre 60 % et 80 % de CO2 de moins sur le rétrofitage versus un véhicule neuf. C’est la double vertu. C’est un procédé simple pour le transporteur. Nous allons prendre le véhicule de son parc circulant qui correspond à son cahier des charges. Nous adaptons une chaîne cinématique hydrogène. Cela nécessite cependant une ingénierie assez complète pour intégrer le circuit électronique et le circuit de refroidissement, les piles à combustible et les batteries ou encore les réservoirs hydrogène. À partir du moment où le véhicule a cinq ans et un jour, tous les camions peuvent être rétrofités. Nous nous sommes focalisés sur les véhicules lourds de 26 tonnes, demain de 32 tonnes et tracteurs 44 tonnes. Nous sommes convaincus que l’hydrogène est pertinent sur ces segments. Nous avons fait un choix français, puisque nos études de rétrofitage se sont portées sur la gamme Renault Trucks.

eMT: L’hydrogène va-t-il devenir l’énergie pour le transport routier?

L. B: L’hydrogène vert, renouvelable, va faire partie du mix énergétique. Nous restons dans le schéma qui va constituer à dire: il n’y a pas une solution unique devant les enjeux en termes d’énergie. Nous voyons l’hydrogène pour la mobilité avec deux critères essentiels pour le choix du transporteur dans son mix énergétique. Le premier, le plus évident, que nous retrouvons dans l’hydrogène, c’est le besoin d’autonomie (les premières générations atteignent les 500 km, d’ici 2 ans les 1000 km) et de charges utiles (équivalentes à celles d’un diesel). Le second critère, que l’on retrouve en discutant avec les transporteurs et les gestionnaires de flotte, c’est la disponibilité insuffisante d’électricité dans certains endroits, en France et en Europe. Même si le choix se portait sur la batterie, les transporteurs nous disent qu’ils n’ont pas assez de capacités dans le réseau pour pouvoir installer 30 à 40 prises électriques. L’hydrogène ne sera pas uniquement pour la longue distance, contrairement à ce que l’on entend. Notre premier client est Saint-Gobain Distribution Bâtiment France (ex-Point.P) pour de la livraison en région parisienne. Saint-Gobain, qui utilise aujourd’hui du gaz et du B100, a réalisé des tests sur des électriques et a conclu que l’hydrogène pouvait lui apporter la polyvalence que l’on n’a pas avec la batterie. Avec l’hydrogène et la pile à combustible, ils peuvent terminer leur tournée chaque jour sans devoir trouver une prise pour recharger, comme avec l’électrique. Il y a comme un consensus qui dit que l’énergie de demain sera l’hydrogène pour le transport routier de marchandises. Après, il y a un débat plus large sur la quantité d’énergie qu’il va falloir pour décarboner l’industrie. Certains disent qu’il va falloir se concentrer sur l’industrie avant de s’occuper de la mobilité. En tout cas, concernant l’hydrogène, le gouvernement français a mis dans les usages prioritaires le transport routier de marchandises.

eMT: En devançant les constructeurs historiques sur l’hydrogène (ils ne lanceront leur camion hydrogène que dans 3 à 5 ans), vous devenez un sérieux concurrent. Vous définissez-vous comme constructeur?

L. B: De fait, nous devenons constructeur. Mais ce n’était pas notre ambition première. La réflexion que nous avions en 2020 était de dire : la décarbonation des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre que sont la production d’électricité et la mobilité au sens large passera par l’hydrogène renouvelable, autrement dit l’hydrogène vert. Quand l’analyse a été affinée début 2021, nous avons décidé de monter un réseau de stations pour la mobilité lourde, en l’ouvrant aussi aux voitures et aux utilitaires. Nous avons également convenu d’aller voir les constructeurs pour acheter les camions et les proposer au kilomètre. Sauf que les mêmes constructeurs qui disent oui à l’hydrogène ont prévu de lancer leur camion hydrogène d’ici 4 à 5 ans. À partir de ce constat, des partenariats ont été noués pour assembler des premiers véhicules et démarrer la filière de l’hydrogène verte pour le transport routier de marchandises.

eMT: Il y a un débat sur l’hydrogène, à savoir si sa production sera de l’énergie verte. Vous proposez de l’hydrogène vertueux?

L. B: Nous avons fait le choix d’une technologie différente pour produire de l’hydrogène. Nous utilisons du résidu de biomasse avec un procédé de thermolyse, c’est de la pyrolyse. Nous faisons chauffer cette biomasse à 500 degrés sans oxygène. Il en ressort à la fois un gaz riche en hydrogène et le biochar, un charbon végétal qui aura séquestré durablement 50 % du CO2 contenu dans la biomasse. Cela nous permet d’annoncer que quand nous utilisons de l’hydrogène dans un camion, nous sommes dans la catégorie zéro émission puisqu’il ne va recracher que de l’eau.

De plus, notre procédé, qui a séquestré 50 % du CO2 au travers du biochar (utilisé comme amendement pour l’agriculture), est tracé, certifié, jusqu’à l’établissement d’un crédit carbone. Les transporteurs et les chargeurs vont pouvoir annoncer une empreinte carbone dite négative.

eMT: Vous proposez non seulement un véhicule rétrofité, mais aussi une offre de distribution. L’idée est de mettre en place un réseau de stations hydrogène?

L. B: L’offre va s’appuyer sur 4 piliers : le premier est de monter dans des stations d’hydrogène dédiées à la mobilité avec ce procédé local à partir de biomasse, le second est de fournir le véhicule et de proposer la solution de financement, le troisième pilier est d’assurer la maintenance de ces véhicules, la filière est naissante, et le quatrième, le plus important puisque l’ambition est de décarboner le transport routier, est de certifier, de tracer toute l’empreinte carbone en analyse de cycle de vie. L’objectif est d’annoncer une empreinte carbone négative, avec un crédit carbone pour le transporteur ou le chargeur. Nous partons du sourcing de la biomasse en passant par la production d’hydrogène, la construction de la station, la déconstruction de la station pour l’empreinte carbone, la construction du véhicule, la déconstruction du véhicule, la consommation de l’hydrogène dans le véhicule. Nous amenons la preuve, pour ne pas faire du greenwashing au travers d’un certificat qui s’appelle crédit carbone et montre que l’empreinte est négative.

eMT: Vous vous lancez un véritable défi : en 2030, vous visez 10 % du marché européen des poids lourds hydrogène et une centaine de stations de distribution. Le rétrofit va-t-il prendre le dessus de la production classique de poids lourds?

L. B: Pour atteindre ces objectifs, nous avons déjà anticipé que le rétrofit ne sera pas suffisant. Nous sommes avancés en discussion avec les grands constructeurs pour qu’ils nous fournissent les châssis neufs et pour que nous puissions mettre notre ingénierie et notre powertrain hydrogène Nous aurons donc les 2 offres, puisqu’il y a une vraie demande pour les deux. Selon les prévisions marché et la capacité à se déployer en Europe, les 15 000 poids lourds en hydrogène sont la fourchette haute du marché. Aujourd’hui, effectivement, il y a une fourchette plus basse, aux alentours des 5 000-7000 véhicules. L’approvisionnement va être l’élément clé, et nous dépendons de la production. Nous sommes une plateforme multimarque, même si nous allons produire des véhicules. Tout dépendra ce qu’il y aura sur le marché. L’enjeu aujourd’hui est vraiment la production. Dans notre stratégie, nous envisageons donc des partenariats avec les constructeurs.

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