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Comment construire une École émancipatrice ?
L’émancipation est « l’action de s’affranchir d’un lien, d’une entrave, d’un état de dépendance, d’une domination, d’un préjugé » selon le dictionnaire Larousse. C’est donc le moyen de devenir libre soi-même et de permettre la liberté pour toutes et tous. Le rôle de l’École est ici essentiel et la revue « Germinal » y consacre son dernier numéro. Nous avons interrogé son directeur, Nathan Cazeneuve, agrégé de philosophie et doctorant à l’EHESS, à propo s des moyens de construire « l’ É cole émancipatrice » .
Quels sont les objectifs de la revue Germinal, qui sont les auteurs et autrices des articles ?
La revue Germinal rassemble des chercheurs en sciences sociales et des acteurs publics autour d’une réflexion sur les transformations actuelles des États sociaux face aux conséquences de la mondialisation, des évolutions du travail et du défi écologique. L’ambition principale de ce collectif est de participer à l’élaboration théorique d’un socialisme écologique contemporain. Elle s’accompagne d’un autre objectif : promouvoir un dialogue renouvelé entre la recherche en sciences sociales et le monde de l’action publique alors que les liens qui les unissent se sont distendus. Ce dialogue ne peut être que fécond dans la mesure où les défis auxquels nos sociétés doivent faire face rendent nécessaire d’articuler finement les aspirations à la justice avec les évolutions sociales. C’est dans cet esprit que sont conçus les numéros. On trouvera donc par exemple, dans celui que nous avons consacré à l’École, autant des analyses historiques sur la démocratisation scolaire ou des enquêtes sociologiques sur l’enseignement professionnel que des contributions syndicales, des témoignages d’enseignants et de responsables publics tels que d’anciens recteurs, ministre ou DGESCO
Le dernier numéro porte sur l’Éducation et est intitulé « L’École émancipatrice » : mais qu’est-ce que cela signifie une école qui émancipe ? Est-ce à dire qu’il y a « une panne » de l’École sur ce point ?
L’École a connu dans la seconde moitié du XXè siècle une transformation majeure sous l’effet de la massification scolaire qui a permis une élévation sans précédent du nombre d’élèves scolarisés, de la durée de scolarisation et du niveau de qualification. Cette évolution a profondément transformé la société en produisant des effets d’émancipation : une réduction des inégalités, une laïcisation des consciences et un rapport plus réflexif au travail et à la société. Ce mouvement semble aujourd’hui entravé, notamment par le renforcement des inégalités scolaires. Selon les classements PISA, 25 % des élèves les plus défavorisés ont quatre fois plus de chances d’obtenir les plus mauvais résultats. La mixité scolaire recule, l’enseignement privé progresse et la profession enseignante connaît une nette dégradation de ses conditions d’exercice. Il nous faut donc retrouver la voie d’une École émancipatrice qui parvienne à mettre à distance les différences sociales et culturelles afin d’en limiter les déterminismes et de développer chez les élèves une réflexivité poussée sur les interdépendances sociales et écologiques qui structurent la société et forment les individus.
Plusieurs articles donnent des pistes pour une meilleure politique éducative, quelles sont-elles ?
On peut dégager du numéro trois enjeux majeurs pour une politique scolaire. Le premier est celui de l’amélioration des conditions d’exercice du métier d’enseignant. Elle implique une revalorisation salariale - le salaire d’un professeur débutant est passé de 2,2 fois le SMIC en 1980 à 1,2 en 2022 -, mais aussi une formation plus attractive où la pratique pédagogique arrive plus tôt que lors de l’année de stage et une réflexion sur les parcours professionnels qui pourraient être plus ouverts. Un deuxième enjeu est celui de la réduction des inégalités scolaires. Elle suppose une réflexion sur la répartition des moyens : les dépenses se concentrent le plus sur le lycée alors que les inégalités scolaires se forment en maternelle et en primaire. La mixité sociale à l’école régresse également ce qui implique de nouvelles pratiques comme les établissements multi-secteurs. Nous avons en France un nombre de jours de classe très inférieur aux autres pays de l’OCDE (144 contre 185 en moyenne), ce dont pâtissent surtout les enfants des classes populaires. Enfin, se pose la question de la démocratisation de l’organisation de la communauté éducative afin d’y associer des acteurs qui sont aujourd’hui plus nombreux et plus différenciés. Cela passe, par exemple, par une réflexion sur le rôle et l’autorité des chefs d’établissement ou sur l’association des élèves à la vie des établissements.
Pour construire une École qui émancipe, quel est le rôle selon vous des organisations syndicales ?
Plus largement de toutes les structures qui peuvent parler d’école (partis politiques, associations, intellectuel·les, etc.) ?
Au-delà de leur rôle de négociation et d’accompagnement des parcours professionnels, les syndicats sont une des seules institutions à même de nourrir un projet éducatif au plus près des pratiques scolaires et des difficultés qui s’y rencontrent. Ce travail est décisif car la question scolaire est aujourd’hui très marginale dans le débat public alors même que l’école structure nos sociétés et constitue une préoccupation croissante des familles. Il est donc urgent de remettre l’école au cœur du discours politique car ce qui se joue à travers elle est l’émancipation et la justice de la société dans son ensemble et non pas simplement des parcours individuels.
Benoit Kermoal

@enklask1 benoit.kermoal @unsa-education.org
« L’école émancipatrice »

G ERMINAL , n°5, novembre 2022. Ce numéro a été coordonné par Marion Bet et Christophe Prochasson
Il interroge des chercheur·es et intellectuels, mais aussi des responsables publics ou des organisations syndicales.

L’UNSA Éducation a été ainsi sollicitée pour y expliquer ses principales revendications. On y trouvera de nombreuses analyses éclairantes sur l’état de l’ Éducation aujourd’hui en France.
Pour s’abonner ou commander ce numéro : www.editionsbdl.com/ revue/germinal/