30 SPÉCIAL HUMOUR
URBANIA.CA ÉTÉ 2011 | NUMÉR0 30 | SPÉCIAL HUMOUR | FABRIQUÉ DANS LA JOIE
9,95 $
2
Poursuite intentée par la communauté de Glod contre Sacha Baron Cohen après le tournage du film Borat en Roumanie. Quand l’ironie n’est pas gratuite.
Nombre de fois que BernardHenri Lévy a été entarté au Salon du livre de Paris en 2006. Aucun lien avec l’infestation de livres de recettes de pâtisseries dans les Salons du Livre depuis 2006.
22
Nombre d’emplois en humour qui ont été créés à l’annonce du burnout de François Avard en 2010.
30 000 000 $
1298
+
Durée de la formation pour devenir clown. Durée de l’intérêt d’un enfant pour une balloune twistée en forme de chien ? 7 secondes.
+
27 HEURES
17
27
de sosies de Charlot à Londres. La même position qu’obtiendrait Anne-Marie Losique à un concours d’AnneMarie Losique, loin derrière Bruno Blanchet.
du vrai Charlie e Position Chaplin à un concours
25$
CH
LOL
Concessions Rigolfeur au Québec. C’est beaucoup pour ce qu’on devine être juste un flash de fin de brosse.
75%
des humoristes québécois ont été formés à l’École nationale de l’humour. 75 % des humoristes québécois formés à l’École nationale de l’humour sont habillés exactement pareil. Simple coïncidence ?
U H ’ L IFFRES EN
Montant reçu par La Poune en 1927 pour enregistrer un monologue comique sur un 78 tours. Un salaire de 32 cents le tour.
R U MO
Nombre d’émissions de Piment fort présentées entre 1993 et 2001. À raison d’un cas de coma éthylique dans le public du Café Campus par enregistrement.
18%
des humoristes ont un blogue actif au Québec. Christian Bégin trouve qu’il y a 18 % trop d’humoristes qui ont un blogue actif au Québec.
UN
spectacle de Marie-Chantal Toupin chez un concessionnaire Hyundai à Ste-Julie. Aucune blague proprement dite ce soirlà, mais bien de la matière à rire.
17 Nombre
9
CHIFFRES
sont à caractère humoristique. Eh non, l’opéra-folk Les Filles de Caleb n’est pas considéré comme une joke.
madames Brossard habitent vraiment Brossard. Aucune avec le sens de l’humour.
des jokes de mononcle sont pas drôles. Dans le 3 % restant, il y a celle-ci : « C’est quoi la différence entre des filles pis des souliers ? Aucune. Plus t’é mets, plus y puent ». Celle-là, elle est juste DÉGUEU-LASSE.
4
40$
de frais en moyenne sur les billets d’humour achetés sur billets.ca. Ça, c’est ce qu’on appelle « rire du monde ».
Durée de l’effet du gaz hilarant. C’est l’équivalent du temps total que Claude Poirier accordera à l’exercice du rire dans toute sa vie.
des humoristes au Québec sont des gars. 4 % ont un genre imprécis.
2 minutes
80%
capsules de Deux minutes du peuple de François Pérusse, soit 3600 minutes d’extase et d’utilisation abusive du fast forward.
1535
jokes de Bazooka différentes. Même arrière-goût de plastique et même résidu de farine autour de la bouche.
97%
508 270
Nombre de Newfies au Canada. Probablement 508 270 réputations ruinées par le comportement d’un seul vrai cave dans le bout de St-John.
minute de rire contribue à brûler autant de calories que 15 minutes de marche. Il est bien sûr très rentable de combiner les deux.
différents sons de coussin-péteur. Depuis leur invention, ils ont de loin été surpassés par ceux de l’application iFart, qui propose une gamme de 25 sons, dont le Burrito Maximo, le Bombardier et le Laundry Day.
18
spectacles 70% des présentés au Québec
420$
5
Nombre de condamnations de Dieudonné pour avoir tenu des propos antisémites. Un autre messie bien connu a fini sur une croix pour bien moins que ça.
Salaire moyen d’un humoriste chaque semaine pendant la durée d’un contrat. Pour Martin Matte, ajoutez trois zéros et un char.
de Bye Bye auxquels a participé Dominique Michel. Toutefois, il s’agissait bel et bien de son dernier cancer.
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RIRE QUOSSA DONNE
Au Québec, plus on est intello, plus il faut, semble-t-il, détester l’humour. Comme cette tendance écorche la façon dont il remplit ses journées, François Avard a rencontré l’anthropologue Serge Bouchard. Au bout du compte, ce n’est peut-être pas si grave d’être intellectuel et d’aimer rire. texte : extrait du colloque l’humour quosse ça donne en 2008 // illustration : marie-claude hébert
avard : Est-ce que le rire peut vraiment combler un vide, soigner ou guérir ? bouchard : Si c’est vrai, comme tout le monde, je suis quelqu’un de profondément blessé, puisque j’essaie de rire tout le temps. C’est beau, le rire. Il n’y a rien de plus beau dans la nature. Prenons le chien, par exemple. Quand il est heureux, il branle la queue, mais il ne rit pas, parce qu’il s’agit d’un geste profondément humain. avard : Pourquoi rit-on ? bouchard : Parce qu’on est intelligent. avard : Oui, mais il y a des gens éminemment intelligents qui n’aiment pas rire… bouchard : C’est peut-être parce qu’ils ne sont pas si intelligents que ça. Ne pas rire est une sorte d’infirmité. La gravité et le sérieux doivent être compensés par une bonne dose d’humour. C’est pourquoi j’aime beaucoup l’expression « le sens de l’humour » : elle nous laisse croire que l’humour a un sens, et s’il a un sens, il est d’autant plus important dans une société désorientée comme la nôtre. avard : Pourquoi certaines civilisations font-elles le choix de ne plus rire ? Par exemple l’Allemagne à l’époque nazie. bouchard : C’est vrai que quand Hitler pointait sa baguette en réunion dans son bunker, ce n’était pas le temps de faire des jokes, les rapports historiques nous le confirment. Mais il n’ y a pas juste en Allemagne nazie que ça ne riait pas. Aujourd’hui non plus, les militaires ne rient pas beaucoup. Mettez-vous en ligne et rasez-vous les cheveux, vous ne rirez sûrement pas… Pourtant, une des choses les plus drôles dans la vie, c’est quand on rit au moment où il ne le faut pas. Je me souviens d’avoir eu l’un de ces fous rires à l’église quand le prêtre cassait l’hostie ! Je risquais de me faire fouetter — ou pire que ça, damner — mais je riais pareil. avard : À une certaine époque, la religion catholique interdisait le rire. Comment peut-on justifier un tel interdit ? À une autre époque, même les rois avaient un fou du roi comme soupape.
bouchard : Dans certaines sociétés religieuses ou très dogmatiques, rire permet de transgresser, de démolir ou de briser des certitudes. Quand on est certain de son affaire, on ne rit pas. Et si on rit, c’est parce qu’on doute, ce qui est un signe d’intelligence. Le fou du roi, lui, était le seul personnage qui pouvait se permettre toutes les transgressions. Par exemple, le ministre ne pouvait pas dire la vérité au roi, mais le fou du roi, oui. Par ailleurs, certaines sociétés sont tellement malades mentales qu’elles interdisent toute forme de dérision… Essaie de faire une joke sur Allah, ça ne pogne pas. Je ne suis pas dans la peau d’Allah, mais si j’étais lui, je m’ennuierais parfois… avard : Vous êtes au fait que certaines cultures ont des dieux drôles ?
« Quand on est certain de son affaire, on ne rit pas. et si on rit, c’est parce qu’on doute, ce qui est un signe d’intelligence. » bouchard : Les Innus ont des dieux comiques, comme Kuekuatsheu, le carcajou qui fait des jeux de mots. À cause des stéréotypes, on a de la difficulté à s’imaginer un Amérindien en train de se tordre de rire. Pourtant, ils rient tout le temps : ils rient d’eux-mêmes, ils rient des autres... L’humain rit dans l’adversité. Le rire est sa porte de sortie, l’exercice ultime de sa liberté. Quand il rit, c’est comme s’il criait « vive la liberté » au moment de se faire tirer. D’ailleurs, toutes les sociétés qui font face à l’adversité deviennent très drôles. Au Canada, par exemple, les Terre-Neuviens sont reconnus pour être très comiques et produire beaucoup d’humoristes. Et que se passet-il à Terre-Neuve au mois d’août ? Il vente, il y a du brouillard, des roches, des épinettes... tout ce que les Canadiens haïssent pour mourir. Alors, que font les Terre-Neuviens ? Ils se content des jokes !
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ENTREVUE
avard : Nous aussi, au Québec, nous versons énormément dans le rire pour combler un vide. N’est-ce pas un peu déprimant ? bouchard : Je pense que comme société, le Québec a quelque chose d’anxieux. Quand on est angoissé, on peut avoir toutes sortes de réactions : on peut courir, crier, aller se pendre... ou rire. C’est ce qu’on fait quand, tous les jours, on est confronté à la crise économique, aux problèmes des fonds de pension qui disparaissent, à l’impuissance sexuelle… Tout ça, si ce n’est pas comique, je ne sais pas c’est quoi. avard : Qu’est-ce qui dérange tant dans le fait que les Québécois aiment rire ? bouchard : Tout le monde aime rire. Les Québécois devraient être fiers de la production humoristique de chez nous. Ça nous rappelle que nous sommes une société qui résiste à la hiérarchisation et qui montre une volonté générale de se réunir. Quand tout le monde rit ensemble pendant une seconde, ça veut dire que tout le monde est sur la même longueur d’onde. Et ça, c’est beau.
« L’humain rit dans l’adversité. Le rire est sa porte de sortie, l’exercice ultime de sa liberté. »
EN 2008, POUR SON 20e ANNIVERSAIRE, L’ÉNH EN COLLABORATION AVEC L’APIH A TENU UN COLLOQUE, L’HUMOUR, QUOSSE ÇA DONNE ? SUR LA FONCTION DE L’HUMOUR DANS LA SOCIÉTÉ. ON Y A RÉUNI DES COUPLES IMPROBABLES. FRANÇOIS ET SERGE ONT RÉUSSI LEUR BLIND DATE.
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ROI À la cour du
Au royaume des fous du roi règne Gilbert Rozon. Habile, charmeur, caractériel et scandaleux. Rencontre avec celui qui a fait de Montréal la capitale du rire. texte : émilie dubreuil // photos : maxyme g.delisle (maxyme.net)
S
on bureau a des allures de loft new-yorkais. Des dizaines d’oeuvres de Claude Le Sauteur, comme d’immenses taches de couleur, garnissent les murs blancs qui n’en finissent plus de finir. Sur une des petites tables de la pièce, entre l’ordinateur miniature et le iPad, deux BlackBerry qui, eux, n’en finissent plus de couiner. Sur le divan ultra-super-confort vert bourgeon tendre, un gestionnaire attend le boss avec révérence et quelques dossiers bien préparés. « Gilbert, il a une personnalité très forte, il est très direct », avance-t-il avec réserve quand on lui demande de définir son patron. Il est de notoriété publique que le boss n’est pas de tout repos. Pendant que le photographe s’installe, un autre cadre du Festival s’amène dans le bureau : « Is Gilbert here ? » demande-til avec une certaine excitation dans la voix. L’assistante de Gilbert, tornade blonde perchée sur des talons déraisonnables, nous assure que l’homme sera là dans une minute. Quelques secondes plus tard, Rozon, Gilbert, PDG de l’empire Juste pour rire, franchit d’un pas décidé la porte de son office, sur laquelle il est inscrit « Urgence » en lettres majuscules rouges. L’autodérision est la politique numéro un du ministre de l’humour québécois, qui est, pour l’heure, d’humeur grincheuse.
DUBREUIL
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M
ontréal, plein jour, quelque part à la fin des années 1980. Deux hommes en tutu détachent une femme de la voie ferrée. Intrigué par la scène, un homme à bicyclette manque un virage, dévale une côte, fonce dans un bosquet, puis, évitant de justesse les voitures, traverse une route à quatre voies avant d’atterrir bêtement sur le bitume. On aurait pu croire que la scène était écrite, mais en fait, pas complètement. Les hommes en tutu, c’est Pierre Lebeau (Méo, dans Les Boys) et Jacques Hurtubise, le fondateur de la revue CROC. Ensemble, ils sont… Les Incompressibles, les super héros d’un photo-théâtre publié régulièrement dans CROC. Quant à l’étourdi qui a pris la débarque en vélo, s’il se reconnaît dans ces pages, Jacques Hurtubise s’en excuse : « On ne voulait faire de mal à personne. » C’est vrai. Durant toute son histoire, CROC, malgré ses dents, n’a jamais voulu être méchant. Ou si peu. Même dans les numéros « Spécial racisme » et « Gais ». Leur slogan, « C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle », voulait dire que, même si la situation était tragique, on pouvait en rire. C’est comme ça qu’on a réussi à faire un spécial Jean-Paul II en 1984, et à mettre un gâteau dans une valise d’auto pour célébrer les dix ans de la Crise d’octobre. CROC riait avec le monde. « On avait fait un spécial Handicapés. Les meilleures jokes venaient d’eux », se souvient Hélène Fleury, qui a partagé sa vie avec Jacques Hurtubise durant 27 ans, dont quinze à la barre du magazine. « En quinze ans, il n’y a pas une journée où on n’a pas ri », se souvient celle qu’on appelait également Doberman Fleury parce qu’elle tenait tête à une bande de mecs. Pensez à votre mère, rajeunissez-la de 30 ans, mettez-la dans une combinaison d’aviateur, coiffez-la d’un casque d’Obélix et mettez-lui des cuissards en vinyle luisant ainsi que des talons hauts et vous avez un portrait juste d’Hélène Fleury dans les années 1980. « Ça n’avait pas de sens, de se présenter à l’imprimeur comme ça : il m’appelait madame ! » commente Hélène, nostalgique. Les Incompressibles Photos : François Desaulniers CROC, spécial Musique, no. 111, octobre, 1988.
LA BELLE ÉPOQUE On a peut-être du mal à imaginer nos parents faire des jokes, mais suffit d’une visite des archives à la Bibliothèque nationale pour se convaincre (et convaincre la bibliothécaire) que CROC, c’était vraiment drôle. Encore de nos jours, on rit. En plus des photo-théâtres mettant en vedette des artistes de l’époque (RBO, Clémence Desrochers ou Michel Rivard), des jokes de Réal Giguère (qu’on pourrait aujourd’hui remplacer par Denis Lévesque) et des palmarès de bourdes journalistiques (à l’époque aussi, le Journal de Montréal était champion), il y a de vieilles annonces d’Au Coton et de vêtements Cobra pour vous faire sourire. Force est de constater que chaque texte du magazine jouissait d’une attention dont les successeurs de CROC, Safarir, ou l’autre, là, Délire, ne se sont visiblement pas inspirés par la suite.
Un esprit sain dans un corset Illustration : Gaboury CROC, spécial Gros, no. 97, août, 1987.
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Faut dire qu’à l’époque, travailler dans un magazine humoristique, c’était du sérieux. À son apogée, CROC comptait 15 employés à temps plein. C’est cinq fois plus que l’équipe d’Urbania. Les auteurs étaient bien payés et leurs textes passaient par un rigoureux processus de sélection. « Nous étions trois, Jacques, Pierre Huet et moi , explique Hélène Fleury. Il fallait que deux d’entre nous rient pour que ça passe. Souvent, j’étais le filet de sécurité des gars pour les jokes sexistes. » Deux ou trois fois par semaine, auteurs et dessinateurs s’assoyaient autour de la table pour pitcher leurs idées. Bière, vin et poulet BBQ étaient offerts sur le bras du patron. « On travaillait en collégialité, on prolongeait les idées des autres pour trouver, mettons “ 25 façons d’avoir l’air niaiseux ”. Après ça, Jacques et moi, on gardait la crème de ce qui avait été dit », explique Hélène Fleury.
« Présente à ce moment-là, la chroniqueuse télé Louise Cousineau a capté toute la scène. Le lendemain, le coming out de Marc Drouin faisait la une du cahier Arts et spectacles de La Presse. » « Ces séances réunissaient des gens d’un extrême talent avec un immense égo, se souvient Jacques Hurtubise. Il y avait une rivalité à sortir les meilleures idées, même si, à la fin, on ne savait plus vraiment laquelle venait de qui. » Les meilleures plumes sont passées par là. Claude Meunier, Pierre Foglia, Roch Côté de L’actualité, Serge Grenier des Cyniques, Jean-Pierre Plante et Yves Taschereau, dont les crocs séviront plus tard à Piment fort, Sylvie Desrosiers, qu’on lira après coup à la Courte Échelle, et Pierre Huet, parolier de Beau Dommage, qui en a longtemps été le rédacteur en chef. C’était aussi un incubateur de talents. Stéphane Laporte, François Parenteau et même un certain Guy Lepage y ont fait leurs premières armes. « Mon prof Roch Côté (un des cofondateurs) m’avait approché parce que j’étais le rédacteur en chef du journal du département de communication », se souvient celui qui a depuis ajouté un A entre ses deux noms.« J’étais impressionné qu’ils fassent appel à moi. CROC, c’était big. C’était un gros magazine hyper populaire. En même temps, je trouvais qu’ils avaient fait une très belle acquisition... » dit-il, retrouvant l’arrogance de ses 20 ans, âge qu’il avait à l’époque. « Stéphane Laporte et moi, on était les deux ti-culs du magazine. Les autres avaient dix ans de plus que nous. Ils étaient sympathiques, mais ils avaient l’air de nous regarder aller en se disant “ on va voir ce que ces p’tit criss-là vont nous montrer ”. » Parmi ces plus vieux au regard circonspect, des illustrateurs, comme Gaboury, qui collabore aujourd’hui à Safarir, y établissent leur réputation. « Dans le temps, lorsque les personnages se faisaient mal dans les bandes dessinées, c’était propre, on illustrait ça comme une tranche de jambon, se souvient le dessinateur. Moi, mes personnages, je les faisais saigner. Je ne voulais pas choquer personne, mais tout le monde m’en parlait parce que, dans le temps, ça ne se faisait vraiment pas. Je passais pour un dessinateur violent ! Cette étiquette m’est restée. » DE MA PETITE VIE, JE VOUS LIVRE L’ANECDOTE SUIVANTE : JE LISAIS CROC, APPRÉCIAIS LES AUTEURS DONT STÉPHANE LAPORTE. IL M’APPELA UN JOUR, SOUHAITANT CONTRIBUER AUX LUNDIS DES HAHA DONT J’ASSUMAIS LA CODIRECTION ARTISTIQUE. JE L’AI INVITÉ À VENIR FAIRE UN TOUR… EN SPÉCIFIANT L’ABSENCE DE BUDGET POUR UN AUTEUR. JE LE « MATCHAI » ALORS AVEC UN JEUNE IMITATEUR TALENTUEUX, ANDRÉ-PHILIPPE GAGNON. LA SUITE, ON LA CONNAÎT.
Aujourd’hui caricaturiste au Devoir, Michel Garneau, alias Garnotte, se souvient des nuits où il bouclait le magazine avec toute l’équipe. C’était avant Photoshop. « Tous les trucages étaient faits à la main. Heureusement qu’on avait du masking tape et des agrafes. C’était le fun, mais long… et salissant », se rappelle-t-il. DU GROS FUN NOIR Dans l’histoire de l’humour au Québec, Jacques Grisé est connu pour avoir été le « et » de Paul et Paul. Peut-être que pour notre génération, il n’est pas complètement glorieux d’avoir été la conjonction de coordination séparant Ding de Dong, mais à l’époque, c’était quelque chose. On confiait régulièrement de longs articles à celui qui scripte aujourd’hui, entre autres, des sketchs de Gérard D. Laflaque. L’une de ses histoires mettait en vedette un gars qui venait de gagner 5 $ à la loto. (ndlr : Même à l’époque, 5 $, c’était un montant parodique.) « Qu’allait-il en faire? Il pensait à comment il administrerait sa richesse, calculait le nombre d’allers-retours qu’il pourrait faire en métro, se cachait pour ne pas se faire voler, raconte Jacques Grisé, crampé comme un ado de 15 ans. On pouvait aller vraiment loin dans notre délire. » Sauf qu’un jour, Jacques Grisé est allé une coche trop loin. « J’avais fait allusion au fait que Marc Drouin sortait avec Luc Plamondon », se souvient-il. Une petite phrase, anodine, placée dans un phylactère au-dessus de la bouche du gars de Pied de poule et de Vis ta vinaigrette : « Une chance que j’ai gagné, sinon mon beau Luc aurait été déçu de moi. » « Ça aurait passé comme dans du beurre si Marc n’avait pas pogné les nerfs, croit Jacques Grisé. Il s’est rendu dans un local de Radio-Canada, où Pierre Huet, le rédacteur en chef de l’époque, travaillait, et lui a pété la gueule. » Présente à ce moment-là, la chroniqueuse télé Louise Cousineau a capté toute la scène. Le lendemain, le coming out de Marc Drouin faisait la une du cahier Arts et spectacles de La Presse. Maintenant, tout le monde sait que Marc Drouin est gai. Couverture du spécial Gai No. 94, mai, 1987.
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MUSIQUE
DANS MON CORPS DE TROIS ACCORDS Les Trois Accords, c’est un drôle de groupe drôle. Un peu comme une coupe Longueuil : sérieux en avant, party en arrière. texte : françois lemay // photos : martin girard (shootstudio.ca) // assistants : audrée desnoyers, kevin murphy et émilie routhier cet article est présenté par :
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I’M COMING OUT Le premier exercice qu’on nous a demandé de faire était relativement simple : il s’agissait de monter les bras vers le ciel, en riant de plus en plus au fur et à mesure. Et vice-versa en redescendant. On avait l’air d’une belle gang de tire-bouchons. On a ensuite enchaîné avec une variante. Alors qu’on était stationnés en cercle depuis le début, on allait maintenant se déplacer aléatoirement dans le local, toujours en faisant les tirebouchons. Quand un face-à-face survenait, il fallait évidemment se regarder dans les yeux et profiter de cet instant magique pour créer une belle chimie du rire. Avec les madames du groupe, c’était cool et à la limite semi-drôle, parce que via notre regard se transmettait un message du type : « Oui, je sais, je suis complètement ridicule en ce moment ».
« OK, on va reposer nos rires un peu... On va en profiter pour danser ! » annonce l’animateur avec un sourire radieux. Et sans que j’aie même le temps de réagir, les premières notes de Mo Money Mo Problems de Notorious B.I.G. surgissent des haut-parleurs. Incrédule, mais enchanté, je fais comme tout le monde et je me mets à remuer le bassin et à claquer des doigts. Ça m’a pris environ quinze secondes avant de réaliser que Biggie ne commencerait jamais à rapper, parce que ce n’était pas sa chanson que j’entendais, mais bien la pièce originale de laquelle avait été extraite son échantillonnage principal. J’étais en train de danser sur I’m Coming Out de Diana Ross, hymne gai et lesbien par excellence. Ça devenait de plus en plus surréaliste.
« Il s’agissait de monter les bras vers le ciel, en riant de plus en plus au fur et à mesure. Et vice-versa en redescendant. On avait l’air d’une belle gang de tire-bouchons. »
Avec les deux gars trop motivés que j’ai mentionnés plus tôt, c’était autre chose. C’était ÉPEURANT. Ils étaient beaucoup trop intenses ! J’avais l’impression qu’ils profitaient de l’occasion pour envahir ma psyché et ainsi voler les confidences agraires de mon jardin secret. Pour me réconforter après un assaut visuel de la sorte, je me réfugiais dans le regard douillet d’une dame âgée. J’aurais pu aller vers la fille qui avait presque mon âge, mais je me disais qu’elle percevrait potentiellement cela comme une tentative de développement de relation interpersonnelle.
JE NE SAIS TOUJOURS PAS QUOI EN PENSER...
J’ai décidé de jouer le jeu et de me donner à fond. Après tout, en abandonnant progressivement mes inhibitions, je réussirais peutêtre à atteindre un état extatique de transe hilare... J’ai tourné autour des madames. Les monsieurs m’ont tourné autour. J’aurais voulu tourner autour de la fille qui avait quasiment mon âge. Et la chanson s’éternisait... Alors qu’on s’entend tous pour dire qu’un morceau de musique dure normalement environ trois minutes, j’avais l’impression d’écouter un « extended remix » qui durait plus de dix minutes. Pas facile de cacher mon inconfort. Pour m’aider, je m’imaginais que l’éclairage était plus tamisé et que tout le monde était ivre (y compris moi), parce que d’habitude, quand je danse, c’est ça le contexte.
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COMING UP Retour à la réalité. L’atelier de rigolade se poursuit avec l’exercice de la « pompe à rire ». Fléchissez les genoux. Imaginez que vous tenez des rames. Commencez à ramer doucement, riez tranquillement, ricanez. Accélérez le tempo, riez de bon coeur. Atteignez une vitesse de croisière olympique, soyez crampés ben raide. Décélérez, revenez à vous, séchez vos larmes. Puis recommencez deux ou trois fois. C’est ça la pompe à rire. L’autre variante, c’est l’« élastique ». Imaginez que vous tenez un élastique entre vos doigts : plus vous l’étirez, plus vous trouvez ça drôle. Et vice-versa, et ainsi de suite. On dira ce qu’on voudra, mais c’est quand même épuisant, en particulier pour les cordes vocales. Les bienfaits du rire étaient-ils en train de m’atteindre ? On a repris notre formation circulaire initiale pour un nouveau jeu. Un participant allait au centre du cercle en émettant le rire le plus débile qu’il pouvait et retournait ensuite à sa place. Puis, tous les autres l’imitaient en même temps, en se dirigeant aussi au milieu, histoire de se frotter un peu les uns sur les autres. À tour de rôle, nous y sommes tous passés. J’ai été impressionné par la créativité de mes comparses. Des rires machiavéliques étaient suivis par des rires de déficients mentaux auxquels s’enchaînaient de puissantes salves de rires d’évadés de l’asile. Certains se servaient même de leurs cheveux ou de leurs manches de chandail comme accessoire. Bravo. Les barrières de la gêne s’estompaient peu à peu. Tous sentaient à présent qu’ils étaient complices sous le signe de l’hilarité.
Après ces trois exercices particulièrement exigeants, notre gourou du bonheur audible proclama une seconde séance de danse, cette fois-ci sur Coming Up de Paul McCartney. Évidemment, il avait gardé le meilleur exercice pour la fin. Notre chef a demandé à tout le monde de s’aligner en face du miroir et de rire en regardant son propre reflet. Là, j’ai définitivement décroché. C’était beaucoup trop bizarre. Après deux bonnes minutes d’un épique duel de rigolade contre moi-même, j’ai été soulagé d’apprendre qu’on allait faire une séance de relaxation. J’espérais juste qu’il nous passerait la bonne vieille cassette de relaxation de l’école primaire, tsé, avec « vos paupières sont lourdes... ». Mais non, on a plutôt eu droit à un solo de steel guitar contemplative. Zéro relaxant comme musique. Quand tout le monde fut sorti gentiment de sa brève hibernation, on a fait le bilan de notre atelier. Chacun était satisfait de son expérience et pleinement ragaillardi par l’heure fébrile en émotions que nous venions de vivre. Quand on m’a demandé comment je me sentais, j’ai répondu que je m’étais bien défoulé et que ça m’avait fait du bien de rire autant.
Sauf que la vérité, c’est que je m’étais bien défoulé, soit, mais le fait de rire autant sans raison prvécise avait semé en moi une forêt de doute presque aussi exhaustive que la liste des bienfaits du rire : Ris-je assez dans ma vie de tous les jours ? Devrais-je compenser par du rire artificiel ? Le rire artificiel est-il nocif comme d’autres substances artificielles peuvent l’être ? Eux, pourquoi sont-ils là ? Pour le rire ? Pour l’exercice physique ? Pour les rencontres ? Toutes ces réponses ? Où s’en va le monde si, pour rire, les gens ont besoin de se faire guider ? Devant un tel constat, les ateliers de rire ne font-ils pas partie de la solution plutôt que du problème ? Est-ce que c’est triste ou, au contraire, remarquable ?
« Des rires machiavéliques étaient suivis par des rires de déficients mentaux auxquels s’enchaînaient de puissantes salves de rires d’évadés de l’asile. » En fait, je ne pense pas qu’il y ait de bonnes réponses à ces questions (si, a priori, ces questions sont justifiées). Je pense que chacun est libre d’aller y combler un besoin, même si tous n’y vont probablement pas pour les mêmes raisons. Car, après tout, je n’y ai rencontré que des personnes qui me semblaient inoffensives et bien intentionnées. Mais ça restait trop ésotérique pour moi. Je ne sais pas si je dis ça parce que je suis un puriste, mais pour rire, j’ai encore besoin d’avoir une raison comique. À la fin du cours, je n’ai pas inscrit mon courriel sur la liste pour la newsletter. Je suis parti.
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CATHY GAUTHIER
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SYLVAIN LAROCQUE
MARTIN MATTE
JEAN-THOMAS JOBIN
CHICK’ N SWELL
POUR VOIR LES COULISSES DE LA SÉANCE PHOTO ALLEZ SUR URBANIA.CA
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REPORTAGE
Une fois c’t’un humoriste en
BURNOUT La job d’un comique est de nous sauver du quotidien gris avec son arsenal de blagues colorées. Mais, ironiquement, la joke se termine souvent en burnout pour celui qui la raconte. Et si la business de l’humour n’avait rien de drôle ? texte : philippe meilleur // illustrations : sébastien thibault (sebastienthibault.com)
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els des gladiateurs de cirque, les humoristes québécois les plus populaires finissent presque tous par flancher devant les clameurs de la foule. C’est arrivé à Yvon Deschamps, qui a pris huit ans de repos en 1984 après avoir tenu un rythme épouvantable de 200 shows par année. Même chose pour l’homme aux mille et une grimaces, Michel Courtemanche, disparu de la map pendant une éternité au siècle dernier. Louis-José Houde a récemment repoussé d’un an le rodage de son troisième spectacle parce que — je cite son blogue — « la fatigue post-Suivre la parade s’étire ». Et pas plus tard qu’en novembre 2009, Martin Matte a annulé des spectacles après avoir eu un blackout sur la scène du Grand théâtre de Québec. Un médecin a diagnostiqué un surmenage, alors qu’il venait de recevoir un billet quatre fois platine pour son show et enchaînait les représentations et les apparitions publiques à un rythme habituellement réservé aux participants fraîchement évincés d’une téléréalité de TVA. Pourtant, on regarde leur job et on se dit que ça ne peut pas être aussi épuisant qu’ils le prétendent. Conter des jokes, faire des chroniques d’humeur à la radio, tourner des clips pour son compte YouTube — le quotidien d’un humoriste ressemble plus à celui d’un cégépien en sciences humaines qu’à un professionnel à qui l’on demande des sacrifices douloureux. Leurs shows durent deux heures, ils en font trois par semaine; même pas une journée de travail complète ! Leur paresse est tellement évidente que même le blogue La Clique du Plateau en a parlé, après le passage de Martin Matte à Tout le monde en parle : « Tiens, le seul humoriste au Québec qui a souffert d’épuisement professionnel parce qu’il avait fait, pour la première fois de sa vie, 40 heures semaine… » C’est vrai, à la fin. Si nous sommes tous capables de faire nos cinq jours/semaine sans claquer, pourquoi ce serait différent pour eux ? Mais ce raisonnement né du proverbial gros bon sens serait, selon les comiques, aussi malhabile qu’un clown qui essaie d’éviter la tarte à la crème lancée par son sidekick.
DANS LE COFFRE AUX TRÉSORS Sans être une réalité épouvantable et cruelle, la vie d’humoriste n’est pas exactement aisée au Québec. La concurrence est féroce et l’argent, rare. Prenez un jeune de la relève qui se fait les dents dans le circuit des bars de Montréal et des alentours. Pour un numéro présenté devant une centaine de spectateurs, il peut gagner entre rien du tout et un maigre 75 $. « Ça m’est même déjà arrivé de perdre de l’argent à la fin de la soirée, dit Étienne Dano, qui a participé à la fondation des fameux Mardis de l’humour au pub St-Ciboire. Quand tu commences dans le milieu, t’en manges, du beurre de peanuts... » Celui qui désire devenir le prochain Olivier Guimond et vivre un jour de ses grimaces est donc obligé d’accepter n’importe quel contrat. Il doit s’habituer à toujours dire oui, oui, oui, sans penser aux vacances. S’il est talentueux, le jeune deviendra connu, et les propositions n’en seront que de plus en plus intéressantes et payantes — les mégastars demandent jusqu’à 15 000 $ l’heure pour un spectacle privé. Des offres, donc, de plus en plus difficiles à refuser. Une fois en haut de l’échelle, une fois le Théâtre St-Denis ou le Centre Bell rempli, l’humoriste est conditionné à enchaîner les contrats et les engagements. Il accorde des entrevues à la cadence de Denis Coderre, multiplie les apparitions dans les talk-shows estivaux de Radio-Canada, les contrats corporatifs pour la division nord-est de Re/Max Québec. « L’humoriste est conscient que son peak ne durera pas nécessairement dix ans, m’explique Benoît Pelletier, professeur à l’École nationale de l’humour. Quand il surfe sur une grosse vague de fond et que ça va bien, il ouvre la machine pour en profiter au maximum. » Ainsi, il plonge la main dans le coffre aux trésors avant qu’il ne se referme pour de bon, encore et encore, et finit par accumuler tellement de travail qu’il s’effondre. Parfois au beau milieu d’un spectacle à St-Jean-surRichelieu, mais plus souvent roulé en petite boule désespérée sous ses couvertures.
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Chaque mois, les Gitans de l’Humour présentent des soirées d’humour gore à la Ninkasi du Faubourg à Québec. L’humour gore, c’est comme Mike Ward, mais sur les stéroïdes : de l’humour vulgaire, déplacé, sans limites, sans tabous, qui ne passerait jamais en salles ou au Festival Juste pour rire. Des jokes de bébés morts, de petite Cédrika ou de Jean-François Harrisson, en veux-tu, en v’là. Urbania a envoyé Marie-Elaine Guay en observation dans une de ces soirées. texte : marie-élaine guay photos : raphaël ouellet (raphaelouellet.com)
orsqu’on m’a proposé d’aller voir un spectacle d’humour gore quasi clandestin à Québec, j’ai immédiatement dit oui. Premièrement parce que j’adore Québec, et deuxièmement parce que je suis quelqu’un de curieux. La première affirmation est fausse.
Je suis embarquée dans un char direction la Grande Ville, en compagnie de Gab Roy, l’animateur de la soirée. Gab Roy est un humoriste émergent qui avait grandement besoin de s’éloigner de l’humour « facile » dont on nous abreuve trop souvent. Le vidéo Pics de chicks dans l’miroir, qui a été visionné plus d’un demi-million de fois sur YouTube et où on voit des photos prises en angle de filles affreuses style MySpace, c’est lui, ça. Dans la voiture avec nous, il y avait aussi Vandal Vyxen, une belle pornstar au look punk, qui éjacule sur demande. C’est un peu mongol. J’apprendrai plus tard que Gab Roy l’amène parfois dans ses spectacles d’humour, question de bien finir la soirée. On ne se le cachera pas, une fille qui squirte, ça attire son lot de curieux et ça remplit une salle. Gab Roy, en plus d’être très drôle (autant en voiture que sur une scène), n’est pas dupe. Il sait qu’il y a des badauds présents que pour voir « la fille qui squirte », et ça lui va. « L’important, c’est que le monde découvre notre humour et que ça soit rempli à craquer. » En route vers Québec, je me mords le poing : je sais que je devrais parler d’humour, mais j’ai juste envie de parler à la pornstar de sa vie sexuelle. Je tourne autour du pot. Je vous explique brièvement ma relation avec les spectacles d’humour et pourquoi jaser avec la pornstar m’intéresse nettement plus que le reste.
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