40 célibataires
HIVER 2014 | NUMÉR0 40 | CÉLIBATAIRES | CONÇU HORS MARIAGE
9,95 $ 10 ¤
C’est le nombre de fois que doit te toucher un gars lors d’une première rencontre si tu l’intéresses, selon le Body Language Institute. 5 fois en 15 ans : c’est le nombre de fois qu’il te touchera si tu le maries.
Année d’entrée en vigueur, à Shanghai, d’une loi interdisant à tout célibataire non natif de l’endroit d’acheter un appartement en ville, loi imposée afin d’enrayer la hausse des prix immobiliers dans la métropole la plus peuplée de Chine. On en connaît qui se sont mariés pour moins que ça…
2
des célibataires du Québec vivent à Montréal, soit 4 Montréalais sur 10. C’est presque 10 points de plus que la moyenne des autres grandes villes canadiennes. Hypothèse : les filles sont trop belles, les gars virent fous, les couples ne durent pas.
50 %
5 FOIS EN 15 MINUTES
2%
Nombre de kilos qu’on prend en moyenne lorsqu’on se fait passer la bague au doigt, selon une étude réalisée sur 8 000 Américains. Sacrés Américains ! Faut toujours que leurs bagues soient plus grosses que celles des voisins !
Taille de Glen Foster, le bachelor qui a participé à une version naine de la célèbre téléréalité diffusée sur ABC en 2004, The Littlest Groom. C’est 1 pouce de plus que Paul Cagelet. Mais 2 pieds de moins que George Parros.
des célibataires le sont par choix, selon une étude. Les autres le sont parce qu’ils sont FUCKING laids !
Durée de l’union la plus longue parmi tous les couples gagnants des 17 saisons de la téléréalité The Bachelor, aux États-Unis. Selon Wikipédia, seul le couple de 2012 d’Occupation double tient encore le coup, mais ça a probablement changé au moment de mettre sous presse.
Nombre de fois plus chère qu’est la vie de célibataire, en moyenne, par rapport à celle des gens en couple. C’est plein de positif, l’accouplement.
des sugar babies – étudiantes américaines qui ont trouvé un sugar daddy – terminent leur parcours universitaire sans dette aucune. Et grâce à ça, elles auront toujours assez de Sugar Crisp…
3 5 ans
Nombre de muscles du visage sollicités quand on frenche. Plus le couple dure longtemps, plus ce nombre diminue, puis remonte quand les gens doivent enlever leur dentier pour frencher...
célibataires millionnaires résident à Toronto et « recherchent activement une partenaire », selon le site SeekingMillionaire.com. C’est la ville où on en trouve le plus au pays. Vous vous attendiez à un gag de Rob Ford ? Même pas !
Nombre de jeunes Françaises célibataires arrivées au Québec à partir de 1663 pour faire des galipettes avec les colons afin de peupler la NouvelleFrance. Pis NON, c’étaient pas des prostituées.
2 327
Âge de la plus vieille célibataire à avoir accouché, l’Espagnole Maria del Carmen Bousada de Lara. 55 ans, c’est l’âge qu’elle a prétendu avoir pour se faire inséminer aux États-Unis. 2, c’est le nombre d’enfants qu’elle a eus et laissés orphelins 2 ans et demi plus tard à cause d’un cancer.
personnes ont participé au plus gros speed dating (tenu en un seul lieu) de l’histoire le 25 juillet dernier, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Fiou, c’est un nombre pair !
Période de sevrage au cours de laquelle il faut éviter tout contact avec son ex. L’amour provoque dans notre cerveau une dépendance semblable à une drogue, selon une étude de l’Université de Stony Brook. Un conseil : évitez d’inhaler.
ut e où f A nné e pour é t s e t t a mière la pre mot fois le taire » a « célib n u dans naire. n dictio ça, t Avan ok ne o Faceb ait tout s propo ment pas simple ption. o c e t te
25 ans
Âge auquel les femmes étaient considérées comme vieilles filles jadis si elles n’étaient toujours pas mariées. 25 : Nombre de chats nécessaire pour que la vieille fille en question devienne la « vieille folle aux chats. »
80
% Taux de femmes canadiennes centenaires qui sont célibataires. Pas veuves, là : célibataires. On connaît peut-être quelques Chinois que ça intéresserait. du budget bouffe des hommes célibataires est consacré au resto. En général, ceux-ci dépensent plus pour leur voiture que pour leur nourriture (à moins qu’ils ne mangent de l’essence et des pneus d’hiver).
C’est le surplus d’hommes de moins de 19 ans que comptera la Chine en 2020 et qui seront incapables de se trouver une blonde. C’est ça qui arrive quand on impose une politique de l’enfant unique et que les gars sont préférés aux filles. Facile à régler : que ceux qui réussissent à se matcher fassent des filles au plus vite !
plein d’essence ou 1 chirurgie plastique. C’est entre autres ce qu’on peut obtenir en échange d’un rendez-vous fixé grâce à Carrot Dating, une application qui fonctionne selon le principe du pot-de-vin. Non, elle n’a pas été conçue à Laval.
Nombre d’années de moins à l’espérance de vie des hommes célibataires (c. hommes mariés), selon une étude réalisée sur 20 000 hommes durant 20 ans. Mais comme les hommes mariés passent genre 3 ans de leur vie à attendre après leur épouse, aussi bien être mort...
1/4
MILLIONS
LE CÉLIBAT en chiffres R E C H E R C H E E M I L I E N A U LT-S I M A R D
11
57, 1 %
Peine d’emprisonnement dont les mères célibataires marocaines sont passibles, selon l’article 490 du Code pénal qui considère ces femmes comme des prostituées. L’article 490 devrait délousser sa cravate, s’en verser une p’tite frette et se calmer le gros nerf un ti-peu...
SEMAINES
des habitants de SainteAnne-des-Plaines sont célibataires, ce qui en fait l’eldorado canadien pour les dames seules (mais tsé, c’est à cause du millier de détenus des trois établissements carcéraux de la ville, faque faut aimer les tatouages).
1711
Nombre estimé de célibataires avoués dans le monde. Ce nombre décuple quand on ajoute les gens pour qui « c’est compliqué ».
fois sur 10, on trouve des traces de matières fécales sur les tables basses dans les appartements des gars célibataires. Ça proviendrait des semelles de chaussures. Conclusion : les hommes mariés ne marchent pas dans la merde.
100
M I LLIO NS
à CÉLIBATAIRES Phnom Penh
DU LUBRIFIA NT SUR LE VISA Phnom Penh, Cambodge, 22 h. Accoudé au comptoir du Bar 69, je ne peux pas m’empêcher de loucher sur les phalanges de mon voisin : est-il célibataire ? Pour ma part, j’ai retiré la bague – un héritage – qui me fait passer pour un homme marié. J’espère ainsi pénétrer davantage dans la nuit moite de ceux qu’on surnomme sexpats, des célibataires blancs et occidentaux pour la plupart, qui s’installent en Asie du Sud-Est à temps plein ou partiel pour sa prostitution friendly et bon marché. TEXTE ARNAUD BOUQUET
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PHOTOS SIMON TOFFANELLO | MONSOONPICTURES-ASIA.COM, CAMBODGE
I N F I LT R AT I O N
« YOU HANDSOME. ME LOVE YOU SO MUCH. ME BOOMBOOM YOU A LOT. »
U
ne main fine aux ongles vernis de motifs floraux vient subitement me tirer de mes réflexions, malaxant mes testicules à travers mes pantalons. C’est que je me trouve dans ce que les pragmatiques, les vulgaires et les nostalgiques appellent encore un bar à putes. Mais au Cambodge, où les gens sont polis et réservés, on parle plutôt de bar à filles. Quant aux filles qui y travaillent, on les affuble de sobriquets divers, girlfriend étant le plus répandu.
LES GIRLY BARS DES RUES 104 ET 136
Je suis assis dans un girly bar de la rue 136. Avec la rue 104 parallèle et éloignée de six blocs, cette petite artère réunit une grande quantité de ces estaminets exigus et bâtis autour de longs comptoirs. Ils baignent tous dans une atmosphère sombre qu’électrisent les néons aux couleurs des bières locales. Des centaines de filles y accueillent les clients, des étrangers et des touristes principalement. La plupart de ceux-ci logent dans les nombreux guesthouses avoisinants, faisant de ce quartier central qui longe les eaux brunes du Tonlé Sap – un confluent du Mékong – un lieu nocturne vibrant où l’on ne compte plus les restaurants bon marché, les salons de massage, les rooftops et les salles de pool 24 h. Et pourtant, il y a tout juste 12 ans de cela, il n’y avait ici que routes cahoteuses et infrastructures chaotiques, car le pays sortait avec peine d’un monstrueux conflit. La paix revenue, ce sont des armées de visiteurs qui purent alors prendre la place, un Lonely Planet à la main. Avec, en queue de bataillon, ceux qui préfèrent visiter les jeunes filles plutôt que les temples d’Angkor : les touristes sexuels. Au fait, la jeune fille qui me tripote s’appelle Athéa. Et afin de m’irriguer le cerveau, j’ai éloigné sa main de mon érection molle de gêne. Elle rit et j’esquive en acceptant de lui payer un verre : vodka-soda-lime. Dans son anglais qui me rend satisfait du mien, elle inaugure notre relation : « You handsome. Me love you so much. Me boom-boom you a lot. » En onze mots et deux onomatopées, Athéa vient de me faire comprendre pourquoi des gars qui ne scorent jamais chez eux traversent la moitié du monde avec toutes leurs économies en poche : c’est facile et on se sent désiré.
Ma nouvelle conquête nous commande deux verres sur lesquels elle touche une commission de 1,50 $, somme dérisoire qui équivaut au revenu quotidien d’un Cambodgien sur trois. J’en profite pour entamer une conversation avec mon voisin de comptoir. Jason est un beau poupon d’à peine 30 ans qui doit peser trois fois le poids de la fille assise sur ses genoux. Imberbe, il est plutôt mignon avec ses joues trop rondes sous sa casquette des Oilers, mais l’embonpoint n’est pas un atout dans les beach partys en Alberta. « Ici, les filles sont gentilles avec moi. Je suis timide, mais ça ne les gêne pas. On a du fun. » Il revient au Cambodge chaque année depuis quatre ans pour travailler comme volontaire dans une ONG en région. Et dès qu’il est dans la capitale, il aime se divertir dans les girly bars. « La première fois, ça arrive sans que tu t’en rendes compte. La fille est jolie et sympathique. Tu passes une bonne soirée avec elle. Avec l’alcool et le désir, tu finis par la ramener dans ta chambre d’hôtel. Et le matin, tu te retrouves à devoir lui payer quelque chose. C’est pas plus compliqué. Et du coup, tu y retournes. » Un jeu de séduction artificiel auquel il est donc aisé de succomber pour le backpacker qui traverse l’Asie seul et avec un budget. Après avoir mangé du riz frit pour 3 $ et bu trois bières pour le même prix, il peut ramener une fille dans sa chambre à 10 $ et coucher avec elle pour 25 $. Sans avoir eu à franchir la porte d’un bordel ou à dealer avec un pimp. Et avec, en prime, le vague sentiment d’avoir vécu une romance. Pour une heure, pour une nuit, parfois pour toujours.
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« Bonjour NouvelleMtl, vous avez un message de MisterSpring dans votre boîte de messagerie. » Je me précipite sur le profil que je me suis créé : MisterSpring a 34 ans, habite dans la région de Montréal, c’est un Gémeaux aux yeux verts qui aime voyager, aller au cinéma, faire des sports de plein air… et qui vit avec l’herpès génital de type 2. C’est écrit noir sur blanc, pas moyen de le manquer. Sur ITS Rencontres, on peut mentir sur son poids, son âge ou ses intérêts, mais pas sur ce qu’on traîne dans ses bobettes. ITS Rencontres est le seul site de rencontres québécois à être destiné aux personnes vivant avec une infection transmise sexuellement qui ne se guérit pas, comme l’herpès génital, le virus du papillome humain, les hépatites B et C, certaines gonorrhées ou le VIH. « C’est comme Réseau-Contact, m’explique Guy Leduc, qui a fondé le site en 2010. Vous remplissez une fiche, avec des détails sur vous, vos intérêts… et l’ITS avec laquelle vous vivez. » Pas mal plus intime que Réseau-Contact, par contre. À ce jour, 2500 personnes sont membres, « et on continue de grossir » spécifie Guy. « Mais le bouche à oreille est plus difficile que pour les sites de rencontres classiques. Disons qu’il y a encore beaucoup de tabous. » En effet, il y en a : même en remplissant une fiche complètement fictive pour le site, je bute devant la case « Avec quelle ITS vivez-vous ? ». En cochant « Herpès génital de type 2 », j’ai l’impression de l’avoir soudainement attrapé et de l’annoncer en caps sur Facebook. C’est mon chum qui va être content.
UN MÂT DANS LA TEMPÊTE
« On ne se met pas de pancarte dans le cou pour dire qu’on a l’herpès. L’impact psychologique de l’annonce d’un diagnostic d’ITS incurable est sous-estimé », ajoute Guy. Il en sait quelque chose. Il a eu son diagnostic d’herpès en 2008 et en a été dévasté. « J’étais démoli, je pleurais. On dramatise beaucoup quand on découvre qu’on a l’herpès. Ça vous touche dans votre intimité. On a l’impression qu’on n’aura plus jamais de vie amoureuse ou sexuelle. On se sent comme un déchet, un rejet. Et c’est tellement tabou, personne n’en parle. » Guy me raconte ça d’une voix douce et posée, toujours avec un sourire aux lèvres. La miquarantaine, chevelure fournie, lunettes classiques, grand et élancé, il a le visage ouvert et le regard généreux. C’est un technicien en télécommunication pour Vidéotron et si j’en avais une, je le présenterais à ma sœur.
Guy Leduc a eu sa primo-infection en 2008. Dans le langage codé de l’herpès, la « primo », c’est la toute première fois où une crise se déclenche, et c’est souvent l’une des crises les plus violentes. C’est pas chic, l’herpès : lésions, douleurs et choc. C’est sa copine de l’époque qui lui transmet le virus. La relation ne survit pas : « Elle s’est refermée sur elle-même, elle ne voulait pas en parler. Moi, j’ai tout de suite voulu aller chercher de l’aide. C’est là que j’ai découvert le groupe de soutien. »
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SUR ITS RENCONTRES, ON PEUT MENTIR SUR SON POIDS, SON ÂGE OU SES INTÉRÊTS, MAIS PAS SUR CE QU’ON TRAÎNE DANS SES BOBETTES. En plus de fonder le site ITS Rencontres, Guy anime maintenant un groupe de soutien aux gens qui vivent avec l’herpès. Il me reçoit d’ailleurs dans le petit local communautaire de Rosemont que le groupe emprunte pour ses rencontres. Les néons grésillent et les murs d’un bleu délavé sont couverts de bricolages en papier mâché des locataires habituels de l’endroit, un groupe de réinsertion sociale. On est à mi-chemin entre le sous-sol d’église et la classe de primaire. Il n’y a que l’essentiel : une table recouverte d’une nappe en plastique rouge, quelques chaises autour. C’est tout ce dont les participants ont besoin, en plus d’une oreille, de beaucoup d’empathie et de quelques conseils. Le premier vendredi de chaque mois, des gens passent la porte pour raconter leur histoire, confier leur détresse, obtenir de l’information : de la jeune fille dans la vingtaine au monsieur émacié dans la cinquantaine avancée, tout le monde s’y côtoie. C’est l’un des seuls groupes du genre dans la province. « Des gens viennent de Québec, de Saguenay, de Sherbrooke pour y assister. » D’abord présent comme participant, Guy anime le groupe depuis trois ans. « La première fois que je suis venu, j’ai reviré de bord. » Trop embarrassant, trop intime d’aller raconter sa vie devant des inconnus. Puis, il a pris son courage à deux mains, a ravalé sa fierté et s’est assis sur la petite chaise droite. « J’étais juste là, raconte Guy, en pointant une chaise à sa droite, avec une émotion dans la voix. Juste là. Et j’avais tellement honte. J’ai pleuré, j’ai raconté ce qui m’était arrivé. Après cette première séance, j’avais l’impression d’avoir fait 12 rounds de boxe. J’étais épuisé. »
MTS OU ITS ? On s’est demandé si c’était parce que ça faisait trop longtemps qu’on avait suivi nos cours d’éducation sexuelle à l’école que pour nous, l’herpès, le VIH et les autres, c’étaient des MTS, pas des ITS. Depuis quelques années, le terme ITS est plus généralement utilisé puisque le terme infection est plus englobant : une maladie suggère des symptômes, alors qu’une infection peut être asymptomatique. « Pis on n’est pas malade ! » ajoute Guy Leduc.
R E P O R TA G E 41
ttes LE POSTERBOY DE L’HERPÈS
J’écoute Guy et je commence à prendre la mesure du désarroi et de l’angoisse qu’on peut vivre quand on reçoit un diagnostic d’ITS incurable, peu importe laquelle. L’impression que sa vie amoureuse et sexuelle est finie. Qu’on est pestiféré. De toutes les personnes qu’on a rencontrées pour cet article, seul Guy a accepté d’être identifié nommément, avec son âge et sa profession. Il a vécu la honte, la peur, la détresse. Et pourtant, il s’affiche maintenant sans malaise, donne des entrevues à visage découvert. Je lui demande s’il n’en a pas marre, parfois, d’être le posterboy de l’herpès. « J’essaie de défaire les tabous, une personne à la fois ! », répond-il en riant. Puis, sur un ton plus sérieux : « La transparence, pour moi, c’est malheureusement facile. J’ai été victime d’attouchements sexuels plus jeune et le processus d’acceptation a été très difficile. Mais je suis allé chercher des outils, j’ai développé l’instinct pour aller chercher de l’aide. Quand j’ai reçu mon diagnostic, je me suis dit : "J’ai vécu assez longtemps dans une prison, c’est pas vrai que je vais en vivre une deuxième." Il y a quatre ans, jamais je ne me serais imaginé donner des entrevues sur ça, à visage découvert. Mais c’est libérateur, de penser comme ça. C’est pas un virus qui va me définir. Ultimement, ça a changé ma vie pour le mieux : avoir l’herpès, ça force à affronter ses peurs. »
Ça a aussi réveillé le côté entrepreneur de Guy : « Je me suis mis à chercher sur le Web après mon diagnostic, et tout ce que j’ai trouvé, c’étaient des sites de rencontres en anglais, comme Positivesingles.com. » Les quelques sites en français qui existent sont principalement européens. « Un soir, j’étais avec ma mère de 77 ans, et j’ai dit : “Ça prend un site!” » Eh oui, Guy a parti ITS Rencontres avec sa mère et ses deux sœurs, Michèle et Anne. Tsé, un gars à l’aise avec sa situation. « Le site, c’est pas juste pour trouver l’amour : c’est aussi un outil pour développer un réseau, trouver des amis, avoir des discussions », spécifie Guy. Des membres organisent des 5 à 7, des soupers, il y a même des projets de sorties en ski pour cet hiver…
MARCHÉ EN CROISSANCE ITSRencontres.com est le seul site québécois qui s’adresse aux personnes vivant avec une infection transmise sexuellement incurable au Québec. Le site Positivesingles.com, fondé en 2001, est cependant l’un des plus populaires en langue anglaise, avec plus de 770 000 membres du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et d’Europe. Il y a aussi STDMatch.net, H-date.com, exclusivement destiné aux gens vivant avec l’herpès, Positivdate.com en Europe, ou encore Volttage.com, pour les hommes gais séropositifs. Malgré tous les efforts des Réjean Thomas du monde, on peut dire que le marché des sites de rencontres pour personnes vivant avec une ITS est en croissance.
J
’accueille avec joie ma nouvelle mission. J’ai vaguement entendu parler de ce qu’était le speed dating et franchement, ça me pique le curieux. Aller jouer à la chaise musicale avec plein de jeunes lionnes assoiffées de présence masculine, je me dis qu’il y a pire comme plan de soirée. Par contre, considérant que la moitié des personnes présentes seront des hommes, je pense que si fauve il doit y avoir, ce sera de ce côté-ci de l’arène. Les gars connaissent le concept du roi de la jungle depuis l’école primaire grâce au roi de la montagne. Et là, la montagne, c’est le Belmont. Bref, il va y avoir de la concurrence, mais pas grave : je suis excité comme un petit Simba. Ne reste qu’à avertir mon épouse. Ouain. Car voyez-vous, je ne suis pas tellement célibataire, et ce, depuis plus de six ans. Je peux donner en preuve mon bébé de six mois n’importe quand. J’attends quelques jours avant l’événement pour faire mon annonce à ma tendre moitié. Elle me fait confiance, mais elle est tout de même plus ou moins heureuse d’apprendre mon assignation. Pas du tout, en fait. - Qu’est-ce que tu vas faire si t’as le coup de foudre pour une fille, hein ? - Arrête, ça arrivera pas. - Tu peux pas le savoir ! - Je te le dis ! Je suis parfaitement heureux avec toi et j’ai pas l’intention de te remplacer. - Ouain. Madame Guindon est loin d’être convaincue, mais comme c’est écrit sur Le Devoir : « Fais ce que dois ».
PRÊT, PAS PRÊT, J’Y VAIS
La veille du jour SD, je réalise que je ne sais pas grand-chose du déroulement de la soirée. L’endroit et l’heure, OK, ça va, mais est-ce que je dois apporter un stylo pour prendre (ou donner) des notes ? Devrais-je porter une redingote ? Combien de temps durera l’ensemble de l’opération ? Me forcera-t-on à faire la cour à une prime jeunesse de 64 ans ? Je l’avoue piteusement, rien ne me préoccupe plus que... l’habillement. Pour moi, « se mettre sur son 36 » constitue une forme de déguisement, et je DÉTESTE me déguiser. Parlez-moi plutôt du confort d’un t-shirt et d’une paire de jeans ou encore mieux, de l’extase ultime de parader publiquement en joggings-kangourou. Dans le champ des possibles, j’ai mes chemises ordinaires, mon complet pour les jours de mariage ou de funérailles et une rangée de cravates plus ou moins faciles à faire fitter. Dois-je tenter l’odieux mélange t-shirt usé + veston chic ? Ça va faire, le tataouinage. Tout est indiqué dans la section Trucs et Astuces du site des organisateurs des soirées de vitesse-rencontre. Sauf la question du stylo, bien sûr. Pour la durée, on parle de deux heures environ ; parfait, Madame Guindon ne m’attendra pas sur le balcon à faire de la maçonnerie à la lueur d’un fanal. Pour ce qui est de l’âge des courtisanes, on assure les participants que tous seront classés par groupe d’âge. C’est chien pour les cougars et les sugar daddies, mais tant qu’à imposter le monde, aussi bien imposter du monde de son âge...
Quant à la redingote, le site stipule, et je cite : « Vous êtes là pour faire une bonne première impression, vous n’êtes jamais trop bien habillé pour vous démarquer des autres participants(es). Sortez votre tenue chanceuse ! Messieurs pas de casquettes ! » (sic) « Tenue chanceuse » ? Ça, ça me parle ! Je sors de ma garde-robe la chemise que je portais quand j’ai gagné un iPad à l’émission Génial, je la dépose sur mon lit et je vais sous la douche. J’en sors fringant comme un cowboy et motivé comme pas un. Je mets des jeans ( fuck toute), je me cure les oreilles et je pars.
ALLER JOUER À LA CHAISE MUSICALE AVEC PLEIN DE JEUNES LIONNES ASSOIFFÉES DE PRÉSENCE MASCULINE, JE ME DIS QU’IL Y A PIRE COMME PLAN DE SOIRÉE.
Dans le bus en direction du Belmont-sur-le-Boulevard (c’est là que ça se passe), un doute m’envahit. Moi, je ne vais pas là pour arnaquer ni flouer qui que ce soit. Or, je suis sur une job pareil, et si on me demande ce que je fais dans la vie, je ne pourrai pas dire que je travaille pour un magazine dont le thème du prochain numéro est Célibataires et que d’habitude, on m’envoie dans de périlleuses missions d’infiltration desquelles je reviens rarement vivant. Il me faut un alias. Astucieux comme un renard qui trippe sur Pinterest, je m’invente un personnage qui est moi... il y a cinq ans. J’ai les mêmes goûts, les mêmes connaissances, le même vécu, sauf que je fais la même job qu’il y a cinq ans et que j’habite là où j’habitais en 2008. Simple comme bonjour. La soirée débute à 19 h, mais les portes ouvrent à 18 h 30. Il est 18 h 38 quand l’autobus me dépose coin Mont-Royal et Saint-Laurent. Je ne suis pas game d’entrer immédiatement et de potentiellement me faire sauter dessus par une tricheuse qui serait sortie des starting-blocks avant le signal de départ. Je me poste plutôt sur le coin situé en diagonale du Belmont, celui où se trouve le seul restaurant libano-vénézuélien du monde, et j’espionne.
IL Y EN A POUR TOUS LES GOÛTS : DES PETITS, DES MOYENS, DES GROS, DES ASIATIQUES, DES HISPANOPHONES, DES DOUCHEBAGS, DES NERDS ET DES FRANÇAIS. Il ne se passe strictement rien, mais à 18 h 45 se produit un phénomène naturel ahurissant : tout le monde arrive en même temps et fait la file pour passer au vestiaire. Après cinq minutes à analyser des gens qui ne font rien, je traverse la rue et me joins à eux. Il y en a pour tous les goûts : des petits, des moyens, des gros, des Asiatiques, des hispanophones, des douchebags, des nerds et des Français. Certains sont venus en petites gangs ; d’autres, comme moi, ont l’air seuls. Les formalités hivernales remplies, je me présente à un monsieur bien sapé qui confirme mon inscription, me donne un formulaire et me dirige vers la droite en disant : « Tu vas être dans le groupe 2. » J’entre dans la salle et y aperçoit le plus stupéfiant party de saucisses qu’il m’ait été donné de voir dans ma carrière de fêtard. Une cinquantaine de bonshommes s’y côtoient, en remplissant leur fiche avec application. Ça sent un mélange de fébrilité et de testostérone. Ces gars-là sont ici pour scorer, ça ne fait aucun doute. Et malgré le fait que chacun d’entre eux soit un rival potentiel pour tous les autres, l’atmosphère est cordiale. Les gars jasent entre eux, se prennent une bière au bar, ne se pilent pas trop sur les pieds et se font aller le cou au rythme de la musique générique qui joue pas trop fort.
Côté vestimentaire, je ne jure pas trop. Aucune redingote en vue. Tout le monde est à peu près habillé comme pour visiter la bellefamille (qu’il n’a pas) à Noël. Pour passer le temps, j’inspecte la décoration du Belmont (les vieux cabarets de bières de mononcle accrochés aux murs : très réussi, bravo !), jusqu’à ce que mon pire cauchemar se semi-réalise. - Hey Maxime Guindon ! Qu’est-ce tu fais ici ? Comment ça va ? Tu te souviens sûrement pas de moi. J’étais à la radio étudiante en même temps que toi, mais on se parlait pas vraiment. Le gars me semi-reconnaît. Je suis sur le p’tit bord de la panique. - En effet, je me souviens pas de toi. - Stéphane. On était à la radio en même temps. Pis ! Dis-moi donc ce que tu fais dans la vie ! Dois-je lui faire remarquer son erreur dans mon prénom, au risque de perdre ma couverture plus tard dans la soirée ? Ah pis non. - S’cuse-moi Stéphane, je peux-tu t’emprunter ton stylo ? J’ai pas encore rempli ma fiche. - Ah ! Y en a plein à l’entrée, des stylos. Va t’en chercher un. Enfin, on répondait à ma question de stylo. - Cool, merci. Heille désolé, on s’en rejase après. Faut que je remplisse ma fiche... Sauvé par un stylo. Incroyable. Sur la fiche, je dois inscrire mon prénom, la première lettre de mon nom de famille, mon numéro de téléphone et mon courriel. Ensuite, je dois indiquer si j’accepte que ces coordonnées soient remises à une éventuelle prétendante avec laquelle j’aurais un « match parfait » (on va y revenir). Et finalement, sous ces lignes, on trouve une vingtaine de cases au bout desquelles on trouve les symboles O, ?, et N. Devinez-vous ce que ces symboles veulent dire, les amis ? C’est cela : Oui, Je l’sais pas, Non. Pendant que je suis en train de me demander à quoi sert l’option « Je l’sais pas », les choses s’activent. L’homme distingué, définitivement le mieux habillé dans la place, s’est métamorphosé en maître de cérémonie et commence à faire l’appel des groupes. Ça va vite : les gens sont relativement dociles et peu enclins à faire des crisses de jokes plates qui ralentiraient le processus. On est en train de se faire corder par groupe d’âge et quand arrive enfin mon tour, celui du groupe 2, on nous emmène dans la salle principale du Belmont. Les filles sont déjà là, chacune gentiment assise à une table à moitié vide. La moitié vide sera pour nous, les garçons ; je me sens comme à mi-chemin entre le clip de I’m Too Sexy de Right Said Fred et la fois où tu as su la note sur 10 que les filles de ta classe t’avaient donnée. Ça fait un drôle de mélange entre « Je suis le maître du monde » et « Elles sont en train de me juger MAINTENANT ». J’aimerais pouvoir dire si la musique générique joue encore ou pas, mais franchement, je le sais pas, je suis en train d’être mal à l’aise.
GUINDON
À VOS MARQUES, PRÊTS, PARTEZ !
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C’est là qu’il enlève sa chemise et ses pantalons, furtivement, comme si de rien n’était. Comme si de rien n’était, mais sa stomie me saute quand même au visage. Ouain. Sincèrement, c’est vrai que ce n’est pas dramatique. C’est beige, c’est opaque, c’est plus petit qu’un iPad (mais plus gros qu’un iPad mini), et c’est collé à son abdomen. Et comme il a vraiment l’air de ne pas s’en faire avec ça, je décide de regarder au plafond le temps que ça passe. J’aime mieux ne pas y penser, à ce corps étranger qui frotte frénétiquement ma cuisse.
MÈRE TERESA
Après de longues et nombreuses minutes à « tenter » de faire ce que nous avons à faire, Mathieu me regarde, gêné de la situation qui traîne, et m’annonce en marmonnant qu’il faut l’excuser, que c’est la première fois… qu’il a une relation sexuelle depuis qu’il a sa stomie. Wow. Là, ça ne va pas du tout. Mon pity fuck atteint vraiment un autre niveau. Je deviens soudainement la mère Teresa du sexe, celle qui, Mathieu l’espérait, confirmerait qu’il peut avoir une vie normale, malgré tout. « Esti, fuck, esti », que je me dis. On a beau essayer, ça ne fonctionne pas. Faque aux petites heures du matin, je lui annonce que « je vais aller prendre une douche maintenant… », les yeux gros comme des balles de ping-pong, comme si c’était plus facile de lui faire entendre ma pensée de « crisse ton camp pendant que je me lave de cette souillure qui me répugne ». Dans la douche, j’ai un peu envie de brailler. Je me trouve supra conne. « Va te faire soigner, épaisse. » Pis là, en rentrant dans ma chambre, au lieu de le retrouver en train de se rhabiller, je le découvre confortablement emmitouflé sous les couvertures. « J’espère que ça te dérange pas, j’ai tenu pour acquis que je pouvais dormir ici. » Je ris. Jaune. Crisse. Même si je ne comprends pas pourquoi j’agis comme ça (ça reste, encore aujourd’hui, un mystère), je me couche, son bras sous mon cou, tout son corps collé au mien, stomie incluse, à deux millimètres de tomber en bas du lit. « Hum, on est bien ! » Esti, « NON ON N’EST PAS BIEN !!! » que je crie dans ma tête.
BON MATIN !
Quand mon cadran sonne à 7 heures, le matin suivant, ça fait longtemps en maudit que je l’attends, la sonnerie. Alors que je m’apprête, enfin, à aborder la situation comme une grande, Mathieu, lui, se sent en pleine forme. Une bonne nuit de sommeil collés-collés a rechargé ses batteries et calmé son anxiété. Deuxième round de sexe. Millième fois que je me traite de conne. « Let’s get it over with », je vais accomplir ma mission divine jusqu’au bout. Je suis niaiseusement partagée entre l’amour-propre et la pitié. Même lourd malaise que la veille. Sauf qu’à remonter sur la jument aussi vite, avec autant de vigueur, la selle (pour ne pas faire un très mauvais jeu de mots) ne tient pas le coup. Juste pour être claire, cœurs sensibles s’abstenir, la stomie a percé. Ça, ça veut dire que toute la nourriture de la veille s’est retrouvée, à moitié digérée, sur mon lit. Et sur moi.
ÇA VEUT DIRE QUE TOUTE LA NOURRITURE DE LA VEILLE S’EST RETROUVÉE, À MOITIÉ DIGÉRÉE, SUR MON LIT. ET SUR MOI.
sur moi
« ESTI, FUCK, ESTI, FUCK, ESTI !!! », que je crie dans ma tête au même moment où je lui dis, avec ma voix douce : « Ben… j’imagine que c’est des choses qui arrivent. C’est pas dramatique. Mais je vais aller prendre une deuxième douche, maintenant. » Et je suis là, dans la douche, à me frotter la cuisse au gant de crin jusqu’à m’en brûler au premier degré, à rire nerveusement de l’absurdité de la situation, à me dire « Ben voyons donc ! Ça s’peut pas ! », à avoir mal au ventre. Je sors. « Ouain, c’est gênant », qu’il me dit, pis moi « non, non », pis lui qui met les draps dans la laveuse, pis moi qui enlève tout le reste de la literie « juste au cas », pis lui qui se rhabille dans un état de détresse extrême, pis moi qui ne peux pas le regarder, pis lui qui s’assoit, qui demande un verre d’eau, pis moi qui souhaite donc ben qu’il s’en aille là là, pis lui qui me donne un bec – OH MY GOD – avant de partir, pis moi qui barre la porte quand il part, pis moi qui m’assois par terre, juste parce que j’ai des sueurs et des nausées pis que le plancher froid me fait du bien.
CONFESSION 65
ÉPILOGUE
Mathieu m’a réécrit le soir même, me lançant une blague nerveuse du genre « tu devais pas t’attendre à ça, han ? ». Il m’a aussi réécrit quelques jours plus tard, m’invitant de nouveau à souper. J’ai dit non, que je ne pensais pas que c’était une bonne idée. Cette histoire-là, ça ne m’a pas juste donné l’impression d’avoir un spot humide sur la cuisse pendant deux jours. C’est pas juste la meilleure / pire histoire de date que mes amis aient entendue, un moyen de shiner quand je la raconte, avec mes mimiques pis mes sacres à n’en plus finir, juste pour entendre rire tout le monde, pour faire mon intéressante. C’est surtout l’histoire la plus triste que j’aie vécue.
C’est l’histoire d’un garçon brillant, beau et drôle, dont la vie bascule quand on lui annonce que son corps ne peut plus prendre en charge lui-même une affaire qui se fait normalement toute seule. Un gars qui se dit, plein d’optimisme : « Pas grave, je suis certain que je peux vivre une vie normale, avoir une blonde, faire l’amour, et me réveiller le matin sans me soucier des défaillances de mon corps. » Pour moi, c’est vrai que ce n’est pas dramatique. Je ne suis pas morte, j’ai même gagné une anecdote tristement savoureuse. Pour Mathieu, c’est autre chose. Mathieu, c’est un gars qui s’est fait remettre en pleine face que la vie, quand elle ne se contente pas d’être vache, peut être une crisse de bitch.
LE MÉCANISME DES AFFRES
Peter (à la deux, pour éviter d’afficher son patronyme, comme il n’a pas connu son père) a commencé la musique sur le tard, à 21 ans. Avant ça, il se consacrait à la poésie et s’enlignait sur des études cinématographiques. « J’ai eu des bands avec des amis à Québec (entre autres, avec JP Hébert et Maxime Gosselin, désormais accompagnateurs pour Lisa LeBlanc). Puis je suis déménagé à Montréal pour entamer mon truc en solo. » Ça l’a amené, du temps qu’il avait une queue de cheval, à enregistrer un EP « [qu’il a] laissé seulement deux mois sur Internet », puis à se faire remarquer par Audiogram grâce à une participation à Ma première Place des Arts : « Ils m’ont contacté par MySpace à l’époque. Quand j’ai appris que je serais signé avec eux, je leur ai dit que j’effaçais toutes mes anciennes chansons pis que je prenais un été pour faire un album. - Comment t’as procédé ? - J’ai arrêté de boire pendant trois mois pis j’ai composé. J’avais un petit cahier de règles. Par exemple, fallait pas que les chansons “ lèvent ”. Je voulais pas utiliser trop ma voix pour pas rentrer dans le moule radio – je voulais avoir une voix monotone. Et pas de slide guitar. - Minimaliste. - Ouain, lo-fi, parce que je m’étais rendu compte que chaque fois que je m’étais planté dans ma vie, c’était quand j’avais essayé de peaufiner de quoi en studio. »
« J’AI ARRÊTÉ DE BOIRE PENDANT TROIS MOIS PIS J’AI COMPOSÉ. » Pendant ces trois mois de création de son premier album homonyme, il n’a pas voulu s’imposer des thèmes et composer des histoires fictives : il les voulait vécues, racontées, ses histoires, que ce soit une œuvre sentimentale. Il courait justement après une fille durant le trimestre et en a raconté la quête, entre autres pour prouver qu’il avait une vie intéressante, qu’il n’avait pas besoin de s’en inventer une. « Pis ce que je me suis imposé pour le deuxième album, c’est de parler de la même crisse d’affaire, mais en plus peaufiné, d’en faire une œuvre pop. » Un album de détresse et de sentiment de vide sur lequel il n’aborde pas que le désir des filles, mais aussi l’ambition en général. « J’invente rien, mais oui, les filles et la séparation, c’est un moteur de création. J’ai eu beaucoup de copines, tsé, pis j’ai toujours eu besoin de me disputer, de m’animer, de ne pas faire de compromis, sinon c’est là que je ressens le sentiment de vide dont je parle souvent. » Le problème de sa vie, qu’il dit : il adore les filles, l’amour, et il est aussi hyper solitaire et rejette les relations dans lesquelles on se tient pour acquis. Pauvre karma, beau gosse.
« LES FILLES ET LA SÉPARATION, C’EST UN MOTEUR DE CRÉATION. »
LA PERSISTANCE DES TOTEMS
« Au début [de la relation], les filles peuvent avoir l’impression que c’est leur faute si je suis souvent mélancolique, mais on met vite ça au clair. Y en a même une qui m’a diagnostiqué cyclothymique [NDLR : une version light de la bipolarité]. Je lui ai dit : “ Ça a du sens quand j’y pense... J’ai regardé sur Wikipédia pis ça a ben du sens. ” J’essaie de pas les emmerder avec ça, faque je prends du temps tout seul. C’est là que ça se corse : les filles aiment pas qu’on réponde pas à tous les textos qu’elles envoient ! » Beaucoup de copines, autant (sinon plus) de séparations, puis, pendant un an et demi, la même blonde. Une telle stabilité, c’est rare ! Ça lui a permis de remiser certaines angoisses et d’introduire les thèmes de la camaraderie et de la fête dans Une version améliorée de la tristesse, un album qu’il a « presque entièrement composé en couple : ça parle de courir encore après une fille, mais à l’intérieur d’une relation, pour éviter de se blaser. - Ce que je trouve le plus dur, souvent, c’est de laisser les totems derrière, les noms d’animaux qu’on s’invente en couple, les personnages qu’il y a derrière ça, qu’on s’est faits l’un de l’autre. - Qu’est-ce que tu veux dire ? - J’ai tendance à tout voir en bédé : très rapidement, des animaux totems émergent et viennent se substituer à nous dans un univers fictif qu’on prend plaisir à faire gonfler. J’aimerais ça savoir dessiner. Au lieu de faire des chansons, je ferais des bédés de mes relations. Le plus difficile, c’est de foutre tout ça aux poubelles, l’imaginaire de la relation : y a des avatars de certaines filles que je vais conserver pour toujours. Quand ces personnes-là me manquent, je m’imagine que la bédé continue encore un peu… » Dans la catégorie “ moteurs de création classiques ”, l’ardeur et son contraire sont confirmés. L’âme vagabonde, aussi. Un sapré romantique, ce garçon.
MUSIQUE
séparation
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C U LT U R E P O P
DANS L’E NFE R DE L A DR AGUE Crusing Bar, sorti sur les écrans québécois en 1989, c’est l’histoire toute simple de quatre gars qui sortent cruiser un samedi soir. Pourtant, ce film en dit beaucoup plus sur la société québécoise moderne, sur nos hommes et sur le célibat que bien des mémoires de socio. C’est aussi pas mal plus populaire. Exploration des coulisses d'un film-culte. TEXTE JUDITH LUSSIER
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T O I L E S F R A N C I S C O P A C O - M E D I N A | P A C O - M E D I N A . B L O G S P O T. C A
« Je peux vous dire qu’à toutes les étapes de ma vie, j’ai été un peu de chacun de ces personnages-là », laisse tomber Michel Côté, pour expliquer comment l’homme le moins célibataire au monde a pu interpréter avec autant de brio quatre stéréotypes de dragueurs dans un même film. Celui qui a incarné l’incompétence masculine dans toute sa splendeur se promène encore main dans la main, le regard amoureux, avec celle qui fait battre son cœur depuis 41 ans. Pourtant, chaque année, il repasse dans notre téléviseur, 25 ans plus jeune et sous la forme de quatre antihéros laissés à eux-mêmes dans l’univers impitoyable de la drague. Quatre gars tellement stéréotypés qu’on peut les nommer par un nom d’animal. Jean-Jacques, alias le paon, une sorte de métrosexuel avant son temps, un frais chié vaniteux, pourvu de moyens financiers, mais complètement dépourvu d’intériorité. Gérard, alias le taureau, le banlieusard qui trompe sa femme, véritable reliquat d’une culture macho sexiste révolue. Patrice Beaudoin, alias le lion, le rockeur au cœur tendre, stéréotype bien connu des années 1980 : le coké. Il voudrait bien garder sa blonde, mais est incapable de s’empêcher de faire des conneries. Et le dernier mais non le moindre, Serge, alias le ver de terre. Son aventure est probablement la plus sordide : on tend à oublier qu’elle se termine par un viol dans un bar gai représenté comme Sodome et Gomorrhe, un cliché qui à l’époque passe comme du beurre dans la poêle. Grand timide, socialement inadéquat, laid, Serge échoue dans tout ce qu’il entreprend, y compris, bien sûr, la cruise.
SON AVENTURE EST PROBABLEMENT LA PLUS SORDIDE : ON TEND À OUBLIER QU’ELLE SE TERMINE PAR UN VIOL DANS UN BAR GAI REPRÉSENTÉ COMME SODOME ET GOMORRHE. SERGE
ALIAS LE VER DE TERRE Grand timide, socialement inadéquat, laid, Serge échoue dans tout ce qu’il entreprend, y compris, bien sûr, la cruise.
APRÈS L’HOMME DES TAVERNES
Quand on y pense, il n’y a rien de si surprenant à ce que Michel Côté ait voulu explorer le mâle dans sa période de rut. Après avoir incarné l’homme des tavernes dans la pièce de théâtre Broue pendant près de 10 ans, le comédien cherchait une autre formule gagnante pour poursuivre sa carrière. « On ne pensait pas que Broue durerait 10 ans, encore moins 30, dit-il. On voulait créer un succès similaire avec la même recette. On a remplacé la taverne par le cruising bar », raconte Côté. L’écosystème de l’homme en chaleur semble être tout aussi fertile. « L’homme des tavernes n’a aucun désir d’aller draguer. Il est comme engourdi. C’est l’éloge du vide, de l’aliénation sociale, explique Michel Côté. Dans Cruising Bar, on s’intéresse plutôt à ce que l’homme est prêt à faire pour se reproduire et se satisfaire sexuellement. Il y a tout un cérémonial lié à ça, qu’aucun mâle n’avouera. Se péter un bouton, cacher des cheveux gris, s’entraîner pour avoir des muscles, tout ça était occulté. Les gars disaient toujours qu’ils ne faisaient rien. À les entendre, c’est à peine s’ils se brossaient les dents avant de sortir ! On voulait montrer ce rituel secret, et si t’es un ver de terre, ton rituel est très différent de si t’es un paon. » Au début, Cruising Bar devait être un autre succès théâtral présenté à guichet fermé trop de soirs par année, pendant trop d’années. Le destin en a voulu autrement. « Quand Robert Ménard, avec qui je venais de tourner T’es belle Jeanne, m’a demandé une idée de film, je n’avais que cette pièce de théâtre en tête. Il m’a dit “on va la faire en film” », raconte Côté. Les deux hommes se rencontrent alors régulièrement pour écrire : Michel Côté imite des personnages, imagine des situations, improvise. Dès les premières séances, ils savent qu’ils tiennent quelque chose. « Michel faisait les personnages devant moi, dans sa cuisine, de 9 h à midi. On riait fort ! Après ça, fallait l’écrire », se souvient Robert Ménard, le réalisateur. C’est là que se mettent en place les fameuses scènes où Gérard teste les banquettes de voiture avec sa secrétaire particulière dans son garage, où Serge essaie des vêtements sous le regard impatient d’une vendeuse agressive, où Beaudoin fait son grand talent sur un plateau de tournage, où Jean-Jacques apprend l’art de séduire sous les conseils de son professeur de drague. Mais après avoir passé un an et demi à construire et à chérir ses quatre fourbes, Michel Côté est incapable de se résoudre à n’en interpréter qu’un seul. « Tu vas faire les quatre ! » lui lance alors Ménard, idée qui n’obtient pas l’approbation instantanée des organismes subventionnaires. À l’époque, Eddie Murphy et Arsenio Hall viennent tout juste d’accomplir cet exploit dans Un prince à New York, mais au Québec, c’est du jamais vu. « Les institutions nous disaient que c’était du théâtre, raconte Robert Ménard. J’ai emmené Michel à Téléfilm Canada pour qu’il leur joue les personnages, et on les a convaincus. »
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