PRINTEMPS 2013 | NUMÉR0 37 | ROUX | FAIT PAR DES DALTONIENS
Sp écial Roux
9,95 $ 10 ¤
1 à 2%
27
plus de chance de développer le cancer de la peau quand on est roux.
Nombre de teintes de roux. Selon le site Wikipédia, ça va de « Ventre de biche » à « Gomme-gutte » et « Poil de chameau ».
Roux
CHIFFRES
3%
90 ANS
Fortune estimée de Bill Gates, le roux le plus riche des États-Unis. Mark Zuckerberg, quant à lui, est le plus jeune roux milliardaire du monde avec une fortune évaluée à 17 milliards de dollars. Des montants légèrement supérieurs à ce qu’ils auraient pu gagner à La Roue de Fortune.
66 MILLIARDS $
personnes rousses se sont rassemblées dans la ville de Breda aux Pays-Bas pour la Journée nationale des roux, le Roodharigendag, en 2011.
3 000
de la population mondiale est rousse. Ils sont même devancés par les chauves bedonnants en pantalons de jogging.
50
personnes rousses ont manifesté à New York pour faire changer le logo de la chaîne de restauration rapide Wendy’s (une rousse) en 2007. 5 ans plus tard, ils ont eu gain de cause. Résultat : Wendy a l’air plus cochonne que jamais.
LES
en
%
de la population des États-Unis est rousse, ce qui en fait le pays avec le plus de roux au monde. Ils l’ont-tu l’affaire les Amaricains !
50
%
Âge de La Poune lorsqu’elle devient porte-parole de la bière «La rousse» de Molson O’Keefe. C’est environ 90 ans de plus que la durée de vie de ladite bière.
13% des Écossais sont roux, ce qui
fait d’eux le peuple le plus roux de la Terre. Toutefois, environ 40 % d’entre eux portent le gène récessif de la rousseur. On n’a pas les stats officielles, mais les Chinois ne doivent pas être très haut dans ce classement.
Pourcentage de rousses dans l’industrie porno. Comme sont rasées toute la gang, impossible de savoir si ce sont de vraies rousses.
2À6
5,3%
de chance qu’un bébé roux naisse dans une famille de parents non roux. 100 % de chance que les parents se posent de sérieuses questions.
Plus de 10 000 roux servis depuis 1981. 3855, Saint-Denis Montréal 514 499-0438 futondor.com
2X
plus de rendez-vous chez le dentiste chez les roux. Selon une étude du Journal of the American Dental Association effectuée en 2009, ceux-ci sentiraient davantage la douleur causée par la « drill ». À moins qu’ils ne se cherchent des prétextes pour lire le Sélection du Reader’s Digest plus souvent.
Nombre approximatif de cheveux que les roux ont sur la tête. C’est 50 000 de moins que les blonds et c’est ce qui explique pourquoi les roux ont des cheveux épais. Ça explique aussi pourquoi le gars qui compte les cheveux préfère les « clients » roux.
90 000
Nombre d’années de survie qu’il reste au gène roux selon une légende urbaine. Une rumeur qui se propage depuis 150 ans...
100 ANS
1
Nombre de roux qu’il faut croiser dans la rue en Argentine pour nous porter chance Lorsqu’ils voient un roux, les hommes doivent se toucher une gosse et les femmes un sein pour se parer contre le mauvais sort. Être argentins, on organiserait des voyages pour des groupes de touristes écossais.
Nombre de roux qu’il faut voir en même temps en Pologne pour avoir de la chance, selon une superstition locale. Être polonais, on organiserait des voyages pour des groupes de touristes écossais.
20%
plus de sédatif pour anesthésier un roux qu’une personne avec une autre couleur de cheveux. Donc, les roux coûtent plus chers aux contribuables québécois. CHOI-Radio X, voici un dossier pour vous.
71%
1 9 9 7
Découverte de l’origine des cheveux roux. Elle est liée au gène MC1R qui se trouve sur le chromosome 16. On n’est pas super bons en astronomie, mais on pense que c’est dans la ceinture d’astéroïde entre Mars et Jupiter.
1600
Le gras d’un gros roux devient l’un des ingrédients-clés pour un poison mortel réussi. L’histoire ne dit pas la recette à utiliser si la personne à empoisonner est un gros roux.
des roux pensent que le mot « audacieux » les décrit bien, selon le sondage de Clairol intitulé « Color attitude». Dans le même sondage, 49 % des répondants ont dit penser que les blonds sont « naïfs », contre 15% pour les roux.
Taux de dilution de l’acide sulfurique que Marilyn Monroe, une rousse naturelle, utilisait pour décolorer ses cheveux. Le pourcentage normal recommandé aujourd’hui est de 0,5 %. PS : elle est morte.
6
Nombre de chiffres dans le chèque que les Canadiens ont signé pour avoir Youppi comme mascotte rousse. Le vrai montant demeure inconnu, mais la raison pour laquelle la bière coûte 10 piasses au Centre Bell est maintenant connue. Youppie !
- 18 000 ANS
Les roux font leur apparition sur la planète, ce qui est relativement récent dans l’histoire de l’humanité. Ils sont arrivés juste à temps pour ne pas manquer Jésus, Christophe Colomb et Éric Lapointe.
EN 2012
Le Prince Harry offre aux roux l’accès gratuit à Internet durant les Jeux Olympiques de Londres, afin qu’ils aient accès aux épreuves (et aux photos de Son Excellence, à poil, dans un hôtel de Las Vegas.)
2X
plus de chance de développer la maladie du Parkinson lorsqu’on est roux.
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ESSAI
Dans la population en général et dans la communauté rouquine elle-même subsiste un agaçant phénomène qui relève de la discrimination, de la partialité, du sexisme et du double standard : la toute suprématie des rousses sur les roux. La toute suprématie des rousses en général. texte : aleksi k.lepage // illustrations : christine lavallée (christinelavallee.com)
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e m’incline évidemment avec révérence devant Nicole Kidman, reine vivante des rousses laquelle prouve, par le simple fait d’exister, que la divine Création n’aura pas été un flop total, et que l’Enfer doit aussi exister. Mais tout de même, ce n’est pas demain qu’on verra un mâle roux, un vrai, au teint blême, au visage et au corps picotés, aux petits yeux de consanguin dégénéré et lubrique, faire les pages du calendrier des pompiers à gogo de Montréal. INCUBE La rousse a tout pour elle. Nymphe aux cheveux de flamme, aux yeux idéalement couleur d’émeraude, à la complexion laiteuse parsemée de quelques taches de framboise ; éternelle muse d’esprits tumultueux, de Gustav Klimt à Pierre Foglia (on ratisse large, ici). Les hommes préfèrent les blondes ? Pas forcément. Tapez Redhead girls sur Google Images, vous n’y trouverez pas que des photos de la petite Annie, de Susan Sarandon ou de Fifi Brindacier. Le roux, lui, n’a pas grand-chose. Méchant, ricaneur, possiblement imbécile et illettré, potentiellement violent et alcoolique, avec la face de l’Écossais rougeaud buveur de Guinness à l’excès, le roux — le vrai — paraît aussi amusant, taquin et facétieux, façon Denis la Menace ou André Robitaille. Remarquez qu’on entend rarement une maman dire avec fierté : « Ma fille a rencontré un beau grand roux. » Le beau grand est toujours blond.
« Au mieux, le roux est le barbare nordique, le Viking un peu fou et venu du fond des fjords pour semer la terreur. Au pire, il est le Réjean de La P’tite Vie. » On objectera que tout cela relève du cliché révolu et que ce que je raconte ne tient pas la route. Peut-être. Mais dans les recoins de l’imaginaire collectif, le rouquin demeure un personnage suspect et inquiétant, un être né louche, au tempérament imprévisible et aux desseins obscurs. On serait à peine surpris d’apprendre qu’il est doué de quelque pouvoir surnaturel, qu’il n’attend qu’un signe du ciel pour appeler au rassemblement, former une armée et régner avec elle sur le monde tels les disciples de l’Antéchrist. Un jour, le roux sera légion, comme son maître. On sait de quelle couleur sera l’enfer sur terre. Le roux, en tant qu’exception, est personnifié métaphoriquement et de très belle façon dans le film Mask (1985) où l’acteur Eric Stoltz, beau rouquin pure citrouille, est transformé en homme-éléphant roux aussi hideux qu’attachant et dont l’unique amoureuse est d’ailleurs aveugle. Au mieux, le roux est le barbare nordique, le Viking un peu fou et venu du fond des fjords pour semer la terreur. Au pire, il est le Réjean de La P’tite Vie, mesquin, voleur et dont la rousseur n’a d’égale que la malice. Le roux est aussi le petit garçon timide qui, demain, sera à la tête d’un vaste conglomérat médiatique ou qui deviendra carrément le maître du monde. Dans leur jeunesse, Pierre Péladeau et Bill Gates étaient roux.
SUCCUBE La rousse, cet éternel objet de désir et de rumeurs salaces, jouit sur ce plan d’une enviable réputation. La rousse est, littéralement, remarquable. Beaucoup de blondinettes, de brunettes et d’auburn les envient, allant jusqu’à se faire teindre en jaune orange pour paraître sulfureuses, souvent chez les dames d’un certain âge, résolues à se refaire une jeunesse et à attiser le mâle en chasse. La rousse paraît sortir directement des fournaises de Satan, ce qui la rend d’autant plus attrayante. Elle est succube, et beaucoup d’hommes succombent. J’en suis. On ne sait trop d’où vient son étrange pouvoir d’attraction, cette espèce de magnétisme obscurément diabolique, mais ce n’est certainement pas qu’une affaire de cheveux. D’ailleurs, elle est une figure de mythe depuis l’Antiquité : la rouquine, jolie et même moche, serait une tentatrice née, dénuée d’âme, une créature du diable venue sur Terre pour corrompre l’humanité. Marie-Madeleine, tentation du Christ, était rousse. Il y a quelque chose d’extraterrestre chez la rousse. Elle doit savoir des vérités hors de la portée des brunes et des platines. Elle cache quelque chose. Quelque chose qu’on a envie de découvrir... Pour ma part, je n’ai plus l’honneur d’être un vrai roux. Trop de gris pâle et de brun plate ont envahi mes favoris et mes touffes. Je fus roux. La plate population au cheveu sans feu, au poil drabe, a raison de se méfier du roux, teigneux, d’une façon ou d’une autre, et d’adorer la rousse en tant que prêtresse ensorceleuse. Si l’un et l’autre, le roux et la rousse, sont séparés par quelques préjugés persistants, tous deux sont issus du même moule et du même monde, un autre monde, un monde mystérieux, à part ; il doit y avoir beaucoup de roux et de rousses au purgatoire.
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ESSAI
On ne savait pas que l’humoriste Cathy Gauthier était une ex-rousse. Comme tout le monde, on pensait qu’elle était blonde, jusqu’au jour où elle nous a téléphoné, tout bonnement, et qu’elle nous a fait son coming-out à l’autre bout de la ligne. Pendant de longues minutes, elle nous a raconté des anecdotes de son enfance en Abitibi. On riait en même temps qu’on trouvait ça un peu triste. On lui a donc proposé de coucher ses souvenirs sur papier. Voici son histoire. texte : cathy gauthier // illustration : gabrielle laila-tittley (gabriellelaila.blogspot.com)
e suis rousse. Enfant, c’était un cauchemar d’avoir les cheveux orange, le visage plein de taches de rousseur et le teint d’une albinos. J’aurais tant aimé pouvoir me faire bronzer badigeonnée d’huile de bébé comme le faisaient mes sœurs. Dans mon école de village, où nous étions seulement 65 élèves, il n’y avait pas de Noirs, pas de Chinois, pas d’handicapés. Mais grâce à mes cheveux carotte, j’étais la seule et unique minorité visible. Yes. J’ai tout fait pour me blondir les cheveux et m’arracher mes taches de rousseur de la face. Je les ai frottées avec du vinaigre, de la petite vache (ça, ça chauffe en TA !), de la camomille… Bref, tous les trucs de grand-mère impossibles, je les essayais dans l’espoir d’être comme les autres. Devant mon désespoir, un voisin — un peu épais — m’a un jour lancé : – Heille, la jeune ! J’ai un truc pour enlever ta rouille, veux-tu le savoir ? Quelle question idiote. – OUI. – T’as juste à te laver le visage avec du pipi. Si tu frottes fort fort, ça va partir. J’avais beau juste être en deuxième année, je n’étais pas complètement conne... alors je lui ai demandé s’il parlait de mon pipi ou du sien. C’était le mien . Fiou. Je lui ai donc demandé candidement comment faire pour me pisser dans la face. Il m’a expliqué gentiment qu’il fallait plutôt faire pipi sur une débarbouillette et me laver les « taches de rouille » avec. Et moi, du haut de la naïveté de mes huit ans, je me suis exécutée. Je souhaitais juste que ma mère ne me surprenne pas, parce que non seulement j’aurais mangé une claque derrière la tête, mais surtout, mon bécique aurait été rangé dans la shed pour l’été. (Chez nous, c’était ça, la plus grosse menace : se faire confisquer son vélo pour toute la saison estivale. Radical de même.) Après deux semaines de traitement à l’urine — je sais, c’est long —, j’ai compris que mon voisin était un abruti et que je m’étais fait avoir. Voir s’il allait s’en sortir de même... Donc juste avant le concours de la plus belle cour du village, j’ai arrosé ses fleurs avec de l’eau de Javel. Et voilà, à lui la plus jolie plate-bande de fleurs séchées d’Abitibi. Encore heureux que je n’aie pas pissé dessus.
UN JOUR, TU VERRAS... Toutes ces années, ma mère tentait de me réconforter en me disant : « Tu es spéciale. Je connais beaucoup de femmes qui paieraient très cher pour avoir cette couleur de cheveux là, mais ça n’existe pas chez la coiffeuse ! » Bon. Quand même la palette de teintures de Chez Chantal a pas ta couleur, ça va mal. Adolescente, je voulais tellement être acceptée et aimée que je suis devenue le clown de service, l’indispensable dans les partys de sous-sol. Si je n’étais pas rousse, je ne serais peut-être jamais devenue humoriste, car le sens de l’autodérision, je le pousse à fond depuis ma tendre enfance. Je déstabilisais les grands qui voulaient m’écœurer en leur coupant l’herbe sous le pied, en faisant moimême des gags ingrats sur mon physique qui l’était tout autant. J’avais beaucoup de succès en amitié, mais très peu en amour. Les gars ne sont jamais attirés par les filles plus drôles qu’eux, et ce, même adultes ! J’entends encore ma mère qui voulait être rassurante : « Plus tard, tu seras comme les autres filles, tu vas être blonde et tes taches de rousseur auront disparu avec l’âge. Je te le dis, tu vas t’ennuyer de tes cheveux roux. » Je me disais : pauvre moman, elle commence à en perdre. Pourtant, elle avait raison. Aujourd’hui, à 36 ans, je rêve de retrouver mes cheveux de feu et mes freckles qui me donnaient cet air tellement espiègle… Le teint d’albinos, ça va, c’est correct, je l’ai encore. (Sur la plage, d’ailleurs, j’ai l’air d’une aspirine. Je dois rester à l’ombre, sinon je deviens fuchsia pétant. Un teint qui me fait dire : Bon, ça y est, j’ai le cancer de la peau). Ma blondeur me camoufle bien en société, mais je suis nostalgique de ma longue tignasse rousse frisée. Quand je regarde des photos de moi ado, j’ai de la misère à me souvenir pourquoi je n’aimais pas mon allure. Sans prétention, j’étais même la plus cute de ma gang ! Mais j’avais tellement pas confiance en moi que ça ruinait tout. Plus ça change, plus c’est pareil : on veut toujours ce que nous n’avons pas, pis quand on l’a, on veut autre chose. De toute façon, qu’on soit blonde, rousse, brune ou noire… on finit toutes poivre et sel.
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« Je déstabilisais les grands qui voulaient m’écœurer en leur coupant l’herbe sous le pied, en faisant moi-même des gags ingrats sur mon physique qui l’était tout autant. »
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REPORTAGE
11 Trucs
Antirouille
Quelques poils flamboyants dans une barbe passent encore. Des cheveux, ça se teint. Mais les taches de rousseur, c’est plus difficile à cacher. Certains vendraient leur mère pour s’en débarrasser. Mais comme ça ne changerait rien, ils cherchent d’autres solutions. Urbania a enquêté pour vous sur les plus pertinentes. Et les plus débiles aussi. texte : anne-laure naumowicz // illustrations : simon laliberté (behance.net / slaliberte)
1 LE POUVOIR DU PERSIL Au milieu des ingrédients prétendument magiques, le persil jouit d’une belle crédibilité. Il aurait le talent d’atténuer les taches de rousseur, ce qui lui vaut d’être nommé dans toutes les catégories de recettes : en masque — aux côtés des citron, orange, radis, céleri, mâche, ou encore menthe, banane et miel —, en infusion ou même carrément dans notre régime alimentaire. Pariez sur votre combinaison préférée, tous les espoirs sont possibles.
3 DANS LE TROU Belle cote de popularité sur les forums “je destst mais tach 2 rousseur” pour la recette suivante. Faire un trou dans une pastèque, y mettre du riz qu’on laissera pendant une semaine. Le récupérer et le mixer pour obtenir une texture crémeuse. On obtient alors un soin, le soin absolu de la personne-quin’a-vraiment-que-çaà-faire dans-la-vie. En tout cas, ça a marché sur Titounette32.
2 LE CITRON DE TA GRAND-MÈRE Un nombre considérable de grandsmères semblent s’être passé le mot. Le bon vieux citron est la solution. Que ce soit en huile essentielle, en infusion, sur une ouate imbibée ou en frottant directement le fruit sur la peau, l’important est de ne pas s’exposer au soleil après en avoir appliqué. Ensuite, croisez les doigts et pensez à votre mamie. On n’est jamais à l’abri d’un miracle.
4 LE MASQUE Une autre technique qui fait rêver. Il s’agirait d’écraser concombre, abricot et fraises ensemble dans un mortier ou, encore plus drôle, directement sur le visage. Au cas où le réflexe se serait perdu quelque part, on précise qu’après, il faut rincer. Faire ce masque deux fois par semaine, idéalement dans le temps d’Halloween pour un succès optimal.
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5 PELER LA CAROTTE La microdermabrasion s’attaque aux 15 à 25 premiers microns de peau (soit 15 à 25 millièmes de millimètres.) La peau est polie sur sa couche strictement superficielle, le tout sans anesthésie. Même Santé Canada valide cette méthode. On peut la faire soi-même à la maison, mais pour avoir une chance de perturber ne serait-ce qu’un peu les taches de rousseur, mieux vaut se tourner vers des professionnels équipés d’appareils qui projettent des micro-cristaux tout neufs sur la peau et aspirent les micro- cristaux usagés. Avec un peu de chance, ces derniers repartent avec un peu de rousseur.
6 COMME UN OIGNON Le peeling mécanique, ou dermabrasion, se fait avec des fraises mécaniques ou du papier de verre qui, en toute simplicité, enlève la couche supérieure de l’épiderme pour permettre la réépithélialisation spontanée de (ce qu’il restera de) la peau. Oui, la réépithélialisation. C’est-à-dire la reconstitution de l’épithélium au-dessus du tissu conjonctif (du latin epithelium, « pellicule couvrant le mamelon du sein », ça me fait plaisir de vous l’apprendre). Bref, en gros, la peau va se régénérer. Ou pas. 7 MICHAEL JACKSON STYLE Les crèmes éclaircissantes : toutes les marques de cosmétique en proposent. Mais la liste d’ingrédients chimiques qui les composent peut faire très peur. Le plus médiatisé, l’hydroquinone, a été largement banni en Europe à cause de son potentiel cancérigène. L’acide kojique, lui, a meilleure presse. Issu de la fermentation du malt de riz au Japon, il permet de ralentir la production de mélanine et empêche même les fruits coupés de brunir ! Peu importe l’option choisie, regarder une photo ou deux de Michael Jackson en fin de vie avant de décider, ça reste une bonne idée : 18 tubes d’hydroquinone ont été retrouvés chez lui après sa mort. On le mentionne en passant.
8 AH BEN OUI, TIENS Pour les moins motivés, il reste des solutions archi-simples. Comme camoufler les éphélides (c’est leur p’tit nom) sous des tonnes de fond de teint et arrêter de respirer pour que ça ne bouge pas. Ou plus simple encore, se protéger du soleil pour éviter leur prolifération. Et si aucune de ces ingénieuses méthodes n’a fonctionné, il reste toujours celle de taper Evangeline “Freckles” Lilly dans Google Images pour vous réconcilier avec vos belles taches de rousseur.
9 LE POUVOIR DE L’IMAGINATION Certaines pensent qu’en appliquant consciencieusement de la crème solaire sur chaque tache avant de s’exposer au soleil, la peau va bronzer autour et ainsi uniformiser la teinte de la peau. Mais bien sûr.
10 UNE TACHE À LA FOIS La cryochirurgie est un traitement à base d’azote liquide. À partir de -40 °C, les cellules gèlent et, privées de sang, meurent. Ceux qui ont survécu à janvier 2013 devraient survivre à ça. Par ailleurs, la lumière pulsée, lorsqu’utilisée par un spécialiste un minimum compétent, serait une des méthodes les plus efficaces pour cibler les taches. On peut aussi tenter le laser, mais il faut garder en tête que les taches de rousseur peuvent toujours revenir quand ça leur chante.
11 TEL DU DRANO SUR LA PEAU Le peeling chimique consiste à appliquer une solution chimique qui va ronger la couche supérieure de l’épiderme avec une certaine intensité. Acide glycolique pour un peeling léger, acide trichloracétique (TCA) pour un peeling moyen ou Phénol pour un peeling très profond et aussi très cher (environ 5000 $). On parle ici de brûlures au deuxième degré et d’aller se cacher dans une grotte pour un bout. On jase de croûtes, de cicatrices, mais aussi de chute de pression, d’état de choc, de gonflement du larynx et d’arythmie cardiaque. Youppi.
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PORTRAIT
Barbe - Rouge La passion de Jack Passion est abondante et elle lui trône en plein visage. L’entrepreneur dans la fin vingtaine a de quoi être fier de sa marque de commerce : son imposante barbe rousse lui aura valu deux titres de champion du monde, une série télé, plusieurs commanditaires, l’écriture d’un livre et une renommée internationale. Portrait d’un Barbe-Rouge des temps modernes. texte : catherine therrien // photo : ifc
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ack Passion (semi-nom d’artiste : Passion est bel et bien son deuxième nom) a la pilosité faciale précoce. Natif de Walnut Creek, petite ville de Californie, il a 12 ans lorsque son sillon nasal et ses joues se couvrent d’un duvet plus important qu’avant. « J’ai toujours eu du poil au visage. Ça fait partie de mon identité. » Dès 13 ans, il doit se raser quotidiennement. L’année suivante, il court-circuite sa toilette quotidienne en optant pour les favoris, qui deviendront rapidement sa marque de commerce. À l’Université de Santa Cruz en Californie, où il étudie la philosophie et la musique électronique, il se rase le matin, au réveil, et une seconde fois à l’heure du lunch. Cette routine exigeante a tôt fait de l’épuiser. « C’était trop pour moi. J’ai compris que mon corps essayait de me dire quelque chose, et j’ai décidé de l’écouter. » Donc, début vingtaine, il s’abandonne à ce qui est, selon lui, sa destinée : il range le rasoir et se laisse pousser la barbe. Longuement. Et plus elle pousse, plus sa barbe a de la personnalité. Ses favoris rouge foncé se dégradent en un orange clair, ce qui ne surprend personne dans sa famille. « Mon grand-père était effectivement reconnu pour ses cheveux très noirs et sa moustache… orange vif ! »
« Il prétend qu’il s’est logé dans sa barbe, au fil des ans, une histoire. »
POILS ACADÉMIE Sa barbe devient rapidement légendaire sur le campus. Plusieurs de ses amis le poussent à participer aux World Beard and Moustache Championships, compétition biennale internationale célébrant les plus belles barbes et moustaches du monde entier. Les trois catégories (Moustache, Barbe partielle et Barbe complète) se déclinent en 17 sous-catégories, du petit goatie (barbichette) à la turbo-méga-grosse-thunder barbe. C’est donc à 21 ans qu’il participe pour la première fois au Championnat, qui se tient à Berlin en 2005. Il n’oubliera jamais son premier voyage en Allemagne : il voit du pays, rencontre des personnages qu’il trouve fascinants. Couronné 3e dans sa catégorie — Full natural beard, la plus prestigieuse —, il rit de sa déconfiture. « Je ne trouvais rien de prestigieux dans le fait d’arriver, finalement, deuxième perdant. What a joke ! » Son désenchantement fait vite place à la gloire : il apprend qu’il est le véritable talk of the town à Berlin. Il faut dire que le podium était depuis longtemps monopolisé par une poignée de moustachus — le grand gagnant y occupait la première place depuis… 22 ans. Son arrivée parmi les grands ne se fait cependant pas sans heurts. On le vilipende, lui hurle What are you doing here, American kid !, on rit de son costume de pirate. L’hostilité ambiante à laquelle il se bute n’a toutefois pas raison de sa détermination, car c’est avec fierté qu’il arbore sa longue et flamboyante barbe, en se jurant qu’elle lui fera un jour remporter les plus grands honneurs. Deux ans plus tard, en Angleterre, il remonte sur le podium, mais cette fois pour l’or. Exploit qu’il répète en 2009, à Anchorage, Alaska. Depuis, il n’est plus certain de vouloir continuer la compétition : c’est un milieu très stressant où convergent, selon lui, toutes les monstruosités des hommes à barbe. La compétition y est forte, les cliques sont puissantes. Jack ne s’y sent plus nécessairement le bienvenu. « Je me fais traiter de yuppie. Je connais mes règles de grammaire. Ils n’aiment pas que je sois articulé. » C’est vrai que Jack clashe parmi ses pairs, qu’il estime « obsédés par leur pilosité faciale, compétitifs, malsains. » Si ces derniers lui ressemblent, ils n’ont en commun que la barbe. Jack se distingue par sa voix posée et sa parole agile — il manie en effet aussi bien le verbe que les ciseaux. Il se prétend électron
libre dans un monde où les cliques sont bel et bien réelles : les bikers, lumberjacks et autre grizzly men du circuit compétitif l’ont invité à joindre leurs rangs, mais Jack a toujours refusé de se conformer. Et finalement, offense suprême pour les habitués des tournois internationaux où l’alcool coule à flots, Jack est sobre. Il tente de combattre les stéréotypes relatifs aux hommes à barbe et de vivre sa vie en contraste total d’avec eux. LE BON, LA BARBE ET LE TRUAND Parallèlement à la compétition, qui ne paie pas un sou, Jack Passion, entrepreneur-né, travaille sur les produits dérivés de sa barbe. T-shirt, livre et show télé se sont vite succédé. Il devient la star principale de Whisker Wars, sur IFC, une téléréalité documentaire sur l’univers des compétitions d’hommes à barbe. Encore une fois, tout n’est pas rose. « Je me suis véritablement fait beaucoup d’ennemis avec cette série. J’y endosse le rôle du méchant, et le public n’a pas compris que je souhaitais seulement m’amuser un peu, jouer un personnage, exagérer certains traits de ma personnalité et repousser les limites. » Mais qu’est-ce qu’une telle série, aux allures traditionnelles de gros show de téléréalité romancée, peut bien révéler de si terrible sur Jack ? Vérification faite, après quelques épisodes de Whisker Wars, il est plutôt étonnant de voir que Passion, jeune amoureux de philosophie allemande à la voix douce, ait pu s’écrier devant les caméras : « I won’t quit until I’ve dominated them and ruin their family name ! ( Je n’arrêterai que lorsque je les aurai dominés et détruit leur réputation !) » Malgré tout, ces épreuves n’ont toujours pas eu raison de sa barbe, qu’il continue de porter avec sa superbe habituelle. Il prétend qu’il s’y est logé, au fil des ans, une histoire, comme si elle faisait office de ligne du temps. « J’aime considérer ma barbe comme un tronc d’arbre [lorsqu’on le coupe et qu’on y observe les cercles de croissance]. Si on en regardait un des poils au microscope, on verrait les moments où j’allais moins bien, où je ne prenais pas soin de moi. Hair is the residu of your health », résume-t-il. Une empreinte visible du bien-être général ? Jack Passion n’aurait pu mieux résumer son motto : Healthy man, healthy beard, un homme sain dans une barbe saine.
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PORTRAIT REPORTAGE
part dans son entourage, le mot a vite circulé et j’ai commencé à recevoir des messages de personnes intéressées à participer à mon œuvre », explique-t-elle. Pendant deux ans et demi, son projet farfelu l’a fait voyager à travers l’Afrique du Sud, mais aussi aux Pays-Bas, où elle tenait un kiosque photo lors de la fête annuelle des roux. Aujourd’hui, sa collection compte 500 portraits de tous âges et de toutes nationalités, cimentant la base de son projet artistique intitulé I collect gingers, qui va en fait bien au-delà d’une simple collection de photographies. CLASSIFICATION ET DISCRIMINATION Tous les roux qui passent devant la lentille d’Anthea Pokroy sont photographiés de face, avec une expression neutre et vêtus d’un chandail blanc ; un style rappelant les photos de passeport. Leur portrait est ensuite classé dans un des dix groupes de couleurs créés par l’artiste, allant du blond fraise à l’auburn foncé. Anthea Pokroy a également créé des cartes d’identité pour chacune des personnes photographiées, sur lesquelles se trouvent leur nom, leur âge, leur lieu de résidence ainsi que des détails sur la couleur de leur cheveux, de leurs yeux et de leur peau. « Ces cartes font référence à l’historique de la classification, particulièrement aux dompas [ndlr : lors de l’apartheid, les dompas étaient une pièce d’identité que les Noirs devaient porter en tout temps afin d’éviter d’être arrêtés], mais plutôt que d’être un symbole d’oppression, il s’agit d’un symbole de fierté », expose la jeune artiste.
A
nthea Pokroy est née en 1986 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Elle et sa sœur sont les seules rousses de la famille (son frère est brun, comme ses parents) et toutes deux, comme le 2 % de roux du monde entier, n’ont pas échappé aux sobriquets et aux moqueries. En plus d’être rousse, elle appartient au 16 % des habitants de Johannesburg qui sont blancs et au 1 % qui sont juifs. Aujourd’hui extravertie, passionnée et hyper charismatique, cette artiste et super chick assume totalement sa rousseur et affirme que jamais elle ne changerait la couleur de ses cheveux : « Ils définissent ma personnalité, ils sont d’ailleurs le point de départ de nombreuses conversations. » La photographe sud-africaine s’engage dans une quête identitaire au mois d’août 2010, comme tout bon artiste. Elle commence alors à prendre des clichés de personnes rousses. « Au départ, je voulais simplement explorer la palette de couleurs, belle et romantique, des roux. C’était davantage une exploration personnelle, une sorte d’autoportrait. » Au terme de la première séance photo, qui regroupait sept roux, l’artiste sent le besoin de donner une dimension plus profonde à son travail. « C’est comme si un sens inné de communauté et d’expérience collective avait émergé de cette rencontre, explique la photographe. Nous avions tous des expériences similaires à partager, qu’elles soient positives ou négatives. Il y avait entre nous un inexplicable lien d’appartenance, de parenté. » À partir de ce moment, Anthea Pokroy est devenue obsédée par les roux. « J’arrêtais les gens partout pour les prendre en photo : dans la rue, dans le bureau du docteur, dans les bars… Heureusement, parce que tout le monde connaît un roux quelque
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sombre de la classification raciale et de la discrimination : s’il y a de la discrimination basée sur la couleur de la peau, est-ce si ridicule de croire qu’on pourrait discriminer en se basant sur la couleur des cheveux ? Dans un contexte sud-africain, où le peuple a historiquement été obsédé et oppressé par la couleur de la peau, je souhaite donner une dimension ironique au profilage racial et génétique », lance la photographe. LA RÉVOLUTION ROUSSE Au fil de ses deux années et demie passées à photographier des roux, Anthea Pokroy a commencé à imaginer une révolution des êtres « à part », un monde où ces derniers seraient enviés et célébrés. Elle a établi les bases de cette utopie dans le Manifeste des roux, un écrit satirique qui énonce les six principes à partir desquels se fera la révolution rousse. Parmi ceux-ci : « La légitimité de la rousseur et la pureté de notre peuple sont vitales à sa longévité. Il est donc important pour les roux de procréer avec d’autres roux. Il est crucial d’éviter la contamination. » et « Un roux restera toujours un roux. Des facteurs extérieurs naturels ajustant la couleur à des bruns ou des blonds, des gris ou des argentés résultant du processus de vieillissement, n’influencent pas la pureté d’un roux. Seule la génétique importe. La présence de deux exemplaires d’un gène récessif sur le chromosome 16, qui provoque une mutation de la protéine MC1R, est importante et déterminante. (Toutefois, il est à noter qu’une personne qui ajuste sa couleur de cheveux par un procédé non naturel, comme les teintures, sera exclue de notre groupe et n’aura aucune chance d’y revenir.) » Ce manifeste, Anthea Pokroy l’a imprimé et affiché au premier mur de son exposition. Jumelé aux panneaux de portraits et aux cartes d’identité disposés de manière à faire écho aux murs de victimes dans un musée de l’holocauste, il scelle les rousses folies d’Anthea. « Je voulais que le visiteur, en voyant l’exposition,
« La légitimité de la rousseur et la pureté de notre peuple sont vitales à sa longévité. Il est donc important pour les roux de procréer avec d’autres roux.» Pour le montage de sa première exposition solo, I collect gingers, présentée à Johannesburg en 2013, Anthea Pokroy s’est donc intéressée aux différents systèmes d’archivage et de classification raciale. Ses recherches l’ont menée au nazisme et à l’apartheid, deux idéologies qui trouvent écho dans ses racines profondes de Juive et de Sud-Africaine. « Des gens ont connu d’extrêmes persécutions, et même un génocide, en raison de leur apparence, de leur race et de leur religion. En Allemagne nazie, on mesurait les nez des hommes afin de savoir s’ils étaient d’ascendance juive, c’est ridicule », s’exclame l’artiste. « Je ne compare pas directement les expériences qu’ont vécues les Noirs, les Juifs ou les homosexuels avec celles que vivent les roux, mais en tant qu’artiste, c’est mon rôle de trouver de nouvelles façons d’explorer les sujets », précise Anthea. Délicats ou non. À travers son processus artistique, Anthea Pokroy raconte une histoire imaginaire, un futur hypothétique, en plus de construire un système de classification des roux, qu’elle traite en tant que race humaine à part entière. « Même si ce projet a un aspect léger et humoristique, mon but est de mettre en lumière la face
se pose la question à savoir si ce qu’il a devant les yeux est vrai ou non », mentionne la photographe. UN PROJET « ROUX-SSEMBLEUR » En interviewant chacun des roux qu’elle a photographiés, Anthea Pokroy, en plus de constater qu’environ 90 % d’entre eux ont connu l’intimidation et la moquerie, a été surprise de voir à quel point il y avait un enthousiasme pour ce projet, un sentiment de fierté et un désir de communauté, de partage. Bref, les roux aiment se retrouver en gang pour discuter des anecdotes de leur vie de roux, tout comme les nouvelles mamans trouvent une oreille plus attentive auprès de leurs semblables pour discuter d’épisiotomie et d’allaitement. Au pays des compagnons d’infortune, rien n’est plus normal. EXPLOREZ LA COLLECTION D’ANTHEA POKROY AU URBANIA.CA/ROUX
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Dereck Damman,
Je pense que ma couleur de cheveux a permis de développer mon sens de l’humour. Maintenant, c’est aussi facile pour moi de faire des jokes que d’en être la cible. Bien réagir aux moqueries, quand on travaille dans une cuisine, c’est un préalable. Aujourd’hui, j’ai un garçon de deux ans, il est roux et il est déjà hilarant. Je suis persuadé qu’il va très bien s’en tirer dans la vie.
chef à la Maison Publique
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Viateur Michaud,
Je m’appelle Viateur, je suis gaucher et je suis roux. Durant mon enfance à Saint-Pascal-deKamouraska, je n’ai pas eu le choix d’apprendre à me battre et, oui, à me servir parfois de mes poings pour qu’on arrête de m’écœurer. J’ai même déjà cassé la gueule du gars le plus fort de l’école… Disons que ça m’a permis d’établir ma notoriété. Aujourd’hui, je ne regrette pas les embûches que j’ai connues dans ma vie. Je suis toujours aussi combatif et je suis un gars extrêmement positif. Si j’avais connu une vie douillette, je n’aurais pas appris à me battre et à relever des défis.
architecte
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REPORTAGE
On a eu une idée conne. On s'est dit : « Et si on prenait un non-roux, qu'on lui teignait les cheveux en roux et qu'on l'envoyait dans la grande jungle de la vie, il pourrait nous raconter à quel point c'est horrible d'être roux ? » Évidemment, la personne toute désignée pour se faire dire qu'elle était volontaire était notre fidèle reporter Frédéric Guindon. Voici son récit. texte : frédéric guindon // illustration : samuel cantin (momentsseuls.blogspot.com)
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e ne suis pas roux. Je ne l'ai jamais été. En fait, je ne me suis même jamais teint les cheveux de quelque couleur que ce soit. Même pas en vert dans le temps où Green Day, Offspring et les chemises de garagiste avec un petit nom brodé au-dessus de la pochette à Craven A étaient à la mode. Mais selon ce qu'on m'a appris (et je refuse toujours d'y croire), les roux ressentent de l'ostracisme, sont victimes de préjugés et leur vie n'est vraiment pas facile, surtout quand ils sont jeunes. J'en aurai le cœur net. Je vais devenir roux pendant un mois afin de tester leur supposé calvaire. Un peu comme quand le Journal de Montréal avait peinturé un de ses journalistes en Noir pour qu'il vive le racisme au quotidien, mais en moins toton.
4 JANVIER, 14 H : TRANSFORMATION EXTRÊME Par un pas beau vendredi après-midi, je me rends au Studio M & W situé sur la rue McGill, dans le Vieux-Montréal. En marchant, je trouve ça rigolo, parce que je réalise que ça doit faire 15 ans que je ne me suis pas fait jouer dans les cheveux de façon professionnelle. À partir de l'adolescence, je me suis toujours fait couper les cheveux dans des partys pour le lol, ou par des amoureuses pour le love. Mais jamais par des personnes possédant des diplômes dans le domaine du cuir chevelu. J'entre dans le salon, et j'ai un choc : c'est chic. Mes souvenirs de Bérangère sur le boulevard Cartier à Laval-des-Rapides sont relégués aux oubliettes. En 2013, on accueille les clients d'un salon de coiffure avec des pantoufles, une robe de chambre et une coupe de vin rouge. « Bienvenue au 21e siècle » que je me dis, et me dirige déjà vers la chaise qu'on m'assigne pour le grand bouleversement. Stephan W, mon coiffeur / peintre en cheveux, ne m'explique pas les différentes teintes que je pourrais choisir. Il m'annonce qu'il a déjà sélectionné la teinte parfaite et que ça l'amuse beaucoup de faire ça, parce que d'habitude, aucun gars ne veut volontairement devenir roux. Là, il va se payer la traite. Il ouvre son grand catalogue Prismacolor, se rend au chapitre consacré au orange et me pointe l'échantillon qui fait le plus mal aux yeux : celui de la couleur qu'avait Youppi quand les Expos sont allés le chercher au magasin des mascottes, orange fluo cône estival d'autoroute. Je ne pense pas qu'il a essayé de trouver le meilleur match avec le brun complexe de mes yeux ou le rosé délicat de mes joues. Je pense qu'il a juste pris la couleur la plus pétante parce qu'il veut qu'il m'arrive des affaires comiques. C'est correct. Il sait ce qu'il fait. Sans perdre de temps, il sort ses pinceaux et ses pots de peinture et il se met à me tartiner la tête. Et pour vrai, je trouve ça très drôle. J'ai l'impression d'avoir du dentifrice dans le fond de la tête. C'est froid et ça sent fort. Mais le plus drôle, c'est quand Stephan sort ses petits pinceaux pour me faire les sourcils. « Tu vas pas me faire les sourcils » est ma question. « Oui, je vais te faire les sourcils » est sa réponse. Il me fait les sourcils. L'opération ne dure qu'une trentaine de minutes, et ensuite, je dois attendre que la couleur imprègne mes cheveux. J'en profite pour immortaliser le moment pour les chanceux qui suivent Urbania sur Instagram. Cela devient la photo la plus likée depuis qu'on a ouvert notre compte : preuve que les roux ne sont, comme je le crois, absolument pas des victimes. Par contre, ils font d'excellentes bêtes de foire. Après une petite séance de lavage et de séchage, je suis officiellement roux. La moitié du salon de coiffure est pliée en deux en me regardant et en me pointant du doigt. OK, j'ai peut-être surestimé la vie des roux. Je remercie tout le monde et je pars affronter le monde extérieur. Ma collègue Joanie me tient la porte pour sortir. Je m'élance sur le trottoir, la tête haute, fier comme un paon, et la PREMIÈRE personne que je croise part à rire en me voyant. Ça va être un mois d'enfer.