Fr n°304

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Islam: 13 siècles de califat

La Turquie frappée par la sécheresse

CULTURE13

TURQUIE09 TURQUIE

Des Turcs à la Coupe du monde SPORT15

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 N° 304 Prix : 2,5 €

WWW.ZAMANFRANCE.FR

HSYK,MIT :

CES LOIS QUI INQUIÈTENT L’OPINION TURQUE Un projet de loi du gouvernement proposant de donner des pouvoirs plus importants aux Services de renseignement nationaux (MIT) avait fait polémique en Turquie. Une Commission parlementaire a approuvé l’amendement de 15 articles de cette loi. Mais la dernière version du texte inquiète encore. -ALI ASLAN KILIÇ TURQUIE 05

L’électoralisme à destination des musulmans

A un mois des élections municih pales, droite et gauche font déjà feu de tout bois électoral. Y compris en

versant dans le registre électoraliste communautaire, comme l’illustrent les déclarations de Hollande et Copé à l’attention des Français de confession musulmane. hFOUAD BAHRI FRANCE 02-03

PERSONNALITÉS TURQUES SUR ÉCOUTE :

LES PROCUREURS S’EXPLIQUENT

ERDOGAN ÉCLABOUSSÉ PAR UN ENREGISTREMENT TÉLÉPHONIQUE Des conversations attribuées au Premier ministre turc et à son fils, dans lesquelles Erdogan lui demande de transférer une importante somme d’argent liquide, ont semé le trouble. L’opposition a demandé la démission d’Erdogan.

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La Turquie a eu du mal à dormir si l’on en croit l’effervescence qui a touché les réseaux sociaux. Lundi 24 février au soir, la diffusion sur Internet de plusieurs conversations attribuées au Premier ministre, Tayyip Erdogan, et à son fils, Bilal Erdogan, a en effet tenu en haleine la classe politique et les internautes. C’est la première fois qu’Erdogan est directement mis en cause dans une affaire de

corruption. L’enregistrement qui a été diffusé sur Internet fait état de plusieurs conversations qui ont eu lieu le 17 décembre 2013, le jour où les fils de trois ministres ont été mis en examen pour corruption et détournement de fonds. Une voix fatiguée, attribuée à Tayyip Erdogan, demande à son fils de rester sur ses gardes et de se débarrasser au plus vite de l’argent liquide à hauteur de 30 millions d’euros. -TURQUIE 05

Pourquoi l’AKP est-il toujours plébiscité ? -14 Turquie : l’impuissance de l’Occident -14 EDITO EMRE DEMIR

Erdogan en chute libre ? -02

Zaman Okur Hattý: 01 42 00 19 36

HÉLÈNE FLAUTRE : «M. Erdogan

a une vision binaire, avec des bons et des méchants» Hélène Flautre est députée européenne et coPrésidente de la Commission Parlementaire Mixte UE-Turquie. Partisane de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, elle a exprimé récemment ses inquiétudes sur la tournure des évènements dans ce pays. Dans un entretien accordé à Zaman, elle revient sur les réactions du gouvernement face aux enquêtes anti-corruption et sur la situation actuelle, qu’elle qualifie de «terrain dangereux». -SELÇUK GÜLTASLI TURQUIE 06

Selon les journaux Star et Yeni Safak, deux procureurs en charge de la lutte contre le terrorisme auraient mis sur écoute plus de 7 000 personnes. Dans le cadre de leur enquête sur «l’organisation terroriste Selam», Adem Özcan et Adnan Cimen ont obtenu plusieurs autorisations des juges pour pouvoir intercepter les conversations téléphoniques de plusieurs personnalités turques et ce, depuis 2011. -SAMI KILIÇ TURQUIE 07

Présidentielles algériennes 2014 : Un scrutin pour rien ? En avril auront lieu les élections présidentielles algériennes... Et h c’est officiel, le président Bouteflika

est candidat à un quatrième mandat à la tête de l’Etat algérien. Considérablement affaibli (à 76 ans, il sort d’un accident vasculaire cérébral), son dernier discours en public remonte à mai 2012 à Sétif. Pour le journaliste et essayiste Akram Belkaïd, cette candidature poussée par le «système» est une très mauvaise nouvelle pour le pays. Il l’explique dans cet entretien accordé à Zaman France. hFARIDA BELKACEM INTERNATIONAL 12

Le défi islamiste des Européens

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Alvaro de Vasconcelos, est l’ancien directeur de l’Institut d’Études de Sécurité de l’Union européenne et l’auteur de l’ouvrage La vague démocratique arabe, l’Europe et la question islamiste, aux éditions L’Harmattan. Dans un double contexte politique marqué par la réussite de la transition politique menée par Ennahda en Tunisie et le retour de la dictature en Egypte, Zaman France l’a interrogé sur la position européenne concernant la question islamiste. hFOUAD BAHRI EUROPE 10


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Quand les politiques français déterrent l’électoralisme musulman

EDITO EMRE DEMIR

Erdogan en chute libre ? La diffusion sur les réseaux sociaux d’une série de conversations attribuées au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a chamboulé l’agenda politique de la Turquie. Ces écoutes téléphoniques, dont la véracité d’une partie (Habertürk) a été reconnue par le Premier ministre, révèlent l’ampleur des pressions sur les médias et sur les partis d’opposition. Mais le dernier enregistrement audio qui dévoile des conversations attribuées à Erdogan et son fils Bilal, dans lesquelles le Premier ministre lui demande de transférer une importante somme d’argent liquide, a semé le trouble. Face à l’ampleur des révélations des écoutes téléphoniques, Erdogan tente d’étendre son contrôle sur la justice et les services secrets turcs. Mais plus Erdogan tente de prendre le contrôle, plus il semble le perdre. Les lois sur internet, le Conseil supérieur de la magistrature et les services de renseignement visent principalement à étouffer ces fuites qui sont liées au deuxième dossier d’enquête du 25 décembre. Erdogan essaie de convaincre les différentes couches de la société en se cachant derrière la théorie d’une attaque de l’«Etat parallèle». Le mouvement Gülen, objet déjà de toutes sortes de théories du complot, est devenu le bouc émissaire pour légitimer ces mesures. Mais chaque décision du gouvernement pour étendre le contrôle de l’Etat sur la société turque affaiblit ces allégations. Malgré son immense popularité, Erdogan représente un gouvernement qui a perdu sa légitimité. Le pays souffre d’une polarisation extrême à cause du discours de haine tenu régulièrement par Erdogan : une partie de la société pense que les allégations de corruption sont réelles et qu’elles méritent d’être vérifiées au lieu d’être étouffées. L’autre partie suit la ligne du gouvernement en disant que toutes les preuves sont fabriquées par une coalition de puissances étrangères et ses collaborateurs à l’intérieur du pays. Il n’existe ni un terrain de réconciliation, ni une justice indépendante à laquelle on peut faire confiance. La Turquie, qui était un acteur régional important et la star des économies émergentes, est en train de faire marche arrière à toute vitesse. Ce qui a été réalisé au cours des dix dernières années au niveau de la croissance économique, du combat contre la tutelle militaire, etc. est impressionnant. Mais ce bilan positif a été quasiment détruit depuis 2011. e.demir@zamanfrance.fr

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

A un mois des élections municipales, droite et gauche font déjà feu de tout bois électoral. Y compris en versant dans le registre électoraliste communautaire, comme l’illustrent les déclarations de Hollande et de Copé à l’attention des Français de confession musulmane. FOUAD BAHRI PARIS Les échéances municipales approchent à grand pas. Et les états-majors politiques multiplient les gages électoraux. Dernière cible en date, l’électorat musulman. A gauche comme à droite, les signaux envoyés à destinations de potentiels électeurs musulmans ne sont pas passés inaperçus. Le président Hollande a ainsi inauguré mardi 18 février deux stèles de marbre vert installées sur un mur de l’édifice, qui rendent hommage aux «soldats musulmans qui ont combattu pour la France» au cours des deux grandes guerres mondiales (191418; 1939-45). Une initiative qui avait été déjà amorcée en 2012 par Nicolas Sarkozy au cours de son précédent mandat.

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L’INQUIÉTUDE DU PS Cette inauguration a été l’occasion pour le président de la République Hollande de revenir sur les rapports entre islam et République. «S’en prendre à une mosquée – comme encore la semaine dernière à Blois –, comme s’en prendre à une église, à une synagogue, à un temple, c’est s’attaquer à l’ensemble de la communauté nationale». «C’est au nom de (la) laïcité qu’est reconnu un islam de France. Un islam qui porte un message de tolérance, d’ouver-

ture et de solidarité. Un islam qui ait ses lieux et ses imams en parfaite harmonie avec les valeurs que nous partageons tous. Un islam qui ait une représentation et une place pour dialoguer avec l’État. Un islam pleinement compatible avec les valeurs de la République», a-t-il déclaré. Cette inauguration à un mois du premier tour des municipales, a été commentée par certaines publications comme Le Monde comme un premier appel du pied du PS vers un électorat, traditionnellement acquis à la gauche mais qui pourrait changer son fusil d’épaule, après la série de mesures sociétales votées par le gouvernement Ayrault, notamment le mariage pour tous, sans oublier la nos compatriotes de confession mupolémique sur la théorie du genre à sulmane, qui peuvent être en phase avec les valeurs que je propose : la lil’école. berté économique, l’autorité de l’Etat COPÉ ET LE VOTE MUSULMAN et l’égalité des chances», a déclaré le De quoi susciter des inquiétudes patron de l’UMP. Pour Copé, il s’agit pour les élus locaux des grandes mé- de saisir l’occasion du mécontentropoles urbaines où vivent d’impor- tement des familles musulmanes tantes communautés musulmanes. après l’affaire de la théorie du genre D’autant que sur ce terrain, la com- qui a poussé des parents d’élèves à pétition a déjà commencé à droite. retirer leurs enfants de l’école, un La semaine dernière, Jean-Fran- jour par mois, et de la dynamique çois Copé dans le même quotidien lancée par la Manif pour tous sur le national, assumait vouloir proposer même thème. à ses «compatriotes de confession musulmane» une option politique DES ENJEUX POLITIQUES DIFFÉRENTS pouvant faciliter leur intégration. Pour autant, si le risque d’un désen«L’UMP tient un discours de vérité à gagement des électeurs de gauche

Le président Hollande a rendu un hommage aux musulmans morts pour la France

est possible, celui d’un report des voix vers l’UMP l’est beaucoup moins. Pas sûr que les électeurs français de confession musulmane aient oublié ou digéré les attaques innombrables de l’UMP contre eux, de Brice Hortefeux à Claude Guéant sans oublier les fameux pains au chocolat de Jean-François Copé. Et même si 86 % de cet électorat a voté Hollande aux présidentielles, on sait qu’une portion importante de ce vote était davantage un vote de sanction que d’adhésion. Par ailleurs, outre la diversité électorale émergente des musulmans, les enjeux locaux sont autrement différents et n’engagent pas les mêmes ressorts politiques. PHOTO DE LA SEMAINE

De violents affrontements ont éclaté samedi aprèsmidi dans le centre de Nantes à la fin d’une manifestation qui a réuni des dizaines de milliers de personnes contre le projet d’aéroport de Notre-Damedes-Landes. Selon la préfecture, «mille manifestants radicaux prêts pour le combat» s’étaient joints aux marcheurs.

...ET UNE MAUVAISE

UNE BONNE...

Les députés français ont adopté dans la nuit de lundi à mardi une proposition de loi socialiste visant à réduire les abus des stages en entreprises pour les collégiens et les étudiants. Les groupes de gauche, y compris celui du Front de gauche, ont voté cette proposition présentée par la députée PS Chaynesse Khirouni. Les

groupes UMP et UDI (centriste) ont voté contre. Ce texte, le cinquième sur ce sujet en huit ans, est soutenu par le ministre du travail, Michel Sapin, et Geneviève Fioraso, sa collègue de l’Enseignement supérieur. Il reprend un engagement du président François Hollande pendant sa campagne électorale.

L’OMS craint que l’obésité ne devienne la norme en Europe L’obésité est si répandue en Europe, en particulier chez les jeunes, qu’elle risque d’y devenir «une nouvelle norme», met en garde l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport publié lundi. Selon cette étude menée dans 53 pays, jusqu’à 27 % des adolescents de 13 ans et 33 % des enfants

de onze ans sont en surpoids sur le continent. L’OMS salue toutefois les efforts de certains gouvernements, notamment en France et dans les pays scandinaves, qui sont parvenus à endiguer le phénomène grâce à une série de mesures comme la promotion des fruits et légumes ou la taxation de certains aliments.

NOUVELLE

L’Assemblée française veut réduire les abus des stages en entreprise


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28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

EL YAMINE SOUM :

«La fabrique du communautarisme est le fait des politiques» Enseignant à l’université Sorbonne Nouvelle et auteur de l’ouvrage Les nouveaux défis de l’éducation aux éditions Les points sur les i, El Yamine Soum est aussi un politologue spécialisé sur les dynamiques citoyennes en lien avec la diversité. Pour Zaman France, il revient sur la question de l’électoralisme des partis à l’attention des électeurs de confession musulmane. FOUAD BAHRI PARIS L’inauguration par Hollande de stèles en hommage aux soldats morts pour la France a été interprétée par certains comme un appel du risant les valeurs familiales, l’économie de marché. pied de la gauche vers un électorat qui lui est tra- Un appel qui peut surprendre quand on se souvient ditionnellement acquis mais qui pourrait changer de la virulence des sorties politiques de l’UMP contre ce même électorat ? d’opinion. Partagez-vous cette analyse ? Il faut nuancer l’idée que c’est un électo- Oui, c’est le même Copé qui stigmatirat compact. Nous n’avons pas d’études sait les Français musulmans à travers ses sur le vote au niveau local. Les tendances sorties concernant le pain au chocolat. analysées concernent essentiellement le Dans son courant politique, monsieur scrutin présidentiel de 2012 et compte Goasguen a tenu des propos honteux, tenu de la stigmatisation par Nicolas Sar- du même type, sans pour autant être kozy des musulmans, il y a clairement eu condamné ou exclu de son parti. Lorsque un vote de rejet de ce dernier et de ses monsieur Goasguen dit : «Cette Shoah idées. Ce que nous pouvons noter, c’est terrible qu’on n’ose plus enseigner dans la montée en puissance de l’intérêt pour les lycées tant on a peur de la réaction cet «électorat» qui des jeunes musulmans qui n’existe pas comme ont été drogués dans les un seul homme. Le mosquées», il stigmatise vote n’est pas lié à une population. Doit-on lui l’appartenance mais à d’autres enjeux. L’installation des musul«La droite a conscience qu’elle devra faire un mans en France et leur gros travail pour se réapproprier cet électorat» embourgeoisement conduisent naturellement à renforcer leur citoyenneté. Au- rappeler que de nombreux soldats de jourd’hui, on peut les retrouver dans la confession musulmane ont combattu le majorité des corps de métiers en France nazisme ou qu’Alger était la capitale de ce qui est une forme de révolution silen- la France libre durant la Seconde guerre cieuse, masquée par un discours teinté mondiale, avec une Grande mosquée de de stigmatisation et de victimisation chez Paris refuge pour de nombreux juifs au certains acteurs associatifs notamment. moment de la déportation ? Ce qui est Quels sont les sujets de préoccupation majeurs de important à analyser, c’est de voir comment de plus en plus un communautacet électorat ? risme par le haut est pratiqué par les resConcernant les sujets sociétaux, ils sont ponsables politiques qui ne voient plus marginaux chez les musulmans, sauf des citoyens, mais des Juifs, des Arméchez les acteurs les plus visibles qui niens, des pieds-noirs, des homosexuels, souhaitent, pour certains, les mettre au des musulmans… cœur du débat de manière à rabattre des voix à droite et à l’extrême droite. Nous Le communautarisme est institué par les élites polisommes dans une démocratie de l’émo- tiques ? tion et donc, notamment par les réseaux La fabrique du communautarisme sociaux, certains tentent de manipuler est le fait des responsables politiques les opinions sans construction politique eux-mêmes. Les lois mémorielles sont réelle. Les préoccupations essentielles d’ailleurs la preuve de cette dérive anconcernent l’emploi, l’éducation, le loge- ti-républicaine. Il faudrait les abroger ment, les discriminations et c’est aussi pour pouvoir reconstruire l’idée d’une en cela que l’on peut parler d’une forme citoyenneté républicaine. Il y aussi des de déception vis-à-vis d’une politique acteurs, associations qui pensent utigouvernementale qui manque de cou- liser la religion comme une ressource, rage et de justice, cette justice qui était pour leur carrière, comme l’était avant la un mot-clé de la campagne de François figure du beur, ou la diversité. C’est une Hollande. Il y a cette idée récurrente erreur, ce sont des feux de paille car, une qu’il aurait fallu s’attaquer aux ques- fois de plus, il n’y a pas de spécificité mution sociales avant les enjeux de société, sulmane, mais bien des problématiques d’autant plus que certaines déclarations universelles. du ministre de l’Intérieur concernant les Un désengagement des électeurs musulmans de musulmans rappellent celles de la droite gauche peut-il donc profiter à la droite ? A d’autres ? de Nicolas Sarkozy. Ou à l’abstentionnisme ? On a vu également Copé interpeller directement le Ce qui est sûr, c’est que le clientélisme même électorat et pour les mêmes raisons, en valo- existant au niveau local ne changera

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Le scrutin présidentiel de 2012 avait démontré un net rejet de l’UMP de Sarkozy et de Copé.

pas beaucoup les équilibres. Nombreux sont les maires de gauche comme de droite à négocier avec des acteurs religieux – quels qu’ils soient – notamment à propos de la question des lieux de cultes, y compris en violant la lettre et l’esprit de la loi de 1905. Il y a donc des enjeux locaux pour comprendre ce qui va se produire. Il y aussi de nombreux candidats qui sont les descendants des immigrés originaires de l’empire colonial français. Il sera intéressant d’analyser leurs parcours tout en surveillant le score des listes alternatives qui peuvent, sans prendre le pouvoir, obtenir des résultats intéressants. En revanche, au niveau d’autres scrutins, régionaux ou nationaux, dans cette démocratie de l’émotion, il suffit de jouer sur quelques signaux pour faire basculer les opinions et je pense que la droite a conscience que si elle veut revenir en 2017, elle devra faire un gros travail pour se réapproprier cet électorat qui est désormais une donnée clé dans l’hexagone, comme le sont les latinos aux USA.

El Yamine Soum est l’auteur de l’ouvrage Les nouveaux défis de l’éducation aux éditions Les points sur les i.


04 SOCIETE

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«Le Maroc est une maîtresse [...] dont on n’est pas particulièrement amoureux mais qu’on doit défendre» Ces propos, prêtés à un ambassadeur de France basé aux Etats-Unis par l’acteur espagnol Javier Bardem, producteur d’un documentaire sur le Sahara occidental, ont été publiés dans le Monde le 20 février. Des propos dénoncés par Rabat et fermement démentis par Paris.

Une Alliance franco-turque au service du droit L’Alliance des juristes franco-turcs (AJFT), créée il y a deux semaines, a organisé une soirée d’inauguration, vendredi 21 février 2014. L’association s’est assigné quatre objectifs : le networking (réseautage), l’orientation, le conseil et l’organisation de colloques.

SAMI KILIÇ PARIS C’est dans une ambiance tamisée du restaurant Toro, dans le 1er arrondissement de Paris, que des juristes de tous poils se sont bousculés pour participer au premier «afterwork» de l’AJFT. Avocats, juristes d’entreprise, étudiants et doctorants, ils étaient une vingtaine à venir écouter les projets de la première association du genre. La vice-consule de Turquie à Paris, Yasemin Celbis, a également fait le déplacement.

Les dirigeants de l’AJFT : Axelle Habibe Keles, Ahmet Kaya, Selçuk Demir et Mehmet Cem Ceylan.

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DONNER DES CONSEILS À LA JEUNESSE L’AJFT est ambitieuse malgré un constat accablant : les Français d’origine turque traînent la réputation d’être les derniers de la classe en termes d’études supérieures. La présidente, Saliha Alirkiliçarslan, élève-avocate, se montre optimiste : «Au niveau de la rédaction en français, on a des problèmes certes, mais tout est une question de méthodologie. On est là pour leur donner des conseils dès le lycée. On peut les aider ensuite dans les domaines du droit en fac». Le viceprésident, Mehmet Cem Ceylan, qui prépare l’examen du barreau, a exposé les quatre domaines d’intervention de leur association : la mise en place d’un réseau, l’orientation des étudiants souvent perdus dans la forêt des spécialisations et des métiers en droit, l’organisation de colloques et l’accompagnement juridique. Pour l’heure, la structure se focalise sur la constitution d’un carnet d’adresses. Condition sine qua non pour se déployer plus tard. La visibilité, en effet, est ce qui manque terriblement aux jeunes issus de l’immigration. Qui dit visibilité, dit modèle. «On aura un

listing sur les métiers et les matières, qui est avocat, qui est notaire, qui est fiscaliste, etc.», assure le jeune homme.

LA PÊCHE À L’INFORMATION Justement, la soirée a permis aux uns et aux autres de faire connaissance et de s’informer. Osman glanait ainsi des informations sur le concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature tandis qu’un autre participant essayait de saisir les nuances entre un jugement, un arrêt et une décision. Ahmet, quant à lui, faisait un topo sur les évolutions jurisprudentielles en droit public des affaires… Maître Axelle Habibe Keles, secrétaire de l’association, a présenté la newsletter et le blog, www.assoajft.wordpress.com. Le droit reste une matière technique et l’AJFT a vocation à le rendre plus intelligible. La première lettre d’information traite ainsi des règles en matière de visa entre la Turquie et l’Union européenne, de la décision du Conseil d’Etat dans l’affaire Dieudonné ou encore du contrôle d’identité au faciès. Une conférence est d’ores et déjà prévue pour fin mars. Maître Selçuk Demir, secrétaire-ad-

joint, parlera des perspectives juridiques de l’entrée de la Turquie dans l’UE.

«LE DROIT, RIEN QUE LE DROIT» L’association se veut totalement indépendante des courants politiques, religieux et communautaires. «Le droit, rien que le droit» lance Demir. L’origine turque n’est pas en soi significative, il faut simplement s’intéresser aux trois sujets : le droit, la France et la Turquie. C’est le trésorier, Ahmet Kaya, doctorant en droit public, qui a joué le rôle ingrat : parler du financement. La cotisation reste modeste, 10 euros par an. «Vous pouvez faire des dons, mais vous n’êtes pas obligés !», a-t-il lancé en bon juriste, provoquant le sourire de ses confrères. Confrères qui ont la passion du droit chevillée au corps et qui ne lésineront pas sur les moyens. Comme le disait Jean Carbonnier, le plus grand civiliste français du XXe siècle, les juristes sont des «pessimistes actifs [qui] ont pu inventer quelques solutions, plutôt moins injustes que justes, afin de rendre tolérable la vie en société». Cela mérite largement un consentement libre et éclairé…

Saliha Alirkiliçarslan, présidente de l’AJFT.

Succès des Olympiades turques à Strasbourg MEHMET DINÇ STRASBOURG La demi-finale du «Festival international de langue et de culture turques» s’est déroulée le week-end dernier à Strasbourg, dans la bonne humeur. C’est la 12e édition de ce que l’on appelle aussi les Olympiades. Le slogan de cette année était «L’union des coeurs». Mille personnes étaient au rendezvous. 100 élèves de Mulhouse, Colmar, Metz, Nancy et Haguneau concouraient. Etaient présents notamment le maire de Strasbourg Roland Ries, le maire-adjoint Olivier Bitz, les députés François Loos et Jean-Paul Mau-

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rer, le député europpéen André Schneider, le maire de Wahlenheim Paul Adam, la candidate à la mairie de Schiltigheim Danielle Dambach, le vice-consul turc Can Mutluer. Des chansons, des poèmes et des pièces bilingues ont été récités. La soirée a débuté par la prestation des étudiants du conservatoire de Strasbourg : «Üsküdar’a Gideriken». Ils ont ensuite chanté «Yeni bir dünya», la chanson officielle du festival. A la fin de la soirée, les personnalités politiques présentes ont prononcé des discours de remerciement. La finale du concours aura lieu à Paris le 6 avril.


05 TURQUIE

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

Ecoutes téléphoniques : l’opposition appelle Erdogan à démissionner Des conversations attribuées au Premier ministre turc et son fils, dans lesquelles Erdogan lui demande de transférer une importante somme d’argent liquide, ont semé le trouble. L’opposition a demandé la démission d’Erdogan. Face à l’ampleur de ces révélations, les trois principaux partis d’opposition ont appelé le Premier ministre turc à se retirer. Les propos employés sont d’une rare virulence.

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La Turquie a eu du mal à dormir si l’on en croit l’effervescence qui a touché les réseaux sociaux. Lundi 24 février au soir, la diffusion sur Internet de plusieurs conversations attribuées au Premier ministre, Tayyip Erdogan, et à son fils, Bilal Erdogan, a en effet tenu en haleine la classe politique et les internautes. C’est la première fois qu’Erdogan est directement mis en cause dans une affaire de corruption. L’enregistrement qui a été diffusé sur Internet fait état de plusieurs conversations qui ont eu lieu le 17 décembre 2013, le jour où les fils de trois ministres ont été mis en examen pour corruption et détournement de fonds. Une voix fatiguée, attribuée à Tayyip Erdogan, demande à son fils de rester sur ses gardes et de se débarrasser au plus vite de l’argent liquide à hauteur de 30 millions d’euros. Les appels se succèdent jusqu’à tard le soir pour savoir si l’opération a été terminée.

L’OPPOSITION POUSSE ERDOGAN VERS LA SORTIE Alors que le procureur général d’Ankara vient de lancer une enquête préliminaire sur les enregistrements qui circulent sur Internet, les partis d’opposition ont redoublé leurs attaques afin de pousser Erdogan vers la sortie. Celui-ci a d’ores et déjà balayé d’un revers de la main les rumeurs et les invite au retrait. Le CHP, principal parti d’opposition, a exigé la démission d’Erdogan dès les pre-

mières heures qui ont suivi la divulgation des enregistrements. Le lendemain, le président, Kemal Kiliçdaroglu, s’est dit convaincu de la véracité des conversations. “Il parle d’un montage mais ne dément pas les propos”, a-t-il avancé. “Autant le mont Agri, le mont Erciyes sont une réalité, autant ces dialogues le sont également”, a-t-il poursuivi. “Comment fais-tu pour ne pas perdre la face ? N’astu pas honte ? Tout le monde est au courant, tu es le seul à ne pas vouloir comprendre”, lui a-t-il lancé. Kiliçdaroglu a rappelé les propos du ministre Erdogan Bayraktar qui avait claqué la porte du gouvernement peu après les révélations du 17 décembre 2013 en désignant directement le Premier ministre comme seul responsable. Il l’a taxé de “voleur en chef”. Le leader du CHP a également ironisé sur la sortie d’Erdogan qui avait déclaré en décembre que “l’habitude du vol passe du père au fils et non du fils au père”; “effectivement, il nous a expliqué ce qui allait se passer”, a-t-il dit, en ajoutant qu’il était sincèrement désolé pour Bilal Erdogan, victime de son père. “Il lui reste une seule chose à faire, a-t-il terminé, soit fuir le pays soit démissionner”...

AU MHP, ON DÉNONCE UNE COMBINE EN FAMILLE Le MHP, la droite nationaliste, n’y est pas non plus allé avec le dos de la cuillère. Le leader Devlet Bahçeli avait préféré attendre

Après la découverte des enregistrements, les partis d’opposition ont exigé le départ d’Erdogan.

le lendemain pour s’exprimer. Résultat : un communiqué au vitriol. Bahçeli a dénoncé une infamie, une combine en famille. “Si ces conversations se révèlent vraies, il devient impossible de parler de l’humanité, de la crédibilité, de la résolution, de la chasteté voire de la foi de celui qui occupe le poste de Premier ministre”, a-t-il écrit. Il a exhorté Tayyip Erdogan à ne pas se cacher derrière une quelconque “attaque parallèle” et à reconnaître la triste vérité, celle d’un gouvernement “qui a perdu sa légitimité, sa légalité, sa moralité et sa représentativité”. Le président du MHP a appelé le procureur général près la Cour de cassation à diligenter une enquête approfondie sur les accusations. Une référence qui est loin d’être banale dans un pays où ce haut magistrat a été, durant de longues années, le fossoyeur des partis politiques. Enfin, le BDP,

parti pro-kurde, a également demandé à Erdogan de quitter le pouvoir “sans entraîner le pays dans le chaos”. Selahattin Demirtas, co-président du parti, a rappelé qu’ “il suffisait de 20 minutes pour savoir si, techniquement, les voix sont celles du Premier ministre et de son fils”. Il a estimé que l’argument du montage était une facilité et qu’il était loin d’être crédible. Le Premier ministre a d’ores et déjà promis de... ne pas démissionner. Mieux, il a rappelé que la technologie permettait de faire tous les montages possibles. «On va prochainement vous démontrer comment on fait des montages», a-t-il déclaré sans autre précision. Pour l’heure, il s’est contenté de dénoncer la complicité entre les partis d’opposition et l’ «outre-atlantique». Autre manière de pointer encore une fois Fethullah Gülen. Une échappatoire de plus en plus commode...

Loi sur le MIT : des amendements, mais l’inquiétude demeure

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ALI ASLAN KILIÇ ANKARA Un projet de loi du gouvernement proposant de donner des pouvoirs plus importants aux Services de renseignement nationaux (MIT) avait fait polémique en Turquie. Dans le cadre des nouvelles mesures, les procureurs devront informer le MIT s’ils souhaitent mener une enquête sur son personnel, le sous-secrétaire du MIT sera jugé par la Cour de cassation et non plus par la Cour d’Assises. Le MIT aura également un accès facilité aux archives et aux bases de données de chaque ministère et pourra recueillir toutes les informations qu’il juge nécessaires sur les citoyens. Un nouveau conseil sera créé pour coordonner le travail de collecte des renseignements. Ce conseil sera présidé par le sous-secrétaire du MIT et des civils pourront y participer, comme les directeurs et les managers d’entreprises privées. Enfin, le nouveau projet de loi introduisait des peines plus sévères en cas de publication de documents confidentiels appartenant au MIT.

PLUS DE POUVOIRS POUR LE MINISTRE DE LA JUSTICE La loi autorise le sous-secrétaire d’Etat à la Justice à être élu président du HSYK et confère notamment au ministre de la Justice le pouvoir de réorganiser la composition des trois chambres du Conseil et d’initier des procédures disciplinaires contre les membres du HSYK. Le secrétaire-général et ses adjoints, le président du comité des inspecteurs et ses adjoints, tous les inspecteurs et l’ensemble du personnel administratif qui travaillent pour le HSYK seront démis de leurs fonctions, d’après le nouveau texte. De nouveaux employés seront nommés à ces postes par le ministre de la Justice dans les 10 jours. La loi empêche le personnel limogé de chercher à obtenir une réparation légale.

15 ARTICLES AMENDÉS Une Commission parlementaire a approuvé lundi 24 février une proposition d’amendement de 15 articles de la loi sur le MIT. Mais la dernière version du texte inquiète encore les experts juridiques et les partis de l’opposition. Le gouvernement a proposé plusieurs amendements, mais leur contenu est loin de faire l’unanimité. L’exécutif a ainsi proposé que le MIT n’ait plus besoin d’une décision préalable de la part d’un conseil de juges avant de procéder à des écoutes téléphoniques. En d’autres termes, l’approbation d’un seul juge d’une Cour d’Assises et désigné par le Haut Conseil de la magistrature (HSYK) suffira pour que le MIT puisse enregistrer des conversations téléphoniques. De plus, le MIT pourra lancer des

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Gül promulgue la loi sur le HSYK Le président turc Abdullah Gül a promulgué le mercredi 26 février la loi controversée sur le Haut Conseil de la magistrature (HSYK) qui donne plus de pouvoirs au gouvernement et en particulier au ministre de la Justice sur l’appareil judiciaire. La loi avait été approuvée par le Parlement le 15 février dernier après un débat houleux et une bagarre entre députés de l’AKP et de l’opposition. La loi, objet de vives critiques, avait été soumise au président pour promulgation la semaine dernière. Le président disposait de 15 jours pour examiner le texte. Gül a précisé que les points qui posent problème pouvaient être revus par la Cour constitutionnelle.

opérations contre de potentielles menaces étrangères désignées par le Cabinet. Ce n’est pas la responsabilité du MIT qui sera engagée dans le cadre de ces opérations mais celle du pouvoir politique du pays, c’est-à-dire du gouvernement. Celui-ci a également amendé un article du texte qui aurait délégué au Premier ministre la charge du Conseil de coordination des services de renseignement (MIKK). Désormais, le sous-secrétaire du MIT présidera ce Conseil qui se réunira une fois tous les trois mois pour discuter des questions relatives aux services de renseignement. Le secrétaire-général du MIT, le chef des services de renseignement de l’état-major, les sous-secrétaires des ministères et La Commission des affaires internes a approuvé lundi février une proposition d’amendement de 15 articles de d’autres participants invités par le sous-secrétariat 24 la loi sur le MIT. du MIT participeront à ce Conseil. Les décisions du MIKK seront obligatoires pour toutes les insti- gouvernement a également amendé un article qui disposait que les employés du MIT pouvaient tutions publiques. uniquement être jugés par une cour pénale partiUN ACCÈS TOTAL AUX ARCHIVES ET AUX BASES DE DONNÉES culière d’Ankara. Désormais, les employés du MIT Le gouvernement a également décidé d’abaisser la pourront être jugés par d’autres cours pénales. peine maximum d’emprisonnement pour les journalistes qui publient des documents confidentiels «NOUS ALLONS VERS LA MONARCHIE» du MIT de 12 à 9 ans. La peine minimum de trois Ces amendements ont été accueillis par de vives ans pour le même délit reste la même. De plus, critiques de l’opinion publique et des partis de l’oples cours et les procureurs pourront uniquement position. Pour les critiques, le projet de loi donne demander au MIT des documents relatifs aux se- des pouvoirs extraordinaires au MIT relatifs aux crets d’Etat et aux espionnages. Le MIT aura un enregistrements et à l’immunité juridique des emaccès total aux archives et aux bases de données de ployés du MIT. «Nous allons vers la monarchie», chaque ministère et pourra recueillir toutes les in- a déclaré le député MHP Özcan Yeniçeri. Le texte, formations nécessaires sur un individu en particu- adopté par la Commission des affaires internes, lier. Le texte demande également aux entreprises sera transmis à la séance publique du Parlement privées de mettre à disposition les données de plus tard dans la semaine pour faire l’objet d’une leurs consommateurs et l’équipement technique discussion et d’un vote. Le gouvernement devrait lorsque cela est requis. De plus, les individus qui adopter la dernière version du texte rapidement, contribuent aux services de renseignement ainsi avant que le Parlement ne ferme pour permettre que les membres de leur famille bénéficieront de aux partis politiques de se préparer pour les élecmesures de protection avec l’accord du MIT. Le tions locales du 30 mars prochain.


06 TURQUIE HÉLÈNE FLAUTRE :

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

«M. Erdogan a une vision binaire, avec des bons et des méchants» Hélène Flautre est députée européenne et co-Présidente de la Commission Parlementaire Mixte UE-Turquie. Partisane de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, elle a exprimé récemment ses inquiétudes sur la tournure des évènements dans ce pays. Dans un entretien accordé à Zaman, elle revient sur les réactions du gouvernement face aux enquêtes anticorruption et sur la situation actuelle, qu’elle qualifie de «terrain dangereux». Dans une lettre au président Gül, Hélène Flautre avait déjà exprimé des inquiétudes fortes sur la situation politique de la Turquie.

SELÇUK GÜLTASLI Après avoir rencontré personnellement le premier ministre Erdogan lors de sa visite à Bruxelles, vous avez déclaré que vous n’aviez pas été convaincue par ses arguments... Face à des parlementaires européens qui ont la langue bien pendue, comme on dit, et parfois la dent dure, M. Erdogan a dû répondre à un flot de questions vives. Il faut l’en remercier. Tous les ministres ne s’adonnent pas à ce type d’exercice ! Mais j’ai dit en effet que je n’avais pas été convaincue. De quel point de vue ? M. Erdogan a essayé de nous dire qu’il n’y avait pas d’affaire sur laquelle enquêter en Turquie... Qu’il n’y avait qu’un seul problème, la présence d’un Etat parallèle dans la justice et dans la police. De ce point de vue, j’ai dit que mes collègues et moi n’avions pas été convaincus.

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Pourquoi la théorie d’un Etat parallèle ne vous semble-t-elle pas convaincante ? Certains parlent de l’existence d’un «Etat parallèle», comme on dit en Turquie, ailleurs, on parlerait de «lobbyistes», ou de «mouvements qui essaient de s’infiltrer», c’est une question d’approche. Quelle que soit l’approche et la réalité de ce phénomène, ce doit être explicité dans un cadre juridique clair. Ce qui est très inconfortable dans la situation actuelle, c’est que ces allégations sont lancées à la cantonade, en public, sans qu’il y ait la moindre démarche pour examiner leur véracité.

Mahir Zeynalov, originaire d’Azerbaïdjan et journaliste pour Today’s Zaman, a été expulsé de Turquie, à la suite de tweets anti gouvernementaux... Comment réagissez-vous ? Je suis chaque jour étonnée et parfois très choquée des méthodes employées au plus haut niveau de l’Etat en Turquie pour impressionner les journalistes et obtenir d’eux une forme d’auto-censure. Jusqu’à exiger parfois des rédactions le licenciement des journalistes. Cette dernière affaire, si elle est vérifiée, est un acte totalement illégal. Mahir Zeynalov a passé toute sa vie en Turquie, recourir ainsi à l’expulsion est une méthode inacceptable. On passe un cap supplémentaire dans la pression exercée sur la liberté de la presse. Depuis lontemps, le parlement européen exprime ses inquiétudes et dans son prochain rapport, il les réitérera. D’autant que chaque jour apporte un nouvel épisode dramatique pour l’Etat de droit en Turquie Devant les critiques proférées contre le projet de loi sur internet, le gouvernement a parlé d’un «lobby de la pornographie» ... C’est la négation même de la démocratie, de la liberté d’expression, du pluralisme. Il est devenu quasiment systématique pour le Premier ministre turc de tout expliquer par une vision binaire, avec des bons et des méchants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Pourtant les préoccupations sont fondées concernant cette loi.

Que pensez-vous de la façon dont est gérée l’affaire de corruption ? Tout le monde observe... Les mouvements massifs à l’intérieur de la justice et de la police ont évidemment à voir avec les enquêtes anti-corruption qui sont d’ampleur. Ces réaffectations et licenciements de personnels rompent la sérénité nécessaire à la justice pour travailler dans l’indépendance. Le plus grave, c’est que la confiance des citoyens envers les institutions est atteinte. Or, cette confiance est le fondement de l’État de droit !

péen, nous avons mis l’accent sur la loi sur le HSYK, qui a été mise en stand by pendant quelques temps. En revanche, d’autres changements ont été introduits. Comme cette loi sur l’internet par exemple. Le Premier ministre est dans une situation compliquée et fait dans la surenchère.

M. Erdogan avait promis aux parlementaires européens que tout serait mené conformément aux exigences de l’Etat de droit. Mais depuis, deux lois, l’une sur internet, l’autre sur la réforme du HSYK sont venues contredire cette affirmation... Le Premier ministre prend soin de rencontrer des responsables politiques européens déterminants dans la marche des relations entre l’Union européenne et la Turquie. C’est une très bonne nouvelle en soi. Ça montre que la Turquie et l’UE n’ont pas perdu leur intérêt réciproque et surtout que l’UE n’a pas perdu ses leviers pour aider aux reformes démocratiques en Turquie. Le président Hollande est lui aussi allé en Turquie, donc l’importance mutuelle est reconnue. C’est ce qui fait que nous pouvons agir et peser aujourd’hui. Il ne faut pas mépriser cela. Ce qui a eu lieu depuis ne peut pas l’annuler. A la Commission, au Conseil et au Parlement euro-

Il a raison et je suis sûre que le président Hollande et Mme Merkel ont fait le même appel. Le Conseil devrait prendre la décision d’ouvrir les chapitres 23 et 24, pour

Le Premier ministre a rappelé que l’Europe critiquait la Turquie sur les libertés fondamentales mais n’avait toujours pas ouvert les chapitres 23 et 24, relatifs justement aux libertés fondamentales, à la justice et à la liberté.

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«La confiance des citoyens turcs envers les institutions est atteinte»

que l’UE ait une capacité de pression et puisse faire en sorte de retenir et d’inverser la tendance actuelle. On ne sait pas jusqu’où cette situation peut vraiment déraper. Il faut que nos interlocuteurs en Turquie comprennent à quel point le terrain sur lequel ils se sont aventurés est dangereux.


07 TURQUIE

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Personnalités turques sur écoute : les procureurs s’expliquent SAMI KILIÇ PARIS Selon les journaux Star et Yeni Safak, deux procureurs en charge de la lutte contre le terrorisme auraient mis sur écoute plus de 7 000 personnes. Dans le cadre de leur enquête sur «l'organisation terroriste Selam», Adem Özcan et Adnan Cimen ont obtenu plusieurs autorisations des juges pour pouvoir intercepter les conversations téléphoniques de plusieurs personnalités turques et ce, depuis 2011. Figurent ainsi les grands noms du journalisme, Ertugrul Özkök, ancien rédacteur en chef de Hürriyet, Yusuf Ziya Cömert, rédacteur en chef de Star , Nasuhi Güngör, directeur de l’information de la chaîne publique TRT. L’entourage du Premier ministre, Tayyip Erdogan, a également été mis sur écoute, son frère, Mustafa Erdogan, son conseiller, Yazlçin Akdogan et le ministre de l’Intérieur, Efkan Ala. Star a titré «L’organisation parallèle a écouté 7 000 personnes» alors que Yeni Safak lançait «La Pennsylvanie, la grande oreille».

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LE RÔLE DU HIZMET Ces deux quotidiens sont proches du gouvernement de l’AKP et sous-entendent le rôle du Hizmet, le mouvement lancé par Fethullah Gülen, qualifié récemment d’«Etat parallèle» par le Premier ministre en personne. Le procureur Adnan Cimen, qui s’occupait des dossiers de l’antiterrorisme, a été récemment muté à Bakirkoy. Il menait les enquêtes sur les affaires dites du KCK, extension civile du PKK. Quant à Adem Özcan, il avait pris la relève dans le dossier concernant la convocation du direc-

Vers une loi pour la fermeture des instituts de soutien scolaire

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La Commission parlementaire de l’Education, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports a approuvé un certain nombre de réglementations dans le domaine de l’éducation. Parmi ces réglementations, se trouve notamment le projet de fermeture des dershane (instituts de soutien scolaire privés) qui proposent des cours de soutien pour les examens d’entrée au lycée et à l’université. Les réglementations, au nombre de 29, comprennent également la mise en place d’un examen écrit et oral pour l’octroi de bourses aux étudiants souhaitant partir étudier à l’étranger.

POLITISATION ET NÉPOTISME Coşkun Dilber, président de la branche de Trabzon de l’Union du personnel d’éducation, a publié un communiqué dans lequel il dénonce «l’obstination du gouvernement [de porter atteinte] au système éducatif et aux étudiants». Dilber a également attiré l’attention sur les effets négatifs de ces réglementations, en disant que le gouvernement essayait de faire taire les voix dissidentes dans le domaine de l’éducation après avoir tenté de faire de même avec la police et l’appareil judiciaire. «Le projet de loi a été établi sans accord avec les autres groupes. Ce nouveau système éducatif va ouvrir la voie à la politisation et au népotisme au sein des organes publics éducatifs», a regretté Dilber.

teur du MIT (le renseignement turc) avant d’être d’être muté à un poste de simple procureur. Faruk Logoglu, vice-président du CHP, parti d’opposition, a dénoncé une tentative de «renforcer les allégations d’un Etat parallèle». Devlet Bahçeli, leader du MHP (droite nationaliste), a préféré l’ironie : «Nous savons que notre siège est écouté. Ca nous permet au moins de faire passer nos messages politiques».

2 280 PERSONNES MISES SUR ÉCOUTE Le procureur général d’Istanbul a reconnu que 2 280 personnes avaient effectivement été mises sur écoute, malgré l’absence de présomption sérieuse quant à une quelconque activité terroriste. En revanche, le procureur Adem Özcan a démenti cette information, «ces affirmations sont fausses, je n’ai jamais demandé à un juge l’autorisation d’écouter les proches du Premier ministre, je

ne suis pas au courant d’une telle liste», a-t-il assuré. De son côté, le HSYK (Conseil supérieur des juges et des procureurs) a décidé de se réunir en urgence demain afin d’examiner les allégations. L’avocat de Fethullah Gülen a également publié un comuniqué dans lequel il a dénoncé une «propagande» destinée à être utilisée dans les meetings électoraux pour faire du Hizmet un «bouc émissaire».


08 TURQUIE

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Vers une autonomie kurde en Turquie ?

De nouvelles affiches dans la ville de Diyarbakir avec un portrait récent de Öcalan.

A l’approche des élections municipales de mars 2014, les dirigeants du BDP, parti pro-kurde, évoquent de plus en plus l’idée de l’«autonomie démocratique». La polémique a repris de plus belle. SAMI KILIÇ PARIS La rumeur a vite enflé : Selahattin Demirtas, le leader du BDP, parti de la Paix et de la Démocratie, parti pro-kurde, aurait dit vouloir «proclamer l’autonomie démocratique après les élections». Onde de choc dans la classe politique. Le parti a dû publier un communiqué en catastrophe, démentant les propos attribués à son président. Taha Akyol, chroniqueur dans le quotidien Hürriyet, avait estimé que le contexte actuel de rivalité entre l’AKP et le Hizmet (ou mouvement Gülen) bénéficiait surtout aux Kurdes ; «les Kurdes sont les seuls gagnants», avait-il écrit. Autrement dit, le déferlement de poussière leur permettrait d’accroître la pression. Or, outre que la catégorisation des «Kurdes» est en soi problématique, le concept d’«autonomie démocratique» n’est pas nouveau. C’est une autre manière de revendiquer une décentralisation poussée,

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dans la terminologie du BDP. Demirtas a ainsi rappelé qu’ils allaient non pas proclamer l’autonomie démocratique mais la bâtir : «C’est un système d’auto-gouvernance (…). Aujourd’hui, nos municipalités sont capables de le mettre en place dans les faits. Le peuple est prêt pour obtenir des prestations de services publics dans sa langue maternelle, en kurde, en arabe, en arménien, en syriaque. Nous n’allons rien attendre de l’Etat». «Il n’y a rien d’inconstitutionnel ni d’illégal. C’est tout bonnement légitime», a-t-il assuré.

«RENFORCER LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES» De son côté, Gültan Kisanak, candidate BDP et favorite à la mairie de Diyarbakir, a appelé les jeunes à s’investir dans ce projet : «La jeunesse kurde est une force pour relancer le Kurdistan». «Fraude électorale» a lancé, dans sa chronique du journal Sabah, Hasan Celal Güzel,

ancien ministre connu pour sa verve patriote et proche de Tayyip Erdogan. «Le BDP sait très bien qu’il n’y aura jamais une telle autonomie, il veut attirer des voix, c’est une supercherie», a-t-il estimé. Quant à Mehmet Metiner, député d’origine kurde à l’AKP, il a appelé le BDP à ne pas attiser le feu, auquel cas, il devrait «en subir les conséquences». La réaction était tout aussi prévisible du côté des nationalistes. Devlet Bahçeli, leader du MHP (droite nationaliste), a fulminé : «le PKK a déclaré l’année 2014, année de l’autonomie (…). Regardez cette immoralité. Voilà où a mené cette billevesée qu’ils ont appelée "l’ouverture démocratique" !». Oral Calislar, chroniqueur spécialiste de la question kurde, a été plus mesuré dans Radikal : «ce que revendique le BDP ne va pas au-delà de ce que prévoit la Charte européenne de l’autonomie locale. Il veut renforcer les collectivités territoriales ainsi que la langue et

la culture locales». Un souhait qui s’inscrit en réalité dans un cadre légal. Une loi de novembre 2012 qui entrera en vigueur en 2014 permettra aux maires de 30 provinces (sur 81) d’être élus directement par la population et renforcera les pouvoirs des conseils provinciaux en abolissant les conseils préfectoraux. Ces deux conseils faisaient souvent double emploi au niveau des attributions. Cette loi avait subi, en 2004, le veto du président Ahmet Necdet Sezer, grand kémaliste devant l’Eternel, pour une raison qui ne cesse de hanter les Turcs depuis toujours : le risque de porter atteinte au principe de l’Etat unitaire. Et justement, le BDP n’y va pas de main morte : il a commencé à parer la ville de Diyabakir d’affiches qui restent en travers de la gorge de beaucoup : «Un leadership libre, un Kurdistan libre». Avec un portrait récent d’Abdullah Öcalan. On pouvait mieux faire en termes d’apaisement.

Nouvelles affiches électorales de l’AKP en kurde -

L’utilisation de différentes langues et dialectes est autorisée dans les campagnes électorales.

Après adoption par le gouvernement de l’autorisation d’utiliser différentes langues et dialectes dans les campagnes électorales, les candidats AKP locaux ont commencé à dévoiler leurs banderoles et affiches électorales en kurde avec la photo d’Erdogan. Le bureau de campagne de l’AKP à Diyarbakir a dévoilé les affiches portant les photos du député et candidat à la mairie de Diyarbakir, Mehmet Galip Ensarioglu, accompagnées du slogan «Diyarbakir veut du changement» en turc et en kurde.«Au final, ce sont des élections locales. L’AKP pense qu’utiliser la langue que les habitants de Diyarbakir comprennent est la bonne chose à faire. C’est pourquoi nous avons décidé de faire nos banderoles en turc, en kurde et en zaza. Ce sont nos langues et nous devons les adopter. Jusqu’à récemment, les autres langues étaient considérées comme représentatives de la crainte, du séparatisme et de la division entre les peuples. Mais aujourd’hui, nous n’avons plus ce genre de problème. J’ai personnellement choisi les mots à inscrire sur ces banderoles», a déclaré Ensarioglu.


09 TURQUIE

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Zekeriya Öz, héros et paria de la République Le légendaire magistrat était bien en cour lorsqu’il pourchassait les putschistes en 2008. Il avait été promu viceprocureur d’Istanbul avec la bénédiction du Premier ministre turc, Tayyip Erdogan. Aujourd’hui, il est exilé à Bolu, pour avoir trop décortiqué les affaires de corruption et provoqué l’ire... d’Erdogan. SAMI KILIÇ PARIS Le «Felice Casson» turc. Voilà comment le monde politique appelait Zekeriya Öz, il y a six ans. Du nom de ce fameux juge d’instruction italien qui avait lancé une opération «mains propres» contre le réseau Gladio, une organisation militaro-politique qui luttait contre le communisme dans l’Italie de l’après-guerre. Et Zekeriya Öz était en voie de se transformer en «Antonio Di Pietro», autre célèbre juge italien anti-corruption, quand le Conseil supérieur des juges et des procureurs turc l’a muté sans crier gare. Un énième rebondissement dans la carrière de ce magistrat atypique. Né en 1968 dans une famille de Turcs émigrés de Bulgarie, diplômé de la faculté de droit en 1991, il exerce la profession d’avocat avant de passer le concours de la magistrature en 1997. Affublé du qualificatif d’«implacable» (yavuz) par ses collègues, il atteint le sommet de la gloire en 2007-2008. Il lance en effet l’une des enquêtes les plus osées de l’histoire de la République, celle dite de l’ «Ergenekon». Une nébuleuse qui associe militaires, nationalistes et kémalistes en vue de renverser le gouvernement de l’AKP par la stratégie de la tension (assassinats, manifestations massives). Ce fait d’armes lui vaut deux gardes du corps et une voiture blindée. Celle du Premier ministre en personne, s’il vous plaît. C’est dire l’estime dont il jouit en haut lieu. On lui offre le poste de vice-procureur d’Istanbul, mégalopole de 15 millions d’habitants.

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RÉTROGRADÉ À BOLU La disgrâce tombe six ans plus tard. Le nouveau vice-procureur est chargé de

coordonner l’enquête sur les accusations de corruption qui touchent les proches des ministres. Tayyip Erdogan rugit contre ce qu’il appelle «une tentative de coup d’Etat». En effet, conformément au secret de l’instruction, Zekeriya Öz n’a pipé mot de l’enquête à son supérieur hiérarchique, le procureur général d’Istanbul, Turan Colakkadi. Le pouvoir exécutif n’est pas non plus mis au courant, aucune information n’a filtré. Le jour de la déflagration, le monde judiciaire et le monde politique découvrent le dossier. Désavoué par Colakkadi et tancé par Erdogan, Öz est vite débarqué. Il fait partie de la fournée des procureurs qui sont éparpillés à droite à gauche par le Conseil supérieur des juges et procureurs. Lui atterrit d’abord à Bakirköy, un arrondissement d’Istanbul, avant d’être catapulté à Bolu, un mois plus tard. Bolu, ville de 380 000 hommes, à 260 km d’Istanbul. Une rétrogradation qui ne prend même pas la peine de cacher son nom. Le vice-procureur devient simple procureur. Il annonce dans la foulée qu’il intente une action en justice contre le Premier ministre, pour détournement de pouvoir.

ADULÉ HIER, HONNI AUJOURD’HUI Le personnage a néanmoins une part d’ombre qui nourrit les suspicions. Sans étiquette politique apparente, il est pourtant assimilé au Hizmet. Vrai ou faux, la question n’est pas là, dans le contexte actuel. Le Premier ministre a immédiatement révélé qu’il avait participé à un safari à Dubai aux frais d’un homme d’affaires assez sulfureux, Ali Agaoglu qu’il a d’ailleurs mis en examen dans l’affaire de corruption. Celuici a reconnu cet épisode mais a invoqué les

Affublé du qualificatif d’«implacable», il atteint le sommet de la gloire en 2007-2008.

liens d’amitié entre le représentant de sa holding à Dubai et le procureur. Erdogan en a profité pour l’accabler encore plus en évoquant 22 voyages à l’étranger. Avant qu’on se rende compte qu’il avait mélangé toutes les personnes au nom de Zekeriya Öz... Et la Turquie n’est pas à un paradoxe près. Figure honnie par les kémalistes hier,

Öz est aujourd’hui défendu par ces derniers. Adulé jadis par les conservateurs, il est voué aux gémonies par ceux-là même. Héros et héraut hier, traître et corrompu aujourd’hui. Balzac aimait dire que le juge d’instruction est l’homme le plus puissant de France. En Turquie, c’est une autre histoire, il y a toujours plus puissant que soi.

L’économie turque menacée par la sécheresse -

Les données de la société Oxford Business Group (OBG) recueillies par Zaman montrent que la rareté des précipitations en Turquie de ces derniers mois pourrait entraîner une chute des exportations et une hausse des importations dans le secteur agricole. La sécheresse menace également de toucher les professions du deuxième secteur pourvoyeur d’emplois en Turquie. Le pays, l’un des plus grands producteurs européens de blé, a récolté 22,1 tonnes en 2013 selon les chiffres de TurkStat. Alors qu’une grande partie de cette récolte est destinée à la consommation locale, la Turquie exporte également une partie de son blé à l’étranger, en particulier aux Philippines et à l’Indonésie, ses acheteurs principaux. «Les producteurs sont très inquiets car leurs plantations n’ont pas eu assez de pluie aux mois de novembre et décembre», a déclaré le président de l’Union turque des chambres d’agriculture (TZOB), Semsi Bayraktar.

la rareté des précipitations en Turquie de ces derniers mois pourrait entraîner une chute des exportations.

LA PÉNURIE D’EAU S’AGGRAVE D’après les données publiées par la Compagnie nationale des eaux (DSI), la moyenne des précipitations en Turquie entre le 1er octobre 2013 et le 2 janvier 2014 a drastiquement baissé. Dans les trois derniers mois de 2013, les pluies ont baissé de quasiment 42 % par rapport au chiffre de l’année précédente. Selon les données de l’OBG, si les pluies du

printemps sont aussi rares que cet hiver, la Turquie connaîtra des problèmes de pénuries d’eau en ville comme à la campagne. Mi-janvier, le volume d’eau stockée dans les barrages de Turquie se trouvait juste au-dessus des 35 % et bien en-dessous des 64 % à la même époque l’année dernière. La pénurie d’eau dans certaines parties du pays devient de plus en plus grave. Ainsi, Yavuz Tezcan, président de la Chambre d’agriculture de Ceyhan, de la province d’Adana au sud du pays, a récemment annoncé que jusqu’à la moitié de la récolte attendue de 2 millions de tonnes de blé dans la région de Çukurova, soit environ 10 % de la production de blé de Turquie, pourrait être perdue en cas d’absence de fortes précipitations en février.

LA CHUTE DE LA LIVRE TURQUE FACE AU DOLLAR Sur la dernière année, la valeur de la livre turque a chuté d’environ 25 % contre le dollar américain, principale monnaie pour les échanges commerciaux céréaliers. La sécheresse pourrait également avoir un impact négatif sur l’inflation. D’après TurkStat, l’indice des prix à la consommation a enregistré sa plus forte augmentation en 26 mois en janvier 2014, à cause de la hausse des prix alimentaires dans un contexte de conditions climatiques rudes, d’une chute de la valeur de la livre turque et d’une augmentation des taxes.


10 EUROPE

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

«Les Européens ne comprennent pas l’islam politique» Alvaro de Vasconcelos, est l’ancien directeur de l’Institut d’Études de Sécurité de l’Union européenne et l’auteur de l’ouvrage La vague démocratique arabe, l’Europe et la question islamiste, aux éditions L’Harmattan. Dans un double contexte politique marqué par la réussite de la transition politique menée par Ennahda en Tunisie et le retour de la dictature en Egypte, Zaman France l’a interrogé sur la position européenne concernant la question islamiste. FOUAD BAHRI PARIS Dans votre ouvrage, vous évoquez une impasse de la position politique des pays européens vis-à-vis des partis islamistes, et ses conséquences sur le plan international. Qu’entendez-vous par là ? L’Europe a une difficulté majeure avec l’islam politique. Beaucoup d’Européens donnent à l’homme islamiste une identité unique et exclusive. Tous les hommes ont plusieurs identités. On peut être musulman, démocrate, laïque. Plus grave, ces Européens se sont mis dans la tête qu’il y avait une incompatibilité entre islam et démocratie car pour eux, l’islam est une source de violence. De ce fait, ils ne comprennent pas l’islam politique qui est très varié et amalgament des partis comme Ennahda ou l’AKP qui ont connu un cheminement démocratique, avec d’autres partis extrémistes, ultra-radicaux et anti-démocratiques. Cette question islamiste pose à l’Europe un problème de politique internationale mais aussi de politique intérieure.

Les suites du coup d’Etat contre l’islamiste Morsi ont fait 2 000 morts en Egypte.

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Comment définiriez-vous les relations entre l’Europe et ces partis ? Au temps des régimes autoritaires, les Européens ont soutenu les dictatures arabes. Ils ne connaissaient pas les partis islamistes d’opposition. Ils ne connaissaient que les mouvements libéraux ou laïcs, qui étaient minoritaires. Il n’y avait donc pas d’interaction entre eux. Pour les Européens, les partis islamistes avaient un projet antidémocratique et représentaient une menace. Le 11 septembre a aidé à la création de cet amalgame. Les Européens se sont convertis à la thèse de Samuel Huntington du choc des civilisations entre un monde chrétien et un monde islamique. Entre temps, les révolutions arabes ont montré qu’il existait des courants démocratiques très forts dans ces pays. La prudence et la méfiance des Européens quand ces révolutions ont éclaté venait de cette relation à l’islamisme qu’ils entretiennent. En quel sens l’islamisme est-il devenu une question intérieure pour l’Europe ? Cette question est devenue une question intérieure depuis l’explosion des courants politiques d’extrême-droite en Europe qui ont fait de l’islamophobie leur fond de commerce. Il y a parfois des débats autour de l’identité européenne et des livres comme celui d’Alain Finkielkraut L’identité malheureuse qui sont malheureusement islamophobes. Quand des

intellectuels français comme Jean Daniel ont écrit dans le Nouvel Observateur que la victoire d’Ennahda était celle de la contre-révolution, cela a un impact immédiat en Tunisie et contribue à la polarisation car il existe une relation culturelle et humaine très forte avec la France. D’ailleurs quand Hollande a déclaré récemment en Tunisie que «islam et démocratie sont compatibles», cela signifie qu’en Europe, on pensait le contraire. Dans une chronique au quotidien Le Monde, l’essayiste de sensibilité laïciste Caroline Fourest avait eu cette formule concernant le monde arabo-musulman : séculariser puis démocratiser. Considérez-vous que cette position illustre celle des élites européennes concernant les sociétés arabes ? Non car cette position est radicale. Les démocraties européennes ont connu un cheminement laïc vers la démocratie mais des partis islamistes peuvent aussi connaître le même parcours. C’était le cas de la démocratie chrétienne en Allemagne, après la Seconde guerre mondiale. C’est le cas en Tunisie où Ennahda a été un acteur majeur de la nouvelle constitution qui garantit la liberté de conscience et l’égalité. Il y a plusieurs versions de la laïcité avec une version jacobine en France qui ne fait aucune référence à la religion. Ce n’est pas le cas de la majorité des pays démocratiques. En Norvège, le président doit être protestant, sinon il ne peut pas briguer cette fonction. La référence à Dieu est une réalité dans presque toutes les constitutions d’Amérique latine et aux Etats-Unis. La reine d’Angleterre est la chef de l’Eglise anglicane.

Beaucoup de pays laïcs ne sont pas démocratiques. Au XXe siècle, la plupart des dictatures étaient laïques comme l’URSS mais aussi des pays arabes comme l’Irak de Saddam Hussein ou la Syrie de Hafez al-Assad. On peut avoir des régimes laïcs extrémistes qui nient à l’homme sa condition religieuse. Des régimes qui se méfient des peuples en tant que ceuxci veulent cette référence. L’important doit être que ces peuples croyants accordent les mêmes droits aux individus qui ne partagent pas leurs croyances. On parle beaucoup actuellement du modèle tunisien. Auparavant, on évoquait surtout le modèle turc avec l’AKP. Mais depuis plusieurs mois, la Turquie est en proie à une grave crise politique et institutionnelle. Cette nouvelle donne turque est-elle un contre-exemple de la compatibilité entre islam et démocratie ? Non, c’est plutôt le contraire. La Turquie a montré la compatibilité entre islam et démocratie. Ce n’est pas Atatürk qui a démocratisé la Turquie. Ce n’est pas parce que l’AKP a une référence islamiste qu’il existe des problèmes politiques. L’islamisme de l’AKP n’a pas empêché la démocratisation de la Turquie. Le problème est que l’AKP n’a pas d’alternative politique, celle d’une opposition capable de gagner des élections. Si un parti reste trop longtemps au pouvoir, il y a le risque d’un phénomène que j’appelle la mexicanisation. C’est ce qui s’est passé au Mexique avec le parti révolutionnaire qui gagnait élection après élection ce qui a produit des réactions autoritaires. C’est le drame actuel de la Turquie avec une opposition qui

a développé des réflexes laïcards qui sont le contraire de ce dont ce pays a besoin. Le gouvernement égyptien vient de présenter sa démission, condition préalable à la candidature à l’élection présidentielle du maréchal Sissi, l’homme qui a renversé le premier président égyptien élu démocratiquement, Mohamed Morsi. Alors que l’Europe a condamné sévèrement l’ancien régime ukrainien, le deux poids deux mesures avec l’Egypte semble illustrer votre thèse... Je ne pense pas que l’Europe ait soutenu le coup d’état militaire. Je crois que l’Europe a pensé prévenir par des actions diplomatiques le coup d’Etat militaire. Beaucoup de représentants de l’UE ont fait le déplacement vers le Caire. Mais la réalité c’est qu’il y a eu deux mille morts après le coup d’Etat, que

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«L’islamisme de l’AKP n’a pas empêché la démocratisation turque»

l’Egypte est en train de bâtir un régime plus dictatorial que du temps de Moubarak et que la réaction ferme de l’Europe par rapport à l’Ukraine, qu’on doit saluer, n’a pas été comparable en Egypte. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les islamistes qui sont en prison mais aussi les journalistes égyptiens, les libéraux et toute l’opposition. Ce régime dictatorial va plonger l’Egypte dans une dynamique régionale très grave.


11 INTERNATIONAL

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

Kiev veut traduire Ianoukovitch devant la Cour pénale internationale Après trois mois de manifestations déclenchées par son refus de signer un accord d’association avec l’Union européenne (UE), le chef de l’Etat ukrainien a été destitué. Le parlement veut aujourd’hui le traduire devant la Cour pénale internationale (CPI).

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Le parlement ukrainien a voté à une très large majorité le renvoi de Viktor Ianoukovitch, le président destitué, devant la CPI pour «crimes graves», et a établi un lien entre l’ancien président et des violences policières à l’origine de la mort de plus de 100 personnes, originaires d’Ukraine et d’autres pays, lors des manifestations antigouvernementales entamées en novembre. La CPI a précisé qu’elle attendait une requête officielle des autorités ukrainiennes, puisque Kiev n’a pas signé le traité fondateur de l’institution de La Haye, et elle a rappelé qu’il reviendrait ensuite au procureur de l’institution de la Haye de décider ou non d’ouvrir une enquête.

MISES EN GARDE SUR UNE PARTITION L’ancien président, qui a été vu pour la dernière fois en Crimée, reste introuvable, mais son ancien chef de cabinet, qui l’accompagnait lors de sa fuite, a été blessé par balle à une jambe. On ne sait pas s’il était avec Viktor Ianoukovitch lors de l’incident. En Crimée, région majoritairement pro-russe où ont eu lieu des manifestations contre l’éviction de Viktor Ianoukovitch, le président de transition Oleksander Tourchinov a évoqué des «signes de séparatisme» à l’occasion d’une réunion des chefs des agences de sécurité. La destitution du chef de l’Etat, après trois mois de manifestations déclenchées par son refus de signer un accord d’association avec l’Union européenne (UE), a conduit Moscou comme

Au Venezuela, les manifestations se poursuivent

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Des manifestants vénézuéliens hostiles au président Nicolas Maduro ont érigé des barricades lundi à Caracas, malgré les appels au calme d’une partie de l’opposition après deux semaines de manifestations qui ont coûté la vie à 13 personnes. La circulation était très ralentie dans la capitale et de nombreux habitants sont restés chez eux, au lendemain d’un appel du chef de file de l’opposition, Henrique Capriles, qui a demandé aux manifestants d’éviter la violence. Le gouvernement socialiste a invité Capriles, gouverneur de l’Etat de Miranda, et d’autres dirigeants locaux à une réunion destinée à faciliter le dialogue entre les deux camps et mettre fin aux troubles les plus importants depuis l’élection de Nicolas Maduro comme successeur de Hugo Chavez, en avril 2013.

DES «ACTES DE FASCISTES» Henrique Capriles, qui demande la libération d’une dizaine de personnes dont le chef de file de la contestation Leopoldo Lopez, incarcéré dans une prison militaire la semaine dernière, ainsi que le désarmement de groupes favorables au gouvernement, a rejeté cette invitation. Les étudiants à la pointe de la contestation réclament quant à eux la démission du chef de l’Etat. Nicolas Maduro a qualifié les manifestations d’actes de terrorisme commis par des «fascistes» cherchant à ourdir un coup de force comparable à celui qui avait fait chuter pendant quelques jours Hugo Chavez en 2002.

les Occidentaux à s’engager à éviter toute partition de l’Ukraine entre son Est russophone et son Ouest plutôt nationaliste et pro-européen. Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, a prévenu mardi qu’il ne fallait pas «forcer» l’Ukraine à choisir entre l’Occident et Moscou. Dans le camp occidental, Catherine Ashton, porte-parole de la diplomatie de l’UE, a cependant invité la Russie à laisser l’Ukraine choisir sa «voie», et Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires éco-

nomiques et monétaires, s’est dit favorable à la tenue d’une conférence des donateurs pour permettre à Kiev, qui a évalué ses besoins pour 2014 et 2015 à 35 milliards de dollars (25,5 milliards d’euros), d’obtenir une aide internationale. Les troubles politiques ont fortement affecté l’économie du pays et la hryvnia, la monnaie ukrainienne, a touché mardi son plus bas niveau historique contre la monnaie américaine, à 9,70 pour un dollar.

Viktor Ianoukovitch, président destitué d’Ukraine, reste introuvable.


12 INTERNATIONAL

4,4

milliards d’années

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

Découvert près d’un élevage de moutons en Australie et deux fois plus épais qu’un cheveu, un petit cristal de zircon est, à l’âge de 4,4 milliards d’années, le plus vieux morceau connu de la Terre, peut-on lire dans une étude publiée dimanche par le magazine Nature Geoscience.

Présidentielles algériennes 2014 : Un scrutin pour rien ? Les élections présidentielles algériennes auront lieu en avril 2014.

En avril auront lieu les élections présidentielles algériennes... Et c’est officiel, le président Bouteflika est candidat à un quatrième mandat à la tête de l’Etat algérien. Considérablement affaibli (à 76 ans, il sort d’un accident vasculaire cérébral), son dernier discours en public remonte à mai 2012 à Sétif. Pour le journaliste et essayiste Akram Belkaïd, cette candidature poussée par le «système» est une très mauvaise nouvelle pour le pays. Il l’explique dans cet entretien accordé à Zaman France. FARIDA BELKACEM PARIS Que signifie ce nouveau mandat du président Bouteflika ? C’est son premier ministre qui a annoncé que Bouteflika se représenterait. C’est la première fois que quelqu’un annonce sa candidature par personne interposée, ce qui laisse douter de la capacité en tout cas physique du président à être réellement candidat. Le système politique algérien est dans l’impasse et préfère faire le choix du statu quo plutôt que de risquer une ouverture. Cela laisse présager des jours difficiles. On a beaucoup d’interrogations, sur l’état physique du président, sur sa capacité à faire campagne... Ou alors, c’est que l’on poussera le bouchon encore plus loin et là, ce sera du jamais vu, un président élu sans être parti en campagne électorale.

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Pourquoi Abdelaziz Bouteflika est-il à ce point poussé en avant? Bouteflika a des appuis dans le système politique algérien. C’est un équilibre entre plusieurs clans qui appartiennent au même système politique, des clans rivaux mais pas ennemis et qui ont pour objectif la sauvegarde du système. Visiblement, le consensus est que Bouteflika reste à la tête de l’Etat. Contrairement à ce qu’on a pu entendre, il n’y a pas de «guerre» entre l’armée et les services de sécurité, des rivalités de système, oui, des escarmouches via la presse qui ont entretenu l’illusion que le système algérien se

divisait, avec d’un côté, un bloc présidentiel et de l’autre, les services secrets. L’état-major des armées étant plutôt pour le bloc présidentiel. Il est difficile d’avoir une lecture objective de tout ça. In fine, une candidature a été annoncée et cela n’aurait pas pu être sans le consentement des grandes parties prenantes du système politique algérien, services secrets y compris. Qu’entendez-vous exactement par le «système» ? Pour moi, c’est ce qui est en place depuis l’indépendance du pays, les héritiers d’une faction du FLN, qui a pris le pouvoir et ne l’a plus lâché depuis. C’est large, c’est à la fois la famille révolutionnaire, des gens issus de l’armée, des services de sécurité, quelques milieux d’affaires réunis autour de l’idée qu’il n’y a pas d’alternance possible et que la fonction suprême doit être le résultat d’un accord et d’un consensus au sein même de cette boîte noire. On en fait partie par cooptation, parce qu’on a un passé de militaire, de militant FLN ou plus récemment parce qu’on a été adoubé par le FLN ou par les services de sécurité. Quelle sera l’alternative politique en avril en face de Bouteflika ? On ne va pas faire semblant de croire que le scrutin va être ouvert. On connaît la chanson. S’il est candidat, c’est qu’il entend être réélu, et va être réélu. Je me refuse à analyser le scrutin du mois d’avril comme un scrutin normal. On l’a vu en 2009, en 2004 - et même en 1999 - quand plusieurs candidats se sont retirés la veille même ou l’avant-veille de l’élection. Dès lors qu’il y a un candidat du système, le scrutin n’a plus d’intérêt. On peut se contenter de regarder la participation et encore. La vraie question est de savoir comment le système va gérer l’impossibilité physique du candidat à prendre la parole, à se déplacer dans des meetings et à préciser pourquoi il est candidat pour la 4e fois, et surtout, comment cela sera vécu par la population. Quel rôle joueront les partis politiques islamistes ? Ca dépend desquels... Il y a ceux qui ont été adoubés et qui joueront le rôle qu’on leur a assigné. Une présence politique, mais à qui on interdira de

Le journaliste et essayiste Akram Belkaïd contribue notamment au Quotidien d’Oran.

prendre le pouvoir. On l’a vu pour les élections législatives de 2012 ou les islamistes entre guillemets modérés pensaient gagner le scrutin mais n’ont rien gagné du tout. Comme l’opposition, ils ont un rôle à jouer, celui d’un agitateur de la vie médiatico-politique mais in fine on ne leur concède rien. Quant aux autres, ceux qui ont constitué la matrice du FIS (Front islamique du Salut ndlr), ils sont aujourd’hui en déshérence, il n’y a pas de parti qui les représente. Ceux-là aussi ont été laminés par le pouvoir mais c’est un élément d’opposition qui ne demande qu’à reprendre du poil de la bête! Parce que, en même temps, on a assisté dans la société algérienne à un retour en force du conservatisme avec une réislamisation qui ne dit pas son nom... Mais on peut dire que les idées sociétales de ce parti ont plus ou moins triomphé, même s’ils n’ont pas le pouvoir. A telle enseigne que le régime s’est senti obligé de faire des concessions pour éviter que cette influence ne se développe encore plus. Prenons l’exemple des débits de boissons alcoolisées, beaucoup d’entre eux ferment aujourd’hui. C’est un véritable phénomène ... et ça, c’est l’Etat, ce sont les autorités qui le décident. On entend souvent que le peuple algérien donne la priorité à la stabilité depuis la terrible décennie 1990, mais est-ce que le peuple y croit encore ? En 2009, l’élection de Bouteflika a reposé entre autres sur de vraies bases populaires, électorales, c’est-à-dire qu’une partie de la population lui était encore reconnaissante d’avoir ramené la paix en Algérie, de l’avoir fait sortir de la guerre civile et d’être à l’origine d’un certain mieux-être économique. A l’époque, même s’il y avait une opposition assez virulente de la part des milieux intellectuels, d’une partie de l’opposition, des journalistes, je pense qu’il a vraiment été élu avec un soutien populaire assez marqué, notamment à l’intérieur du pays. Les zones rurales sont encore très fidèles au FLN, à l’image de la lutte pour l’indépendance etc. En 2014, les choses sont différentes. Entre temps, il y a eu les printemps arabes avec l’exemple tunisien, de la Syrie même si ça a mal fini, de l’Egypte, donc je pense que ça va être plus difficile de vendre l’idée d’un dirigeant que personne

ne va voir et sur lequel circule nombre de rumeurs. On peut déjà s’attendre à un fort abstentionnisme... Vous parliez du printemps tunisien, ce pays offre un nouveau modèle au monde arabo-musulman. Plus loin il y a aussi le modèle turc... Les Algériens devraient avoir le bon sens et la modestie de s’inspirer de la Tunisie qui montre qu’on peut sortir d’une crise par le vrai dialogue politique. Quant à la Turquie, il y a des similarités culturelles, on oublie souvent l’histoire de la présence ottomane en Algérie (4 siècles quand même). Aujourd’hui, la Turquie a évolué, s’est modernisée aussi au sein de ses institutions, même si ça ne satisfait pas totalement les démocrates turcs. On vit dans un pays où l’armée a en quelque sorte renoncé à faire de la politique. Elle a été forcée à le faire, elle a été renvoyée dans les casernes. Cela ne s’est pas fait sans mal, ça s’est fait aussi parce la Turquie a eu la chance d’être dans le processus de négociation avec l’UE et donc était pressée par l’obligation d’être en conformité avec les critères de Copenhague. Cela ne vaut pas pour l’Algérie, elle ne négocie avec personne, elle a 200 milliards de dollars de réserve de change et n’a de compte à rendre à personne. La vraie différence est là : en Turquie, un processus de modernisation interne, d’évolution politique et de confrontation avec la réalité internationale a abouti à une modernisation des institutions, ce qui n’est pas le cas de l’Algérie. On voit mal l’UE se permettre de dire aux Algériens qu’il ne faut pas que l’armée s’occupe de politique. Ce serait vu comme une ingérence inacceptable. D’ailleurs, l’UE se garde bien d’avoir le moindre avis sur cette question. Ce qui l’intéresse, c’est que le pétrole algérien et le gaz continuent d’arriver en Europe.. Quant à la France, l’Algérie est un partenaire incontournable. Il y a des milliers d’Algériens qui vivent sur le sol français. Je vois mal le pouvoir français prendre le risque de critiquer un quatrième mandat. A moins bien sûr que le processus actuel ne dérape, c’est une hypothèse qu’il ne faut pas négliger. On ne peut pas humilier les peuples de manière indéfinie sans en payer tôt ou tard les conséquences.


13 CULTURE

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

AGENDA CULTUREL

SEYFEDDINE BEN MANSOUR LILLE Voilà bientôt 80 ans, le 3 mars 1924 précisément, les députés de la jeune République turque votaient l’abolition du califat. Ce faisant, ils mettaient fin à une institution vieille de 13 siècles. Abdülmecit II, dernier calife de l’histoire de l’Islam, mourra en exil, à Paris, en 1944. Tout commence à la mort du Prophète, en 632, à Médine. Le jeune Etat islamique se trouvait brutalement sans chef. Il fallait qu’un successeur – sens étymologique du terme khalîfa, «calife» – soit désigné, Muhammad n’ayant laissé aucune consigne à ce sujet, et encore moins établi de règles de succession. Institution créée ad hoc, pour répondre à une nécessité politique, le califat n’est pas évoqué dans le Coran – dans lequel figure bien le concept de khalîfa, «calife», mais dans un sens non politique, qui fait de l’Homme en général le lieutenant de Dieu sur la terre (II:30). C’est cette nécessité historique qui définira la fonction du calife et, dans le même temps, fondera sa légitimité : maintenir l’unité du monde islamique, assurer sa défense et son extension, gouverner et administrer l’empire, préserver le dogme, et enfin, appliquer, respecter et faire respecter la Loi.

CONCERT

D’Abu Bakr aux Ottomans : 13 siècles de califat -

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«La fonction de calife est d’essence démocratique, puisque en principe accordée par la communauté à celui qu’elle reconnaît comme le plus capable et le plus digne» califat, à l’issue de la bataille de Siffin (657), que naîtront les fractures qui diviseront – jusqu’à nos jours – les musulmans en sunnites, chiites et kharijites, fruit de l’opposition de différentes branches familiales pour la conquête du pouvoir temporel et spirituel. Les partisans des Omeyyades, parents du calife ‘Uthman (les sun-

A lire

CONFÉRENCE

Abdülmecit II, dernier calife de l’histoire de l’Islam.

Une conférence de Mohsen Ismaïl, GREMMO, maître de conférences à l’université de Rennes, et Salam Kawakibi, chercheur à l’Arab Initiative Reform.

Sunnisme et chiisme en conflit (Afghanistan et Pakistan)

nites), l’emporteront sur ceux de ‘Ali et de sa descendance (les chiites) et sur ceux qui les auront renvoyés dos à dos, les kharidjites (de kharaja, «sortir»). S’ouvre alors une ère de califats dynastiques marquée géographiquement par le déplacement du centre du pouvoir vers les marges des empires que l’Islam allait supplanter : l’empire byzantin d’abord, avec Damas, capitale des Omeyyades (661-750), puis l’empire perse avec Bagdad, capitale des Abbassides (750-1258).

LE DÉPLACEMENT DU CENTRE DU POUVOIR La chose ne sera pas sans influence sur la culture politique des nouveaux conquérants. Le califat, fonction d’essence démocratique, puisque en principe accordée par la communauté – via ses grands électeurs – à celui qu’elle reconnaît comme le plus capable et le plus digne, glisse vers le modèle absolutiste et théocratique des empereurs byzantins et sassanides. Cette forme

de pouvoir ira néanmoins s’affaiblissant, et les Abbassides auront tôt fait de devoir ici et là abandonner de leurs prérogatives proprement politiques au profit de sultans, gouverneurs et autres monarques provinciaux de fait, qui ne leur reconnaissent qu’une autorité formelle, voire de califats concurrents qui nient leur légitimité : Omeyyades de Cordoue (929-1031) en Europe et Fatimides chiites en Ifriqiyya (Tunisie actuelle) et en Égypte (909-1171). Après l’immense traumatisme du sac de Bagdad par les Mongols en 1258, l’autorité des califes abbassides n’est plus que nominale. Les Mamelouks (1261-1517) veilleront néanmoins à la perpétuer au Caire afin d’assurer leur propre légitimité (1261-1517). Enfin en 1517 l’institution suprême de l’islam se déplace à Istanbul, capitale du puissant Empire ottoman, où elle se maintiendra plus de quatre siècles, avant d’être abolie par le régime laïque de Mustafa Kemal Atatürk.

En Afghanistan et au Pakistan le terme islam est devenu synonyme d’islam politique sunnite, créant un nouveau discours antichiites dans des pays où l’identité nationale est centrée sur la majorité religieuse. Par Fariba Adelkhah, Sciences Po Paris et Mariam Abou Zahab, Institut national des langues orientales. Le 4 mars à 18h00 EHESS 105, boulevard Raspail 75006 Paris

Stéphane Hessel, un an après

Il y a bientôt un an disparaissait Stéphane Hessel. Témoin d’une valeur et d’une force inestimables, Stéphane Hessel – ambassadeur de France, ancien résistant et déporté – a traversé le XXe siècle en protagoniste actif et engagé. Un documentaire de Christine Seghezzi (2008, France, 52 min). Le 28 février à 18h30 Institut du monde arabe Place Mohammed V 75005 Paris

faire hospitaliser d’urgence. Mais faute de couverture sociale, le couple doit payer l’opération : une somme considérable qu’ils n’ont pas. Pendant 10 jours, Nazif fait tout pour sauver la vie de Senada en cherchant de l’aide auprès des institutions et en tentant de trouver toujours plus de fer à vendre.

FESTIVAL

Nazif, père courage

Femme du ferrailleur est ainsi l’hymne humaniste d’un cinéaste au grand sens civique. Un film sincère, sans pathos, entre la fiction et le documentaire. C’est l’histoire de Nazif, un ferrailleur rom de Bosnie, de sa femme, Senada, et de leurs deux filles. Un jour, Senada se plaint de terribles maux de ventre et doit se

La Nahda de Kawakibi

Le 6 mars à 18h00 Maison de l’Orient et de la Méditerranée 7, rue Raulin 69007 Lyon

& à voir...

Si ses personnages sont volontiers résignés, – «c’est la volonté de Dieu si les pauvres ont la vie dure», dit ainsi Nazif –, le réalisateur bosniaque Danis Tanovic n’en dénonce pas moins avec force la responsablité de l’Etat, incapable de fournir une couverture santé minimale aux plus démunis. Film engagé, La

Comme dans le Constantinois algérien et la Tripolitaine libyenne, malouf est en Tunisie le nom de la tradition locale de la musique arabo-andalouse. Une tradition née au XIIIe siècle, et que cette jeune formation tunisienne de Créteil, appelée simplement Mâlouf, souhaite perpétuer en France. Le 1er mars à 20h30 Institut du monde arabe Place Mohammed V 75005 Paris

DOCUMENTAIRE

LES «BIEN-GUIDÉS» Cette fonction, dans la mémoire sunnite, sera incarnée de manière exemplaire par les quatre premiers califes, que la tradition nommera d’ailleurs les «Bien-Guidés» (ar-Râshidûn) : Abu Bakr (632-634), ‘Umar (634-644), ‘Uthman (644-656) et ‘Ali (656-661). Seul le dernier est reconnu comme légitime par les chiites. C’est en effet sous son

L’empreinte du malouf

La Femme du ferrailleur, réalisé par Danis Tanovic (drame, Bosnie-Herzégovine/ Slovénie/France, 2013, 1h15). Avec Senada Alimanovic, Nazif Mujic, Sandra Mujic. Grand prix du jury et Ours d’argent du meilleur acteur, Berlin 2013. Sélectionné pour le prix du Meilleur film étranger, Oscars 2014. Sortie en salles le 26 février.

Trabzon en image et en musique

Une soirée dédiée à la ville anatolienne de Trabzon, ville historique et de légende sur la Route de la soie. Une soirée où la musique traditionnelle sera à l’honneur. Le 1er mars à partir de 19h00 Espace Lumière 6, avenue de Lattre de Tassigny 93800 Épinay-sur-Seine


OPINION14

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE

Pourquoi l’AKP est-il toujours plébiscité ? La proportion des personnes qui disent soutenir l’AKP aux prochaines élections varie entre 42 et 48 % de la population turque. Parmi ceuxlà, des soutiens fervents du parti, mais aussi des Turcs qui estiment qu’il vaut mieux tolérer les erreurs de ce parti.

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A l’approche des élections locales, les résultats de différentes études menées auprès des citoyens turcs sont révélés chaque semaine. Et il ressort que le soutien électoral à l’AKP varie entre 42 et 48 %. Nous devons donc reconnaître que les récentes accusations de corruption n’ont pas vraiment affecté la popularité du parti ETYEN MAHÇUPYAN au pouvoir. Pourtant, dans ces mêmes études, les interrogés devaient dire s’ils pensaient que le gouvernement avait usé de pratiques de corruption, si la justice devait enquêter sur les accusations de corruption ou encore si le gouvernement devait interférer ou non dans la justice. Des réponses relativement similaires ont été données à ces questions. Près des deux-tiers de la société pensent que l’AKP est impli-

Edité par : Source SARL 2, boulevard Saint Martin 75010 PARIS Directeur de la Publication: Directeur Général de Zaman France et Directeur des rédactions: Rédacteur en chef adjoint: Directeur Administratif: Directeur des ressources humaines: Responsable Commercial: Service Abonnement: Secretaires de Rédaction:

HUSEYIN KARAKUS

EMRE DEMIR FOUAD BAHRI FAHRETTIN TEKIN AKIF SAMETOGLU MEHMET SELVI CELINE GOKSU FARIDA BELKACEM SELIM BEDER Traduction: CLEMENTINE RAYNAUD Correspondant Presse Alsace: MEHMET DINC Correspondant Presse Ile de France: OSMAN USTA VEDAT BULUT FERHAN KOSEOGLU Infographie: NICOLAS VINCENEUX MUHAMMED SAHIN Redacteurs Web: AYSEGUL ZORLU SUHEDA ASIK Service informatique: HASAN OZCELIK

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«Entre deux maux, il faut choisir le moindre»

qué dans une affaire de corruption, que la justice devrait enquêter sur les accusations liées à cette affaire et que le gouvernement a interféré dans les affaires de la justice. Mais si l’on divise la société de façon schématique en deux groupes, «laïques» et «religieux», on constate que presque tous les membres du camp laïque – un tiers de la société – pensent que l’AKP est corrompu alors que la proportion des personnes au sein du camp religieux – soit les 2/3 de la société – qui partagent cet avis est de 50 %.

LES SOUTIENS DE L’AKP ET LES AUTRES En d’autres termes, la polémique autour de l’affaire de corruption existe principalement dans le camp «religieux», au sein duquel on distingue les soutiens de l’AKP et les autres. Si on suppose que les individus qui pensent que l’AKP n’est pas corrompu sont en fait des soutiens fervents de l’AKP, cet électorat AKP s’élève donc à 30-35 % de la société. Ce qui

soulève une autre question intéressante. Si le soutien à l’AKP est d’environ 45 % comme le disent les dernières études, cela signifie qu’environ 10 à 15 % des personnes du camp dit «religieux» ne font pas partie des soutiens fervents de l’AKP, mais persistent à dire qu’ils soutiendront l’AKP malgré leur conviction que ce parti interfère dans les affaires de la justice. Pourquoi ?

DES APPRÉHENSIONS RÉELLES Une analyse réaliste de la Turquie pourrait nous permettre de trouver une réponse à cette question. C’est-à-dire que, sans faire de pronostic, nous devrions essayer de comprendre pourquoi les «religieux» font ce choix. Pour ces 10-15 % de la société, il existe une menace plus dangereuse et plus importante que la corruption ou l’attitude du gouvernement. Ils appréhendent de voir la Turquie traverser une mauvaise passe si l’AKP est renversé ou affaibli. Ils ont peur que ne soient annulées les réformes mises en place par l’AKP et craignent la fin des libertés et des réussites économiques du pays. Ils ne voient aucun autre parti politique sur lequel compter en dehors de l’AKP. Nous pouvons donc supposer que les Kurdes comptent pour une grande partie de ces «religieux» et même qu’environ la moitié de ce groupe est kurde. Ils sont nombreux à craindre que le processus de paix ne soit abandonné et que les affrontements ne reprennent. Pour conclure, même s’ils pensent que le gouvernement a effectivement eu recours à des pratiques de corruption, ils sont convaincus que les accusations contre l’AKP sont utilisées comme prétexte pour le renverser. Au sein de l’opinion publique, la proportion de personnes à penser ainsi est d’environ 66 % et monte à 90 % chez les religieux. Entre deux maux, il faut choisir le moindre, pensent-ils. Il leur semble donc plus réaliste de chosir de tolérer les erreurs d’un parti qui a eu un apport positif pour le pays. Ceux qui se créent des espoirs sur l’existence de l’affaire de corruption ne peuvent malheureusement pas comprendre la Turquie et choisissent de continuer à rêver. e.mahcupyan@todayszaman.com

ÖMER TASPINAR

Turquie : l’impuissance de l’Occident -

En l’absence de contre-pouvoirs internes en Turquie, nombreuses sont les voix critiques qui espèrent que les dynamiques externes pourront jouer un rôle pour atténuer cette tendance. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a, par exemple, dit à Erdogan à Bruxelles, que le respect de l’Etat de droit et de l’indépendance judiciaire étaient des conditions essentielles à l’adhésion à l’UE. Mais ces avertissements amicaux auront-ils un impact ? La réponse est non. La Turquie a adopté ses plus importantes réformes législatives en vue d’adhérer à l’UE entre 2003 et 2005 pendant le premier mandat de l’AKP. Aujourd’hui, ni Ankara ni Bruxelles ne se montrent très optimistes sur les perspectives d’adhésion. Des obstacles de taille, pour ne citer que Chypre et l’opinion publique négative française et allemande sur l’adhésion turque, compliquent l’avenir des relations Turquie-UE. Le fait que la Turquie elle-même ait perdu de son enthousiasme et que l’Europe soit incapable de redresser son économie sont d’autres facteurs négatifs. Résultat, l’UE n’a plus d’influence ni de soft power sur la politique turque.

DU CÔTÉ DES ETATS-UNIS Qu’en est-il de l’impact de Washington sur Ankara ? Une lettre ouverte signée plus tôt ce mois-ci par plusieurs ONG américaines et par d’importants leaders d’opinion appelle les Etats-Unis à soutenir les démocrates turcs. Mais la Maison Blanche ne semble pas en tenir compte. Obama a eu son premier entretien téléphonique depuis sept mois avec Erdogan la semaine dernière. Le dialogue entre les deux hommes politiques concernait plutôt les affaires et les questions régionales. Seule une phrase à la fin de l’entretien suggère qu’Obama aurait mentionné les dynamiques internes turques. «Le président a fait remarquer l’importance d’appliquer des politiques saines liées à l’Etat de droit pour rassurer les marchés financiers et assurer un contexte favorable aux investissements, renforcer les liens bilatéraux et apporter des bénéfices pour l’avenir de la Turquie», cite le communiqué de la Maison Blanche. Mais ce n’était pas le genre de conversation que les critiques attendaient. Une fois de plus, cela montre que Washington se mêle des problèmes internes d’un pays uniquement lorsqu’il y a des manifestations de masse et de potentiels actes de violence dans les rues qui sont les résultats d’une décision gouvernementale. Washington voit en Erdogan un leader imprévisible et l’objet de nombreuses critiques, prêt à recourir aux théories de complot les plus folles pour attaquer ses adversaires domestiques. Il n’est donc pas surprenant que les Etats-Unis ne souhaitent pas alimenter les théories de complot du Premier ministre en le critiquant. RETOUR À LA CASE EUROPE ? Ni Washington ni Bruxelles ne semblent avoir beaucoup d’influence sur Erdogan. C’est pour cela que les dynamiques internes turques importeront bien plus que la réaction de l’Occident. Le fait qu’Obama ait établi un rapport entre son avertissement sur l’Etat de droit et les marchés financiers est assez révélateur. Il doit probablement penser que, malgré les tendances autoritaires d’Erdogan, celui-ci a aussi prouvé qu’il était un homme politique pragmatique. Le Premier ministre turc sait que la détérioration de son économie aura un impact sur les résultats des élections. Il n’est pas dans l’intérêt du président américain d’alimenter l’image d’un pays en constante crise politique. Si la situation économique du pays reste telle, Erdogan pourrait redécouvrir soudainement l’importance du processus d’adhésion à l’UE, qui peut rassurer les investisseurs sur le climat du pays. Ce recours au processus européen serait également une manière pour Erdogan de mettre fin à sa politique autoritaire, tout en sauvant la face. En fin de compte, les alliés américains et européens de la Turquie doivent encore espérer que la Turquie soit déjà trop intégrée à l’économie mondiale pour faire preuve d’un autoritarisme agressif en politique intérieure. Le futur nous le dira, mais l’espoir n’est pas une stratégie. o.taspinar@todayszaman.com


15 SPORT

Ces Turcs qui iront à la Coupe du monde

Ilkay Gundogan évolue au Borussia Dortmund.

L’équipe nationale de football turque ne participera pas à la Coupe du Monde qui aura lieu cet été au Brésil. Néanmoins, des joueurs d’origine turque vont évoluer avec les maillots d’autres pays. Petit tour d’horizon à maintenant 100 jours du début de la compétition. MAHMUT SARP PARIS Le 15 octobre dernier, la Turquie perd son billet pour le Brésil en s’inclinant à domicile face aux Pays-Bas, 2-0. Après son absence en Afrique du Sud en 2010, le pays se prive encore une fois d’une participation à la Coupe du Monde en 2014. Et pourtant, des joueurs d’origine turque vont bel et bien y participer. Tout d’abord, l’Allemagne, pays qui compte la plus forte communauté turque d’Europe a dans sa sélection 3 joueurs issus de cette communauté, Mesut Ozil (Arsenal), Ilkay Gundogan (Borussia Dortmund) et Serdar Tasci (Spartak Moscou). Si les deux premiers sont des pièces incontournables de l’effectif, le troisième doit encore se battre pour avoir sa place dans l’équipe. La Mannschaft fait figure de favorite avec le Brésil, hôte de la compétition, et l’Espagne, tenante du titre. La Suisse, quant à elle, compte dans ses rangs deux joueurs d’origine turque, Eren Derdiyok (Bayer Leverkusen) et Gokhan Inler (Naples) qui sont encore une fois, des joueurs très importants pour leur équipe. La Bosnie-Herzégovine, qui participe à la première compétition majeure de son histoire, possède de nombreux joueurs turcophones qui, en outre, évoluent dans la Superlig turque. Izzet Hajrovic (Galatasaray) et Senijad Ibricic (Kasimpasa) en font partie.

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LES BINATIONAUX DE L’ÉQUIPE TURQUE Dans les rangs de l’équipe turque, se trouvent de nombreux joueurs ayant la nationalité de pays qui participent à cette Coupe du Monde. S’ils ne peuvent pas changer d’équipe nationale une fois le maillot porté, ils peuvent néanmoins avoir quelques regrets en regardant la compétition à la télévision. Et il y en a beaucoup, Hasan Ali Kaldirim (Fenerbahce), Omer Toprak (Bayer Leverkusen), Nuri Sahin (Borussia Dortmund), Hamit (Galatasaray) et Halil Altintop (Augsbourg), Gokhan Tore et Olcay Sahan (Besiktas) sont natifs d’Allemagne. Alors que Aykut Demir (Trabzonspor) est hollandais et Mevlut Erding (Saint-Etienne) est français. UNE NOUVELLE RECRUE POUR LA TURQUIE Fatih Terim, le sélectionneur de l’équipe nationale, a réussi à convaincre le jeune milieu de terrain Tolga Cigerci de jouer pour la Turquie. Le joueur de 21 ans, a notamment joué chez les U19 et U20 de l’Allemagne. Il évolue actuellement au Hertha Berlin, club auquel il a été prêté par le Wolfsburg jusqu’à la fin de la saison. L’entraîneur des espoirs allemands Horst Hrubesch a déclaré au Bild qu’il respectait la décision du joueur et qu’il lui souhaitait beaucoup de chance pour l’avenir. Tolga Cigerci aura peut-être l’occasion de porter le maillot rouge et blanc pour la première fois face à la Suède, le 5 mars à Ankara en match amical.

28 FEVRIER - 6 MARS 2014 ZAMAN FRANCE


A 16 ans, Elif Bilgin fait du plastique avec des bananes Distinguée par la revue «Scientific American», la jeune Elif Bilgin a découvert comment recycler les peaux de banane pour en faire... du plastique ŞUHEDA AŞIK PARIS D’après le site planetoscope, avec une production de plus de 110 millions de tonnes, la banane est un des fruits les plus consommés au monde... Et si avec les peaux de ces millions de bananes, il était possible de produire du plastique ? C’est le défi que s’est lancé Elif Bilgin, jeune lycéenne stambouliote de 16 ans. Passionnée par la science, cette jeune fille a conduit de nombreuses expériences avant de découvrir le moyen d’obtenir un plastique isolant à partir de la cellulose contenue dans les peaux de banane. Ainsi grâce au résultat de ces deux ans de recherche, Elif a trouvé comment remplacer le plastique constitué de pétrole utilisé dans la grande industrie, proposant ainsi une alternative à l’usage massif de ce plastique d’origine pétrochimique très polluant. En plus de cet usage, ce plastique bio est également utilisable pour la fabrication de prothèses esthétiques ou l’isolation de câbles.

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FINALISTE DU CONCOURS GOOGLE SCIENCE FAIR Distinguée par la revue « Scientific American » qui lui a décerné le prix «Science» in Action 2013, Elif Bilgin a aussi proposé son projet au concours Google Science Fair de 2013, dans la catégorie 15-16 ans, où elle est finaliste et décroche le prix du public, le «Voter’s Choice Award». La remise de prix a eu lieu en septembre 2013, dans les bureaux de Google à Mountain View en Californie. Organisé chaque année, le concours Google Science Fair consiste à sélectionner les 15 meilleurs projets scientifiques proposés par des centaines de jeunes scientifiques venant de plus de 120 pays à travers le monde.


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