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Portrait
Directeur de production pour L’Industrie Magnifique, Philippe Maraud a conçu le parcours de l’édition 2021. Courroie de transmission entre les artistes, les mécènes et la Ville de Strasbourg, il gère tout l’aspect technique de l’événement. À vélo et en mode super-héros comme en témoignent ses nombreux surnoms.
Par Pierre Cribeillet et Fabrice Voné Photos Christoph de Barry
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Passeur de murailles
Et vous, quel est votre surnom ? Philippe Maraud doit composer avec celui d’Iceman. Un héros de glace, ça vous place un homme. « Il faut être très rigoureux pour mon job, oui, mais de là à m’appeler Iceman… Bon, pourquoi pas ? », s’en amuse l’intéressé, jovial de prime abord. Membre de l’agence événementielle Passe Muraille, il opère à nouveau comme directeur de production pour cette seconde édition de L’Industrie Magnifique. « C’est un homme aux nerfs d’acier et très organisé, salue Jean Hansmaennel, président de l’association Industrie & Territoires à l’origine de l’événement. Mais ne vous méprenez pas, il n’est pas du tout froid comme un glaçon. » Il le fut bien malgré lui pourtant, lors de cette séance photo mémorable près du jardin botanique, derrière ce splendide hôtel particulier de la rue de Goethe où il travaille. Mais même là, tapi sous sa veste en cuir piquée par les gouttes puis la grêle, Maraud, rigolard, n’a effectivement rien de l’homme-iceberg.
« Le Shiva de L’Industrie Magnifique »
Entre deux dossiers, quatre coups de fil et sans doute huit emmerdes, il prend le temps d’expliquer son rôle au sein de cette « grosse machine » qu’est LIM. Vingt places publiques, 25 œuvres d’art (souvent imposantes), cent camions en ville et 150 contacts à suivre. « C’est un peu le Shiva de L’Industrie Magnifique », image à son tour Michel Bedez, fondateur de Passe Muraille, en référence aux quatre bras du dieu hindou. « Ce n’est pas un événement, c’est cent événements en un », certifie de son côté Maraud, qui assure « aimer les gros dossiers par nature ». Le voilà servi. Dès septembre 2018 et surtout janvier 2019, la mécanique s’amorce. « Tout le travail de production tient en trois temps : dessiner et construire le parcours, monter un dossier technique de sécurité et enfin bâtir le planning d’installation et d’enlèvement des oeuvres. » Quelques lignes de texte mais trois ans de travail. Entremetteur des mariages entre artistes et mécènes, il participe ensuite aux réunions
Philippe Maraud a justifié son surnom d'Iceman lors de la séance photo écourtée par une averse de grêle.
de chantier avec les équipes de la Ville et notamment le département événements avec, en première ligne, le régisseur Steve Détaille. « Chaque œuvre trouve naturellement sa place », aime-t-il à répéter. L’épais dossier technique sur son bureau témoigne néanmoins de l’ampleur de la tâche administrative. Jusqu’ici tout allait bien, mais en mars 2020, l’ouragan Covid-19 balaye tout sur son passage. Pas le choix, rendez-vous dans un an. Outre un dossier sanitaire à monter et des incertitudes jusqu’au bout ou presque de cette année de rab, Philippe Maraud doit maintenir ou réamorcer le contact entre toutes les parties. « Il a fallu s’adapter tout en relançant un moteur un peu grippé », concède l’habitant de Lipsheim au souvenir de ces longs mois de flottement. Ces étapes passées, le jour J approche enfin. « Faut être bien dans ses bottes, avoir le sens du détail et de l’anticipation, ce que j’appelle l’helicopter view jusqu’au moindre grain de sable, ce qui te permet d’éviter d’aller à la catastrophe. Philippe est un super général des armées », loue Michel Bedez. « Si les lumières s’allument au bon moment, si les œuvres sont bien gardées, si le plan se déroule sans encombre, c’est grâce à lui. C’est le patron du parcours, de cette galerie d’art à ciel ouvert », renchérit Jean Hansmaennel.
Trois nuits pour tout déballer
Âgé de 53 ans, papa d’un garçon de bientôt 20 ans et marié à une professeure agrégée de SVT, Philippe Maraud n’étonne plus sa petite famille quand ils le voient graisser son vélo à l’approche de L’Industrie Magnifique. Et pour cause, c’est au guidon de sa modeste bécane qu’il va naviguer de place en place, un portable dans une main, un talkie-walkie dans l’autre, foire aux questions ambulante parée à toutes les éventualités. « J’ai un sacré souvenir de 2018. Imaginez : quatre heures du matin, les gyrophares s’allument, les moteurs démarrent, une colonne de camions qui s’ébranle… » Réparties sur trois nuits, l’installation et la déambulation de la centaine de camions, dont 46 super poids-lourds escortés par la police municipale, devront être rapides, efficaces et sécurisées. Mordu de cinéma, Philippe Maraud ne résiste pas à la tentation d’une bonne référence. « J’ai en tête une image du film Witness, de Peter Weir avec Harrison Ford dans une communauté amish, et notamment cette séquence où ils construisent à l’unisson une grande grange. C’est un peu pareil pour nous. Au lever du jour, on a tous les savoir-faire, toutes les énergies qui se réunissent, et au coucher du soleil la bâtisse est montée. Dans notre cas, le plateau c’est la ville de Strasbourg, les acteurs, ce sont les mécènes et les artistes, et puis il y a tous les techniciens autour aussi. » Et au milieu de ce petit monde, «Iceman» perché sur ses pédales, discret metteur en scène de L’Industrie Magnifique.