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Trou d’Homme par Christophe Bogula & Rubis Mécénat

Christophe Bogula photographie les gens au travail, ses collègues de Rubis Terminal, mais pas seulement. S’il se revendique comme un travailleur manuel, c’est un photographe libre et engagé. Par Sylvia Dubost Photo Nicolas Rosès

Un honnête homme

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Le lien entre art et industrie, Christophe Bogula le fait depuis près de 30 ans. Tombé dans la photographie dès l’adolescence, le natif de Sainte-Croix-aux-Mines est rapidement attiré par les paysages industriels, puis par les hommes au travail. Il commence par photographier ses collègues, dans une papeterie à Besançon, une usine chimique à Thann, enfin chez Rubis Terminal, où il est chargé de la maintenance mécanique des installations. Là, « j’ai commencé à faire des photos sans qu’ils le sachent, et comme ils m’aiment bien, ils ne me font pas chier [sic]. » Plus que ça, ils ont même « mécéné » son travail en 2013 dans le cadre du programme Rubis Mécénat, suite à un concours sur le thème de l’industrie. Depuis, il est assez libre d’aller et venir sur les différents sites, de faire des images pendant ses heures de travail. Un gentleman agreement qui permet à l’entreprise de les utiliser pour ses supports de communication. Quant à sa démarche de photographe, Christophe Bogula est plutôt avare de mots. « Je suis un manuel, pas tellement un lettré ». Il invoque l’instinct. « J’ai toujours eu un bon sens du cadrage », reconnaît-il. Mais il y a plus. Au cœur de sa photographie, s’il lui arrive de capturer des espaces, il y a d’abord et avant tout les gens. « Ce qui compte, c’est le regard. Les gens qui ont plus vécu sont plus intéressants à prendre. » Il les photographie souvent sur leur lieu de travail (mais pas seulement), qui devient lui aussi un personnage. Il les observe avec un peu de distance, comme pour mieux les voir mais aussi pour éviter tout pathos. Cette distance marque une forme de légèreté, d’humour malgré la lourdeur de certains contextes, mais surtout de respect. Pour Dorian Rollin, photographe, ami de longue date de Bogula et collaborateur régulier de Zut, ce qui caractérise son travail, c’est la tenue, la rigueur, dans la forme et le regard qu’il porte. « Honnêteté » : c’est le mot qui lui semble le plus juste. « Moi je fais partie de ce monde, explique Christophe Bogula. C’est politique et social, une manière de donner aux gens que je photographie une place, de montrer qu’ils existent et qu’ils sont indispensables. On l’a bien vu pendant le Covid ! » Et d’enfoncer le clou : « Les ouvriers aussi ont quelque chose à dire. » Cette honnêteté, Christophe Bogula se fait fort de la préserver. « Comme je fais ça à côté [de son travail salarié, ndlr], je n’ai pas de contraintes. Je fais ce qui me plait quand c’est le moment. Je suis libre. »

Christophe Bogula vu par Marion Moulin

« Si Christophe Bogula parle peu de ses œuvres, ses photographies expriment pour lui sa grande sensibilité artistique. L’homme travaille sur le site de Rubis Terminal à Strasbourg. Depuis des années, il photographie son lieu de travail, ses compagnons, leurs activités. Ses clichés livrent un reportage de grande envergure, authentique, de proximité. Son regard, maturé par la fréquentation journalière des lieux et des personnes, documente un univers insoupçonné. Le temps long lui permet d’obtenir ce qu’aucun photographe missionné même quelques jours ne pourrait faire. Il est vrai que les lieux se prêtent à des jeux graphiques : verticalité vertigineuse des cuves, escaliers d’usine qu’on croirait s’enrouler autour d’une colonne sans fin. Leur monumentalité contraste avec la richesse de détails captés de manière directe et sobre : des gants, une bague, une chaise, le cercle lunaire de l’entrée des réservoirs. Bogula piste la beauté là où l’on ne s’imagine pas la trouver : matières picturales, nuances de fresque du métal, paillettes dorées des soudures, fumée des cheminées. Des couleurs souvent douces racontent un univers industriel dépouillé. Dans ce décor, il saisit et magnifie les gestes de ses compagnons. Les prises de vue frontales accentuent leur présence. Le quotidien partagé en devient sculptural et poétique. L’ouvrier-artiste préfère l’épure à la profusion. Son formalisme et son humanité s’attachent à dire l’essentiel. N’est-ce pas au fond une des qualités du silencieux ? »

Marion Moulin est directrice artistique du journal Les Échos, elle collabore régulièrement avec Christophe Bogula sur le thème de l’industrie.

Trou d’Homme CHRISTOPHE BOGULA RUBIS MÉCÉNAT Salle de L’Aubette

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