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50 disques = 100 faces

La rencontre entre deux noms d’envergure est comme la collision entre deux éléments voués à se rejoindre pour ne plus former qu’une seule entité. Vladimir Skoda, artiste à la renommée internationale au parcours iconoclaste, et l’entreprise familiale Bieber Industrie ont ainsi fusionné et donné naissance à une œuvre à la fois solide comme l’airain et changeante comme la lumière. Sur le Quai des Bateliers, 50 Disques = 100 Faces s’expose dans un lieu de circulation fluviale, comme un rappel à l’élément liquide qui a toujours apaisé tous les feux de Vulcain. Par Valérie Bisson Photos Christoph de Barry

Atmosphères

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Ce qui frappe le visiteur lors de la découverte de Bieber Industrie, largement implantée sur la petite commune de Drulingen, en Alsace Bossue, c’est le calme qui s’y dégage. Bruits, matériaux et machines sont présents et impressionnants mais la dureté du métal parait comme apaisée par la main des hommes et d’une femme qui circulent sur les trois unités de production de l’entreprise familiale de chaudronnerie fondée en 1919. La disponibilité et la maîtrise des gestes du personnel viennent pondérer le bruit et la rudesse du traitement de l’acier ; ici, l’emploi systématique du mot atelier pour désigner les unités de production traduit la proximité des hommes avec les matériaux. Chez Bieber Industrie, il ne faut pas juger le livre par sa couverture, la chaudronnerie industrielle met en œuvre les savoir-faire de ses 106 collaborateurs autour des équipements de découpe, pliage, soudage, montage et l’intégration d’éléments électriques, mécaniques, pneumatiques. On y arrive avec des images de métal en fusion, on en repart avec celle de la beauté du geste. Chez Bieber Industrie, la haute technicité de fabrication répond à un carnet de commandes à 80 % international dans l’harmonie, la fluidité et le respect des hommes. C’est lors du centenaire de la maison, voulu par les descendants du fondateur de l’entreprise Marc et Raymond Bieber, que la rencontre avec Vladimir Skoda, épris du métal depuis toujours, a pu avoir lieu. Matière de prédilection de l’artiste, la mise en beauté de ce matériau austère était une évidence. Un premier prototype fut présenté lors des festivités d’anniversaire de juin 2019 et, aujourd’hui, l’œuvre originale, 50 Disques = 100 Faces, finalisée et livrée, est présentée pour la première fois lors de cette édition 2021 de L’Industrie Magnifique.

Une œuvre défiant les lois de la physique

Apparue dans son œuvre en 1988, la sphère tient une place prépondérante dans le travail de Vladimir Skoda, sa rondeur et son unicité impénétrable sont magnifiées par le traitement brillant du métal. La surface miroir crée un jeu de déformations optiques et de reflets lumineux dont il poussera ensuite la déconstruction en commençant à travailler ses premières sphères d’acier perforé. En décomposant encore ce volume de prédilection, il donne naissance à un volume toroïdal complexe, une rafale de 50 disques des différents métaux utilisés dans les usines Bieber. Élaborée avec l’aide du bureau d’études, l’œuvre défiant les lois de la physique est le fruit de deux énergies techniques et créatrices qui ont pu entrer en dialogue. Assemblés autour d’un anneau en métal au diamètre extérieur de 3 282 mm pour une hauteur de 1 504 mm, les 50 disques métalliques en acier inox, acier brut et acier peint de chacun 2 mm d’épaisseur pour un diamètre de 1 490 mm reposent sur support inséré à un socle de béton pour un poids total d’environ 3 696 kg et offrent une sculpture toute en légèreté et en rotation. Cette création marque un hiatus important dans l’œuvre de Vladimir Skoda. Fasciné par les usines, la géométrie et l’astronomie, l’éventail de machines, de procédés et de connaissances mis à sa disposition lui ont permis de déployer une nouvelle facette de son talent. La présence indispensable des mathématiques et des calculs ont permis le dialogue entre Bieber Industrie et Vladimir Skoda. La déconstruction de la sphère fait écho à son travail sur le métal en son cœur, dans l’intériorité de sa matière, comme si l’espace intérieur avait été découpé pour passer d’une forme close à une forme ouverte sans perte de substance. La relation entre la matière et l’énergie symbolise la part d’aléatoire qui subsiste dans toute entreprise humaine contrairement à l’implacable logique céleste.

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Skoda : « Le métal m’a toujours fasciné »

D’où vient votre rapport à l’acier ?

La mécanique et la serrurerie m’ont toujours fasciné. J’ai une expérience qui remonte à l’enfance avec mon oncle forgeron. Plus jeune, j’ai aussi eu l’occasion de visiter un atelier de mécanique où j’étais en admiration devant les nombreuses machines. Plus tard, on m’a proposé de travailler avec d’autres matériaux – le verre par exemple – mais j’avais déjà été séduit par l’acier. À la fin de mon adolescence, j’ai intégré une école où l’on travaillait le métal, près de Prague, ma ville natale. J’ai été formé en alternance – deux jours de théorie à l’école et trois jours en usine – et je suis devenu tourneur-fraiseur. Cette formation a laissé une très nette influence sur l’œuvre que j’allais construire par la suite.

Depuis combien de temps travaillez-vous ce matériau ?

À Prague, j’ai pratiqué le dessin et la peinture en tant qu’autodidacte. En 1968, je suis venu en France, j’ai étudié à l’École des Arts Décoratifs de Grenoble et j’ai poursuivi l’apprentissage de la sculpture. Un an après, j’ai pu rejoindre l’École des Beaux-Arts de Paris où je faisais d’abord la sculpture figurative dans l’atelier de Robert Couturier. Puis, j’ai continué mes études dans l‘atelier de César où j‘ai réalisé un gant avec du fil de fer, tressé comme un panier. Depuis, je travaille continuellement avec le métal qui m‘a toujours fasciné. Qu‘elles soient artisanales ou industrielles, les différentes qualités du métal, ses nuances, et même les alliages les plus récents m'attirent toujours. En 1975, j’ai commencé le travail à la forge en battant le fil de fer à froid avec un marteau. Cela m’a fait penser à mon enfance. Puis j’ai rencontré M. Renaud, un vieux forgeron à la retraite. Il bricolait dans sa forge qui ne fonctionnait plus. Il m’a appris les rudiments du métier. Les premières pièces ont été forgées à partir de fil de fer. Quelque temps après j’ai obtenu un atelier à la Cité des Arts à Paris. Il y a, juste à côté, le siège des Compagnons du Devoir. À cette époque, ils avaient encore des forges dans leurs caves et j’ai forgé avec eux en commençant à faire des pièces plus grandes qui consistaient à transformer le métal d’une forme à une autre sans perdition de matière. Je comprenais bien qu’il me fallait plus de moyens techniques. Au fur et à mesure, j’ai pu quitter les contraintes formelles imposées par la forge manuelle pour aller vers des forges plus industrielles où le marteau pilon me permettait de transformer un volume différent.

Que vous a apporté cette aventure au sein de L’Industrie Magnifique ?

L’Industrie Magnifique, ce sont de belles rencontres et d’exceptionnelles possibilités d’établir une collaboration entre les artistes et les entreprises. Lors de ma carrière, j’ai très souvent travaillé avec des entreprises chaudronnières, mais cette fois-ci avec Bieber Industrie, la collaboration a été plus étroite autour du projet commun de leur 100e anniversaire. L’inspiration m’est venue dès la première visite de l’entreprise, comme un réflexe. Mes fascinations pour les usines, la géométrie et la mathématique se rejoignent dans notre matière première commune – l’acier et ses transformations. Le savoir-faire et l’expertise dans chaque domaine de fabrication de Bieber Industrie m’ont permis d’explorer des nouvelles voies et des grandes capacités de production.

Par Valérie Bisson

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